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Suétone (généralités)

Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)


  Suétone, Jules César, 80

 LXXX. Conjuration tramée contre lui. Dispositions du peuple

(1) Les conjurés, craignant d'être obligés de donner leur assentiment à cette proposition, y virent une raison de hâter l'exécution de leur entreprise.

(2) Ils se réunirent donc tous, et mirent en commun des résolutions jusqu'alors distinctes et qui n'avaient été conçues que dans des réunions de deux ou trois personnes. Le peuple même était alors mécontent de la situation de l'État; il laissait voir en toute occasion sa haine pour la tyrannie, et demandait des libérateurs.

(3) Quand César admit des étrangers au sénat, on placarda l'affiche: "À tous, salut; que personne ne montre aux nouveaux sénateurs le chemin du sénat." On chanta aussi dans les rues de Rome:

Après avoir triomphé des Gaulois, César les fait entrer à la curie,
Les Gaulois ont quitté leurs
braies pour prendre le laticlave.

 (4) Au théâtre, le licteur ayant annoncé, selon l'usage, l'entrée du consul Quintus Maximus, que César avait nommé suppléant pour trois mois, on lui cria de tous côtés "qu'il n'était pas consul."

(5) Après la destitution des tribuns Caesetius et Marullus, on trouva, à la première assemblée des comices, beaucoup de bulletins qui les nommaient consuls.

(6) On écrivit sous la statue de Lucius Brutus: "Plût aux dieux que tu vécusses!" et sous celle de César:

Brutus, pour avoir chassé les rois, a, le premier, été fait consul;
Cet homme, pour avoir chassé les consuls, a finalement été fait roi.

 (7) Le nombre des conjurés s'élevait à plus de soixante; Gaius Cassius et les deux Brutus (Marcus et Decimus) étaient les chefs.

(8) Ils délibérèrent d'abord si, divisant leurs forces, les uns le précipiteraient du pont, pendant les comices du champ de Mars et au moment où il appellerait les tribus aux suffrages, tandis que les autres l'attendraient en bas pour le massacrer, ou bien s'ils l'attaqueraient dans la voie Sacrée ou à l'entrée du théâtre. Mais une réunion du sénat ayant été annoncée pour les ides de mars dans la curie de Pompée, ils s'accordèrent tous à ne point chercher de moment ni de lieu plus favorables.

(1) Quae causa coniuratis maturandi fuit destinata negotia, ne assentiri necesse esset.

(2) Consilia igitur dispersim antea habita et quae saepe bini terniue ceperant, in unum omnes contulerunt, ne populo quidem iam praesenti statu laeto, sed clam palamque detrectante dominationem atque assertores flagitante.

(3) Peregrinis in senatum allectis libellus propositus est: "Bonum factum: ne quis senatori nouo curiam monstrare uelit!" et illa uulgo canebantur: Gallos Caesar in triumphum ducit, idem in curiam: Galli bracas deposuerunt, latum clauum sumpserunt.

(4) Quinto Maximo suffecto trimenstrique consule theatrum introeunte, cum lictor animaduerti ex more iussisset, ab uniuersis conclamatum est non esse eum consulem.

(5) Post remotos Caesetium et Marullum tribunos reperta sunt proximis comitiis complura suffragia consules eos declarantium.

(6) Subscripsere quidam Luci Bruti statuae: "utinam uiueres!" item ipsius Caesaris: Brutus, quia reges eiecit, consul primus factus est: hic, quia consules eiecit, rex postremo factus est.

(7) Conspiratum est in eum a sexaginta amplius, Gaio Cassio Marcoque et Decimo Bruto principibus conspirationis.

(8) Qui primum cunctati utrumne in Campo per comitia tribus ad suffragia uocantem partibus diuisis e ponte deicerent atque exceptum trucidarent, an in Sacra uia uel in aditu theatri adorirentur, postquam senatus Idibus Martiis in Pompei curiam edictus est, facile tempus et locum praetulerunt.


Commentaire

Proposition : de conférer la royauté à César (voir la fin du chapitre précédent).

Braies : pantalon large et flottant porté par les Gaulois.

Q. Maximus : un des consuls suppléants nommés en octobre 45 (cf. ch. 76).

Qu'il n'était pas consul : le peuple ne reconnaissait pas la validité de l' « élection » de Fabius Maximus.

Comices : il s'agit des comices centuriates où sont élus les magistrats supérieurs ; cette assemblée électorale a dû se réunir au début de l'année 44, avant le départ programmé de César pour sa guerre contre les Parthes. Ont été « élus » pour 43 C. Vibius Pansa et A. Hirtius mais, par bravade, de nombreux électeurs auraient voté pour les anciens tribuns déchus.

Statue de Brutus : décrite au tout début de la vie de Brutus par Plutarque. « Quant à Marcus Brutus [l'assassin de César], il descendait de Junius Brutus, celui dont les Romains avaient dressé une statue de bronze au Capitole, au milieu des rois, l'épée nue à la main, parce qu'il avait chassé définitivement les Tarquins » (trad. R. Flacelière - É. Chambry).

C. Cassius Longinus : questeur en 53, il participe à l'expédition de Crassus contre les Parthes puis, comme proquesteur de Syrie en 52-51, défend la province contre ces mêmes Parthes et acquiert une réputation d'excellent militaire. Au début de la guerre civile, Cassius se bat du côté de Pompée. Après Pharsale, il obtient le pardon de César qui le nomme préteur (peregrinus) pour l'année 44. Cassius est pourtant toujours resté hostile à César, soit par inimitié personnelle, soit par opposition au régime dictatorial comme tel.

Marcus Iunius Brutus : descendant du Brutus fondateur de la République. Fils de M. Iunius Brutus et de Servilia, une des amantes de César. En 53, il est questeur en Cilicie. Lorsque la guerre civile éclate, il se range derrière Pompée et participe à la bataille de Pharsale. Comme Cassius, il reçoit ensuite le pardon de César et devient gouverneur de la Gaule Cisalpine (46), puis préteur urbain (44). Homme d'étude, philosophe austère, Brutus prend la tête de la conspiration contre César par patriotisme, pour la défense de la liberté républicaine.

Decimus Iunius Brutus Albinus : ce Brutus n'a pas de lien de parenté avec le précédent. Decimus Brutus sert dans l'armée de César en Gaule, province qu'il va gouverner, en tant que legatus pro praetore, de 48 à 46. D. Brutus n'est pas le seul des partisans de César à avoir rejoint le groupe des conjurés.

Pont : les comices se réunissaient au Champ de Mars, à un endroit baptisé « parc à moutons » (ovile) où n'existaient, jusqu'à César, que des installations provisoires en bois. Il semble que les électeurs étaient canalisés dans de longs couloirs aboutissant à une plate-forme (pons) où se trouvait le magistrat président et les urnes destinées à recevoir les bulletins de vote (cf. L.R. Taylor, Roman Voting Assemblies from the Hannibalic War to the Dictatorship of Caesar, Ann Arbor, 1966, pl.XI). Voir aussi Cl. Nicolet, Le métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, 1976, p.333-341 ; E. Gatti, art. Saepta Iulia, dans E.M. Steinby (dir.), Lexicon topographicum urbis Romae, IV P-S, Rome, 1999, p.228-229. César avait dressé les plans et peut-être entamé la construction d'installations en dur, avec une décoration de marbres et de peintures, qui sera achevée et inaugurée par Agrippa en 26 a.C.

Théâtre de Pompée : au Champ de Mars. C'est le premier théâtre construit en dur à Rome ; il a été inauguré en 55, l'année où Pompée était consul pour la seconde fois. Cf. L. Richardson, jr, A New Topographical Dictionary of Ancient Rome, Baltimore-Londres, 1992, p.383-385.

Réunion du Sénat : non pas à la Curie qu'on voit aujourd'hui au Forum, mais à la Curie de Pompée, bâtiment faisant face à son théâtre. Cf. F. Coarelli, art. Curia Pompei, dans E.M. Steinby (dir.), Lexicon topographicum urbis Romae, I. A-C, Rome, 1993, p.334 -335.

Ides de Mars : à Rome, les jours du mois n'étaient pas numérotés de façon continue comme dans notre calendrier. Le système était organisé autour de trois jours particuliers : le 1er du mois, les Calendes ; le 5 ou le 7, les Nones ; le 13 ou le 15, les Ides. On comptait les jours à rebours, par rapport à ces trois dates : on était le Xe jour avant les calendes du mois suivant, avant les nones ou les ides du mois courant. En mars, comme en mai, juillet, octobre, les ides tombaient le 15.


[27 avril 2006]