Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 250b-263a
Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)
[BCS] [FEC] [Accueil JOM] [Fichiers JOM] [Pages JOM] [Table des Matières JOM]
DERNIÈRE ALLUSION À
LA LÉGENDE ARTHURIENNE - LES MÉROVINGIENS - L'EMPIRE ET LES BARBARES - LA PAPAUTÉ - L'ÉVÊCHÉ DE TONGRES (MONULPHE) - DIVERS(Ans 553-575)
A. Ans 553-554 = Myreur II, p. 250b-251a : La papauté contre les hérétiques, dont Théodora : Le pape Pélage I sévit contre les hérétiques, excommunie l'évêque Anthime Ier et l'impératrice Théodora, qui finit en exil - Il conseille à Justinien de se séparer de Théodora - Les ossements de saint Étienne - Les Espagnols en Francie
B. An 555 = Myreur II, p. 251b-252a : Légende arthurienne (prolongation) : Des Perses détruisent Londres et s'emparent de l'épée de Tristan - Histoire de trois épées célèbres
C. Ans 556-557 = Myreur II, p. 252b-253a : Évêché de Tongres : Monulphe, évêque de Tongres, restaure à Maastricht une ancienne église qu'il dédicace à saint Barthélemy et où il place le corps de saint Servais - L'église Saint-Servais est édifiée à Maastricht en 557 de l'Incarnation - Monulphe acquiert Malines, Jupille et Chèvremont
D. Ans 567-568 = Myreur II, p. 253b-254a : Église et divers : Sept abbayes fondées par Grégoire (futur pape de 590 à 604 n.è.) - À Rome, mort du pape Pélage Ier (561 n.è.), remplacé par Jean III (561-574 n.è.) - À Toulouse, un Juif enlève une image du Christ et la profane
E. Ans 559-560 = Myreur II, p. 254b-257a : Évêché de Tongres : L'évêque Monulphe visite Chèvremont et ses églises (Notre-Dame, Saint Jean l'Évangéliste) - Description des environs - Rencontre avec le prévôt Agapet qui tient un plaid - Monulphe entend une voix et reçoit une vision concernant la fondation de Liège, à l'endroit du martyre de saint Lambert - Il découvre la rivière Légia et décide de construire une chapelle dédiée à Côme et Damien - Avec l'appui d'Agapet, Il obtient le remboursement de ce que lui devait un chevalier
F. Ans 561-563 = Myreur II, p. 257b-258a : Rois francs fictifs : On a vu plus haut (II, p. 245) que Gontran (9e roi franc) avait été remplacé en 544 de l'Incarnation par un fils imaginé par Jean et nommé Sidebert, présenté comme le 10e roi - Ce Sidebert était censé avoir deux frères, tout aussi fictifs que lui - L'aîné Herbert, après avoir régné treize ans comme 11e roi, meurt en 561. Il est remplacé sur le trône par son frère Péris, âgé de 18 ans - Ce dernier régnera comme 12e roi pendant 24 ans, jusqu'en 585 de l'Incarnation - Bretagne : les Perses en Grande-Bretagne - Les Bretons prennent le nom d'Anglais
G. Ans 564-567 = Myreur II, p. 258b-259a : Les empereurs : Justinien meurt en assiégeant Londres - Les Romains retournent à Rome avec le cadavre de Justinien - Justin II, le fils de ce dernier lui succède - Phénomène météorologique : une pluie de sang, ses effets sur les récoltes et les hosties - Les Francs de Péris en Italie : Péris, le roi franc, pénètre en Italie, défait les Romains et conquiert Rome, mais, à la demande du pape, épargne la ville et rentre dans son pays
H. Ans 568-571 = Myreur II, p. 259b-260a : Évêché de Tongres : Monulphe devient comte de Dinant - Divers : Succession au Danemark - Épisodes politiques, militaires et religieux impliquant le roi franc Péris (et/ou son prévôt Agapet) et divers peuples (Germains, Hongrois, Arméniens, etc.)
I. Ans 571-576 = Myreur II, p. 260b-263a : Papauté : Mort du pape Jean, remplacé par Benoît - Empire : Mort de l'empereur Justin II, remplacé par Tibère - Phénomènes météorologiques - Miracle lié à la date de la fête de Pâques, différente chez les Francs et chez les Espagnols de la Gascogne - Les Lombards pénètrent en Italie et envahissent même Rome, mais ils en sont chassés par l'empereur et la grâce de Dieu - Narsès se fait élire roi d'Italie à Milan par les Lombards - Liste des rois des Lombards - Divers : Le corps de saint Barthélemy est ramené d'Inde à Bénévent
A. Ans 553-554 = Myreur II, p. 250b-251a Le pape Pélage
Ier (556-561) sévit contre les hérétiques, excommunie
l'évêque Anthime Ier et l'impératrice Théodora, qui finit en exil -
Il conseille à Justinien de se séparer de Théodora - Les ossements de
saint Étienne - Les Espagnols en Francie
[II, p. 250b] [Status papales de excommengnement] Item, l'an Vc et LIII, en
mois de junne, ordinat li pape Pelages que tous cheaux qui son predicesseur pape
avoient condempneit por heresies, et par especial l'evesque Anthenas de Constantinoble
et l'emperres Theodora, le femme l'emperreur,
et tous leurs aidans, aherdans, consentans et participans, fussent priveis à tous
jours mais de la compangnie et participation de Dieu, de la Virge Marie, et de tous
les sains et [II, p. 251] saintes en chiel, et de tous cristiens en
terre, et que ons les tenist por condempneis et excommengneis
perpetuelment, et que ly emperere de Romme Justinians, soy departist
de sa femme et represist uns altre, s'ilh ly plaisoit de ly à
remarier.
[II, p. 250b] [Décisions papales d'excommunication]
En l'an 553, au mois de
juin, le pape Pélage I ordonna que tous ceux que son
prédécesseur [le pape Vigile] avait condamnés pour hérésie, et spécialement l'évêque
Anthime (cfr II, p. 231)
de Constantinople et l'impératrice Théodora, épouse de l'empereur,
et tous leurs aidants, adhérents, consentants et participants,
soient à tout jamais privés de toute fréquentation
et de tout rapport avec Dieu, la Vierge Marie et tous les
saints et [II, p. 251] saintes du ciel et tous les chrétiens sur
terre, et qu'ils soient considérés comme condamnés et excommuniés
perpétuellement ; il ordonna aussi que Justinien, l'empereur de
Rome, se sépare de sa femme et en prenne une autre, s'il lui
plaisait de se remarier.
[Li pape condemnat l’emperres perpetuelment et le desjondit de l’emperere]
Quant l'emperres Theodora soit chu, si vient il pape et li dest, s'ilh ne rappelloit
chu qu'ilh avoit fait, elle l'envoiroit en exilhe. Et li pape li fist dire par unc
garchon, portant qu'ilh ne voloit mie parleir à lée, affin que ilh ne incurrist
en la poine de sa sentenche meisme : « Dame, chu que ly Sains Peire at fait est
fait, ne jamais ne serat defait, car vos esteis à drois condampnée ; et de chu que
vos dit d'envoier le Sains Peire en exilhe, vos n'en aveis nulle poioir. Vos saveis
bien que Johans, ly grans senateur, est peire de Sains pere, et ly patris est son
oncle, et at encors pluseurs altres senateurs à oncles, et tout la fleur de Romme
est de son linaige. » Quant ly emperres entendit chu, si en alat sa voie, et ly
Sains Peire absolit le garchon de chu qu'ilh avoit parleit à Theodora.
[Le pape condamna l’impératrice à perpétuité et la sépara de
l’empereur]. Quand l'impératrice Théodora apprit cela, elle vint
trouver le pape et lui dit que s'il ne revenait pas sur sa décision,
elle l'enverrait en exil. Étant donné qu'il ne voulait pas lui parler
personnellement, pour ne pas encourir la peine de sa sentence, le
pape lui fit dire par un jeune messager : « Madame, ce que le Saint Père
a fait est fait, et jamais ne sera défait, car vous êtes légitimement
condamnée ; en ce qui concerne votre déclaration d'envoyer le pape
en exil, vous n'en n'avez aucunement le pouvoir. Vous savez bien que
Jean, le grand sénateur, est le père du Saint Père, que le patrice est
son oncle, que plusieurs autres sénateurs sont aussi ses oncles et
que toute l'élite de Rome est de son lignage. » Quand l'impératrice
entendit cela, elle s'en alla et le Saint Père tint quitte le garçon
d'avoir parlé à Théodora.
[Status papales] Apres ordinat li pape que tous cheaz, qui estoient par
li et ses predicesseurs condempneis, et tous altres heretiques, fussent dedont en
avant puniés par le pussanche de la justiche seculier ; et envoiat à l'emperere
qu'ilh soy deslongast de Theodora, sour paine de excommunication. Quant Theodora
entendit teile mandement faire à l'emperere, si s'en alat en Constantinoble habiteir,
mult dolante de chu qu'elle ne soy poioit vengier de pape.
[Décisions papales] Après, le pape ordonna que tous ceux que ses
prédécesseurs et lui-même avaient condamnés ainsi que tous les autres
hérétiques soient dorénavant soumis au pouvoir de la justice
séculière. Il envoya dire à l'empereur de se séparer de Théodora, sous peine d'excommunication. Quand elle entendit qu'un tel ordre
était donné à l'empereur, Théodora s'en alla habiter à Constantinople,
très affectée de ne pouvoir se venger du pape.
[Del invention sains Estiane prothomartyr] Item, l'an Vc et LIIII
furent troveis les ossieals de corps le prothomartyr sains Estiane, le IIIe jour
de mois d'awoust, et furent apres mis à Romme awec les osseais sains Lorent.
[La découverte de saint Étienne, le protomartyr]
En
l'an 554, le trois août, on découvrit les ossements du protomartyr saint Étienne.
Plus tard, ces ossements furent déposés à Rome auprès de ceux de saint Laurent. En cel an meismes, entrat li roy d'Espangne el royalme de Franche ; mains Agapitus,
li prevoste de Franche, vient encontre luy, si soy combattit à ly et le desconfist,
et fut li roy meismes mors, qui avait nom Atalandus.
Cette même année [554], le roi d'Espagne pénétra dans le royaume
des
Francs, mais Agapet, le prévôt (cfr
II, p. 248), vint à sa rencontre, lui livra
bataille et le défit. Le roi lui-même, Atalandus, mourut (cfr
II, p. 273). B. An 555 =
Myreur II, p. 251b-252a
Prolongement (et fin définitive) de la légende arthurienne : Des Perses
détruisent Londres et s'emparent de l'épée de Tristan - Histoire de trois épées
célèbres
[II, p. 251b]
[Les Persins destrurent Brutangne et Londre] Sour l'an Vc et LV, en
mois
de junne, vinrent en Engleterre une manere de gens qui estoient de Persie, qui destrurent
la citeit de Londre et violarent l'engliese : si emportarent mult de beals joweais,
entres lesqueis ilh emportarent l'espée qui là pendoit, qui avoit esteit le roy
Tristant de Lonnois.
[II, p. 251b]
[Les Perses détruisirent la Bretagne et Londres] En l'an 555, au
mois de juin, arrivèrent en Angleterre des gens venant de Perse qui détruisirent la cité de Londres et
en profanèrent l'église. Ils emportèrent un grand nombre de joyaux
magnifiques, parmi lesquels l'épée qui avait appartenu au roi Tristan de Léonois
et qui s'y trouvait suspendue. Sur cette épée de Tristan, on peut consulter :
J. Loth, L'épée de Tristan,
dans Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, t. 67, 2, 1923, p. 117-129, accessible sur
Persée.
[Del espée le roy Tristant]] Et ceste espée chaiit dedont en
avant ès mains des Sarasins, jusques al temps que ly roy Carahus de
Fagolesme, qui l'avoit, le donnat devant Romme à Ogier le Danois [II, p. 252] qui longtemps le portat, enssi com vos oreis
chi-apres.
[L'épée du roi Tristan] Cette épée tomba dès lors aux mains
des Sarrasins, jusqu'au temps où le roi Carahus de Fagolesme, qui la
possédait, la donna devant Rome à Ogier
le Danois [II, p. 252], qui la porta longtemps, comme vous
l'entendrez ci-après.
[Des III nobles espées] Ceste espée fut faite l'an del Incarnation IIc
et XXII, se le fist unc Sarasins qui oit nom Gallans, liqueis en fiste trois : ly
une est chil dont nos parlons, et Durendal et Joieuse. Et orent pluseurs noms, car
cascon qui les avoit li donnat unc noveal nom, fourmis Durendal : celle ne changat
onques son nom, et fut puis al roy Charle le Gran, et oussi fut Joieuse, car Ogier
le conquestat devant Romme al roy Brunalmont, à queile ilh conquist aussi Broiefort
le promier son cheval. Et donnat Ogier cel espée à Charle le Gran, si avoit à nom
adont Tremblant ; mains Charle oit si grant joie de cel espée qu'ilh le nommat Joieuse,
et por cest espée lassat Charle Durendal, et le gardat tant qu'ilh le donnat à Rollant,
le fis de sa soreur, qui mult de Sarasins en ochist, sicom vos oreis chi-apres.
Et portat Charle Joieuse toute sa vie, et apres luy l'oit Guilhem d'Orenge, le fis
Aymeris de Verbongne.
[Les trois nobles épées] Cette épée fut réalisée en l'an 222 de
l'Incarnation, par un Sarrasin dénommé
Gallans. Celui-ci fit trois épées : celle dont nous
parlons, ainsi que Durandal et Joyeuse. Elles eurent plusieurs noms, chacun de
leurs possesseurs leur donnant un nom nouveau. Seule exception, Durandal, qui n'en changea jamais. Par la
suite, Durandal appartint à Charlemagne, de même que Joyeuse, car
Ogier l'enleva devant Rome au roi Brunalmont, après lui avoir enlevé
aussi son cheval Broifort. Puis Ogier donna cette épée à Charlemagne ; elle s'appelait
alors Tremblant(e) ; elle causa une si grande joie à Charles, qu'il la nomma Joyeuse, et
abandonna Durandal, qu'il avait gardée jusqu'au moment où il la donna à Roland, le fils
de sa soeur. Roland tua avec elle de nombreux Sarrasins, comme vous
l'entendrez ci-après. Charles porta Joyeuse toute sa vie ; après
lui, elle appartint à Guillaume d'Orange, le fils d'Amaury de
Narbonne.
Apres, deveis savoir que ly espée Tristant fut de promier nommée Braimant, et
puis le nommat Carahus Courtaine, qui à Ogier le donnat, et chu fut son derain nom.
Apres, deveis savoir que Gallans mist IX ans à faire ches trois espeez, et ne savons
comment ilh les faisoit, et de toutes les trois estoit Braymant li melheur, li plus
grant, large et pessant.
De plus, vous devez savoir que l'épée de Tristan fut d'abord nommée
Braimant ; elle fut ensuite appelée Courtaine par Carahus, qui la
donna à Ogier ; ce fut son dernier nom. Vous devez savoir aussi
que Gallans mit neuf ans à faire ces trois épées, et nous ne savons
pas comment il procédait. Braimant était la meilleure
des trois, la plus grande, la plus large et la plus
lourde.
Mains quant Gallans les oit faites, si les volt esproveir en son
englomme d'achier : si entrat Braymant si parfont en l'englomme, que
ilh brisat piet et demi de long, tant fut franque ; si fut plus
court des altres demi piet, car elle estoit devant plus long unc
piet. Puis fut encore brisié la pointe que Gallans y refist : se le
brisat Tristant en la tieste Morehote, roy d'Yrlande, à cuy Tristant
soy combatit, et ly demorat la pieche en la tieste de unc doit de
long ; et celle fut trop plus large que Durendal ne Joieuse.
Après les avoir terminées, Gallans voulut les tester sur son enclume d'acier.
Braimant pénétra si profondément l'enclume qu'il la brisa sur un pied et demi de
long, tant elle était puissante. Elle fut raccourcie d'un demi-pied par rapport
aux autres, alors qu'auparavant elle les dépassait de la longueur d'un pied. Par
après, sa pointe refaite par Gallans fut encore brisée par Tristan qui en frappa
la tête du roi d'Irlande, Morhoult, contre qui il se battait. Un morceau, long
d'un doigt, resta dans la tête du roi. Braimant était beaucoup plus large que
Durandal et Joyeuse
(cfr aussi, sur ces trois épées, Myreur,
III, p. 37-38). C. Ans 556-557 =
Myreur II, p. 252b-253a
Monulphe, évêque de
Tongres, restaure à Maastricht une ancienne
église qu'il dédicace à saint Barthélemy et où il place le corps de
saint Servais -
L'église Saint-Servais est édifiée à Maastricht en 557 de
l'Incarnation - Monulphe acquiert Malines, Jupille et Chèvremont
Note : sur cet évêque Monulphe, cfr l'article de Régis de la
Haye, Que sait-on de saint Monulphe ?, dans Bulletin de la
Société Archéologique d'Eure-&-Loir, n° 79, 2003, p. 14-15,
accessible
sur la Toile.
Monulphe, évêque de Tongres, restaure à Maastricht une vielle
église qu'il dédicace à saint Barthélemy et où il place le corps de
saint Servais
[II, p. 252b] [Monulphe fist l’engliese sains Bertremeir à Treit]
Sour l'an Vc et LVI
impetrat à roy d'Austrie et de Neustrie, qui oit nom Herbier, ly evesque de Tongre
Monulphe, privilege del porfaire une engliese à Treit, qui devant estoit faite ;
et le fist abatre et le redifiat plus grant asseis, et y mis
XL canoynes nobles, et le dedicasat en l'honeur de sains Bertremeir.
Si fist mettre le corps sains Servais en une capse, dedens le crote deldit engliese,
et y donnat grandes rentes des rentes que sains Domitiain avoit
[II, p. 253] reconquesteit.
[II, p. 252b] [Monulphe fit construire l'église Saint-Barthélemy à
Maastricht] En l'an 556, l'évêque de Tongres Monulphe demanda au
roi d'Austrasie et de Neustrie, nommé Herbert (cfr II, p.
248 ; p. 257), le privilège
de restaurer à Maastricht une ancienne église. Il la fit abattre et la reconstruisit beaucoup plus
grande. Il y installa quarante chanoines nobles et la dédicaça à
saint Barthélemy. Dans la crypte de cette église, il fit placer le
corps de saint Servais enfermé dans une châsse et il donna à l'église
une bonne
partie des rentes récupérées [II, p. 253] par saint Domitien
(cfr II, p. 234ss). Cet Herbert (Herbier) serait-il le 11e roi
des Francs, frère et successeur de Sidebert, 10e roi des Francs,
mentionné en II, p. 248 ?
Nous les avions alors considérés comme des personnages
fictifs ? L'église Saint-Servais édifiée à Maastricht en 557 de
l'Incarnation
[De sains Servais. De l’engliese Sains-Servais] Et deveis savoir que
sains Servais avoit jut en l'engliese Sains-Pire à Treit cent et LXIX ans. Enssi
fut faite li engliese Sains-Servais à Treit, l'an Vc et LVII le IXe jour de mois
de jule.
[Saint Servais. L'église Saint-Servais] Et vous devez savoir que
saint Servais avait reposé en l'église Saint-Pierre à Maastricht
pendant cent soixante-neuf ans. Et en 557, le neuvième jour du
mois de juillet, l'église Saint-Servais fut édifiée à Maastricht. L'évêque Monulphe acquiert Malines, Jupille et Chèvremont
[Monulphe acquit Marlin, Jupilhe et Cyvremont]
En cel an estoit
ly conte Randas de Dynant malaides, si l'alat visenteir ly evesque
Monulphe, son fis ; et ilh trovat là Guyon, le duc d'Ardenne, qui
voloit empronteir al conte Randas milh libres de gros. Et ly evesque
li dest : « Sire cusin d'Ardenne, vos saveis que j'ay deleis moy
plus d'argent que mon pere le conte n'at, si vos en presteray, s'ilh
vos plaist, enssi com je diray : se vos la ville de Marlin
voleis vendre, qui vos fait pou de profit, que vostre
anticesseurs roys de Tongre jadit li fut acquis et conquis al conte
de Flandre, par une pais faite entre eaux remanit al roy de Tongre,
et vos esteis sires temporeis del royalme de Tongre, si apartient
del tout à vos ».
[Monulphe acquit Malines, Jupille et Chèvremont]
Cette année-là
[557],
le comte Randas de Dinant tomba malade et son fils, l'évêque
Monulphe, alla lui rendre visite ; c'est là qu'il rencontra Guyon, le duc
d'Ardenne, qui désirait emprunter au comte Randas mille livres
de gros [monnaie d'argent du XIIIe siècle]. L'évêque lui dit : « Sire cousin d'Ardenne,
vous savez que je dispose de plus d'argent que mon père le comte, et si
cela vous agrée, je vous en prêterai aux conditions que je vous dirai :
vous voulez vendre la ville de Malines, dont vous tirez peu de profit,
ville acquise jadis par vos ancêtres rois de Tongres, enlevée au comte de Flandre ;
en vertu d'un accord entre eux, elle appartient au roi de Tongres, et vous êtes
le seigneur temporel du royaume de Tongres, qui vous appartient totalement ».
« Apres vos aveis Chyevremont le casteal qui siet asseis pres de
chi, et Jupilhe la vilhe, qui est la chambre de roy d'Austrie. Se
tout chu voleis vendre, je l'achateray. » Et li dus respit : « Par
sains Pire, cusin, oilh, car j'ay besongne d'argent ; vos aureis
tout chu, por milh libres de gros vos aureis tout chu que je y ay,
car tout est miens hiretaublement, reserveit le droit del roy
d'Austrie qui tient à Jupilhe et à Chyevremont les plais, et est ly
palais royal d'Austrie. » Et dest ly evesque : « Je retieng le
marchandie, alons devant le roy d'Austrie. »»
« En outre, vous possédez le château de Chèvremont, situé près d'ici
et la ville de Jupille, siège des plaids du roi d'Austrasie. Si vous
voulez vendre tout cela, je l'achèterai. » Et le duc répondit :
« Par saint Pierre, oui, mon cousin, car j'ai besoin d'argent ;
vous aurez tout cela, pour mille livres de gros, vous aurez tout ce que
j'y possède, car tout est à moi, par héritage, excepté le droit qu'a
le roi d'Austrasie, de tenir à Jupille et à Chèvremont les plaids
dans le palais royal d'Austrasie. » Et l'évêque dit : « Je retiens
le marché ; allons devant le roi d'Austrasie. »
Atant sont chevalchiet à Mes, et là furent faites les oevres
royales, et là paiat ly evesque Monulphe al duc son argent : enssi
vient Marlin, Jupilhe et Chyevremont à l'engliese de Tongre, qui le
tient mult longement. Et cest aquest fut faite l'an Vc LIX ; mains
je l'ay compteit en ordre, si revenray à ma matere. Alors ils chevauchèrent jusqu'à Metz, où furent accomplies les
formalités royales, et l'évêque
Monulphe paya son argent au duc. C'est ainsi que Malines, Jupille et
Chèvremont revinrent à l'église de Tongres, qui les conserva très
longtemps. Cette acquisition fut réalisée en l'an 559. Je l'ai
exposée à sa place. Maintenant je reviendrai à ma matière. D. Ans 567-568 =
Myreur II, p. 253b-254a
Sept abbayes fondées par Grégoire (futur pape de
590 à 604 de notre ère) - À
Rome, mort du pape Pélage Ier (en 561 de notre ère), remplacé par Jean
III
(561-574 de notre ère) - À Toulouse,
un Juif enlève une image du Christ et la profane, un mort
miraculeusement ressuscité
Note : Jean d'Outremeuse passe provisoirement de l'an 559 à
l'an 567 de l'Incarnation pour une digression.
[II, p. 253b] [Sains Grigors fondat VII abbies] En l'an Vc et LVII estoit à Romme unc
jovenes hons qui fut nommeis Grigoire, qui edifiat en cel an en la royalme de Sezile
VI abbies et la VIIe à Romme, en laqueile ilh soy fist moyne, et y menat mult sainte
vie unc long temps, jusques à tant qu'ilh fut esluis por eistre pape de Romme.
[II, p. 253b] [Saint Grégoire fonda
sept abbayes] En l'an 567 vivait à Rome
un jeune homme nommé Grégoire, qui édifia cette année-là dans le royaume de
Sicile six abbayes et en fonda une septième à Rome, où il devint moine ;
pendant longtemps, il y mena une vie très sainte jusqu'à son élection comme pape de Rome.
[Johans,
li LXIIIIe pape de Romme] En cel an, le XIIIIe jour de septembre,
morut le pape de Romme Pelage, si fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire. Et, trois
jours apres, fut consacreis à pape de Romme Johans li IIIe de chi nom, qui estoit
unc preistre reclus de la nation [II, p. 254] de Romme, le fis d'on noble
hons qui fut nommeis Anastauz, lyqueis tient le siege
XIII ans IX mois et XXVIII jours.
[Jean, 64e pape de Rome] Cette
année-là (567), le quatorze septembre, le pape de Rome, Pélage Ier, mourut et
fut enseveli dans l'église Saint-Pierre. Trois jours plus tard,
Jean, le troisième de ce nom, fut consacré pape de Rome ; c'était un
prêtre cloîtré, provenant [II, p. 254]
de Rome, fils d'un noble nommé Anastase. Il occupa le siège
pontifical durant treize ans, neuf mois et vingt-huit jours.
[Del ymaige que li Juys ferit et sangnat] Item, l'an Vc et
LVIII, le VI jour de may, emblat unc Juys demorant en la citeit de Tholous le
ymaige Jhesu-Crist en une engliese ; et, quant ilh le tient, se prist unc cuteal
et le ferit trois grans cops et parfons. Et apres ilh issit de l'engliese, et le
quidat porteir en son maison por ardre en unc feu ; mains, quant ilh vient al
cleir jour fours de l'engliese, ilh soy regardat et soy veit tout ensangleteit
del sanc qui habundamment issoit des plaies qu'ilh avoit fait à cel ymaige. Et
quant ilh veit chu, se le responit en unc lieu obscure et tenebreux dedens l'engliese, affin
que ilh ne fuist decheus ; mains chu
ne ly valoit, car I cristien estoit dedens l'engliese qui le veit, se le
prist par le geule et commenchat à crieir : « Prendeis,
saingnours, le faux mourdreur qui at murdrit l'ymaige Nostre-Sangnour qui estoit
à cel alteit. » Et, quant li peuple entendit chu, si vient acorant ; mains
ly Juys prist son
cutel et ferit le promier qui le tenoit, si l'ochist, puis soy mist al fuir, et
ly peuple le siwit, se fut pris et rameneis en l'engliese.
[L'image frappée par un Juif saigna] En l'an 568, le sixième
jour de mai, un Juif qui demeurait dans la ville de Toulouse enleva
une image de Jésus-Christ dans une église ; quand il l'eut en mains,
il prit un couteau et en frappa profondément l'image de trois grands coups. Ensuite, il sortit de l'église et pensa
emporter l'image dans sa
maison pour la brûler. Mais quand il
sortit de l'église en plein
jour, il se regarda et se vit tout couvert du
sang qui sortait abondamment des plaies qu'il avait faites à cette
image. Quand il s'en aperçut, il déposa l'image
à l'intérieur de l'église,
dans un endroit obscur et ténébreux, pour n'être pas découvert ; mais cela ne
lui servit à rien, car un chrétien qui se trouvait dans l'église le
vit, le saisit par le cou et se mit à
crier : « Seigneurs, saisissez le fourbe meurtrier qui a
blessé l'image de Notre-Seigneur, qui
se trouvait sur cet autel. » Quand le peuple entendit cela, il
accourut. Alors le Juif prit son couteau, frappa le premier chrétien qui le
tenait et le tua. Ensuite il se mit à fuir, suivi par le peuple qui
le rattrapa et le ramena dans l'église.
[Ledit ymaige resuscitat l’homme] Puis alarent à l'auteit où
ly ymaige avoit esteit ostée, si trovarent à grant fuison de sanc ; si suyrent la traiche
qui les menat droit à lieu où ly Juys avoit l'ymaige response, et le trovarent tout
desangletée par les plaies ; puis vient unc preistre qui prist l'ymaige et le jondit
à cel homme cuy ly Juys avoit ochis, si resuscitat tantoist. Et les cristiens prisent
le Juys, si le lapidarent et le cotalharent si laidement fours del engliese, que
ilh fut fais de luy plus de milhe pieches.
[L'image ressuscita l’homme] Après quoi les gens se
dirigèrent vers l'autel d'où l'image avait été enlevée et y trouvèrent du sang à
profusion. Ils suivirent la trace qui les mena directement à l'endroit où le
Juif avait déposé l'image, et la découvrirent toute couverte du sang des
plaies reçues. Alors un prêtre vint, prit l'image et la posa sur l'homme tué par le
Juif, lequel ressuscita aussitôt. Les chrétiens s'emparèrent du Juif et,
hors de l'église, ils le lapidèrent et le frappèrent
de leurs couteaux si affreusement qu'ils le réduisirent en plus de mille morceaux.
E. Ans
559-560 = Myreur II, p. 254b-257a
Évêché de Tongres : L'évêque
Monulphe visite Chèvremont et ses églises
(Notre-Dame, Saint Jean l'Évangéliste)
- Description des environs - Rencontre avec le prévôt Agapet qui
tient un plaid - Monulphe entend une voix et reçoit une vision
concernant la fondation de Liège, à
l'endroit du martyre de saint Lambert -
Il découvre la rivière Légia et décide de construire une chapelle dédiée à Côme et
Damien - Avec l'appui d'Agapet, Il obtient le remboursement de ce que lui devait un chevalier
Note : Après cette brève digression,
Jean d'Outremeuse revient à l'an 559 de l'Incarnation et aux
événements du diocèse de Tongres.
[II, p. 254b] [Monulphe alat visenteir Cyvremont] Item, l'an Vc et LIX avoit fait les
oevres li evesque Monulphe par devant le roy d'Austrie, et avoit rechuit la possession,
sycom dit est, al duc d'Ardenne de Marlines, Jupilhe et Chyvremont. Si li plaisit
d'aleir visenteir son castel de Chyvremont, qui estoit beals et fors et seioit sour
une haulte montangne, deseur une vilhet qui estoit nommeis Vaux, et asseis pres
estoit Chaynée que ons nommoit adont la vilhe Sains-Materne. Et seioit le castel
entre I bois et une petit riviere qui là coroit, mult delitable
et rade, que ons nommoit Vesdre ; et la roche sour quoy seioit le castel estoit
mult forte, haulte et roiste, et estoit enclous vers Occident d'altres montangnes
et de grans bois ; et vers medis estoit la riviere de Mouse unc pau lonche, où la
petit riviere de Vesdre, et une altre que ons appelloit [II, p. 255]
Ourte qui vint d'altre costeit del Tilve et Meriwe, soy firent en Mouse crombement
et lentement. Et sembloit que ilh fust
pres, mains qui regardoit vers Orient ilh veioit qui grandement eslongoit les montangnes.
[II, p. 254b]
[Monulphe alla visiter Chèvremont] En l'an 559, l'évêque
Monulphe avait fait les démarches nécessaires
auprès du roi d'Austrasie, et, comme cela a été dit (II, p. 253),
il avait obtenu
du duc d'Ardenne
la possession de Malines, de
Jupille et de Chèvremont. Il eut alors l'envie d'aller visiter sa place forte de
Chèvremont, belle, fortifiée et située sur une hauteur, surplombant une ville appelée Vaux ; c'était
près de Chênée, appelée alors la ville de saint Materne. La place forte était située
entre un bois et une petite rivière, qui coulait là, très charmante et vive,
portant le nom de Vesdre. La roche sur laquelle elle était
construite était très ferme, haute et raide. Elle était entourée, vers
l'ouest, par d'autres collines et de grands bois ; vers le sud, un peu
loin, se trouvait la Meuse, dans laquelle la petite Vesdre et une autre rivière
appelée [II, p. 255] Ourthe, venant de l'autre côté, de Tilff et de Méry,
viennent se jeter en décrivant un circuit sinueux
et lent. Cela semblait tout proche mais, si l'on regardait
vers l'Est, on voyait que les montagnes étaient très éloignées.
[Des englieses de Chyevremont] Et avait en chis castel II englieses :
une en l'honeur Nostre-Damme et l'autre en l'honeur de sains Johans ewangeliste,
et en cascon avait XXX canoynes. Et al defours de castel, al piet del montée, avait
une capelle de sains Cosme et sains Damien freres ; et estoit chis castel maintenant
del evesqueit de Tongre, enssi com dit est, excepteit une saule que ly prevoste
d'Austrie y avoit por tenir ses plais, et ilh li plaisait.
[Les églises de Chèvremont] Il y avait dans cette place forte deux
églises : l'une en l'honneur de Notre-Dame, et l'autre dédiée à
saint Jean l'Évangéliste ; chacune d'elles était desservie par
trente chanoines. Et à l'extérieur de la forteresse, au pied de la montée,
se trouvait une chapelle dédiée aux frères saint Côme et saint Damien.
Cette place forte est maintenant, comme cela a été dit,
la propriété de l'évêque de Tongres, à
l'exception d'une salle réservée au prévôt d'Austrasie pour y tenir
ses plaids, ce qui lui plaisait.
« Aux époques mérovingienne et carolingienne, un
plaid (en latin placitum) est une cour publique ou une assemblée où un
souverain, ou un comte le représentant, prend conseil auprès d'aristocrates,
appelés barons ou vassaux, sur les affaires de son État ou de son domaine »
(Wikipédia)
[De commenchement del capelle Sains-Cosme et Saine-Damien et de Liege] A cel
jour estoit là Agapitus, ly prevoste d'Austrie, qui tenoit ses plais, et ly
evesques y aloit por avoir droit de chevalier qui estoit sires de Geldre, qui
tenoit des hiretaiges obligiés anchienement al evesqueit de Tongre en certains
rentes ; de chu soy plaindit li evesque al prevoste, et li prevoste li
donnat lettres sailée de son seial, qui commandoit à
chevalier del faire à l'engliese chu qu'ilh devait.
[Les débuts de la chapelle Saint-Côme et Saint-Damien et de Liège]
Ce jour-là, Agapet, le prévôt d'Austrasie (cfr
II, p. 248),
était présent et tenait ses
plaids. L'évêque était là pour obtenir justice d'un
chevalier, le seigneur de Gueldre, qui détenait en héritage des rentes qui,
anciennement, étaient dues à l'évêché de Tongres.
L'évêque s'en plaignit au prévôt, qui lui donna une lettre scellée
de son sceau, ordonnant au chevalier de payer à l'église ce qu'il devait.
[Del crois ardant qui chaït du ciel - Vision de Liege et de sains Lambert]
Atant soy partit li evesque de ses hommes ; mains enssi qu'ilh vint al desquendant
de castel où la capelle estoit, si desquendit et soy engennulhat devant la capelle,
en faisant son orison à Dieu et aux dois freres martyres. Si avint droit ensi qu'ilh estoit en orison, ly vint une lumire et clarteit
al oelh ; si soy drechat en regardant vers le ciel, si voit une crois ardant chair
de ciel aval à terre, en unc gran fons de unc bois, et une vois dest alle evesque :
« Sour la riviere que ons nomme Liege, poras troveir le sains lieu que Dieu at
esluit par le salvement de mult de vrais proidhons, en queile lieu, al ocquison
d'on sien servant qui là serat martyrisiet, serat fondée une des nobles citeis de
monde. Et serat chis martyr evesque de Tongre, et chis qui le succederat en l'evesqueit
edifierat la citeit, et serat le chief de tout le paiis, enssi com Tongre fut jadit. »
[La croix brûlante qui tombe du ciel - Apparition de Liège et de saint Lambert]
Alors l'évêque prit congé de ses gens ; mais
quand, venant de la place forte, il arriva
à l'endroit où se trouvait la chapelle, il
descendit de sa monture et s'agenouilla pour adresser son oraison à
Dieu et aux deux frères martyrs. Et, tandis qu'il était en prières, une
lumière d'une grande clarté apparut brusquement devant ses yeux. Il se redressa,
regarda vers le haut et vit une croix brûlante tomber du ciel vers la
terre, au creux d'un bois. Une voix lui dit alors :
« Sur la rivière qu'on nomme Legia, tu pourras trouver le lieu sacré
que Dieu a choisi pour le salut de nombreux
hommes de bien, l'endroit où, suite au martyre d'un de ses
serviteurs, sera fondée une des plus illustres cités du
monde. Ce martyr sera un évêque de Tongres, et celui qui lui
succédera sur le trône épiscopal construira la cité et sera à la
tête de tout le pays, comme Tongres le fut jadis. »
Monulphe ly evesque racomptat tout chu à ses gens chu que li vois li avoit dit,
et en l'honeur de sains Cosme et sains Damien, en cuy orison ilh avoit veyut sy
beal myracle, là ly crois estoit chayue ilh edifieroit une capelle, et si n’aresteroit
jamais si auroit troveit le lieu où elle [II, p. 256] estoit chayue.
L'évêque Monulphe raconta à ses gens tout ce que la voix lui avait dit. il
ajouta que, pour honorer saint Côme et saint Damien à qui il adressait des
prières au moment où il vit ce si beau miracle, il construirait une chapelle là
où la croix était tombée. Il dit aussi qu'il ne s'arrêterait pas avant d'avoir
trouvé [II, p. 256] l'endroit où elle était
tombée.
Si s'en
vient à chevalchant tout parmy le bois, qui grans estoit et longs, car ilh duroit
de Treit jusques à Huy, et de Chyvremont jusqu'à Tongre. Et tout altour toutes les
vilhetes estoient enclous de bois, et parmy chi bois alloit ly evesque querant la
riviere qu'ilh demandoit, si passoit tout de costé se ne le cognissoit, car la vois
li avoit dit une riviere, et chu estoit I riwesel. Enssi qu'ilh passoit en lieu
où li Marchiet de Liege est maintenant, et veioit le riwe qui là coroit naturelment,
se ne quidoit mie que chu fust cel riwe.
Il chevaucha à travers les bois, qui étaient grands et étendus,
de Maastricht jusqu'à Huy, et de Chèvremont jusqu'à
Tongres. Et tout autour, les villages étaient entourés de
bois, que l'évêque parcourait en cherchant la rivière qu'il
voulait trouver, passant à côté d'elle sans la reconnaître, car la voix avait
parlé d'une rivière, et ce n'était qu'un ruisseau. Tandis qu'il
passait à l'endroit où se trouve maintenant le Marché de Liège, voyant le ruisseau qui coulait naturellement à cet endroit, il ne pensait pas qu'il
s'agissait du cours d'eau en question.
Adont dest li evesque que ilh yroit à la riviere de Mouse, qui passoit là asseis
pres par son court naturel tout parmy le bois, en lieu que ons dist maintenant :
al Vivir et al pont des Arches, et venoit de Huy si aloit à Treit ; mains enssi
qu'ilh soy devoit departir, vint là unc pasturel qui avoit nom Buchart, qui gardoit
agneals et berbis, dont ly une par le sart estoit venue al riwe por boire, et soy
miroit en l'aighe, et tant qu'elhe chaiit en l'aighe. Li pastoreal le voit, se
dest : « Orde morie,
Liege vos at acrepeit ;
se je ne fusse, vos fuissiés noiés. »
Alors l'évêque décida de se diriger vers la Meuse, dont
le cours naturel passait très près de là à travers les bois, au
lieu-dit maintenant le Vivier et le pont des Arches ; ce cours d'eau venait
de Huy et allait à Maastricht. Au moment où il devait partir,
arriva un berger dénommé Bouchar, qui gardait des moutons et des
brebis. Une de celles-ci était venue à travers les taillis jusqu'au
ruisseau pour boire ; elle se mirait dans l'eau, si bien qu'elle tomba
dans le ruisseau. Le berger la vit et dit : « Sale bête,
la Légia t'a attirée ; si je n'avais pas
été là, tu te serais noyée. »
[Monulphe trovat la crois - La chapelle Sains-Cosme et Sains-Damiens fut fait
à Liege] Quant li evesque entendit chu que ly pasturel avoit dit, si entendit
que ch'estoit la rivier qu'ilh demandoit ; si quist tot altour unc bonier tant,
que vers occident ilh trovat tout l'herbe ars et brulée en crois ; si desendit et
soy engennulhat, et fist à Dieu son orison, puis dest que là vorat edifiier une
capelle, et plantat là des estaiches tout à la grandeur de la crois, qui tenoit
cent piés de long et de large, et retournat ariere à Treit, et si mandat des ovrieres
et fist faire la capelle Sains-Cosme et Sains-Damien en bois sour la riviere de
Liege, et le dedicassat. Et y chantat la promier messe, et ordinat que ly, et tous
les evesques qui venroient apres luy, y chantassent messe toutes les samaines I
fois ou II. Et y fist uns heremitaige où les heremites demoroient, qui gardoient
la capelle et les aournemens à chu apartinant. Et n'avoit nulle habitacle ne demoraige
en chis bois que cheli jusques à Ains et à Molins, et à Tyleur et à Chaynée, Embour
et à Jupilhe.
Celle capelle fut bien gardée jusques al temps sains Lambert qui là
fut martyrisiiet, à cuy ocquison la citeit de Liege et l'engliese fut apres depart
sains Hubert fondée, enssi com vos oreis chi apres.
[Monulphe trouva la croix - Il fit construire la chapelle
Saint-Côme et Saint-Damien à Liège] Quand l'évêque entendit ce
qu'avait dit le berger, il comprit que Legia était le nom de la rivière qu'il souhaitait trouver ;
il chercha dans les alentours sur l'étendue d'un bonnier, et
soudain, vers l'ouest, il trouva une croix dessinée par de l'herbe brûlée.
Il descendit
de sa monture, s'agenouilla, fit à Dieu son oraison, puis déclara qu'il
voudrait construire une chapelle à cet endroit. Il y planta des
poteaux de la grandeur de la croix, mesurant cent pieds de long et
de large, puis il retourna à Maastricht. Il envoya des ouvriers et
fit construire, sur la rivière Legia, une chapelle en bois qu'il
dédicaça à saint Côme et à saint-Damien. Il y
chanta la première messe et décida que lui-même et tous les évêques
qui lui succéderaient, y chanteraient la messe une ou deux
fois par semaine. Il y fonda aussi un ermitage où restaient les ermites
chargés de garder la chapelle et les ornements qui s'y trouvaient. Et ce bois,
s'étendant jusqu'à Ans et Molins, Tyleur et Chênée, Embourg et
Jupille, ne comportait ni construction ni habitation.
Cette chapelle fut conservée jusqu'au temps du martyre de saint
Lambert à cet endroit. Suite à cela, comme vous l'entendrez, saint Hubert
fonda la ville de Liège et l'église.
[II, p. 257] Item, l'an Vc et LX requist ly evesque Monulphe al chevalier,
qui tenoit les terres de li et de son engliese obligiet en certains rentes hiretables,
par le forche de ses lettres qu'ilh avoit del prevoste d'Austrie ; mains ilh n'en
volt riens faire, si le mandat li evesque al prevoste qui en fut corochiet, et vint
à grans gens sour le chevalier et le destruite, et donnat tous les biens qu'ilh
avoit à l'evesque et à son engliese.
[II, p. 257] En l'an 560, l'évêque Monulphe
requit du chevalier
(cfr II, p. 255) qui détenait de lui et de son église des terres astreintes à certaines rentes
héréditaires. Il se basait sur la force des
lettres du prévôt d'Austrasie qu'il avait en sa possession. Mais le chevalier ne
voulut rien faire. L'évêque le fit savoir au prévôt, qui en fut irrité et
marcha avec beaucoup de gens contre le chevalier. Il le détruisit et donna tous
ses biens à l'évêque et à son église . F. Ans 561-563 =
Myreur II, p. 257b-258a
Rois francs fictifs et Bretagne
Rois francs fictifs (suite) :
On a vu (cfr II, p. 245) que
Gertrans/Gontran (9e roi) avait été remplacé en 544 de
l'Incarnation par un fils imaginé par Jean et nommé Sidebert,
présenté comme 10e roi - Ce Sidebert était censé avoir deux
frères, tout aussi fictifs que lui (cfr
II, p. 248) - L'aîné Herbert, après
avoir régné treize ans comme 11e roi, meurt en 561 de
l'Incarnation (II, p. 252).
La première notice du présent passage nous apprend qu'Il
est remplacé sur le trône par son frère Péris, âgé de 18 ans, lequel
régnera comme 12e roi pendant 24 ans, jusqu'en 585 de
l'Incarnation
Bretagne : les Perses en Grande-Bretagne - Les Bretons
prennent le nom d'Anglais
Note générale sur les rois francs fictifs On a rencontré à plusieurs reprises dans le
Myreur, un
personnage ambigu que Jean appelle Gertrans, qu'il présente
comme le 9e roi franc, et qui semble être une réplique du
Gontran historique, un des fils de Clotaire Ier. Ce Gontran
historique a régné pendant près de 30 ans, de 561 n.è. (date de la
mort de Clotaire Ier) à 592 n.è. (date de sa mort à lui, Gontran).
Mais cette
réplique potentielle du Gontran historique, Jean d'Outremeuse, dans la
chronologie qu'il suit (celle de l'Incarnation), la fait mourir en 544
(II, p. 245).
Une anticipation de 48 ans qu'il tentera de combler en imaginant une
descendance fictive de Gontran, composée de plusieurs rois francs, en
l'occurrence un 10e roi, Sidebert, « âgé
de quatre ans, qui règne trois ans et meurt à l'âge de sept ans»
(II, p. 245 toujours). Quelques
pages plus loin, en II, p. 248, on apprend qu'il meurt en
juin 548,
à Paris à l'âge de huit ans (au lieu des 7 signalés précédemment). Heureusement ce
jeune Sidebert avait deux frères, dont l'aîné s'appelait Herbert
et était âgé de six ans. Le cadet, qui avait un an de moins,
s'appelait Péris.
Herbert, l'aîné, remplace donc son frère Sidebert et règne treize
ans comme onzième roi franc, ce qui, selon Jean en tout cas, nous
porterait en 561 de l'Incarnation, en II, p. 257b, au début du
présent passage, qui place en mai 561 la mort à dix-huit ans du roi
Herbert, devenu un très
bon chevalier. C'est son frère Péris qui
lui succède comme 12e roi franc, à l'âge de dix-huit ans, ce
qui est un rien surprenant, car les deux frères se suivaient d'un an.
Mais peu importe, Péris fut un bon chevalier et régna durant
vingt-quatre ans, ce qui nous porte à l'an 585 de l'Incarnation. Ces vingt-quatre
années de règne de Péris (de 561 à 585) seront remplies par Jean avec
beaucoup d'événements.
[II, p. 257b] [De roy franchois Peris li XIIe roy]
Sour l'an Vc et LXI en mois de may morut ly roy Herbers de Franche, qui estoit
mult bons chevalier devenus ; si avoit XVIII ans d'eaige, et fut ensevelis en
l'egliese Sains-Vincens de Preis. Apres luy fut coroneis à roy de Franche son
frere Peris, qui avoit XVIII ans d'eiage, et fut bon chevalier et regnat XXIIII
ans : chis roy Peris fist, le promier an qu'ilh fut coroneis, mult regrandier la
citeit de Paris ; mains la citeit qui fut devant edifiié demorat en sa fourme,
et chu que Peris y fist nom ons la vilhe de Paris. Et fut chis Peris ly XIIe roy
de Franche.
[II, p. 257b] [Péris, 12e
roi franc] En l'an 561, au mois de mai, mourut le roi Herbert de Francie (cfr
II, p. 252),
devenu un très bon chevalier ; il avait dix-huit ans et fut
enseveli en l'église Saint-Vincent des Prés. Après lui fut couronné
roi son frère
Péris, âgé de dix-huit ans ; il fut un bon chevalier et
régna durant vingt-quatre ans. La première année après son
couronnement, ce roi Péris agrandit considérablement la cité de
Paris ; mais la cité édifiée là auparavant garda sa forme, et
ce qu'y fit Péris est ce qu'on nomme la ville de Paris. Ce Péris
fut le douzième roi franc.
Item, l'an Vc LXII fondat à Romme ly pape Johan une engliese, en l'honeur de
sains Philippe et sains Jaque freres et apostles. En l'an 562, le pape Jean fonda une église en l'honneur des frères
et apôtres saint Philippe et de saint Jacques.
[Brutangne fut destruit par les Persiens] ltem, l'an Vc et LXIII en mois
de junne vint en la Grant-Brutangne li fis le roy de Persie, qui estoit
Sarasins, et le destruit mult laidement et le conquist tout ; et onques ne soy
defendit ly roy Tauris, ains soy lasat ochire mult chaitivement dedens Carlon.
Adont s'asemblarent tous les Bretons qui estoient descendus des Englois coweis,
qui là vinrent habiteir, sicom dit est. Si tenoient por eaux en
la citeit Dorchiestre, et vinrent contre les Persiens, et livrarent à eaux si grant
batalhe que pres furent les Persiens desconfis. De quoy li fis le roy de Persie,
qui oit nom Goudemant, s'en vint à eaux et les fist traire ariere, et fist cesseir
leurs estours, puis leurs demandat queils gens ilh estoient. Et ilh dessent qu'ilh
vinrent promier dedens Brutangne, por aidier les Brutons contre les Danois, et quant
les Danois furent desconfis ilh demorarent en Brutangne, portant que ly paiis leurs
sembloit bons, et encors ilh ne soy renderoient [II, p. 258] jà à ly por
à morir.
[La Bretagne fut détruite par les Perses] En l'an 563, en juin,
le fils du roi de Perse, un Sarrasin, vint en Grande-Bretagne qu'il dévasta
affreusement avant de la conquérir entièrement. Le roi Tauris ne se défendit
jamais mais se laissa misérablement tuer à Carlisle
(Caerleon) (cfr
II, p. 171 et
182).
Alors tous les Bretons, descendants des Anglais à queue, qui s'étaient installés là,
comme cela a été dit (cfr II, p. 146-147), se rassemblèrent.
Ils se tenaient dans la cité de Dorchester (cfr
II, p. 280) et marchèrent contre les
Perses, leur livrant une bataille si importante que ces derniers
furent presque vaincus. Suite à cela, le fils du roi de Perse,
appelé Goudemant, marcha contre eux et les fit reculer.
Il mit fin aux combats, puis leur demanda qui ils étaient. Ils répondirent
qu'ils étaient d'abord venus en Bretagne pour aider les Bretons
contre les Danois, puis, qu'après la défaite des Danois, ils étaient
restés dans le pays, parce qu'ils l'avaient trouvé agréable. Ils ajoutèrent
qu'ils ne se rendraient [II, p. 258] jamais à lui,
dussent-ils en mourir.
[Coment Brutons furent nomeis Englés] Adont dest Godemont : « Saingnours,
vos esteis cristiens et je suy sarasins ; mains encordont se vos voleis eistre à
mon acorde, portant que je n'ay troveit en cel paiis nulles gens qui soy soient
defendus, se vos nom, je vos feray une grant bonteit, car
je vos lairay le vostre part de la terre, et encors plus se prendre le voleis, se
vos me voleis rechivoir à roy et lassier joiir de l'autre remanant de la terre.
Et laray mon propre nom, et prenderay por vostre amour le nom de vos, qui dites
que ons vos a toudis nommeis Englés ; si seray tout mon vivant nommeis Englé, et
tout le royalme Engleterre, en la signefianche que de vos vint et at pris son nom. »
Quant les Englés oirent chu, si soy sont acordeis et le rechurent à roy ; si en
fut roy plus de vint ans, et estoient Sarasins et enssi ses gens. Enssi fut Brutangne
nommée Engleterre à tous jours, et remanirent Sarasins I pau.
[Les Bretons furent appelés Anglais] Alors Goudemant
déclara :
« Seigneurs, vous êtes chrétiens et je suis sarrasin ; toutefois
si vous voulez vous accorder avec moi, puisque dans ce pays je n'ai
trouvé personne qui se défende, sinon vous, je vous ferai une
grande faveur. En effet, je vous laisserai votre part du territoire, et
plus encore si vous le voulez, à la condition que vous consentiez à
me reconnaître comme roi et à me laisser jouir du reste du territoire.
J'abandonnerai mon propre nom et, par amour pour vous, je prendrai le vôtre. Vous
dites qu'on vous a toujours appelés Anglais ; et bien, toute ma vie on
m'appellera Anglais, et on appellera tout le royaume Angleterre, pour bien signifier
que c'est de vous que le pays a pris son nom. » Quand les Anglais entendirent cela,
ils furent d'accord et le reconnurent comme roi. Il le resta plus de
vingt ans, et il était Sarrasin, comme ses gens. Ainsi, la Bretagne fut nommée
définitivement Angleterre et ses habitants restèrent Sarrasins pendant quelque temps. G. Ans 564-567 =
Myreur II, p.
258b-259a
Les empereurs : Justinien meurt en
assiégeant Londres - Les Romains retournent à Rome avec le cadavre de Justinien
- Justin II, le fils de ce dernier lui succède - Phénomène météorologique :
une pluie de sang, ses effets sur les récoltes et les hosties - Les Francs de
Péris en Italie : Péris, le roi franc, pénètre en Italie, défait les
Romains et conquiert Rome, mais, à la demande du pape, épargne la ville et
rentre dans son pays
[De l’emperere qui conquist les Englés] L'an Vc LXIIII envoiat l'emperere
Justinians par tout son empire assembleir ses hommes, et montat sour mere et vint
en Engleterre, se les commenchat à destruire ; mains ly roy Englé le corit sus,
et là oit navreis des II parties sens nombre de gens ; mains en la fin furent les
Englés desconfis, et s'enfuirent en la citeit de Londre. Et l'emperere l'assegat,
et y seit pres de XIIII mois, assavoir jusques al VIIe jour de novembre l'an apres
Vc LXV. Adont aloit l'emperere entour la citeit, si fut trais d'on espringal, si
morut. Et adont furent les Romans mult desconforteis et si soy deslogarent, et en
ralarent vers Romme, et remportarent l'emperere mort qui fut mult noblement ensevelis.
[L’empereur qui conquit les Anglais] En l'an 564, l'empereur Justinien fit assembler
des hommes dans tout son empire et prit la mer pour se rendre en Angleterre. Il se
mit à la dévaster, mais le roi anglais lui livra bataille. Il y eut des deux côtés
d'innombrables blessés. Finalement les Anglais furent vaincus et
s'enfuirent pour se réfugier dans la cité de Londres. L'empereur assiégea
la ville, durant quatorze mois, c'est-à-dire jusqu'au sept novembre de l'année
suivante, en 565. Alors l'empereur, qui faisait le tour de la
ville, fut frappé par un boulet lancé par un engin de siège et mourut. Alors les Romains,
très découragés, levèrent le siège et retournèrent à
Rome, en emportant le cadavre de l'empereur, qui fut très
honorablement enseveli.
mourut : Justinien Ier le Grand, devenu
empereur en 527 n.è., est bien mort à Constantinople en 565 n.è, mais dans son lit. Il n'a jamais été combattre en Angleterre.
Son successeur est Justin II (565-578 n.è.), mais il était le neveu et non
le fils de Justinien, qui ne laissa pas de postérité. Il sera suivi de Tibère II
Constantin (578-582 n.è.), puis de Maurice (582-602 n.è.)
[Justiens emperere de Romme li LVIIe]
Apres chu XXII jours, fut fais emperere Justiens ly secon de chi
nom, qui estoit fis à l'emperere Justinians, Iyqueis regnat VII ans III mois et
II jours.
[Justin, 57e empereur de Rome] Vingt-deux jours après,
Justin, le second de ce nom, fils de l'empereur Justinien, fut nommé empereur
et régna sept ans, trois mois et deux jours.
[Ilh plut sang et furent tos frus roges] Item, l’an Vc et LXVI en mois
d'avrilh plut-ilh sang, de none jusqu'al nuit, et en estoient les terres toutes
roges et les bleis et herbes et tous fruis d'arbes, et tous les altres frus,
queilcunques qu'ilh fust, furent tous roges com sang, et tous les pains qui
furent fais des bleis de cel année furent tous roges. Et portant fut-ilh
defendus que les hostes, desqueils ons devoit dire messe, et cheaux que
ons donnoit aux sollempniteis aux cristiens, fussent fais des bleis
del année passée, qui estoient belles.
[Il plut du sang et tous les fruits furent rouges] En l'an
566, en avril, une pluie de sang tomba, de la neuvième heure jusqu'à la nuit ; toutes les terres étaient rouges,
ainsi que les blés, les herbes et tous les fruits sur les arbres. Tous
les autres fruits, quels qu'ils fussent, devinrent rouges comme
du sang et tous les pains faits à partir des blés de cette année
furent rouges. C'est pourquoi il fut ordonné que les hosties
qui devaient servir à la messe et qu'on donnait aux chrétiens
lors des célébrations solennelles, soient faites à partir de blés de l'année
précédente, qui étaient de beaux blés.
[Franchois ont desconfis les Romans] Item, l'an Vc et LXVII muet grant
guere [II, p. 259] entre l'emperere de Romme et le roy Peris de Franche ; et
entrat ly roy de Franche en Ytaile à grant gens, et ly emperere vint contre luy
et le corut sus ; si fut grans ly estour qui fut là commenchiés, mains les Romans
furent desconfis et en fut ochis XIIm, et ly roy perdit VIIc Franchois, et fut ly
emperere abatut II fois en cest batalhe depart le roy Peris, de quoy ilh fut mult
corochiet.
[Les Francs ont vaincu les Romains] En l'an 567, se déroula une
grande guerre [II, p. 259] entre l'empereur de Rome et le roi
franc Péris. Ce roi pénétra en Italie avec des troupes importantes. L'empereur marcha
contre lui et l'affronta. Grand fut le combat qui commença alors.
Les Romains furent battus et comptèrent douze mille
tués ; le roi perdit sept cents hommes et, au cours de la
bataille, l'empereur fut deux
fois renversé par le roi Péris, ce qui
l'irrita beaucoup. Le contenu de cette notice et des notices
suivantes est difficile à rattacher à un événement historique.
[Romme fut assegiet et conquestée par les Franchois] Adont fut Romme
assegié des Franchois, et ly paiis là altour laidement gasteit depart le prevoste
de Franche Agapitus, qui gastat tout le paiis jusques aux plains de Lombardie. Adont
fut Romme mult formynée, si criarent les Romans, qui en Romme estoient, à l'emperere
qu'ilh ysist fours por combatre aux Franchois, ou ilhs soy renderoient al roy de
Franche et le feroient emperere.
[Rome fut assiégée et conquise par les Francs] Alors Rome fut
assiégée par les Francs, et tout le pays alentour fut affreusement
mis à mal par le prévôt franc Agapet (cfr II, p. 255), qui le dévasta jusqu'aux plaines de
Lombardie. Alors Rome fut très menacée,
et les Romains qui étaient à l'intérieur de la ville crièrent à
l'empereur de sortir pour combattre les Francs. Sinon, dirent-ils, ils
se rendraient au roi franc et le nommeraient empereur. Quant l'emperere entendit chu, si assemblat ses hommes et issit fours, et corut
sus les Franchois qui si bien soy defendirent, que les Romans furent encors desconfis.
Et fut Romme conquestée par les Franchois, sy entrarent dedens ; mains ly pape vint
encontre eaux, et priat al roy Peris que ilh vosist sa citeit lassier sens destrure,
en l'honeur de Dieu.
Quand il entendit cela, l'empereur rassembla ses hommes, sortit de
la ville, et courut à l'assaut des Francs, lesquels se défendirent
si bien que les Romains furent encore battus. Rome fut conquise par
les Francs, qui y pénétrèrent. Mais le pape vint à leur rencontre
et pria le roi Péris, au nom de Dieu, de bien vouloir laisser sa
cité sans la détruire.
Quant Peris veit le pape, si desquendit de son cheval et soy mist en
genols par-devant li ; mains ly pape le levat sus par le main, et ly
roy li dest : « Sire sains peire, por l'amour de vos
iistt Romme
salvée et m'en riray en Franche ; et se vos ne fussiés, je l'euwis
tout destruite. » Et ly pape mult l'en remerchiat. Adont fist ly roy
Peris tous ses hommes issir fours de Romme, et si logat aux champs
jusques al matinée, qu'ilh soy retrahit vers Franche tout droit.
Quand Péris vit le pape, il descendit de cheval et s'agenouilla
devant lui. Le pape de la main le fit se relever et le roi
lui dit : « Sire saint Père, par amour pour vous, Rome est
sauvée. Je repartirai en pays franc ; mais si vous n'aviez pas été
là, j'aurais détruit entièrement la ville. » Le pape l'en remercia
beaucoup. Alors le roi Péris fit sortir de Rome toutes ses troupes et campa dans
la campagne jusqu'au matin, avant de repartir directement dans son pays.
H. Ans 568-571 =
Myreur II, p. 259b-260a
Monulphe devient comte de Dinant - Succession au Danemark - Épisodes
politiques, militaires et religieux impliquant le roi franc Péris (et/ou son prévôt
Agapet) et divers peuples (Germains, Hongrois, Arméniens, etc.)
[II, p. 259b]
[Monulphe fut conte de Dynan] Item, l'an Vc et LXVIII en mois de junne,
morut Randas ly conte de Dynant, qui fut peire à l'evesque de Tongre Monulphe, et
n'avoit plus d'enfant ; si vint la conteit de Dynant à l'evesque, et si fut conte
de Dynant, mains ilh le donnat perpetuelment à l'engliese de Tongre. Adont vint
Monulphe à Dynant, si fist les exeques de son peire mult noblement, et apres les
exeques ilh revint à Treit.
[II, p. 259b] [Monulphe fut comte de Dinant] En l'an 568, au mois de juin,
Randas, le comte de Dinant mourut. Il était le père de l'évêque de Tongres,
Monulphe, et n'avait pas d'autre enfant. Le comté de Dinant revint donc à
l'évêque, qui fut ainsi comte de Dinant et fit don pour toujours de ce
comté à l'église de Tongres. Monulphe vint alors à Dinant, célébra très
honorablement les obsèques de son père, puis retourna à Maastricht.
[Des Danois] Item, l'an Vc et LXIX, morut Prian li roy de Dannemarche,
si regnat apres luy son fis Ector XXXVIII ans.
[Les Danois] En l'an 569, le roi Priam de Danemark mourut, son
fils Hector lui succéda et régna trente-huit ans.
[Ly roy franchois conquist mult de paiis] En cel an alat ly roy Peris
de Franche à grans gens en Germaine, si mettit en tregut la conteit de Viane, et
Frise, et Suaure, puis vint en Hongrie où ilh oit batallhe al roy Priant qui mult
li fist de male ; mains en la fin ilh l'encachat de son paiis, et mist unc balhier
en Hongrie.
[Le roi franc conquit de nombreux pays] Cette année-là, le
roi franc Péris partit en Germanie, avec des
forces nombreuses, imposa le tribut au comté de Viane, à la Frise
et à la Souabe, puis il se rendit en
Hongrie, où il s'opposa au roi Priam dans un combat
qui lui donna beaucoup de mal ; mais finalement il chassa Priam de son pays et installa un bailli en
Hongrie.
[Franchois ont desconfis les Herminiens et prisent baptesme]
Puis montat
sor mere por aleir en Espangne, mains ly vens le jettat en Hermenie, si prist terre
et commenchat le paiis à gasteir ; mains ly roy Brehas ly vient à l'encontre
[II, p. 260] et soy combattit à ly : là oit batalhe qui fut dure et
pessante, car les Hermeniens defendirent eaux et leurs terres contre les
Franchois. Mains li roy Peris portoit une gisarme que ons nomme altrement une
espafut d'achier, si en feroit à diestre et à seniestre, et abatoit tant
de gens que cascon le fasoit voie, et passat tout oultre la batalhe, dont ilh ly
fut pres mescheus, car li roy le suyt et awec luy VI chevaliers, et ly vint al devant
se le corut sus ; mains quant ly roy Peris le voit, si soy fiert en eaux et ochist
le promier, et le secon, et le thier, et les altres s'enfuirent ; mains ly roy Peris
prist le roy en fuiant, et l'abrechat, sy l'estrendit si fort qu'ilh li crevat le
cuer, si chaiit mors à terre. Et les Hermeniens soy misent al fuir com desconfis,
et soy rendirent et prisent baptemme, et chu fut l'an Vc et LXX en mois de jule.
[Les Francs ont vaincu les Arméniens,
qui reçurent le baptême] Ensuite, il (Péris) prit la mer pour se
rendre en Espagne, mais le vent le jeta en Arménie, où il débarqua
et se mit à dévaster le pays. Le roi Bréhas vint lui faire
face [II, p. 260] et le combattit.
La bataille fut dure et éprouvante, car les Arméniens se
défendirent, eux et leur terre, contre les Francs. Le roi Péris
portait une guisarme d'acier, appelée aussi espadon (cfr
II, p.
106), avec laquelle il frappait à droite
et à gauche, abattant tellement de gens que tous le laissaient passer.
Il traversa tout le champ de bataille, ce qui lui fut presque fatal.
Car le roi (Bréhas) le suivit, accompagné de six chevaliers, lui fit
face et fonça sur lui. Mais quand le roi Péris les vit,
il courut vers eux et tua le premier chevalier,
puis le second, puis le troisième, tandis que les autres prenaient la
fuite. Mais Péris rattrapa le roi qui fuyait,
l'embrocha, le serra si fort qu'il lui creva le coeur et le laissa
mort, jeté à terre. Alors les
Arméniens se mirent à fuir, comme des vaincus ; ils se rendirent et
reçurent le baptême. Cela eut lieu en l'an 570, au mois de juillet.
[Hongrois destruent Austrie, mains li prevost les desconfist] Enmetant
que Peris estoit oultre mere, si revint ly roy de Hongrie en son paiis à grant gens,
et ses hommes soy rendirent tantoist à ly et ochisent leur balhier, puis vint ly
roy hongrois en Austrie et gastat grandement le plat paiis ; mains adont estoit
Agapitus, li prevost de Franche, à Jupilhe en palais royal, si alat encontre les
Hongrois et les corut sus l'an deseurdit en mois de septembre, si furent les Hongrois
tous ochis, et ly roy meisme y fut mors. Adont s'enfuit son fis Jonadab en Hongrie,
et soy fist coroneir à roy, et regnat XXV ans.
[Les Hongrois détruisent l'Austrasie, mais le prévôt les défait]
Pendant que Péris était outre-mer, le roi de Hongrie revient dans son pays avec
de nombreuses troupes. Les habitants se rendirent
aussitôt à lui et tuèrent leur bailli. Le roi hongrois vint alors en
Austrasie et dévasta violemment le plat pays. Cependant, à ce moment-là, Agapet,
le prévôt franc (cfr II, p. 248), se trouvait au palais royal de Jupille ; il marcha contre
les Hongrois et les attaqua en septembre de l'an signalé ci-dessus (569).
Les Hongrois furent tous tués et le roi lui-même mourut. Alors, son fils
Jonadab (Jonacob, cfr II, p. 275) s'enfuit
en Hongrie et se fit couronner roi. Il régna vingt-cinq ans.
Apres revint Peris par dechà mere, si arivat en Espangne, et oit aux Espangnois
trois batalhes ; mains les Espangnois furent toudis desconfis, et Peris y perdit
tant de gens que ilh n'y osoit plus demoreir, ains revient à honneur en Franche,
si rentrat en Paris l'an Vc et LXXI en mois de may, si fut mult fiestoiet de son
prevoste et de ses gens.
Ensuite Péris revint d'outre-mer, arriva en Espagne, et trois
batailles eurent lieu contre les Espagnols. Ceux-ci furent à chaque
fois vaincus mais Péris perdit tant d'hommes qu'il n'osa plus rester
en Espagne. Il revint couvert d'honneur en Francie et rentra dans
Paris, en mai de l'an 571, où il fut beaucoup fêté par son prévôt
et ses gens. I. Ans
571-576 = Myreur II, p. 260b-263a
Papauté :
Mort du pape Jean, remplacé par Benoît -
Empire : Mort de l'empereur
Justin II, remplacé par Tibère - Phénomènes météorologiques -
Miracle lié à la date de la fête de Pâques, différente chez les
Francs et chez les Espagnols de la Gascogne - Les Lombards pénètrent en Italie
et envahissent même Rome, mais ils en sont chassés par l'empereur
et la grâce de Dieu -
Narsès se fait élire roi d'Italie à Milan par les Lombards - Liste
de rois lombards - Le corps de saint Barthélemy est ramené d'Inde à Bénévent
Quelques dates repères données dans notre
système chronologique : Jean III (pape 561-574 )
- Benoît Ier (pape 575-579) - Pélage II (pape
579-590) - Justinien
Ier (empereur d'Orient 527-565) - Justin
II (empereur d'Orient 565-578) - Tibère II Constantin (empereur d'Orient 578-582) Mort du pape Jean, remplacé par Benoît - Mort de l'empereur
Justin II, remplacé par Tibère - Guerre entre Danois et Hongrois -
Fortunat - saint Vaast
[II, p. 260b] En cel an, en mois de jule le XV jour, morut à Romme li pape Johans,
si fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire : chis pape restaurat les cymiteires
des sains martyres. Al temps de cheli pape escript Fortunes, le noble poiete
qui estoit neis d'Ytaile, et vint à Tour où ilh fist le vie et les giestes de
sains Martin, evesque de Tour, et apres ilh fut fais evesque de Poitier.
[II, p. 260b] Le quinze mai de cette année [571], le pape Jean
mourut à Rome et fut enseveli dans l'église Saint-Pierre. Ce pape fit
restaurer les cimetières des saints martyrs. C'est à son époque que Fortunat,
l'illustre poète né en Italie, vint à Tours, où il rédigea la vie et
les exploits de saint Martin, évêque de Tours, puis de Poitiers.
[Benois pape ly LXVe] Apres le mort le pape Johan vacat li siege III mois
et X jours, puis fut consacreis unc moyne mult proidhons qui oit à nom Benois, qui
fut fis d'on noble hons qui oit nom Bonifache le prinche de [II, p. 261]
Candie, et fut ly promier de cel nom ; sy fut de la nation de Romme et tient le
siege IIII ans II mois et XVIII jours. Et altrepart est escript III ans I mois et
VIII jours.
[Benoît, 65e pape] Après la mort du pape Jean, le
siège pontifical resta vacant durant trois mois et dix jours, après
quoi fut consacré pape un moine très sage, nommé Benoît, fils d'un noble, Boniface,
prince de [II, p. 261] Candie. Il fut le premier à porter ce nom.
Originaire de Rome, Benoît siégea quatre ans, deux mois et dix-huit jours.
Ailleurs, on lit trois ans, un mois et huit jours.
Apres l'an Vc LXXII morut Waux evesque d'Aras. Ensuite, l'an 572, mourut Vaast,
l'évêque d'Arras.
[Gerre entre Danois et Hongrois] En cel an avoit grant guerre entre le
roy de Hongrie et le roy de Dannemarche, et orent grant batalhes ensemble où ilh
perdirent bien XXVIIm hommes ; et al derain ilhs fisent pais entres eaux, car ilh
dessent, se li roy Peris savoit le discorde entre eaux, que ilh venroit conquesteir
leur paiis.
[Guerre entre Danois et Hongrois] En cette même année [572], une
grande guerre opposa le roi de Hongrie et celui de Danemark. Lors
des combats qu'ils se livrèrent, ils perdirent au moins
vingt-sept mille hommes. Finalement, ils firent la paix, se disant que
si le roi Péris connaissait leur discorde, il viendrait
conquérir leur pays.
[Tybier emperere ly LVIIIe] En cel an, le thier jour de mois de marche,
morut ly emperere de Romme Justiens, si fut apres esluis et coroneis son fis Tybier,
li secon de cel nom, lyqueis regnat X ans III mois et IX jours, et solonc Martin
VII ans.
[Tibère, 58e empereur] En cette même année [572], le 3
mars, l'empereur de Rome Justin II mourut. Après lui, son fils Tibère, second de
ce nom, fut élu et couronné. Il régna dix ans, trois mois et neuf jours, mais
sept ans selon Martin. Les
Lombards : Origine de leur nom - Ils pénètrent dans l'Empire
romain et en Italie
[II, p. 261] [Porquoy ons les apellet Lombars] En cel année fut fait I grant assemblée
en Lombardie, car Narses, ly patris de Romme, avoit, à cel temps l'emperere Justiens,
gueroiet les Lombars qui habitoient adont en Germaine ; si estoit acordeis à eaux
et les avoit enconvent le royalme d'Ytaile et le paiis qui auroit le siege à Melant
et à Pavie, si les avoit amyneit amont à la novelle coronation de l'emperere.
[II, p. 261] [Pourquoi les Lombards sont appelés ainsi]
Cette année-là [572],
une grande assemblée se tint en Lombardie, car Narsès, le patrice de Rome, sous
l'empereur Justin, avait fait la guerre aux Lombards, qui habitaient alors en
Germanie. Il avait conclu un accord avec eux et leur avait promis le royaume
d'Italie et le pays qui aurait son siège à Milan et à Pavie.
Il les avait ainsi amenés
au récent couronnement de l'empereur.
Et les apeloit-ons Lombars por les barbes qu'ilh avoient plus longes que
nulles altres nations de gens, sique ons les nommat longes barbes, si les
acoustummat-ons à nommeir por chu Lombars.
On les appelait 'Lombards', parce qu'ils avaient des barbes plus longues
que les hommes des autres nations. C'est pourquoi on les appela longues barbes, et on s'habitua à les nommer Lombards.
Nos avons bien parleit chidevant de paiis de Lombardie, qui n'estoit mie
encors Lombardie ; mains nos le nommons enssi por mies avoir la cognissanche del
paiis à cascon.
Nous avons parlé ci-dessus du pays de
Lombardie, qui n'était pas encore la Lombardie. Toutefois nous
l'appelons ainsi pour que chacun ait une meilleure connaissance du
pays.
Cel assemblée fut l'an Vc LXXIII, et estoit bien des Lombards LXm hommes ; si
sont entreis en Rommenie et en Ytale et le gastarent mult.
Cette assemblée eut lieu en 573, et les Lombards
étaient bien soixante mille. Ils pénétrèrent dans l'Empire romain et en Italie où ils
firent beaucoup de dégâts.
Comme on l'a dit plus haut en
II, p. 171, c'est en 568 n.è. que
les Lombards ont envahi en masse l'Italie, y provoquant des dommages importants.
Sur les ravages lombards à l'époque du pape Benoît Ier (575-579 n.è.), dont il
va être question dans une des notices de la présente page
p. 262 (ils prennent et pillent Rome; le pape Benoît en
meurt de douleur ; ils en sont chassés par l'empereur), cfr C. Sotinel dans
Dictionnaire de la Papauté, Paris, 1994, p.
198-199 : « La pression exercée par les Lombards est si
forte que l'auteur du Liber pontificalis parle de siège ». Les
Lombards vont désormais beaucoup intervenir dans le récit de Jean.
On les retrouvera
dans plusieurs notices du tome II : en
II, p. 265
(ils tentent d'envahir la Gaule, sans succès) ; en
II, p. 266 (ils
assiègent Rome mais sont battus ; Tibère est
tué par eux) ; II, p.
274-275 (les Lombards vainqueurs à Orléans, exemptés du tribut par Clotaire,
défaits en Aquitaine) ; en II,
p. 359-360 (Pépin II attaque les Lombards en Lombardie mais sont
défaits par leur roi Grimoald et par une ruse) ;
en II, p. 362
(ravagée par les Perses) ; en
II, p. 386 (Charles
Martel) ; en II, p. 432-433 (Lombards
de Liutprand défaits devant Rome par l'empereur Théodose ; son fils, Léonce
Samson, dévaste la Lombardie et reçoit la couronne impériale) ; en
II, p. 433-434 (ossements de saint
Augustin apportés à Pavie par Liutprand) ;
en II, p. 464 (le pape
Zacharie, 741-752 n.è. fait la paix avec les Lombards) ; en
II, p. 484 (Pépin III et l'empereur
aident le pape dans sa guerre contre les Lombards et imposent la paix) ; en
II, p. 512-514 (Charlemagne bat à
Pavie les Lombards d'Aistulf, lequel sera finalement tué) ; en
II, p. 527 (orage et tremblement
de terre). Nous n'avons pas mentionné les notices présentes dans les autres
tomes du Myreur.
Les Lombards ont effectivement joué un
grand rôle dans l'Histoire. Sur le sujet, Jean pouvait disposer d'une abondante
documentation, notamment L'histoire des Lombards, écrite
par Paul Diacre au VIIIe siècle (cfr Paul Diacre. Histoire des
Lombards, trad. François Bougard, Turnhout, 1994, 206 p. [Miroir du Moyen
Âge). Paul Diacre est d'ailleurs une des sources dont se réclame nommément Jean
d'Outremeuse (I, p. 2). Cette Histoire des Lombards, qui mêle mythes et
réalités, va des origines scandinaves jusqu'à la mort du roi lombard, Liutprand
(712-744 n.è.) qui marque en quelque sorte l'apogée du royaume. En
s'arrêtant à ce règne, Paul Diacre évite de parler des défaites lombardes des
trois décennies suivantes (devant les Francs de Pépin le Bref et de Charlemagne)
et de mentionner la chute du royaume lombard en 774. Digressions : Phénomènes météorologiques - Miracle lié à
la date de la fête de Pâques, différente chez les Francs et chez les Espagnols
de la Gascogne
En cel an fut veue l'estoile cavelue, et mult de diverses signes en
ciel.
Cette année-là [573], l'étoile chevelue et de nombreux signes
apparurent dans le ciel.
[Miracle del celebration del Pasque] Item, l'an Vc LXXIIII, celebrarent
les Franchois la sollempniteit del Pasque le XIIIIe kalende de may, et les Espangnois
de la royalme de Cascongne le XIIe kalende d'avrilh, si dessent les Franchois que
les Espangnois n'avoient mie bien fait leur pasque, et les Espangnois dessent le
contraire ; mains ilh fut proveit par divine myracle que les Franchois avoient bien
celebreit et nient les aultres, car ilh avoit uns fons en Espangne enqueis ons baptisoit
les enfans, qui tous les ans estoient par myracles troveis plains de novelle aighe,
si furent troveis vues le jour del Pasque aux [II, p. 262]
Espangnois, et furent troveis plains aux Franchois.
[Miracle de la célébration de Pâques] En l'an 574, les Francs
célébrèrent la solennité de Pâques le quatorzième jour après les calendes de
mai, et les Espagnols du royaume de Gascogne, le douzième jour des calendes
d'avril. Les Francs dirent que les Espagnols n'avaient pas bien fait leurs
Pâques, et les Espagnols dirent le contraire. Mais un miracle divin prouva que
c'étaient les Francs, et non pas les autres, qui avaient bien célébré Pâques. Il
y avait en effet en Espagne des fonts où l'on baptisait les enfants, des
fonts qui tous les ans se trouvaient miraculeusement remplis d'eau
fraîche. Et le jour de Pâques, on les trouva vides chez les [II, p. 262]
Espagnols et pleins chez les Francs. Retour aux
Lombards : Ils envahissent même Rome - Le pape Benoît
(575-579 n.è.) en meurt de douleur - Ils sont chassés de Rome par l'empereur et la
grâce de Dieu
[Lombars assegent Romme et le gangnent]
Item, l'an Vc LXXV en mois d'avrilh,
fut la citeit de Romme assegié par LXm Lumbars ; mains ly emperere envoiat letres
par toutes ses paiis, si assemblat ses gens à une liwe pres de Romme, puis vient
devant Romme et corut sus les Lombards en mois d'awoust. Mult forte fut la batalhe,
et durat del matinée jusqu'à vespre, mains en la fin furent les Romans desconfis.
Et quant cheaux qui estoient en Romme veirent chu, ilhs ovrirent leurs portes et
quidarent aidier ; si en furent honis, car les Lombars entrarent en Romme et le
desrobarent tout.
[Les Lombards assiègent Rome et en font la conquête]
En l'an 575,
au mois d'avril, la cité de Rome fut assiégée par soixante mille
Lombards. L'empereur envoya des messages dans tous les
pays qu'il contrôlait, rassembla ses hommes à une lieue de Rome, puis
arriva devant la ville et,
au mois d'août,
fonça sur les Lombards. La
bataille, éprouvante, dura du matin jusqu'au soir et finalement
les Romains furent battus. Quand ceux qui étaient à l'intérieur virent cela, ils ouvrirent les portes et cherchèrent à les aider.
Mais ils furent rejetés : les Lombards entrèrent dans Rome et la
pillèrent entièrement.
[Li pape morut de grant doleur] Quant li pape Benois entendit que Romme
estoit gangnié, si corrit devant son alteit et soy mist en affliction, en priant
Dieu de si grant cuer qu’ilh morut ; si fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire.
Et fut chu l'an deseurdit le IIe jour de mois de jenvier.
[Le pape mourut de douleur] Quand le pape Benoît apprit que Rome était
aux mains des Lombards, il courut à son autel et, plongé dans
l'affliction, il pria Dieu de si grand coeur qu'il en mourut. Il
fut enseveli dans l'église Saint-Pierre. Cela se passa le deuxième
jour de janvier de l'année susdite [575].
[Lumbars furent desconfis par le maldissement des cardinals à Romme]
Adont revient encor ly emperere à grant gens, et assegat Romme ; mains les Lombars
issirent fours contre eaux, si soy combatirent, si avient que les cardinals vinrent
aux murs de la citeit, si avoient la crois, et reliques, et aighe benoite, et maldirent
les Lombars, et tantoist ilh furent desconfis ; si reconquestarent les Romans tout
chu que les Lombars avoient conquesteit là et altrepart, dont ilh estoit grant avoir.
Enssi fut Romme rescosse par le grasce de Dieu. Et tout chu que la guere durat vacat
le siege de la papaliteit, assavoir VI mois et XXV jours.
[Les Lombards furent vaincus suite à la malédiction des cardinaux
à Rome] Alors l'empereur revint avec un grand nombre d'hommes et
assiégea Rome. Les Lombards sortirent de la ville pour les
contrer et les combattirent. Alors les cardinaux se
rendirent près des murs de la cité, munis de la croix, de reliques
et d'eau bénite. Ils maudirent les Lombards qui furent aussitôt
vaincus et les Romains reprirent tous les biens de valeur, dont là et ailleurs les Lombards
s'étaient emparés. Ainsi Rome fut secourue par la grâce de Dieu. Pendant
toute la durée de la guerre, c'est-à-dire durant six mois et
vingt-cinq jours, le siège de la papauté resta vacant. Élection du pape Pélage II (579-590 n.è.)
[Pelage, ly LXVIe pape de Romme] Puis fut consacreis à pape de Romme
ly cardinal de Vialata qui oit nom Pelage, ly secon de cel nom, et fut de la nation
de Romme, fis à Augustins le senateur, et tient le siege XII ans II mois et X jours.
[Pélage, 66e pape de Rome] Ensuite, le cardinal Vialata fut
consacré pape à Rome. Il fut nommé Pélage, second de ce nom,
et était originaire de Rome, fils du sénateur Augustin. Il occupa
le siège durant douze ans, deux mois et dix jours. Narsès (v. 478-v. 573) se fait élire roi d'Italie à Milan par les Lombards
Item, l'an Vc et LXXVI vient Narses, li patris de Romme, à Melant où les Lombars
estoient fuys, et les dest que ilh l'enlesissent à roy d'Ytaile, car ilh se feroit
coroneir à Melant ; et chu fut enssi fait. Narses fut roy, et regnat longtemps que
onques l'emperere ne l'oisat combattre. En l'an 576,
Narsès, le patrice de Rome, se rendit à Milan, où
avaient fui les Lombards, et leur dit de l'élire comme roi d'Italie,
car il allait se faire couronner à Milan ; ce qu'il fit.
Narsès devint roi et régna longtemps, sans que jamais l'empereur
n'osât le combattre.
Narsès
comme roi d'Italie : D'après une note de Bo, cette prétendue élection de Narsès
doit être un écho de la tradition qui le présente comme ayant appelé
les Lombards en Italie, pour se venger de la cour de Constantinople.
Il faut savoir en effet que le général byzantin Narsès
(né vers 478)
avait combattu sous Justinien, au même titre que
Bélisaire, mais qu'il avait été rejeté à la mort de Justinien.
« La
nouvelle impératrice Sophie a peu d'estime pour lui et le lui fait
savoir d'une façon méprisante en lui envoyant une quenouille et un
fuseau pour qu'il revienne à Constantinople filer la laine dans le
gynécée. Rendu furieux par cet outrage, Narsès ouvre alors la
frontière italienne aux Lombards afin de ne laisser que la ruine
derrière lui. Il faut les supplications du pape Jean III pour
contraindre Narsès à venir défendre Rome contre le péril barbare
qu'il a lui-même suscité. À quatre-vingt-quinze ans, lors de son
entrée dans la ville, Narsès meurt subitement » (Universalis, s.v°).
Liste de rois lombards
Note
On trouve dans cette notice une liste de
rois lombards difficiles à identifier et que nous n'avons pas
cherché à commenter. La colonne de droite ne fournit toutefois pas
la traduction des noms donnés par Jean, même si on peut, pour
certains d'entre eux, relever une certaine correspondance. Mais la
seconde notice est davantage intéressante parce qu'elle contient le
terme Asculpins qui fait songer à un des fils ‒ imaginaire
d'ailleurs ‒ d'Eudes d'Aquitaine, appelé Jean Asculp(h)in, souvent
même Jean Willibrord à cause de ses liens privilégiés avec saint
Willibrord (II,
p. 384). Ce personnage devient roi de Hongrie, est
le grand-père d'Ogier le Danois (II,
p. 334) et joue un rôle important dans le tome II (cfr aussi
II, p. 397 ;
p. 406 ;
p. 414 ;
p. 424 ;
p. 427 ;
p. 428 ;
p. 430 ;
p. 433 ;
p. 515 ;
p. 516 ;
p. 525 ;
p. 526 ;
p. 527 ;
p. 528).
L'Asculpins qui apparaît
ici n'a rien à voir avec le fils d'Eudes
d'Aquitaine. Il s'agit d'un personnage historique, un roi lombard,
nommé Aistulf (cfr aussi II, p. 488), qui vécut de 749 à 756 de notre ère. Il « s'était
emparé de l'exarchat de Ravenne durant l'été 751, revendiquait
désormais l'autorité sur la ville de Rome et exigeait du pape
Étienne II, à la fin de l'année 752, le versement d'un tribut » (sur
cette situation, cfr 481-888,
Paris, 2019, p. 309-310). Dans notre traduction des passages qui le
concernent, nous avons
introduit son nom historique d'Aistulf. Il sera davantage question
de son rôle plus loin (en II, p. 484 ;
II,
p. 488 ; II, p. 513).
Il sera remplacé par Didier (757-774 n.è.), lequel sera le dernier roi des Lombards.
Ce Didier, détrôné par Charlemagne, mourra cloîtré dans un monastère.
L'expression
« exarchat
de Ravenne » désignait une
circonscription administrative de l’Empire byzantin qui englobait
les territoires byzantins en Italie entre les VIe et VIIIe siècles.
Son siège se trouvait à Ravenne, et le terme
« exarchat » désignait spécifiquement le territoire autour de
sa capitale (Wikipédia)
Et apres luy fut roy Ricars son fis, apres
Gysulphus et apres Herberectus, apres Lumpardus, apres Grimaldus, apres Rumaldus.
Et tout chi temps les Lumbars, jasoiche qu'ilh fussent baptisiés, ilh adoroient
les ydolles sycom arbres et symulacres, de laqueile erreur uns sains hons, qui oit
nom Barbarus, evesque de Bonivent, les retrahit et ardit les symulacres et lesdit
arbres.
Après lui [= Narsès], son fils Ricars
devint roi, puis Gysulphus, suivi de Herberectus, de Luitprand, de
Grimoald et de Rodoald. Durant tout ce temps, les Lombards, bien que baptisés, adoraient des idoles,
comme les arbres et des
statues. Un saint homme, dénommé Barbarus, évêque de Bénévent, les
fit sortir de cette erreur, brûlant les statues et les arbres en
question.
Et aprescel [II, p. 263a]
temps, quant Rumaldus fut mors, si fut Asculpins roy, encontre cuy vient Pepin ly Petis, roy de Franche, à chu apelleis par le pape,
enssi qu'ilh contient
chi-apres.
Après cette [II, p. 263] époque, une fois Rodoald mort,
Aistulf devint roi.
Suite à l'appel du pape, comme cela est
rapporté ci-après (II,
p. 484), Pépin le Bref, roi des Francs, marcha contre lui. Le corps de saint Barthélemy est ramené d'Inde à Bénévent
[De sains Bertremeir] Al temps de cel Rumaldus li corps sains Bertremeir
l'apostle fut aporteis de Yndre en l'isle que ons dit Lipparis, et apres fut translateit
à Bonivent.
[De saint Barthélemy] Au temps de ce Rodoald, le corps de
l'apôtre saint Barthélemy fut ramené d'Inde dans l'île appelée
Lipari ; il fut ensuite transporté à Bénévent (cfr III, 316).
[[Texte précédent II, p. 241b-250a]
[Texte suivant II, p. 263b-270a]