Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 51b-70a

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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CONSTANTIN LE GRAND

Ans 308-330 de l'Incarnation


Texte et traduction


 

La vision que Jean d'Outremeuse se fait de Constantin et des événements de son époque occupe quelque vingt pages du Myreur (II, p. 51b-70a), que nous avons divisées en six sections. Si Constantin y est, à juste titre, très présent, on rencontre aussi d’autres notices qui n’ont, avec l’empereur romain, qu’un rapport chronologique, notamment le début de l'histoire de saint Servais, évêque de Tongres. Mais pareil mélange est dû aux impératifs du genre de la chronique.

On trouvera ci-dessous un bref résumé du contenu de ces sections.

La première section (II, p. 51b-54a), qui, dans la chronologie de Jean, couvre les années 308-311 de l'Incarnation, est consacrée aux événements qui ont permis ou accompagné l'accession au pouvoir de Constantin. La notice principale est que l'empereur est devenu seul maître de l’Empire, mais cette période a vu se dérouler d'autres événements liés notamment à l'Église ou à des mouvements de population (notamment les Huns).

La deuxième section (II, p. 54b-57a), qui couvre les années 311-315, traite de deux sujets : d'abord la maladie de l'empereur, sa conversion et son baptême par le pape Sylvestre, ainsi qu'une série de décisions favorables aux chrétiens, comme la réfection d’églises et la déclaration de la supériorité pontificale ; ensuite des opérations militaires qu'il est amené à faire contre les peuples qui lui refusent le tribut (les Espagnols, les Frisons, les Alamans sont tous vaincus ; seuls les Gaulois sont victorieux). Suivent quelques brèves notices, portant notamment sur les évêques de Tongres (Maximien et Valentin).

La troisième section (II, p. 57b-61a), qui couvre les années 315-320, évoque la victoire de Constantin sur les forces de Maxence, venues l’attaquer à Rome et battues au pont Milvius grâce à l’étendard chrétien. Ce dernier événement amène Constantin à prendre d’autres décisions favorables aux chrétiens : il construit et organise des églises à Rome ; il lègue aussi, pour toujours, Rome à la papauté. Cette section contient encore un long développement consacré à l’épisode de l’Invention de la Sainte-Croix, où interviennent Hélène, la mère de l’empereur, ainsi qu’un Juif du nom de Judas, lequel, une fois baptisé, recevra le nom de Quiriacus.

La quatrième section (II, 61b-63a), qui couvre les années 321-327, toujours de l'Incarnation, aborde un sujet religieux qui va très largement marquer les esprits au IVe siècle, l’arianisme, dans l’évolution duquel, notamment avec le concile de Nicée, Constantin joue un rôle central. Elle évoque également d'autres questions religieuses, comme des ordonnances papales, des récits de miracles et de conversions, ainsi que quelques sujets d'histoire militaire, comme les progrès des Huns.

La cinquième section (II, p. 63a-67b), qui couvre les années 328-330, constitue la première partie d’une longue biographie, celle de saint Servais, dixième évêque de Tongres, bibliographie qui se prolongera sur plusieurs fichiers (II, p. 75 ; p. 89-94 ; p. 96-99).

Dans la sixième et dernière section (II, p. 67-70), le chroniqueur revient à Constantin, pour évoquer d'abord des événements qui ont marqué l'Empire (les Huns) et l'Église (les papes Sylvestre, Marc, et Jules), ensuite sa mort et le baptême de Nicomédie, qui lui fut, selon Jean, indûment attribué.

 

Note importante

Ce présent exposé sur Constantin, étant donné sa grande importance, n'est pas accompagné, comme les précédents, par un simple fichier de notes de lecture, mais développé par un groupe de fichiers indépendants, qui sont autant de dossiers de lecture. Désignés par les signes D01, D02, D03, D04, D05, D06 et D07, ils abordent chacun une série de questions particulières mais, pour faciliter le travail du lecteur, un fichier particulier les rassemble tous en fournissant pour chacun d'eux une table des matières assez détaillée donnant directement accès aux données.

 


 

 

A. L'ACCESSION DE CONSTANTIN AU POUVOIR (II, p. 51b-54a) (308-311)

 

 

Après sa victoire sur Maxence et Galère, Constantin devient seul empereur durant trente ans - Papauté : Eusèbe, puis Miltiade - Varia (Huns, Hongrois, Danois, succession à Louvain et en Flandre, sainte Hélène et la Sainte-Croix, saint Martin de Tours, etc.)

 

Sommaire

Après la retraite à Milan de Dioclétien mutilé et la mort de Maximien Hercule en Gaule, ses fils Maxence et Galère, très hostiles aux chrétiens, sont élus empereurs - Maxence fait décapiter le pape Marcel - Dioclétien intronise empereur un sénateur, le futur Constantin le Grand (308)

À Rome, Constantin vainc Maxence et Galère et devient seul empereur durant trente ans - Consécration du pape Eusèbe

Varia : Succession à Louvain - Les Huns battus par les Hongrois et les Danois se réfugient en Russie - Invention de la Sainte-Croix par sainte Hélène, célébrée annuellement dans l’Église - Le pape Miltiade succède à Eusèbe - À Alexandrie, Maxence martyrise sainte Catherine et d’autres chrétiens - Succession en Flandre - Saint Maximien de Tongres fonde la première église de la Sainte-Croix - Renouveau chrétien à Antioche - Les Huns battus en Pannonie deviennent les Vandales - Le futur saint Martin de Tours, originaire de Pannonie (308-311)

 

 

Après la retraite à Milan de Dioclétien mutilé et la mort de Maximien Hercule en Gaule, ses fils Maxence et Galère, très hostiles aux chrétiens, sont élus empereurs - Maxence fait décapiter le pape Marcel - Dioclétien intronise empereur un sénateur, le futur Constantin le Grand (308)

[II, p. 51b] [De Maxenche l’emperere et Galerien] Ors est raison que je vos die dont [II, p. 52] chis emperere Maxenche venoit, et cuy ilh estoit. Vos saveis que Dyocletiain n'avoit que unc pugne, se ne poioit plus chevalchier. Et Maximiain Hercules si avoit assembleit ses oust l'an IIIc et VI, en mois de julle, si estoit alleis en Galle où ilh oit batalhe aux Sycambiens, sy fut mors ly emperere en la batalhe et les Romans desconfis, si revinrent les fuyans à Romme sour l'an IIIc et VII. Et à cel temps estoit Dyocletiain aleis à Melan ; si constituat Constantin le Gran, le fis sainte Helaine, emperere por luy, et renunchat à l'empire.

[II, p. 51b] [L’empereur Maxence et Galère] Il est maintenant temps que je vous dise d’où venait [II, p. 52] cet empereur Maxence et qui il était. Vous savez que Dioclétien n’avait qu’un poing et ne pouvait plus se déplacer à cheval. Quant à Maximien Hercule, il avait rassemblé ses armées en juillet 306 et s'était rendu en Gaule où il avait livré bataille aux Sicambres. L’empereur avait été tué au combat et les Romains, battus et mis en fuite, étaient rentrés à Rome en l’an 307. À ce moment, Dioclétien était allé à Milan. Il établit Constantin le Grand, le fils de sainte Hélène, comme empereur pour le remplacer et il renonça à l’empire.

Le poing de Dioclétien : C’est l’histoire racontée en II, 49, et qui est, comme tout le récit du combat contre les Sicambres devant Tongres, une invention de Jean d’Outremeuse. Dioclétien avait abdiqué en 305 de notre ère en même temps que Maximien. Il s’était retiré à Split dans son palais où il mourra en 311 de notre ère.

Tué au combat : Précisons que, dans l’Histoire, Maximien n’a pas été tué en opérations. Après son abdication de 305 en même temps que Dioclétien, il a repris du service en 307 et n'est mort qu’en 310 (de notre ère toujours).

Constantin le Grand : Précisons que, dans l’Histoire, ce n’est pas Dioclétien qui établit Constantin empereur. C’est l’armée de Bretagne qui, à la mort naturelle de Constance Chlore en 306, proclama empereur le fils de celui-ci, Constantin. Sur tous ces événements, cfr notre Dossier01.

 

[p. 52] Adont revinrent les Romans à Romme fuant de Galle, et ne savoient riens de chu que Dyocletiain avoit fait à Constantin, car s'ilh le sewissent ilh leurs plaisist mult bien, car ilh amoient Constantin sour tous les hommes de monde, car ch'estoit ly plus poisans de sanc, de linaige et de proieche qui fust entres tous les senateurs, desqueils ilh estoit le maiour. Si alerent eslire II empereres : Galerien et Maxenche, son frere, enfans à l'emperere Maximiain, qui mors estoit en Galle.

[p. 52] Quand les Romains, fuyant la Gaule, rentrèrent à Rome, ils ne savaient rien de ce que Dioclétien avait fait pour Constantin. S’ils l’avaient su, ils se seraient fort réjouis, car ils préféraient Constantin à n’importe qui d’autre. En effet, par le sang, le lignage et les prouesses, il était le plus puissant et d’ailleurs le principal de tous les sénateurs. En fait, les Romains élurent deux empereurs : Galère et Maxence, son frère, les enfants de l’empereur Maximien mort en Gaule.

Constantin sénateur : Dans l’Histoire, Constantin n’était pas un sénateur, mais « un militaire et un pragmatique, dont les facultés de conceptualisation paraissent avoir été très limitées » (M. Le Glay, Histoire romaine, 1991, p. 455)

Galère et Maxence son frère : Maxence est effectivement le fils de Maximien, mais ce n’est pas le cas de Galère. Dans l’Histoire, Galère, lors de l’abdication de Dioclétien et de Maximien en 305, était devenu tout légitimement Auguste pour l’Orient ; à Rome, Maxence, choisi par les prétoriens, n’avait pas la même légitimité que Galère, mais pour Rome et la Ville il était considéré comme l’empereur. Sur tout ceci aussi, cfr notre Dossier01.

[p. 52] [L’emperere fist des englieses de Romme estaubles de biestes et des cristiens gardeurs] Chis Maxenche, le promier fais qu'ilh fist chu fut qu'ilh fist des englieses parmy Romme estaubles de biestes, et faisoit lesdit biestes gardeir des cristiens ; et portant que ly pape Marcel en parlat, sy fut decolleis, enssi com dit est.

[p. 52] [L’empereur transforma des églises de Rome en étables et les chrétiens en gardiens de bétail] La première chose que fit ce Maxence fut de transformer certaines églises de Rome en étables pour les animaux et d’installer des chrétiens pour les garder. Comme le pape [Marcel] avait protesté, il fut décapité, comme on l’a dit [II, p. 51].

Étables : Cfr les notes du fichier précédent.

 

À Rome, Constantin vainc Maxence et Galère et devient seul empereur durant trente ans - Consécration du pape Eusèbe

[p. 52] [Constantin desconfist les II empereres et regnat tou seul com XXXVIIIe empereir] La saingnorie Maxenche durat pau de temps, car quant Constantin revint à Romme, sy soy combattit aux II dittes empereres et les desconfist ; mains Maxenche passat mere et s'en allat en Alixandre, où ilh fist puis des mals asseis, enssi com vos oreis chi-apres.

[p. 52] [Constantin défit les deux empereurs et régna seul comme trente-huitième empereur] Le pouvoir de Maxence dura peu. Quand Constantin revint à Rome, il combattit les deux empereurs et les défit. Mais Maxence prit la mer et se rendit à Alexandrie, où il provoqua beaucoup de malheurs, comme vous l’apprendrez ci-après [cfr II, p. 53].

Et Galeriain priat merchi à Constantin, qui le rechuit benignement, et ly donnat la terre de Asie et de tout Orient à tenir et gardeir ; et chis y alat. Enssi fut Constantin emperere, et regnat XXX ans III mois et XIX jours mult valhamment.

Galère demanda grâce à Constantin, qui l’accueillit favorablement et lui confia la direction et la garde de l’Asie et de tout l’Orient. C’est ainsi que Constantin devint empereur. Il régna très courageusement durant trente ans, trois mois et dix-neuf jours.

[Eusebius pape XXXIIIe] Item, apres la mort le pape Marcel, quant li siege oit vaqueit XI jours, fut consacreis unc preistre qui fut nommeis Eusebe, qui fut de la nation de Greche, et fut li fis Gerlasse, unc Mede ; lyqueis tient le siege XVIII mois et VI jours, et, selonc Martiniain, Il ans III mois eL XVII jours, et, solonc Damaise, VI ans I mois et III jours (variante manuscrite chez Bo).

[Eusèbe, trente-troisième pape] À la mort du pape Marcel, après onze jours de vacance du siège, fut consacré pape un prêtre du nom d’Eusèbe, originaire de Grèce, fils de Gerlas, un Mède. Il occupa le siège dix-huit mois et six jours ; selon Martin, deux ans, trois mois et dix-sept jours, et selon Damase, six ans, un mois et trois jours.

 

Varia : Succession à Louvain - Les Huns, battus par les Hongrois et les Danois, se réfugient en Russie - Invention de la Sainte-Croix par sainte Hélène, célébrée annuellement dans l’Église - Le pape Miltiade succède à Eusèbe - À Alexandrie, Maxence martyrise sainte Catherine et d’autres chrétiens - Succession en Flandre - Saint Maximien de Tongres fonde la première église de la Sainte-Croix - Renouveau chrétien à Antioche - Les Huns battus en Pannonie deviennent les Vandales - Le futur saint Martin de Tours, originaire de Pannonie (308-311)

[De conte de Lovay] En cel an, en mois de decembre, morut Brabantinus, ly conte de Lovay et duc de Lotringe : chis avoit II fis, ly anneis oit nom Ector, [II, p. 53] qui fut conte de Lovay et de Brabant, car Brabantinus apellat son pays Brabant apres son nom, et regnat VIII ans ; et ly aultre fis fut nommeis Porus, et fut dus de Lotringe.

[Le comte de Louvain] Cette année-là [308], en décembre, mourut Brabantinus, comte de Louvain et duc de Lotringe. Il avait deux fils. L’aîné, nommé Hector [II, p. 53], fut durant huit ans comte de Louvain et de Brabant, car Brabantinus avait appelé son pays Brabant à partir de son propre nom. Le cadet, nommé Porus, fut duc de Lotringe.

Porus, duc de Lotringe : On ne confondra pas ce Porus, duc de Lotringe, avec le Porus, duc de Gaule (II, p. 34 à 40, notamment). C’est Porus, duc de Lotringe [et aussi comte de Louvain à la mort de son frère Hector], qui autorisera saint Servais à demeurer à Maastricht où il lui abandonnera le pouvoir temporel (cfr II, p. 66-67). Sa mort sera signalée en II, p. 74. Porus est dans Ly Myreur un nom assez courant. On en rencontrera un autre (II, p. 53) quelques paragraphes plus loin, cette fois comme comte de Flandre.

[p. 53] [L’an XXXc et IX – Les Huens furent desconfis des Hongrois et Dannois] Item, l'an IIIc et IX, en mois de may orent batalhe les Huens contre le roy de Hongrie et le roy de Dannemarche, sy furent les Huens desconfis et renfuirent vers le royalme de Rossie qu'ilh avoient conquis.

[p. 53] [An 309 - Les Huns furent défaits par les Hongrois et les Danois] L’an 309, en mai, eut lieu une bataille entre les Huns d’une part, les rois de Hongrie et de Danemark de l’autre. Les Huns furent battus et s’enfuirent vers le royaume de Russie qu’ils avaient conquis.

[Sainte Helaine à chi temps trovat la sainte crois] En cel an, le VIIIe jour d'awoust, morut ly pape de Romme Eusebe, à cuy temps sainte Helaine, le mere Constantin l'emperere, trovat la sainte crois Nostre-Sangnour Jhesu-Crist. Et chu fut le IIIe jour de may devant la mort de pape Eusebe ; si en fist ly pape, à la supplication de l'emperere Constantin, la fieste celebreir à Sainte-Engliese tous les ans à cheli jour. Chis pape Eusebe fut ensevelis en la cymitere Sains-Calixte.

[Sainte Hélène découvrit la Sainte-Croix à cette époque] Cette année-là [309], le 8 août, mourut Eusèbe, le pape de Rome. À cette époque, sainte Hélène, la mère de l’empereur Constantin, découvrit la Sainte-Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ce fut le 3 mai, avant la mort du pape Eusèbe. À la demande de l’empereur Constantin, le pape fit célébrer tous les ans, à cette date, cette fête dans la Sainte-Église. Ce pape Eusèbe fut enseveli dans le cimetière Saint-Calixte.

[Melchiades le XXXIIIIe pape] Apres sa mort fut consacreis Melchiades, qui fut de la nation d'Affrique, lyqueis tient le siege II ans IIII mois et II jours, et, solonc sains Ambroise et Jerome et Prosper, IIII ans, et Martiniain dist III ans VI mois et VIII jours.

[Miltiade, trente-quatrième pape] Après la mort d’Eusèbe fut consacré Miltiade, originaire d’Afrique. Il occupa le siège deux ans, quatre mois et deux jours. Saint Ambroise, saint Jérôme et Prosper disent quatre ans, et Martin, trois ans, six mois et huit jours.

[Maxenche fist decolleir sainte Katherine et pluseurs aultres sains] En cel an fist ly faux emperere Maxenche, qui de Romme estoit fuys en Alixandre, rechivoir martyr la benoite virgue sainte Katherine, et mult d'aultres fis de Sainte-Engliese awec lée, en la citeit de Alixandre, enssi qu'ilh faite mension en sa legente.

[Maxence fit décapiter sainte Catherine et beaucoup d’autres saints] Cette année-là, le faux empereur Maxence, qui avait fui Rome pour gagner Alexandrie [cfr II, p. 52], martyrisa dans cette dernière cité la bienheureuse vierge sainte Catherine, et avec elle beaucoup d’autres fils de la Sainte-Église, comme le mentionne le récit de sa vie.

Sainte-Croix : L’épisode de l’Invention de la Sainte-Croix sera exposé en détail par Jean plus loin (II, p. 58-61). On notera dans une des notices suivantes que, selon Jean d’Outremeuse, Tongres, à l’initiative de son évêque Maximien, aurait accueilli la toute première église fondée en l’honneur de l’Invention de la Sainte-Croix.

Sainte Catherine : On trouvera le récit de sa vie dans Voragine, Légende dorée, ch. 168, p. 975-985, p. 1466-1469, éd. A. Boureau. Voragine hésite sur le nom de l’empereur en cause : Maxence (p. 976) mais « Maxence ou Maximin » (p. 982 et 984).

[p. 53] [De conte de Flandre] En cel an, en mois de decembre, morut Anthenoir ly conte de Flandre ; si fut conte apres luy son fis Porus, qui regnat VI ans.

[p. 53] [Le comte de Flandre] Cette année-là [309], en décembre, mourut Anténor, le comte de Flandre. Porus, son fils, lui succéda pendant six ans.

[D’evesque de Tongre – Le promier engliese de la sainte Croix] Item, l'an IIlc et X, fondat sains Maximyn, l'evesque de Tongre, une engliese à Tongre en l'honneur de l'Invention Sainte-Crois, et cel fut la promier qui fut fondée en monde ; et y mist XII noires moynes et uns abbeit, à une roige crois sour leur vestimens emmy le pis.

[L’évêque de Tongres - La première église de la Sainte-Croix] En 310, saint Maximien, évêque de Tongres, fonda dans cette ville une église en l’honneur de l’Invention de la Sainte-Croix. Ce fut la première dans le monde. Il y installa douze moines en robes noires et un abbé ; ils portaient une croix rouge sur leur vêtement au milieu de la poitrine.

[Les martyres et englieses d’Antyoche furent remises en reverenche] En cel an fisent les cristiens refaire la citeit de Antyoche, et les englieses et les ymages, et fisent Ies corps de cheaux cuy ons avoit fait rechivoir martyr ensevelir mult benignement.

[On vénéra à nouveau les martyrs et les églises d’Antioche] Cette année-là, les chrétiens firent reconstruire la ville d’Antioche, ainsi que les églises et les statues. Ils firent aussi ensevelir avec beaucoup de respect les corps de ceux qui avaient reçu le martyre.

[Les Huens furent desconfis en Pannoine et leur roy mors, et refisent Wandalus à roy] Item, l'an IIIc et XI, furent les Huens desconfis contre le roy de Pannoine ; si perdit ly roy mult de gens, mains les Huens furent desconfis et leur roy mors. Si renfuirent leur voie en Rossie, et refisent I altre roy qui fut nommeis Wandalus, qui apellat ses gens wandales.

[Les Huns furent battus en Pannonie et leur roi tué - Ils choisirent Vandalus comme roi] En 311, les Huns furent battus dans une guerre contre le roi de Pannonie. Le roi perdit beaucoup de gens, mais les Huns furent battus et leur roi tué. Ils s’enfuirent en Russie [cfr II, 63], et choisirent un autre roi, nommé Vandalus, qui appela ses sujets Vandales [cfr II, p. 18]

Vandales : Un article entier dans les FEC, t. 48, 2024, a été consacré à la vision que Jean d'Outremeuse se fait des Vandales dans le Myreur des Histors.

[De sains Martin de Tour] Sains Martin de Tour fut ly fis d'on chevalier de chi pays de Pannoine, qui fut ly gemmes des preistres, et puis fut evesques de Thours (note Bo), [II, p. 54] enssi com vos oreis chi-apres : ilh estoit neis à cheli temps, mains ilh estoit mult jovenes.

[Saint Martin de Tours] Saint Martin de Tours est le fils d’un chevalier de ce pays de Pannonie. Il fut la perle des prêtres, avant de devenir évêque de Tours, [II, p. 54] comme vous l’apprendrez ci-après [cfr II, 62, p. 85, p. 87, p. 110, p. 119, p. 165, p. 174, p. 260]. Il était à l’époque où nous sommes, mais il était encore très jeune.

[L’an IIIc et XI] Item, en cel an, le Xe jour de decembre, morut à Romme ly pape Melchiades ; sy fut ensevelis en la cymitere Sains-Calixte.

[An 311] Cette année-là, le 10 décembre, mourut à Rome le pape Miltiade. Il fut enseveli dans le cimetière Saint-Calixte.

 


 

 

B. Les premières années de son règne (II, p. 54b-57a) (311-315)

 

 

La maladie de Constantin, sa conversion et ses décisions en faveur des chrétiens - Ses guerres contre les peuples tributaires - Varia

 

Sommaire

Constantin, malade de la lèpre, est guéri par le pape Sylvestre et se fait baptiser - Ses décisions en faveur de la papauté et de la chrétienté (311)

Constantin remet en sa sujétion des peuples rebelles à l’impôt (Espagnols, Frisons, Alamans) mais, défait par les Gaulois, il rentre à Rome où le réconforte le pape Sylvestre - Maxence, à Alexandrie, est très content de la défaite de Constantin (313-314)

Mort de Maximien, huitième évêque de Tongres - Valentin, neuvième évêque de Tongres - Succession en Flandre (314-315)

 

 

Constantin, malade de la lèpre, est guéri par le pape Sylvestre et se fait baptiser - Ses décisions en faveur de la papauté et de la chrétienté (311-313)

[II, p. 54] [Sains Silvester pape le XXXV] Apres sa mort vacat ly siege XV jours, et apres, assavoir le XXVe jour de decembre, fut consacreis unc proidhons cardinals, qui fut nommeis Silvestre, qui fut de la nation de Romme, le fis Ruffins, I senateur, et tient le siege XXIII ans et VI jours.

[II, p. 54] [Saint Sylvestre, trente-cinquième pape] Après la mort [de Miltiade], le siège papal fut vacant quinze jours. Ensuite, le 25 décembre, fut consacré pape un sage cardinal, appelé Sylvestre, originaire de Rome, fils de Rufin, un sénateur. Il occupa le siège vingt-quatre ans et six jours.

[Del lepre Constantin l’emperere incurable ; fours que par sains Silvestre] En cel an, le derain jour de decembre, prist à l'emperere Constantin une maladie mult angousseux, que ons nomme le lepre, chu est mesellerie, de laqueile l'emperere estoit sy sourpris que ilh depechoit tout sa chair et ly purissoit. Cest maladie menat l'emperere IX mois, et apres les IX mois, en la fin d'octembre, l'an del Incarnation IIIc et XII, s'aparurent à l'emperere Constantin, en son dormant, les II apostles sains Pire et sains Poul, lesqueiles dessent à l'emperere que ilh ne seroit jamais garis de sa maladie que ilh avoit sy crueux, se chu n'estoit par le pape Silvestre ; mains par cheli poroit estre garis, se ch'estoit son plaisir.

[La lèpre de l’empereur Constantin, qui ne peut être guérie que par saint Sylvestre] Cette année-là [311], le dernier jour de décembre, l’empereur Constantin attrapa une maladie très pénible, qu’on appelle la lèpre. Il en était si affecté que toute sa chair était atteinte et pourrissait. Il en souffrit pendant neuf mois ; puis, après ces neuf mois, à la fin octobre 312 de l’Incarnation, les deux apôtres saint Pierre et saint Paul lui apparurent pendant son sommeil et lui dirent que seul le pape Sylvestre pourrait le guérir de cette maladie si cruelle. Mais encore pour cela fallait-il que ce pape accepte.

[p. 54] Et quant l'emperere entendit chu, si fut mult joians et desiroit grandement à veoir que ilh fust jour, et tant que à la journée ilh se levat, et mandat le pape Silvestre qui tantoist vient à son mandement, et encordont ilh quidoit que ilh le vosist martyrisier. Adont parlat ly emperere Constantin à pape, et li dest enssy : « Sires sains peire, je prie merchi à Dieu et à vos, et vos prie que moy veulhiés garir, s'ilh vos plaist, de la crueux maladie de la lepre qui moy devore le cuer et le corps, dedens et dehors, et ay ens jeut IX mois, et n'en puy de ley estre garis se par vos non. » Quant ly pape Silvestre entendit l'emperere, si fut mult joians, se dest à l'emperere : « Sires, se vos voleis estre garis, dont convient-ilh que j'ay la medichine de vostre cuer, ou altrement vos ne sereis garis. »

[p. 54] En entendant cela, Constantin fut très content. Il désira ardemment voir arriver le jour et, quand celui-ci parut, il se leva et manda le pape Sylvestre qui vint aussitôt, croyant que l’empereur voulait le martyriser. Mais Constantin s’entretint avec le pape et lui dit ainsi : « Sire Saint Père, je remercie Dieu et vous-même et je vous prie, s’il vous plaît, de bien vouloir me guérir de la cruelle maladie de la lèpre qui me dévore le cœur et le corps, à l’intérieur et à l’extérieur. J’en souffre depuis neuf mois et ne puis en être guéri que par vous. » Quand le pape Sylvestre entendit l’empereur, il fut très content et lui dit : « Sire, si vous voulez être guéri, il faut que je guérisse d'abord votre cœur. »

Respondit l'emperere à sains Silvestre : « Sire, je feray chu que vos voreis, mains que je soy garis ; prendeis teile medicine qu'ilh vos plaist en mon cuer et salveis mon corps, mains que je ne mure, car ilh moy plaiste et le concede. » « Sire, dist li pape, veschi la vraie medichine : [II, p. 55] ilh covient donc que vos creieis en Dieu Jhesu-Crist, le fis de la virgue Marie, de cuer et ferme pensée entirement, et puis se prendeis baptemme, et cel aighe, qui sour vostre corps venrat, est la medichine qui vos garirat. »

L’empereur répondit à saint Sylvestre : « Sire, je ferai ce que vous voudrez, pourvu que je guérisse ; appliquez à mon cœur le remède que vous voulez et sauvez mon corps, mais que je ne meure pas : c’est ce que je souhaite, je vous l’accorde. » « Sire, dit le pape, voici le véritable remède. [II, p. 55] Il faut que vous croyiez en Dieu Jésus-Christ, fils de la vierge Marie, d’un cœur ferme et d’un esprit sincère. Vous devrez ensuite recevoir le baptême. L'eau, qui coulera sur votre corps, est le remède qui vous guérira. »

[Constantin fut baptiziet et garis] Quant l'emperere Constantin entendit chu, sy faite del aighe tantoist aporteir, et dest en hault : « Je croy la Sainte-Triniteit, le Peire, le Fis et le Sains-Espir, et sy croie le vraie baptemme parfaitement et le demande de cuer. » Et ly pape consecrat et benit l'aighe, et puis fut ly emperere cuchiés dedens, et sains Silvestre le baptizat en depriant à Dieu que ilh vosiet là demonstreir myracle. Adont revient Constantin en son santeit, com devant avoit esteit, et fut plus sains que uns pessons. Enssi fut l'emperere Constantin baptiziet. Et qui plainement en vuet avoir la matere, se le prende en la legente sains Silvestre à Sainte-Engliese.

[Constantin fut baptisé et guéri] Quand Constantin entendit cela, il se fit aussitôt apporter de l’eau et dit à haute voix : « Je crois en la Sainte-Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; je crois totalement au vrai baptême et je le demande du fond du cœur. » Alors le pape consacra l’eau et la bénit ; l’empereur y entra et saint Sylvestre le baptisa en priant Dieu de bien vouloir faire là un miracle. Constantin retrouva sa santé d’avant et fut plus vif qu’un poisson. C’est ainsi que fut baptisé l’empereur Constantin. Et celui qui veut avoir une vue complète de ce sujet, la trouvera en lisant l’histoire de saint Sylvestre, dans les textes de la Sainte-Église.

[Constantin faite refaire les englieses] Apres chu, ly emperere Constantin commandat à tout la clergerie de Romme et de là entour del refaire et restaureir toutes les englieses abatues et destruites.

[Constantin fait refaire les églises] Après cela, l’empereur Constantin ordonna au clergé de Rome et des environs de refaire et de restaurer toutes les églises abattues et détruites.

[L’emperere ordinat que li pape fust deseurtrain de tout le monde] Item, en cel an ordinat l'emperere Constantin, et ly pape le confermat, que quiconques fust pape de Romme ilh seroit sovrains de tous les evesques et la clergerie de monde. Et commandat l'emperere à destruire toutes les ydolles de Romme, et les temples où elles estoient.

[L’empereur ordonna que le pape soit supérieur à tout le monde] Cette année-là (312), l’empereur Constantin ordonna et le pape confirma cette décision que, quel que soit le pape de Rome, il serait le souverain de tous les évêques et de tout le clergé du monde. Il ordonna aussi de détruire toutes les idoles de Rome et les temples qui les abritaient.

[Des franchies dez englieses] Item, l'an IIIc et XIII en mois de may, ordinat l'emperere Constantin, et ly pape le confermat, que nuls, por queilconques faite que chu fust, ne fust prist dedont en avant en l'engliese, ains fussent les englieses si franques que tous cheaux qui seroient dedens troveis fussent tenseis et gardeis de tous perilhs de corps.

[Les franchises accordées aux églises] L’an 313, en mai, l’empereur Constantin ordonna et le pape confirma cette décision que dorénavant personne, quoi qu’il ait fait, ne puisse être capturé dans une église. Les églises devinrent ainsi si libres que tous ceux qui s’y trouveraient seraient défendus et protégés de tout péril corporel.

 

Constantin remet en sa sujétion des peuples rebelles à l’impôt (Espagnols, Frisons, Alamans) mais, défait par les Sicambres, il rentre à Rome où le réconforte le pape Sylvestre - Maxence, à Alexandrie, est très content de la défaite de Constantin (313-314)

[II, p. 55] En cel an soy fist donneir par escript l'emperere Constantin toutes les regions, qui estoient rebelles del paiier leur tregut à l'empire de Romme. Et quant ilh les oit, ilh les regardat et puis les mist en sa burse, et jurat qu'ilh les remetteroit en sa subjection ou ilh moroit en la paine.

[II, p. 55] Cette année-là [313], l’empereur Constantin se fit donner la liste écrite de toutes les régions qui refusaient de payer le tribut à l’empire romain. Quand il la reçut, il l’examina et la mit dans sa bourse, jurant de les remettre en sa sujétion ou de mourir à la peine.

[L’emperere Constantin remist les Espangnon en tregut] Adont mandat l'emperere Constantin ses hommes et assemblat gran gens, et en allat devers Espangne ; si commenchat la terre à destruire et à ardre. Mains ly roy Agilfo le soit, se vint contre luy, et orent batalhe ensemble ; et perdirent les Romans mult de gens, mains encordont furent les Espangnois desconfis et leur roy mors. Apres allat l'emperere partout Espangne et oit pluseurs batalhes à eaux, mains al derain ilh les remist tous en sa subjection par tregut.

[L’empereur Constantin soumit à nouveau les Espagnols au tribut] L’empereur Constantin convoqua alors ses hommes et rassembla une grande armée. Il marcha sur l’Espagne et commença à dévaster et à brûler la terre. Mais le roi Agilfo l’apprit, vint à sa rencontre et le combattit. Les Romains perdirent beaucoup d’hommes, mais les Espagnols furent battus et leur roi tué. Après cela, l’empereur parcourut toute l’Espagne, livrant de nombreuses batailles. Et finalement il remit tous les Espagnols en sa sujétion en leur imposant le tribut.

[Apres ilh remist les Frisons en tregut et les Allemans oussi] Apres l'emperere s'en allat par mere [II, p. 56] en Frise, et les Frisons, qui n'avoient nient poioir contre luy, soirent chu, se vinrent contre luy, nuis et deschaux com vraie cristiens ; et l'emperere les prist à merchi et les remist en tregut. Puis revient par le royalme d'Austrie, que ons nomme maintenant le royalme d'Allemangne, l'an deseurdit en mois de fevrier, si oit batalhe aux Allemans ; et perdirent les Allemans XXIIm hommes, et fut ly roy Agalidas d'Austrie ochis. Et remist les Allemans en sa subjection.

[Après cela il imposa à nouveau le tribut aux Frisons et aux Alamans] Ensuite, l’empereur gagna par mer [II, p. 56] la Frise. Les Frisons, qui ne pouvaient rien contre lui, l’apprirent, vinrent à sa rencontre, nus et déchaussés, en vrais chrétiens. L’empereur les prit en pitié et les soumit à nouveau au tribut. Il revint par le royaume d’Austrasie, qu’on appelle aujourd’hui royaume d’Allemagne, en février de l’an donné ci-dessus [313]. Il livra bataille aux Alamans, qui perdirent vingt-deux mille hommes. Le roi Agalidas d’Austrasie fut tué et Constantin remit les Alamans en sa sujétion.

Apres, sour l'an IIIc et XIIII, s'en allat l'emperere en Galle ; mains ly dus Marchones, qui simple estoit, s'acordast bien à chu que ons paiast le tregut ; mains les Sycambiens ly respondirent, s'ilh ne les defendoit, ilhs feroient I altre saingnour.

Ensuite, en 314, l’empereur se rendit en Gaule. Le duc Marcon (cfr II, p. 50), qui était un homme simple, marqua son accord pour payer le tribut, mais les Sicambres lui répondirent, que s’il ne les défendait pas, ils se choisiraient un autre seigneur.

[L’emperere Constantin fut deconfis en Galle] Quant ly dus entendit chu, sy soy dobtat d'avoir debat à ses gens, si s'en allat contre l'emperere mult envis, car ilh n'estoit mie combattans. Adont orent les Romans et les Sycambiens batalhe ensemble, où ilhs perdirent d'ambedois pars mult de gens ; mains les Sycambiens estoient sy vertueux gens, que nuls ne poioit avoir poioir à eaux en batalhe. Adont fut l'emperere Constantin grandement navreis en la cusse, et perdit XXXm hommes, et les Romans s'enfuirent. Enssi demorarent les Sycambiens encors en leurs franchise et en joie, et ly emperere revint à Romme mult dolans. Mains quant ly pape sains Silvestre le soit, se vient en son palais et le reconfortat mult douchement de son doleur.

[L’empereur Constantin fut battu en Gaule] En entendant cela, le duc eut peur d'un désaccord avec ses sujets. Il marcha contre l’empereur de très mauvaise grâce, car il n’était pas un guerrier. Une bataille eut lieu entre Romains et Sicambres. Beaucoup d’hommes tombèrent de part et d’autre, mais les Sicambres étaient si valeureux que personne ne pouvait l’emporter sur eux au combat [cfr aussi II, p. 83]. L’empereur Constantin fut grièvement blessé à la cuisse et perdit trente mille hommes. Les Romains prirent la fuite. Les Sicambres conservèrent avec joie leurs franchises, tandis que l’empereur rentrait à Rome très affligé. Quand le pape Sylvestre le sut, il vint dans son palais et apporta un doux réconfort à sa douleur.

Adont vinrent les novelles en Alixandre, où Maxenche demoroit, que l'emperere Constantin avoit esteit desconfis en Galle. De chu fut Maxenche mult lies ; si commenchat à trahaire les gens de paiis à sa corde, por alleir à Romme contre Constantin.

La nouvelle de la défaite de Constantin en Gaule parvint à Alexandrie où demeurait Maxence. Celui-ci en fut très heureux. Il commença à gagner à son parti les gens du pays, pour aller à Rome contre Constantin.

 

Mort de Maximien, huitième évêque de Tongres - Valentin neuvième évêque de Tongres - Succession en Flandre (314-315)

[II, p. 56] [De Valentin, li IXe evesque de Tongre] En cel an en novembre, morut Maximiain ly VIIIe evesque de Tongre ; si fut ensevelis en l'eglise de Sains-Martin, son predicesseur evesque. Et apres sa mort fut fais evesque IXe de Tongre, unc sien desciple preistre, qui fut nommeis Valentin, qui regnat XIIII ans

[II, p. 56] [Valentin, neuvième évêque de Tongres] En novembre de cette année [314] mourut Maximien, huitième évêque de Tongres. Il fut enseveli dans l’église Saint-Martin, celle de son prédécesseur. Après sa mort, le neuvième évêque de Tongres fut un de ses disciples, un prêtre, nommé Valentin, qui régna quatorze ans.

[De conte de Flandre] Sor l'an IIIc et XV en mois de junne, morut Porus ly conte [II, p. 57] de Flandre ; si fut conte apres luy Lydris, son fis, lyqueis regnat VII ans.

[Le comte de Flandre] En l’an 315, en juin, mourut Porus, le comte [II, p. 57] de Flandre. Son fils Lidris, qui régna sept ans, devint comte après lui.

 


 

C. Suite de son règne jusqu'à l'invention de la Sainte-Croix (II, p. 57b-61a) (315-320)

 

Victoire sur Maxence au Pont Milvius - Décisions en faveur des chrétiens - Autour de l’Invention de la vraie Croix - Varia

 

Sommaire

Constantin, avant et après sa victoire sur Maxence remportée grâce au signe de la croix, construit et organise les églises à Rome - Il lègue, pour toujours, Rome à la papauté (315-316)

Succession à Louvain - Tremblement de terre - Églises construites par Constantin à Rome et par l’évêque Valentin à Tongres - Les Huns en Égypte et en Russie (316-317)

Histoire de l’Invention de la Sainte-Croix : Constantin, suite à des songes, charge sa mère Hélène de rechercher la Sainte-Croix - Grâce à un vieux sage juif, nommé Judas, trois croix sont découvertes et un miracle permet d’identifier la vraie Croix - Judas est baptisé et devient Quiriacus - Constantin, informé fait instaurer par Sylvestre la fête de l’Invention - Rêve avéré de Constantin à propos du vol à Jérusalem de la Sainte-Croix, finalement retrouvée (318)

Valentin, évêque de Tongres, averti par un songe, renonce à son évêché (319)

Derniers détails sur la découverte de la Sainte-Croix : comment Judas connaissait-il l’existence des croix ? (320)

  

 

Constantin, avant et après sa victoire sur Maxence remportée grâce au signe de la croix, construit et organise les églises à Rome - Il lègue, pour toujours, Rome à la papauté (315-316)

[II, p. 57] [De Constantin l’emperere qui edifiat englieses] En cel an en mois de septembre, edifiat à Romme ly emperere Constantin, en la voie Tyburtine, une engliese en l'honeur de sains Lorent : c'est une seul capelle qui n'at que une alteit.

[II, p. 57] [Constantin édifia des églises] La même année [315] en septembre, Constantin édifia à Rome, sur la via Tiburtina, une église en l’honneur de saint Laurent. C’était une chapelle isolée, qui n’avait qu’un autel.

Et sour l'an IIIc et XVI edifiat lidit emperere Constantin, par dedens son palais, une engliese en l'honeur de Nostre-Saingnour Jhesu-Crist, et ordinat que elle fust la soverain des englieses de Romme et que toutes les aultres englieses fussent en la correction de chesti.

En l’an 316, l’empereur édifia, à l’intérieur de son palais, une église en l’honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il ordonna qu’elle soit la première des églises de Rome et que toutes les autres soient sous son contrôle.

[Comment Constantin oit victoir contre Maxenche par le signe del crois] En cel an en mois de marche, assemblat gran gens Maxenche qui fuis estoit en Alixandre, sicom dit est ; si passat mere et vint à Romme, où ilh oit jour denomeit de batalhe encontre l'empereir Constantin. Dedens le terme que la batalhe devoit estre, estoit Constantin aux fenestres de son palais I jour ; si regardat vers le chiel et veit le singne de la crois vers Orient, et oiit une vois qui ly dest : « Constantin, aies en Dieu fianche, car ilh toy monstre que, par cest signe, tu auras victoir contre les annemis. »

[Constantin remporta la victoire contre Maxence grâce au signe de la croix] Cette année-là [316], en mars, Maxence, qui était à Alexandrie comme on l’a dit, rassembla une grande armée. Il traversa la mer et vint à Rome, où il fixa un jour pour la bataille contre l’empereur Constantin. La veille de ce jour, Constantin était aux fenêtres de son palais et regardait le ciel. Il vit vers l’Orient le signe de la croix et entendit une voix qui lui disait : « Constantin, aie confiance en Dieu, car il te montre que par ce signe tu remporteras la victoire contre tes ennemis. »

[Constantin fist porteir I crois d’or devant li en la batalhe, et desconfist enssi Maxenche] Adont fut Constantin tous assegureis, se fist faire une crois d'or et d'argent awec pires prechieux, et le fist porteir devant luy en la batalhe. Mains quant les senateurs et les altres Romans veirent chu, se fisent ypluseurs porteir et portraire le signe de la crois en leurs blasons ; puis vint ly jour de la batalhe et vinrent ensemble ; mains oussitoist que les gens Maxenche veirent la crois, ilhs furent tous desconfis. Adont perdit Maxenche XLm hommes, et luy-meismes y fut ochis, et ly remanans s'enfuit vers la citeit d'Alixandre.

[Constantin fit porter une croix d’or devant lui dans la bataille et écrasa Maxence] Alors, entièrement rassuré, Constantin fit faire une croix d’or et d’argent, ornée de pierres précieuses, qu’il fit porter devant lui dans la bataille. Et quand les sénateurs et les autres Romains virent cela, beaucoup firent peindre le signe de la croix sur les blasons qu’ils portaient. Vint alors le jour de la bataille. Les adversaires se firent face, mais dès que les hommes de Maxence virent la croix, ils furent tous anéantis. Dans ce combat, Maxence perdit quarante mille hommes ; lui-même fut tué, et les rescapés prirent la fuite vers Alexandrie.

[Constantin donnat Romme hiretablement à sains Silvestre et as altres papes] Et quant l'emperere Constantin fut revenus en son palais à Romme, ilh mandat le pape Silvestre et ses cardinaIs, et là, en leur presenche, ilh donnat à Dieu et à l'Engliese et à sains Silvestre, et à tous ses successeurs hiretaiblement, la citeit de Romme, et dest que ilh voloit que chu fust leur perpetuelment, sens nulle revocation. En teile manere fut la citeit de Romme donnée à l'Engliese.

[Constantin donne Rome en héritage à saint Sylvestre et aux autres papes] Quand l’empereur Constantin fut revenu dans son palais de Rome, il convoqua le pape Sylvestre et ses cardinaux. Et là, en leur présence, il donna la ville de Rome en héritage à Dieu, à l’Église, à saint Sylvestre et à tous ses successeurs. Il dit que sa volonté était que Rome leur appartienne pour toujours, sans révocation possible. C’est ainsi que la ville de Rome fut léguée à l’Église.

 

Succession à Louvain - Tremblement de terre - Églises construites par Constantin à Rome et par l’évêque Valentin à Tongres - Les Huns en Égypte et en Russie (316-317)

[II, p. 57] [De conte de Lovay] En cel an en mois de decembre, morut Ector, le conte de Lovay ; si fut apres luy conte son fis, qui regnat XXXIIII ans.

[II, p. 57] [Le comte de Louvain] Cette année-là [316], en décembre, mourut Hector, le comte de Louvain. Son fils lui succéda et régna trente-quatre ans.

En cel an, en mois de fevrier, fist gran muet de terre.

Cette année-là, en février, il y eut un grand tremblement de terre.

[Constantin fist refaire les engliese Sains-Pire et Sains-Paul à Romme] Item, l'an IIIc et XVII, fist l'emperere Constantin refaire, plus belles et plus grant qu'oncques n'awissent esteit, les II englieses [II, p. 58] à Romme de Sains-Pire et de Sains-Poul, que l'emperere Dyocletiain avoit destruites le temps devant.

[Constantin fit reconstruire les églises Saint-Pierre et Saint-Paul à Rome] L’an 317, l’empereur Constantin fit reconstruire, plus belles et plus grandes qu’elles ne l'avaient été, les deux églises [II, p. 58] romaines de Saint-Pierre et de Saint-Paul, que l’empereur Dioclétien avait détruites précédemment.

[Sains Johans-Baptiste dest à Valentin, l’evesque de Tongre, en vision, qu’ilh ly fesist I engliese] En cel an fist l'evesque de Tongre, Valentin, une engliese en l'honeur sains Johans-Baptiste, qui li estoit apparus en son dormant, awec son peire le duc d'Ardenne ; car Valentin, l'evesque de Tongre, fut ly fis Valentin le duc d'Ardenne, qui estoit vrais cristiens, qui estoit mors novellement ; et sa mere fut la filhe le duc de Saxongne, mains elle soy fist baptizier, sy oit à nom Marie.

[Saint Jean-Baptiste demanda en songe à Valentin, l’évêque de Tongres, de lui construire une église] Cette année-là [317], Valentin, l’évêque de Tongres, avec son père le duc d’Ardenne, construisit une église en l’honneur de saint Jean-Baptiste, qui lui était apparu en songe. Valentin, évêque de Tongres, était le fils du Valentin, duc d’Ardenne, un vrai chrétien, mort récemment. La mère de l’évêque était la fille du duc de Saxe, mais elle se fit baptiser sous le nom de Marie.

[Des Huens qui firent gran mal en Egipe et en Rossie] En cel an destrurent les Huens la citeit de Cayr en Egypte. Sour l'an IIIc et XVIII refisent cheaux d'Egypte leur citeit de Cayr plus belle que devant. En cel an entrarent les Huens en la terre de Rossie, et le commencharent grandement à destrure. Ches Huens estoient mult crueux et de mal nature, car ilhs ne spargnoient cristiens ne Sarasiens, ains mettoient tout à exilh les pays où ilhs venoient et les gens oussi ; et si en estoit bien LXm trestous juys, ne nuls autres gens ilh n'avoient awec eaux.

[Les Huns firent beaucoup de tort en Égypte et en Russie] Cette année-là [317], les Huns détruisirent la ville du Caire en Égypte. Mais en 318, les Égyptiens la reconstruisirent plus belle qu’avant. Cette même année [318], les Huns pénétrèrent en Russie qu’ils se mirent à dévaster fortement. Ces Huns étaient très cruels et de nature mauvaise, car ils n’épargnaient ni les chrétiens ni les Sarrasins. Ils saccageaient les pays où ils passaient et maltraitaient aussi les gens. Ils étaient bien quarante mille, tous juifs, n’ayant personne d’autre avec eux.

 

Histoire de l’Invention de la Sainte-Croix : Constantin, suite à des songes, charge sa mère Hélène de rechercher la Sainte-Croix - Grâce à un vieux sage juif, nommé Judas, trois croix sont découvertes et un miracle permet d’identifier la vraie Croix - Judas est baptisé et devient Quiriacus - Constantin, informé, fait instaurer par Sylvestre la fête de l’Invention - Rêve avéré de Constantin à propos du vol à Jérusalem de la Sainte-Croix, finalement retrouvée (318)

[II, p. 58] [Constantin oit vision del Invention sainte crois] En cel an songat une nuit ly emperere Constantin et ly vint en vision que sa mere la royne Helaine, qui demoroit à chi temps en Jherusalem, avoit troveit la sainte crois où Jhesu-Crist avoit esteit claweis et crucifiiés. Et en cest propre nuit meismes songat oussi la royne Helaine que elle avoit troveit ladit crois. Adont mandat ly emperere sains Silvestre le pape, et ly dest comment ilh avoit la crois songiet par nuit en dormant.

[II, p. 58] [Constantin vit en songe la découverte de la Sainte Croix] Cette année-là [318], une nuit l’empereur Constantin fit un rêve. Il vit en songe que sa mère, la reine Hélène, qui habitait alors à Jérusalem, avait découvert la Sainte-Croix sur laquelle Jésus-Christ avait été cloué et crucifié. De son côté, cette même nuit, la reine Hélène rêva elle aussi qu’elle avait trouvé la croix en question. Alors l’empereur convoqua le pape Sylvestre et lui dit qu’il avait songé à la croix cette nuit-là en dormant.

[Constantin envoiat à sa mere qu’elle fesist inquisition del sainte crois] Adont mandat Constantin, par le conselhe de pape, à sa mere, qu'elle procurast à chu que la sainte crois fust trovée ; mains Helaine oit grant mervelhe del songe son fis, et dest que à cel nuit l'avoit oussi songiet.

[Constantin fait demander à sa mère d’enquêter sur la Sainte-Croix] Alors, Constantin, sur le conseil du pape, demanda à sa mère qu'elle fasse le nécessaire pour trouver la Sainte-Croix. Hélène s’émerveilla du songe de son fils et dit qu’elle aussi, cette nuit-là, avait fait ce même songe.

Atant commenchat à enquerir Helaine mult diligemment apres la sainte crois, mains elle ne trovat personne qui novelle l'en desist. Enssi mist bien une an la royne Helaine al enquerir, anchois que elle en sewist nulle novelle. Si avint que, droit sour l'an IIIc et XVIII en mois d'avrilh, la royne Helaine mandat pardevant lée pluseurs juys qui en pays demoroient, por enquerir de son desier, car ilhs estoient mult saiges, se elle en poroit savoir à eaux novelle [II, p. 59] de chu qu'elle queroit.

Hélène alors se mit à rechercher très activement la Sainte-Croix, mais elle ne trouva personne qui puisse la renseigner. Ainsi la reine consacra au moins une année à cette recherche sans obtenir aucune information. Précisément au mois d’avril de l’an 318, il arriva que la reine Hélène fasse venir devant elle plusieurs Juifs qui habitaient le pays. Comme ils étaient de grands sages, elle voulait les interroger, pensant pouvoir obtenir d’eux des informations [II, p. 59] sur ce qu’elle cherchait.

[Sainte Helaine fait inquisition del sainte crois] Quant les juys furent là venus, la royne leur demandat se ilh ly saroient dire novelle de la crois où Jhesu-Crist avoit esteit crucifiés, mains ilh n'y oit oncques juys qui ly sawist respondre, fours tant seulement ilhs dessent qu'en Bethleem demoroit I juys mult saige qui avoit en escript le lieu où la crois estoit. Quant la royne entendit chu, sy le mandat par XII chevaliers qui amynarent le juys, qui avoit nom Judas.

[Sainte Hélène recherche la Sainte-Croix] Une fois les Juifs arrivés, la reine leur demanda s’ils pourraient lui donner des informations sur la croix où Jésus-Christ avait été crucifié. Mais aucun d'eux ne put lui répondre. Ils dirent simplement qu’à Bethléem vivait un Juif très sage en possession d'un document qui indiquait l’endroit où se trouvait la croix. Après avoir entendu cela, la reine chargea douze chevaliers de lui amener ce Juif, qui portait le nom de Judas.

Et quant la royne le veit, se ly priat douchement que ilh ly vosist dire où la crois estoit, mains onques chis ne le voit dire par douchour. Adont le fist prendre la royne et ly fist faire mult de travalhes, mains ilh disoit toudis qu'ilh n'en savoit novelle. Atant le fist ensereir en une chambre, sy prist les clefs et le laisat enssi sens boire et sens mangier III jours.

Quand la reine le vit, elle lui demanda avec douceur de bien vouloir lui dire où était la croix. Mais la douceur ne put rien lui faire dire. Alors la reine le fit saisir et torturer, mais il répétait toujours qu'il ne savait rien. Alors elle l’enferma dans une chambre, dont elle prit les clés, et le laissa trois jours sans boire et sans manger.

[La sainte crois fut trovée] AI derain, por grande destreche de famyne, Judas mynat la royne sus le monte de Calvaire, si commenchat à foiir tant qu'ilh trovat III crois, se les livrat à la royne. Et che fut le IIIe jour de may sour l'an IIIc et VIII [sic]. Mains quant sainte Helaine veit les III crois, si ne soit mie encors laqueile estoit la vraie crois Nostre-Saingnour et les crois des II larons, jasoiche qu'elle fussent d'aultres fachons.

[On découvre la Sainte-Croix] Finalement, forcé par la faim, Judas mena la reine sur le mont du Calvaire. Il se mit à fouiller le sol et finit par découvrir trois croix qu'il donna à la reine. Cela se passait le 3 mai de l’an 308 [erreur probable pour 318]. Mais quand Hélène les vit, elle ne savait pas encore identifier la vraie croix de Notre-Seigneur et celles des deux larrons, quoiqu’elles fussent différentes.

Quoiqu’elles fussent différentes : C’est le texte et la traduction du manuscrit A. Le manuscrit B propose : car elle astoient toutes de une forme et fachons, la crois Nostre-Signour et la crois des dois larons, jasoyche que ons portraire d’altre fachon, ce qui se traduirait : « car la croix de Notre-Seigneur et celle des deux larrons avaient la même forme et le même type de fabrication, bien qu’on la représente différemment ».

[II, p. 59] [La royne fist enporteir awec lée les trois crois – Uns mors fut resusciteit par le sainte crois] Adont fist la royne awec lée enporteir les III crois en la citeit de Jherusalem. Si avint qu'ilh encontrarent le corps d'unc homme mors que ons portoit en terre ; mains la royne fist le corps mettre à terre, puis prist Judas une des crois, se le mettit sour le mors, mains ilh n'y fist riens ; apres ilh y mettit l'autre, se n'y fist nulle chouse ; et apres ilh prist le tirche, qui estoit ly precieux joweal en laqueile rechut mors ly vray Fis de Dieu Jhesu-Cris, se le mettit sour le mort, et tantoist ilh resuscitat et viscat puis longement. Enssi soit la royne sainte Helaine laqueile estoit la crois Nostre-Saingnour Jhesu-Crist où ilh avoit soffert mort : là fist la sainte crois tant de myracles que chu fut grant mervelhe.

[II, p. 59] [La reine fit emporter avec elle les trois croix - La Sainte-Croix ressuscita un mort] La reine fit alors amener avec elle les trois croix dans la ville de Jérusalem. Il se fit que le groupe rencontra le cadavre d’un homme qu’on portait en terre. La reine fit mettre le corps par terre. Judas prit une des croix, la mit sur le mort, mais il ne se passa rien. Il fit de même avec une des deux autres, sans plus de succès. Il prit alors la troisième, qui était le précieux joyau sur lequel était mort le vrai fils de Dieu, Jésus-Christ. Il la plaça sur le mort qui ressuscita immédiatement et qui vécut ensuite longtemps. C’est ainsi que la reine sainte Hélène identifia la croix sur laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ avait souffert la mort : la Sainte-Croix fit là tant de miracles qu’on s’en émerveilla grandement.

[Judas fut baptiziet et fut nommeis Quiriacus] Et quant Judas ly juys veit chu, si oit volenteit de croire en Dieu, et soy fist tantost baptizier par l'evesque de Jherusalem : si fut nommeis en baptemme Quiriacus, en grigois, chu est à dire en franchois Quirecrois.

[Judas fut baptisé et appelé Quiriacus] Quand Judas le Juif vit cela, il désira croire en Dieu et se fit aussitôt baptiser par l’évêque de Jérusalem. Il fut appelé au baptême Quiriacus en grec, c’est-à-dire en français « celui qui s'accroît ».

[II, p. 60] Adont mandat la royne Helaine à Constantin son fis qu'elle avait trovée la sainte crois, et ly escript le jour et tout la manier comment.

[II, p. 60] La reine Hélène fit alors savoir à son fils Constantin qu’elle avait trouvé la Sainte-Croix. Elle lui écrivit la date de la découverte et comment elle s’était produite.

[La fieste deI Invention sainte crois] Et Constantinen fist al pape Silvestre celebreir et instablir la fieste del Invention Sainte-Crois, le IIIe jour de may.

[La fête de l’Invention de la Sainte-Croix] Constantin fit célébrer et instaurer par le pape Sylvestre la fête de l’Invention de la Sainte-Croix, le troisième jour de mai.

[Constantin songat que la crois estoit emblée, c’estoit voire] Et apres Constantin songat que la sainte crois estoit emblée, se le mandat à la royne Helaine sa mere, qui allat à son tresorier, se trovat que elle estoit emblée, mains elle n'estoit mie portée hors de Jherusalem ; se fist tant qu'elle le roit.

[Constantin rêva que la croix était volée, et c’était vrai] Dans la suite, Constantin rêva que la Sainte-Croix avait disparu. Il le signala à la reine Hélène, sa mère, qui alla à son trésor et constata qu’elle avait disparu. Mais elle n’avait pas été transportée hors de Jérusalem. La reine fit tant et si bien qu’elle la récupéra.

 

Valentin, évêque de Tongres, averti par un songe, renonce à son évêché (319)

[II, p. 60] [L’evesque de Tongre oit vision qu’ilh renunchast à l’evesquiet, et ilh le fist] Item, l'an IIIc et XIX, vient une vision à sains Valentin, evesque de Tongre, qui ly sembloit que ons ly disoit depart Dieu que ilh prendist sa croche et son aneal episcopals, et se les metist sus l'auteit Nostre-Damme de la grande engliese de Tongre, en la presenche de son capitle, et tantoist renunchast à la digniteit del tout, et sy desist depart Dieu à capitle que ilh n'enlesissent nuls altre evesque, et se lassent enssi esteir la croche et l'aneal jusqu'à tant qu'ilh soy venroit engennulhier devant l'ateit uns evesque que Dieu envoieroit ; et ilh le vieroient bien quant chu seroit, car ly aneal ly lancheroit envidemment en doit et la croche en la main.

[II, p. 60] [L’évêque de Tongres vit en songe qu’il devait renoncer à son évêché, ce qu’il fit] L’an 319, saint Valentin, évêque de Tongres, eut une vision : il lui sembla que Dieu lui faisait savoir qu’il devait placer sa crosse et son anneau épiscopal sur l’autel de Notre-Dame dans la grande église de Tongres, en présence de son chapitre, et renoncer immédiatement à toute dignité. Il devait, toujours sur l’ordre de Dieu, dire à son chapitre de ne pas élire un autre évêque et de laisser la crosse et l’anneau sur l’autel, jusqu’au moment où viendrait s’agenouiller devant l’autel un évêque envoyé par Dieu. Ils verraient bien quand cela se produirait, car l’anneau se placerait de lui-même au doigt (du nouvel arrivant) et la crosse dans sa main [pour la suite de l'épisode de saint Servais, cfr ci-dessous,  II, p. 63-67.

Et ly evesque Valentin vient lendemain en capitle, et puis ilh s'en allat tous revestis, sycom evesque, et vint devant l'auteit el presenche de ses canones, et soy engennulhat faisant son orison à Dieu ; et puis soy drechat et vint al alteit, sy le baisat, et prist le croche et l'aneal, se le mist sus, puis s'en allat arire.

Le lendemain, l’évêque Valentin vint au chapitre revêtu de ses habits épiscopaux. Il s’approcha de l’autel en présence de ses chanoines et s’agenouilla pour prier Dieu. Puis il se releva, monta à l’autel qu’il baisa, placa sur lui sa crosse et son anneau, puis recula.

[L’evesque renunchat al digniteit de Tongre] Si at noblement prechiet à son peuple, et en prechant les at dit chu qu'ilh avait oiit en vision, et dest : « Saingnour, je renunche la digniteit, car Dieu le vot enssi ; mains je feray l'offische tant com vos aureis I aultre evesque depart Dieu envoiet ».

[L’évêque renonce à la dignité d’évêque de Tongres] Il fit ensuite un prêche remarquable à son peuple, en lui racontant la vision qu’il avait eue et en disant : « Seigneurs, je renonce à ma dignité, car Dieu le veut ainsi. Mais je remplirai ma charge jusqu’à ce qu'un autre évêque vous soit envoyé par Dieu. »

Quant la clergerie entendit chu, si fut mult enbahie, mains toutvoie ilh prient merchi et ly rendent grasce de chu entirement, et ly prient qu'ilh leur envoie I bon paistre.

Quand les clercs entendirent cela, ils furent très étonnés, mais ils le remercièrent, lui exprimèrent toute leur reconnaissance et le prièrent de leur envoyer un bon pasteur.

 

Derniers détails sur la découverte de la Sainte-Croix : comment Judas connaissait-il l’existence des croix ? (320)

[II, p. 60] [Coment les trois claux dont Notre-Sire fut claweis furent troveis] Item, l'an IIIc et XX, furent troveis les III claus dont Jhesu-Crist oit claweis en la crois piés et mains, par le inquisition de Quiriacus : si les envoiat la royne Helaine à son fis Constantin, qui en fist grant fieste, et leur portat grant reverenche.

[II, p. 60] [Comment on trouva les trois clous qui clouèrent Notre-Seigneur] En l’an 320 furent trouvés les trois clous qui servirent à fixer à la croix les pieds et les mains de Jésus-Christ, et cela grâce aux recherches de Quiriacus. La reine Hélène les envoya à son fils Constantin, qui leur fit grande fête et les entoura d’un grand respect.

[Dont venoit à savoir chis Judas où la crois et lez claus estoient] Pluseurs gens poroient demandeir, en mervelhant, dont venoit à savoir à cheli Judas, qui estoit nommeis Quiriacus, la crois où elle estoit, portant qu'ilh n'estoit mie si vies [II, p. 61] que del temps qu'ilh furent là mies.

[Comment Judas sut où se trouvaient la croix et les clous] Plusieurs personnes pourraient s’étonner et se demander comment ce Judas, nommé Quiriacus, parvint à savoir où se trouvait la croix, parce qu’il ne vivait pas encore [II, p. 61] à l’époque où ces objets furent déposés là.

Si vos en dirons la veriteit. Chis Judas avoit bien cent ans d'eaige al temps qu'ilh soy baptizat ; si avoit oiit dire à son peire, quant ilh visquoit, que la crois où Jhesu-Crist avoit esteit claweis estoit en monte de Calvaire, enfoiiet awec les crois des dois Iaurons, et monstrat à Judas son fils le droit lieu, et ly priat del tenir en secreit. Et adont ilh demandat à son peire dont chu ly venoit à savoir, car ilh n'estoit mie sy vies que ilh awist esteit à la mort de Jhesu-Crist. Adont dest li peire à fis : « Je ne suy mie sy vies voirement que je posisse avoir esteit à crucifier Jhesu-Crist, ne je ne le vey oncques ; mains mon peire, ton ayon, fut presens où Jhesu-Crist fut pendus en la crois, et servoit adont à Cayphas, l'evesque de la loy, se ly aidat enterreir la crois apres chu que Jhesu-Crist fut mors. » Enssi dest Judas de la sainte crois.

Nous vous dirons ce qu’il en est à ce sujet. Ce Judas avait au moins cent ans au temps où il se fit baptiser ; il avait entendu dire par son père, quand il vivait encore, que la croix sur laquelle Jésus avait été cloué se trouvait sur le mont Calvaire, enfouie avec celles des deux larrons. Le père montra à son fils Judas l’endroit exact du dépôt et le pria de garder le secret. Judas demanda alors à son père d’où lui venait ce savoir, car il n’était pas assez vieux pour avoir assisté à la mort de Jésus-Christ. Alors le père dit à son fils : « C’est vrai que je ne suis pas assez vieux pour avoir été présent à la mort de Jésus-Christ. Je ne l’ai jamais vu, mais mon père, ton aïeul, était là quand Jésus-Christ fut suspendu à la croix. Il servait Caïphe, le grand-prêtre, et l’aida à enterrer la croix après la mort de Jésus. » Voilà ce que dit Judas de la Sainte-Croix.

 


 

 

D. Affaires D'Église et RETOUR AUX huns (II, p. 61b-63a) 321-327)

 

 

Affaires d'Église et divers sous le pape Sylvestre : arianisme, concile de Nicée, le dragon, ordonnances papales, naissance de saint Martin - Miracles et conversions en Judée - Les Huns en Bulgarie, en Pannonie, en Russie

 

Sommaire

Condamnation d’Arius l’hérétique et de ses adeptes au concile de Nicée par le pape Sylvestre en présence de Constantin (321)

Succession en Flandre - Saint Sylvestre et le dragon - Ordonnances papales - Naissance de saint Martin en Pannonie (322-323)

Miracles et conversions liés à la chrétienne Faramonde (chez les Hébreux) et aux nouveau-nés de Gapoda (en Judée) - Le pape Sylvestre poursuit l’arianisme - Il charge Ossius et Victor de le représenter au concile de Nicée - Les Huns en Bulgarie, en Pannonie, en Russie (324-327)

 

 

Condamnation d’Arius l’hérétique et de ses adeptes au concile de Nicée par le pape Sylvestre en présence de Constantin (321)

[II, p. 61b] [De Arriain, le prestre plains de erreur - L’an IIIc et XXI] A cel temps estoit et regnoit Arriain, unc prestre qui estoit en grant erreur encontre la foid, car ilh soutenoit ches herresyes, assavoir : que ly Peire, et ly Fis, et ly Sains-Espir estoient diverses substanches. Et chu fut l'an IIIc et XXI, le promier dymengne de junne. Quant ly pape Sains-Silvestre le soit, se le dest à l'emperere Constantin, et ly affirmat par seriment de creanche que chu estoit contre la vraie foid catholique, et que chis Arriain mentoit.

[II, p. 61b] [Arius, le prêtre plein d’erreurs - An 321] En ce temps-là vivait Arius, un prêtre gravement opposé à la foi car il soutenait des hérésies, à savoir que le Père, le Fils et le Saint-Esprit étaient des substances différentes. C’était en 321, le premier dimanche de juin. Quand le pape Sylvestre le sut, il le dit à l’empereur Constantin et lui affirma par un serment basé sur ses croyances que c’était contraire à la vraie foi catholique et que cet Arius était dans l’erreur.

[De conciel de Nychenne por l’heresie Arriain, où ilh fut condempneis] Adont fut fais I conciel en la citeit de Nychenne de IIIc et XLVIII evesques. A chi conciel fut presens l'emperere Constantin, qui grant honneur portat aux prelaux de Sainte-Engliese. En cheli conciel fut condempneis Arriain et tous cheaux qui estoient de son secte ; ilh avoit pluseurs clers qui estoient blechiés jusques al cuer de la secte Arriain, et estoient grans clers ; et ne demoront mie par le vertu de chesti conciel que ypluseurs grans clers et evesques et prinches de la terre n'en fussent puis decheus, de quoy ilh orent mult à soffrir, portant qu'ilh estoient contre les erreur, et voloient sourtenir la foid de Sainte-Engliese.

[Le concile de Nicée réuni à cause de l’hérésie d’Arius où il fut condamné] Alors fut réuni, dans la ville de Nicée, un concile de trois cent quarante-huit évêques. L’empereur Constantin était présent, qui fit grand honneur aux prélats de la Sainte-Église. Lors de ce concile, Arius et tous ses adeptes furent condamnés. Il y avait là plusieurs clercs qui étaient du fond de leur coeur hostiles à la secte d’Arius.  Ils étaient de grands clercs. Le concile n’empêcha pas que de nombreux grands clercs, évêques et princes territoriaux soient par la suite déchus (de leur fonction ?) et eurent beaucoup à souffrir, parce qu’ils étaient contre les erreurs et voulaient soutenir la foi de la Sainte-Église.

 

Succession en Flandre - Saint Sylvestre et le dragon - Ordonnances papales - Naissance de saint Martin en Pannonie (322-323)

[De conte de Flandre] Item, l'an IIIc et XXII, morut Lidris li conte de Flandre ; si fut apres luy conte son frere, qui oit nom Alixandre et regnat XII ans.

[Le comte de Flandre] En l’an 322, Lidris, le comte de Flandre mourut ; son frère, nommé Alexandre, lui succéda et régna douze ans.

[Sains Silvestre prist le dragon qui ochioit les Romans, porquoy ypluseurs sont baptisiés] En cel an Sains-Silvestre, pape de Romme, prist I dragon qui venoit tous les jours à Romme, et ochist bien VIm homme de son venyn, si que [II, p. 62] la plus grant partie de la citeit soy fist baptizier. Et prist le dit dragon par le signe de la crois, et le fist entreir cent et L greis parfont en terre, et l'enfermat là à portes d'errain, et jusques al jour de jugement n'en porat issir.

[Saint Sylvestre capture le dragon tueur des Romains, ce qui amène de nombreux baptêmes]. Cette année-là [322], saint Sylvestre, le pape de Rome captura un dragon qui venait tous les jours à Rome et y tua de son venin au moins six mille hommes. Cela amena [II, p. 62] la plus grande partie de la ville à se faire baptiser. Sylvestre maîtrisa le dragon par le signe de la croix et le fit descendre dans la terre à une profondeur de cent cinquante marches et l’enferma là, derrière des portes de bronze. Il ne pourra en sortir qu’au jour du jugement.

[Status papales] En cel ain ordinat ly pape que nuls lay ne admete clers de cas de crisme, et ordinat que les dyaques usent de dalmatiques, et ordinat que ly sacrament de l'auteit ne soit mie enwolpeis en draps de soie, ne en aultre tuicle, s'ilh n'est en lien promier et devantrainement.

[Ordonnances papales] Cette année-là, le pape interdit à tout laïc d’accuser un clerc dans une affaire criminelle. Il ordonna aussi que les diacres revêtent des dalmatiques et que le sacrement de l’eucharistie ne soit pas enveloppé dans de la soie ni dans un autre tissu, mais dans du lin pur, tel qu'on le tire de la terre [Pour Martin d'Opava comme source, cfr D05].

[De sains Martin] Item, l'an IIIc et XXIII fut neis Sains-Martien, sicom dit est ; enssi le racompte Harigerus en son croniques, et I altre dist qu'ilh estoit neis devant. Et fut fis d'on chevalier paien de Pannoine et fut I glorieux confesse ; qui plainement vuet oiir sa vie ilh le troverat à Sainte-Engliese, où sa legente est.

[Saint Martin] En l’an 323 naquit saint Martin [de Tours], à ce qu’on dit ; c’est en tout cas ce que raconte Hériger dans sa chronique, tandis qu’un autre auteur le fait naître plus tôt (cfr II, 53-54). Fils d’un chevalier païen de Pannonie, ce fut un glorieux confesseur. Celui qui veut connaître sa vie complète la trouvera dans les livres de la Sainte-Église. (Sur ce saint, cfr aussi, II, p. 77, etc.)

 

Miracles et conversions liés à la chrétienne Faramonde (chez les Hébreux) et aux nouveau-nés de Gapoda (en Judée) - Le pape Sylvestre poursuit l’arianisme - Il charge Ossius et Victor de le représenter au concile de Nicée - Les Huns en Bulgarie, en Pannonie, en Russie (324-327)

[II, p. 62] [De la femme qui prechoit la foid, qui oit nom Faramonde] L'an IIIc et XXIIII, fut prise une femme en Hebrie qui cristiene estoit : sy creioit en Dieu, et alloit com prophete, prechant la foid catholique, et estoit nommée Faramonde. Se le prisent les Hebriens portant qu'elle prechoit, et le vorent mettre à mort ; mains Dieu y demonstrat myracle et le delivrat de la prison, car tous cheaux qui le voloient martyrisier, tantoist qu'ilh l'aprochoient chaioient mors. De chu oit ly sire de paiis mult grande mervelhe, et Dieu si l'espirat qu'ilh vient à la femme, et ly dest, s'elle poiot tant priier à Dieu que ses gens qui estoient mors resussitassent, ilh soy feroit baptizier luy et ses gens. Celle l'entendit, si fut mult liie, se priat tant à Dieu que tous les mors resuscitarent. Adont soy fist li sire et ses gens baptisier.

[II, p. 62] [La femme nommée Faramonde qui prêchait la foi] L'an 324, on arrêta chez les Hébreux une femme qui était chrétienne : elle croyait en Dieu, se déplaçait comme un prophète, prêchant la foi catholique. Elle s’appelait Faramonde. Les Hébreux l’arrêtèrent, parce qu’elle prêchait et voulurent la mettre à mort ; mais Dieu se manifesta par un miracle et la délivra de sa prison, car tous ceux qui voulaient la martyriser tombaient morts dès qu’ils l’approchaient. Cela frappa très fort le seigneur du pays, qui, inspiré par Dieu, vint dire à cette femme qu’il se ferait baptiser lui et ses sujets, si elle pouvait prier Dieu de ressusciter ceux des siens qui étaient morts. Elle l’entendit et fut très contente. Elle pria tellement Dieu que tous les morts ressuscitèrent. Alors le seigneur et ses gens se firent baptiser.

[Des II enfans qui parlont quant ilh nasquirent] Sour l’an IIIc et XXV, nasquirent en la terre de Judée d'onne femme dois enfans de une porture, et estoit la mere des enfans nommée Gapoda. Si demonstrat Dieu grant myracle à naistre, car les II enfans, qui ambedois estoient marles, dessent devant tous, enssi toist que ilh furent neis, que tous ly pays de Judée estoit perdus, se ons ne creioit en Dieu qui fut [II, p. 63] mys en la crois, car chis estoit vraie Dieu, et n'estoit plus de Dieu que luy. Quant les hommes du pays entendirent chu, si en orent grant mervelhe ; mains totvoies ilh soy baptizarent de bon cuer, en creant Dieu por chesti myracle.

[Les deux enfants qui parlèrent à la naissance] En l’an 325, en terre de Judée, deux enfants d’une même portée naquirent d’une femme nommée Gapoda. À leur naissance, Dieu se manifesta par un grand miracle : les deux enfants, des garçons, dirent devant tout le monde, aussitôt qu'ils furent nés, que la Judée entière était perdue si on ne croyait pas au Dieu qui fut [II, p. 63] mis en croix, car il était le vrai Dieu, et il n’y avait plus de Dieu que lui. Quand les habitants du pays entendirent cela, ils furent émerveillés. Ce miracle les amena à croire en Dieu et à se faire baptiser du fond du coeur.

Item, l'an IIIc et XXVI, envoiat li pape sains Sylvestre à I conciel que ons faisoit en Nycene, Ozies, evesque de Cordebien, por prechier la loy Jhesu-Crist ; et en Ytaile envoiat I sien preistre qui oit nom Victoire, uns gran docteur, et les donnat tout sa poissanche apostolique : qui mult bien soy acquitarent de enformeir l'evesque et le peuple de la foid, et encontre les erreur Arrian.

En l’an 326, le pape saint Sylvestre envoya Ossius, évêque de Cordoue, prêcher la loi de Jésus-Christ à un concile qui se tenait à Nicée. Il envoya aussi d’Italie un de ses prêtres, Victor, un éminent docteur. Il les chargea de le remplacer (litt. Il leur donna tous ses pouvoirs de pape). Ils s’acquittèrent très bien (de la tâche) d’informer l’évêque et le peuple de la (vraie) foi, et de s’opposer aux erreurs d’Arius.

Ossius et Victor : Martin, Chronique, p. 416,  permet de mieux comprendre le texte de Jean : Hic [= Sylvester] in Niceno concilio Osio espiscopo Cordubensi ab Hyspania et Victori ab Ytalia vices commisit apostolicas. On notera qu'avant cette phrase, Martin faisait lui aussi état d'une chrétienne prisonnière et des deux enfants, mais sa version était très différente de celle  de Jean d'Outremeuse (cfr les notes du D05).

[Des Huens qui firent grans mals - Les Huens furent desconfis ] Item, l'an IIIc et XXVII, conquisent les Huens la terre de Bulgarie et le gastarent grandement. En cel an entrarent les Huens en la terre de Pannoine, dont sains Martin fut neis, qui encor estoit jovene enfes ; si commencharent à ardre et destruire tout le pays, mains ly roy Gomber de Pannoine vient contre eaux à gran gens, si oit batalhe à eaux, où ilh perdit mult de gens, mains encordont ilh oit victoir ; si furent les Huens desconfis et fut ly roy Wandalus navreit. Adont soy refuirent les Huens, que ons nommoit adont Wandaliens, en la terre de Rossie et habitarent là gran temps sens movoir.

[Les Huns firent de grands dégâts - Ils furent défaits] En l’an 327, les Huns conquirent la Bulgarie, où ils firent de grands dégâts. Cette même année, ils entrèrent en Pannonie, pays natal de saint Martin, qui était encore un jeune enfant. Ils se mirent à incendier et à saccager tout le pays, mais le roi Gombart de Pannonie marcha contre eux avec beaucoup de troupes. Ils se battirent. Gombart subit de lourdes pertes, mais remporta la victoire. Les Huns furent défaits et leur roi Vandalus blessé. Les Huns, appelés alors Vandales, s’enfuirent en Russie, où ils habitèrent longtemps sans en sortir [cfr II, p. 18 et II, p. 53 ; on retrouvera les Vandales en II, p. 131].


 

FSaint Servais, dixième évêque de Tongres [première partie] (II, p. 63b-67a) (328-330)

 

Sommaire

À la mort de Valentin, saint Servais devient le dixième évêque de Tongres - Originaire d’Orient et proche parent de Jésus, il est miraculeusement transporté par un ange de Jérusalem à Tongres, où il est accueilli comme l’évêque envoyé par Dieu (328-329)

Long règne (66 ans) de saint Servais à Tongres - Problèmes linguistiques qui seront miraculeusement résolus - Homme juste et bon, saint Servais mène une vie austère et fait des miracles

* Saint Servais transfère le siège épiscopal de Tongres à Maastricht - Dénomination du titre de l’évêque siégeant à Maastricht

Saint Servais à Tongres d'abord, à Maastricht ensuite : Nombreux miracles - Fondation de l’église Saint-Barthélemy de Tongres (330) - Mécontentement des Tongriens contre leur évêque, qui part pour trois ans à Maastricht, dont il était le maître spirituel (le seigneur temporel étant le duc de Lotringe) - Le comte Porus de Louvain, héritier du duché de Lotringe et guéri par saint Servais, lui offre le pouvoir temporel sur Maastricht et veut l’aider à se venger des Tongriens, mais saint Servais leur a pardonné (vers 330)

 

Pour la suite de l'épisode de saint Servais : cfr II, p. 75, p. 89-94 et p. 96-99

Pour des notes détaillées sur saint Servais : cfr les dossiers D06, D11 et D13

 

 

À la mort de Valentin, saint Servais devient le dixième évêque de Tongres - Originaire d’Orient et proche parent de Jésus, il est miraculeusement transporté par un ange de Jérusalem à Tongres, où il est accueilli comme l’évêque envoyé par Dieu (328-329)

[II, p. 63b] [De la mort le IXe evesque de Tongre] Item, l'an IIIc et XXVIII en mois de junne, morut ly IXe evesques de Tongre Valentin, si fut ensevelis en l'egliese Nostre-Damme à Tongre. Apres la mort l'evesque Valentin, furent cheaux de Tongre en grant débat de faire uns evesque, lyqueis fut fais par le revelation de Dieu, enssi com sains Valentin les avoit demonstreit ;

et les aultres disoient que ch'estoient tout fantasies, et qu'ilh devroient eslire uns evesque. Tant ont dit que ilh misent journée del election, où tous les clers de pays devoient eistre presens en chour del engliese Nostre-Damme. Si fut mise la journée à XIIIe jour de may apres venant, sour l'an IIIc XXIX ; car ly siege vacat en teile manere XI mois ou là entour.

[II, p. 63b] [Mort du neuvième évêque de Tongres] En juin de l'an 328, Valentin, neuvième évêque de Tongres, mourut et fut enseveli en l’église Notre-Dame à Tongres. Après sa mort, les Tongriens discutèrent beaucoup du choix d’un successeur, lequel en fait fut désigné par une révélation de Dieu, comme saint Valentin le leur avait expliqué [cfr II, p. 60].

 

Certains disaient que tout cela n’était que fantaisie et qu’ils devraient eux-mêmes élire un évêque. Ils finirent par fixer la date de l’élection, à laquelle tous les clercs du pays devaient être présents dans le chœur de l’église Notre-Dame. Ce fut le 13 mai suivant, en l’an 329 ; le siège en effet était resté vacant environ onze mois.

[De sains Servais, Xe evesque de Tongre – Le lynage sains Servais et Jhesucrist] Ors vos voray dire de l'evesque Xe de Tongre, qui fut nommeis sains Servais. Si vos dis que en la citeit de Penestre qui siet entre Hermenie et Persie, oultre la mere, estoit sains Servais demorans, qui estoit de la lignie [II, p. 64] Jhesu-Crist de part la glorieux Virgue Marie, sa benoite mere, en trois greis et demy à Jhesu-Crist : assavoir que Jhesu-Crist ly estoit en thier degreit, et sains Servais ly estoit en quart, enssicom j'ay deviseit desus et encor le vos deviseray.

[Saint Servais, dixième évêque de Tongres - La parenté de saint Servais avec Jésus-Christ] Je voudrais maintenant vous parler du dixième évêque de Tongres, saint Servais. Sachez que saint Servais résidait dans la ville de Pénestre, située entre l’Arménie et la Perse, au-delà de la mer. Il était de la lignée [II, p. 64] de Jésus-Christ, par la glorieuse Vierge Marie, sa bienheureuse mère, à trois degrés et demi : c’est-à-dire que Jésus-Christ était son parent au troisième degré, et saint Servais au quatrième, comme je l’ai raconté plus haut (cfr I, p. 307) et comme je vous le raconterai encore ici.

Vos saveis que sainte Anne, qui fut mere à la benoite Virgue Marie, oit une soreur qui oit nom Esmeria. Celle Esmeria oit de son marit une filhe et I fis ; car sainte Elizabeth, la mere sains Johans-Baptiste, fut la filhe, et ly fis fut nommeis Elyud par son propre nom. Elyud oit oussi I fis qui oit nom Emyb, qui oit à femme sainte Manceline. De ches II issit sains Servais, de quoy nos volons parleir. Enssi fut à Jhesu-Crist prochain sains Servais et sains Johan-Baptiste, et à sains Johan ewangeliste, et à sains Philippe, et à sains Jaque, et à toute la lignie Jhesu-Crist ; et issit de la droite lignie royal le roy David, et des plus grans des juys, et de Judas Machabeus.

 Vous savez que sainte Anne, la mère de la bienheureuse vierge Marie, avait une sœur, Émérie. Cette Émérie eut de son mari une fille et un fils ; sainte Élisabeth, la mère de saint Jean-Baptiste, était sa fille, et son fils avait pour nom Élyud. Élyud eut aussi un fils, nommé Émyb, qui épousa sainte Manceline. Saint Servais, de qui nous voulons parler, est né de ces deux personnes. Ainsi saint Servais fut proche de Jésus-Christ et de saint Jean-Baptiste, de saint Jean l’évangéliste, de saint Philippe et de saint Jacques et de toute la lignée de Jésus-Christ ; et il est issu de la droite lignée royale du roi David, et des Juifs les plus grands, et de Judas Macchabée.

[L’angle dest à pere sains Servais qu’ilh l’apelast de part Dieu Servais] Quant sains Servais nasquit, ly angle ly apportat son nom que Dieu ly avoit eslut à son pere et à sa mere ; et enssi fut nommeis, par le revelation del angle, Servais, qui vault ortant que wardeurs, car ilh devoit encor wardeir mult de gens, et oussi son pays apres chu, de grandes tribulations, enssicom vos oreis, et feroit aussi à nostre loy aiide en gardant fermement.

[L’ange, de la part de Dieu, dit au père de saint Servais d’appeler son fils Servais] Quand saint Servais naquit, l’ange apporta à son père et à sa mère le nom que Dieu avait choisi pour lui. Ainsi fut-il, grâce à la révélation de l’ange, appelé Servais, ce qui signifie ‘protecteur’. C'est qu'il devait encore protéger beaucoup de gens, ainsi que son pays d’ailleurs, de grandes épreuves, comme vous l’entendrez. Il aiderait aussi notre religion, en la protégeant avec fermeté.

[Sains Servais prist l’orde de prestaige en Jherusalem] Or avint-ilh que, à temps que Valentin morut et la clergerie de Tongre de LXXII englises collegials mettit la journée de eslire uns evesque, estoit I jour alleis sains Servais en Jerusalem, por rechivoir le ordre de prestaige et le rechuit, puis s'asiet al sepulcre en faisant son orison à Dieu. Là vint à luy I angle et ly dest : « Servais, Dieu m'envoie à toy et toy commande que tu vengne awec moy ; je toy monray à Tongre Octoviane, une citeit d'Allemangne où ilh n'at nul evesque. »

[Saint Servais reçut le sacerdoce à Jérusalem] Il se fit qu'après la mort de Valentin, quand le clergé des soixante-douze églises collégiales de Tongres fixa la date de l’élection d’un évêque, saint Servais se trouvait ce jour-là à Jérusalem pour y recevoir le sacerdoce. Une fois ordonné prêtre, il s’assit près du sépulcre, en faisant sa prière à Dieu. Un ange se présenta alors et lui dit : « Servais, Dieu m’envoie à toi et t’ordonne de m’accompagner ; je te conduirai à Tongres Octaviane (cfr I, p. 274), une cité d’Allemagne, où il n’y a pas d’évêque. »

[L’angle aportat sains Servais de Jherusalem à Tongre] Sains Servais entendit l'angle, se ly respondit en mervelhant : « Je veulhe obeir al commandement de Dieu, mon creatour ». Atant l’at ly angle embrachiet, se l'emportat oultre la mere mult suef, tant que ilh vient à la citeit de Tongre, sour l'an IIIc et XXIX le XIIIe jour de may, en l'heure que les LXXII congregations de Tongre estoient assemblée por faire I evesque : et estoient devant l'auteit del engliese Nostre-Damme, sor [II, p. 65] lequeile ly baston pastorale gisoit, enssi com sains Valeriain [sic] ly evesque l'avoit mys. Si fasoient là leurs orisons, en depriant à Dieu que ilh les vosist envoier I evesque, qui bien les governast solonc la loy de Dieu.

[L’ange emporta saint Servais de Jérusalem à Tongres] Saint Servais écouta l’ange et lui répondit tout émerveillé : « Je veux obéir à l’ordre de Dieu, mon créateur ». Alors l’ange le prit dans ses bras, l’emporta très délicatement de l’autre côté de la mer, jusqu’à Tongres où ils arrivèrent le 13 mai de l’an 329, à l’heure où les membres des soixante-douze collèges étaient rassemblés pour désigner un évêque. Ils se trouvaient devant l’autel de l’église Notre-Dame, sur [II, p. 65] lequel était posé le bâton pastoral, comme l’évêque saint Valentin l’avait mis. Ils y faisaient leurs oraisons, en demandant à Dieu de bien vouloir leur envoyer un évêque qui les gouvernerait selon sa loi.

[L’angle emynat entre LXXII college devant l’ateil sains Servais à Tongre] Enssi qu'ilh estoient là, en orisons, vint là sains Servais, si entrat en l'egliese, enssi com ly sains angle le conduisoit et l'ensengnoit de faire ; et oussitoist qu'ilh fut devant l'auteit engenulhiet, adont vint ly sains angle qui prist sour l'auteit le croche et le donnat sains Servais en sa main, puis ly butat l'aneal en son doit, et apres ilh ly mist le mittre sour son chief, et se l'asseit en la chayer pontifical mult diligemment.

[L’ange amena saint Servais à Tongres, devant l’autel, au milieu des soixante-douze collèges] Tandis qu’ils étaient là en prières, saint Servais arriva. Il entra dans l’église, conduit par le saint ange qui le guidait et lui montrait que faire. Dès que Servais fut agenouillé devant l’autel, l’ange arriva, prit la crosse sur l’autel, la mit dans la main du saint, lui glissa l’anneau au doigt, lui plaça la mitre sur la tête et le fit asseoir sur le trône pontifical, tout cela d'une manière très organisée.

[Comment l’angle amministrat sains Servais de chu qu’à son digniteit apertenoit devant les canones] Apres ly angle soy departit en disant : « Rechiveis dignement vostre pastre que Dieu vos at envoiet, car vos aveis le miedre evesque de monde, dest-ilh à peuple et al clergerie, et bien sachiés qu'ilh est desquendus de la lignie Jhesu-Crist, se que vos l'honoreis, car Dieu vos l'at envoiet ; et se vos l'ameis, Dieu vos amerat. »

[Devant les chanoines, l’ange présenta la dignité de saint Servais] Ensuite, l’ange s’en alla en disant au peuple et aux clercs : « Recevez dignement le pasteur que Dieu vous a envoyé, car vous avez le meilleur évêque du monde. Sachez bien qu’il descend de la lignée de Jésus-Christ. Vous devez l’honorer, car Dieu vous l’a envoyé ; et si vous l’aimez, Dieu vous aimera. »

[Les LXXII colleges ont chanteit : Te Deum laudamus] Atant s'en partit ly angle, et la clergerie commenchat à chanteir : Te Deum laudamus. - Adont l'ont les colleges benignement recheus, si rendirent grasce à Dieu de chu que Dieu les avoit avoiet I sains pastre, se ly fisent grant reverenche, sicom leur evesque.

[Les soixante-douze collèges chantèrent le Te Deum laudamus] L'ange alors partit et les clercs se mirent à chanter : Te Deum laudamus. Les collèges accueillirent Servais avec bienveillance, rendirent grâces à Dieu de leur avoir envoyé un saint pasteur et lui manifestèrent un grand respect, comme à leur évêque.

 

Long règne (66 ans) de saint Servais à Tongres - Problèmes linguistiques qui seront miraculeusement résolus - Homme juste et bon, saint Servais mène une vie autère et fait des miracles

[II, p. 65] [Sains Servais regnat LVI ans à Tongre et III à Treit – Sains Servais parlat le droit langage de Tongre] Enssi fut sains Servais evesque de Tongre, et regnat LVI ans tou plains, anchois que les Huens destruissent Tongre. Et puis regnat trois ans à Treit, si fut mult proidhons et loial tant qu'ilh viscat, en prechant ses gens qui estoient malvais et dissolus ; car ly menus peuple soy mockoit de luy, portant qu'ilh parloit hebreu enssicom les juys, car ilh estoit yssus d'eaux. Ilh n'entendoit nient ses gens, ne ses gens ne l'entendoient mie, car ilh ne plaisoit à Dieu aultrement ; mains ilh avient que une nuit en son dormant ilh parlat nostre langue, et dedont en avant ilh parlat enssi com ilh fust neis de Tongre, dont ly peuple fut mult liies.

[II, p. 65] [Saint Servais régna soixante-six ans à Tongres et trois à Maastricht - Il parla la langue qu’on parlait à Tongres] Ainsi saint Servais fut évêque de Tongres, où il régna soixante-six ans entiers, avant que les Huns ne détruisent la ville. Ensuite, il régna trois ans à Maastricht. Toute sa vie, il fut un homme très sage et juste, prêchant à ses gens qui étaient mauvais et dissolus. Le petit peuple se moquait de lui, parce qu’il parlait l’hébreu, comme les Juifs, dont il était issu. Il ne comprenait pas ses gens et ceux-ci ne le comprenaient pas, car Dieu n’en avait pas décidé autrement. Mais une nuit, en son sommeil, il parla notre langue et, dès ce moment, la parla comme s’il était né à Tongres, ce qui réjouit beaucoup le peuple.

[Sains Servais junnoit tousjours, et quant il avoit dit messe ilh ne mangnoit tot jour altre chose, et garissoit tos malades] Sains Servais estoit si sains et proidhons, qu'ilh junoit tos les jours, et quant ilh celebroit messe, ilh ne prendoit cheli jour altre substanche que le sacrement de l'auteit ; ilh regarissoit les messeaux, contrais, aweugles, muweaux, et resuscitoit les mors par les dignes vertus de Dieu.

[Saint Servais jeûnait continuellement - Quand il avait dit la messe, il ne mangeait rien d’autre de la journée - Il guérissait tous les malades] Saint Servais était un homme si sage et si saint qu’il jeûnait tous les jours. Le jour où il célébrait la messe, il ne prenait d’autre aliment que le sacrement de l’autel. Il guérissait les lépreux, les difformes, les aveugles, les muets, et ressuscitait les morts par la puissance de Dieu

 

Saint Servais transfère le siège épiscopal de Tongres à Maastricht - Dénomination du titre de l’évêque siégeant à Maastricht

[Sains Servais translatat le siege de Tongre à Treit, mains ilhs furent todis evesques de Tongre, jusques à sains Huber, le promier de Liege] Sains Servais fut le Xe evesque de Tongre, et fist mult de bien al [II, p. 66] evesqueit et fut ly derain evesque qui regnat à Tongre, car les Huens le destrurent, enssi com vos oreis.

[Saint Servais transféra le siège de Tongres à Maastricht, mais les titulaires furent toujours évêques de Tongres, jusqu’à saint Hubert, premier évêque de Liège] Saint Servais fut le dixième évêque de Tongres et fit beaucoup de bien à [II, p. 66] l’évêché. Il fut toutefois le dernier évêque à régner à Tongres, car les Huns détruisirent la ville, comme vous l’entendrez [cfr II, p. 117-119].

Si tranlatat le siege de Tongre à Treit-sour-Mouse ; mains ilh en est altercation, car ly uns les appelle evesques de Treit cheaux qui regnarent à Treit apres sains Servais, et ly aultre les nomme tous evesques de Tongre, le siege stesant à Treit ; et chis dist bien, car Treit ne fut onques citeit, ains fut toudis, enssi qu'il est maintenant, une opide, c'est I vilhage, et puisqu'ilh ne fut onques citeit, si ne poioit avoir evesque, ains estoit li siege vaque, car Tongre estoit destruite, et par le destruction de Tongre stesoit ly evesque à Treit ; et enssi les devoit-ons appelleir evesque de Tongre, le siege estesant à Treit, de sains Servais jusques à sains Hubier, qui fut le derain de Tongre et ly promier de la noble citeit de Liege.

S'il transféra le siège (épiscopal) de Tongres à Maastricht, un point prête à discussion. Les uns appellent « évêques de Maastricht » les successeurs de saint Servais à Maastricht ; les autres parlent « d’évêques de Tongres, avec siège à Maastricht ». C’est cette dernière formule qui est exacte. Maastricht en effet ne fut jamais une cité, mais toujours, comme c’est le cas maintenant, une place-forte, un village. N'étant pas une cité, elle ne pouvait donc pas avoir un évêque. Tongres étant détruite, le siège normal restait vacant et l’évêque siégeait à Maastricht. On devait donc appeler les titulaires évêques de Tongres, le siège étant à Maastricht. Ce fut le cas de saint Servais à saint Hubert, qui fut le dernier évêque de Tongres et le premier de l’illustre cité de Liège.

 

Saint Servais à Tongres d'abord, à Maastricht ensuite : Nombreux miracles - Fondation de l’église Saint-Barthélemy de Tongres (330) - Mécontentement des Tongriens contre leur évêque, qui part pour trois ans à Maastricht, dont il était le maître spirituel (le seigneur temporel étant le duc de Lotringe) - Le comte Porus de Louvain, héritier du duché de Lotringe et guéri par saint Servais, lui offre le pouvoir temporel sur Maastricht et veut l’aider à se venger des Tongriens, mais saint Servais leur a pardonné (vers 330)

[II, p. 66] [Myracle de sains Servais] Chis evesques sains Servais commenchat fortement à prechier son peuple et faisoit Dieu tant de myracles par luy que ch'estoit grant mervelhe. Qui prendoit del aighe où il avoit ses mains laveit, ilh n'avoit maladie en monde queileconques, se mors n'y estoit, que ilh ne fust garis se unc pou en gostoit.

[II, p. 66] [Miracle de saint Servais] Comme évêque, saint Servais se mit à prêcher beaucoup à son peuple, et Dieu par son intermédiaire faisait tant de miracles que c’en était prodigieux. Celui qui prenait un peu de l’eau avec laquelle il s’était lavé les mains guérissait de n’importe quelle maladie, sauf de la mort.

[Sains Servais fondat l’englise Sains Bertremere] Item, sour l'an IIIc et XXX en mois de junne, fondat sains Servais en la citeit de Tongre une engliese en l'honeur de sains Bertremere l'apostle, car ilh estoit issus de part sa mere de la lingnie sains Bertremere. Ilh y avoit des aultres engliese de sains Bertremere sens chesti, mains ilh n'y oit nulle sy noble que cel estoit : ilh y mist XXX canoynes et unc doyen que ilh doyat mult bien et richement.

[Saint Servais fonda l’église Saint-Barthélemy] En juin de l’an 330, saint Servais fonda dans la ville de Tongres une église en l’honneur de l’apôtre saint Barthélemy, car il était issu, du côté de sa mère, de la lignée de saint Barthélemy [pas de mention en II, p. 63]. D’autres églises en l’honneur de saint Barthélemy existaient ailleurs, mais aucune n’était aussi illustre que celle qu’il fonda à Tongres. Il y installa trente chanoines et un doyen qui furent très richement dotés.

[Murmur contre sains Servais] En cel année commenchat ly peuple de Tongre à murmureir contre leur evesques sains Servais, et disoient : « C'est grant displaisanche que nos avons uns evesque qui ne sceit la governanche de nostre pays, et se ne sceit les loys et se ne vat pointe visenteir la court imperial. Ilh ne nos ferat jà bien, fours que grevanche et paine. »

[Récrimination contre saint Servais] Cette année-là [330], le peuple de Tongres se mit à murmurer contre son évêque, en disant : « Il nous déplaît beaucoup d’avoir un évêque ignorant la manière de gouverner notre pays, n’en connaissant pas les lois et ne se présentant pas à la cour impériale. Il ne nous amènera jamais de bien, rien d’autre que souffrance et peine. » (cfr II, p. 65)

[Sains Servais alat demoreir à Treit] Tant allat cel murmur, que la novelle en vient à sains Servais ; si s'absentat de Tongre et alat à Treit.Sains Servais allat à Treit demoreir, qui estoit siene, voir qui en estoit sires spirituel ; mains ly dus de Lotringe en estoit sires temporeis. Et là demorat-ilh trois ans, tant que ly peuple ly oit amendeit le meffait et faite de chu penitanche.

[Saint Servais alla habiter à Maastricht] Ce murmure se répandit et finit par parvenir aux oreilles de saint Servais, qui quitta alors Tongres et alla à Maastricht qui lui appartenait ; il en était en effet le maître spirituel, son seigneur temporel étant le duc de Lotringe. L’évêque y resta trois ans, jusqu’à ce que le peuple ait corrigé sa mauvaise attitude et fait pénitence.

[Sains Servais garist le conte de Lovay] Quant ly conte de Lovay soit le fait, sy en fuit mult corochiés, jasoiche que ilh fut payens ; si vint à Treit et parlat à sains [II, p. 67] Servais, en demandant conselhe de une grant maladie qui ly mangnoit tout le neis, et c'estoit fiste ou cranche. Mains l'evesque par le vertu de Dieu le garist tantoist. Dont ly conte Porus en oit grant mervelhe et ly presentat son poioir de luy vengier del grant displaisanche que son peuple de Tongre l’y avoit forfaite ; mains sains Servais respondit gran merchis, ch'estoient ses gens, ilh avoient esteit mal conselhiet, mains ilh estoient bien racordeis.

[Saint Servais guérit le comte de Louvain] Quand le comte de Louvain fut mis au fait, il en fut très courroucé bien qu’il fût païen. Il se rendit à Maastricht et parla à saint [II, p. 67] Servais, pour lui demander conseil à propos de la grave maladie qui lui mangeait tout le nez ‒ c'était une fistule ou un chancre. L’évêque, grâce à l’intervention de Dieu, le guérit aussitôt. Le comte Porus (cfr II, p. 53) en fut émerveillé et lui offrit de le venger du grand désagrément que lui avaient causé les gens de Tongres. Saint Servais le remercia vivement, disant qu’ils étaient ses ouailles, qu’ils avaient été mal conseillés, mais qu’ils étaient réconciliés avec lui.

[Li conte de Lovay donnat la moitié de Treit à sains Servais] Et ly conte Porus ly dest : « Sire, enssi com vos saveis, quant Raufrois ly dus de Lotringe fut mors et fineis, sy fut la ducheit de Lotringe mon droit heretaige, encors est-el temporaliteit et vos en esteis sire espirituel ; il at en la ducheit mult de vilhes, entres les aultres est Treit, que ly roy Tractulus de Tongre fondat, dont vos esteis spirituel sire ; et je vos donne la temporaliteit de la vilhe de Treit, le moitié encontre moy, por chu que vos m'aveis garis. De chu le remerchiat li evesque, car ilh avoit toudis ameit Treit et encors l'amoit-ilh.

[Le comte de Louvain donna la moitié de Maastricht à saint Servais] Le comte Porus lui dit alors : « Seigneur, comme vous le savez, à la mort de Rainfroi, duc de Lotringe, son duché me revint de droit en héritage. J’en suis encore le seigneur temporel et vous en êtes le seigneur spirituel. Ce duché compte beaucoup de villes dont Maastricht, fondée par le roi Trectulus de Tongres (cfr I, p. 441) et dont vous êtes le seigneur spirituel. Parce que vous m’avez guéri, je vous donne aussi le pouvoir temporel sur la ville de Maastricht, la moitié qui m’appartient (cfr II, p. 167). L’évêque le remercia, car il avait toujours aimé et aimait encore Maastricht .

[Sains Servais fondat Sains-Pire à Treit] Et si fondat al entrée, vers I borch, une engliese en l'honeur de Sains-Pire.

[Saint Servais fonda Saint-Pierre à Maastricht] Il fonda aussi, à l’entrée, vers un bourg, une église en l’honneur de saint Pierre [pour la suite de l'épisode de saint Servais, cfr ci-dessous II, p. 75].


 

 

F. Retour à Constantin : les événements de l’empire et de l’Église jusqu’à sa mort (331-338) (p. 67b-70a]

 

Les Huns - Les papes Sylvestre, Marc, et Jules - Autour de la mort de Constantin

 

 

Sommaire

Événements divers sous Constantin - Rome et Empire romain - Les Huns - Les papes Sylvestre et Marc - Leurs ordonnances - L’église Saint-Sauveur dans le palais du Latran (331-334)

Catastrophes - Mort du pape Marc - Élection du pape Jules (335-337)

Mort de Constantin le Grand - Le baptême de son fils Constantin - Jugement global sur la personnalité de Constantin et garants (338)

 

 

 

Événements divers sous Constantin - Rome et Empire romain - Les Huns - Les papes Sylvestre et Marc - Leurs ordonnances - L’église Saint-Sauveur dans le palais du Latran (331-334)

[II, p. 67b] [Constantin remist ches d’Athennes en tregut] Item, l'an IIIc et XXXI, oit ly emperere Constantin batalhe contre cheaux de Athenne qui estoient rebelle al empire, en laqueile batalhe ly roy Bulgos d'Athenne fut mors et XIm hommes des siens ; et les Romans perdirent VIIIm hommes, mains ilh orent victoir. Adont furent cheaux d'Athenne remis el subjection del empire.

[II, p. 67b] [Constantin soumit à nouveau les Athéniens au tribut] En l’an 331, l’empereur Constantin livra bataille aux Athéniens en rébellion contre l’empire. Le roi Bulgos d’Athènes et onze mille de ses hommes moururent. Les Romains perdirent huit mille hommes mais remportèrent la victoire. Les Athéniens retombèrent à nouveau sous la sujétion de l’empire.

Adont furent remis en la subjection des Romans tous cheaux qui y avoient oncques esteit, excepteit les Sycambiens de Galle qui encors estoient rebelles, de quen l'emperere estoit grandement dolens.

Tous ceux qui avaient été dans le passé tributaires des Romains le redevinrent, excepté les Sicambres de Gaule, encore en rébellion, ce qui affectait beaucoup l’empereur.

[De Galle] Item, l'an IIIc et XXXII, morut Merones ly dus de Galle ; sy fut dus apres luy son fis qui oit nom Anthenoir, liqueis regnat X ans.

[Gaule] En l’an 332, Merones [Marcon ?], le duc de Gaule, mourut ; son fils, nommé Anténor, devint duc après lui et régna dix ans.

[Les Huens desconfis en Hongrie] Sour l'an IIIc et XXXIII, furent les Huens desconfis en Hongrie.

[Les Huns défaits en Hongrie] En l’an 333, les Huns furent défaits en Hongrie.

En cel an fist une gallée qui durat del Sains-Simon et Sains-Jude jusqu'en marche, et ne fut oncques sy bonne année de tous biens, ne sy tempre ne vinrent à maweurteit.

Cette année aussi [333], une période de gel dura de la Saint-Simon et la Saint-Jude, jusqu’en mars. Jamais une année ne fut aussi bonne pour tous les fruits, jamais ils ne vinrent si tôt à maturité.

[Ly pape Sains-Silvestre morut] Sour l'an IIIc et XXXIIII le XIIIe jour de mois de decembre, morut à Romme Sains-Silvestre le pape : sy fut ensevelis deleis le palais Octoviain l'emperere en lieu con dist al Tieste, et puis fut translateit en l'engliese qui [II, p. 68] at nom Conventicula del dyoceise de Mode en Lombardie.

[Mort du pape saint Sylvestre] En l’an 334, le 13 décembre, le pape saint Sylvestre mourut à Rome : il fut enseveli près du palais de l’empereur Octavien, en un lieu-dit « à la Tête », puis il fut transféré en l’église [II, p. 68] appelée Conventicula, dans le diocèse de Modène en Lombardie.

 [Status papales - Del chanteir des psalmes en chour - Que les alteis soient de pires] AI temps de cesti pape, dois sains proidhons, qui furent nommeis Flaviain et Dyoscorus, ordinarent en l'egliese del dire les psalmes à dois chour, et le fisent confirmeir le pape Silvestre.

[Ordonnances papales - Les psaumes chantés en chœur - Les autels en pierre] Sous ce pape, deux saints hommes, Flavien et Dioscore, décidèrent de réciter les psaumes à l’église, avec deux chœurs, ce qu’ils firent confirmer par le pape Sylvestre.

Item, chis pape ordinat que, par toutes les englieses que ons faisoit, que ons y fesist les alteis de pire, car adont les faisoit-ons de bois, et que nuls ne celebrast à alteis de bois, se ly pape nom. Et chu faisoit-ilh por le reverenche de chu que sains Pire l'apostle et ses successeurs papes avoient celebreis à alteis de bois.

Ce pape ordonna aussi, dans toutes les églises qu’on construisait, de faire les autels en pierre (on les faisait alors en bois) et de n’autoriser personne, sauf le pape, à célébrer sur des autels de bois. Il le faisait par respect, parce que l’apôtre saint Pierre et les papes ses successeurs avaient célébré sur des autels de bois.

[Del engliese Sains-Salveur en palais de Latran à Romme] Item, l'emperere Constantin, en son palais de Latrain, à l'honeur de Jhesu-Crist, edifiat une engliese que ons nom maintenant l'engliese Sains-Salveur, al fin que nuls ne poist dire ne penseir qu'ilh ne fust vray cristien sens dobte, lequeile ly pape sains Silvestre consecrat : laqueile consecration jusques à jour d'huy, nient tant seulement à Romme mains oussy ès regions tout altour, sollempnement le celebrent le IXe jour de novembre. AI temps de laqueile consecration ly ymage de Nostre-Salveur Jhesu-Crist, nient d'ovraige humaine mains par divine inspiration [operation, dans B], s'apparut adont promier pointe en mure et encor y est al jour d'huy.

[L’église Saint-Sauveur dans le palais du Latran à Rome] Dans son palais du Latran, l’empereur Constantin édifia, en l’honneur de Jésus-Christ, une église, nommée maintenant l’église Saint-Sauveur ; il voulait que personne ne puisse dire ou penser qu’il n’était pas un chrétien vraiment sincère. Le pape saint Sylvestre consacra l’église et cette consécration est commémorée jusqu’à maintenant, non seulement à Rome, mais aussi dans les régions voisines, qui la célèbrent solennellement le 9 novembre. Lors de cette consécration, l’image de Notre-Sauveur Jésus-Christ, due non à une main humaine mais à une opération divine, apparut peinte pour la première fois sur un mur [de l’église], et y est encore aujourd’hui.

[Marcus XXXVe pape] Apres la mort le pape sains Silvestre vacat ly siege VI jour, et apres, assavoir le XIIIe jour de mois de decembre, fut consacreis à pape de Romme I cardinal qui fut nommeis Marcus, qui fut de la nation de Romme, fis de unc borgois qui oit nom Priscus, lyqueis tient le siege II ans, IX mois et XXIIII jour.

[Marc, le trente-cinquième pape] Après la mort du pape saint Sylvestre, le siège resta vacant six jours et ensuite, c’est-à-dire le 13 décembre, un cardinal nommé Marc fut sacré pape. Originaire de Rome et fils d’un bourgeois nommé Priscus, il occupa le siège pendant deux ans, neuf mois et vingt-quatre jours.

[Status que ons chantast en la messe credo] Chis pape ordinat que ly cardinal de Hostie [II, p. 69] qui consacree le pape que dedont en avant usast de pallion, et que ons chantast le Credo en la messe les dymengnes.

[Ordonnance imposant de chanter le credo à la messe] Ce pape ordonna que Ie cardinal d’Ostie [II, p. 69], qui consacrait le pape, revête désormais le Pallium, et que l’on chante le Credo à la messe, les dimanches.

[De conte de Flandre] En cel an morut Alixandre, le conte de Flandre : si regnat après luy son fis, qui oit nom Ector, XVII ans.

[Le comte de Flandre] En cette année [334] mourut Alexandre, le comte de Flandre. Son fils, qui portait le nom d’Hector, régna après lui pendant XVII ans.

 

Catastrophes - Mort du pape Marc - Élection du pape Jules Ier (335-337)

[II, p. 69] [L’an IIIc XXXV - Grant famyne et mortaliteit] Item, l'an IIIc et XXXV, oit sy grant famyne en la terre de Surie, que les gens moroient par les citeis et les vilhes subitement, et oussi en teile manere en la terre de Sezille.

[II, p. 69] [An 335 - Grande famine et mortalité] En l’an 335, une très grande famine s’abattit sur la Syrie. Les gens mouraient subitement dans les villes et les cités. Il en fut de même en Sicile.

En cel an oit en Galle grant mortaliteit et moroient les gens tout seant à tauble en gran solas, et apparoit, à cheaux qui devoient morir, sour leur neis une vessie qui estoite noire, puis moroit le jour meismes sens plus à ratendre : se durat chu IIII mois.

Cette année-là [335], il y eut une grande mortalité en Gaule. La mort frappait, alors que les gens étaient assis à table joyeusement. Ceux qui devaient mourir voyaient apparaître sous leur nez une vessie noire ; ils mouraient le jour même, sans plus attendre. Cela dura quatre mois.

[Y pluit sanc à Romme] Item, l'an IIIc et XXXVI, pluit sanc le jour del Nativiteit Jhesu-Crist, sique les gens qui passoient parmy Romme avaient leur vestimens tous vermeas ; sy en furent mult enbahis.

[Il plut du sang à Rome] En l’an 336, une pluie de sang tomba à Rome, le jour de la Nativité de Jésus-Christ, si bien que les gens qui passaient par Rome avaient leurs vêtements tout rouges ; ils en étaient tout étonnés.

Apres, l'an IIIc XXXVII le VIIe jour d'octembre, morut li pape de Romme Marcus : si fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire à Romme.

Ensuite, en l’an 337, le 7 octobre, le pape de Rome, Marc, mourut. Il fut enseveli dans l’église saint-Pierre à Rome.

[Julien pape XXXVIIe] Après sa mort vacat le siege XV jours, et puis le XXIIIe jour d'octembre fut consacreis à pape de Romme unc preistre qui fut nommeis Julien, qui fut de la nation de Romme, le fis de I vilain dont nos ne savons le nom ; et tient le siege solonc Damaise XIII ans, V mois et XX jours, et solonc Martin XI ans, II mois et VIII jours, et solonc Jerome et Prosper XVI ans, IIII mois ; et vacat ly siege XXV jour.

[Jules trente-septième pape] Après sa mort, le siège resta vacant quinze jours. Ensuite, le 23 octobre, fut sacré comme pape de Rome, un prêtre nommé Jules, originaire de Rome et fils d’un paysan dont nous ne connaissons pas le nom. Il occupa le siège pendant treize ans, cinq mois et vingt jours selon Damase, onze ans, deux mois et huit jours selon Martin, seize ans et quatre mois selon Jérôme et Prosper, avec une vacance de siège de vingt-cinq jours.

[La fieste sains Silvestre fut ordineit à celebreir] Item, l'an IIIc et XXXVIII le derain jour de mois de decembre, fut veuwe sour le tumbe le pape sains Sylvestre, qui estoit trespasseit devant le pape Marcus, une mult grant clarteit par nuit, et menoient là grant joie les angles de Dieu. Adont fut en chi propre jour ordineit à célébrer la fieste sains Silvestre, et fut enssi ordineit par les cardynals, car ilhs n'avoient encor nulls pape fait.

[On fit célébrer la fête de saint Sylvestre] En l’an 338, le dernier jour de décembre, on aperçut sur la tombe du pape saint Sylvestre, mort avant le pape Marc, une très grande clarté, en pleine nuit, avec des anges de Dieu faisant grande fête. On ordonna alors de célébrer en ce propre jour la fête de saint Sylvestre. Cet ordre émanait des cardinaux, car ils n’avaient encore désigné aucun pape.

 

Mort de Constantin le Grand - Le baptême de son fils Constantin (338) - Jugement global sur la personnalité de Constantin et garants

[II, p. 69] [L’emperere Constantin morut, qui fut ly plus beal de monde et gran hons et morut par venyn] Item, l’an IIIc et XXXVIII le XVIe jour de junne, devant la fieste sains Silvestre morut ly emperere Constantin ly gran, le fis de la royne Haleine, qui fut bon chevalier et loial, et vraie cristiain, et qui amat grandement Sainte-Engliese. Chis Constantin fut ly plus beal hons que ons sawist en monde, et estoit [II, p. 70] gran ; ilh morut de venyn que ons ly donnat, chu lyst-ons en alcuns escriptures ; et morut en Greche par-deleis Nychomediaian, et lyst-ons que en l'honeur de luy fut faite I ymaige d'homme de la grandeche de Iuy, de marbre, et fut de Constantinoble à Romme amynée awec luy en marchiet al palais de Latrain ; et fut là mis et mult subtilement assies, et encors l’y voit-ons.

[II, p. 69] [Mort par empoisonnement de l’empereur Constantin, qui fut un grand homme, le plus beau du monde] En l’an 338, le 16 juin, avant la fête de saint Sylvestre, mourut Constantin le Grand, fils de la reine Hélène. Chevalier bon et fidèle, c’était un vrai chrétien, qui aima beaucoup la Sainte-Église. C’était le plus bel homme au monde, et il était [II, p. 70] de grande taille. Il mourut d’un poison qu’on lui administra, d’après ce qu’on lit dans certains écrits. Il mourut en Grèce, près de Nicomédie. En son honneur on fit une statue d’un homme de sa taille, statue de marbre, qui fut amenée avec lui de Constantinople à Rome, sur la place du marché, au palais du Latran. C’est là qu’elle fut placée et très habilement installée. On l’y voit encore.

Et vuet-ons que en la fin de sa vie soy fist-ilh baptizier encor une altre fois, qui n'est mie à croire, car ch'est menchongne fause ; mains ilh fist bien baptizier Constantin son fis qui regnat apres luy, enssi com sains Grigoire dist en ses croniques ou en ses escrips, où ilh parolle de luy et le nomme hons de bonne memoire.

On prétend qu’à la fin de sa vie, il se fit baptiser une seconde fois. Mais il ne faut pas le croire, car c’est absolument faux. En fait, il fit baptiser son fils Constantin qui lui succéda. On peut voir aussi ce que dit saint Grégoire dans ses chroniques ou dans ses écrits, où il parle de Constantin en le qualifiant d’homme de pieuse mémoire.

[Del fieste l’emperere Constantin] En l'hystoire Tripartita ejus exitus, c'est de son yssue, true-ons les bons fais que ilh fist ; et sus le psalme où sains Ambrose dist que ilh estoit de gran merit à Dieu, et Ysidorus oussi en ses croniques qui reprove tout le mal que ons en puet dire, et dist qu'ilh morut bin awireusement. Et les Grigois l'ont escript en le cathaloge de sains, et se font grant sollempniteit de luy le XXIe jour de may.

[La fête de l’empereur Constantin] Dans l’histoire Tripartita ejus exitus (c’est sur sa mort), on trouve le récit de ses bonnes actions, ainsi que dans le psaume où saint Ambroise dit qu’il était très méritant aux yeux de Dieu. C’est le cas aussi d’Isidore dans ses chroniques, qui désapprouve tout le mal qu’on peut dire de Constantin et qui dit qu’il mourut d’une manière heureuse. Les Grecs l’ont inscrit dans le catalogue des saints, et célèbrent très solennellement sa fête le 21 mai.

 

Note importante

Comme on l'a dit en commençant, ce présent exposé sur Constantin, étant donné sa grande importance, n'est pas accompagné, comme les précédents, par un simple fichier de notes de lecture, mais développé par un groupe de fichiers indépendants, qui sont autant de dossiers de lecture. Désignés par les signes D01, D02, D03, D04, D05, D06 et D07, ils abordent chacun une série de questions particulières mais, pour faciliter le travail du lecteur, un fichier les rassemble tous en fournissant pour chacun d'eux une table des matières assez détaillée donnant directement accès aux données.

 


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