Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 160b-181a Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021) [BCS] [FEC] [Accueil JOM] [Fichiers JOM] [Pages JOM] [Table des Matières]
CLOVIS APRÈS SON BAPTÊME - SES FILS
Ans 461-493 de l'Incarnation - Myreur, II, p. 160b-181a
Texte et traduction
Ce fichier qui couvre les années 461 à
493 de l'Incarnation et correspond aux p. II, 160-181 du Myreur, contient quatre sections : * A. Ans 461-464 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 160-163) : Varia - Suite des conquêtes de Clovis - Alaric - Aquitaine - Auvergne - Poitiers [Plan et texte] * B. Ans 464-468 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 164-166) : Clovis (suite) : Guerre entre Hongrois et Saxons - Clovis et Byzance - Clovis et saint Martin - Clovis marie sa fille à Amalaric, fils d'Alaric - mort de Clovis [Plan et texte] * C. Ans 468-486 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 166-174) : Les fils de Clovis : Partage du royaume et poursuite de son expansion - Problèmes de succession chez les Burgondes - La Bourgogne est rattachée au royaume franc - Mort de Clodomir - Nombreux varia [Plan et texte] * D. Ans 486-493 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 174-181) : Les fils de Clovis (suite) : Rôle de Clotilde - Sa mort - Guerres des Francs contre les Saxons - Clotaire reste le seul roi des Francs - Chramne, fils bâtard de Clotaire [Plan et texte]
A. Ans 461-464 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 160-163
VARIA - SUITE DES CONQUÊTES DE CLOVIS - ALARIC - AQUITAINE, AUVERGNE - POITIERS |
|
Sommaire du texte
Varia : À Antioche, Symon le reclus et le parjure -
En Hesbaye, sous Clovis, Boident, comte de Tongres, reconstruit une série de villes
(dont la liste est fournie) qui avaient été détruites par les Huns - À Rome,
mort du pape Léon Ier - Consécration du pape Hilaire,
qui se coupe une main que lui rend miraculeusement Notre-Dame - Concile de Chalcédoine contre les hérétiques (an 462 ? de l'Incarnation - 451 de notre ère) |
|
[II, p. 160b] [De Symon qui faisoit jureir
son nom] A cel temps avoit en la citeit de Antyoche unc reclus qui fut
nomeis Symon, qui avoit esteit reclus XL ans ; chis prioit à toutes les
gens qui venoient à luy que nuls ne jurast Dieu, ne son nom, ne les corps
sains de paradis, mains cascon jurast le nom Symon, et ilh impetroit à Dieu
que tous cheaux qui le nom Symon parjurroient, que Dieu le pardonroit. Et chu
fasoit-ilh, por wardeir de parjureir Dieu et ses sains. |
[II, p. 160b] [Symon qui faisait jurer par
son nom] À cette époque (461) vivait dans la ville d’Antioche, un moine
nommé Symon, qui était resté cloîtré durant quarante ans. Il invitait tous
ceux qui venaient le voir à ne jurer ni par Dieu ni par le nom de Dieu, ni
par celui des saints du paradis, mais par le sien propre, Symon. Il demandait
à Dieu de pardonner à tous ceux qui se parjureraient au nom de Symon. Il
faisait cela pour éviter les parjures au nom de Dieu et de ses saints. |
[Ly conte de Tongre refist
pluseurs vilhes en Hesbay] A cel temps astoit ly roy
Cloveis tout en pais, et n'avoit nulle guerre. Item, l'an IIIIc et LX ou LXI,
Boiden, ly duc de Thoringe et conte de Tongre, vot en Haribain son paiis redifiier les vilhes
qui
avoient esteit destruit en temps devant
par les Huens, assavoir : Foux, Kemexhe, Vileir, Waremme, Oley, Bersés,
Puchey, Blarée et pluseurs altres. |
[Le comte de Tongres restaura
plusieurs villes en Hesbaye] À cette époque [461], le roi
Clovis était
complètement en paix, et ne menait aucune guerre. En l’an 460 ou
461, Boident, duc de Thuringe et comte de Tongres (cfr II, p. 146 ;
II, p. 149 ;
ainsi que II, p. 167-168), voulut reconstruire en
Haribain, son pays (= la Hesbaye ;
cfr II, p. 149), les villes qui avaient été détruites par les Huns à
l’époque précédente, à savoir : Fooz, Kemexhe, Villers, Waremme, Oleye,
Bierset, Pousset, Bleret et plusieurs autres. |
On songera aux nombreuses villes fondées par saint Materne (cfr I, p. 529). Pour en revenir au présent texte, la note 2 de Bo ad locum les présente comme des « communes voisines situées dans les cantons de Waremme et de Hollogne-aux-Pierres » et signale que « leur destruction par les Huns n’avait pas été explicitement signalée en II, p. 113-115, 117-119. » |
[Hylarius pape de Romme le XLIXe qui fist mult di ordinanches] Item, l'an IIIIc LXII ly XIe jour de mois d'avrilh, morut ly pape de Romme Lyon, si fut ensevelis en la cymitere Sains-Calixte. Et apres sa mort vacat ly siege XVIII jours, puis fut consacreis à pape unc proidhons cardinais qui fut de la nation de Sardine ; si fut appelleis Hylarius, et son pere oit nom Crispiain : chis tient le siege V ans, III mois et X jours. |
[Hilaire, quarante-neuvième pape de Rome, fit
beaucoup
d’ordonnances]
En l’an 462, le 11 avril, le pape Léon de Rome mourut et fut enseveli dans le
cimetière Saint-Calixte. Après sa mort, le siège resta vacant durant dix-huit
jours ; puis un sage cardinal, originaire de Sardaigne, fut consacré
pape. Il fut appelé Hilaire, son père avait comme nom Crispin. Ce pape occupa
le siège durant cinq ans, trois mois et dix jours. |
Ors
vos vorons parleir de pape Hylarius : ilh adjostat à son temps à sains
canon immaculatam hostiam sanctum
sacrificium. |
Nous
voudrions maintenant vous parler du pape Hilaire : en son temps, il
ajouta au saint canon (de la messe) immaculatam
hostiam sanctum sacrificium |
Ilh avient oussi à son temps que ilh accommengnoit une femme awec les altres
à jour del Paske, et ladit femme par devotion baisat tant le main de pape,
que si grant temptation vient à pape qu'il laissat oevre de accommengnier
tout corochiet, et vient en sa chambre et coupat sa main qui astoit cause de
pechiet del temptation. Quant ly peuple chu veit, se fut mult destoubleis,
portant qu'il devoit dire la messe, se ne le
dest mie. Et ilh astoit en sa chambre, sy soy recommendat à la Virge Marie,
si commenchat à dire ses orisons. |
Il lui arriva aussi un jour de Pâques d’accompagner une femme et d’autres
personnes. Cette femme par dévotion lui baisa la main et le pape fut alors
en proie à une telle tentation que, plein de colère, il abandonna
le groupe qu’il accompagnait, rentra dans sa chambre et se coupa la main,
cause du péché de sa tentation. Quand le peuple vit cela, il fut
terriblement secoué, parce que Hilaire ne disait pas la messe qu’il devait
célébrer. Il était dans sa chambre. Il se recommanda à la Vierge Marie et
commença ses oraisons. |
[Nostre-Dame rendit sa main à
pape qu’ilh avoit coupeit por temptation del chair]
Adont la glorieuse Virge Marie vient devant luy visiblement, et tient la main
et se le remettit à brache ; de queile myracle nient tant seulement ly pape, mains
tout ly peuple awec en rendirent grasce à Dieu et à la Virge Marie. Et le
prechat depuis en ses sermons. |
[Notre-Dame rendit au pape la
main qu’il s’était coupée, suite à une tentation charnelle]
Alors la Vierge Marie se présenta visiblement à lui ; elle tenait sa main et
la rattacha à son bras. Pour ce miracle, non seulement le pape mais
tout le peuple avec lui, rendirent grâces à Dieu et à la Vierge
Marie. Et depuis lors le pape fit état de ce miracle dans ses sermons. |
Sur le motif du miracle de la main, cfr le récit, légèrement différent, de Martin d'Opava, Chronicon, p. 418, l. 31-36, éd. Weiland, où il n'est pas question du pape Hilaire (pape de 461-468 n.è.) mais de son prédécesseur le pape saint Léon Ier (440-461 n.è.) et où l'événement est daté de l'année 444 n.è. Jean d'Outremeuse (cfr surtout II, p. 354) rapporte sensiblement la même anecdote, mais plus longuement détaillée, en l'attribuant à saint Léon II (pape de 682 à 683 n.è.) et en la plaçant en 664 de l'Incarnation. Le chroniqueur liégeois s'explique sur cette répétition. L'épisode de la main coupée et restituée est racontée aussi dans la Légende dorée de Jacques de Voragine où elle concerne le pape Léon Ier (ch. 83, p. 446-447, p. 1269-1270, éd. A. Boureau). La notice concernant l'addition au canon de la messe vient également de Martin, p. 418, l. 30-31, éd. Weiland, où il est question du pape saint Léon Ier et non pas d’Hilaire. |
|
[De quars conciel en Calcidoine]
A son temps fut fais li quars senne ou [II,
p. 161] ou conciel en Chalcidoine, de VIc et XXX evesques, enqueile
Eutiche, abbeis de Constantinoble, et Dyoscorus, evesque d'Alixandre, furent
condampneis, qui disoient et sortenoient eistre tout
une nature la parolle de Dieu et la chair ; et aussi rursus
Nestorius awec ses erreurs fut condampneis. Et là fut diffineis estre à
croire et à prechier en Jhesu-Crist dois natures et une personne ; et la
promier erreur, sicom dist Martiniain en latin, est teile : Unam Dei verbi et carnis esse
naturam ; et la seconde est : ln Christo duas naturas esse et unam personam. |
[Le quatrième concile en
Chalcédoine] À son époque [462 ] eut lieu le
quatrième synode ou [II, p. 161] concile
de Chalcédoine, qui réunit six cent trente évêques. Lors de ce concile furent
condamnés Eutychès, abbé de Constantinople, et Dioscore, évêque d’Alexandrie,
qui disaient et soutenaient que la parole de Dieu et sa chair étaient une seule
nature (?) (cfr
II, p. 151). Nestorius aussi
fut une nouvelle fois condamné pour ses erreurs. Lors de ce concile il fut
décrété qu’il fallait croire et prêcher qu’il y a deux natures et une
personne en Jésus-Christ ; selon ce que dit Martin en latin, la
première erreur est : ‘Unam Dei
verbi et carnis esse naturam’ et la seconde : ‘In Christo duas naturas esse et unam
personam’. |
[Coment sains Pire coregat une
epistle al proïer de pape] Chis pape à cel conciel deseurdit
escript une epistle contre les erreurs deseurdittes, laqueile anchois qu'ilh
à Romme l'envoiast se le mist sour une alteit de Sains-Pire, où ilh junat XL
jours continuels où ilh astoit en orisons, en
dépriant à sains Pire, s'il avoit en ladit epistle riens del amendeir à la
vraie foid, qu'ilh le vosist coregier. Et tout enssi fut-ilh faite, car, en
la fien des XL jours, ilh trovat son epistle en toutes ses parties amendée
solonc la vraie foid. |
[Comment saint Pierre corrigea
une épître à la prière du pape] Lors de ce
concile, le pape (Hilaire) avait écrit une épître contre les
erreurs susdites ; avant de l’envoyer, il l’avait déposée à Rome, sur un
autel de Saint-Pierre, devant lequel il jeûna et resta en oraison quarante
jours consécutifs, priant saint Pierre de corriger l’épître, si quelque
chose était à corriger concernant la vraie foi. Tout se déroula ainsi, car
au terme des quarante jours, il trouva son épître amendée en toutes ses
parties, conformément à la vraie foi. |
Bo signale en note ad locum que « le concile de Chalcédoine, en 451 (de notre ère), fut le quatrième concile œcuménique ». Ici encore, Jean d’Outremeuse s’est inspiré de Martin, p. 418, l. 37-40, éd. Weiland, mais Martin mentionne 360 évêques et non 630. Jean a également repris à Martin les deux phrases latines en en modifiant toutefois légèrement l’ordre des mots. Vient également de Martin, p. 418, l. 47a-p. 419, l. 7a, éd. Weiland, la notice sur la correction apportée par l'apôtre Pierre à une lettre du pape, mais chez Martin, il s'agit du pape saint Léon Ier. |
|
Ans 463-464 de l'Incarnation Clovis poursuit ses conquêtes - Il veut se venger d'Alaric - Arrêt dans l'église Saint-Martin de Tours - Miracle du cerf lors du passage de la Vienne - Victoire de Vouillé, près de Poitiers, où Alaric est tué - Clovis conquiert le territoire de Poitiers, puis le comté d'Aquitaine - Prise de Toulouse, puis d'Angoulème - Fabuleux trésor d'Alaric partiellement redistribué - En retournant chez lui, Clovis conquiert l'Auvergne, la Provence et la Gascogne - Il y trouve Amalaric qui s'enfuit en Espagne pour s'y faire couronner, son père Alaric étant mort - Résumé des conquêtes faites par Clovis et ses quatre fils sur Alaric - Formation d'un comté de l'Auvergne et d'un comté de Poitiers
|
[II, p. 161] [Ly roy de Franche conquist chi mult de paiis contre Alarich d’Espagne roy] A cel temps revient en memoire à roy Cloveis de Franche de roy Alarich de Gothie et d'Espangne et sires d'Acquitaine qui le haioit, et oussi faisoit-ilh luy ; si dest qu'ilh en voloit prendre venganche del roy Godebuef de Borgongne, qu'ilh avoit ochis, et del terre d'Avergne qu'ilh ly avoit tollue et le tenoit contre raison. Adont ilh apellat Elynon, son prevost, et ly dest qu'ilh assemblast ses gens por soy vengier del roy Alarich le trahitour ; et chis le fist. Adont mandat ly prevost ses oust et assemblat grant gens ; si entront en leur chemyn devers Aquitaine, l’oriflambe en sa main, Et ly roy Cloveis seioit sor son cheval de novelles armes à fleur de lis, et avoit vestit uns wardcorps de ches armes meismes, et l'escut à son coul que ly angle ly aportat. |
[II, p. 161] [Le roi des Francs conquiert nombre de pays sur Alaric, roi d’Espagne] À cette époque-là le roi des Francs, Clovis se souvint d’Alaric, roi de Gothie et d’Espagne, et seigneur d’Aquitaine, qui le haïssait et qu’il haïssait lui aussi (cfr II, p. 152ss). Il dit qu’il voulait se venger d’Alaric parce qu’il avait tué le roi Gondebaud de Bourgogne et qu’il lui avait enlevé la terre d’Auvergne qu’il tenait sans raison valable. Alors Clovis appela Élinus son prévôt et lui dit de convoquer ses troupes pour se venger du roi traître. Le prévôt exécuta l’ordre, convoqua son armée et rassembla beaucoup de monde. Ils se mirent en route vers l’Aquitaine. Élinus tenait en sa main l‘oriflamme. Le roi Clovis montait son cheval, portant de nouvelles armes à fleurs de lys. Il avait revêtu un garde-corps aux mêmes armes et l’écu apporté par l’ange était suspendu à son cou. |
Or avient, quant ly roy se duit departir de la royne, qu'elle ly dest :
« Sires, je vos prie que vos faites fondeir, et le prometteis à Dieu del
faire, une engliese apres vostre revenue, en l'honeur de sains Pire et sains
Poul, que Dieu vos vuelhe donneir victoire contre vous annemis. » Ly roy
respondit : « Ma damme, je l'otroie et le promes en bonne foid », et ly
donnat son manteal en gaige del acomplir. |
Or donc, quand vint le moment pour le roi de quitter la reine, elle lui dit : « Sire, je vous demande de fonder à votre retour une église en l’honneur de saint Pierre et de saint Paul. Promettez à Dieu de le faire pour qu’il veuille vous donner la victoire contre vos ennemis ». Le roi lui répondit : « Madame, je vous accorde ce que vous demandez et je vous promets sincèrement de le faire ». Et il lui donna son manteau en gage. [On verra II, p. 165, pour la réalisation de la promesse] |
[Ly roy franchois donnat I aneal
à sains Martin qui fist myracle] Tant s'en
alat ly oust qu'ilh vient à [II, p.
162] Tours en Torenche, si entrat ly roy en l’egliese Sains-Martin, si
fist son orison et y offrit une aneal d'oir en queile ilh avoit uns rubis,
que Dieu ly donast victoire ; et dest ly roy Cloveis, tantoist qu'ilh fut partis del engliese,
à ses hommes qu'ilh auroit vicloire, car ilh avoit veyut al fietre de
glorieux sains Martin certains myracles, par lesqueiles ilh savoit et veioit
bien que ilh auroit victoire. |
[Le roi franc donna un anneau à
saint Martin qui fit un miracle] L’armée se
mit en route et arriva à [II, p. 162]
Tours, en Touraine.
Le roi entra dans l’église Saint-Martin, y fit ses oraisons et offrit un
anneau d’or, serti d’un rubis, pour que Dieu lui donne la victoire. À la
sortie de l’église, le roi Clovis dit à ses hommes qu’il aurait la victoire,
car il avait vu sur la châsse du glorieux saint Martin de vrais miracles,
qui lui avaient permis de voir et de savoir avec certitude qu’il aurait la victoire. |
[Ly blan cherf monstrat la voie
al roy] Apres entrat ly oust en son chemyn, et ont tant alleit qu'ilh
vinrent asseis pres de Potiers à une riviere qui astoit grant et large, qui
par ployve et nyve astoit si grant que chu estoit mervelhe, et que nuls ne
poioit passeir aux gueez. Adont fist ly roy Cloveis son orison à Dieu, en
depriant qu'ilh vosist demonstreir myracle à son chevalier porqu'en ilh
fussent oultre l'aighe. Atant vient là acorant unc blanc chierf (corr. Bo) tout parmy les champs, et
soy ferit en l'aighe et les monstrat la voie ; et ly roy passat apres et
toutes ses gens : et fut en novembre le XIIIIe jour, l'an deseurdit. |
[Le cerf blanc montra la route
au roi] Ensuite l’armée reprit sa route jusqu’à ce qu’elle atteigne,
près de Poitiers, une rivière,
profonde et large, qui, à cause de la pluie et de la neige, était
si prodigieusement étendue que personne ne pouvait traverser en empruntant
les gués. Alors Clovis invoqua Dieu, le priant de bien vouloir faire pour son
chevalier un miracle qui permettrait à tous de passer de l’autre côté. C’est alors qu’à travers les champs apparut un cerf blanc, qui
courut se jeter dans l’eau et leur montra la route. Le roi et tous ses hommes
passèrent derrière lui. Cela se passa le 14 novembre de l’année susdite
(463 ?). |
Rivière : « Aimoin et les chroniques de Saint-Denis, qui rapportent la tradition du cerf blanc, désignent cette rivière : c'était la Vienne, en latin Vigenna » (Bo) |
|
[II, p. 162]
[Ly roy Cloveis at conquis ly roy
Alarich] Puis vinrent à XII miles pres de Poitiers, où ly roy Alarich
astoit qui assembloit ses hommes ; mains, quant ilh soit la novelle, se
vient contre les Franchois ; et oit entre eaux grant batalhe et orrible
le XIe jour de decembre, et fut sour les champs c'on dist del Vaux de
Glandines, sour le flu de Olyne à XII miles de Potiers. Et durat la
batalhe del matinée jusqu'à medis ; si oit des dois parties mult
de mors, mains al derain fut ly roy Alarich desconfis et ochis del main le roy
Cloveis, si soy rendit tous ly paiis à roy Cloveis. |
[II, p. 162]
[Le roi Clovis a vaincu le roi Alaric] Puis,
ils arrivèrent à environ douze miles de Poitiers,
où se trouvait le roi Alaric II, en train de rassembler ses hommes. Dès qu’il
apprit la nouvelle, il marcha contre les Francs et, le 12 décembre, se déroula entre eux une grande et horrible
bataille dans les champs appelés Vaux de Glandines, sur
l’Orne, à douze milles de Poitiers. La bataille dura du matin jusqu’à midi.
Des deux côtés, il y eut beaucoup de morts, mais finalement le roi Alaric II
fut vaincu et tué de la main du roi Clovis. Tout le pays se rendit au roi
Clovis. |
« Vaux de Glandines est sans doute une corruption du Campus Vogladensis (Voglades ou Vouglé) de Grégoire de Tours [I, XXXVII, p. 131-132, trad. Latouche]. Quant à Olyne, ce mot doit indiquer l’Orne, en latin Olina et Olna ; mais ce fleuve est dans la Normandie, fort éloigné du champ de bataille. » (Bo) En 507 de notre ère, le roi Alaric II est vaincu à Vouillé par Clovis. C’est la fin des Wisigoths en Aquitaine. Pour des détails précis sur la bataille de Vouillé, cfr Rouche, Clovis, p. 307-309. Jean d'Outremeuse la date de l'an 463 de l'Incarnation, mais on sait qu'en ce qui concerne le règne de Clovis, il est en retard de près d’un demi-siècle. |
[Ly roy conquist chii mult de paiis] Puis
entrat ly roy Cloveis en la terre de Potiers et conquist tout le paiis ;
et apres ilh conquist tout le conteit d'Aquitaine. Et fut chu sor l'an IIIIc
et LXIII en mois d'avrilh le batalhe deseurdit, et y mist al conquere la
terre jusques en mois de septembre. Si soy trahit à Bordeal sus Geronde, por
le yvier qui venoit, à repoisier ses gens jusques à mois de fevrier. Celle
année meisme, et en mois de marche le XXVIe jour, l'an IIIIc et LXIIII,
entrat en son chemyn et vient à Thoulouse, qui astoit ly chief del royalme de
Gothie, et le conquist par forche, car cheaux qui astoient dedens soy
defendirent fortement. Et portant qu'ilh les trovat proidhommes bien et [II, p. 163] loialment defendant leur
paiis, se ne leur mefist riens, et les prist tous à merchis et les laissat
tout leur paiis en pais ; et ilhs le tinrent de ly. |
[Le roi s'empara là de beaucoup de terres]
Ensuite le roi Clovis entra dans le territoire de Poitiers qu'il conquit
entièrement. Après cela, il s’empara de tout le comté d’Aquitaine. La bataille
eut lieu en avril 463 et la
conquête l'occupa jusqu'en septembre. L'hiver venant, Clovis se retira à
Bordeaux, sur la Gironde, pour laisser ses hommes se reposer jusqu’en février. Cette même année, le 26 mars 464, Clovis
reprit la route et se dirigea vers Toulouse,
la capitale du royaume des Goths. Il dut utiliser la force pour s'emparer de
la ville, car les gens
qui étaient à l’intérieur se défendirent avec ardeur. Mais Clovis, parce
qu’il trouva qu’ils étaient des gens estimables, défendant [II, p. 163] loyalement leur pays, ne
leur fit aucun mal. Il les prit tous en pitié et laissa en paix l'ensemble du pays qu’ils tinrent désormais de lui. |
[Les murs del citeit chaïrent al maldissement de roy] Apres s'en allat ly roy Cloveis devant la citeit de Engolesme ; mains tantoist que ly roy le veit, portant qu'elle astoit si forte qu'elle ne fust gangnié dedens VII ans, se le maldit ly roy Cloveis. Et Dieu adjostat foid à son maldissement, car ilh demonstrat là myracle que les murs de la citeit chaiirent devant luy ; puis entrat ens ly roy et toutes ses gens, et les gens de la citeit soy rendirent. |
[Les murs de la cité tombèrent
après la malédiction du roi] Le roi Clovis se rendit ensuite
devant la cité d’Angoulème ;
mais, dès qu’il la vit, il réalisa qu’elle était si fortifiée
qu’il lui faudrait sept ans pour la conquérir. Il la maudit,
et Dieu entendit sa malédiction : il
accomplit un miracle et les murs de la cité s’écroulèrent devant Clovis. Alors
le roi et toutes ses troupes entrèrent dans la cité, dont les habitants se
rendirent. |
En chest citeit astoit tout ly tresour le roy Alarich, qui astoit si grans
qu'à mervelhe ; et ly roy Cloveis le departit tout à ses gens, et sy en
donnat les hommes del royalme, por redifiier chu que ons leurs avoit gasteit en la guerre. Et ches
dois citeis, Tolouse et Engolisme, furent conquise en IIII mois, et les fist
ly roy Cloveis prendre baptemme. |
Dans cette cité se trouvait tout le trésor du roi Alaric, trésor
fabuleusement important. Le roi Clovis le partagea entre tous ses gens et en
donna aussi aux habitants du royaume pour reconstruire ce qu’on
leur avait détruit durant la guerre. Ces deux cités, Toulouse et Angoulème,
furent conquises en quatre mois, et le roi Clovis en fit baptiser les
habitants. |
[Amalarich, roy d’Espangne] Apres retournat ly roy vers Franche en passant par Avergne, se le reconquist et conquist awec Provenche et Gascongne, où ilh trovat le roy Amalarich, le fis le roy Alarich ; mains ilh s'enfuit vers Espangne et là soy fist-ilh coroneir, portant que son pere astoit mors. |
[Amalaric, roi d’Espagne] Après cela, le roi Clovis repartit vers son royaume en passant par l’Auvergne, qu’il reconquit en même temps que la Provence et la Gascogne. En Gascogne, il trouva Amalaric, le fils du roi Alaric II. Mais Amalaric s’enfuit en Espagne et s’y fit couronner, parce que son père était mort (suite de l'histoire d'Amalaric, en II, p. 166). |
[Ly roy Cloveis adjostat mult de
paiis à son rengne]] Enssi conquist ly roy Cloveis,
par le gentileche de ly et de ses IIII fis, Clodomire, Theodoric, Clotaire et
Cildebers et ses altres barons, tous les paiis deseurdis, assavoir :
Acquitaine, Poitiers, Gothie, Gascongne, Provenche, Avergne, Lymosin et
toutes les nations qui sont entre le Roine et le Loire, des mons de Pirone jusqu'à
la citeit (erreur pour mer, selon
Bo) Occeane. |
[Le roi Clovis ajouta de
nombreux pays à son royaume]
C'est ainsi que
le roi Clovis, par sa
bravoure personnelle, celle de ses quatre fils, Clodomir, Théodoric
(Thierry), Clotaire et Childebert, et celle de ses autres barons, conquit
tous les pays cités plus haut, à savoir : Aquitaine, Poitiers, Gothie,
Gascogne, Provence, Auvergne, Limousin et toutes les nations situées entre
le Rhône et la Loire, des Pyrénées jusqu’à l’Océan. |
[Ly roy fist un ducheit et II conteis] Et tous ches paiis tenoit ly roy Alarich ; et adjostat tous ches paiis à la royalme de Franche, et fist de Acquitaine une ducheit por ly, et de Avergne une conteit et de Potier une conteit, et enssi devidat-ilh le terre, si en fist unc bien ordineis paiis. |
[Le roi créa un duché et deux comtés] Tous ces pays tenus par le roi Alaric, Clovis les ajouta au royaume franc. De l’Aquitaine, il fit un duché qu’il se réserva ; il fit des comtés de l’Auvergne et de Poitiers. C’est ainsi qu’il partagea le territoire et en fit un pays bien ordonné. |
B. Ans 464-468 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 164-166
CLOVIS (SUITE)
GUERRE ENTRE HONGROIS ET SAXONS - CLOVIS ET BYZANCE - CLOVIS ET SAINT MARTIN - CLOVIS MARIE SA FILLE À AMALARIC, FILS D'ALARIC - MORT DE CLOVIS
Sommaire du texte
Guerre
entre Hongrois et Saxons pour des
raisons matrimoniales - Incendie de la moitié de la ville de
Carthage - Ordonnance du pape Hilaire (en 464 de
l'Incarnation) |
|
[II, p. 163b] [Hongrois ont desconfis les Saynes] En ceste an meisme muet grant guere entre les Saynes et les Hongrois, si orent batalhe ensemble en mois d'awost ; mains les Saynes furent tous desconfis, et fut leur roy ochis que ons nomoit Aridas, qui mult astoit orgulheux. Adont conquist ly roy Ogier de Hongrie tout Saxongne et l'ajostat à son paiis : et fut chesti guere portant que ly orgulheux roy Aridas voloit avoir Flour, la filhe al roy hongrois, com sa sorgant et nient par mariage, et le demandat par forche. |
[II, p. 163b] [Les Hongrois ont défait les Saxons] Cette même année [464] éclata une guerre importante entre Saxons et Hongrois. La bataille eut lieu en août ; les Saxons furent vaincus et leur roi tué. Il portait le nom d’Aridas et c’était un homme très arrogant. Le roi Ogier de Hongrie conquit alors toute la Saxe et l’ajouta à son pays. La raison de cette guerre était que l'arrogant roi Aridas voulait prendre Flore, la fille du roi hongrois, comme concubine et non comme épouse, et qu’il la demanda en usant de la force. |
[Grant oraige] En cesti an chaiit une effodre sour la citeit de Cartaige, qui en ardit plus de la motié [II, p. 164]. |
[Grand orage] En cette année, la foudre s’abattit sur la ville de Carthage, dont plus de la moitié brûla [II, p. 164]. |
[Status papales] En cel an ordinat ly pape Hylarius que nus evesque ne constituast successeur apres luy de son evesqueit, car adont astoit ly usaige teile que, quant uns evesque trespassoit, ilh constituoit I altre qui le succedoit en l'evesqueit et astoit evesque ; et s'ilh moroit sens ordineir de son evesqueit, ly capitle l'enlisoit ; et se ilh ne trovoit ydoine par election ou postulation, ly pape le donnoit. |
[Ordonnance pontificale] Cette année-là, le pape Hilaire décida qu’un évêque ne désignerait plus son successeur à la tête de son évêché. À l’époque en effet, quand un évêque était mourant, l’usage était qu'il désigne son successeur et que celui-ci soit l'évêque. S’il mourait sans avoir réglé la question, c’est le chapitre qui élisait le successeur. Et si on ne trouvait personne qui convenait, par élection ou dépôt de candidature, c’est le pape qui nommait l’évêque. |
Clovis et ses troupes passent l'hiver à Tours -
Mort de Résignat, évêque de Tongres, remplacé par Sulpice - Transfert du corps d’Élisée
de Samarie à Alexandrie - Canonisation de l'évêque Résignat de Tongres (ans 464-465
de l'Incarnation) |
|
[II, p. 164] Item, ly roy Cloveis revient vers Franche par la citeit de Tours, por faire sa priier et son orison au glorieux confès sains Martin ; sy entrat en la citeit en mois de decembre. Adont s'avisat-ilh qu'ilh sourjourneroit là tout l’yvier, s'en laisat raleir tous ses oust, jusques à ses IIII fis et ses barons priveis. |
[II, p. 164]
Le roi Clovis revint vers le pays des Francs en passant par la cité de Tours, pour y
prier et faire oraison au glorieux confesseur saint Martin. Il pénétra dans
la ville au mois de décembre et décida d’y passer l’hiver. Il laissa rentrer
chez eux toutes ses troupes, y compris ses quatre fils et ses barons privés. |
[De XVe evesque de Tongre
Supplicien] Sour l'an IIIIc et LXV, en mois de marche le XVIIIe jour,
morut l'evesque Resignans de Tongre ; si at esluit ly capitle unc
canoyne de leur engliese qui fut nommeis Supplicius, qui regnat XV ans :
chis fut ly fis dou prinche de Nasow, en Allemangne, qui oit à femme Elie, le
filh le prinche de Casse ; et
astoit dols et debonnairs, et proidhons sour tous altres. |
[Sulpice, quinzième évêque de
Tongres] En l’an 465, le 18 mars, l’évêque Résignat de Tongres (cfr
II,
p. 137) mourut et le chapitre élut un chanoine de leur église, nommé Sulpice,
qui régna quinze ans. C’était le fils du prince de
Nassau, en Allemagne, époux d’Élie, la fille du prince de Hesse
[d'après Bo]. Sulpice était doux et bienveillant, sage
aussi, plus
que tous les autres. |
[Ly corps le prophete Heliseus
fut translateit] En ceste an meismes fut ly corps
Heliseus translateit de Samarie en la cileit de Alixandre. |
[Le corps du prophète Élisée fut transféré] Cette même année, le corps d’Élisée (cfr I, p. 45, p. 47, p. 399) fut transféré de Samarie dans la cité d’Alexandrie. |
[De sains Resignans, evesque de Tongre] En cest an meismes, fut à la supplication del evesque de Tongre, Supplicius, son predicesseurs Resignans canonisiés, por cuy Dieu faisoit mult de myracles ; et fut appelleis sains Resignans. |
[Saint Résignat, évêque de Tongres] Cette même année, à la demande insistante de Sulpice, l’évêque de Tongres, son prédécesseur Résignat fut canonisé. Dieu faisait beaucoup de miracles par son intermédiaire ; il fut appelé saint Résignat. |
Clovis est nommé consul et auguste par l’empereur Zénon - Anastase, fils de Zénon, vient à Lutèce annoncer la nouvelle à Clovis - Clotilde envoie Anastase à Tours, où se trouvait encore Clovis - Là, Anastase offre une couronne d'or et des vêtements appropriés à Clovis qui se déclare prêt à servir Zénon - Clovis, avant son retour, offre son cheval à saint Martin - Anecdote du prix du cheval lors de son rachat par le roi - Rentré à Lutèce, Clovis construit une église royale en l’honneur de saint Pierre et de saint Paul, l’actuelle Sainte-Geneviève de Paris - Le roi resta ensuite chez lui (an 466 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 164] [L’emperere fist le roy Cloveis consule de Romme] Item, l'an IIIIc et LXVI, envoiat ly emperere de Romme unc sien fis, qui fut nomeis Anastauz, qui puis fut emperere de Romme, en Franche al roy Cloveis, et ly fist presenteir d'estre consule et Auguste de Romme, qui astoit tres-noble digniteit et li plus grant de monde apres l'emperere. Et chu faisoit l'emperere, por avoir l'amisteit le roy Cloveis. |
[II, p. 164] [L’empereur nomma le roi Clovis consul de Rome] En l’an 466, l’empereur romain (Zénon,) envoya auprès de Clovis, son fils Anastase, qui fut plus tard empereur romain. Il était chargé de lui offrir d’être consul et Auguste de Rome, ce qui était une très noble distinction, la plus haute après celle d’empereur. L’empereur faisait cela pour gagner l’amitié du roi Clovis. |
Si avient que Anestaux ne trovat point de roy à Lutesse ;
mains ihl trovat la royne Clotilde qui ly dest qu’ihl le troveroit en la
citeit de Tours, où ihl avoit sorjourneit pres de XV mois, por aucon
travalhe qu’ihl avoit oyut qui le defendoit le chevalchier. |
Anastase ne trouva pas le roi à Lutèce, mais la reine Clotilde lui dit qu’il le trouverait à Tours, où il avait séjourné près de quinze mois, pour un problème qui l’empêchait de monter à cheval. |
Atant
se partit Anastauz et s’en allat à Tours, où ilh trovat le roy Cloveis ;
se ly presentat une coronne de fin oir à pires prescieux, et les vestimens
apartinans à la dignileit qu'ilh ly apportoit. Puis ly dest et ly racomptat
son messaige. Et ly roy le rechuit mult gentiment et liement, et vestit les
vestimens, et dest à Anastaus : « Recommandeis-moy aux piés de
emperere la sainte coronne, et luy dit [II,
p. 165] que je suy del tout apparelhiés de luy servir à toutes besongnes
et en tous cas. » Enssi soy partit Anastauz et s'en rallat vers Romme. |
Anastase
se mit en route et arriva à Tours, où il rencontra le roi Clovis. Il lui offrit
une couronne d’or fin ornée de pierres précieuses, ainsi que les vêtements
correspondant
à la dignité qu’il lui apportait. Puis il lui communiqua le message (de
l’empereur). Le roi reçut ce présent très poliment et avec plaisir ;
il revêtit les vêtements et dit à Anastase : « Remettez mes
respects à votre empereur, pour la sainte couronne qu’il m’offre, et
dites-lui [II, p. 165] que je suis
prêt à le servir en toutes tâches et en toutes circonstances ». Anastase
prit alors congé et repartit pour Rome. |
[De cheval que ly roy donnat à sains Martin] Et ly roy Cloveis, consule et Auguste de Romme, s'en vient en Franche, mains anchois ilh allat en l'engliese Sains-Martin, et allat al offrande de son palefroit par grant nobleche ; et quant ilh fut revenus fours del engliese, ilh rachatat son cheval aux canones deldit engliese, parmy cent doniers d'oir de la monoie qui adont coroit. Mains quant ons vot le cheval rameneir fours del engliese, sy n'y oit onques personne qui le cheval posist fours traire ; et ly roy y envoiat encor cent souls, et adont soy laisat rameneir sens forche et sens contredit ; et ly roy montat sus, si s'en allat. |
[Le cheval offert par le roi à saint Martin] Avant de retourner chez lui, le roi Clovis, consul et Auguste de Rome, se rendit dans l’église Saint-Martin et y fit l’offrande de son palefroi avec une grande noblesse. Une fois sorti de l’église, il racheta son cheval aux chanoines de la dite église, pour cent deniers d’or de la monnaie qui avait cours à cette époque. Cependant, quand on voulut faire sortir le cheval de l'église, personne n'y parvint. Le roi envoya à nouveau cent pièces de monnaie. Alors le cheval se laissa emmener sans effort et sans opposition. Le roi le monta et s’en alla. |
[Des myracles sains Martin] Adont commencharent ly roy et les barons à parleir ensemble, sour le chemien, des myracles sains Martin, et tant que ly roy Cloveis respondit en teile manere : « Saingnours, je vos dis que sains Martin est uns tres-glorieux confès et de grans merittes, mains ilh moy semble qu'ilh soy fait volentiers bien paiier ; ne veist mie comment mon pallefroit ne pot issir del engliese por cent souls, sy en issit tantoist por IIc ? Portant moy semble qu'ilh ne soy lairoit mie volenliers faire tort ne tollir chu que sien est ; et c'est bien raison, car mon cheval, qui sien estoit, valoit bien XX libres ». |
[Les miracles de saint Martin]
Alors le roi et les barons, en cours de route, se mirent à parler des miracles
de saint Martin, jusqu’à ce le roi Clovis leur dise : « Seigneurs, je vous
dis que saint Martin est un très glorieux confesseur, de grand mérite, mais
il me semble qu’il prend plaisir à se faire bien payer. N’avez-vous
pas vu que mon palefroi n’a pu sortir de l’église pour cent pièces, mais qu’il
l’a fait tout de suite pour deux cents ? Il me semble donc que Martin ne se
laisserait pas volontiers berner et priver de ce qui lui appartient ; et il
a bien raison, car mon cheval, qui était à lui, valait bien vingt livres » |
[Ly roy fondat une englise à
Paris] Atant vient ly roy à Lutesse, où illa trovat la royne qui bien
le fiestiat ; et dedont en avant demorat en pais, sens gueroier, le temps
que ilh visquat ; et commenchat à edifiier en la citeit de Lutesse une
engliese royale en l'honeur de sains Pire et sains Poul sus son manteal,
sicom ilh l'avoit promis, laqueile engliese est maintenant appellée Sainte
Genevier à Paris. |
[Le roi fonda une église à Paris] Alors, le roi arriva à Lutèce, où il trouva la reine qui lui fit grande fête. Dorénavant, tant qu’il vécut, il resta dans son pays, sans partir à la guerre. Il se mit à construire dans la ville de Lutèce une église royale en l’honneur de saint Pierre et de saint Paul comme il en avait fait la promesse sur son manteau (cfr II, p. 161). Cette église est maintenant appelée Sainte-Geneviève de Paris. |
Saint Remi de Reims et l'église de Laon - Mort du pape Hilaire - Sur le roi Arthur : réserve à propos d’une donnée de Martin d’Opava - Sacre du pape Simplice (an 467 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 165]
[De promier vesque de Laon] Item,
l'an IIIIc et LXVII, donnat sains Remy, l'archevesque de Rains, une grant
partie de ses
possessions, que ly roy Cloveis ly avoit donneit apres son baptesment, à
l'engliese de Laon, et si estorat le siege d'onne evesqueit. |
[II, p. 165]
[Le premier évêque de Laon] En l’an
467, l’archevêque de Reims, saint Remi, donna à l’église de Laon, une
grande
partie des possessions que le roi Clovis lui avait offertes après son baptême,
et il installa à Laon le siège d’un évêché. |
En
cel an, le IXe jour d'awoust, morut Hylarius, le pape de
Romme : chis
edifiat, à l'englise Sains-Lorent, où ilh fut ensevelis, unc bangne et I mostier. |
Cette même année [467], le 9 août, mourut Hilaire, le pape de Rome : il
avait édifié, à l’église Saint-Laurent, où il fut
enseveli,
des bains et un monastère. |
[De roy Artus]
Martiniain dist en ses croniques que al temps de cesti pape regnoit Artus, ly
roy de la Grant-Bretangne ; mains nos creons qu'ilh poioit bien estre
neeis, car Merlin, qui avoit regneit longtemps devant Artus, al temps de
Uterpandragon, le peire Artus, n'astoit [II,
p. 166] encors pointe de nom, ne ons n'en savoit parleir de luy, mains
nos mettons chi chu que Martin dist. |
[Le roi Arthur]
Martin dit
dans
ses Chroniques qu’au temps de ce pape
régnait/vivait Arthur, le roi de Grande-Bretagne.
Mais nous croyons qu’il s’agissait de la naissance, car le nom de Merlin qui
avait vécu longtemps avant Arthur, au temps de Uterpandragon (cfr II,
p. 180,
182,
183 et ss), le père d’Arthur, [II,
p. 166] n’avait pas encore de renommée, et on ne pouvait pas
parler de lui. Nous transcrivons toutefois ici ce que dit Martin. |
C'est la première apparition dans le Myreur de personnages qui font partie intégrante de la légende arthurienne à laquelle Jean d'Outremeuse fera de nombreuses allusions dans la suite. Toutefois nous ne comprenons pas très bien cette notice et nous ne tenterons pas de la commenter, d'autant plus que Jean ne cite pas correctement le texte de Martin. En effet Martin dans sa Chroniquee (p. 419, l. 17, éd. L. Weiland) ne fait pas référence à Arthur mais à Merlin. Parlant de l'époque du pape Simplice (Eodem tempore), il écrit en effet : fuit in Britannia Merlinus vates ex filia regis santimoniali et incubo demone natus. Une dernière précision : la traduction « n'avait pas encore de renommée » est empruntée à Bo ad locum. |
|
[Suppliciiens le Le pape]
Apres la mort le pape Hylarius vacat ly siege VI jours ; et al VIIe, assavoir
le XVIe jour d'awoust, fut consacreis à pape de Romme unc cardinal qui oit
nom Suppliciiens, qui fut de la nation de Romme, de
Tyburtin ;
si oit nom son pere Cripins, et fut frere al pape Hylarius devant dit de
part son peire : et tient le siege XV ans, VI mois et XIIII jours. |
[Simplice, cinquantième pape] Après
la mort d’Hilaire, le siège pontifical resta vacant six jours et le septième
jour, c’est-à-dire le 16 août
(467), fut sacré pape à Rome un cardinal,
dénommé Simplice, originaire de la région de Rome, de Tibur. Son père s’appelait
Crispin et il était le frère du pape Hilaire (cfr
II, p. 160). Il occupa le siège durant quinze ans, six mois et
quatorze jours. |
Le Liber Pontificalis, p. 112, éd. Mommsen, écrit Simplicius, natione Tiburtinus, ex patre Castino (ou Castorio), et pour le pape Hilaire, p. 107 : Hilarus, natione Sardus, ex patre Crispiano (ou Crispino), ce qui ne laisse pas apparaître un rapport de parenté entre les deux papes. |
|
Clovis marie sa fille Clotilde à
Amalaric, roi d'Espagne, fils d'Alaric tué par Clovis - Mort de Clovis
après une maladie de douze semaines - Il est enseveli en l'église Saint-Pierre
qu'il avait fondée à Lutèce et où il avait fait porter la couronne envoyée
par Zénon - Bref
éloge
: ce fut le premier roi chrétien des Francs
(ans 467-468 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 166] [Cloveis maria sa filhe à roy
d’Espangne] En cel an meismes vient ly roy Amalarich d'Espangne, fis jadit à
roy Alarich, à Lutesse, et presentat mult de beals joweals al roy Cloveis,
en signe d'amisteit, et ly pardonnat la mort de son peire, en suppliant que
parmy chu ilh ly vosist donneir sa filhe Clotilde à femme, se le
feroit royne de toute Espangne. Et ly roy ly otriat ; si furent faites
les noches à Lutesse. Enssi fut Clotilde, la filhe Cloveis, mariée; et apres
les noiches elle fut emmenée en Espangne; mains ses freres ochisent depuis
le roy Amalarich sicom oreis chi apres. |
[II, p. 166] [Clovis maria sa fille au roi
d’Espagne] Cette même année [467], le roi Amalaric d’Espagne, fils déjà
cité du roi Alaric (cfr II, p. 163), vint à Lutèce et offrit quantité de
beaux joyaux au roi Clovis, en signe d’amitié. Il lui pardonna la mort de son
père (cfr II, p. 163) et le supplia de bien vouloir lui donner pour épouse sa fille Clotilde,
pour faire d'elle la reine d’Espagne. Le roi y consentit ; les noces furent
célébrées à Lutèce. Ainsi fut mariée Clotilde, la fille de Clovis. Après
les noces, elle fut emmenée en Espagne ; cependant ses frères tuèrent
par la suite le roi Amalaric, comme vous l’entendrez ci-après (cfr
II, p.
173). |
À Lutèce : Bo précise que « le mariage de la jeune Clotilde avec Amalarich n’eut lieu qu’après la mort de Clovis » |
[Cloveis morut]
En cest an prist al roy Cloveis une grant maladie, de laqueile ilh jut XII
samayne à lit, et puis ilh morut l'an IIIIc LXVIII, le
XIIIe
jour de junne, et fut ensevelis en l'englise Sains-Pire, qu'ilh avoit fondeit
à Lutesse. |
[Mort
de Clovis]
Cet année-là, le roi Clovis contracta une maladie grave, qui le cloua au lit
durant douze semaines ; puis il
mourut
le 13 juin de l’an 468, et fut enseveli en l’église Saint-Pierre, qu’il avait
fondée à Lutèce (cfr II, p. 165). |
Chis roy Cloveis commandat à lit morteil que la coronne, que ly emperere ly
avoit envoiet, fust portée en signe de son offrande à l'engliese de
Sains-Pire à Romme ; et enssi fut-ilh faite. Apres furent faites ses exeques
solonc la loy cristine mult
honoraublement,
sicom ilh afferoit. Et fut de tout le monde regretteit dechà la mere et
delà, et de cheaux meismes qu'ilh avoit deshireteit et conquesteit leurs
paiis, por sa bonne chevalrie. Ilh fut roy de Franche V ans, et ly promier
qui en fut cristiens. |
Sur son lit de mort, le roi Clovis ordonna que la couronne que lui avait
envoyée l’empereur fut portée en guise d’offrande de sa part à l’église
Saint-Pierre de Rome ; ce qui fut fait. Ensuite ses obsèques furent
célébrées selon la religion chrétienne, avec beaucoup de solennité, comme
cela convenait. Vu ses qualités de chevalier, il fut regretté de tous en
deçà et au-delà de la mer, même par ceux qu’il
avait
déshérités et dont il avait conquis le pays. Il fut roi des Francs durant
cinq ans et en fut le premier roi chrétien. |
Notes 1. Chronologie. On ne perdra pas de vue que Jean date la mort de Clovis de l'an 468 de l'Incarnation (13 juin), alors qu'elle a eu lieu en l'an 511 (27 novembre) de notre ère. Il l'anticipe de 43 ans (près d'un demi-siècle), ce qui a évidemment une grande influence sur son récit des événements mérovingiens. Clovis avait été roi en 438, selon Jean qui lui attribue un règne de 30 ans (cfr II, p. 138). Dans notre chronologie, Clovis est devenu roi en 481/482. L'écart ici est de 43 ou de 44 ans. 2. Les meurtres et les assassinats. Il n'est pas question chez Jean de la manière très violente dont Clovis s'est installé au pouvoir. Cfr notamment Grégoire de Tours, Histoire des Francs, II, ch. 40-43 - Liber Historiae Francorum, 18, la guerre de Clovis contre son parent Ragnachaire, avec les notes de St. Lebecq - Les Grandes chroniques de France, I, 23-24. On appréciera le titre de chapitre choisi par M. Rouche, Clovis, 1996, p. 325-328 : Clovis massacre sa parentèle. Manifestement le chroniqueur veut donner de Clovis une image positive.
C. Ans 468-486 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 166-174
LES FILS DE CLOVIS
PARTAGE DU ROYAUME ET POURSUITE DE SON EXPANSION - PROBLÈMES DE SUCCESSION CHEZ LES BURGONDES - LA BOURGOGNE EST RATTACHÉE AU ROYAUME FRANC - MORT DE CLODOMIR - LES LOMBARDS - NOMBREUX VARIA
Sommaire du texte * Le roi Amalaric et son épouse Clotilde en Espagne - Intervention armée de deux des frères de Clotilde, Clotaire et Childebert - Les troupes d'Amalaric sont défaites - Le roi qui s'enfuit est tué par un chevalier, Guiscard de Soissons (482-483)
Le partage du royaume de Clovis entre ses
quatre fils
(Clodomir, Théodoric/Thierry, Clotaire,
Childebert) - Ses deux filles : Clotilde, épouse d'Alamaric, roi d'Espagne,
et
Hildelain, épouse de Gobert de Vaucouleurs (an 468
de l'Incarnation) |
|
[II, p. 166]
[Des enfans le roy Cloveis comment ilh
orent IIII royalmes] Chis roy Cloveis lassat VI enfans apres sa mort en
vief : dois filhes, Clotilde qui fut mariée à roy d'Espangne, et Hidelain
qui fut la femme Gobier de Vacolour, et IIII fis :
Theodorich,
Clodomire, Clotaire et Childebers. Ly roy Cloveis departit sa terre à ses
enfans, par le conselhe Elynon le prevoste, et fist de ses IIII fis IIII
roy. |
[II, p. 166]
[Les enfants du roi Clovis eurent
quatre royaumes] Après sa mort, le roi Clovis laissa six enfants en
vie : deux filles, Clotilde, qui fut l’épouse du roi d’Espagne (cfr
II, p. 166), et
Hildelain (cfr II, p. 168),
qui épousa Gobert de Vaucouleurs (cfr II, p. 167). Il laissa aussi quatre fils : Théodoric
(Thierry), Clodomir, Clotaire et Childebert. Sur le conseil du prévôt
Élinus,
Clovis partagea sa terre entre ses enfants et fit de ses quatre fils quatre
rois. |
[Clodomirs roy d’Orlins]
Et promirs, Clodomirs, qui
astoit
ly [II,
p. 167] anneis, fut coroneis à Orliens, et oit tout le paiis à chu
appendant. |
[Clodomir, roi d’Orléans]
D’abord
Clodomir, qui était [II, p.
167] l’aîné, fut couronné à Orléans et eut tout le pays qui en dépendait. |
[Theoderich, roy de Mes]
Et Theodorich fut coroneis
à
Mes et oit tout le paiis de Loheraine, et fut appelleis roy d'Austrie, et
chis astoit ly soverains de Allemangne. |
[Théodoric, roi de Metz]
Théodoric
(Thierry)
fut
couronné à Metz et obtint tout le pays de Lorraine. Il fut appelé roi
d’Austrasie et était le souverain de l’Allemagne. |
[Clotaire, roy de Lutesse]
Et Clotaire fut coroneis à
Lutesse
et fut roy de Franche. |
[Clotaire, roi de Lutèce]
Clotaire fut
couronné
à Lutèce et fut roi des Francs. |
[Childebers, roy à Soison]
Et Childebers fut coroneis
à Soison, jasoiche que ons true en aucunnes hystoires que Clotaire fut
coroneis à Soison et Childebers à Lutesse, mains ilh ne passat gaires que
Childebers vient demoreir à Lutesse. |
[Childebert, roi à Soissons]
Childebert fut couronné à Soissons, bien que certaines histoires rapportent
que Clotaire fut couronné
à Soissons et Childebert à Lutèce. De toute façon, il ne fallut pas longtemps avant que Childebert ne vienne résider à Lutèce. |
[Desous le roy Theoderich estoit
roy de Thuringe] Ches IIII roys misent leurs
sieges enssi com leur peire les avoit ordineit ; et promier est assavoir
que Theoderich [qui rejeté
par Bo] tenoit toute la
conqueste delà le Riens et dechà jusqu'à Rains, et chis metit son siege en la
citeit de Mes ; et astoit ly [ly ajouté par Bo]
roy de Thuringe desous luy et tous les aultres
roys d'Austrie. |
[Le roi de Thuringe était en dessous du roi Théodoric] Ces quatre rois fixèrent leurs capitales comme l’avait prescrit leur père. En premier lieu, il faut savoir que Théodoric tenait toute la terre conquise au-delà du Rhin et en deçà du Rhin jusqu’à Reims ; il établit sa capitale dans la ville de Metz. Le roi de Thuringe et tous les autres rois d’Austrasie dépendaient de lui. |
[Desous Clotaire astoit tot
Galle] Clotaire, qui
astoit roy de Lutesse et qui avoit tout la principal terre de Galle,
mettit son siege à Lutesse. |
[Toute la Gaule dépendait de
Clotaire] Clotaire, qui était roi de Lutèce et détenait la partie la plus
importante de la Gaule, établit sa capitale à Lutèce. |
[Desous Childebers astoit
Vermedois et pluseurs altres paiis]
Childebers, chis oit tout Vermedois, Picardie, Flandre, Brabant et Normedie,
si metit son siege à Soison. |
[Sous Childebert se trouvaient
le Vermandois et plusieurs autres régions]
Childebert, qui possédait tout le
Vermandois,
la Picardie, la Flandre, le Brabant et la Normandie, établit sa capitale à
Soissons. |
Et Clodomiers, chis oit Avergne, Borgongne,
Acquitaine
et tout le paiis de là entour ; chis metit son siege à Orlins. |
Et Clodomir, qui possédait
l’Auvergne,
la Bourgogne, l’Aquitaine et tout le pays alentour, établit sa capitale à
Orléans. |
Les fils de Clovis continuent de développer leurs royaumes - Clotaire profite de tensions entre Boident, comte de Tongres, et les habitants de Maastricht pour rattacher au royaume franc le pouvoir temporel sur Maastricht - Théodoric profite d’une dispute entre frères concernant la possession du royaume de Thuringe pour s’approprier ce royaume et son trésor - Il tue Herminafred et donne en mariage à son frère Clotaire une parente de ce dernier, appelée Radegonde (an 468 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 167]
[Guere entre le conte de Tongre et les
borgois de Treit] En cel an muet grant guere entre le conte Boident de
Tongre et
cheaux de Treit por le temporaliteit qu'ilh calengoit ; et ly evesque awec
les borgois le contredisoit et affirmoit, et veriteit astoit, que jadit
l'avoit donneit ly dus de Lotringe et conte de Lovay à l'evesque
Sains-Servais. Si mandat Boident Giele, le conte de
Colongne,
qu'ilh ly venist aidier ; si vient et assegat Treit. Et ly evesque et les
borgois mandarent le roy Clotaire de Franche, qu'ilh ly plaisist d'eaux à
aidier. |
[II, p. 167]
[Guerre entre le comte de Tongres et
les bourgeois de Maastricht] Cette année-là [468], une vive tension éclata
entre Boident, comte de Tongres (cfr
II, p. 146 ;
II, p. 149 ;
II, p. 160), et les habitants de
Maastricht sur la question du pouvoir temporel. L’évêque, appuyé par les bourgeois, le
contredisait en affirmant, et c’était exact, que le duc de Lorraine, comte
de Louvain, l’avait donné jadis à l’évêque saint
Servais
(cfr II, p. 67). Boident demanda l’aide de Gilles, comte de Cologne, qui vint
assiéger Maastricht. L’évêque et les bourgeois demandèrent au roi franc
Clotaire d’accepter de les aider. |
Boident : A. Borgnet (ad locum) a consacré une note (3) au personnage ‒ légendaire, dit-il ‒ de Boident, bien présent dans la Geste de Liège, vers 5858-5999. |
|
[Ly roy Clotaire adjondit le
temporaliteit de Treit à Franche – Gobier conte de Treit]
Et chis y vient, si oit batalhe à eaux : si fut li conte Boident, qui astoit
cusins à roy Clotaire, ochis par le roy ; et Giles s'en refuit devers
Colongne, et le
roy
Clotaire le porsuit et l'ochist ; et adjondit la temporaliteit de Treit à
Franche, et y metit unc conte lieutenant par les borgois à governeir, qui
fut nomeis Gobier de Vacolour, qui avoit à femme Hildelain, la sorour le
roy, qui regnat XXVIII ans. |
[Le roi Clotaire rattacha au
royaume franc le pouvoir temporel sur Maastricht - Gobert comte de Maastricht] Clotaire
arriva et livra combat : il tua son cousin, le comte Boident. De son
coté, Gilles s’enfuit à Cologne :
Clotaire
le poursuivit, le tua et rattacha au royaume franc le pouvoir temporel sur
Maastricht. Il installa dans la ville un comte lieutenant pour gouverner les
bourgeois. C’était Gobert de Vaucouleurs [II, p. 168], qui avait épousé
Hildelain, sœur du roi Clotaire. Il gouverna vingt-huit ans
(cfr II, p. 166). |
[Discors por le royalme de
Thuringe] En cel an meismes prist Ermefroy, ly fis Boident, la possession
del royalme de Thuringe ; mains Badris, son frere bastars, ly empechat et le
voloit avoir par forche, et tant que Ermefroy vient al roy Theoderich de Mes, et ly priat et ly dist qu'ilh astoit son
cusins remueis de germains, qu'ilh ly vosist aidier contre son frere bastar,
et ilh ly donroit la motié de son rengne. |
[Dispute pour le royaume de
Thuringe] Cette même année [468], Hermanfroi , fils de Boident, prit
possession du royaume de Thuringe. Cependant Baderic, son frère bâtard, s'y
opposa et voulut s’emparer du royaume par la force, jusqu’à ce que Herminafred
vienne trouver le roi Théodoric
de Metz, qui était, disait-il, son cousin issu de germain. Si Théodoric
voulait l’aider contre
son frère bâtard, il lui donnerait en échange la moitié de son royaume. |
[Theoderich adjondit le rengne
de Toringe à son rengne]
Et ly roy ly aidat tant que ly bastar fut ochis en batalhe. Et Ermefroy ralat
arrier de ses convens et ne les vot point acomplir, de quoy debas multipliat
entre eaux tant que ly roy
Theoderich ochist Ermefroy, et s'ajondit tout [le]
regne de Thoringe à son rengne, et prist tout
le tressour. |
[Théodoric rattacha le royaume de
Thuringe à son propre royaume]
Le roi l’aida jusqu’au moment où le bâtard fut tué dans la bataille. Alors Herminafred
renia ses accords et ne voulut pas les respecter, ce qui attisa entre eux la
dispute jusqu’à ce que le roi Théodoric tue Herminafred,
rattache
tout le
royaume de Thuringe
au sien et s'empare de l'intégralité de son
trésor. |
[De sainte Radegunda]
Si trovat là le soreur ou la cusine cheli Ermenfroy, qui oit nom Radegunda,
qu'ilh donnat por sa bealteit et bonteit à Clotaire, son frere roy de
Franche, à femme, qui puis menat mult sainte vie ;
mains
ilh n'en oit nulle enfant, et quant elle morut, si fut ensevelie à Potiers, où
Dieu fist por lée mult de myracles. Chis roy Clotaire regnat XXIX ans. |
[Sainte Radegonde] Il y avait là la sœur ou la cousine de cet Herminafred, qui s'appelait Radegonde. Comme elle était belle et bonne, Théodoric la donna pour épouse à son frère Clotaire, roi des Francs. Celle-ci mena dans la suite une vie très sainte, mais ne lui donna pas d’enfant. À sa mort, elle fut ensevelie à Poitiers, où Dieu fit de nombreux miracles par son intermédiaire (cfr II, p. 171). Clotaire régna vingt-neuf ans. |
Catastrophes
naturelles à Vienne, qui amènent l'archevêque Mamert à
organiser des Rogations - Mort d'Élinus - Son fils
Agaza devient prévôt - Fondation par Childebert en l'honneur de saint Vincent
d'une église qui s'appellera Saint-Germain-des-Prés
- Mort à Paris de sainte
Geneviève - Organisation par Clotaire du Concile d’Orléans (ans 469-470 de
l'Incarnation) |
|
[II, p. 168] [Grant muet de terre à Viane - Les biestes mangnent les gens] Sour l'an IIIIc et LXIX, en mois d'avrilh, oit en la terre de Viane si grant muet de terre que pluseurs englieses et maisons chairent ; si avient que les leux et les aultres bestes savaiges, qui habitoient en bois entour Viane, entrarent dedens les vilhes et devastarent et ochisent tos cheaux qui fours de leurs maisons furent troveis. |
[II, p. 168]
[Grand tremblement de terre à Vienne -
Les bêtes mangent les gens] En avril 469 se produisit dans
la terre de Vienne un tremblement de terre si puissant que
beaucoup d’églises et de maisons s’écroulèrent. Les loups et les bêtes
sauvages, qui peuplaient les bois autour de Vienne, en vinrent à entrer dans
les villes, à semer la dévastation et à tuer tous ceux qu’ils trouvèrent
hors de leurs maisons. |
[Grant effoudre]
Et le propre jour de la sainte Paske fut ly palais royal de chesti citeit destruis par une effodre qui chaiit
sus. |
[Grand coup de foudre]
Et le jour même de la fête de Pâques, le palais royal de cette cité fut détruit, frappé
par la foudre. |
[Porquoy les processions furent
fait devant l’Ascension] Adont astoit evesque de Viane
sains Mamiens, qui por celle pestilenche ordinat les trois processions que ons
appelle Rogations, que ons fait les trois jours devant l'Ascension, por le
rason de chu que ilh rovat à Dieu que, parmy lesdit processions et les
junnes que ilh avoit enssi ordineit, ly pestilenche cessast, sicom ilh fist. |
[Pourquoi les processions furent
organisées avant l’Ascension] À cause de ce fléau, saint Mamert, à l'époque évêque de
Vienne, organisa les
trois processions qu’on appelle Rogations et qui ont lieu les trois jours
précédant l’Ascension. Il le faisait pour demander à Dieu la fin du fléau, grâce aux
processions et aux jeûnes ainsi prescrits. Ce qui se
passa. |
Saint Mamert est le premier des trois saints de glace, suivi de saint Pancrace et de saint Servais. Et comme il est question de phénomènes météorologiques et de protection des champs, on n'oubliera pas le rôle important que joue en ce domaine la clé de saint Servais, promenée à travers les champs, pour leur éviter d'être dévastés par les tempêtes. Cfr II, p. 96-99. Sur les rogations instituées par saint Mamert, évêque de Vienne, cfr assez long développement de Grégoire de Tours, II, 34 (p. 127-128 Latouche). |
|
En cel an morut Elynon, le prevoste de Franche ;
si fut fais prevoste par le roy et les barons Agaza, le fis Elynon, qui
regnat XXXVIII ans. |
Cette année-là [469] mourut Élinus, le prévôt franc. Agaza, son fils,
fut désigné comme prévôt par le roi et les barons. Il régna durant
trente-huit ans |
[Del engliese Sains-Vincent et
Sains-Germain, à Paris] En cel an fondat Childebers, ly
roy de Soison, une engliese en l'honeur de sains Vincent es preis al defours
de Lutesse, qui ors [II, p. 169]
est appellée Sains-Germain es Preis. |
[L’église Saint-Vincent et Saint-Germain,
à Paris]
Cette année-là [469], Childebert, le roi de Soissons, fonda une église en l’honneur de saint
Vincent dans les prés à l’extérieur de Lutèce, église maintenant [II, p. 169] appelée Saint-Germain-des-Prés. |
[Sainte Jenvier morut]
Item, l'an IIIIc et
LXX
en mois de may, morut à Lutesse la glorieux virge sainte Jenvier. |
[Mort de sainte Geneviève] En l’an 470, au mois de mai, mourut à Lutèce la glorieuse vierge sainte Geneviève. |
[De promier conciel de Franche
qui fut à Orlins] En cel an fut ly promier conciel
assembleis en Franche, et fut en la citeit de Orlins par le commandement de roy
Clotaire : en chi conciel furent ordineit mult de choses profitaubles à
sainte Engliese. |
[Le premier concile chez les Francs se
tint à Orléans] En cette année [470], le premier
concile organisé chez les Francs se réunit dans la ville d’Orléans, sur l'ordre du roi Clotaire. On y
prescrivit de nombreuses choses profitables à la Sainte-Église. |
Problèmes de succession en Bourgogne : à la mort d'Alardin, ses deux frères, Sigismond et Gudomar III,
prennent le pouvoir - Sigismond fonde sur le Rhône une église en l’honneur
de saint Maurice et des martyrs de la Légion Thébaine (où il sera plus tard
enseveli) - Clotilde, épouse de Clovis, suggère à ses fils de
revendiquer la Bourgogne, qu'elle estime devoir lui revenir -
Batailles entre les Francs et les Bourguignons - Sigismond est capturé et tué par Clodomir - Gudomar
III combat et tue Clodomir -
Les trois frères restants écrasent les Bourguignons -
Gudomar, qui s'était enfermé dans la cité de Langres, est capturé et tué -
La Bourgogne est rattachée au royaume des Francs - Childebert remet son
royaume à Clotaire - Transfert du corps de saint
Marc
d'Alexandrie à
Venise (ans 470-472 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 169] [Del passion et del englise
Sains-Meurisse et ses compangnons] En cel an
morut Arnadin, ly roy de Borgongne, sens heures ; si demorat la terre à
ses dois freres, Sygemon et Gondemars : chis Sygemon fondat une belle
engliese de Sains-Meurisse et ses compangnons sour le Royne, en droit lieu où ilh furent martirisiiet, en
mois d'avrilh sour l'an IIIIc et LXXI. Et là fut ly roy Sygemon ensevelis
apres son decesse. |
[II, p. 169] [La passion et l’église de
saint Maurice et de ses compagnons] En cette
année [470), le roi de Bourgogne, Alardin (cfr
II, p. 153-154), mourut sans
héritiers ; la terre revint à ses deux frères, Sigismond et Gudomar III. En
avril 471, Sigismond fonda une belle église en l’honneur de saint
Maurice et de ses
compagnons (de la Légion Thébaine), sur le Rhône, à l’endroit exact où ils
furent martyrisés (cfr II, p. 41). C’est là que fut enseveli le roi
Sigismond, après son décès. |
[De roy de Borgongne qui fut
adjosteit à Franche] A cel temps mandat la royne
Clotilde de Franche ses IIII fis en la citeit de Lutesse, si leur dest :
« Saingnours, vos saveis comment ly roy Gondebuef, mes oncles, murdrit mon
pere et ma mere por avoir leur terre, la royalme de Borgongne, et puis at
tenuit la royalme tout sa vie qui devoit parvenir à
moy, et apres sa mort le tient mes cusins Arnadin, son fis, par le congiet
de monsaingnour le roy Cloveis, mon marit. Et maintenant que Arnadin est
mors, ses dois freres, Sygemon et Gontemars, le tinent par leur forche, de
quoy je ay grant mervelhe que vos asteis si poissans et ne reconquesteis par
forche le royalme de Borgongne, qui doit depart moy apartenir à vous. » |
[Le royaume de Bourgogne fut
rattaché au royaume franc] À cette époque, Clotilde, reine des Francs, fit venir ses quatre fils à Lutèce et leur dit : « Seigneurs, vous
savez que le roi Gondebaud, mon oncle, fit mourir mon père et ma mère pour
s’emparer de leur terre, le royaume de Bourgogne. Il a détenu sa vie durant
le royaume qui devait me revenir à moi. Depuis sa mort, son fils
Alardin,
mon cousin, le détient, avec l’accord de monseigneur le roi Clovis, mon
mari. Maintenant qu’Alardin est mort, ses deux frères, Sigismond et Gudomar
le tiennent par la force. Devant cette situation, je m’étonne grandement que, vous,
qui êtes si puissants, vous ne repreniez pas par la force le royaume de
Bourgogne, qui, par moi, doit vous appartenir, à vous » |
[Franchois ont desconfis les
Borgengnons] Quant les enfans entendirent leur
mere, sy regardent que elle disoit veriteit ; si s'aloient ensemble et
jorarent la mort Sygemon et Gontemars, et entrarent en la terre de Borgongne
à grant gens. Mains les dois freres, Sygemon et Gontemars, vinrent contre
eaux et orent batalhe ensemble ; mains les Borgengnons furent desconfis, et
si fut Sygemon pris depart le roy Clodemeire
qui le mist en prison à Orlins, et puis l'ochist et le jettat en I puche.
Mains sains Aviens, evesque d'Orlins, le rewastat fours et l'ensevelit sour
Ie Roine, en l'engliese Sains-Meurisse qu'ilh avoit fondeit. |
[Les Francs ont vaincu les Bourguignons]
Quand les fils eurent entendu leur mère, ils estimèrent qu’elle
disait la vérité. D’accord entre eux, ils jurèrent la mort de Sigismond
et de Gudomar et pénétrèrent en terre de Bourgogne avec des troupes nombreuses.
Mais Sigismond et Gudomar, les deux frères, marchèrent contre eux et leur
livrèrent bataille. Les Bourguignons furent défaits. Sigismond fut capturé
par le roi Clodomir, qui l’emprisonna à Orléans, puis le tua et le jeta dans
un puits. Toutefois saint Aignan, évêque d’Orléans (cfr
II, p. 120), l’en
retira et l’ensevelit sur le Rhône, en l’église Saint-Maurice que Sigismond
avait fondée. |
Apres
s'en alarent les IIII freres de Franche en Borgongne, et Gontemars soy
combatit à eaux en mois de jenvier. Et là ochist Gontemairs Clodomier, le roy
d'Orlins, de qu'en les III freres furent mult corochiés, et [II, p. 170] s'enforcharent tant que
les Borgengnons furent desconfis ; si s'enfuit Gontemars droit en la
citeit de Langres, où ilh s’encloiit ; mains les III freres l'assegarent
dedens, se le prisent et l'ochisent. Enssi fut conquestée la royalme de
Borgongne, et adjonte al royalme de Franche. |
Ensuite, les quatre frères s’en allèrent en
Bourgogne. Gudomar les combattit en janvier et tua Clodomir, le roi
d’Orléans, ce qui irrita grandement ses trois frères [II,
p. 170]. Ils engagèrent tellement de forces que les Bourguignons furent vaincus.
Gudomar s’enfuit droit dans la cité de Langres, où il s’enferma. Mais les
trois frères l’y assiégèrent, s’emparèrent de lui et le tuèrent. C'est ainsi
que
le royaume de Bourgogne
fut conquis
et rattaché au royaume franc. |
Item, l'an IIIIc LXXII reportat le roy Childebert
son royalme en le main del roy Clotaire, son frere ; si fut coroneis à
Soison. |
En l’an 472, le roi Childebert remit son royaume dans les mains de son frère, le roi Clotaire, lequel fut couronné à Soissons. |
[De corps sains Marke,
ewangeliste] En cel an des marchans aportarent le corps
sains Marke ewangeliste, de Alixandre en la citeit de Venise. |
[Le corps de saint Marc évangéliste]
Cette année-là, des marchands apportèrent le corps de saint Marc
l’évangéliste d’Alexandrie à Venise. |
Les
Danois de Julien échouent à conquérir le royaume de Thuringe
qui appartenait à
Théodoric Ier / Thierry I (fils de Clovis) et que Julien avait donné
à son fils Cochelais en lui promettant de le conquérir - Les Danois sont
vaincus, Julien et Clochelais sont tués, Hector, l’autre fils de Julien,
devient roi de Danemark - Arras est presque entièrement détruite par la foudre
- L’empereur d'Orient Zénon succède à son père Léon - Construction de l’église
Saint-Étienne à Rome par le pape Simplice - Succession à Louvain - Clotaire
Ier nomme duc d’Aquitaine un de ses fils Chramne - Ordonnances papales -
Waccho, premier roi de Lombardie - Radegonde, la reine des Francs, fonde une
abbaye de religieuses à Poitiers, où elle deviendra nonne et mourra
saintement (ans 473-477 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 170] [Batalhe] Item, l'an IIIIc et LXXIII, assemblat ly roy Julin de Dannemarche ses hommes, et entrat en la terre de Turinge, qui apartinoit à roy Theoderich d'Austrie, car Julin l'avoit donneit son fis Clochelais et ly avoit enconvent de conquere ; mains ly roy Theoderich li defendit et le corut sus, et là oit fort batalhe, mains les Danois furent desconfis, et Julin et Clochelais ochis. Si fut fais roy de Dannemarche Ector, li aultre fis Julin qui astoit ly anneis, qui regnat LVI ans. |
[II, p. 170] [Bataille]
En l’an 473, le roi Julien de Danemark (cfr
II, p. 157) rassembla ses hommes et pénétra dans
le royaume de Thuringe, qui appartenait au roi Théodoric d’Austrasie (cfr
II, p. 168). C’est que Julien l’avait donné à son
fils Clochelais et lui avait promis de le conquérir. Mais le roi Théodoric
se défendit et l’attaqua. Une grande bataille eut lieu : les
Danois furent vaincus ; Julien et Clochelais furent tués. Hector, l’autre
fils de Julien, qui était l’aîné, devint roi de Danemark et régna
cinquante-six ans. |
[Effoudre]
En cel an meismes le XIIIe jour
d'awost,
chaiit une effoudre sus la citeit de Aras, et fut presque tout arse. |
[Foudre]
Le 13 août de cette même année, la foudre tomba sur la cité d’Arras qui fut incendiée presque
entièrement. |
[Zenon, li LIIIe emperere de
Romme]
En cel an en mois de fevrier le VII jour, morut ly emperere de
Romme Lyon ; puis fut coroneis son fis
Zenon, qui regnat X ans II mois et XII jours. |
[Zénon, cinquante-troisième empereur de Rome] En cette année [473], le 7 février, l’empereur de Rome, Léon, mourut ; ensuite fut couronné son fils Zénon, qui régna pendant dix ans, deux mois et douze jours. |
Léon Ier meurt en 474 de notre ère. Son fils, mineur, lui succède sans régner sous le nom de Léon I, et meurt après 10 mois. Zénon, dit l'Isaurien, prend alors le pouvoir, et règne de 474 à 491 de notre ère. |
|
[Del englise Sains-Estiene]
Item, l'an IIIIc LXXIIII en mois de may, commenchat li pape Supplicius à
edifier une mult belle engliese
à Rome en l'honeur de sains Estiene, le prothomartyr, deleis la capelle
Sains-Lorent d'unne part et la capelle Sains-Lubiane del altre part, où son
corps gieste awec IIIIm IIc et LXXII corps sains. |
[L’église Saint-Étienne] En l’an 474, au mois de mai, le pape Simplice commença à construire à Rome, en
l’honneur de saint Étienne, le premier martyr, une très belle église, près
de la chapelle Saint-Laurent d’un côté, et de l’autre, près de la chapelle Sainte-Bibiane,
où elle repose avec quatre
mille deux cent et soixante-douze corps de saints. |
[De Lovay]
En cel an morut ly prinche de
Lovay, qui oit nom Gilbons, si fut prinche apres luy unc chevalier qui fut nomeis
Clodus. |
[Louvain] Cette année-là [474] mourut le prince de Louvain, dénommé Gilbons ; après lui, le prince fut un chevalier appelé Clodus. |
[D’Aquitaine]
Item, l'an IIIIc et LXXV, fist ly roy de Franche Clotaire duc d'Aquitaine de Cramus,
unc sien fis bastars qui mult astoit bon chevalier. |
[En Aquitaine] En l’an 475, le roi franc Clotaire Ier nomma duc d’Aquitaine, Chramne, un de ses fils, un bâtard, qui était un excellent chevalier (cfr II, p. 179). |
Avec ce Crannes des Chroniques de Saint-Denys, le Chramnus des Chroniques latines, on voit ici apparaître un personnage d'origine royale (un bâtard de Clotaire que son père avait nommé duf d'Aquitaine) qui jouera un grand rôle dans la suite. Il en est beaucoup question déjà chez Grégoire de Tours (I, p. 181, 182, 188, 189, 193-204 ; II, p. 323, trad. Latouche). Il fera la guerre à son père qui ordonnera son exécution par le feu avec femme et enfants. L'événement a certainement ému les contemporains, car Marius d’Avenches, généralement très concis, le raconte avec force détails (Chronique, M.G.H., A.A., t. XI, ed. Mommsen, p. 237). On apprend ici que ce personnage, ambitieux et arrogant, va demander à Clotaire plus de terres, en l'espèce le Brabant, qui deviendrait possession de son « fils aîné Paris, âge de onze ans et excellent jouteur ». Chramne entend bien succéder à son grand père Clotaire, comme roi des Francs. Devant le refus catégorique de Clotaire, Chramne qui avait déjà plus haut menacé son père va maintenant lui faire la guerre. C'est moins Chramne le père un personnage historique, que le fils, personnage inventé, qui doit attirer l'attention car il va faire entrer le récit dans le monde des légendes de la Table ronde. et du roi Arthur (déjà apparu plus haut dans le Myreur cfr II, p. 165 et I, p. 127 et 403). Plus loin, en II, p. 207 (Ref), ce Paris évoquera son père sous le nom de Cramynus. |
[Status de pape - De V regions]
En cel an ordinat ly pape que, en l'engliese Sains-Pire et Sains-Poul, que VII
preistre cascunne samaine demorassent là por les penitans à confesseir et
baptisier, et si fist V regions qui divident les
preistres
de la citeit : le promier at Sains-Pire, le seconde at Sains-Poul, le tirche
at Sains-Lorent, le IIIIe at Sains-Johan de Latran et le Ve at
Sainte-Marie-Ie-Maiour. |
[Ordonnances papales - Les cinq
régions] Cette année-là [475), le pape [Simplice] ordonna que chaque
semaine sept prêtres soient présents dans l’église Saint-Pierre et
Saint-Paul, pour confesser et baptiser les pénitents. Il créa aussi cinq
régions qui se partageaient les prêtres de la cité : la première était
Saint-Pierre, la seconde Saint-Paul, la troisième Saint-Laurent, la
quatrième Saint-Jean de Latran et la cinquième Sainte-Marie-Majeure. |
[Le promier roy de Lombardie,
Warcho] Item, l'an IIIIc et LXXVII, [II, p. 171] commencharent les Lombars à faire unc roy, et fut ly
promirs
nomeis Warcho, qui fut une bon chevalier, et tient le chief de son
rengne à Pavie. |
[Le premier roi de Lombardie,
Waccho] En l’an 477, [II,
p. 171] les Lombards se mirent à nommer un roi. Le premier
désigné fut Waccho, qui fut un bon chevalier. Il installa la capitale de
son royaume à Pavie. |
Lombards : En I, p. 2, Jean cite Paul Diacre (VIIIe siècle) parmi ses sources, mais ce qu'il écrit dans cette notice ne correspond pas aux données de l'Histoire des Lombards de Paul Diacre (VIIIe siècle). Dans ce texte en effet, le premier roi que se choisirent les Lombards pour remplacer les ducs qui les dirigeaient jusqu'alors s'appelait Agelmundus (I, 14), Waccho ne fut que le huitième des rois lombards. S'agissant de rois légendaires, ce ne serait là qu'un détail négligeable si Jean n'avait pas avancé des précisions chronologiques et topographiques. C'est qu'on connaît assez bien l'histoire des Lombards, un peuple d'origine germanique descendaznt du Nord. Nous savons avec certitude qu'en 477 de l'Incarnation, les Lombards n'étaient pas encore passés en Italie. Au début du VIe siècle, on les trouvait dans la région du moyen Danube. Ils contrôlaient la Pannonie, avaient adopté l’arianisme et servaient occassionnellement d'alliés plus ou moins fiables à un Justinien engagé dans les guerres d'Italie. Cela dura jusqu'en 568, date à laquelle, effrayés par la puissance Awar, les Lombards émigrent en masse en Italie, sous leur roi Alboïn, et s'installent un peu partout dans la péninsule, bouleversant, voire dominant à certains moments et à certains endroits, une Italie que d'ailleurs « beaucoup connaissent, ayant participé à la reconquête justinienne qui, au terme de près de 25 années de guerres, avait fini par rendre la péninsule aux Romains d’Orient.» Pavie fut effectivement une de leurs capitales. On retrouvera plus loin (II, p. 261) ces Lombards d'Italie, dont l'histoire est fort compliquée, notamment dans leurs rapports avec la Papauté et les Francs. Il fallait simplement marquer ici que Waccho ne fut pas le premier roi lombard et qu'il n'installa pas sa capitale à Pavie en l'an 477 de l'Incarnation. Un dernier mot concernant le nom du roi. A. Borgnet, dans son édition, écrit Warcho, mais note les variantes existantes : « Waco dans Aimoin, Wacon dans les Chroniques de Saint-Denis ». Paul Diacre, dans son Histoire des Lombards, utilisait la graphie Waccho. C'est cette dernière que nous avons adoptée. |
|
En cel an fondat la royne de Franche Radegonde une belle abbie de nonains à
Poitiers, où puis elle fut nonne et y morut saintement. |
Cette année-là, la reine des Francs Radegonde fonda
une belle abbaye de religieuses à Poitiers, où par la suite elle fut
nonne et où elle mourut saintement |
Merlin en
Grande-Bretagne - Théodebert (Thibert), fils de Théodoric (Thierry), fait
des expéditions en Lombardie et en Italie - Hongrie - Les évêques de
Tongres : Sulpice et Quirille - Clotaire et ses Francs attaquent les
Lombards de Waccho qui sont vaincus -
La Lombardie devient tributaire de Clotaire -
Ordonnance papale - Clotaire conquiert
Angers - Mort du pape Simplice - Désignation du pape Félix III (ans 478-482
de l'Incarnation) |
|
[II, p. 171] [De Merlin - La
virge conchut de dyable]
Item, l'an IIIIc et LXXVIII, regnoit en grant honeur Merlin en la
Grant-Bretangne, qui fut fis del filhe de roy, une sainte nonain ; mains son
peire fut unc dyable, car sa mere astoit en l'engliese Sains-Pire à Carlon
entre les nonains, et disoit qu'elle n'avoit oncques esteit connuit
charnelment d'homme ; mains uns hons ly vient devant en belle fourme qui le
porsuoit, et bien sovent se le baisoit et l'acoloit, tant qu'ilh le lassat
grosse. |
[II, p. 171] [Merlin - La vierge conçut d’un diable] En l’an 478, Merlin vivait très honoré en Grande-Bretagne. C’était le fils de la fille du roi, une sainte nonne, mais son père était un diable. Sa mère se trouvait à Caerleon (II, p. 182 et p. 257), en l’église Saint-Pierre, parmi les nonnes. Elle disait qu’elle n’avait jamais été connue charnellement par un homme. En fait un homme, de belle apparence, lui apparaissait et la poursuivait ; bien souvent il l’embrassait et l’étreignait, tant et si bien qu’il l’engrossa. |
[Del enfant qui fut sens peire]
Et quant ly roy de Bretangne edifioit unc chasteal, ilh chaioit par nuit tout
chu que ses ovriers avoient fait par jour ; si dessent les grans philosophes
al roy, qui avoient envie sour Merlin, que s'ilh avoit de sanc d'onne enfant
qui fust neis sens pere, que ilh troveroit bien en son rengne se ons le
queroit, ly ovraige remanroit. |
[L’enfant sans père]
Quand le roi de Bretagne construisait un château, tout ce que ses ouvriers
avaient fait pendant la journée s’écroulait pendant la nuit. Les grands
sages, envieux de Merlin, dirent au roi que les travaux resteraient debout
si on disposait du sang d’un enfant né sans père et qu’on pourrait en
trouver un dans le royaume si on le cherchait. |
Et le roy le fist querire ; et enssi que ons le queroit, si avient que
Merlin soy combattoit de parleirs à uns altre garchon, chis garchon nomat
Merlin aoutron sens peire. Quant cheaux l'entendirent, se prisent Merlin et
l'amenont al roy ; et là dest Merlin chu qu'ilh falloit al edification de
casteal et le mettit en veriteit, tant qu'ilh fut quitte de la mort. Et
lyst-ons de luy tant de mervelhes ens es histoirs de Bretangne, que mult
longe seroient del racompteir. |
Alors le
roi le fit chercher. Et il arriva que les gens chargés de cette mission
surprirent une dispute entre Merlin et un autre garçon, qui le traitait
d’enfant adultérin sans père. En entendant cela, les enquêteurs saisirent
Merlin et l’amenèrent au roi. Et là, Merlin expliqua au roi ce qui manquait
à l’édification du château, et cela se vérifia si exact que Merlin échappa à
la mort. À son sujet, on lit tant de choses prodigieuses dans les histoires
de Bretagne, que ce serait très long à raconter. |
[II, p. 171] [Theodebers conquist mult en Lombardie et
en Ytalie] L'an IIIIc et LXXIX, s'avisat Theodebers, ly fis le roy
Theoderich d'Austrie, et s'en allat à grant gens sour les Lombars. Et passat
les mons, si vint en Ytale, sy soy combattit II fois aux
Lombards et Ytaliens, et les desconfist ;
si conquist sor eaux vilhes et casteals à sa volenteit, et fist toute la
terre de Alpes, c'on dist montangnes, retributaire à li jusques à la mere,
puis se revient arriere al mandement de son pere qui le remandat ; mains ilh
laisat Bucellus, son senescal, là por ly, et ly
[II, p. 172] commandat à conquerre la royalme de Zesilhe et le paiis là
entour. |
[II, p.
171]
[Théodebert fit beaucoup de conquêtes en Lombardie et en Italie]
En l’an 479, Théodebert (cfr II, p. 177-178),
fils du roi Théodoric/Thierry d’Austrasie, décida de partir
avec d'importantes troupes attaquer les Lombards. Il traversa les montagnes
et arriva en Italie. Par deux fois, il affronta les Lombards et les Italiens
qu'il vainquit. Il soumit à sa volonté villes et places fortes, et imposa le
tribut à tout le territoire qui va des Alpes, c’est-à-dire des montagnes,
jusqu’à la mer. Puis il se retira, son père lui ayant donné l’ordre de
rentrer. Toutefois il laissa Buccelin, son sénéchal, pour le remplacer et
lui
[II, p. 172] ordonna de conquérir le royaume de
Sicile et le pays environnant. |
[Ly patris de Romme reconquist le paiis] Mains de chu ilh fallit, car ly patris de Romme vient encontre ly, se l'ochist en batalhe et reconquist tout chu que Theodebers avoit conquis. |
[Le patrice de Rome reprit le pays] Cependant, il échoua, car le patrice de Rome vint le combattre et le tua dans la bataille, récupérant tout ce qu’avait conquis Théodebert. |
Note Bo, p. 171, n. 5 : « Le chroniqueur fait allusion à une
première expédition de Théodebert [ou Thibert], petit-fils de Clovis, en Italie en 540, non contre les Langobards,
mais pour empêcher la restauration de la domination impériale en Italie. Buccelin,
le chef qu’il laissa après son départ, livra à Narses (le patris de Rome) en 554 une grande
bataille dans la Campanie, bataille qu’il perdit, et où il périt avec la plus
grande partie de ses soldats ». Sur cette expédition en Italie, cfr Grégoire de Tours, III, 32 et Liber historiae Francorum, ch. 26, p. 88-89, éd. Lebecq, avec les notes. Dans l'Histoire, l'expédition, mentionnée ici, de Théodebert en Italie, eut lieu en 539 n.è. « Commanditée par Justinien, elle visait en fait à soutenir la reconquête byzantine de l'Italie du Nord aux dépens des Ostrogoths ». Elle n'avait donc rien à voir avec les Lombards ». L'auteur du LHF les avait déjà introduits abusivement dans le récit de Grégoire qu'il résumait. ‒ La notice qui suit sur l'expédition de Clotaire en Lombardie, la défaite de Waccho et l'imposition du tribut aux Lombards doit être une invention de Jean, dans la prolongation des notices précédentes. Rappelons qu'à cette époque (an 480 de l'Incarnation), les Lombards n'occupaient pas encore l'Italie. ‒ On retrouvera la Lombardie et les Lombards, en II, p. 261, avec des notes et des renvois aux autres passages du livre premier traitant de ce peuple. |
|
[De roy de Hongrie]
En cel an morut ly roy de
Hongrie
Ogiers : si fut roy apres luy Julin, son fis, qui regnat XXXIII ans. |
[Le roi de Hongrie]
En
cette
année mourut Ogier, le roi de Hongrie. Son fils Julien lui succéda et régna
trente-trois ans. |
[II, p. 172] [De Quirillus, le XVIe evesque de Tongre]
Item, l'an IIIIc et IIIIxx, en mois de marche, morut à Treit sains
Suppliciiens : si fut esluis evesque XVIe par le capitle Quirillus, le fis
Quirillus le conte de Nammut del filhe le conte de Arche ou Dynant qui fut
nomée Elie. Et astoit Quirillus doyens delle engliese de Treit, si regnat XL
ans. |
[II, p. 172] [Quirille, seizième évêque de Tongres]
En l’an 480, au mois de mars, saint Sulpice (II, p. 164)
mourut à Maastricht. Le chapitre élut comme seizième évêque Quirille, le
fils de Quirille, comte de Namur, et de la fille
du comte d’Arche ou Dinant (I,
p. 450), qui s’appelait Élie. Quirille était le doyen de l’église de
Maastricht et régna pendant quarante ans. |
[Ly roy franchois at desconfis
les Lombars et les mist en tregut] En cel an alat ly roy Clotaire
de Franche en Lombardie à grant gens. Si vient
contre luy Warcho, ly roy de
Lombardie ; si orent batalhe ensemble, mains les Lombars furent desconfis ;
si conquist ly roy Clotaire grant terres sour eaux, mains ly roy Warcho ly
mandat qu'ilh laisast son rengne et ilh le tenroit de luy en tregut, si l'en
renderoit cascon an XXII mars d'argent. Et ly roy Clotaire ly otriat, si
retournat en Franche. |
[Le roi franc défit les Lombards et en fit
ses tributaires] Cette année-là [480], le roi des Francs
Clotaire alla en Lombardie avec une grande armée. Le roi de Lombardie Waccho
marcha contre lui. Les Lombards furent vaincus et le roi Clotaire conquit
beaucoup de leurs terres. Cependant le roi Waccho lui fit savoir qu’il lui
laisserait son royaume, le tiendrait de lui moyennant tribut et lui
verserait chaque année vingt-deux marcs d’argent. Le roi Clotaire accepta et
retourna chez lui. |
[Status papales]
Item, l'an IIIIc IIIIxx et I, ordinat ly pape que nus clers ne presiste
vestures ne altres benefis, à lays personnes ou les seculeirs patron. |
[Ordonnance papale] En l’an 481, le pape (Simplice) défendit à tout clerc d’accepter investitures ou autres bénéfices de personnalités laïques ou de patrons séculiers. |
Simplice, pape de 468 à 483 n.è.
|
|
En cel an conquestat ly roy Clotaire de Franche la
citeit
de Angiers, si butat ens le feu et ochist le conte, qui oit nom Pel. |
Cette même année, le roi franc Clotaire fit la conquête de la ville d’Angers
(?), y bouta le feu et en tua le comte, qui portait le
nom
de Paul. |
Note de Bo : « Jean d’Outremeuse a postdaté d’un demi-siècle environ les faits du règne de Clovis, à la mort duquel il assigne la date de 467 (468 ?, d'après II, p. 166) au lieu de 511. Il en résulte que, trouvant l’incendie d’Angers à la date de 481, il l’attribue non à Childéric, père de Clovis, mais à Clotaire Ier, l’un de ses fils. » Cfr chronique de Sigebert de Gembloux sous cette année 481. |
|
(II, p. 172] (Felix le LIe pape]
Item, l'an IIIIc et IIIIxx et II le secon jour de marche, morut Supplicius, ly
pape de Romme ; si fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire asseis pres de sa
tumbe. Et vacat ly siege V jours, et al VIIIe jour de
marche
fut consacreis à pape uns cardinais qui fut de la nation de Romme, le fis
d'unc senateur qui oit nom Felix, Iyqueis pape oit à nom Felix li thirs de
chi nom. Et Orosius dist que Felix fut li fis de (II, p. 173] unc preistre qui fut de la region de Faciol à Romme,
et tient le siege IX ans XI mois et XVII jours. |
(II, p. 172] (Félix, cinquante et unième pape]
En l’an 482, le 2 mars, Simplice, le pape de Rome mourut. Il fut enseveli dans
l’église Saint-Pierre, près de la tombe de Pierre. Le siège resta vacant
cinq jours. Le 8 mars fut consacré pape un cardinal originaire de Rome, fils
d’un sénateur dénommé Félix. Ce nouveau pape fut appelé Félix,
troisième de ce nom. Orose dit que Félix était le fils
(II, p. 173] d’un prêtre de la région de
Fasciola (Fiesole ?) à Rome et qu'il occupa le siège pontifical durant neuf
ans, onze mois et dix-sept jours. |
Félix III, pape de 483 à 492 n.è. |
|
Le roi Amalaric et son épouse Clotilde en Espagne - Intervention armée de deux des frères de Clotilde, Clotaire et Childebert - Les troupes d'Amalaric sont défaites - Le roi, qui s'enfuit, est tué par un chevalier, Guiscard de Soissons (ans 482-483 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 173]
En cel an envoiat Clotilde, la royne d'Espangne, unc conte et XXIII
chevaliers à ses freres, qui tous trois furent troveis d'aventure à Lutesse,
lesqueis messagiers dessent aux freres que leur soreur, ma damme d'Espangne,
les mandoit qu'elle estoit mariée à unc mal tyrant sarasiens, qui le haioit
et ly faisoit grant despit, portant qu'elle astoit cristiene et que son
peire le roy Cloveis ly ayoit ochis son peire : car quant elle alloit al
mostier por faire ses orisons, son marit li faisoit jetter, après lée et
sour lée, le bru et le merde qui gisoit par les rues. Et monstrarent les
messagiers aux freres la merde qu'ilh avoient aporteit loyet en unc drap. |
[II, p. 173]
Cette année-là [482], Clotilde, la reine
d’Espagne, envoya à ses frères, qui tous trois se trouvaient par hasard à
Lutèce, un comte escorté de vingt-trois chevaliers. Ces messagers vinrent
dire aux frères que leur sœur, Madame d’Espagne, leur faisait savoir qu’elle
était mariée à un méchant tyran païen (Amalaric ; cfr
II, p. 166), qui la haïssait et la tourmentait beaucoup parce qu’elle
était chrétienne et parce que son père (à elle), le roi Clovis, avait tué
son père (à lui, Alaric, à Vouillé ; cfr II, p.
162). Ainsi, quand elle allait au monastère pour y prier, son mari
faisait jeter vers elle et sur elle la boue et les ordures qui se trouvaient
dans les rues. Les messagers montrèrent aux frères les saletés qu’ils
avaient apportées, enveloppées dans un drap. |
Adont orent les trois freres grant despit, et dessent qu'ilh ne poroient chu
soffrir ; et assemblarent leurs oust les dois, assavoir Clotaire et
Childebers, car ly roy Theoderich avoit guere en Austrie son pays, si n'y
alat mie. Et ses dois freres soy misent à la voie vers Espangne ; et quant
ilhs y furent venus, si commencharent la guere et à destruire vilhes,
casteals, tout à leur volenteit. |
Les trois frères, outrés, dirent qu’ils ne pourraient pas tolérer cela. Deux
d’entre eux, Clotaire et Childebert, rassemblèrent leurs armées, car le roi
Théodoric qui avait une guerre à gérer en Austrie, son pays, ne prit pas
part à l’expédition. Ses frères prirent la route de l’Espagne et, une fois
arrivés là, se mirent à guerroyer et à détruire villes, places fortes, comme
ils l’entendaient. |
[Les Franchois ont desconfis le Espangnois
et ochis le roy Amalarich]
Mains ly roy Amalarich assemblat ses hommes, si vient encontre eaux, si orent
batalhe ensemble ; mains les Espangnois furent tous desconfis, et ly roy
Amalarich s'enfuit, et les Franchois le suirent : si avient que Guicar de
Soison, unc noble chevalier, l'atendit al entrée de unc mostier où ilh
voloit entreir, se l’ochist de une lanche. Enssi fut ochis ly roy Amalarich
d'Espangne. |
[Les Francs défirent les Espagnols et
tuèrent le roi Amalaric]
Mais le roi Amalaric rassembla ses troupes, marcha contre eux et leur livra
bataille. Les Espagnols furent tous défaits ; le roi Amalaric s’enfuit et
les Francs le suivirent. Il se fit que Guiscard de Soissons, un noble
chevalier, attendit le fuyard à l’entrée d’un couvent où il voulait entrer
et le tua d’un coup de lance. Ainsi mourut le roi Amalaric d’Espagne. |
Amalaric : comme le note Bo, Amalaric a été tué en 531 de notre ère et non en 483, comme l'écrit Jean d'Outremeuse, qui continue à rester d’un demi-siècle environ en arrière. |
|
[Les Franchois amynont le tressoir
d’Espangne et la royne en Franche]
Puis entrarent les II roys franchois en Saragosse la citeit, et prisent tout
le tressour le roy qui là astoit, si l’aportarent en Franche awec eaux, et
ramynarent leur soreur Clotilde ; mains elle morut sour le chemyen en pays
de Gascongne ; si fut son corps raporteis à Lutesse, et fut ensevelis en
l'engliese Sains-Pire. |
[Les Francs ramenèrent chez eux le trésor
et la reine d’Espagne] Après cela les deux rois francs
pénétrèrent dans la cité de Saragosse, mirent la main sur tout le trésor du
roi qui s'y trouvait et le rapportèrent avec eux. Ils ramenèrent aussi leur
sœur Clotilde mais elle mourut en chemin, en terre de Gascogne. Son corps
fut rapporté à Lutèce et enseveli dans l’église Saint-Pierre (fondation de
Clovis, cfr II, p. 166). |
Quant ly
roy Childebers fut revenus à Lutesse, si donnat à l'engliese Sains-Vincent,
qu'ilh avoit devant fondée, toute le siene part del tressoire qu'ilh avoit
conquesteit en Espangne ; et si y donnat oussi le estole (corr. Bo) sains Vincent, que ly evesque
de Saragosse ly avoit donneit. Et
[II, p. 174] fut cest desconfiture devant-dit en Espagne, sour l'an
IIIIc IIIIxx et III en mois de julle. |
Quand le roi Childebert fut revenu à Lutèce, il fit
don à l’église Saint-Vincent, qu’il avait précédemment fondée, de
l’intégralité
de sa part du trésor conquis en Espagne. il
donna aussi l’étole de saint Vincent (cfr
II, p. 51) que lui avait offerte l’évêque de Saragosse. Cette
[II, p. 174] défaite en Espagne, dont on vient
de parler, eut lieu en l’an 483, au mois de juillet. |
Mort de l'empereur romain Zénon, remplacé par son frère Anastase - Le pape Félix condamne l'évêque d'Alexandrie pour ses hérésies - En Afrique, les Vandales persécutent les chrétiens - Le pape Félix construit à Rome une église en l'honneur de saint Agapit - En Afrique, le roi des Vandales exile de nombreux évêques - Ordonnance du pape Félix (ans 483-486 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 174] [Anastaise ly LIIIIe emperere]
En cel an en mois de avrilh, le XIXe jour, morut à Romme ly emperere Zenon ;
si fut apres resluis son frere Anastase, fis à l'emperere Lyon, qui regnat
XXXIII ans, VIII mois et XIX jours. Chis Anastase fut chis
qui portat al roy Cloveis de Franche, en la citeit de Tours, la coronne et les
vestimens que son peire ly emperere Lyon ly envoioit sicom consule et
Auguste de Romme. |
[II, p. 174] [Anastase,
cinquante-quatrième empereur]
Cette année-là [483], le 19 avril, l’empereur Zénon mourut à Rome. Fut élu
après lui son frère Anastase qui était le fils de l’empereur Léon et qui
régna trente-trois ans, huit
mois
et dix-neuf jours. Cet Anastase fut celui qui apporta dans la cité de Tours
au roi des Francs Clovis, la couronne et les vêtements que son père,
l’empereur Léon, lui envoya, en le faisant consul et Auguste de Rome (cfr
II, p. 164). |
En cel an condempnat ly pape Felix Piron, l'evesque
d'Alixandre,
qui astoit plains de heresies. |
Cette année encore [483], le pape
Félix condamna Pierre, l’évêque d’Alexandrie, pour ses nombreuses hérésies. |
[II, p. 174]
[Des Wandales - Grant persecution sour
les christiens] Item, l'an IIIIc et IIIIxx et IIII commencharent à
regneir ès parties d'Affrique une manere de gens qui s'apelloient Wandales ;
si avoient unc roy qui avoit nom Honoriiens. Ches Wandaliens destrurent mult
de terres et beals pays en la terre d'Affrique, et par
especial
ilhs destrurent sainte Englise et les cristiens mult oriblement. |
[II, p. 174] [Les Vandales - Grande persécution contre les chrétiens] En l’an 484 commencèrent à régner, dans certaines parties de l’Afrique, des gens appelés Vandales. Ils avaient un roi du nom d’Hunéric. Ces Vandales dévastèrent beaucoup de terres et de beaux pays en Afrique. En particulier, ils s’attaquèrent à la Sainte-Église et aux chrétiens, provoquant d’horribles dégâts. |
Vandales : Un article entier dans les FEC, t. 48, 2024, a été consacré à la vision que Jean d'Outremeuse se fait des Vandales dans le Myreur des Histors. |
|
En cest an fist edifier li pape Felix une engliese
en
l'honeur de sains Agapit, deleis le basilique Sains-Lorent à Romme, et le
consecrat le XIIIe jour de novembre. |
Cette même année [484], le pape Félix fit construire une église en l’honneur
de saint Agapit, près de la basilique Saint-Laurent à Rome. Il la consacra
le 13 novembre. |
[Mult des evesques furent envoiet
en exilhe] Item, l'an
IIIIc et IIIIxx et V en mois de may,
fist ly roy des Wandaliens unc conciel en Affrique de IIIIc et XLIIII
evesques, en fourme de bonne paix qu'ilh voloit avoir à eaux, enssi qu'ilh
les avoit mandeit ; mains quant ilhs furent tous ensembles, se les envoiat
en exilhe mult destroitement. Enssi fut et demorat mult cleire sainte
Engliese, et fut ly serviche de Dieu enpechiet vilainement. |
[Beaucoup
d’évêques furent envoyés en exil] En 485, au mois de mai, le roi des Vandales réunit en Afrique un
concile de quatre cent quarante-quatre évêques, pour établir une paix solide
avec eux. C’est ce qu’il leur avait fait savoir ; mais, quand ils furent
tous rassemblés, il les envoya très durement en exil.
La Sainte-Église se trouva et resta fort clairsemée, et le service
divin fut vilainement empêché
|
[Status papales]
Sour l'an IIIIc et IIIIxx et VI ordinat li pape Felix que tout les englieses
que ons edifieroit dedont en avant, fussent consecreez par
l'evesque
delle dyoceise en laqueile li engliese seroit fondée. |
[Ordonnance papale]
En l’an 486, le pape Félix ordonna que toutes les églises que l’on
construirait dorénavant soient
consacrées
par l’évêque du diocèse dans lequel elles seraient fondées. |
D. Ans 486-493 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 174-181
LES FILS DE CLOVIS (SUITE)
RÔLE DE CLOTILDE - SA MORT - GUERRES DES FRANCS CONTRE LES SAXONS - CLOTAIRE Ier RESTE LE SEUL ROI DES FRANCS - CHRAMNE, FILS BÂTARD DE CLOTAIRE
Sommaire du texte * Chramne, fils bâtard du roi Clotaire Ier qui l’a fait duc d’Aquitaine, entre en conflit armé avec son père qui lui avait refusé plus de terre - Battu, Chramne part en Petite-Bretagne demander de l’aide à son beau-père, le duc Chonober (Conomor) - Celui-ci vient attaquer Clotaire - Les Bretons sont vaincus, Chonober (Conomor) est tué et Chramne, fait prisonnier, est brûlé sur l’ordre de son père - Un des fils de Chramne, le noble chevalier Paris, s’enfuit en Grande-Bretagne, où il sert le roi du moment aux côtés d’Arthur, le futur roi de Grande-Bretagne - Il jure de se venger cruellement des Francs et de revendiquer pour lui le trône de Clotaire, lorsque celui-ci mourrait - Clotaire fait enterrer vive l’épouse de Chramne et noyer ses quatre autres enfants - Note finale de Jean sur l’existence de Chramynus, un autre fils de Clotaire, légitime celui-là, duc de Brabant, qui fut décapité par Clotaire et qui avait aussi un fils du nom de Paris, réfugié en Grande-Bretagne (492-493)
Rôle de Clotilde, veuve de Clovis, après la mort de Clodomir - Celui-ci laisse trois enfants (Clodoald, Gunthar/Gonthier et Théodebald/Thibaut) élevés à Tours par leur grand-mère Clotilde - Childebert et Clotaire, deux des autres fils de Clovis, craignant qu’elle ne veuille en faire plus tard des rois, s’en débarrassent - Clotaire tue les deux aînés, le cadet échappe à la mort et deviendra moine, tout cela à la grande tristesse de Clotilde (ans 486-487 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 174]
[Des III enfans ly roy Clodomire] A cel temps astoit à Tours la royne Clotilde, la femme jadit al
roy Cloveis de Franche, et tenoit là ; sy venoit pou à Lutesse, car elle amoit mult sains Martin. Et nourissoit là Cloduars,
Gontars et Theoduars, les III enfans de son anneit fis Clodomiere, roy de
Orlins, qui estoit ochis en Borgongne, sicom dit est. |
[II, p. 174]
[Des III enfants du roi Clodomir] En ce temps-là [486], la reine Clotilde, épouse comme on l'a dit
du roi des Francs Clovis, se trouvait à Tours, où elle résidait. Elle venait
peu à Lutèce, car elle était très attachée à saint Martin. Là elle élevait Clodoald, Gunthar (ou Gonthier) et
Théodebald (ou Thibaut), les trois enfants de son fils aîné Clodomir, roi
d’Orléans, qui avait été tué en Bourgogne, comme on l'a dit (cfr
II, p. 169). |
Si avient que ly roy Childebers de Soison s'avisat unc jour que sa mère
amoit mult les enfans le roy Clodomière, son frere, et soy dobtat que ilh en
temps advenir ilh n'en vosist faire roy, portant qu'ilh astoient del anneit [II, p 175] frere ; si vient
al roy Clotaire et se li dest : « Chirs frere, vos saveis que ma damme la
royne, nostre mère, aymet fortement nostre frere Clodomire, et si en voirat
faire roy, oussi toist com ilh seront grans ; si soy poroient encors
esleveir contre nos. Et portant si regardons chu que nos en porons faire :
se nos les tonderons, ou nos les ochirons. » |
Un jour le roi Childebert de Soissons s’avisa que sa mère aimait beaucoup
les enfants du roi Clodomir. Il eut peur
que,
dans l’avenir, elle ne veuille en faire des rois, puisqu’ils étaient les
enfants de son
[II, p. 175]
frère aîné. Il se rendit chez le roi Clotaire Ier et lui dit : « Cher frère,
vous savez que Madame la reine, notre mère, qui aimait beaucoup notre frère
Clodomir, voudra faire de ses enfants des rois, dès qu’ils seront grands.
Ils pourraient alors se dresser contre nous. C’est pourquoi, voyons ce que
nous pourrions en faire : les tonsurer ou les tuer. » |
Et ly roy Clotaire, quant ilh oiit chu, se dest qu'ilh
en
fesist sa volenteit del tout, car chu qu'ilh en feroit chu ly plaisoit. |
Quand il entendit cela, le roi Clotaire
lui
dit d'agir en tout comme il le voudrait, car, quoi qu’il fasse, cela lui
plaisait. |
[Coment on depoisoit les prinches
anchinement] Or, deveis savoir que à cel
temps astoit la constumme teile : quant ons voloit uns roy ou uns
prinche priveir de sa saingnorie sens
mort, ons le tondoit, et astoit moynes en une abbie où ilh usoit sa vie
perpetuelment. Et durat cel usaige jusqu'à temps Karle Martel, qui fuit roy
de Franche : si fut deposeis ly roy qui adont regnoit, et si fut tondus et
mis en l'abbie de Sains-Denis deleis Paris, enssi com vos oreis. |
[Comment on déposait les princes anciennement] Vous devez savoir qu’en ce temps-là, la coutume était la suivante : quand on voulait priver un roi ou un prince de sa seigneurie sans le mettre à mort, on le tonsurait. Il était alors moine dans une abbaye, où il vivait jusqu’à la fin de sa vie. Cette coutume persista jusqu’au temps de Charles Martel, qui fut roi des Francs. Le roi qui régnait alors fut déposé : il fut tonsuré et placé dans l’abbaye de Saint-Denis, près de Paris, comme vous l’entendrez (il s'agit de Thierry IV, cfr II, p. 421-422. |
Le roi Thierry III fut également tondu, cfr
II, p. 331. |
|
[Mal trahit murdre des enfans le
roy Clodomire] Apres chu ne passat gaire que li
roy Childebers prist unc valhant chevalier qui astoit balhirs de toute
Flandre desus luy, qui oit nom Archadius et ly dest qu'ilh alast à Tours
parleir à sa mere, la royne Clotilde, et
li desist qu'elle envoiast à Lutesse les trois enfans le roy Clodomire, car
ilh les voloit coroneir roys del rengne leur pere. Et chis Archadius s'en
allat innocemment à Tours, et fist si bien le message que la royne Clotilde,
qui creioit que chu fust veriteit, li cargat les trois enfans qui vinrent à
Lutesse. |
[Le mal poussa à tuer des enfants du roi Clodomir]
Après cela, il ne fallut pas longtemps avant que le roi Childebert ne désigne
un vaillant chevalier, du nom d’Arcadius, qui avait, comme bailli, toute la
Flandre sous ses ordres. Childebert lui dit d’aller à Tours, demander à sa
mère, la reine Clotilde, d’envoyer à
Lutèce
les trois enfants du roi Clodomir, parce qu’il voulait les couronner rois du royaume de leur père. Arcadius se rendit innocemment à Tours et
s’acquitta si bien du message que la reine Clotilde, croyant que c’était
vrai, lui confia les trois enfants qui partirent avec lui à Lutèce. |
Arcadius, qualifié de sénateur auvergnat par Grégoire de Tours, Histoire des Francs, III, ch. 9 et 18 |
|
[Ly roy Clotaire ochist
trahitement les enfans de son frere]
Mains, oussitoist qu'ilhs furent entreis en palais, prist le promier le roy
Clotaire, qui
avoit
XIX ans d'eaige, et li fiert de une cuteal parmy les flans, si l'ochist. |
[Le roi Clotaire tua
traîtreusement les enfants de son frère]
Mais, dès qu’ils eurent pénétré dans le palais, le roi Clotaire se
saisit
du premier, âgé de dix-neuf ans, lui porta un coup de couteau dans les flancs
et le tua. |
Et quant ly plus anneis apres veit chu, qui avoit XVI ans, si oit mult grant
paour et soy mist devant le roy Childebert en genols, et li dest en
plorant : « Chirs oncles, por Dieu, car moy gardeis la vie de teile mort et
ayés merchis de moy. »
Et
Childebers le prist sicom par piteit, et dest à roy Clotaire qu'ilh li
plasist avoir merchi de chis enfant. |
Quand le second des frères, qui avait seize ans, vit cela, il eut très peur.
S’agenouillant devant le roi Childebert, il lui dit, en
pleurant : « Cher oncle, pour l’amour de Dieu, gardez-moi la vie, ne me
faites pas mourir, ayez pitié de moi. » Childebert le prit en pitié et
demanda au roi Clotaire de vouloir bien épargner cet enfant. |
Et
ly roy Clotaire li respondit par grant ahir : « Faux trahitre
glous, tu as tout chu commenchiet par ta malvaisteit, puis se le vues-tu
estindre ; par la foid que je doie Dieu et ma damme la royne [II, p. 176] de Franche, se tu ne le
mes tantost à mes pies par-devant moy, je toy-meismes ochiray. » |
Le
roi Clotaire,
fort en colère, lui répondit : « Faux traître avide, ta
méchanceté t’a poussé à mettre cette affaire en branle, et
maintenant tu veux
l’arrêter. Par la foi que je dois à Dieu et à ma dame la reine [II, p. 176] des Francs, si tu ne le mets pas tout de suite devant
moi, à mes pieds, c'est toi que je tuerai. » |
Atant
le mist à terre Childebers, et ly roy Clotaire vint avant por l'enfant
ochire. Mains quant ly enfes veit qu'ilh ne poroit escapeir, si prist unc
cuteal et court vers le roy, se li quidat buteir en ventre ; et ly roy esquippat arrier, si que ly cutel
ly
entrat en la cusse à plus près de ventre à pou qu'ilh ne fust ochis. Adont
ly prist ly roy cutel, et li ferit parmy les flans et l’ochist. Enssi en
fust II ochis. |
Alors Childebert mit l’enfant à terre et le roi Clotaire s’avança pour le tuer. Mais, quand l’enfant vit qu’il ne pourrait s’échapper, il prit un couteau, courut vers le roi et pensa le frapper au ventre. Mais le roi se jeta en arrière et le couteau lui entra dans la cuisse, très près du ventre. Il s’en fallut de peu qu’il ne soit tué. Alors le roi prit le couteau, frappa l'enfant dans le flanc et le tua. C'est ainsi que deux des enfants furent tués. |
Et ly thirs, qui avait III ans, qui astoit li plus jovenes, chis fust
embleis par les barons de palais ; et fust par eaux nouris tant que ilh fuit
prestre,
enssi com vos oreis chi-après. |
Le troisième, le cadet,
qui
avait trois ans, fut enlevé par les barons du palais, qui l’élevèrent
jusqu’à ce qu’il devienne prêtre, comme vous l’entendrez ci-après (cfr II,
p. 183). |
Gaire ne passat après que la royne Clotilde soit tout chu : si en fust mult
dolente, mains altre chouse n'en pot faire ne avoir. Et les corps en furent
mult richement ensevelis à L.utesse. Et avient tout chu entre le mois de may
et d'awost l'an
IIIIc
IIIIxx et VII. |
Il ne fallut pas longtemps pour que la
reine
Clotilde apprenne tout cela. Elle en fut très malheureuse, mais ne put
rien faire ni rien obtenir. Les corps furent richement ensevelis à Lutèce.
Tout cela se passa entre les mois de mai et d’août de l’an 487. |
Une guerre pour la succession de la terre d'Orléans éclate entre les trois frères restants - Clotaire demande l'aide de Dieu et Clotilde prie régulièrement à Tours sur la tombe de saint Martin - Miracle de Dieu sous forme d’une tempête violente qui ne frappe que les armées de Childebert et de Théodoric, épargnant celles de Clotaire, avec lequel les deux frères font la paix - Mort de Clotilde ensevelie à Lutèce en l’église Saint-Pierre, à côté de Clovis - Sainte Geneviève est ensevelie dans la même église (ans 487-489 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 176]
[Grant gerre entres les III freres de
Franche] En cel an en mois de jule, muet grant gerre entres les trois
freres de Franche por la terre d'Orlins ; car adont vient ly roy Childebers
en palais à Lutesse, et dest al roy Clotaire que ilh voloit avoir la terre
qui avoit esteit al roy Clodomire, leur frere ; mains ly roy Clotaire li
dest
qu'ilh n'en auroit riens. Si soy partit Childebers de son frère par coroche,
si vient à Mes et soy plandit al roy Theoderich, son altre frère, et à son
fis Theodebers, qui ly dessent que ly roy Clotaire en seroit destruis. Si
assemblarent grant gens et vinrent en Franche ; et ly roy Clotaire allat
encontre eaux à grant gens, et se logarent à IX bonirs près l’unc de
l'autre. |
[II, p. 176]
[Grande guerre entre les trois frères
francs] En juillet de cette année [487], une grande guerre
éclata entre les trois frères francs, pour la terre d’Orléans. Alors en
effet, le roi Childebert vint au palais à Lutèce et dit au roi Clotaire
qu’il voulait la terre qui avait appartenu au roi Clodomir, leur
frère, mais le roi Clotaire lui dit qu’il n’en aurait rien. Childebert, en
colère, quitta
son
frère et se rendit à Metz pour se plaindre au roi Théodoric, son autre frère,
et au fils de celui-ci, Théodebert. Ils lui répondirent que le roi Clotaire
serait anéanti. Ils rassemblèrent de grandes troupes et arrivèrent en
Francie. Le roi Clotaire marcha contre eux avec une troupe importante. Les
deux armées s’installèrent à près de neuf boniers l’une de l’autre. |
Si avient que ly roy Clotaire priat à Dieu qu'ilh li vosist aidier, et mist
en li toute son esperanche. Et enssi la
royne
Clotilde, leur mère,
quant
elle soit la guere entre ses fis enssi esmuet, si alat tous les jours, par
l'espause de trois mois, sour le tumbe sains Martin en l'engliese de Tours,
et ly priioit qu'ilh vosist priier à Dieu que ilh metist paix entres ses
enfans. |
Alors
le roi Clotaire pria Dieu de bien vouloir l’aider et mit en
lui toute son espérance. De son côté, la reine Clotilde, leur
mère,
quand elle apprit que la guerre avait commencé entre ses fils, alla tous les
jours, durant trois mois, sur la tombe de saint Martin, dans l’église de
Tours, le priant d’intercéder auprès de Dieu pour qu’il rétablisse la paix
entre ses enfants. |
[Grant tempeste qu’ilh avient à
II roys et grant myracle] Atant fut mis jour de batalhe
devens chu entres les dois parties, à unc mardi qui astoit le
XVIe jour de
junne l'an llllc IIIIxx et VIII. Sy avient que Dieu y demonstrat myracle, car
le lundy à la nuit, dont lendemain devoit estre la batalhe, commenchat à
cheioir sour les oust le roy Childebers et Theoderich sy très-grans tempeste
de thonoir, de gresilh et de plove, que chu fut hisdeur à veioir ; car [II, p. 177] toutes les tentes, treis
et pavilhons derompirent et chairent à terre sour cheaux qui astoient desous,
si que les hommes meismes chaioient de paour, et si n'avoient entre eaux
aultre covreture encontre le tempeste que leurs escus ; et les chevals
rompirent leur loiiens et s'enfuoient, si en fut retroveis à vint mile près de là. |
[Deux rois connurent une grande
tempête et un grand miracle] Entre-temps, le jour de la
bataille fut fixé au mardi 16 juin de l’an 488. Alors Dieu accomplit un miracle :
le lundi, durant la nuit précédant le jour de la bataille, une tempête,
avec
tonnerre, grêle et pluie, s’abattit sur les armées des
rois Childebert et Théodoric, avec
tant de violence que c’était horrible à voir. En effet [II, p. 177] toutes les tentes et tous les pavillons s’écroulèrent sur leurs occupants
et les hommes effrayés tombaient à terre, n’ayant plus d’autre protection contre la tempête que leurs
boucliers. Les chevaux rompirent leurs liens et s’enfuirent ; on en
retrouva à quelque vingt milles de là. |
Et est certaine chose que oncques ly roy Clotaire et ses gens, qui si près
logoient, n'orent tempeste n'en ne sentirent ploive, car enssi plaisit à
Dieu. Et deveis savoir que ly tempeste durat enssi tout nuit et lendemain
jusques à vespres,
que
onques ne s'apasentat de riens, si que les dois roys Childebers et
Theoderich dessent que chu estoit por le pechiet de chu qu'ilh voloient leur
frere destruire. |
Mais ce qui est certain, c’est que jamais ni le roi Clotaire ni ses troupes,
installées pourtant tout près, ne souffrirent de la tempête ni de la pluie,
car telle était la volonté de Dieu. Vous devez savoir que la tempête dura
ainsi
toute
la nuit et le lendemain jusqu’au soir, sans jamais s’apaiser d’aucune
manière, au point que les deux rois Childebert et Théodoric dirent
qu’elle était due au péché qu’ils commettaient en voulant anéantir leur frère. |
[L’an IIIIc IIIIxx et IX fut
pais entre les roys] Adont soy misent les dois roys
en genols, en depriant Dieu que ilh vosist le tempeste faire cesseir et les
pardonnast le pechiet ; puis envoiarent à leur frere le roy Clotaire, qu'ilh
voloient paix à ly. Et ly roy Clotaire, qui avoit trop moins de gens que ses
freres, l'otriat volentirs.
Adont cessat ly tempeste, puis
s'acordarent bien et ralat cascon en son paiis. |
[L’an 489, la paix revint entre
les rois] Alors les deux rois se mirent à genoux, en priant Dieu qu’il
veuille faire cesser la tempête et pardonner leur péché. Puis ils envoyèrent
dire à leur frère, le roi Clotaire, qu’ils
voulaient faire la paix avec lui. Clotaire, qui avait des troupes beaucoup
moins nombreuses que ses frères, y consentit volontiers. Alors, la tempête
cessa. Les frères s’accordèrent et chacun rentra dans son
pays. |
Item, l'an IIIIc IIIIxx et IX en mois de julle, morut la
valhante
royne Clotilde en la citeit de Tour ; mains elle fut raportée en la citeit
de Lutesse, et ensevelie en l'engliese Sains-Pire de costé son marit le roy
Cloveis, en laqueile engliese sainte Genevier fut oussi ensevelie en une
noble tumbe. |
En 489, durant le mois de juillet,
la vaillante reine Clotilde
mourut dans la ville de Tours. Elle fut ramenée à Lutèce et ensevelie
en
l’église Saint-Pierre, à côté de son mari, le roi Clovis. Sainte Geneviève
fut aussi ensevelie dans cette église, dans un célèbre tombeau. |
Les Francs de Théodoric/Thierry et de
Théodebert (Metz) entrent en guerre contre
les Saxons du roi Ysconart, que viennent assister les Autrichiens du roi Godonas - Batailles racontées sur
un mode épique - Mort de Théodoric et de Théodebert - Victoire des
Autrichiens et
des Saxons qui partent
assiéger Metz - Les rois francs Clotaire et Childebert viennent au secours
des Messins et
mettent les assaillants en déroute - Les rois d’Autriche et de Saxe sont tués mais
le roi
Childebert meurt aussi dans la bataille - Clotaire part alors ravager l’Autriche
et la Saxe, puis retourne à Metz où il fait ensevelir les
corps de Théodoric et de Théodebert - Il revint ensuite dans son pays avec le corps de Childebert, qui est enseveli à Lutèce - Clotaire
Ier reste le
seul roi des Francs, maître de toutes les terres
qu’avait détenues Clovis |
|
[II, p. 177]
[Grant gerre entre le roy de Mes et de
Saxongne] En cel an muet grant guere entre le roy Theoderich de Mes et le
roy de Saxongne, Ysconart. Si assemblat cascon ses gens et orent batalhe
ensemble en la terre de Saxongne ;
mains
ly roy de Saxongne fut mors et ses gens desconfis. |
[II, p. 177]
[Grande guerre entre les rois de Metz
et de Saxe] Cette année-là [489], une grande guerre opposa le roi
Théodoric de
Metz
et le roi Ysconart de Saxe. Chacun rassembla ses troupes. Ils se livrèrent
bataille en terre de Saxe : le roi de Saxe mourut et son armée fut défaite. |
Puis entrat Theoderich et Theodebers, son fis, en la royalme de Saxongne, et
gangnat grant paiis, dedens le temps de X mois que ilh sorjournat en chesti
paiis, apres chu que la batalhe avoit esteit qui fut l'an deseurdit en
novembre. Et en
chi
terme, pendant que ly roy Theoderich sourjournoit ly et ses gens endit
paiis, s'en allat Ydomas, le fis le roy Ysconart, en la terre d'Ostrich, et
dest al roy Godonas que s'ilh se voloit vengier de fis le roy Cloveis de
Franche, qui jadit avoit mis son paiis en tregut, si alast en Saxongne car
là le troveroit-ilh. |
Ensuite, Théodoric et son fils Théodebert (cfr II, p.
171) entrèrent dans le royaume de Saxe.
Ils en conquirent une grande partie pendant les dix mois de leur séjour dans ce
pays, après la bataille qui avait eu lieu cette année-là en novembre. Et
pendant que le roi Théodoric et ses troupes étaient en
Saxe, Ydomas, le fils du roi Ysconart, était allé en Autriche dire au roi
Godonas que s’il voulait se venger du fils du roi Clovis des Francs, qui
jadis avait soumis son pays au tribut (II,
p. 155), il n’avait qu’à se rendre en Saxe, où il
le trouverait. |
Adont assemblat ly roy Godonas ses gens et vient en Saxongne ; mains quant
li roy Theoderich le soit, se vient contre luy, et orent
bataille
ensemble l'an IIIIc et XC en mois de jule. |
Alors le roi Godonas rassembla ses troupes et vint en Saxe. Quand
le roi Théodoric l’apprit, il marcha
contre
lui. Ils se livrèrent bataille en juillet de l’an 490. |
[Ferans, duc d’Ardenne]
Là oit mult de gens mors et navreis, mains Theodebers at ochis Mandagloire [II, p. 178] Ie Sayne, qui mult
estoit fors ; et Ferans, ly duc d'Ardenne, y fut mors, et Hadelin de
Savoie, dont Theoderic ly roy fut
corochiés, si ochist le roy Godonas. En la
fin furent les Saynes et Osterins desconfis et s'enfuirent, et en fuant les
cachoit Theodebers, le fis le roy Theoderich, si fut conseus
et enclous des fuans et ochis. Adont retournarent les fuans et reprisent
cuer, et revinrent en la batalhe et corurent sus les Franchois. |
[Ferrand, duc d’Ardenne] Il
y eut là un grand nombre de morts et de blessés. Théodebert tua Mandagloire [II, p. 178] le Saxon
(cfr G.L., 6254), qui était très
valeureux ; Ferrand (cfr Geste de Liège, 6226), le duc d’Ardenne, y trouva la mort ainsi que Hadelin
de Savoie (cfr G.L., 6277) ; le roi Théodoric en fut très irrité et tua le roi Godonas.
Finalement Saxons et
Autrichiens furent défaits et s’enfuirent. Mais alors
que Théodebert, le fils du roi Théodoric, les poursuivait, il fut repéré et cerné par des fuyards qui le tuèrent.
Ceux-ci alors s’arrêtèrent et reprirent courage ; ils retournèrent au
combat et coururent sus aux Francs. |
[Grant batalhe]
Forte fut la batalhe, car elle reforchat grandement ; mains là vient unc
chevalier de Mes, qui dest à Theoderich le roy que son fis astoit mors. Quant
li roy chu entendit, si li chaiit l'espée fours de sa main, et chaiit pasmeit
sour le couI de son destrier, sique anchois que ilh fust releveis fut-ilh
ferus de
IIII
Sarasins teilement qu'ilh fut mors ; car ly unc li coupat le destre bras, ly altre ly fendit la
tieste à motié, et les altres II le lanchont en corps. Et ses gens furent
desconfis et s'enfuirent. |
[Grande bataille]
Rude fut la bataille, car elle reprit beaucoup de force. Un chevalier de Metz
vint annoncer au roi Théodoric que
son
fils était mort. Quand le roi entendit
cela, son épée lui tomba de la main, il s’effondra, pâmé sur le cou de son
destrier et, avant de se redresser, fut si violemment frappé par quatre
païens qu’il mourut : l’un d’eux lui coupa le bras droit, un autre lui
fendit la moitié de la tête et les deux autres lui percèrent le corps de leurs
lances. Ses troupes furent défaites et
s’enfuirent. |
Et les Osterins et les Saynes les ont cachiet jusqu'en unc bois, puis se
sont mis al chemien et si n'arestont tout ardant le paiis jusqu'à Mes ; si
l'ont assegiet, mains ilh fut nunchiet à roy Clotaire et Childebers en
Franche qui vinrent à grant
gens,
sy soy combatirent à eaux, en mois d'avrilh l'an IIIIc XCI. Et furent les
Osterins desconfis, et ly roy d'Ostrich et chis de Saxongne ochis, et ly roy
Childebers y fut mort oussi. |
Les Autrichiens et les Saxons les poursuivirent jusque dans un bois, puis
ils se mirent en route sans s’arrêter, en brûlant le pays jusqu’à Metz
qu’ils assiégèrent. À cette nouvelle, les rois
francs
Clotaire et Childebert arrivèrent avec des troupes nombreuses et les
affrontèrent en avril 491. Les Autrichiens furent vaincus ; le roi
d’Autriche et celui de Saxe furent tués ; le roi Childebert aussi y
mourut. |
Jean d'Outremeuse a résumé ici en quelques paragraphes un récit très détaillé qu'il avait donné sur plus de 400 vers dans la Geste de Liège (vers 6085-6495). |
|
Adont s'en alat ly roy Clotaire à grant gens en Ostriche, et destruite toute
Ostriche et Saxongne, puis retournat à Mes où ilh fist
ensevelir
les corps des roys Theoderich et Theodebers ; et revint en Franche et
reportat awec luy Childebers, qui fut ensevelis en l'engliese Sains-Vincent
que ilh avoit fondeit à Lutesse. Enssi demorat Clotaire roy de toutes les
terres que son peire Cloveis avoit tenue. |
Alors le roi Clotaire partit avec de nombreuses forces, ravagea toute
l’Autriche et la Saxe, puis retourna à Metz où il fit
ensevelir les corps des rois Théodoric et Théodebert. Il revint ensuite dans
son pays, ramenant avec lui Childebert, qui fut enseveli en l’église
Saint-Vincent, fondée par ce
dernier
à Lutèce (II, p. 168). Ainsi Clotaire resta le roi de toutes les terres qu’avait détenues
son père Clovis. |
Les grands personnages de l’époque -
Ordonnance du pape Félix - Mort de Félix et élection du pape Gélase - Pluie
de sang en Afrique où l’Église
était
malmenée par les Vandales (vers les années 491-492 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 178]
[Les sains qui regnoient à chi temps]
A cel temps astoient en grant auctoriteit sains Victors, sains Carielf, sains
Aviens abbeis de Chartres, sains Grigoire de Lengre, sains Benois, sains
Germain, sains Brandas de Scoches,
sains
Mals de Bretangne, sains Lynart de [II, p. 179] Corbie, Orator le poete,
Boeche le philosophe, Romans, Prescian le gramarin et Theophilus. |
[II, p. 178] [Les saints de l’époque] À cette époque jouissaient d’une grande autorité saint Victor, saint Carilef (Calais), saint Aviens, abbé de Chartres (ou saint Avit, abbé de Mici ?), saint Grégoire de Langres, saint Benoît, saint Germain, saint Brandas d’Écosse, saint Malo (?) de Bretagne, saint Léonard (?) [II, p. 179] de Corbie, le poète Arator, le philosophe Boèce, saint Romain (abbé de Sainte-Claude ?), le grammairien Priscien (cfr II, p. 231) (de Césarée ?) et Théophile (Theophanes Byzantinus ? Theophilactus Simocatta ?) |
[Status papales]
Item, en cel an le VIIe jour de marche morut li pape de Romme Felix, si fut
ensevelis en l'engliese Sains-Poul à Romme. Chis pape ordinat à son temps
que uns hons, appelleis ou accuseis devant queilcunques juges
ecclesiastiques, soient donnée indusse, affin que al respondre à chu que ons
ly amettrat se
puist
personelment compareir, et que li accuseur et li juge soient teils qu'ilh ne
soient pointe suspecte. |
[Ordonnance papale]
Cette année-là [491], le 7 mars, mourut Félix, le pape de Rome, qui fut enseveli
dans l’église Saint-Paul à Rome. Ce pape ordonna de son temps qu’un homme,
cité ou accusé devant n’importe quel juge
ecclésiastique,
devait bénéficier d’un délai pour pouvoir personnellement se préparer à
répondre à ce dont on l’accuserait. Il fallait aussi que l’accusateur et le
juge ne soient pas suspects. |
Félix III, pape de 483 à 492 - Gélase, Ier, pape de 492 à 496 |
|
[Gelasius, le LIIe pape]
Apres le mort Felix vacat le siege III jours, et puis fut eslus le XIe jour de
marche à pape de Romme Gelasius, ly promier
de chi nom, Iyqueis fut de la nation de Romme depart sa mere, et son pere
Valeriens fut de Constantinoble et fut evesque de Cartaige : et tient le
siege VIII ans VIII mois et XXV jours. |
[Gélase, cinquante-deuxième
pape] Après la mort de Félix, le siège resta vacant durant trois
jours. Puis, le 11 mars, fut élu pape de Rome Gélase, le premier de ce nom,
d’origine romaine par sa mère, tandis que son père
Valère était de Constantinople et fut évêque de Carthage. Gélase occupa
le siège durant huit ans, huit mois et vingt-cinq jours. |
[Y pluit sanc]
Item, l'an IIIIc XCII, en mois de marche le XIIIIe jour et le XVe et le XVIe
jour, ilh pluit sanc si fort sens cesseir, que les grans ris coroient de
sanc ; et chu fut en la terre d’ Affrique, où sainte Engliese astoit mult
forminée par
les Wandaliens. |
[Pluie de sang]
En l’an 492, les 14, 15 et 16 mars, il ne cessa pas de pleuvoir du sang, en si
grande abondance que dans les grands cours d’eau coulait du sang. Cela se
passa en terre d’Afrique, où la Sainte-Église
était
fort
malmenée par les Vandales (cfr II, p. 174). |
Vandales : Un article entier dans les FEC, t. 48, 2024, a été consacré à la vision que Jean d'Outremeuse se fait des Vandales dans le Myreur des Histors. |
|
Chramne, fils bâtard du roi Clotaire Ier qui l’a fait duc d’Aquitaine, entre en conflit armé avec son père qui lui avait refusé plus de terre - Battu, Chramne part en Petite-Bretagne demander de l’aide à son beau-père, le duc Chonober (Conomor) - Celui-ci vient en territoire franc attaquer Clotaire Ier - Les Bretons sont vaincus, Chonober (Conomor) est tué et Chramne, fait prisonnier, est brûlé sur l’ordre de son père - Un des fils de Chramne, le noble chevalier Paris, s’enfuit en Grande-Bretagne, où il sert le roi du moment aux côtés d’Arthur, le futur roi de Grande-Bretagne - Il jure de se venger cruellement des Francs et de revendiquer pour lui le trône de Clotaire, lorsque celui-ci mourrait - Clotaire fait enterrer vive l’épouse de Chramne et noyer ses quatre autres enfants - Note finale de Jean sur l’existence de Chramynus, un autre fils de Clotaire, légitime celui-là, duc de Brabant, qui fut décapité par Clotaire et qui avait aussi un fils du nom de Paris, réfugié en Grande-Bretagne (ans 492-493 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 179]
[De duc d’Aquitaine – Cramus, li
bastart, diffiat son pere le roi Clotaire de Franche] En cel an s'avisat
Cramus, le fis anneis et bastars à
roy
Clotaire –que ilh avoit oiiut de une jovene femme que ilh amat devant son
mariage et l'avoit fait duc d'Aquitaine – si mandat à son pere, le roy
Clotaire, que ilh li vosist asseneir terre plus avant que ilh n'avoit, car
ilh astoit son anneis fis, car ilh avoit pou de terre, et se ilh ne ly
donnoit terre ilh le destruroit ; |
[II, p. 179] [Le duc d’Aquitaine – Chramne, le bâtard, défia son père le roi des Francs Clotaire Ier] Cette année-là [492], il fut beaucoup question de Chramne, le fils aîné et bâtard du roi Clotaire Ier. Celui-ci l’avait eu d’une jeune femme qu’il avait aimée avant son mariage et l’avait nommé duc d’Aquitaine (cfr II, p. 170). Cette année-là, Chramne demanda à son père, le roi Clotaire Ier, de lui attribuer plus de terres qu’il en avait, car il était son fils aîné et en possédait peu. Il (ajouta) que s’il ne lui en donnait pas, il l'attaquerait. |
car ilh voloit que son anneis fis Paris, qui avoit XI ans d'eaige et jostoit
si fortement que ilh abatoit unc fort chevalier à josteir, et astoit jà IX
piés
grans, awist Brabant por maintenir son estat ; et portant ilh voloit que ilh
fust asseneit altre part
d'aucunne terre, jusqu'à tant que son pere ly roy Clotaire seroit
trespasseis de chi siecle, qu'ilh seroit roy de Franche com anneis heures. |
Chramne
voulait en effet que son fils aîné Paris, âgé de onze ans, excellent
jouteur, capable d’abattre dans une joute un chevalier très fort, et mesurant
déjà neuf pieds, reçoive le Brabant pour soutenir sa
position. C'est pourquoi il ne voulait pas qu’une terre lui soit assignée ailleurs, jusqu’à
la mort de son père le roi Clotaire, quand lui, en tant
qu’héritier aîné,
serait roi des Francs. |
A chu respondit ly roy son pere, et dest qu'ilh li soffiast chu qu'ilh
avoit, car ilh n'auroit aultre chouse, et li escondit mult honteusement.
Adont
assemblat
Cramus chu de gens qu'ilh pot avoir, et entrat en Franche en exilhiant le
paiis ; mains ly roy vient contre luy, si orent batalhe. |
À cela le roi son père répondit qu'il devait se satisfaire de ce qu’il avait
car il n’aurait rien d’autre ; puis il l’éconduisit sans aucun
égard.
Alors Chramne rassembla ce qu’il put de troupes et pénétra en territoire
franc en
dévastant le pays ; mais le roi marcha contre lui et une bataille eut lieu. |
[II, p. 180] [Ly roy at desconfis son fis] Mult fut la batalhe dure de pere contre le fis, l'an deseurdit en mois de septembre; mains ly roy Clotaire avoit plus de gens, si fut son fis desconfis. |
[II, p. 180] [Le roi défit son fils]
Très
dure fut la bataille du père contre le fils, en septembre de l’an susdit
[492]. Mais le roi Clotaire avait des troupes plus nombreuses et son fils fut défait. |
[Ly roy Clotaire desconfit les
Bretons et fist ardre son fis] Adont s'en alat Cramus en la
Petit Bretangne à duc Conoborus, cuy filhe ilh avoit à femme, et li requist
ayde. Et chis ly dest qu'ilh ly aideroit volentier ; si vient à grans gens
en Franche et oit batalhe à roy Clotaire, l'an IIIIc XCIII en may ; mains ly
dus Conoborus fut mors et ses gens desconfit, et Cramus fut pris par forche,
se le fist son pere ardre en unc feu. |
[Le roi Clotaire Ier battit les
Bretons et fit brûler son fils] Alors Chramne
s’en alla en Petite-Bretagne, auprès du duc Chonober (ou Conomor), dont il avait épousé la
fille et auquel il demanda de l’aide. Celui-ci lui répondit qu’il l’aiderait volontiers.
Il vint effectivement en Francie avec de nombreuses troupes et une bataille
l’opposa au roi Clotaire, en mai 493. Mais le duc Chonober
(ou Conomor) mourut et
ses hommes furent vaincus. Chramne fut fait prisonnier et son
père le fit brûler sur un bûcher. |
[De noble chevalier Paris, le
fis Cramus] Et quant Paris, li fis Cramus, soit chu que son pere astoit
mors, si s'en alat en la Grant Bretangne servir à roy
Uterpandragon. Si furent bacheleirs ensemble Paris et Artus, li
fis Uter, qui puis fut roy de la Grant Bretangne, enssi com vos oreis. |
[Le
noble chevalier Paris, le fils
de Chramne] Et quand Paris, le fils de Chramne, sut que son père était mort,
il alla en Grande-Bretagne, pour servir le roi Uther Pendragon. Paris fut bachelier
avec Arthur, fils de Uther, qui fut ensuite roi de Grande-Bretagne, comme
vous l’apprendrez (cfr II, p. 182). |
Chis enfés Paris s'enfuit, portant qu'ilh soy dobtoit que son aiion, li roy
Clotaire, ne le fesiet morir, si com ilh avoit faite son peire sens cause,
et dest que, s'ilh astoit parvenus al eaige de discretion, ilh donroit aux
Franchois tant de gueres qu'ilh en auroient asseis et vengeroit son pere mult crueusement ; et disoit que,
se ly roy astoit mors, ilh seroit roy, sicom anneis heures fis del anneis
fis legittime le roy Cramus. Enssi disoit Paris, et encor en fist-ilh plus,
car nus oncques tant ne fist de chevalerie, com ilh fist, devant luy ne
apres jusques à temps le bon Danois Ogier, le fis Gaufroit, le roy de
Dannemarche, enssi com vos oreis. |
Ce
jeune Paris s’était enfui, parce qu’il redoutait que son aïeul, le roi
Clotaire, ne le mette à mort sans raison, comme il l’avait fait avec son père. Il dit que, une fois parvenu à l’âge
de raison, il livrerait contre les Francs tellement de guerres qu’ils en
auraient assez et qu’il vengerait son père très cruellement. Il disait aussi
que si le roi (Clotaire) mourait, lui, Paris, serait roi étant le premier
héritier du roi Chramne, fils aîné légitime du roi (= Clotaire). Ainsi
parlait Paris. Il en fit plus encore, car nul jamais n’accomplit autant
d’exploits chevaleresques, avant et après lui, jusqu’à l’époque du bon Danois,
Ogier, fils de Geoffroy, roi de Danemark, comme vous l’entendrez. |
[Ly roy Clotaire fist enfoiir la
mere Paris et ses IIII enfans noier]
Apres la mort le prinche Cramus, prist sa femme Clotarde unc chevalier à marit
qui prist sasine de tout la terre de Brabant ; mains ly roy Clotaire y alat,
si le pendit à une arbre, et desous l'arbre fist faire une fosse et la damme
dedens enfoiier, et tous ses IIII fis : Clotaire, Chilpericle, Sidebers et
Cloveis noier en une aighe. Ensi ne demorat des V enfans Cramus que Paris
tout seul, qui fut asseis quis et demandeis de roy Clotaire, mains ons ne le
pot troveir. |
[Le roi Clotaire fit enterrer
vive la mère de Paris et noyer ses quatre enfants]
Après la mort du prince Chramne, sa femme Clotarde (cfr
II, p. 152, mère
d'Alaric) prit pour époux un
chevalier qui s’empara de tout le Brabant. Mais le roi
Clotaire Ier se rendit sur place et le fit pendre à un arbre. En dessous de
l’arbre, il fit creuser une fosse et y fit enterrer la dame. Quant à ses quatre fils, il les fit tous
noyer : Clotaire, Chilpéric, Sidebert et Clovis. Ainsi des cinq enfants de
Chramne, ne resta en vie que le seul Paris, qui fut très recherché et
réclamé par le roi Clotaire, mais on ne put le trouver. |
[De Brabant] Ors deveis savoir que ly roy Clotaire avoit unc bastars, enssi com dit est, qui fut nommeis Cramus, à quy ilh avoit donneit Acquitaine, enssi com dit est ; et avoit ly roy oussi unc fis que ons nomoit Cramynus : chis Cramynus fut duc de Brabant et pere à Paris, qui s'enfuit oultre mere apres la mort [II, p. 181] de son peire : car ilh fut racompteit al roy Clotaire que Cramynus, son fis legittime, n'oit conselhier à faire le bastart, chu qu'ilh fist ; portant le mandat le roy Clotaire, et se le fist decapiteir. |
[Le
Brabant]
Vous devez donc savoir que le roi Clotaire avait un fils bâtard, nommé
Chramne, à qui il avait donné l’Aquitaine, comme cela a été dit. Mais le roi
avait aussi un fils appelé Chramynus : ce Chramynus fut duc de Brabant et
père de Paris, qui s’enfuit outre-mer après la mort [II, p. 181] de son
père.
On
avait raconté au roi
Clotaire que Chramynus, son fils légitime, reçut le conseil de se faire passer
pour bâtard, ce qu’il fit ; c’est pourquoi le roi
Clotaire le fit venir et le fit décapiter. |
[Texte
précédent II, p. 138-160]
[Texte
suivant II, p. 181-188]