Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 37b-51a
Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)
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SOUS LES EMPEREURS DIOCLÉTIEN ET
MAXIMIEN
Ans 286-308
Introduction générale AU TEXTE
Le présent fichier couvre les événements que le chroniqueur liégeois place sous le règne des empereurs Dioclétien et Maximien (284 à 305 de notre ère, 286 à 308 de l'Incarnation dans la chronologie de Jean. C'est la période que les historiens modernes qualifient de Tétrarchie parce que l'autorité dans l'Empire est assurée par quatre empereurs, deux Augustes (les empereurs principaux, en quelque sorte) assistés chacun d’un César (les empereurs associés et néanmoins subordonnés). Le récit de Jean, partagé ici en trois parties pour la clarté de la présentation, mêle des notices ayant trait tantôt à l'histoire générale de l'Empire (particulièrement aux opérations militaires, internes et externes), tantôt à l'histoire générale de l'Église (les papes, les persécutions contre le chrétiens, les conciles, les hérésies), tantôt à l'histoire locale (celle du diocèse de Tongres). Sur ce dernier sujet, Jean est particulièrement prolixe et beaucoup d'épisodes qu'il développe n'ont aucun rapport avec l'Histoire.
Voici un bref résumé du contenu des trois parties :
* A. Ans 286-292 (Myreur, II, p. 37b-41a) : Dioclétien et son frère Maximien deviennent le trente-neuvième couple impérial de Rome - Persécutions contre les chrétiens - Opérations militaires de Dioclétien contre les Mésopotamiens rebelles, les Parthes chrétiens, la Gaule et la Petite-Bretagne - Tongres, attaquée par les Frisons, est aidée par Porus, duc de Gaule, à la demande expresse de l’évêque Martin - La guerre donne lieu à des combats épiques et à des prouesses personnelles, en particulier celles de Gautier de Saint-Materne - Les Frisons sont défaits - Porus manifeste un net intérêt pour le christianisme, ce qui n'est pas le cas de son peuple, les Sicambres/Gaulois.
*
B. Ans 292-300
(Myreur,
II, p. 41b-46a) : Dioclétien tue son
frère et gouverne avec Maximien Hercule - La Bourgogne, rebelle, est soumise
par Maximien (persécutions de chrétiens) - En visite dans son diocèse, saint
Martin, qui rencontre des problèmes avec ses ouailles de Horion, reçoit une aide
miraculeuse de Dieu - Les Awirs - Le pape Caïus (ses ordonnances, sa lutte
contre les hérésies, son martyre par Dioclétien) - Élection du pape Marcellin
(ses aveux devant un concile, l’intervention de saint Martin) - À Tongres,
l'évêque Martin
meurt et est remplacé par Maximien - Dioclétien, en Orient, et
Maximien, en Occident, persécutent le christianisme (destruction d’églises,
nombreux martyrs)
*
C. Ans 300-308
(Myreur,
II, p. 46b-51a) : Les deux empereurs
romains s’en prennent aux Frisons - Persécutions - De violents combats
près de Maastricht, racontés
sur le mode épique, opposent les Tongriens aux deux empereurs romains - Les
Tongriens
reçoivent beaucoup d'aide : en souvenir de saint
Martin, Porus est venu avec ses gens (les Sicambres) tandis que l’évêque de Tongres a fait
appel à des forces nombreuses (des comtes, des ducs, et les gens de Huy) -
On assiste à diverses prouesses héroïques, en particulier celles de Gautier de Saint-Materne - Grâce
aux « armes de Dieu » portées par l’évêque Maximien, les Romains sont défaits et
rentrent à Rome - Porus de Gaule meurt et est enseveli à Tongres - Le nouveau
pape Marcel enterre le pape Marcellin décapité par Dioclétien et laissé sans
sépulture - Les Romains de Maximien Hercule triomphent des Alamans et ramènent
sous leur domination la Petite-Bretagne - Le cadavre de saint Martin de Tongres
ressuscite un mort - Varia, dont l’intervention de Maxence, un empereur dont on
n’avait pas encore parlé
Pour ce fichier, comme pour les autres, des notes de lecture assez détaillées tenteront de démêler la réalité de la fiction.
A. Ans 286-292
Dioclétien et
son frère Maximien deviennent le trente-neuvième couple impérial de Rome - Persécutions
contre les chrétiens - Opérations
militaires de Dioclétien contre les Mésopotamiens rebelles, les Parthes
chrétiens, la Gaule et la Petite-Bretagne - Tongres, attaquée par les Frisons,
est aidée par Porus, duc de Gaule, à la demande expresse de l’évêque Martin -
La guerre donne lieu à des combats épiques et à des prouesses personnelles, en
particulier celles de Gautier de Saint-Materne - Les Frisons sont défaits - Porus manifeste
un net
intérêt pour le christianisme,
ce qui n'est pas le cas de
son peuple, les Sicambres/Gaulois
[Myreur,
II, p. 37b-41a]
Sommaire [p. 37b-41a]
Dioclétien et Maximien deviennent le trente-neuvième couple
impérial - Fondations
religieuses de
Martin, septième évêque de Tongres - Dioclétien soumet les Mésopotamiens en
rébellion et les Parthes chrétiens, dont il
détruit les églises - Son armée décimée
par la foudre pousse Dioclétien à rentrer à Rome - Succession en Hongrie
(286-287) |
|
[II, p. 37b]
[Dyocleciain
et Maximiain, empereure XXXIX] Puis
fut coroneis Dyocleciain et Maximiain, son frere, qui furent les enfans de I
gran senateur de Romme, qui fut nommeis Jossadas, qui furent de la nation de
Dannemarche, et regnarent XXI ans et XII jours. |
[II,
p. 37b] [Dioclétien
et Maximien, trente-neuvième couple impérial] Après
(Marcus et Carus), Dioclétien et
son frère
Maximien furent couronnés (empereurs). C’étaient les fils
d’un important sénateur romain, nommé Jossadas. Ils étaient d’origine danoise
et régnèrent 21 ans et 12 jours. |
[De Martin,
evesque de Tongre]
Item, l'an IIc IIIIxx et VI, fondat Martin, ly evesque de Tongre, une
engliese à Tongre en l'honeur de sains Symon et sains Jude ; se y mist XII
capellains. Apres ilh mist X canones en cascon des dois englieses Nostre-Damme
et de Sains-Johan ewangeliste, en casteal de Chyevremont, que sains Materne
avoit devant fondée, et mist XX cannones en casconne, si qu'ilh y oit en
cascon college de XXX canones. |
[Martin, évêque de Tongres] L’an 286, Martin, évêque de Tongres (cf II, p. 29), fonda dans sa ville une église en l’honneur des saints Simon et Jude ; il y installa douze chapelains, puis il plaça vingt chanoines supplémentaires dans les églises de Notre-Dame et de saint Jean l’Évangéliste, fondées précédemment au château de Chèvremont par saint Materne, qui y avait déjà installé vingt chanoines (cfr I, p. 532). Désormais ces églises comptaient chacune trente chanoines (suite II, p. 38). |
[Batalhe
entre Dyocletiain et le roy Godas] Item, en cel an,
assemblat ly emperere Dyocletiain gran gens et passat mere, sy entrat
promier en la terre de Mesopotaine, qui
estoit rebelle à l'empire ; mains quant ly roy Godas le soit, sy assemblat
ses gens, et vint à l'encontre de l'emperere et le corut sus : là oit grant
batalhe, le XXVIe jour de mois de may l’an IIc IIIIxx et VII. |
[Bataille
entre Dioclétien et le roi Godas] Cette année-là [286],
l’empereur Dioclétien rassembla une grande armée, passa la mer et entra
d’abord en Mésopotamie, qui s’était rebellée. Quand le roi Godas l'apprit, il
rassembla ses hommes, se porta à la rencontre de
l’empereur et l’attaqua. Une grande bataille se déroula entre eux le 26 mai
de l’année 287. |
[L’emperere
oit victoire à roy de Mesopotaine et de Parche]
En
cel batalhe perdirent les Romans Xm hommes ; mains encordont fut ly roy
Godas mors et ses gens desconfit, et en fut mors de eaux XIII milhes. Adont
ly emperere Dyocletiain
les remist tous en tregut, et se mist là unc noveal roy, qui fut nommeis
Eger. |
[L’empereur
remporte la victoire sur le roi de Mésopotamie et le roi des Parthes]
Les
Romains perdirent dix mille hommes, mais le roi Godas fut tué, ses hommes
battus et treize mille d'entre eux
périrent.
Alors l’empereur Dioclétien imposa à nouveau le tribut à tous les
Mésopotamiens et plaça
à leur tête un nouveau roi, nommé Eger. |
[Li effodre ochist XVIIm Romans, où ilh abattoient l’engliese Sains-Johan
exangeliste] Chis emperere entrat en la royalme de Parche, portant que les gens
y estoient novellement baptisiés, et commenchat
les englieses à
destruire ; puis revint à Romme, enssi qu'ilh purent mies, car al abattre
une engliese de Sains-Johans ewangeliste chaiit sour les Romans uns effodre
qui en ochist bien XVIIm Romans, si que ly emperere retournat. |
[La foudre
tua dix-sept mille Romains, qui détruisaient l’église de saint Jean l’Évangéliste]
Dioclétien
était entré chez les Parthes parce que le peuple s’y était récemment fait baptiser.
L'empereur se mit à y détruire les
églises. Il rentra ensuite à Rome, du mieux qu’il put. En effet, au
moment où les Romains détruisaient une église de saint Jean l’Évangéliste,
la foudre tomba sur eux et en tua bien dix-sept mille. C’est pour cela que
l’empereur rentra. |
[De
roy Hongrois] En cel an, le XIIIe jour de decembre,
morut Prian, ly roy de Hongrie ; si regnat apres luy son
fis Ector XVIII ans. |
[Le
roi hongrois] Cette année-là [287], le 13 décembre, mourut Priam,
le roi de Hongrie. Son fils Hector régna après
lui pendant dix-huit ans. |
L’orgueil de Dioclétien -
Dioclétien est
battu dans
une
bataille meurtrière par le duc de Gaule et par celui de Petite-Bretagne -
Ordonnance du pape Caïus (288-290) |
|
[De
grant orguel l’emperere Dyocletiain]
Item, l'an IIc IIIIxx VIII, entrat l'emperere Dyocletiain en teile orguel,
qu'ilh faisoit tous ses vestimens et cachemens ovreir à oir et à pieres
prechieux, qui estoit encontre l'usaige
des
Romans. En [II, p. 38] cel an commandat ly emperere Dyocletiain aux Romans
que ilhs aorassent sa personne com Dieu, et faisoit les gens baisier ses piés
et ses vestimens com reliques. |
[Le
grand orgueil de Dioclétien] En l’an 288, l’empereur Dioclétien fut pris d'un
tel orgueil qu’il faisait couvrir ses vêtements et ses chaussures
d’or et de pierres précieuses, chose contraire à l’usage des
Romains. Cette même année [II,
p. 38], il ordonna aux Romains d’adorer sa personne
comme un Dieu. Il les obligeait à lui baiser les pieds et les vêtements
comme s'il s'agissait de reliques. |
[L’emperere Dyocleciain fut desconfis de duc de Galle et
Bretangne] Item, l'an IIc XXXXxx et IX, furent les
Bretons de la petite
Bretangne rebelles del payer leur tregut ; si en
fut l'emperere Dyocleciain mult corochiés, si assemblat ses oust et s'en
alat sour eaux ; mains quant Ector li dus de Bretangne le soit, sy vint
encontre luy à gran gens, et mandat le duc de Galle, de cuy ilh tenoit sa
terre, qu'ilh le venist sourcorir encontre les Romans. Et chis y vint à
grant poissanche. |
[Dioclétien
fut battu par le duc de Gaule et par celui de Bretagne]
L’an 289,
les Bretons de Petite-Bretagne refusèrent de payer le tribut. L’empereur
Dioclétien en fut très irrité. Il rassembla son armée et marcha sur eux.
Mais quand Hector, le
duc de Bretagne, l'apprit, il se porta à sa rencontre avec de grandes forces
et demanda au duc de Gaule, de qui il tenait sa terre, de venir le secourir
contre les Romains. Celui-ci arriva avec une
puissante armée. |
[Ilh
furent ochis eldit batalhe XXIIm hommes]
Si orent les Romans batalhe à cheaux de Galle et de Bretangne, en laqueile
batalhe ilh furent ochis XXIIm hommes, assavoir XVIm des Romans, et de
Sycambiens et Bretons VIm. Et furent les Romans desconfis, car ly dus Porus
abatit
le maistre baniere l'emperere, et ochist tant des Romans qu'il estoit tous
desangleteit. Cest batalhe fut le XVIe jour de junne l'an IIc IIIIxx et X.
Adont s'enfuirent les Romans com desconfis vers Romme, en disant que
Sycambiens sont dyables. |
[Vingt-deux mille hommes furent tués dans la bataille] Dans la bataille qui se livra entre les Romains d’une part, les Sicambres et les Bretons de l’autre, furent tués vingt-deux mille hommes, seize mille chez les Romains, et six mille chez leurs adversaires. Les Romains furent défaits : le duc Porus avait abattu le porte-drapeau de l’empereur et tué tant de Romains qu’il était tout couvert de leur sang. Cette bataille eut lieu le 16 juin de l’an 290. Les Romains prirent la fuite vers Rome, complètement écrasés, en disant que les Sicambres étaient des diables. |
[Status papales que quiconques ensevelirat cristiens mors ilh
serat absous de tos pechiés]
En cel an instituat ly pape que tous cheaux qui aideroient ensevelir les
corps des sains
martires cristiens, quant ons les avoit martirisiet, sieroient absols de
tous pechiés, mains qu'ilh fussent cristiens. |
[Ordonnance
papale accordant l’absolution de tous leurs péchés à ceux qui enseveliraient
un chrétien mort] Cette
année-là [290], le pape [Caïus] décida que tous ceux qui
aideraient à ensevelir les cadavres des chrétiens martyrisés seraient absous
de tous leurs péchés, à condition d’être chrétiens. |
Hostilités entre le duc Porus de
Gaule et le comte de Louvain, que réconcilie le comte de Flandre - Tongres,
attaquée par les Frisons, est en grand danger - Son évêque Martin demande et
reçoit l’aide de Porus, pourtant païen
- Dans les deux camps, des combats épiques opposent nombre de chevaliers,
nommément cités, qui rivalisent de prouesses - Particulière mise en évidence
du Tongrien Gautier de Saint-Materne (291-292) |
|
[II,
p. 38] [Ly
duc de Galle desconfit le conte de Lovay]
L'an IIc et nonant et unc, muet grant guerre entre le duc Porus de Galle et le
conte de Lovay, et orent batalhe ensemble : si fut ly conte desconfis et ses
gens awec luy, se soy misent al fuyr ; et ly duc awec ses gens les cachat
jusques à Lovay et l'assegat ; mains ly conte de Flandre y vint, qui estoit
peire de la femme le conte
de
Lovay Brabantinus, qui soy pennat de faire l'acorde entre eaux. |
[II,
p. 38] [Le duc de Gaule défait le comte de Louvain]
L’an 291 éclata une grande guerre entre Porus, duc de
Gaule,
et [Brabantinus], comte de Louvain. Le comte et ses gens, défaits au combat,
prirent la fuite. Le duc et les siens les poursuivirent jusqu’à Louvain
qu’ils assiégèrent. Mais le comte de Flandre intervint. C’était le père de
l’épouse de Brabantinus, comte de Louvain (cfr II, p. 33, 34 et surtout 35).
Il s'efforça de trouver un accord entre les adversaires. |
[L’evesque Martin de Tongre, à son prieir le duc de Galle
desegat Tongre des Frisons]
Et enssi com ly siege estoit là vint Martien, l'evesque de Tongre, et priat
al duc Porus qu'ilh ly
vosist
aidier contre les Frisons qui avoient assegiet sa citeit de Tongre. Tant
priat Martin por l'amour de Jhesu-Crist que ly dus Porus ly otriat, qui
estoit païens, et s'en allat awec luy et oit batalhe à eaux ; si soy
corurent sus mult firement, et al assembler des lanches y oit mult
d'abatus ; mains contre les Sycambiens n'oit Frison nulle grant poioir.
Maiement ly dus Porus les abatoit enssi com mutons, et ly sembloit qu'ilh
n'oit onques si grant forche : et chu estoit ly Sains-Esperit, qui espireit
l'avoit de luy aidier contre cheaux de sa loy. |
[À la
demande de Martin, évêque de Tongres, le duc de Gaule délivre Tongres
assiégée par les Frisons] Lorsque Porus, le duc de Gaule, faisait le siège
(de Louvain), Martin, évêque de Tongres (cfr II, p. 37), vint lui demander de l’aide
contre les Frisons qui avaient assiégé sa cité. Au nom de l’amour pour Jésus-Christ, Martin pria tellement
le duc Porus, pourtant païen, que celui-ci accepta de partir avec lui et de
combattre les Frisons. Les adversaires s’affrontèrent très
vigoureusement. Au
combat à la lance, beaucoup d’hommes furent jetés à terre, mais les Frisons
ne purent pas grand-chose contre les Sicambres. Le duc Porus surtout les
abattait comme des moutons. Il lui semblait même n’avoir jamais eu une telle
force. En fait, c’était le Saint-Esprit qui l’avait inspiré à aider [Martin] dans
sa lutte contre [des païens] dont il partageait la religion (suite II, p.
40-41). |
En cest batalhe avoit I chevalier qui
estoit nommeit Cyprion, qui estoit [II,
p. 39] sire de Roufige, une signorie qui siet en Frise : chis coupat I
Sycambien jusques en la potrine, et ochioit tant de gens que ch'estoit grant
mervelhe de luy à veioir. Mains quant Porus le veit ilh brochat vers ly et
le ferit, sy que ilh ly trenchat hayme, coeffre et le chief jusques en dens,
sy l'abattit mors ; puis ochist Rebeth, qui tenoit XII pies de hault, et
Pynart ; ly et Henri, le prevost de Tongre que ons nommoit Henri de
Monterins, abattoient Frisons à tas.
Et par especial ly dus Porus ferit le roy
frison, se le fendit jusqu'en pis ; et Henri le privost at ochis Pangnart ;
le fis le privost, qui oit à nom Hondas, at ochis Galatris. Adont vint ly
jovene roy de Frise, qui mult fut dolens de son peire qui estoit mors : chis
ochist Tongrois et Sycambiens à mervelhe ; ilh ochist Aymeri de Brusel, unc
noble chevalier de sa loy. Mains ly dus Porus brochat vers luy, sy le ferit
mors, puis se ferit entres les Frisons, se en abatit tant que ch'estoit
mervelhe à veioir : ilh at ochis Renbech de Ghinstel, Andras et Badewins, et
Tudeles l'ajoiant, et bien XIIII altres de grant renommée. Et les Frisons,
quant ilh le voient, se ly font voie. |
Parmi les combattants se trouvait un chevalier,
nommé Cyprion, [II,
p. 39] seigneur de Roufige, une seigneurie de
Frise. Il fendit un Sicambre jusqu’à la poitrine, massacrant tant de gens
que c’en était merveille. Quand Porus [le duc de Gaule] l’aperçut, il piqua
sur lui et lui asséna un tel coup qu’il lui trancha le heaume, la coiffe et
la tête jusqu’aux dents, le jetant à terre mort. Puis Porus tua Rebeth, haut
de douze pieds, ainsi que Pynart. Porus et Henri, le prévôt de Tongres,
appelé Henri de Moterins, abattaient les Frisons en masse. Le duc Porus en
particulier frappa le roi frison, le pourfendant jusqu’à la poitrine ; Henri
le prévôt tua Pangnart ; le fils du prévôt, nommé Hondas, tua Galatris.
Survint alors le jeune roi de Frise, fort affligé de la mort de son
père : il tua tant de Tongriens et de Sicambres que c’en était merveille, et en
particulier Amaury de Bruxelles, un noble chevalier de la même religion que
lui. Mais le duc Porus fonça
sur lui, le frappa à mort, puis se lança à
travers les rangs des Frisons, en en abattant tellement que c’était
prodigieux. Il tua ainsi Renbech de Ghinstel, André et Baudouin, le géant
Tudeles, et au moins encore quatorze autres de
grand renom. Les Frisons, quand ils le voient, lui cèdent le passage. |
Adont Gatier de Sains-Materne vint or
prime en l'estour, car ilh venoit de fours de la vilhe, mains nos affirmons
cheluy estre ly plus fors et preux et hardis et victorieux qui fust à cel
temps en monde, dont ons sewist parleir : chis Gatier copoit I homme
jusqu'en la selle à unc cop. Ilh est entreis en la batalhe et soy mist entres
les plus drus. Ilh sembloit que ilh volast ; ilh at assenneit le sires
de Rimestel, qui fut frere al roy frison, se l'at fendut jusqu'en baudreit,
puis escrioit : Sains Materne ;
là se tournoit et retournoit en allant tant qu'ilh en at ochis bien XXIII,
anchois qu'ilh le laisast. |
Alors Gautier de Saint-Materne entra pour la
première fois dans la mêlée. Il sortait de la cité. C’était, nous pouvons
l’affirmer, le guerrier le plus fort, le plus courageux, le plus hardi et le
plus victorieux dont on puisse parler à l’époque. Ce Gautier, d’un seul
coup, coupait un homme jusqu’à la selle. Or donc, il entra dans la bataille
et se plaça là où il y avait le plus de monde. Il donnait l’impression de voler. Il
frappa le sire de Rimestel, frère du roi frison, et le pourfendit jusqu’au
baudrier, au cri de « Par Saint-Materne ». Il allait et venait tellement
qu’il tua au moins vingt-trois personnes avant d’arrêter. |
Et ly dus Porus le veit, si oit grant
mervelhe de la chevalrie qui estoit en ly ; si demandat cuy ilh estoit.
Et ilh ly fut dit que ch'estoit Gautier de Sains-Materne, unc noble prinche.
Et dest ly dus Porus : « Je en ay bien oiit parleir, et c'est ly miedre
chevalier de monde ; or ly
alons aidier. » Atant se sont partis ly
dus Porus, Johans d'Offrius, Pire Baudu, Henri ly privost, Gombars, Pirelars,
Hondus le fis le privost, Hondas sire de Hollegnoule, Ermefrois sires de
Molins, et mult d'aultres se sont ferus apres Gautier de Sains-Materne. Là
sont les Frisons reculeis plus de I bonnier ; là fut ochis par Gobelin
ly sire de Jupilhe, [II, p. 40]
Jonadas de Candelis et Galigant le Turc. |
Le duc Porus aperçut le héros, s’émerveilla des
qualités de chevalier qui étaient en lui et demanda qui il était. On lui
répondit que c’était Gautier de Saint-Materne, un noble prince. Et le duc
Porus de dire : « J’en ai entendu parler en bien : c’est le meilleur
chevalier du monde ; allons l’aider ». Partirent alors le
rejoindre : le duc Porus, Jean d’Offrius, Pierre Badus,
Henri le prévôt, Gombars, Pirelars, Hondus, le fils du prévôt, Hondas, sire
de Hognoul, Hermanfroi, sire de Molins, et beaucoup d’autres. Ils ont tous
rejoint Gautier de Saint-Materne. Les Frisons ont alors reculé de plus d’un
bonnier. Là, Gobelin, sire de Jupille, [II,
p. 40] tua Jonadas de Candelis et
Galigant le Turc. |
Atant vint Falibas et Guidas de Valetrue,
unc prinche de Saxongne, qui avoit la
tieste cornue et long bien demy-olne ; sy
escriat a duc Porus : « Proieche aveis perdue, se vos ne veneis josteir a
moy. » |
Falibas arriva alors, ainsi que Guidas de Valetrue.
Ce dernier était un prince saxon, qui avait une tête étrange,
longue d'au moins une demi-aune. Il cria au duc Porus :
« Vous aurez perdu [l’occasion d’]une prouesse, si vous ne venez pas
combattre contre moi » |
Gautier de Sains-Materne, qui avoit la
lanche apparelhié, brochat avant en disant : « Tu es acorut à ta mort, car
ma lanche toy salue de part le duc de Galle. » Adont se sont
asseneis sour leurs escus, sy qu'ilh les ont
traweis ; mains Gautier ly mist sa lanche parmy le cuer, se l'abat mors. Et
quant Phebus son fis le veit, sy volt brocher vers Gautier, mains la presse
ly defendit ; si soy ferit en l'estour et commenchat à ochier hommes mult
fortement, car ilh estoit bon chevalier : ilh fist reculeir les Tongrois
jusqu'à Gautier de Sains-Materne, qui l'at fendut jusqu'en pis, puis at
ochis Rodas, ly I de fis de Saxongne, et Joras de Tuschie, son frere Clymant
et l'amyral Sohier, et plus de XL en at ochis. Et les Frisons soy defendent
gentiment, et ochient tant des Sycambiens et des Tongrois que chu fut
mervelhe à veioir. |
Gautier de Saint-Materne, qui avait sa lance toute
prête, éperonna son cheval en disant : « Tu as couru à ta mort, car
ma lance te salue de la part du duc de Gaule ». Alors ils ont tellement
frappé sur leurs écus qu’ils les ont percés ; mais Gautier avait enfoncé
sa lance dans le cœur de Guidas et l’avait abattu à mort. Phébus, son fils,
voulut foncer vers Gautier, mais ses voisins le défendirent. Phébus se lança
dans la mêlée et commença à massacrer des adversaires avec force, car il
était bon chevalier. Il fit reculer les Tongriens jusqu’à Gautier de Saint-Materne.
Celui-ci le pourfendit jusqu’à la poitrine, puis tua Rodas, l’un des fils de Saxe, et Joras de Toscane, son frère
Clément et l’amiral Sohier. Il tua ainsi plus de quarante guerriers. Quant
aux Frisons, ils se défendirent vaillamment et tuèrent tant de
Sicambres
et de Tongriens que c’était prodigieux à voir. |
Les Frisons
sont finalement défaits - Porus de Gaule, accueilli à Tongres, est, à sa
demande, secrètement baptisé par l’évêque saint Martin, qui le charge
d’amener
les gens de Lutèce à croire en
Dieu - Porus, malgré ses
efforts, échoue à convertir son peuple et doit même protéger l’évêque saint
Martin qu’il avait fait venir prêcher à Lutèce - Succession en Flandre (292) |
|
[II,
p. 40] [Les
Frisons furent desconfis des Tongrois devant Tongre] Mains Gautier de
Sains-Materne vint à l'estandart, et chis qui le portoit oit nom
Brohadas ; si le ferit sy sour son chief qu'ilh l'abattit mors, et
l'estandart chaiit à terre. Sy
sont les Frisons adont desroteis et
s'enfuirent : là en fut pris et mors XLm. Et manechent Tongrois qui sont
retrais awec les Sycambiens, et ont logiet solonc la marine une semaine por repoiseir. |
[II,
p. 40] [Les Frisons sont défaits par les Tongriens devant Tongres]
Gautier de Saint-Materne s’approcha de l’étendard. Celui qui le portait
s’appelait
Brohadas.
Gautier le frappa si fort à la tête qu’il l’abattit à mort. L’étendard tomba
par terre. Les Frisons, en déroute, prirent la fuite. Quarante mille d’entre
eux étaient morts ou prisonniers. Les Tongriens, qui s’étaient retirés avec
les Sicambres, restèrent sur place et s’installèrent en bordure de l'eau une semaine pour
se reposer. |
Ly dus Porus de Galle entrat I jour dedens
la citeit de Tongre, où ly evesque ly fist grant honeur, et ly monstrat les
reliques et les sains lieu et les grandes englieses et les petites ; et,
en monstrant, ly prechoit toudis la foid
Jhesu-Crist. Et tant que ly Sains-Espir pondit le duc ; se li dest
secreement, desous unc chayne où ilh parloient ensemble : « Sire, je vos
requier en nom de Dieu baptesme, et que je l'ay sy que mes gens ne le
sachent mie ; je croy et welh fermement remanir al loy de Dieu. » |
Le duc Porus de Gaule entra un jour dans la cité de
Tongres, où l’évêque lui fit grand honneur. Il lui montra les reliques, les
saints lieux, les églises, grandes et petites. Et en faisant cela,
il prêchait continuellement la foi de Jésus-Christ. Au point que le
Saint-Esprit toucha le duc qui dit à voix basse à l’évêque, en privé,
lorsqu’ils parlaient ensemble sous un chêne : « Sire, au nom de Dieu, je
vous demande de me donner le baptême, et cela sans que mes gens le
sachent. Je crois et je veux fermement rester dans la loi de Dieu. » |
[L’evesque de Tongre baptizat le duc de Galle] Adont soy confessat à sains Martin l'evesque de ses pechiés,
et l'absolit et le baptizat apres ; et ly chargat en nom de penitanche
qu'ilh attrahist son peuple par douches parolles
à la foid de Dieu. Apres ly
donnat le sacrament del precieux corps Jhesu-Crist, puis chargat à I sien
clerc qui ly aprendist sa Pater Noster
secreement, et qu'ilh [II, p. 41] l’enfourmast
de la loy al mies qu’ilh savoit. |
[L’évêque de
Tongres baptise le duc de Gaule] Alors le duc confessa ses
péchés à saint Martin l’évêque, qui lui donna l’absolution, puis le baptisa.
En guise de pénitence, il
le chargea d’amener son peuple en douceur à la foi en
Dieu. Enfin, Martin lui donna le sacrement du précieux corps de Jésus-Christ,
et chargea un des clercs de lui apprendre secrètement le Pater Noster et de [II,
p. 41] l’informer le mieux possible de la foi chrétienne.
|
Adont ly dus soy partit de Tongre et en
rallat vers Lutesse ; et racompte l'ystoire que ilh creit fermement en
Dieu, et ensaiat
ses gens muIt sovent ; mains ilh ne les pot onques tourneir de riens à la loy
de Dieu, et, qui plus est, ilh mandat depuis l'evesques de
Sains-Martin que ilh allast à Lutesse prechier.
Et ly evesques y allat, se les prechat, mains ilh n'y profitat riens ; car
sy ne fust ly dus, ilh awiste esteit martyrisiet ; et revint à Tongre, où
ilh servit Dieu saintement. |
Alors, le duc quitta Tongres et retourna à Lutèce.
À ce que raconte l’histoire, il crut fermement en Dieu et essaya très
souvent de convaincre ses gens, mais sans jamais pouvoir les convertir à la
loi de Dieu. Qui plus est, il demanda dans la suite à l’évêque saint Martin
de venir prêcher à Lutèce. L’évêque y alla, prêcha, mais ne
réussit absolument pas. Si le duc n’avait pas été là, l’évêque aurait même
été martyrisé. Saint Martin revint alors à Tongres, où il servit Dieu
saintement (suite, II, p. 42). |
[De conte de Flandre] En cel an, en mois de may, morut Otton, ly conte de
Flandre ; si fut apres Iuy conte son fis Alienoir, qui
regnat XVIII ans. Et cest batalhe devant dit dez Frisons
fut l’an IIc et XCII, le XIe jour de marche. |
[Le comte
de Flandre] Cette année-là [292],
au mois de mai, mourut Othon, le comte de Flandre. Son fils, Aliénor, lui succéda comme comte et régna dix-huit ans.
|
Dioclétien
tue son frère et gouverne avec Maximien Hercule - La Bourgogne, rebelle, est
soumise par Maximien (persécutions de chrétiens) - En visite dans son diocèse,
saint Martin, rencontrant des problèmes avec ses ouailles de Horion, reçoit une
aide miraculeuse de Dieu - Les Awirs - Le pape Caïus (ses ordonnances, sa lutte
contre les hérésies, son martyre par Dioclétien) - Élection du pape Marcellin
(ses aveux devant un concile, l’intervention de saint Martin) - À Tongres,
l'évêque Martin meurt et est remplacé par Maximien - Dioclétien, en Orient, et
Maximien, en Occident, persécutent le christianisme (destruction d’églises,
nombreux martyrs)
[Myreur, II, p.
41b-46a]
* Mort de saint Martin, septième évêque de Tongres
- Saint Maximien devient huitième évêque (297)
Martyre de sainte Lucie (292) -
Dioclétien tue son frère Maximien et gouverne avec Maximien Hercule - La
Bourgogne est soumise par Maximien Hercule, redevient tributaire de Rome et
subit des
persécutions de chrétiens (légion
thébaine, saint Géréon ; martyre de saint Maurice en Bourgogne) - Dioclétien
fait martyriser saint Crépin et saint Crépinien et fait persécuter les
chrétiens partout dans le monde (293) |
|
[II,
p. 41b] [Sainte
Lucie fut martirisié] Et en mois de decembre devant le XIIIe jour, fist
l'emperere Dyocletiain rechivoir martyr la glorieux virgue sainte Lucie, en
la citeit de Syracusse, qui siet en la royalme de Sezilhe. |
[II,
p. 41b] [Martyre de sainte Lucie] Le 13 décembre de cette année-là [292], l’empereur
Dioclétien fit subir le martyre à la
glorieuse vierge sainte Lucie, dans la cité de Syracuse, au royaume de
Sicile. |
[Dyocletiain ochist Maximiain l’emperere] Item, l'an IIc XCIII, oit discorde entres les II empereres
de Romme, et fut ochis
Maximiain de la main Dyocletiain, son frere.
|
[Dioclétien
tue l’empereur Maximien] L’an 293 éclata une dispute entre les deux empereurs de Rome, et
Maximien fut tué de la main de Dioclétien, son frère. |
Apres la mort Maximiain, fut emperere
awec Dyocletiain unc prinche de Romme, qui avoit nom Maximiain Hercules, qui
fut ly pere Maxenche, qui puis oit
batalhe à Constantin ; enssi com vos oreis chi-apres. |
Après la mort de Maximien, Dioclétien fut empereur
avec un prince de Rome, nommé Maximien-Hercule, le père du
Maxence qui livra bataille à Constantin, comme vous l’apprendrez ci-après
(cfr II, p. 57). |
[De sains Gereon et de sa legion] En cel an, le XXVIe jour de mois de septembre, estoit
Dyocletiain à Soison, sy envoiat Maximiain, son compangnon, en Borgongne,
qui estoient rebelles del payer leur tregut. Maximiain vint en Borgongne, sy
les remist en tregut ; sy trovat sains Mauritiain et la legion de Thebea,
portant que ilh ne
volt faire sacrifice à ses ydolles, sy fut mis à mort, et
tous les cristiens y ochirent et destrurent les englieses et ardirent leurs
libres. |
[Saint Géréon et sa légion]
Cette année-là [293], le 26 septembre, Dioclétien, présent à Soissons, envoya
en Bourgogne, qui refusait de payer le tribut, son collègue Maximien.
Celui-ci s’y rendit et remit les Bourguignons sous la domination de Rome. Il y trouva
saint Maurice et
la légion thébaine. Comme Maurice ne voulait pas sacrifier aux idoles, il
fut mis à mort ; tous les chrétiens furent tués, les églises détruites et
leurs livres brûlés.
|
Jean signale, en II, p. 169, que Sigismond, le dernier roi de Bourgogne, élèvera aux martyrs de la légion thébaine une belle église en l'honneur de saint Maurice et de ses compagnons. C'est dans cette église sur le Rhône, à l'endroit de leur martyre, que Sigismond sera enseveli. Mais pourquoi Géréon ici, en II, p. 41, et Maurice là-bas en II, 169 ? Sur saint Géréon, cfr Wikipédia. Sur saint Maurice d'Agaune, cfr Wikipédia.
[De sains Crispin et Crispiaine, martyrs]
En cel an, le XXVe jour de mois d'octembre, fist Dyocletiain martyrisier II
sains
proidhons,
Crispin et Crispiain. |
[Saint Crépin et Crépinien] Cette année-là [293], le vingt-cinq octobre,
Dioclétien fit martyriser deux saints
hommes, Crépin et Crépinien. [cfr
Wikipédia] |
[Dyocletiain commandat à ochiere tous les cristiens du monde]
En cel an,
Dyocletiain
envoiat de ses prinches par tout le monde où ilh avoit des cristiens, por
ochier et martyrisier les cristiens et destruire les englieses. |
[Dioclétien donna l’ordre de tuer tous les chrétiens du monde
entier]
Cette
année-là [293], Dioclétien envoya ses princes partout dans le monde où il y
avait des chrétiens. Il fallait tuer et martyriser les chrétiens, et aussi
détruire les églises. |
Succession au Danemark (293) - Visitant son grand diocèse, l’évêque de Tongres Martin, chassé par ses ouailles de Horion et contraint de loger dans les bois, reçoit une aide miraculeuse de Dieu (les anges, la clarté, le Pas-Saint-Martin) - Martin bâtit l’église dédiée à saint Étienne aux Awirs (294) |
|
[II, p. 42] [De Dannemarche] En cel an, en mois de
decembre, morut ly XXe roy de Dannemarche Alixandre ; et fut apres luy
roy son fis Ogens, lyqueis regnat XLVI ans. |
[II,
p. 42] [Danemark] Cette année-là [293], en décembre,
mourut le vingtième roi du Danemark, Alexandre. Ce fut
son fils Ogens, qui lui succéda comme roi. Il régna quarante-six ans. |
[De Martin, evesque de Tongre] Item, l'an IIc XCIIII, prist en devotion l'evesques Martin de Tongre
d'aleir visenteir sa grant dyoceise ; si en alat jusqu'à Chymay, et vint
tout aval prechant, mains ilh les trovat bons cristiens. |
[Martin, évêque de Tongres] En l’an 294, l’évêque Martin de Tongres éprouva le profond désir d’aller visiter son grand diocèse. Il alla jusqu’à Chimay, prêchant sur son chemin. Il les trouva bons chrétiens. |
[Cheaux de Horion ne vorent nient herbegier leur evesque] Et vint à Dynant, à Nammur, à Huy et à une vilhete que ons
apelle Horion, qui siet entre Huy et Liege ; si volt là herbegier cet nuit,
mains ilh ne trovat onques personne qui le vosist herbegier. Et sy estoit
leur pastre et leur
evesques ; ains les vilains de la vilhe malvais et deputaire l'ont
tout par nuit fourscachiés de la ville, si allat dormir en bois tout la
nuit. |
[Les
gens de Horion ne voulurent pas loger leur évêque] Il alla à
Dinant, à Namur, à Huy et dans une petite ville
appelée
Horion, entre Huy et Liège. Il voulut y loger cette nuit-là, mais il
ne trouva personne qui veuille l’héberger. Il était pourtant leur pasteur et
leur évêque. Mais les villageois, qui étaient mauvais et méchants, le
chassèrent de la cité en pleine nuit et l’obligèrent à aller dormir toute la
nuit dans le bois. |
[Les grans myracles que Dieu demonstrat por sains Martin
de Tongre] Là Dieu demonstrat grans myracles,
car les angles at chà jus envoiet de chiel qui ont chanteit en l'aire, par-desus l'evesque, sy melodieusement que
ons l'oioit jusqu'à Awir, une altre vilhet qui estoit asseis pres de là ; et
y avoit teile clarteit tout nuit, que tous ly peuple qui estoit là entour
s'envoilat. |
[Grands
miracles de Dieu pour saint Martin de Tongres]
Dieu fit alors de
grands miracles en faisant descendre des anges qui chantèrent dans les airs,
au-dessus de l’évêque, un chant si mélodieux qu’on l’entendait jusqu’aux
Awirs, une autre petite ville des environs. Et une telle clarté brilla toute
la nuit que tous ceux qui se trouvaient dans les environs s’éveillèrent. |
[Le
Pas Sains-Martin qui fut fondeit par Ogier]
Et quant ilh vint à jour que ly evesque disoit ses heures, si aloit parmy le
roche de bois qui
estoit grant et hault, et astoit tout deschaux, si passoit parmy le roche.
Là fist Dieu myracle, car tous les pas que ilh passat enprintat ses piés
dedens la roche, et les V dois oussy parfaitement, com chire faite en unc
sael ; et encors en voit-ons clerement, car ons ne le voit mies tous par le
casteal de Pas Sains-Martin que Ogier ly bons dannois fondat desus ches pas,
enssi que vos oreis chi-apres. |
[Le
Pas-Saint-Martin, fondé par Ogier]
Au lever du
jour, l’évêque qui récitait ses oraisons marchait dans un grand
bois escarpé et, déchaussé,
passait sur les rochers. Dieu fit là un
miracle, car tous les pas de l’évêque laissèrent leur empreinte dans la
roche, avec la marque parfaite des cinq doigts, comme pour un sceau dans la
cire. On voit encore clairement certains d’entre eux, mais pas tous, en
traversant le château de Pas-Saint-Martin, bâti sur ces pas par Ogier, le
bon Danois, comme vous l’apprendrez ci-après (cfr III, p. 20-21). |
[Sains-Martin de Tongre edifiat l’engliese
de sains Estiene à Awir] Apres vint
l'evesque al matinée à Awir la vilhete, où ilh fut fiestiés et rechuis des
gens de la vilhe tres-humblement ; et là celebrat-ilh messe en l'engliese de
Nostre-Damme, que sains
Materne jadit y avoit fondeit, et en la messe ilh excommugnat cheaux de
Horion ; et demorat à Awir III mois. Si commenchat à edifiier une engliese,
et le dedicassat en l'honeur de sains Estiene. |
[Saint Martin de Tongres édifia l’église de saint Étienne aux
Awirs]
Après cela, l’évêque passa la
matinée aux
Awirs,
la petite ville, où il fut fêté et reçu avec beaucoup de déférence par les
habitants. Il célébra la messe en l’église Notre-Dame que saint Materne y
avait fondée jadis (cfr I, p.
529) et, pendant la messe, il excommunia ceux de Horion. Il resta deux
mois aux Awirs. Il commença à construire une église qu’il dédia à saint
Étienne (suite, II, p. 44). |
Les ordonnances du pape Caïus
- Sa lutte contre les hérésies - Son
martyre ordonné par Dioclétien - Persécutions (295-297) |
|
[II, p. 42] [Status de pape Gayus de ordines]
Item, l'an IIc XCV, ordinat ly pape
Gayus que cascon evesques, quant ilh doit faire ordennes, ait I lisiere qui
apelle cheaux qui soy doient ordineir al entreir de cuer de l'engliese, et
promiers les acolites, puis les subdyaques, apres les dyaques et puis les
preistres, et qu'ilhs fussent enssi ordineis li unc apres l'autre, cascon
por ly. Et chu fut en mois de may. |
[II, p. 42] [Ordonnances du pape Caïus sur les ordinations] En
l’an 295, le pape Caïus ordonna que les évêques, lorsqu'ils devaient faire
des ordinations, aient un lecteur chargé d'appeler, à l’entrée du chœur de l’église,
ceux qui devaient être ordonnés : d’abord les acolytes,
puis
les sous-diacres et ensuite les prêtres. Ils devront être ordonnés dans cet
ordre-là, les uns après les autres. Cela fut prescrit au mois de mai. |
Item, ordinat lydit pape, en cel an en
mois de septembre, que nuls ne posist porteir foid ne tesmongnaige en causes
quelconques, s'ilh n'estoit pures et vrais creans
en Jhesu-Crist, et que juys, paiiens, sarasiens et cristiens heretiques ne
puissent altruy accuseir, ne vray cristiens greveir par tesmongnaige, car
ilhs sont tous infames. |
En septembre de cette année, ce même pape ordonna
que personne ne puisse attester ou témoigner dans une cause quelconque, s’il
n’était pas un pur et vrai croyant en Jésus-Christ. Il décréta aussi que les
juifs, les païens, les sarrasins et les chrétiens hérétiques ne pourraient
accuser autrui, ni nuire aux vrais chrétiens en témoignant contre
eux. Car ce sont tous des infâmes. |
Et ordinat que nuls clers ne soit,
nen ne puist estre accuseis devant juges
seculeres, ne trais en cause, et que
juges seculeres n'aient jurisdiction ne correction sour les [II, p. 43] clers, por queilconques
fait que chu soit ou cause. Anchois volt et ordinat que ly evesques, desous
cuy chis cler serat, en soit juge de luy com de sa personne ecclesiaste, et
l'ait en sa correction en tous cas. |
Il ordonna également qu’aucun clerc ne soit, ou ne
puisse être accusé ou cité dans une affaire
devant des juges séculiers, et aussi que
les juges séculiers n’aient pas la juridiction sur les
clercs, ni le droit de les punir [II, p. 43], quel que soit le fait ou la cause. Il voulut et
ordonna par contre que ce clerc soit jugé et puni dans tous les cas par l’évêque
dont il dépendait, vu qu’il appartenait à l’Église. |
[Grant
persecution sour les cristiens] Item, l'an IIc XCVI,
en mois de junne, commenchat à Romme, sour les clers et sour tous cristiens,
mult grant persecution, car l'emperere Dyocletiain les faisoit ochire et
martirisier tout parmy la citeit où les encontroit ; mains qui soy
gardoit del issir de son
maison ons ne les queroit mie, portant que ons ne volloit mie les Romans
esmovoir à coroche. |
[Grande persécution contre les chrétiens] En juin de l’an 296, une très grande persécution contre les clercs et tous les chrétiens fut lancée à Rome. L’empereur Dioclétien les faisait tuer et martyriser partout où il les rencontrait dans la cité. Mais ceux qui évitaient de sortir de leur maison, n’étaient pas recherchés, vu qu’on ne voulait pas provoquer l’irritation des Romains. |
[Grandes erreurs à Romme] En cel an oit à Romme des philosophes, qui furent contre
la foid en grant erreur et en grant malvasteit. Adont fist ly pape Gayus une
epistle encontre eaux et leurs erreur, laqueile fut plaine de la foid
catholique, en parlant del Incarnation. Adont soy allerent ches
philosophes vers l'emperere, et l'enfourmarent que l'epistle, que ly pape
avoit faite contre eaux, n'estoit mie à croire, ains estoit faux et estoit
ly pape digne del richivoir mort ; et chu ilh jurarent. |
[Grandes
erreurs à Rome] Cette année-là, à Rome des philosophes
professèrent à propos de
la foi de grandes erreurs et de grande vilenies. Le pape Caïus écrivit contre eux et
contre leurs
erreurs une épître, qui traitait de l’Incarnation et était conforme à la foi
catholique. Ces philosophes se rendirent alors chez l'empereur pour lui dire qu’il ne
fallait pas croire l’épître rédigée par le pape à leur encontre, que ce qu’on y lisait était faux et que le pape méritait la mort.
Et ils le jurèrent. |
[Ly pape Gayus fut
ochis par l’empereur Dyocletiain]
Quant l'emperere Dyocletiain entendit chu, ilh fist par ses ministres
amyneir devant luy
le pape Gayus, qui
estoit fuys en une crotte de une engliese, et le fist martyrisier ; et sy
estoit son cusin. Chu fut sour l'an IIc et XCVII, le XXIIe jour de mois
d’avrilh. |
[Le pape Caïus
fut tué par l’empereur Dioclétien] Quand l’empereur entendit
cela, il demanda à ses serviteurs de lui amener le pape
Caïus, qui s’était enfui dans la
crypte d’une église. Il le fit martyriser, alors qu’il était son cousin
(cfr II, p. 36). Cela se passa en l’an 297, le 22 avril. |
[Status papales] Chis pape ordinat à son
temps que de toutes difficilles questions qui estoient commenchiés, en
queilconques
provinches que chu fust, fussent
revoiés à court de Romme. |
[Ordonnances
papales] Sous son pontificat, le pape Caïus ordonna de
renvoyer à la cour de Rome toutes les questions difficiles, qui
étaient engagées dans n’importe quelle province. |
Lors d’un concile en Campanie, Marcellin, trente et unième pape,
se repent d’avoir, sous la contrainte et par peur, placé des idoles dans les
églises - Il demande aux participants de le juger et de le punir - Au nom de
tous ses confrères, Martin refuse, laissant à « leur supérieur et souverain
» le soin de se juger lui-même et de s’infliger lui-même la pénitence qu’il
estime nécessaire (297) |
|
[II, p. 43]
[Marcellinus pape XXXI] Apres la mort le pape Gayus
vacat ly siege XXV jours, et apres, à XVIIIe jour de may, fut consacreis à
pape I preistre qui fut nommeit Marcellinus, qui fut de la nation de Romme,
le fis Projectus, de la region de la Large Voie, qui tient le siege VI ans
et XV jours ; et selonc Martiniain, VII ans II mois et
XXV jours ; et solonc Damasus le
pape et le matirloige Usuarde et les croniques Prosper, IX ans IIII mois. |
[II,
p. 43] [Marcellin, trente et unième pape] Après la
mort du pape Caïus, le siège fut vacant vingt-cinq jours. Et, le 27 mai [297],
un prêtre nommé Marcellin, originaire de Rome, fils de Projectus, de la
région de la Via Lata, fut consacré
pape. Il occupa le siège six ans et quinze jours ; sept ans, deux mois
et vint-cinq jours selon Martin ; neuf ans et quatre mois selon le pape
Damase [Liber
pontificalis], le martyrologue d’Usuard [IXe
siècle] et les chroniques de Prosper [d’Aquitaine,
Ve siècle]. |
[Ly pape confessat
en conciel qu’ihl avoit adoreit les ydolles] Chis pape
Marcellinus en son premier an, par le commandement del
emperere Dyocletiain,
ilh mettit ydolles en temple del engliese ; mains chu fist-ilh por
paour, sicom ilh confesat puis en plain conciel qu'ilh fist en Campine de
cent et IIIIxx evesques ; et miist des cendres sour son chief et dest
qu'ilh avoit laidement fourfait et pechiet contre la foid, car ilh avoit fait
mettre ydolles ès englieses de Romme, [II,
p. 44] mains chu fut contre sa volenteit ; puis priat aux evesques
que ilhs le vosissent punier et condampneir, car ilh l'avoit bien deservit. |
[Le pape
avoua dans un concile qu’il avait adoré les idoles]
La première année de son pontificat,
le pape Marcellin avait placé des idoles dans des églises, sur ordre de
l’empereur Dioclétien. Par peur, comme il l’avoua
ensuite, lors
d’un concile de cent quatre-vingts évêques, réunis en Campanie. Il s’y couvrit
la tête de cendres, avoua avoir fort mal agi et péché contre la foi, en
faisant ainsi placer des idoles dans les églises de Rome, [II, p. 44] mais [il ajouta] qu’il
avait été forcé à agir ainsi. Il pria ensuite les évêques de bien vouloir le
punir et le condamner, car il l’avait bien mérité. |
[Response en
conciel par Martin, evesque de Tongre] Quant chu entendirent les evesque
qui là furent presens, desqueiles ilh estoit ensemble VIIIxx et IX evesque,
sy respondirent par le boche sains Martin, evesque de
Tongre, qui dest enssi : « Sire sains pere, nos trovons en l'Escripture que
sains Pire, qui fut soverain prinche des apostIes, renoiat Dieu III fois de
boche et nient de cuer, et encordont ilh forfist, et non mie tant que ilh
l'ewist fait de cuer ; si volt que les aultres apostles le condempnassent de
chu qu'ilh avoit enssi forfait, mains nuls ne le volt faire, ains ly dessent
qu'ilh estoit deseur et soverains d'eaux, se ne poioient jugier ne coregier
leur soverain ; mains luy-meismes soy jugat solonc chu que ilh pensoit avoir
meffait envers Dieu. Et oussi, sains peire, vos esteis nostre soverain, se
ne vos poions jugier ; ains vos jugiés vos-mesmes, et se prendeis la
penanche solonc chu que vos quideis avoir fourfait. » En teile manere
dessent les aultres evesques qui là furent presens. |
[Réponse
faite lors du concile par Martin, évêque de Tongres]
Quand les cent soixante-neuf évêques alors présents entendirent cela, ils
répondirent par la bouche de saint Martin, évêque de Tongres : « Sire
Saint-Père, nous trouvons dans l’Écriture que saint Pierre, qui fut le
prince
souverain des apôtres, renia Dieu trois fois, de bouche et non de
cœur. Il avait donc commis une faute, mais moins grave que s’il avait renié Dieu
selon son cœur. Il voulut que les autres apôtres le condamnent pour cela,
mais aucun ne voulut le faire, lui disant qu’il était leur supérieur et leur
souverain, et qu’ils ne pouvaient ni juger ni punir leur souverain: il
n'avait qu'à juger lui-même selon la gravité de la faute
qu’il estimait avoir commise envers Dieu. De même, saint Père, vous aussi
êtes notre souverain et nous ne pouvons vous juger. Jugez-vous vous-même, et
choisissez la pénitence correspondant à la faute que vous croyez avoir
commise. » Les autres évêques qui étaient présents s’exprimèrent de la même
manière. |
[Le penanche che li
pape fist portant qu’ilh aorat les ydols] Et quant ly pape Marcellinus
entendit chu, se prist teile penanche que dedont en avant, tant qu'ilh
viscat, ilh vestit à sa chaire une cotte de pols de chien ou de chamos qui
ly faisoit le sanc issir de sa chair ; et mettit dedens ses
cauchemens des cendres et des pires menues. Et
demorat longtemps à Rains en Champangne que ilh n'osoit ralleir à Romme, se
que tous chi temps vacat ly siege. Dont Prosper parolle en ses croniques,
qu'ilh vacat VII ans VI mois et XXV jour. |
[La
pénitence du pape pour avoir adoré les idoles]
En
entendant cela, le pape Marcellin s’infligea la pénitence que voici. Dès ce
moment et jusqu’à la fin de sa vie, il s’habilla d’une tunique en poil de chien
ou de chameau qui le faisait saigner, et il mit dans ses chaussures des
cendres et des petits cailloux. Il demeura
longtemps à Reims en Champagne,
sans oser retourner à Rome. Et durant tout ce temps, le siège fut vacant.
Prosper, dans ses chroniques, dit que la vacance dura sept ans, six mois et
vingt-cinq jours. |
Mort de saint Martin, septième évêque
de Tongres - Saint Maximien comme huitième évêque (297) |
|
[II,
p. 44] [Sains Martin
de Tongre morut]
En cel an meismes, le XIe kalende de jule, morut
sains
Martin, evesque de Tongre VIIe, qui avoit sa dyocese governeit mult
debonnairement. |
[II,
p. 44] [Mort de saint Martin de Tongres] Cette même
année [297], le 11 juin, mourut saint Martin, septième évêque de Tongres,
qui avait gouverné son diocèse avec bonté et bienveillance. |
[De sains Maximien
le VIIIe evesque tongrois]
Apres sa mort fut evesque de Tongre VIIIe sains Maximien, qui avoit esteit
disciple à sains Martin deseurdit ; et tient le siege XVI ans, et fist mult
de bien en son vesqueit. Chis fut tres-noble hons et maistre en theologie ;
ilh fut de pere et de
mere sarasins,
de la nation de Dannemarche, et sy estoit cusin à l'emperere Dyocletiain et
Maximiain. Si oit nom son pere Maximiain, qui estoit fis le duc de
Bulgarie ; et sa mere oit nom Helaine, soreur à Dyocletiain. Mains ilh vient
en la compangnie sains Martin al prechier en Bulgarie, et devient son
disciple et soy fist de luy baptizier, et fut ly VIIIe evesques de Tongre. |
[Saint
Maximien, huitième évêque de Tongres] Après sa
mort lui succéda comme huitième évêque saint Maximien, qui avait
été son disciple. Il occupa le siège seize ans et fit beaucoup de bien dans
son évêché. C’était un homme très noble, maître en théologie. Né de père et
de mère païens, originaire du Danemark, c’était un cousin des empereurs
Dioclétien et
Maximien. Il portait le nom de son père Maximien, qui était le fils du duc
de Bulgarie ; sa mère qui s’appelait Hélène était la sœur de Dioclétien. Il
rencontra saint Martin lorsque celui-ci vint prêcher en Bulgarie, devint son
disciple et se fit baptiser par lui. Il fut le huitième évêque de Tongres. |
Dioclétien, en Orient, et Maximien, en
Occident, persécutent le christianisme dans tout l’Empire - Destruction des
églises - Nombreux martyrs (299-300) |
|
[Les II empereres s’en
allont, ly I en Occident et l’autre en Orient, por destruire tout
cristiniteit]
Item, l’an IIc et XCIX, assemblat ly emperere de Romme Dyocletianus mult gran
gens, puis les [II, p. 45] partit
en II parchons : se delivrat l’une à Maximiain Hercules, et l’envoiat vers
Occident
por destruire les englieses et la loy cristine ; et luy-meisme prist l’autre
parchon, sy s’en allat vers Orient por chu meismes destruire ; car ilh ont
proposeit de toutes les englieses et de la loy catholique mettre affin.
Enssi fut cristiniteit en grant persecution par tout le monde. |
[Les
deux empereurs partirent, l’un en Occident et l’autre en Orient, pour anéantir
toute la chrétienté] L’an 299, Dioclétien, l’empereur de Rome, rassembla
une très grande armée, qu’il [II, p. 45]
répartit en deux. Il en
donna une partie à Maximien Hercule et l’envoya en Occident pour y détruire
les églises et lutter contre la foi chrétienne. Lui-même prit la tête de
l’autre pour faire les mêmes destructions en Orient. Ils s’étaient en effet proposés de mettre fin à toutes les églises et à la foi
catholique. Ainsi la chétienté fut très persécutée partout. |
[Toutes les
englieses de Romme furent abatues et dez paiis là entour - Sains Sebastin fut
martirisiet et pluseurs altres sens nombre] Et promierement ilhs fisent abattre
toutes les englieses de la citeit de Romme et des paiis là altour. Mult de
prinches et de chevaliers qui
creoient en Dieu en furent mult corochiés, et les empereres les envoiarent
en exilh, portant que ilhs ne les osoient ochire ; et si en ont fait
martirisier sens nombre, et par especial ilh fisent martyrisier sains
Sebestiain, et fut loiiés à une estaiche et trais des paiiens de saetes en
son corps. |
[Toutes
les églises de Rome et des alentours furent détruites - Saint Sébastien fut
martyrisé, ainsi que d’innombrables autres] D’abord ils
firent abattre toutes les églises de la ville de Rome et des régions
voisines. Beaucoup de princes et de chevaliers qui croyaient en Dieu en
furent très irrités : les empereurs
les exilèrent
car ils n’osaient pas les tuer. Ils en firent martyriser un nombre
incalculable, notamment saint Sébastien, qui fut lié à un poteau et eut le
corps percé de flèches tirées par les païens. |
[Sainte Anastaise,
Agnes, Gervase et Prothase et pluseurs]
Apres ilhs fisent martyrisier sainte
Anastaise, sainte Agnes virge, sains Mediolain, sains Gervaise, sains
Prochaise, sains Gorgoine, sainte Aghisse, sains Grisogonne,
sains Quentin et pluseurs altres. Et quant ilhs orent enssi priveit Romme de
la loy Jhesu-Crist, sy soy misent al chemyn. |
[Les
saintes Anastasie et Agnès, les saints Gervais et Protais, et beaucoup
d’autres] Ensuite ils firent martyriser sainte Anastasie,
sainte Agnès vierge, saint Milan,
saint Gervais, saint Protais, saint Gorgon, sainte
Agathe, saint Chrysogone, saint Quentin, et beaucoup d’autres. Et après
avoir ainsi privé Rome de la loi de Jésus-Christ, les empereurs se mirent en
route. |
[L’an IIIc - Alixandre fut
destruit et tous cristiens ochis, et Antioche et Egea] Item, l’an IIIc, gangnat ly
emperere Dyocletiain la citeit de Alixandre en Egypte, où ons creioit en
Dieu ; se mist à mort tous les cristiens,
et tant que tout terre en estoit coverte. Adont fut Alixandre destruit et
les englieses abatues et arses ; et puis ilh destruite Antyoche, qui tout
estoit cristine, et en la citeit de Egea fist tous les cristiens ochire. |
[An
300 - Alexandrie, Antioche et Aegae furent détruites et tous les chrétiens
tués] L’an 300, l’empereur
Dioclétien gagna la cité d’Alexandrie en Égypte, où l’on croyait en Dieu. Il
mit à mort tous les chrétiens, en si grand nombre que la terre en était toute
couverte. Alexandrie fut alors détruite, les églises abattues et incendiées.
L’empereur détruisit Antioche, qui était entièrement chrétienne et, dans la ville de
Aegae [selon Bo, ville de Cilicie, proche d’Antioche], il fit tuer tous les chrétiens. |
[Sains Cosme et sains Damien
furent ochis]
Et adont furent martirisiés II freres
germans
et d’onne porture, assavoir sains Coyme et sains Damyn. |
[Saint
Côme et saint Damien furent tués] Alors furent martyrisés
deux frères jumeaux, à savoir
saint Côme et saint Damien. |
[Et Maximiain vint
en Bretangne où ilh fist mult de mals] Maximiain Hercules, ly aultre
emperere, fasoit de pies qu’ilh poioit d’aultre costeit : chis vint en la
Grant-Bretangne, se le destruit grandement. Adont estoit roy I chaitis qui
son paiis ne governoit mie valhamment, lyqueis fut
nommeis Henris le Blons, qui laidement
laisat son paiis destruire. |
[Maximien vint en Bretagne où il fit beaucoup de mal] Maximien Hercule, l’autre empereur, faisait de son côté le pire mal qu’il pouvait. Venu en Grande-Bretagne, il y causa de grands dommages. Le roi du moment était un faible, du nom d’Henri le Blond ; il ne dirigeait pas très vaillamment son pays et le laissa vilainement détruire. [Sur ce roi, cfr aussi II, p. 51 et III, p. 185] |
[Sains George fut
ochis par Maximiain l’emperere]
A cel temps estoit sains George en la Grant-Bretangne, qui assemblat chu de
gens que ilh pot avoir, sy soy combattit à Maximiain l’emperere, et donnat
les Romans asseis affaire ;
mains en la fin fut-ilh desconfis et pris : si fut-ilh martyrisiet, enssi
qu’en sa legente de sainte Engliese est declareit. |
[Saint Georges
fut tué par l’empereur Maximien] À cette époque, saint Georges
se trouvait en Grande-Bretagne. Il rassembla tous les gens qu’il put,
combattit l’empereur Maximien et donna fort à faire aux Romains.
Mais
finalement il fut battu, capturé et martyrisé, comme le raconte le récit de
la Sainte-Église. |
Le pape Marcellin
- Le nouvel évêque de Tongres, Maximien, retire la sentence
d’excommunication lancée par son prédécesseur contre les habitants d’Horion
- Retour des empereurs à Rome (300-301) |
|
[II, p. 45]
[De pape Marcellinus]
A cel temps revint à Romme
Marcellinus ly pape,
portant qui avoit oiit dire que les
empereres estoient passeis mere. |
[II,
p. 45] [Le pape Marcellin]
À cette époque (300 ?),
le pape Marcellin
rentra à Rome : il avait entendu dire
que les empereurs étaient passés outre-mer. |
Item, l'an IIIe et unc, rapellat la sentenche del excommengnement ly evesque Maximien, de tout chu que sains Martin, son predicesseur evesque de [II, p. 46] Tongre, avoit jetteit sour cheaux de Horion, et les absolit parmy aultre penitanche. |
En 301, l’évêque Maximien retira la sentence d’excommunication que saint Martin, son prédécesseur [II,
p. 46]
à Tongres, avait lancée sur les gens d’Horion
(II, p. 42). Il
leur pardonna moyennant certaines pénitences. |
[De Maximin evesque de Tongre
qui convertit Juley]
Et convertit en cel an meismes ly
evesques
Maximyn de Tongre tout la terre de Julée. Chis estoit sy oviers cler et sy
douls, que queile part ilh alloit ons obeissoit à ly : ly evesque de Trive
et de Collongne le siwoient enssi com II disciples. |
[Maximien, évêque de Tongres, convertit Jülich] Cette
année-là, l’évêque Maximien de Tongres convertit tout le
pays de Jülich (en Allemagne ;
cfr II, p. 146). Cet évêque était si ouvert et
si doux que, partout où il allait, on lui obéissait.
L’évêque de Trèves et celui de Cologne le suivaient comme deux disciples. |
En cel
an meismes, en mois de
septembre,
revient Dyocletiain à Romme ; et oussi fist ly emperere Maximiain. Adont oit
teile paour ly pape Marcellinus qu'ilh fuit en I crotte, por le dobtanche de
la mort. |
Cette même année [301], en septembre, Dioclétien
revint à Rome, tout comme l’empereur Maximien. Le pape Marcellin eut
alors une telle peur qu’il s’enfuit dans une grotte, par crainte de la mort. |
Les deux empereurs romains s’en prennent aux Frisons - Persécutions - De violents combats près de Maastricht, racontés sur le mode épique, opposent les Tongriens aux deux empereurs romains - Les Tongriens reçoivent beaucoup d'aide : en souvenir de saint Martin, Porus est venu avec ses gens (les Sicambres) tandis que l’évêque de Tongres a fait appel à des forces nombreuses (des comtes, des ducs, et les gens de Huy) - On assiste à diverses prouesses héroïques, en particulier celles de Gautier de Saint-Materne - Grâce aux « armes de Dieu » portées par l’évêque Maximien, les Romains sont défaits et rentrent à Rome - Porus de Gaule meurt et est enseveli à Tongres - Le nouveau pape Marcel enterre le pape Marcellin décapité par Dioclétien et laissé sans sépulture - Les Romains de Maximien Hercule triomphent des Alamans et ramènent sous leur domination la Petite-Bretagne - Le cadavre de saint Martin de Tongres ressuscite un mort - Varia [Myreur, II, p. 46b-51a]
* Dioclétien et Maximien Hercule font campagne ensemble en Allemagne - En Frise, ils incendient une ville peuplée de chrétiens, qui avaient été convertis par l’évêque Maximien de Tongres, cousin de l’empereur (301-302)
Dioclétien
et Maximien Hercule font campagne ensemble en Allemagne - En
Frise, ils incendient une ville peuplée de chrétiens, qui avaient été convertis
par l’évêque Maximien de Tongres, cousin de l’empereur
(301-302) |
|
[II, p. 46b] [Les II empereres vinrent vers Frise où
ilhs ardirent I citeit plaine de cristiens] Les empereres ne departirent mie
leurs gens, ains les detinrent ensemble ; si ont entendut que leur
cusin Maximien, evesque de Tongre, avoit
de noveal convertit al engliese de Dieu grant partie d'Allemangne, sy en
allerent celle part. |
[II, p. 46b]
[Les deux empereurs partent pour la Frise
où ils incendient une ville peuplée de chrétiens] Les
empereurs ne séparèrent pas leurs forces, mais les tinrent groupées. Ils
avaient appris que leur cousin Maximien,
évêque de
Tongres, avait de nouveau converti à l’église de Dieu une grande partie de
l’Allemagne. Ils se rendirent dans la région. |
[Ly feu deldit citeit ochist
XIIm Romans et en navrat XLm] Et promier vinrent en Frize, que sains Maximyn avoit
convertit, et ardirent une grant citeit qui oit nom Frigodas, qui estoit
plaine de cristiens ; si encloirent tout altour la citeit,
affin que nuls n'en issist, et jettarent dedens feu grigois à engiens :
enssi furent tous les cristiens ars, et des Romans y fut bien mors de cheluy
feu meismes, qui espitoit par leurs logiches, XIIm hommes et XLm navreis. Se
les covient là sourjourneir I pou de temps. |
[L’incendie
de cette cité tua douze mille Romains et en blessa quarante mille]
Ils
allèrent d’abord en Frise, que saint Maximien avait convertie, et
incendièrent une grande cité, appelée Frigodas, peuplée de chrétiens. Ils l'encerclèrent
complètement, pour que personne ne puisse en sortir, et y lancèrent du
feu grégeois
avec
leurs engins. Tous les chrétiens furent carbonisés,
mais ce même feu, qui se répandait dans leurs
tentes (?), fit dans les rangs romains au moins douze mille tués et quarante
mille blessés. Ils durent
rester là quelque temps. |
Craignant
qu’ils ne songent ensuite à s’en prendre à Tongres, le
duc Porus, en souvenir de saint Martin qui l’avait naguère baptisé, décide
de partir avec ses gens (les Sicambres) pour protéger la ville - De son côté, l’évêque
Maximien fait appel à des forces nombreuses (des comtes, des ducs et les gens
de Huy) - Une bataille près de Maastricht va ainsi opposer les deux empereurs
aux Tongriens, aux Sicambres de Porus, et à leurs alliés - Maastricht -
Prouesses héroïques diverses, dont celles de Gautier de Saint-Materne qui
désarçonne Maximien et Dioclétien - Les Tongriens reculent |
|
[II, p. 46]
[Terrible batalhe entre les II empereres et
les amis l’evesque de Tongre]
Adont entendit ly dus de Galle que les empereres alloient enssi par tous
paiis destruant les cristiens ; si en oit grant dobtanche que ilhs
n'allassent à Tongre, de quoy Sains-Martin, qui l'avoit baptesiet, avoit
esteit evesque ; sy jurat que por l'amour de Dieu et de Sains-Martin ilh
yroit à Tongre et le garderoit. Si assemblat tantoist ses hommes,
et descendit à grant gens vers Allemangne ; mains enssi qu'il vient droit à
Tongre, ilh trovat les Romans qui jà estoient entreis en pays del evesqueit
de Tongre ; si trovat I chevalier, cusin à l'evesque de Tongre, qui tous les
cristiens de Tongre avoit assembleit. Se le veit volentirs. |
[II,
p. 46] [Terrible bataille entre les deux empereurs et les amis de l’évêque de
Tongres] Quand Porus, le duc de Gaule, entendit dire que les
empereurs s'en allaient ainsi anéantir partout les chrétiens, il eut grand
peur qu’ils n’allassent à Tongres, la ville dont avait été évêque saint
Martin, qui avait baptisé le duc (cfr II, p. 40-41). Porus jura que, pour
l’amour de Dieu et de saint Martin, il irait protéger Tongres. Il rassembla
aussitôt ses hommes et partit avec de grandes forces vers
l’Allemagne. Mais juste en arrivant à Tongres, il apprit
que les Romains avaient déjà pénétré dans le diocèse. Il rencontra un
chevalier cousin de l’évêque de Tongres, qui avait rassemblé tous les
chrétiens de la ville et qui se réjouit beaucoup de voir le duc. |
Si
soy misent ensemble Tongrois et Sycambiens, et vinrent à Treit où les Romans
estoient logiés ; si les ont tantoist sus corus : là oit gran peuple,
car ly evesque de Tongre avoitmandeit le duc d'Ardenne, le duc de Lotringe,
le conte de Dynant, le conte de Namur qui vinrent bien à XLm hommes, et le
conte d'Osterne, et cheaux de Huy ; et Ranfroy, ly dus [II, p. 47] d'Ardenne, les
conduisoit. |
Tongriens et Sicambres unirent leurs forces et
allèrent à Maastricht où campaient les Romains. Ils les attaquèrent
immédiatement. Il y avait là beaucoup de monde, car l’évêque de Tongres
avait mandé le duc d’Ardenne, le duc de Lorraine, le comte de Dinant, le comte
de Namur qui étaient venus avec quelque quarante mille
hommes. Il y avait aussi le comte d’Osterne et les gens de Huy. Ranfroy, le duc
[II, p. 47] d’Ardennes, les commandait.
|
Et
dist ly hystoire que Dyoclétiain estoit enfourmeis que Porus, ly duc de
Galle, estoit en l'aiide de cheaux de Tongre ; se vint à criant par la
batalhe : « Porus, où es-tu aleis ? Je veulhe prendre
crueuse venganche de toy, car je moray en la paine ou je toy ochiray, et
proveray à mon espée que tu es trahitre renoiés. » Puis escriat les Romans
et dest : « Je ochiray le promier qui serat conseus de ma lanche, sy que les
aultres en seront enbahis. » Adont respondit Maximiain, son compangnon :
« Sires, alleis avant, je suray tantost apres. Se vos en ochiés XX, j'en
tueray XL ; brochiés tantost avant, car je ne vos refuseray point. » Adont
brochat Dyocletiain et bassat sa lanche ; mains Gautier de Sains-Materne
vint contre luy qui estoit, et fut pluseurs fois bien seul et proveit qu'ilh
estoit, ly unc des miedre chevalier de monde, et ly plus fors et plus
hardis. |
L’histoire raconte que Dioclétien savait que Porus, le duc de Gaule, était
venu aider les Tongriens. Il arriva sur le champ de bataille en criant :
« Porus, où es-tu ? Je veux me venger
cruellement de toi ; ou bien je mourrai en plein
effort, ou bien je te tuerai,
en prouvant par mon épée que tu es un traître renégat. » Puis il s’écria,
s’adressant aux Romains : « Je tuerai le premier qui s’approchera de ma
lance et tous les autres en seront effrayés. » Alors, Maximien, son collègue,
répondit : « Sire, passez devant, je serai derrière vous. Si vous en tuez
vingt, j’en tuerai quarante. Foncez le premier sans attendre, je ne vous
ferai pas défaut. » Alors Dioclétien fonça, lance baissée. C’est Gautier de
Saint-Materne qui se présenta contre lui. Il était tout seul. Il le fut plusieurs
fois d’ailleurs, prouvant qu’il était un des meilleurs chevaliers du monde,
le plus fort, le plus hardi. |
L'emperere le fiert en l'escut, si l'at fauseit, et le habiers fausat, et
point ne le navrat en chair, car ilh brisat sa lanche. Et Gautier l’at
asseneit sy fort, qu'iI ly perchat l'escut et le habiers, et le navrat en
costeit, et fut mors Dyocletiain, mains la lanche frossat et ilh chaiit à
terre luy et son cheval. Et Gautier escriat : « Sains-Materne » - c'estoit
son cris, mains ons le nomme Chaynéez maintenant -, puis trahit I’espée se
soy ferit en la batalhe, se detrenchoit à diestre et à senestre, et abattoit
tout à terre. Et ly dus Porus de Galle queroit l'emperere, et ochioit tant
des Romans qu'ilh des mors covroit la terre. Et les Sycambiens assalhent
ches Romans, et en ochient tant que chestoit
mervelhe à veoir, et les font fuyr devant eaux ; et enssi font Tongrois, qui
estoient fortes gens et hardies. Et ly dus Porus at tant alleit par la
batalhe, querant Dyocletiain, que ilh at encontreit Maximiain Hercules,
l'autre emperere ; se ly donnat unc teile tatin que par arme nulle qu'ilh
ait ne fut refuseray, que ilh ne ly oit trenchiet neis, balevre et orelhe,
et l'abatit à terre pasmeit ; mains les Romans l'emportarent tantoist aux
treis. Quant Dyocletiain le soit, sy en fut mult yreis ; sy broche le
cheval, sy encontrat Piron de Monroial, se le fendit en deuz, puis at ochis
Tybal Baffu et Otyneal Dos. |
L’empereur le frappa à l’écu, qu'il endommagea, endommageant aussi le haubert, mais sans atteindre la chair, car la lance s’était brisée. Gautier répliqua en frappant si fort l’empereur qu’il lui perça l’écu et le haubert, le blessant au côté. Dioclétien aurait pu être tué, mais la lance de Gautier s’était brisée. L'empereur tomba à terre, avec son cheval. Gautier cria : « Saint-Materne » -- c’était son cri de guerre, mais on dit aujourd’hui Chénée --, tira l’épée et se porta au combat : il taillait à droite, à gauche, et jetait tout le monde à terre. Le duc Porus de Gaule aussi cherchait l’empereur, tuant tant de Romains que la terre était couverte de cadavres. Les Sicambres aussi attaquent : ils tuent tellement de Romains que c’en est merveille et les mettent en fuite. Les Tongriens, qui étaient gens forts et hardis, font de même. Le duc Porus, cherchant Dioclétien, a tant parcouru le champ de bataille qu’il a rencontré Maximien Hercule, l’autre empereur. Il lui asséna un tel coup qu’aucune arme en sa possession n’aurait pu l’empêcher d’avoir le nez, les lèvres et l’oreille tranchés, et de tomber à terre sans connaissance. Quand Dioclétien apprit cela, il en fut très irrité. Il lança son cheval en avant et rencontra Pierre de Montroyal qu’il coupa en deux. Puis il tua Thibaut Baffu et Ottinel Dos. |
Chu
at bien veyut Gautier de Sains-Materne [II,
p. 48], sy broche vers l'emperere et le fert par teile manere que, se
l'espée ne fust tournée, mors fust l'emperere ; et nonporquant ilh ly at
coupeit hayme, cheveal, chair, et cheveais jusques al teste ly rasat, et
coupat le chief de cheval. Adont convient Dyocletiain chaiir à terre, et
Gautier le rasalt ; mains les Romans qui vinrent là ly ont lanchiet
mains espiel et fassart, et Gautier broche sour eaux aux esporons, et les
castie de son espée par teile maniere qu'il en at ochis XXIX ; mains ilh
fut tant des Romans qu'ilh ly covient lassier l'emperere. Et encors s'enforcharent
sy les Romans, qu'ilh ont reculeit les Tongrois demy bonir. |
Gautier de Saint-Materne
[II,
p. 48] a vu toute la scène. Il fonce sur l’empereur et le
frappe de telle manière que celui-ci serait mort si l’épée de Gautier n’avait
pas été détournée. Elle lui coupa cependant le heaume, atteignit la chevelure
et la chair, lui rasant la tête et tranchant celle de
son cheval. Une fois Dioclétien à terre, Gautier se précipite
à nouveau sur lui. Mais les Romains arrivèrent en
lui lançant quantité de traits et d’épieux. Gautier éperonna son cheval, se
précipita sur eux, les frappa de son épée et en tua vingt-neuf. Mais ils
étaient si nombreux que Gautier dut abandonner l’empereur. Les renforts
reçus par les Romains obligèrent même les Tongriens à reculer d’un
demi-bonnier. |
L’évêque
Maximien se prépare à
intervenir - Les combats acharnés continuent - Porus de Gaule notamment défie
Dioclétien, le blesse, en lui coupant le nez et la main - L’empereur doit
fuir |
|
[II, p. 48]
Ly evesque estoit en une des
tours de murs de la citeit, se veioit la batalhe ; se veit les Tongrois
reculeir. Adont ilh s'en allat en sa capelle, et I aultre dist que chu
avient elle capelle de Vernay ; mains en chu n'at nulle debat, car
Vernay seioit asseis pres
d'une des portes delle vilhe dedens les forbos, enssi que Sains-Cristolfe
siet pres de Liege en forbos. |
[II,
p. 48]
L’évêque se tenait dans une
des tours de la cité et regardait la bataille. Voyant reculer les Tongriens,
il se rendit dans sa chapelle. Un autre auteur dit que cela se passa dans la
chapelle de Vernay (cfr I, p. 465 ; Geste
de Liège,
4309), mais la question ne peut être discutée, car Vernay se
trouvait près d’une des portes de la ville dans les faubourgs, comme
Saint-Christophe se trouve dans les faubourgs près de Liège. |
Quant
ly evesque Maximiain vint en la capelle, sy s'armat des armes de Dieu, et
soy mist en genols, et fist son orison à Dieu que Dieu donnast victoir aux
parties des cristiens qui le servoient de cuer parfaitement. |
Arrivé dans la chapelle, l’évêque Maximien arriva,
s’arma des armes de Dieu, se mit à genoux et pria Dieu de donner la
victoire au parti des chrétiens qui le servaient
de tout leur cœur. |
Et la
batalhe s'enforchoit grandement, car I amachour arcades (Bo), qui tenoit Treit del duc de Lotringe en
fies, chis at ochis Jonas de Pavie et sonné unc moienes. Quant Gautier de
Sains-Materne entent le son, si vat cel part ; si trovat en sa voie mort son
gendre Engorant de Bersés, le marit Agnes sa filhe, que Palamides qui fut
sires de Pise, mult bon chevalier et preux, avoit ochis. Mains
Gautier ly escriat : « Palamydes, retourne-toy, s'il at en toy pointe de
proieche en cuy j'en tieng gramment et joste à moy ; tu as ochis mon genre,
tu le vals bien, mains que tu toy retourne à moy, car morir toy covient. »
|
La bataille devenait de plus en plus violente.
En effet, Arcades, un amachour [un commandant de corps
d’archers], qui avait reçu Maastricht en fief du duc de Lorraine,
avait tué Jonas de Pavie et sonné du cor. Quand Gautier de
Saint-Materne entend le son, il se dirige de ce
côté et trouve sur sa route le cadavre d’Enguerrant de Bierset, le mari
de sa fille Agnès, que venait de tuer Palamède, seigneur de Pise, très bon
chevalier et preux. Gautier lui cria : « Palamède, reviens si tu as en toi
un peu de bravoure, ce dont je suis bien pourvu, et bats-toi avec moi. Tu as
tué mon gendre, tu le vaux bien, reviens vers moi, car tu dois mourir. » |
Et quant chis entent Gautier, si seit bien qu'ilh est I hons perdus ; mains ilh fut sy proidhons en sa loy qu'il retournat, et haulche l'espée, se quidat ferir Gautier ; mains Gautier ly ferit fours le coul en esquermisanche (Bo) : de cel cop [II, p. 49] meismes le ferit sur le hayme par teile randon qu'ilh le fendit en II tou mors (Bo). Apres at ochis Arnart et Fouques, Pynars, Julliens, Accilles et Rangars. En l'estour est ferus, l'espée en son pongne, bras estendus, et abat Romans à terre, et leurs chevals ochist. |
Quand Palamède entend ces mots de Gautier, il se sait
perdu ; mais c’est un homme si loyal qu’il revient sur ses pas et,
brandissant son épée, veut frapper Gautier. Mais celui-ci
le devance
[II, p. 49] et le frappe si violemment sur le heaume
que son adversaire est coupé en deux, mort. Gautier tue ensuite Arnaud et
Foulque, Pynars, Julien, Achille et Rangars.
Il entre dans la bataille, épée au poing, bras tendu, jetant les Romains à
terre et tuant leurs chevaux. |
Et
d'aultre costeit estoit ly dus Porus, qui faisoit de fais d'armes plus que
nuls aultres. Ilh
escrie les
cristiens qu'ilh depriassent à leur Dieu qu'ilh les vosist socorrir, en
donnant victoir encontre les Romans. A cel cop broche le cheval, sy soy
fiert en l’estour, si encontre Dyocletiain l'emperere. Adont ly dus le fiert
del brant trenchant, si qu'ilh ly vat fendant le hayme et le coefre de
habier, et ly coupat le neis sy que l'emperere s'enclinat ; et ly dus le
voit, se ly donne le secon coup, se ly coup le pongne diestre, si qu'ilh
chaiit à terre. Et Dyocletiain s'enfuit, si lassat là son pongne : enssi soy
mist Dycletiain al fuyr del estour. |
Dans un autre coin, le duc Porus accomplissait plus
de faits d’armes que nul autre. Il crie aux chrétiens de prier leur Dieu de
bien vouloir les secourir, en leur donnant la victoire contre les Romains.
Là-dessus le duc éperonne son cheval, se jette dans la bataille et rencontre
l’empereur Dioclétien. Le duc frappe l’empereur du tranchant
de sa grosse épée, fend son heaume, la coiffe de son haubert et lui coupe le
nez. L’empereur vacille. Le duc s’en aperçoit, lui assène un second coup qui
lui coupe le poing droit et provoque sa chute. Dioclétien alors s’enfuit,
abandonnant sa main sur place. Il quitte le champ de bataille. |
L’évêque
Maximien de Tongres sort de sa chapelle sur le champ de
bataille, portant les « armes de Dieu » - Aussitôt, par miracle, nombre de
Romains périssent - Les survivants et les deux empereurs blessés rentrent à
Rome, où on fête la victoire des chrétiens - Porus de Gaule meurt et est
enseveli à Tongres (302) |
|
[II, p. 49]
[L’evesque awec son college issirent de
Tongre armeis dez armes de Dieu et aportat
corpus Domini] A celle propre pointe qu'il fuyoit,
vint li evesque de Tongre et son college awec luy armeis des armes de Dieu,
en chantant la letanie, et aportoit le corps Nostre-Sangnour awec ly en une
boiste d'argent, et at sengniet l'estour III fois. Atant vat Jhesu-Crist
teiles myracle monstrant, que les Romans vont à terre chaïr mors, enssi et
en teile maniere que plueve et gresal que ilh
en escappat pou. Et Tongrois retournent qui vont aorant Dieu en jettant à
terre en crois. |
[II,
p. 49] [L’évêque, avec son collège, sortit de Tongres, armé des armes de Dieu,
et apporta le corps du Christ] Au moment précis où Dioclétien
s’enfuyait, l’évêque de Tongres
arriva, accompagné de son collège épiscopal
(cfr II, p. 48b). Armé des armes de Dieu et chantant les litanies, il porte
avec lui le corps de Notre-Seigneur dans une boîte d’argent et bénit trois
fois le champ de bataille. Alors Jésus-Christ accomplit un tel miracle que les Romains
tombèrent morts, comme pluie et grêle. Peu d’entre eux en réchappèrent. Les
Tongriens rentrent chez eux, adorant Dieu et se jetant à terre les bras en croix. |
[Devant Tongre
furent ochis XXXm Romans et II empereres navreis] Chu fu l'an IIIc et II, le VIe jour
de mois de junne : si oit XXXm Romans mors, et les II empereres revinrent à
Romme mult navreis, et les fuyans qui
escapparent awec eaux. Et quant ly college de Romme soit par veriteit que
les II empereres estoient enssi affolleis, et que les cristiens ont contre
eaux oyut victoir, sy en orent grant joie et en fisent grant feste. |
[Devant
Tongres furent tués trente mille Romains et deux empereurs furent blessés]
Cela se passa en 302, le sixième jour de juin. Trente mille Romains avaient
trouvé la
mort. Les deux empereurs revinrent à Rome grièvement blessés, avec les
rescapés. Et quand les membres du collège (épiscopal) de Rome eurent la
confirmation que les deux empereurs étaient blessés et que les chrétiens les
avaient vaincus, ils en eurent grande joie et firent grande fête. |
[Ly noble dus Porus de Galle
morut à Tongre del batalhe devantdit] Et les Tongrois festient le duc
Porus, qui estoit maistre de gerroier, enssi que ly ors est des metals, mains
ilh estoit navreis en chief, sy estoit hornuf qui estoit malasiet et
chauls ; si sourjournat ly dus à Tongre, sy oit de
phisechiens et des
cyrurgiens à grant planteit ; mains ilh n'est riens qui valhe contre la
mort, car ilh morut en la citeit de Tongre, et eslut sa sepulture à Tongre en
l'engliese où Sains Martin fut ensevelis. Et fut là fait une tombe eslevée et
riche, et laisat à l'engliese de Tongre bien le valeur de IIIm besans d'or,
qui montent bien [II, p. 50] milh
royals ; |
[Porus,
le noble duc de Gaule, mourut à Tongres des suites de la bataille]
Les
Tongriens fêtèrent le duc Porus, le maître des guerriers comme l’or est le
maître des métaux. Mais il était blessé à la tête. C’était le mois des récoltes, incommode et chaud. Le duc resta à
Tongres, il eut là des médecins et
des chirurgiens en grand nombre, mais rien n’est efficace contre la mort. Il
mourut à Tongres et choisit pour sépulture l’église où saint Martin avait été
enseveli. On lui éleva une haute tombe fort riche. Il laissa à l’église de
Tongres la valeur de trois mille besants d’or, ce qui correspond à peu près [II, p. 50] à mille pièces royales. |
[De duc de Galle] là meismes fut
fais dus son fis Marcones, qui
fut mult simple, et regnat XXXII ans. |
[Le duc de
Gaule] En ce lieu-même, fut fait duc son fils Marcon,
qui fut très simple et régna pendant trente-deux ans
(cfr II, p. 56 et
II, p. 67). |
Le
pape Marcellin est décapité et laissé sans sépulture
par Dioclétien - Marcel voit lui apparaître saint Pierre, qui lui ordonne
d’enterrer Marcellin dans la tombe de saint Pierre (Saint-Calixte) et de ne
pas obéir à Dioclétien - Marcel est consacré pape - L’évêque Maximien fonde
des églises à Tongres (303) |
|
[II, p.
50] [Dyocletiain
fist decolleir le pape Marcellinus et jut là son corps XXX jours en despit de
cristiens]
Item, l'an IIIc et III, vint la novelle à Dyocletiain que ly dus
Porus estoit mors cristiens à Tongre, dont ilh fut mult liies ; et se li
vinrent des altres novelles que ly pape Marcellinus et son college avoit
faite grant fieste de
la disconfiture et de leur mechief qui les estoit avenus. |
[II, p. 50] [Dioclétien
fit décapiter le pape Marcellin et laissa son corps à l’abandon pendant
trente jours par
mépris des chrétiens]
L’an 303,
Dioclétien apprit que le duc Porus était mort en chrétien à Tongres, il fut
très content de sa mort. Il apprit aussi que le pape Marcellin et son
collège avaient beaucoup fêté la défaite des Romains et leur malheur. |
De chu fut Dyocletiain mult corochiés, se fist le secon jour de
junne ledit pape decolleir, et fut ensevelis en la cymitere Sains-Calixte. Chis pape, quant ilh vivoit encors, sy priat et commandat à I
sien disciple, qui avoit nom Marcel, que ilh, quant ilh seroit consacreis
pape apres ly, qu'ilh ne obeiist de riens aux commandemens Dyocletiain, car il en avoit
esteit decheus vilainement. |
Cela irrita beaucoup Dioclétien. Le 2 juin, il
fit décapiter le pape Marcelllin qui fut enterré dans le cimetière
Saint-Calixte. Ce pape, quand il était encore en vie, avait ordonné à un
de ses disciples, appelé Marcel, que, quand il serait consacré pape
après lui, il n’obéisse en rien aux ordres de Dioclétien, car cet empereur
l’avait honteusement trompé. |
[Sains Pire
s’apparut por ensevelier ledit pape]
Et quant Marcellinus fut martyrisiet,
si jut son corps XXX jours en la plache de son martyr, en
exemple et en despit des cristiens.
Apres les XXX jours se vint Marcel, son disciple, qui estoit preistre, awec
les altres preistres et dyaques et altres cristiens à grant lumiere, en
chantant ymnes, et le ensevelirent, et fut ensevelis enssi com dit est.
|
[Saint Pierre apparut pour qu’on ensevelisse le pape] Le corps de Marcellin resta exposé trente jours, à l’endroit même où il avait été martyrisé, pour servir d'exemple et humilier les chrétiens. Après ces trente jours, son disciple Marcel arriva, avec des prêtres, des diacres et d’autres chrétiens, en pleine journée et en chantant des hymnes. Ils l’ensevelirent. C'est ainsi que les choses eurent lieu. |
Et
dist Martiniain que sains Pire à XXXe jour s'apparut à Marcel, et ly dest :
« Marcel, dors-tu? » Et Marcel ly dest : « Qui es-tu, sire ? »
Respondit sains Pire : « Je suy Pire, ly prinche des aposles, qui weulh
savoir porquoy tu as tant lassiet le corps de moy sens ensevelir gesir en la
plache. » Et ilh ly donnoit à entendre que tous les papes fideles, qui
avoient esteit et seroient chi apres, estoient tous le corps sains Pires. Et
dest encor sains Pires : « N'as-tu mies luit que tos cheaux qui soy
humilieront seront ensauchiés ; et ilh est bien humiliiet qui en teile
sepulture at esluit ; or, sus tantoist et vas, se l'ensevelis deleis moy ».
Et enssi fut-ilh ensevelis en la tombe sains Pire. |
Selon Martin, saint Pierre, le trentième jour,
était apparu à Marcel, pour lui dire : « Marcel,
dors-tu ? » Et Marcel dit : « Qui es-tu,
Seigneur ? » Saint Pierre répondit : « Je suis Pierre,
le prince des apôtres, qui veut savoir pourquoi tu as laissé si longtemps sans
l’ensevelir mon corps étendu à l’endroit de mon martyre. » Il lui
signifiait
ainsi que les papes fidèles, anciens et futurs, étaient tous le corps de
saint Pierre. Et Pierre dit encore à Marcel : « N’as-tu pas lu que
ceux qui s’humilieront seront glorifiés ? Et il est bien humilié celui
qui a choisi pareille sépulture. Aussi
lève-toi tout de suite, et va l’ensevelir près de moi. » C’est ainsi que
Marcellin fut enseveli dans la tombe de saint Pierre. |
[Marcellus le
XXXIIe pape] Apres la mort Marcellinus vacat li siege XXXV jours, et
apres, assavoir le VIII jour de mois de julle, fut ly dis Marcellus
consecreis pape, qui
fut de la nation de Romme, le fis Benedic de la Large Voie,
et tient le siege V ans et VIII jours. |
[Marcel, trente-deuxième
pape] Après la mort de Marcellin, le
siège resta vacant
pendant trente-cinq jours. Ensuite, le 7 juillet, le dit Marcel fut
consacré pape. Il était originaire de Rome, fils de Benoît de la Via Lata, et
il occupa le siège cinq ans et huit jours. |
[De l’evesque de
Tongre]
En
cel an edifiat à Tongre une engliese en l'honeur Sains-Martin, ly evesque
saint Maximyn, et y mist XII canones bien renteis. Et puis fondat une altre
engliese en l'honeur des apostles sains [II,
p. 51] Bertremeir et sains Andrier. |
[L’évêque
de Tongres] Cette année-là [303], l’évêque saint Maximien édifia à Tongres une église en l’honneur
de saint Martin. Il y plaça douze chanoines avec une forte
rente. Il fonda ensuite une autre église en l’honneur des saints apôtres [II,
p. 51]
Barthélemy
et André. |
Les
Romains de Maximien Hercule finissent par
triompher, après diverses batailles, des Alamans rebelles au tribut et
ramènent sous leur domination la Petite-Bretagne - Succession en Hongrie -
Martyre de saint Vincent en Espagne - Ordination de quinze cardinaux - Saint
Martin de Tongres ressuscite un mort - Reconstruction des églises en
Grande-Bretagne, en Égypte, en Syrie - Les Huns en Russie - Le pape Marcel
est décapité par l’empereur Maxence (dont on n’avait pas encore parlé)
(303-308) |
|
[II, p. 51]
[Grandes batalhes entre Romans et Allemans]
Item, en cel an,
assemblat l'emperere Maximiain Hercules ses oust, sy allat contre les
Allemans qui estoient rebelles contre l'empire, si oit batalhe à eaux ;
mains les Romans furent desconfis la promier fois. En apres soy
rassemblarent les Romans, si orent altres
fois
batalhes, où les Allemans furent desconfis ; et si en fut mors LXm, et
demorarent subgis as Romans com devant. Puis revint l'emperere Maximiain et
les aultres à Romme. |
[II,
p. 51] [Grandes batailles entre Romains et
Alamans] Cette
année-là [303], l’empereur Maximien Hercule rassembla son armée, marcha
contre les Alamans qui s’étaient rebellés contre l’empire et leur livra
bataille. Les Romains furent battus dans cette première rencontre, mais ils
se regroupèrent, livrèrent d’autres batailles où les Alamans cette fois
furent vaincus. Il y eut
chez eux soixante mille morts et ils restèrent soumis aux Romains comme
précédemment. L’empereur Maximien et les autres revinrent à Rome. |
Et en
cel an meismes, à la revenue, ilhs remisent la terre de la petite Bretangne
en
leur subjection par
tregut. |
Cette année-là, sur la route du retour, les Romains
remirent la Petite-Bretagne en leur pouvoir et lui firent payer le
tribut. |
[De Hongrie] En cel an, en mois
d'octembre, morut Edor, ly roy de Hongrie ; si
regnat apres luy son fis Prian
XLIII ans, et fut bon chevalier. |
[Hongrie] En
octobre de cette année mourut Edor, roi de Hongrie. Après lui, son fils
Priam régna quarante-trois ans. Ce fut un bon chevalier. |
[De sains Vincent]
Item, l'an IIIc et V, le
XXIIe jour de mois de jenvier, fut
martyrisiet en Espangne sains Vincens. |
[Saint
Vincent]
En l’an 305, le 22 janvier, saint Vincent fut
martyrisé en Espagne (cfr II, p. 173). |
[Des XV cardinals] En cel an, en mois de marche
ordinat ly pape Marcel XV cardinals, por eistre tousjours secrétaires de
papes, et por les baptemmes et les
sepultures des hommes cristiens. |
[Les
quinze cardinaux]
En mars de
cette année [305], le pape Marcel ordonna quinze cardinaux, pour être
toujours les hommes de confiance des papes, et pour célébrer les baptêmes et les
enterrements des chrétiens. |
[Sains Martin de
Tongre mors resuscitat uns mors]
Item, l'an IIIc et
VI, soy neiat une pesseur de Tongre qui pesquoit en la mere ; si
l'apportoit-ons
en terre por ensevelir ; sy passat par-deleis la tumbe sains Martin
l'evesque, sy salhit ly noiez fours de son vasseal, fors et haities, et
commenchat à crier : « Sains Martin, al commandement de Dieu, at m'arme
tollue à dyable. » Adont fut plus saint Martin honnoreis et servis com
devant. |
[Saint
Martin de Tongres, mort, ressuscita un mort]
L’an 306,
un pêcheur de Tongres s’était noyé et on le portait en terre pour
l’ensevelir. Comme on passait près de la tombe de l’évêque
saint Martin, le noyé sortit de son cercueil, fort et en pleine santé. Il se
mit à crier : « Saint Martin, sur l’ordre de Dieu, a arraché mon âme au
diable. » Alors saint Martin fut honoré et servi davantage encore
qu’auparavant. |
[De bin fait de
Bretangne]
L'an IIIc et VII,
fist ly roy de la Grande-Bretangne refaire les
englieses
abatues et destruites à son temps de son pays, que l'emperere avoit gastées,
sicom dit est. |
[Le bien
fait en Bretagne] En 307, le roi de Grande-Bretagne fit reconstruire
les églises abattues et détruites de son temps dans son pays, par l’empereur, comme dit
plus haut (cfr II, p. 45). |
En cel
an fut refaite la citeit
d'Alixandre
en Egypte et les englieses. |
Cette année-là fut reconstruite la cité d’Alexandrie en Égypte,
de même que les églises. |
[De roy de
Bretangne]
En cel an morut ly roy Henris de la Grant-Bretangne, si fut apres
luy roy son fis
Henris qui fut proidhons et bons chevaliers |
[Le roi de
Bretagne] Cette année-là mourut le roi Henri (cfr
II, p. 45) de Grande-Bretagne ; il fut remplacé
comme roi par son fils Henri, qui fut un sage et un bon chevalier. |
En cel
an soy rassemblarent les
cristiens
de Surie cascons en son lieu, et refisent leurs vilhes et citeis. |
Cette année-là, les chrétiens de Syrie se
rassemblèrent, chacun dans sa région, pour reconstruire
villes et cités. |
[Des Huens cent
milh]
Item, l'an IIIc et VIII, en mois d'avrilh, commencharent les Huens à
regneir en la
terre de Rossie et le gangnarent. Et dist l'hystoire qu'ilh en estoit bien
cent milh. |
[Cent
mille Huns] L’an 308, en avril, les Huns commencèrent à
s’installer en Russie et s’en emparèrent. L’histoire dit qu’ils étaient bien cent mille. |
[II, p. 51]
[Li pape fut decolleis par Maxenche l’emperere] En cel an, le XVIe jour de
mois de julle, fist l'emperere Maxenche
decolleir le pape Marcel ; et fut ensevelis en la cymitere Prisil, en la
voie de Salaire. |
[II,
p. 51] [Le pape fut décapité par l’empereur Maxence] Le
16 juillet de cette année-là [308], l’empereur Maxence fit décapiter
le pape Marcel, qui fut enseveli dans le cimetière de Priscilla, sur
la Via Salaria. |
Marcellin : Sur ce pape Marcellin, cfr les Notes.
Marcel : Sur ce pape Marcel, cfr les Notes
Maxence : S’il avait
bien été question plus haut du pape Marcel, l’empereur Maxence, qui le fait
décapiter, n’avait pas encore été introduit dans le récit. Jean précisera dans
la suite (II, p. 52) que ce Maxence est
le fils de l’empereur Maximien qui dirigeait l’empire avec Dioclétien. Comme
cela avait été convenu, Dioclétien et Maximien, les deux Augustes, abdiquèrent ensemble en 305.
Mais, immédiatement après l’abdication,
plusieurs personnages entreront en scène pour tenter de prendre le pouvoir.
Maxence, fils de Maximien, sera proclamé empereur à Rome par les prétoriens, tandis
que l’armée de Bretagne désignera Constantin.
[Texte précédent II, p. 26-37] [Notes de lecture] [Texte suivant II, p. 51-70]