Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 160b-181a

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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CLOVIS APRÈS SON BAPTÊME - SES FILS

 

Ans 461-493 de l'Incarnation - Myreur, II, p. 160b-181a

 

Texte et traduction


 

Ce fichier qui couvre les années 461 à 493 de l'Incarnation et correspond aux p. II, 160-181 du Myreur, contient quatre sections :

* A. Ans 461-464 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 160-163) :  Varia - Suite des conquêtes de Clovis - Alaric - Aquitaine - Auvergne - Poitiers [Plan et texte]

* B. Ans 464-468 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 164-166) : Clovis (suite) : Guerre entre Hongrois et Saxons - Clovis et Byzance - Clovis et saint Martin - Clovis marie sa fille à Amalaric, fils d'Alaric  - mort de Clovis [Plan et texte]

* C. Ans 468-486 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 166-174) : Les fils de Clovis : Partage du royaume et poursuite de son expansion - Problèmes de succession chez les Burgondes - La Bourgogne est  rattachée au royaume franc - Mort de Clodomir - Nombreux varia  [Plan et texte]

* D. Ans 486-493 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 174-181) : Les fils de Clovis (suite) : Rôle de Clotilde - Sa mort - Guerres des Francs contre les Saxons - Clotaire reste le seul roi des Francs - Chramne, fils bâtard de Clotaire  [Plan et texte]

 

 


 

 

A. Ans 461-464 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 160-163

 

VARIA - SUITE DES CONQUÊTES DE CLOVIS - ALARIC -  AQUITAINE, AUVERGNE - POITIERS

 

 

Sommaire du texte

   * Varia : À Antioche, Symon le reclus et le parjure - En Hesbaye, sous Clovis, Boident, comte de Tongres, reconstruit une série de villes (dont la liste est fournie) qui avaient été détruites par les Huns - À Rome, mort du pape Léon - Consécration du pape Hilaire, qui se coupe une main que lui rend miraculeusement Notre-Dame - Concile de Chalcédoine contre les hérétiques (ans 461-462 de l'Incarnation)

   * Clovis poursuit ses conquêtes - Il veut se venger d'Alaric - Arrêt dans l'église Saint-Martin de Tours - Miracle du cerf lors du passage de la Vienne - Victoire de Vouillé, près de Poitiers, où Alaric est tué - Clovis conquiert le territoire de Poitiers, puis le comté d'Aquitaine - Prise de Toulouse, puis d'Angoulème - Fabuleux trésor d'Alaric partiellement redistribué - En retournant chez lui, Clovis conquiert l'Auvergne, la Provence et la Gascogne - Il y trouve Amalaric qui s'enfuit en Espagne pour s'y faire couronner, son père Alaric étant mort - Résumé des conquêtes faites par Clovis et ses quatre fils sur Alaric - Formation d'un comté de l'Auvergne et d'un comté de Poitiers (ans 463-464 de l'Incarnation)

 

 

Varia : À Antioche, Symon le reclus et le parjure - En Hesbaye, sous Clovis, Boident, comte de Tongres, reconstruit une série de villes (dont la liste est fournie) qui avaient été détruites par les Huns - À Rome, mort du pape Léon Ier - Consécration du pape Hilaire, qui se coupe une main que lui rend miraculeusement Notre-Dame - Concile de Chalcédoine contre les hérétiques (an 462 ? de l'Incarnation - 451 de notre ère)

[II, p. 160b] [De Symon qui faisoit jureir son nom] A cel temps avoit en la citeit de Antyoche unc reclus qui fut nomeis Symon, qui avoit esteit reclus XL ans ; chis prioit à toutes les gens qui venoient à luy que nuls ne jurast Dieu, ne son nom, ne les corps sains de paradis, mains cascon jurast le nom Symon, et ilh impetroit à Dieu que tous cheaux qui le nom Symon parjurroient, que Dieu le pardonroit. Et chu fasoit-ilh, por wardeir de parjureir Dieu et ses sains.

[II, p. 160b] [Symon qui faisait jurer par son nom] À cette époque (461) vivait dans la ville d’Antioche, un moine nommé Symon, qui était resté cloîtré durant quarante ans. Il invitait tous ceux qui venaient le voir à ne jurer ni par Dieu ni par le nom de Dieu, ni par celui des saints du paradis, mais par le sien propre, Symon. Il demandait à Dieu de pardonner à tous ceux qui se parjureraient au nom de Symon. Il faisait cela pour éviter les parjures au nom de Dieu et de ses saints.

[Ly conte de Tongre refist pluseurs vilhes en Hesbay] A cel temps astoit ly roy Cloveis tout en pais, et n'avoit nulle guerre. Item, l'an IIIIc et LX ou LXI, Boiden, ly duc de Thoringe et conte de Tongre, vot en Haribain  son paiis redifiier les vilhes qui avoient esteit destruit en temps devant par les Huens, assavoir : Foux, Kemexhe, Vileir, Waremme, Oley, Bersés, Puchey, Blarée et pluseurs altres.

[Le comte de Tongres restaura plusieurs villes en Hesbaye] À cette époque [461], le roi Clovis était complètement en paix, et ne menait aucune guerre. En l’an 460 ou 461, Boident, duc de Thuringe et comte de Tongres (cfr II, p. 146 ; II, p. 149 ; ainsi que II, p. 167-168), voulut reconstruire en Haribain, son pays (= la Hesbaye ; cfr II, p. 149), les villes qui avaient été détruites par les Huns à l’époque précédente, à savoir : Fooz, Kemexhe, Villers, Waremme, Oleye, Bierset, Pousset, Bleret et plusieurs autres.

On songera  aux nombreuses villes fondées par saint Materne (cfr I, p. 529). Pour en revenir au présent texte, la note 2 de Bo ad locum les présente comme des « communes voisines situées dans les cantons de Waremme et de Hollogne-aux-Pierres » et signale que « leur destruction par les Huns n’avait pas été explicitement signalée en II, p. 113-115, 117-119. »

[Hylarius pape de Romme le XLIXe qui fist mult di ordinanches] Item, l'an IIIIc LXII ly XIe jour de mois d'avrilh, morut ly pape de Romme Lyon, si fut ensevelis en la cymitere Sains-Calixte. Et apres sa mort vacat ly siege XVIII jours, puis fut consacreis à pape unc proidhons cardinais qui fut de la nation de Sardine ; si fut appelleis Hylarius, et son pere oit nom Crispiain : chis tient le siege V ans, III mois et X jours.

[Hilaire, quarante-neuvième pape de Rome, fit beaucoup d’ordonnances] En l’an 462, le 11 avril, le pape Léon de Rome mourut et fut enseveli dans le cimetière Saint-Calixte. Après sa mort, le siège resta vacant durant dix-huit jours ; puis un sage cardinal, originaire de Sardaigne, fut consacré pape. Il fut appelé Hilaire, son père avait comme nom Crispin. Ce pape occupa le siège durant cinq ans, trois mois et dix jours.

Ors vos vorons parleir de pape Hylarius : ilh adjostat à son temps à sains canon immaculatam hostiam sanctum sacrificium.

Nous voudrions maintenant vous parler du pape Hilaire : en son temps, il ajouta au saint canon (de la messe) immaculatam hostiam sanctum sacrificium

Ilh avient oussi à son temps que ilh accommengnoit une femme awec les altres à jour del Paske, et ladit femme par devotion baisat tant le main de pape, que si grant temptation vient à pape qu'il laissat oevre de accommengnier tout corochiet, et vient en sa chambre et coupat sa main qui astoit cause de pechiet del temptation. Quant ly peuple chu veit, se fut mult destoubleis, portant qu'il devoit dire la messe, se ne le dest mie. Et ilh astoit en sa chambre, sy soy recommendat à la Virge Marie, si commenchat à dire ses orisons.

Il lui arriva aussi un jour de Pâques d’accompagner une femme et d’autres personnes. Cette femme par dévotion lui baisa la main et le pape fut alors en proie à une telle tentation que, plein de colère, il abandonna le groupe qu’il accompagnait, rentra dans sa chambre et se coupa la main, cause du péché de sa tentation. Quand le peuple vit cela, il fut terriblement secoué, parce que Hilaire ne disait pas la messe qu’il devait célébrer. Il était dans sa chambre. Il se recommanda à la Vierge Marie et commença ses oraisons.

[Nostre-Dame rendit sa main à pape qu’ilh avoit coupeit por temptation del chair] Adont la glorieuse Virge Marie vient devant luy visiblement, et tient la main et se le remettit à brache ; de queile myracle nient tant seulement ly pape, mains tout ly peuple awec en rendirent grasce à Dieu et à la Virge Marie. Et le prechat depuis en ses sermons.

[Notre-Dame rendit au pape la main qu’il s’était coupée, suite à une tentation charnelle] Alors la Vierge Marie se présenta visiblement à lui ; elle tenait sa main et la rattacha à son bras. Pour ce miracle, non seulement le pape mais tout le peuple avec lui, rendirent grâces à Dieu et à la Vierge Marie. Et depuis lors le pape fit état de ce miracle dans ses sermons.

Sur le motif du miracle de la main, cfr le récit, légèrement différent, de Martin d'Opava, Chronicon, p. 418, l. 31-36, éd. Weiland, où il n'est pas question du pape Hilaire (pape de 461-468 n.è.) mais de son prédécesseur le pape saint  Léon Ier (440-461 n.è.) et où l'événement est daté de l'année 444 n.è. Jean d'Outremeuse (cfr surtout II, p. 354) rapporte sensiblement la même anecdote, mais plus longuement détaillée, en l'attribuant à saint Léon II (pape de 682 à 683 n.è.) et en la plaçant en 664 de l'Incarnation. Le chroniqueur liégeois s'explique sur cette répétition. L'épisode de la main coupée et restituée est racontée aussi dans la Légende dorée de Jacques de Voragine où elle concerne le pape Léon Ier (ch. 83, p. 446-447, p. 1269-1270, éd. A. Boureau).

La notice concernant l'addition au canon de la messe vient également de  Martin, p. 418, l. 30-31, éd. Weiland, où il est question du pape saint Léon Ier et non pas d’Hilaire.

[De quars conciel en Calcidoine] A son temps fut fais li quars senne ou [II, p. 161] ou conciel en Chalcidoine, de VIc et XXX evesques, enqueile Eutiche, abbeis de Constantinoble, et Dyoscorus, evesque d'Alixandre, furent condampneis, qui disoient et sortenoient eistre tout une nature la parolle de Dieu et la chair ; et aussi rursus Nestorius awec ses erreurs fut condampneis. Et là fut diffineis estre à croire et à prechier en Jhesu-Crist dois natures et une personne ; et la promier erreur, sicom dist Martiniain en latin, est teile : Unam Dei verbi et carnis esse naturam ; et la seconde est : ln Christo duas naturas esse et unam personam.

[Le quatrième concile en Chalcédoine] À son époque [462 ] eut lieu le quatrième synode ou [II, p. 161] concile de Chalcédoine, qui réunit six cent trente évêques. Lors de ce concile furent condamnés Eutychès, abbé de Constantinople, et Dioscore, évêque d’Alexandrie, qui disaient et soutenaient que la parole de Dieu et sa chair étaient une seule nature (?) (cfr II, p. 151). Nestorius aussi fut une nouvelle fois condamné pour ses erreurs. Lors de ce concile il fut décrété qu’il fallait croire et prêcher qu’il y a deux natures et une personne en Jésus-Christ ; selon ce que dit Martin en latin, la première erreur est : ‘Unam Dei verbi et carnis esse naturam’  et la seconde : ‘In Christo duas naturas esse et unam personam’.

[Coment sains Pire coregat une epistle al proïer de pape] Chis pape à cel conciel deseurdit escript une epistle contre les erreurs deseurdittes, laqueile anchois qu'ilh à Romme l'envoiast se le mist sour une alteit de Sains-Pire, où ilh junat XL jours continuels où ilh astoit en orisons, en dépriant à sains Pire, s'il avoit en ladit epistle riens del amendeir à la vraie foid, qu'ilh le vosist coregier. Et tout enssi fut-ilh faite, car, en la fien des XL jours, ilh trovat son epistle en toutes ses parties amendée solonc la vraie foid.

[Comment saint Pierre corrigea une épître à la prière du pape] Lors de ce concile, le pape (Hilaire) avait écrit une épître contre les erreurs susdites ; avant de l’envoyer, il l’avait déposée à Rome, sur un autel de Saint-Pierre, devant lequel il jeûna et resta en oraison quarante jours consécutifs, priant saint Pierre de corriger l’épître, si quelque chose était à corriger concernant la vraie foi. Tout se déroula ainsi, car au terme des quarante jours, il trouva son épître amendée en toutes ses parties, conformément à la vraie foi.

Bo signale en note ad locum que « le concile de Chalcédoine, en 451 (de notre ère), fut le quatrième concile œcuménique ». Ici encore, Jean d’Outremeuse s’est inspiré de Martin, p. 418, l. 37-40, éd. Weiland, mais Martin mentionne 360 évêques et non 630. Jean a également repris à Martin les deux phrases latines en  en modifiant toutefois légèrement l’ordre des mots.

Vient également de Martin, p. 418, l. 47a-p. 419, l. 7a, éd. Weiland, la notice sur la correction apportée par l'apôtre Pierre à une lettre du pape, mais chez Martin, il s'agit du pape saint Léon Ier.

 

Ans 463-464 de l'Incarnation

Clovis poursuit ses conquêtes - Il veut se venger d'Alaric - Arrêt dans l'église Saint-Martin de Tours - Miracle du cerf lors du passage de la Vienne - Victoire de Vouillé, près de Poitiers, où Alaric est tué - Clovis conquiert le territoire de Poitiers, puis le comté d'Aquitaine - Prise de Toulouse, puis d'Angoulème - Fabuleux trésor d'Alaric partiellement redistribué - En retournant chez lui, Clovis conquiert l'Auvergne, la Provence et la Gascogne - Il y trouve Amalaric qui s'enfuit en Espagne pour s'y faire couronner, son père Alaric étant mort  - Résumé des conquêtes faites par Clovis et ses quatre fils sur Alaric -  Formation d'un comté de l'Auvergne et d'un comté de Poitiers

 

[II, p. 161] [Ly roy de Franche conquist chi mult de paiis contre Alarich d’Espagne roy] A cel temps revient en memoire à roy Cloveis de Franche de roy Alarich de Gothie et d'Espangne et sires d'Acquitaine qui le haioit, et oussi faisoit-ilh luy ; si dest qu'ilh en voloit prendre venganche del roy Godebuef de Borgongne, qu'ilh avoit ochis, et del terre d'Avergne qu'ilh ly avoit tollue et le tenoit contre raison. Adont ilh apellat Elynon, son prevost, et ly dest qu'ilh assemblast ses gens por soy vengier del roy Alarich le trahitour ; et chis le fist. Adont mandat ly prevost ses oust et assemblat grant gens ; si entront en leur chemyn devers Aquitaine, l’oriflambe en sa main, Et ly roy Cloveis seioit sor son cheval de novelles armes à fleur de lis, et avoit vestit uns wardcorps de ches armes meismes, et l'escut à son coul que ly angle ly aportat.

[II, p. 161] [Le roi des Francs conquiert nombre de pays sur Alaric, roi d’Espagne] À cette époque-là le roi des Francs, Clovis se souvint d’Alaric, roi de Gothie et d’Espagne, et seigneur d’Aquitaine, qui le haïssait et qu’il haïssait lui aussi (cfr II, p. 152ss). Il dit qu’il voulait se venger d’Alaric parce qu’il avait tué le roi Gondebaud de Bourgogne et qu’il lui avait enlevé la terre d’Auvergne qu’il tenait sans raison valable. Alors Clovis appela Élinus son prévôt et lui dit de convoquer ses troupes pour se venger du roi traître. Le prévôt exécuta l’ordre, convoqua son armée et rassembla beaucoup de monde. Ils se mirent en route vers l’Aquitaine. Élinus tenait en sa main l‘oriflamme. Le roi Clovis montait son cheval, portant de nouvelles armes à fleurs de lys. Il avait revêtu un garde-corps aux mêmes armes et  l’écu apporté par l’ange était suspendu à son cou.

Or avient, quant ly roy se duit departir de la royne, qu'elle ly dest : « Sires, je vos prie que vos faites fondeir, et le prometteis à Dieu del faire, une engliese apres vostre revenue, en l'honeur de sains Pire et sains Poul, que Dieu vos vuelhe donneir victoire contre vous annemis. » Ly roy respondit : « Ma damme, je l'otroie et le promes en bonne foid », et ly donnat son manteal en gaige del acomplir.

Or donc, quand vint le moment pour le roi de quitter la reine, elle lui dit : « Sire, je vous demande de fonder à votre retour une église en l’honneur de saint Pierre et de saint Paul. Promettez à Dieu de le faire pour qu’il veuille vous donner la victoire contre vos ennemis ». Le roi lui répondit : « Madame, je vous accorde ce que vous demandez et je vous promets sincèrement de le faire ». Et il lui donna son manteau en gage. [On verra II, p. 165, pour la réalisation de la promesse]

[Ly roy franchois donnat I aneal à sains Martin qui fist myracle] Tant s'en alat ly oust qu'ilh vient à [II, p. 162] Tours en Torenche, si entrat ly roy en l’egliese Sains-Martin, si fist son orison et y offrit une aneal d'oir en queile ilh avoit uns rubis, que Dieu ly donast victoire ; et dest ly roy Cloveis, tantoist qu'ilh fut partis del engliese, à ses hommes qu'ilh auroit vicloire, car ilh avoit veyut al fietre de glorieux sains Martin certains myracles, par lesqueiles ilh savoit et veioit bien que ilh auroit victoire.

[Le roi franc donna un anneau à saint Martin qui fit un miracle] L’armée se mit en route et arriva à [II, p. 162] Tours, en Touraine. Le roi entra dans l’église Saint-Martin, y fit ses oraisons et offrit un anneau d’or, serti d’un rubis, pour que Dieu lui donne la victoire. À la sortie de l’église, le roi Clovis dit à ses hommes qu’il aurait la victoire, car il avait vu sur la châsse du glorieux saint Martin de vrais miracles, qui lui avaient permis de voir et de savoir avec certitude qu’il aurait la victoire.

[Ly blan cherf monstrat la voie al roy] Apres entrat ly oust en son chemyn, et ont tant alleit qu'ilh vinrent asseis pres de Potiers à une riviere qui astoit grant et large, qui par ployve et nyve astoit si grant que chu estoit mervelhe, et que nuls ne poioit passeir aux gueez. Adont fist ly roy Cloveis son orison à Dieu, en depriant qu'ilh vosist demonstreir myracle à son chevalier porqu'en ilh fussent oultre l'aighe. Atant vient là acorant unc blanc chierf (corr. Bo) tout parmy les champs, et soy ferit en l'aighe et les monstrat la voie ; et ly roy passat apres et toutes ses gens : et fut en novembre le XIIIIe jour, l'an deseurdit.

[Le cerf blanc montra la route au roi] Ensuite l’armée reprit sa route jusqu’à ce qu’elle atteigne, près de Poitiers, une rivière, profonde et large, qui, à cause de la pluie et de la neige, était si prodigieusement étendue que personne ne pouvait traverser en empruntant les gués. Alors Clovis invoqua Dieu, le priant de bien vouloir faire pour son chevalier un miracle qui permettrait à tous de passer de l’autre côté. C’est alors qu’à travers les champs apparut un cerf blanc, qui courut se jeter dans l’eau et leur montra la route. Le roi et tous ses hommes passèrent derrière lui. Cela se passa le 14 novembre de l’année susdite (463 ?).

Rivière : « Aimoin et les chroniques de Saint-Denis, qui rapportent la tradition du cerf blanc, désignent cette rivière : c'était la Vienne, en latin Vigenna » (Bo)

[II, p. 162] [Ly roy Cloveis at conquis ly roy Alarich] Puis vinrent à XII miles pres de Poitiers, où ly roy Alarich astoit qui assembloit ses hommes ; mains, quant ilh soit la novelle, se vient contre les Franchois ; et oit entre eaux grant batalhe et orrible le XIe jour de decembre, et fut sour les champs c'on dist del Vaux de Glandines, sour le flu de Olyne à XII miles de Potiers. Et durat la batalhe del matinée jusqu'à medis ; si oit des dois parties mult de mors, mains al derain fut ly roy Alarich desconfis et ochis del main le roy Cloveis, si soy rendit tous ly paiis à roy Cloveis.

[II, p. 162] [Le roi Clovis a vaincu le roi Alaric] Puis, ils arrivèrent à environ douze miles de Poitiers, où se trouvait le roi Alaric II, en train de rassembler ses hommes. Dès qu’il apprit la nouvelle, il marcha contre les Francs et, le 12 décembre, se déroula entre eux une grande et horrible bataille dans les champs appelés Vaux de Glandines, sur l’Orne, à douze milles de Poitiers. La bataille dura du matin jusqu’à midi. Des deux côtés, il y eut beaucoup de morts, mais finalement le roi Alaric II fut vaincu et tué de la main du roi Clovis. Tout le pays se rendit au roi Clovis.

« Vaux de Glandines est sans doute une corruption du Campus Vogladensis (Voglades ou Vouglé) de Grégoire de Tours [I, XXXVII, p. 131-132, trad. Latouche]. Quant à Olyne, ce mot doit indiquer l’Orne, en latin Olina et Olna ; mais ce fleuve est dans la Normandie, fort éloigné du champ de bataille. » (Bo)  En 507 de notre ère,  le roi Alaric II est vaincu à Vouillé par Clovis. C’est la fin des Wisigoths en Aquitaine. Pour des détails précis sur la bataille de Vouillé, cfr Rouche, Clovis, p. 307-309. Jean d'Outremeuse la date de l'an 463 de l'Incarnation, mais on sait qu'en ce qui concerne le règne de Clovis, il est en retard de près d’un demi-siècle.

[Ly roy conquist chii mult de paiis] Puis entrat ly roy Cloveis en la terre de Potiers et conquist tout le paiis ; et apres ilh conquist tout le conteit d'Aquitaine. Et fut chu sor l'an IIIIc et LXIII en mois d'avrilh le batalhe deseurdit, et y mist al conquere la terre jusques en mois de septembre. Si soy trahit à Bordeal sus Geronde, por le yvier qui venoit, à repoisier ses gens jusques à mois de fevrier. Celle année meisme, et en mois de marche le XXVIe jour, l'an IIIIc et LXIIII, entrat en son chemyn et vient à Thoulouse, qui astoit ly chief del royalme de Gothie, et le conquist par forche, car cheaux qui astoient dedens soy defendirent fortement. Et portant qu'ilh les trovat proidhommes bien et [II, p. 163] loialment defendant leur paiis, se ne leur mefist riens, et les prist tous à merchis et les laissat tout leur paiis en pais ; et ilhs le tinrent de ly.

[Le roi s'empara là de beaucoup de terres] Ensuite le roi Clovis entra dans le territoire de Poitiers qu'il conquit entièrement. Après cela, il s’empara de tout le comté d’Aquitaine. La bataille eut lieu en avril 463 et la conquête l'occupa jusqu'en septembre. L'hiver venant, Clovis se retira à Bordeaux, sur la Gironde, pour laisser ses hommes se reposer jusqu’en février. Cette même année, le 26 mars 464, Clovis reprit la route et se dirigea vers Toulouse, la capitale du royaume des Goths. Il dut utiliser la force pour s'emparer de la ville, car les gens qui étaient à l’intérieur se défendirent avec ardeur. Mais Clovis, parce qu’il trouva qu’ils étaient des gens estimables, défendant [II, p. 163] loyalement leur pays, ne leur fit aucun mal. Il les prit tous en pitié et laissa en paix l'ensemble du pays qu’ils tinrent désormais de lui.

[Les murs del citeit chaïrent al maldissement de roy] Apres s'en allat ly roy Cloveis devant la citeit de Engolesme ; mains tantoist que ly roy le veit, portant qu'elle astoit si forte qu'elle ne fust gangnié dedens VII ans, se le maldit ly roy Cloveis. Et Dieu adjostat foid à son maldissement, car ilh demonstrat là myracle que les murs de la citeit chaiirent devant luy ; puis entrat ens ly roy et toutes ses gens, et les gens de la citeit soy rendirent.

[Les murs de la cité tombèrent après la malédiction du roi] Le roi Clovis se rendit ensuite devant la cité d’Angoulème ; mais, dès qu’il la vit, il réalisa qu’elle était si fortifiée qu’il lui faudrait sept ans pour la conquérir. Il la maudit, et Dieu entendit sa malédiction : il accomplit un miracle et les murs de la cité s’écroulèrent devant Clovis. Alors le roi et toutes ses troupes entrèrent dans la cité, dont les habitants se rendirent.

En chest citeit astoit tout ly tresour le roy Alarich, qui astoit si grans qu'à mervelhe ; et ly roy Cloveis le departit tout à ses gens, et sy en donnat les hommes del royalme, por redifiier chu que ons leurs avoit gasteit en la guerre. Et ches dois citeis, Tolouse et Engolisme, furent conquise en IIII mois, et les fist ly roy Cloveis prendre baptemme.

Dans cette cité se trouvait tout le trésor du roi Alaric, trésor fabuleusement important. Le roi Clovis le partagea entre tous ses gens et en donna aussi aux habitants du royaume pour reconstruire ce qu’on leur avait détruit durant la guerre. Ces deux cités, Toulouse et Angoulème, furent conquises en quatre mois, et le roi Clovis en fit baptiser les habitants.

[Amalarich, roy d’Espangne] Apres retournat ly roy vers Franche en passant par Avergne, se le reconquist et conquist awec Provenche et Gascongne, où ilh trovat le roy Amalarich, le fis le roy Alarich ; mains ilh s'enfuit vers Espangne et là soy fist-ilh coroneir, portant que son pere astoit mors.

[Amalaric, roi d’Espagne] Après cela, le roi Clovis repartit vers son royaume en passant par l’Auvergne, qu’il reconquit en même temps que la Provence et la Gascogne. En Gascogne, il trouva Amalaric, le fils du roi Alaric II. Mais Amalaric s’enfuit en Espagne et s’y fit couronner, parce que son père était mort (suite de l'histoire d'Amalaric, en II, p. 166).

[Ly roy Cloveis adjostat mult de paiis à son rengne]] Enssi conquist ly roy Cloveis, par le gentileche de ly et de ses IIII fis, Clodomire, Theodoric, Clotaire et Cildebers et ses altres barons, tous les paiis deseurdis, assavoir : Acquitaine, Poitiers, Gothie, Gascongne, Provenche, Avergne, Lymosin et toutes les nations qui sont entre le Roine et le Loire, des mons de Pirone jusqu'à la citeit (erreur pour mer, selon Bo) Occeane.

[Le roi Clovis ajouta de nombreux pays à son royaume] C'est ainsi que le roi Clovis, par sa bravoure personnelle, celle de ses quatre fils, Clodomir, Théodoric (Thierry), Clotaire et Childebert, et celle de ses autres barons, conquit tous les pays cités plus haut, à savoir : Aquitaine, Poitiers, Gothie, Gascogne, Provence, Auvergne, Limousin et toutes les nations situées entre le Rhône et la Loire, des Pyrénées jusqu’à l’Océan.

[Ly roy fist un ducheit et II conteis] Et tous ches paiis tenoit ly roy Alarich ; et adjostat tous ches paiis à la royalme de Franche, et fist de Acquitaine une ducheit por ly, et de Avergne une conteit et de Potier une conteit, et enssi devidat-ilh le terre, si en fist unc bien ordineis paiis.

[Le roi créa un duché et deux comtés] Tous ces pays tenus par le roi Alaric, Clovis les ajouta au royaume franc. De l’Aquitaine, il fit un duché qu’il se réserva ; il fit des comtés de l’Auvergne et de Poitiers. C’est ainsi qu’il partagea le territoire et en fit un pays bien ordonné.

 


 

 

B. Ans 464-468 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 164-166

 

CLOVIS (SUITE)

 

 GUERRE ENTRE HONGROIS ET SAXONS - CLOVIS ET BYZANCE - CLOVIS ET SAINT MARTIN - CLOVIS MARIE SA FILLE À AMALARIC, FILS D'ALARIC - MORT DE CLOVIS

 

Sommaire du texte

   * Guerre entre Hongrois et Saxons pour des raisons matrimoniales - Incendie de la moitié de la ville de Carthage - Ordonnance du pape Hilaire (464)

   * Clovis et ses troupes passent l'hiver à Tours - Mort de Résignat, évêque de Tongres, remplacé par Sulpice - Transfert du corps d’Élisée de Samarie à Alexandrie - Canonisation de l'évêque Résignat de Tongres (464-465)

   * Clovis est nommé consul et auguste par l’empereur Zénon - Anastase, fils de Zénon, vient à Lutèce annoncer la nouvelle à Clovis - Clotilde envoie Anastase à Tours, où se trouvait encore Clovis - Là, Anastase offre une couronne d'or et des vêtements appropriés à Clovis qui se déclare prêt à servir Zénon - Clovis, avant son retour, offre son cheval à saint Martin - Anecdote du prix du cheval lors de son rachat par le roi - Rentré à Lutèce, Clovis construit une église royale en l’honneur de saint Pierre et de saint Paul, l’actuelle Sainte-Geneviève de Paris - Le roi resta ensuite chez lui (466)

   * Saint Remi de Reims et l'église de Laon - Mort du pape Hilaire - Sur le roi Arthur : réserve à propos d’une donnée de Martin d’Opava - Sacre du pape Simplice (467)

   * Clovis marie sa fille Clotilde à Amalaric, roi d'Espagne, fils d'Alaric tué par Clovis - Mort de Clovis après une maladie de douze semaines - Il est enseveli en l'église Saint-Pierre qu'il avait fondée à Lutèce et où il avait fait porter la couronne envoyée par Zénon - Bref éloge : ce fut le premier roi chrétien des Francs (467-468)

 

Guerre entre Hongrois et Saxons pour des raisons matrimoniales - Incendie de la moitié de la ville de Carthage - Ordonnance du pape Hilaire (en 464 de l'Incarnation)

[II, p. 163b] [Hongrois ont desconfis les Saynes] En ceste an meisme muet grant guere entre les Saynes et les Hongrois, si orent batalhe ensemble en mois d'awost ; mains les Saynes furent tous desconfis, et fut leur roy ochis que ons nomoit Aridas, qui mult astoit orgulheux. Adont conquist ly roy Ogier de Hongrie tout Saxongne et l'ajostat à son paiis : et fut chesti guere portant que ly orgulheux roy Aridas voloit avoir Flour, la filhe al roy hongrois, com sa sorgant et nient par mariage, et le demandat par forche.

[II, p. 163b] [Les Hongrois ont défait les Saxons] Cette même année [464] éclata une guerre importante entre Saxons et Hongrois. La bataille eut lieu en août ; les Saxons furent vaincus et leur roi tué. Il portait le nom d’Aridas et c’était un homme très arrogant. Le roi Ogier de Hongrie conquit alors toute la Saxe et l’ajouta à son pays. La raison de cette guerre était que l'arrogant roi Aridas voulait prendre Flore, la fille du roi hongrois, comme concubine et non comme épouse, et qu’il la demanda en usant de la force.

[Grant oraige] En cesti an chaiit une effodre sour la citeit de Cartaige, qui en ardit plus de la motié [II, p. 164].

[Grand orage] En cette année, la foudre s’abattit sur la ville de Carthage, dont plus de la moitié brûla [II, p. 164].

[Status papales] En cel an ordinat ly pape Hylarius que nus evesque ne constituast successeur apres luy de son evesqueit, car adont astoit ly usaige teile que, quant uns evesque trespassoit, ilh constituoit I altre qui le succedoit en l'evesqueit et astoit evesque ; et s'ilh moroit sens ordineir de son evesqueit, ly capitle l'enlisoit ; et se ilh ne trovoit ydoine par election ou postulation, ly pape le donnoit.

[Ordonnance pontificale] Cette année-là, le pape Hilaire décida qu’un évêque ne désignerait plus son successeur à la tête de son évêché. À l’époque en effet, quand un évêque était mourant, l’usage était qu'il désigne son successeur et que celui-ci soit l'évêque. S’il mourait sans avoir réglé la question, c’est le chapitre qui élisait le successeur. Et si on ne trouvait personne qui convenait, par élection ou dépôt de candidature, c’est le pape qui nommait l’évêque.

 

Clovis et ses troupes passent l'hiver à Tours - Mort de Résignat, évêque de Tongres, remplacé par Sulpice - Transfert du corps d’Élisée de Samarie à Alexandrie - Canonisation de l'évêque Résignat de Tongres (ans 464-465 de l'Incarnation)

[II, p. 164]  Item, ly roy Cloveis revient vers Franche par la citeit de Tours, por faire sa priier et son orison au glorieux confès sains Martin ; sy entrat en la citeit en mois de decembre. Adont s'avisat-ilh qu'ilh sourjourneroit là tout l’yvier, s'en laisat raleir tous ses oust, jusques à ses IIII fis et ses barons priveis.

[II, p. 164] Le roi Clovis revint vers le pays des Francs en passant par la cité de Tours, pour y prier et faire oraison au glorieux confesseur saint Martin. Il pénétra dans la ville au mois de décembre et décida d’y passer l’hiver. Il laissa rentrer chez eux toutes ses troupes, y compris ses quatre fils et ses barons privés.

[De XVe evesque de Tongre Supplicien] Sour l'an IIIIc et LXV, en mois de marche le XVIIIe jour, morut l'evesque Resignans de Tongre ; si at esluit ly capitle unc canoyne de leur engliese qui fut nommeis Supplicius, qui regnat XV ans : chis fut ly fis dou prinche de Nasow, en Allemangne, qui oit à femme Elie, le filh le prinche de Casse ; et astoit dols et debonnairs, et proidhons sour tous altres.

[Sulpice, quinzième évêque de Tongres] En l’an 465, le 18 mars, l’évêque Résignat de Tongres (cfr II, p. 137) mourut et le chapitre élut un chanoine de leur église, nommé Sulpice, qui régna quinze ans. C’était le fils du prince de Nassau, en Allemagne, époux d’Élie, la fille du prince de Hesse [d'après Bo]. Sulpice était doux et bienveillant, sage aussi, plus que tous les autres.

[Ly corps le prophete Heliseus fut translateit] En ceste an meismes fut ly corps Heliseus translateit de Samarie en la cileit de Alixandre.

[Le corps du prophète Élisée fut transféré] Cette même année, le corps d’Élisée (cfr I, p. 45, p. 47, p. 399) fut transféré de Samarie dans la cité d’Alexandrie.

[De sains Resignans, evesque de Tongre] En cest an meismes, fut à la supplication del evesque de Tongre, Supplicius, son predicesseurs Resignans canonisiés, por cuy Dieu faisoit mult de myracles ; et fut appelleis sains Resignans.

[Saint Résignat, évêque de Tongres] Cette même année, à la demande insistante de Sulpice, l’évêque de Tongres, son prédécesseur Résignat fut canonisé. Dieu faisait beaucoup de miracles par son intermédiaire ; il fut appelé saint Résignat.

 

Clovis est nommé consul et auguste par l’empereur Zénon - Anastase, fils de Zénon, vient à Lutèce annoncer la nouvelle à Clovis - Clotilde envoie Anastase à Tours, où se trouvait encore Clovis - Là, Anastase offre une couronne d'or et des vêtements appropriés à Clovis qui se déclare prêt à servir Zénon - Clovis, avant son retour, offre son cheval à saint Martin - Anecdote du prix du cheval lors de son rachat par le roi - Rentré à Lutèce, Clovis construit une église royale en l’honneur de saint Pierre et de saint Paul, l’actuelle Sainte-Geneviève de Paris - Le roi resta ensuite chez lui (an 466 de l'Incarnation)

[II, p. 164]  [L’emperere fist le roy Cloveis consule de Romme] Item, l'an IIIIc et LXVI, envoiat ly emperere de Romme unc sien fis, qui fut nomeis Anastauz, qui puis fut emperere de Romme, en Franche al roy Cloveis, et ly fist presenteir d'estre consule et Auguste de Romme, qui astoit tres-noble digniteit et li plus grant de monde apres l'emperere. Et chu faisoit l'emperere, por avoir l'amisteit le roy Cloveis.

[II, p. 164] [L’empereur nomma le roi Clovis consul de Rome] En l’an 466, l’empereur romain (Zénon,) envoya auprès de Clovis, son fils Anastase, qui fut plus tard empereur romain. Il était chargé de lui offrir d’être consul et Auguste de Rome, ce qui était une très noble distinction, la plus haute après celle d’empereur. L’empereur faisait cela pour gagner l’amitié du roi Clovis.

Si avient que Anestaux ne trovat point de roy à Lutesse ; mains ihl trovat la royne Clotilde qui ly dest qu’ihl le troveroit en la citeit de Tours, où ihl avoit sorjourneit pres de XV mois, por aucon travalhe qu’ihl avoit oyut qui le defendoit le chevalchier.

Anastase ne trouva pas le roi à Lutèce, mais la reine Clotilde lui dit qu’il le trouverait à Tours, où il avait séjourné près de quinze mois, pour un problème qui l’empêchait de monter à cheval.

Atant se partit Anastauz et s’en allat à Tours, où ilh trovat le roy Cloveis ; se ly presentat une coronne de fin oir à pires prescieux, et les vestimens apartinans à la dignileit qu'ilh ly apportoit. Puis ly dest et ly racomptat son messaige. Et ly roy le rechuit mult gentiment et liement, et vestit les vestimens, et dest à Anastaus : «  Recommandeis-moy aux piés de emperere la sainte coronne, et luy dit [II, p. 165] que je suy del tout apparelhiés de luy servir à toutes besongnes et en tous cas. » Enssi soy partit Anastauz et s'en rallat vers Romme.

Anastase se mit en route et arriva à Tours, où il rencontra le roi Clovis. Il lui offrit une couronne d’or fin ornée de pierres précieuses, ainsi que les vêtements correspondant à la dignité qu’il lui apportait. Puis il lui communiqua le message (de l’empereur). Le roi reçut ce présent très poliment et avec plaisir ; il revêtit les vêtements et dit à Anastase : « Remettez mes respects à votre empereur, pour la sainte couronne qu’il m’offre, et dites-lui [II, p. 165] que je suis prêt à le servir en toutes tâches et en toutes circonstances ». Anastase prit alors congé et repartit pour Rome.

[De cheval que ly roy donnat à sains Martin] Et ly roy Cloveis, consule et Auguste de Romme, s'en vient en Franche, mains anchois ilh allat en l'engliese Sains-Martin, et allat al offrande de son palefroit par grant nobleche ; et quant ilh fut revenus fours del engliese, ilh rachatat son cheval aux canones deldit engliese, parmy cent doniers d'oir de la monoie qui adont coroit. Mains quant ons vot le cheval rameneir fours del engliese, sy n'y oit onques personne qui le cheval posist fours traire ; et ly roy y envoiat encor cent souls, et adont soy laisat rameneir sens forche et sens contredit ; et ly roy montat sus, si s'en allat.

[Le cheval offert par le roi à saint Martin] Avant de retourner chez lui, le roi Clovis, consul et Auguste de Rome, se rendit dans l’église Saint-Martin et y fit l’offrande de son palefroi avec une grande noblesse. Une fois sorti de l’église, il racheta son cheval aux chanoines de la dite église, pour cent deniers d’or de la monnaie qui avait cours à cette époque. Cependant, quand on voulut faire sortir le cheval de l'église, personne n'y parvint. Le roi envoya à nouveau cent pièces de monnaie. Alors le cheval se laissa emmener sans effort et sans opposition. Le roi le monta et s’en alla.

[Des myracles sains Martin] Adont commencharent ly roy et les barons à parleir ensemble, sour le chemien, des myracles sains Martin, et tant que ly roy Cloveis respondit en teile manere : « Saingnours, je vos dis que sains Martin est uns tres-glorieux confès et de grans merittes, mains ilh moy semble qu'ilh soy fait volentiers bien paiier ; ne veist mie comment mon pallefroit ne pot issir del engliese por cent souls, sy en issit tantoist por IIc ? Portant moy semble qu'ilh ne soy lairoit mie volenliers faire tort ne tollir chu que sien est ; et c'est bien raison, car mon cheval, qui sien estoit, valoit bien XX libres ».

[Les miracles de saint Martin] Alors le roi et les barons, en cours de route, se mirent à parler des miracles de saint Martin, jusqu’à ce le roi Clovis leur dise : « Seigneurs, je vous dis que saint Martin est un très glorieux confesseur, de grand mérite, mais il me semble qu’il prend plaisir à se faire bien payer. N’avez-vous pas vu que mon palefroi n’a pu sortir de l’église pour cent pièces, mais qu’il l’a fait tout de suite pour deux cents ? Il me semble donc que Martin ne se laisserait pas volontiers berner et priver de ce qui lui appartient ; et il a bien raison, car mon cheval, qui était à lui, valait bien vingt livres ».

[Ly roy fondat une englise à Paris] Atant vient ly roy à Lutesse, où illa trovat la royne qui bien le fiestiat ; et dedont en avant demorat en pais, sens gueroier, le temps que ilh visquat ; et commenchat à edifiier en la citeit de Lutesse une engliese royale en l'honeur de sains Pire et sains Poul sus son manteal, sicom ilh l'avoit promis, laqueile engliese est maintenant appellée Sainte Genevier à Paris.

[Le roi fonda une église à Paris] Alors, le roi arriva à Lutèce, où il trouva la reine qui lui fit grande fête. Dorénavant, tant qu’il vécut, il resta dans son pays, sans partir à la guerre. Il se mit à construire dans la ville de Lutèce une église royale en l’honneur de saint Pierre et de saint Paul comme il en avait fait la promesse  sur son manteau (cfr II, p. 161). Cette église est maintenant appelée Sainte-Geneviève de Paris.

 

Saint Remi de Reims et l'église de Laon - Mort du pape Hilaire - Sur le roi Arthur : réserve  à propos d’une donnée de Martin d’Opava - Sacre du pape Simplice (an 467 de l'Incarnation)

[II, p. 165] [De promier vesque de Laon] Item, l'an IIIIc et LXVII, donnat sains Remy, l'archevesque de Rains, une grant partie de ses possessions, que ly roy Cloveis ly avoit donneit apres son baptesment, à l'engliese de Laon, et si estorat le siege d'onne evesqueit.

[II, p. 165] [Le premier évêque de Laon] En l’an 467, l’archevêque de Reims, saint Remi, donna à l’église de Laon, une grande partie des possessions que le roi Clovis lui avait offertes après son baptême, et il installa à Laon le siège d’un évêché.

En cel an, le IXe jour d'awoust, morut Hylarius, le pape de Romme : chis edifiat, à l'englise Sains-Lorent, où ilh fut ensevelis, unc bangne et I mostier.

Cette même année [467], le 9 août, mourut Hilaire, le pape de Rome : il avait édifié, à l’église Saint-Laurent, où il fut enseveli, des bains et un monastère.

[De roy Artus] Martiniain dist en ses croniques que al temps de cesti pape regnoit Artus, ly roy de la Grant-Bretangne ; mains nos creons qu'ilh poioit bien estre neeis, car Merlin, qui avoit regneit longtemps devant Artus, al temps de Uterpandragon, le peire Artus, n'astoit [II, p. 166] encors pointe de nom, ne ons n'en savoit parleir de luy, mains nos mettons chi chu que Martin dist.

[Le roi Arthur] Martin dit dans ses Chroniques qu’au temps de ce pape régnait/vivait Arthur, le roi de Grande-Bretagne. Mais nous croyons qu’il s’agissait de la naissance, car le nom de Merlin qui avait vécu longtemps avant Arthur, au temps de Uterpandragon (cfr II, p. 180, 182, 183 et ss), le père d’Arthur, [II, p. 166] n’avait pas encore de renommée, et on ne pouvait pas parler de lui. Nous transcrivons toutefois ici ce que dit Martin.

C'est la première apparition dans le Myreur de personnages qui font partie intégrante de la légende arthurienne à laquelle Jean d'Outremeuse fera de nombreuses allusions dans la suite. Toutefois nous ne comprenons pas très bien cette notice et nous ne tenterons pas de la commenter, d'autant plus que Jean ne cite pas correctement le texte de Martin. En effet Martin dans sa Chroniquee  (p. 419, l. 17, éd. L. Weiland) ne fait pas référence à Arthur mais à Merlin. Parlant de l'époque du pape Simplice (Eodem tempore), il écrit en effet : fuit in Britannia Merlinus vates ex filia regis santimoniali et incubo demone natus. Une dernière précision : la traduction « n'avait pas encore de renommée » est empruntée à Bo ad locum.

[Suppliciiens le Le pape] Apres la mort le pape Hylarius vacat ly siege VI jours ; et al VIIe, assavoir le XVIe jour d'awoust, fut consacreis à pape de Romme unc cardinal qui oit nom Suppliciiens, qui fut de la nation de Romme, de Tyburtin ; si oit nom son pere Cripins, et fut frere al pape Hylarius devant dit de part son peire : et tient le siege XV ans, VI mois et XIIII jours.

[Simplice, cinquantième pape] Après la mort d’Hilaire, le siège pontifical resta vacant six jours et le septième jour, c’est-à-dire le 16 août (467), fut sacré pape à Rome un cardinal, dénommé Simplice, originaire de la région de Rome, de Tibur. Son père s’appelait Crispin et il était le frère du pape Hilaire (cfr II, p. 160). Il occupa le siège durant quinze ans, six mois et quatorze jours.

 Le Liber Pontificalis, p. 112, éd. Mommsen, écrit Simplicius, natione Tiburtinus, ex patre Castino (ou Castorio), et pour le pape Hilaire, p. 107 : Hilarus, natione Sardus, ex patre Crispiano (ou Crispino), ce qui ne laisse pas apparaître un rapport de parenté entre les deux papes.

 

Clovis marie sa fille Clotilde à Amalaric, roi d'Espagne, fils d'Alaric tué par Clovis - Mort de Clovis après une maladie de douze semaines - Il est enseveli en l'église Saint-Pierre qu'il avait fondée à Lutèce et où il avait fait porter la couronne envoyée par Zénon - Bref éloge : ce fut le premier roi chrétien des Francs (ans 467-468 de l'Incarnation)

[II, p. 166] [Cloveis maria sa filhe à roy d’Espangne] En cel an meismes vient ly roy Amalarich d'Espangne, fis jadit à roy Alarich, à Lutesse, et presentat mult de beals joweals al roy Cloveis, en signe d'amisteit, et ly pardonnat la mort de son peire, en suppliant que parmy chu ilh ly vosist donneir sa filhe Clotilde à femme, se le feroit royne de toute Espangne. Et ly roy ly otriat ; si furent faites les noches à Lutesse. Enssi fut Clotilde, la filhe Cloveis, mariée; et apres les noiches elle fut emmenée en Espangne; mains ses freres ochisent depuis le roy Amalarich sicom oreis chi apres.

[II, p. 166] [Clovis maria sa fille au roi d’Espagne] Cette même année [467], le roi Amalaric d’Espagne, fils déjà cité du roi Alaric (cfr II, p. 163), vint à Lutèce et offrit quantité de beaux joyaux au roi Clovis, en signe d’amitié. Il lui pardonna la mort de son père (cfr II, p. 163) et le supplia de bien vouloir lui donner pour épouse sa fille Clotilde, pour faire d'elle la reine d’Espagne. Le roi y consentit ; les noces furent célébrées à Lutèce. Ainsi fut mariée Clotilde, la fille de Clovis. Après les noces, elle fut emmenée en Espagne ; cependant ses frères tuèrent par la suite le roi Amalaric, comme vous l’entendrez ci-après (cfr II, p. 173).

À Lutèce :  Bo précise que « le mariage de la jeune Clotilde avec Amalarich n’eut lieu qu’après la mort de Clovis »

[Cloveis morut] En cest an prist al roy Cloveis une grant maladie, de laqueile ilh jut XII samayne à lit, et puis ilh morut l'an IIIIc LXVIII, le XIIIe jour de junne, et fut ensevelis en l'englise Sains-Pire, qu'ilh avoit fondeit à Lutesse.

[Mort de Clovis] Cet année-là, le roi Clovis contracta une maladie grave, qui le cloua au lit durant douze semaines ; puis il mourut le 13 juin de l’an 468, et fut enseveli en l’église Saint-Pierre, qu’il avait fondée à Lutèce (cfr II, p. 165).

Chis roy Cloveis commandat à lit morteil que la coronne, que ly emperere ly avoit envoiet, fust portée en signe de son offrande à l'engliese de Sains-Pire à Romme ; et enssi fut-ilh faite. Apres furent faites ses exeques solonc la loy cristine mult honoraublement, sicom ilh afferoit. Et fut de tout le monde regretteit dechà la mere et delà, et de cheaux meismes qu'ilh avoit deshireteit et conquesteit leurs paiis, por sa bonne chevalrie. Ilh fut roy de Franche V ans, et ly promier qui en fut cristiens.

Sur son lit de mort, le roi Clovis ordonna que la couronne que lui avait envoyée l’empereur fut portée en guise d’offrande de sa part à l’église Saint-Pierre de Rome ; ce qui fut fait. Ensuite ses obsèques furent célébrées selon la religion chrétienne, avec beaucoup de solennité, comme cela convenait. Vu ses qualités de chevalier, il fut regretté de tous en deçà et au-delà de la mer, même par ceux qu’il avait déshérités et dont il avait conquis le pays. Il fut roi des Francs durant cinq ans et en fut le premier roi chrétien.

 

Notes

1. Chronologie. On ne perdra pas de vue que Jean date la mort de Clovis de l'an 468 de l'Incarnation (13 juin), alors qu'elle a eu lieu en l'an 511 (27 novembre) de notre ère. Il l'anticipe  de 43 ans (près d'un demi-siècle), ce qui a évidemment une grande influence sur son récit des événements mérovingiens. Clovis avait été roi en 438, selon Jean qui lui attribue un règne de 30 ans (cfr II, p. 138). Dans notre chronologie, Clovis est devenu roi en 481/482. L'écart ici est de 43 ou de 44 ans.

2. Les meurtres et les assassinats. Il n'est pas question chez Jean de la manière très violente dont Clovis s'est installé au pouvoir. Cfr notamment Grégoire de Tours, Histoire des Francs,  II, ch. 40-43 - Liber Historiae Francorum, 18, la guerre de Clovis contre son parent Ragnachaire, avec les notes de St. Lebecq - Les Grandes chroniques de France, I, 23-24. On appréciera le titre de chapitre choisi par M. Rouche, Clovis, 1996, p. 325-328 : Clovis massacre sa parentèle. Manifestement le chroniqueur veut donner de Clovis une image positive.


 

C. Ans 468-486 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 166-174

 

LES FILS DE CLOVIS

 

PARTAGE DU ROYAUME ET POURSUITE DE SON EXPANSION - PROBLÈMES DE SUCCESSION CHEZ LES BURGONDES - LA BOURGOGNE EST RATTACHÉE AU ROYAUME FRANC - MORT DE CLODOMIR - LES LOMBARDS - NOMBREUX VARIA

 

 

Sommaire du texte

   * Le partage du royaume de Clovis entre ses quatre fils (Clodomir, Théodoric/Thierry, Clotaire, Childebert) - Ses deux filles : Clotilde, épouse d'Alamaric, roi d'Espagne, et Hildelain, épouse de Gobert de Vaucouleurs (468)

   * Les fils de Clovis continuent de développer leurs royaumes - Clotaire profite de tensions entre Boident, comte de Tongres, et les habitants de Maastricht pour rattacher au royaume franc le pouvoir temporel sur Maastricht - Théodoric profite d’une dispute entre frères concernant la possession du royaume de Thuringe pour s’approprier tout le royaume de Thuringe et son trésor - Il tue Herminafred et donne en mariage à son frère Clotaire une parente de ce dernier, appelée Radegonde

   * Catastrophes naturelles à Vienne, qui amènent l'archevêque Mamert à organiser des Rogations - Mort d'Élinus - Son fils Agaza devient prévôt - Fondation par Childebert en l'honneur de saint Vincent d'une église qui s'appellera Saint-Germain-des-Prés - Mort à Paris de sainte Geneviève - Organisation par Clotaire du Concile d’Orléans (469-470)

   * Problèmes de succession en Bourgogne : à la mort d'Alardin, ses deux frères, Sigismond et Gudomar III, ont pris le pouvoir - Sigismond fonde sur le Rhône une église en l’honneur de saint Maurice et des martyrs de la Légion Thébaine (où il sera plus tard enseveli) - Clotilde, épouse de Clovis, suggère à ses fils de revendiquer la Bourgogne, qu'elle estime devoir lui revenir - Batailles entre les Francs et les Bourguignons - Sigismond est capturé et tué par Clodomir - Gudomar III combat et tue Clodomir - Les trois frères restants écrasent les Bourguignons - Gudomar, qui s'était enfermé dans la cité de Langres, est capturé et tué - La Bourgogne est rattachée au royaume franc - Childebert remet son royaume à Clotaire - Transfert du corps de saint Marc d'Alexandrie à Venise (470-472)

   * Les Danois de Julien échouent à conquérir le royaume de Thuringe qui appartenait à Théodoric/Thierry (fils de Clovis) et que Julien avait donné à son fils Cochelais en lui promettant de le conquérir - Les Danois sont vaincus, Julien et Clochelais sont tués. Hector, l’autre fils de Julien, devient roi de Danemark - Arras est presque entièrement détruite par la foudre - L’empereur d'Orient Zénon succède à son père Léon - Construction de l’église Saint-Étienne à Rome par le pape Simplice - Succession à Louvain - Clotaire Ier nomme duc d’Aquitaine un de ses fils Chramne - Ordonnances papales - Waccho, premier roi de Lombardie - Radegonde, la reine des Francs, fonde une abbaye de religieuses à Poitiers, où elle deviendra nonne et mourra saintement (473-477)

   * Merlin en Grande-Bretagne - Théodebert, fils de Théodoric - Lombardie et Italie - Hongrie - Les évêques de Tongres : Sulpice et Quirille - Clotaire et ses Francs attaquent les Lombards de Waccho qui sont vaincus - La Lombardie devient tributaire de Clotaire - Ordonnance papale - Clotaire conquiert Angers - Mort du pape Simplice - Désignation du pape Félix III (478-482)

   * Le roi Amalaric et son épouse Clotilde en Espagne - Intervention armée de deux des frères de Clotilde, Clotaire et Childebert - Les troupes d'Amalaric sont défaites - Le roi qui s'enfuit est tué par un chevalier, Guiscard de Soissons (482-483)

   * Mort de l'empereur romain Zénon, remplacé par son frère Anastase - Le pape Félix condamne l'évêque d'Alexandrie pour ses hérésies - En Afrique, les Vandales persécutent les chrétiens - Le pape Félix construit à Rome une église en l'honneur de saint Agapit - En Afrique, le roi des Vandales exile de nombreux évêques - Ordonnances du pape Félix (483-486)

 

Le partage du royaume de Clovis entre ses quatre fils (Clodomir, Théodoric/Thierry, Clotaire, Childebert) - Ses deux filles : Clotilde, épouse d'Alamaric, roi d'Espagne, et Hildelain, épouse de Gobert de Vaucouleurs (an 468 de l'Incarnation)

[II, p. 166] [Des enfans le roy Cloveis comment ilh orent IIII royalmes] Chis roy Cloveis lassat VI enfans apres sa mort en vief : dois filhes, Clotilde qui fut mariée à roy d'Espangne, et Hidelain qui fut la femme Gobier de Vacolour, et IIII fis : Theodorich, Clodomire, Clotaire et Childebers. Ly roy Cloveis departit sa terre à ses enfans, par le conselhe Elynon le prevoste, et fist de ses IIII fis IIII roy.

[II, p. 166] [Les enfants du roi Clovis eurent quatre royaumes] Après sa mort, le roi Clovis laissa six enfants en vie : deux filles, Clotilde, qui fut l’épouse du roi d’Espagne (cfr II, p. 166), et Hildelain (cfr II, p. 168), qui épousa Gobert de Vaucouleurs (cfr II, p. 167). Il laissa aussi quatre fils : Théodoric (Thierry), Clodomir, Clotaire et Childebert. Sur le conseil du prévôt Élinus, Clovis partagea sa terre entre ses enfants et fit de ses quatre fils quatre rois.

[Clodomirs roy d’Orlins] Et promirs, Clodomirs, qui astoit ly [II, p. 167] anneis, fut coroneis à Orliens, et oit tout le paiis à chu appendant.

[Clodomir, roi d’Orléans] D’abord Clodomir, qui était [II, p. 167] l’aîné, fut couronné à Orléans et eut tout le pays qui en dépendait.

[Theoderich, roy de Mes] Et Theodorich fut coroneis à Mes et oit tout le paiis de Loheraine, et fut appelleis roy d'Austrie, et chis astoit ly soverains de Allemangne.

[Théodoric, roi de Metz] Théodoric (Thierry) fut couronné à Metz et obtint tout le pays de Lorraine. Il fut appelé roi d’Austrasie et était le souverain de l’Allemagne.

[Clotaire, roy de Lutesse] Et Clotaire fut coroneis à Lutesse et fut roy de Franche.

[Clotaire, roi de Lutèce] Clotaire fut couronné à Lutèce et fut roi des Francs.

[Childebers, roy à Soison] Et Childebers fut coroneis à Soison, jasoiche que ons true en aucunnes hystoires que Clotaire fut coroneis à Soison et Childebers à Lutesse, mains ilh ne passat gaires que Childebers vient demoreir à Lutesse.

[Childebert, roi à Soissons] Childebert fut couronné à Soissons, bien que certaines histoires rapportent que Clotaire fut couronné à Soissons et Childebert à Lutèce. De toute façon, il ne fallut pas longtemps avant que Childebert ne vienne résider à Lutèce.

[Desous le roy Theoderich estoit roy de Thuringe] Ches IIII roys misent leurs sieges enssi com leur peire les avoit ordineit ; et promier est assavoir que Theoderich [qui rejeté par Bo] tenoit toute la conqueste delà le Riens et dechà jusqu'à Rains, et chis metit son siege en la citeit de Mes ; et  astoit ly [ly ajouté par Bo] roy de Thuringe desous luy et tous les aultres roys d'Austrie.

[Le roi de Thuringe était en dessous du roi Théodoric] Ces quatre rois fixèrent leurs capitales comme l’avait prescrit leur père. En premier lieu, il faut savoir que Théodoric tenait toute la terre conquise au-delà du Rhin et en deçà du Rhin jusqu’à Reims ; il établit sa capitale dans la ville de Metz. Le roi de Thuringe et tous les autres rois d’Austrasie dépendaient de lui.

[Desous Clotaire astoit tot Galle] Clotaire, qui astoit roy de Lutesse et qui avoit tout la principal terre de Galle, mettit son siege à Lutesse.

[Toute la Gaule dépendait de Clotaire] Clotaire, qui était roi de Lutèce et détenait la partie la plus importante de la Gaule, établit sa capitale à Lutèce.

[Desous Childebers astoit Vermedois et pluseurs altres paiis] Childebers, chis oit tout Vermedois, Picardie, Flandre, Brabant et Normedie, si metit son siege à Soison.

[Sous Childebert se trouvaient le Vermandois et plusieurs autres régions] Childebert, qui possédait tout le Vermandois, la Picardie, la Flandre, le Brabant et la Normandie, établit sa capitale à Soissons.

Et Clodomiers, chis oit Avergne, Borgongne, Acquitaine et tout le paiis de là entour ; chis metit son siege à Orlins.

Et Clodomir, qui possédait l’Auvergne, la Bourgogne, l’Aquitaine et tout le pays alentour, établit sa capitale à Orléans.

 

 Les fils de Clovis continuent de développer leurs royaumes - Clotaire profite de tensions entre Boident, comte de Tongres, et les habitants de Maastricht pour rattacher au royaume franc le pouvoir temporel sur Maastricht - Théodoric profite d’une dispute entre frères concernant la possession du royaume de Thuringe pour s’approprier ce royaume et son trésor - Il tue Herminafred et donne en mariage à son frère Clotaire une parente de ce dernier, appelée Radegonde (an 468 de l'Incarnation)

[II, p. 167] [Guere entre le conte de Tongre et les borgois de Treit] En cel an muet grant guere entre le conte Boident de Tongre et cheaux de Treit por le temporaliteit qu'ilh calengoit ; et ly evesque awec les borgois le contredisoit et affirmoit, et veriteit astoit, que jadit l'avoit donneit ly dus de Lotringe et conte de Lovay à l'evesque Sains-Servais. Si mandat Boident Giele, le conte de Colongne, qu'ilh ly venist aidier ; si vient et assegat Treit. Et ly evesque et les borgois mandarent le roy Clotaire de Franche, qu'ilh ly plaisist d'eaux à aidier.

[II, p. 167] [Guerre entre le comte de Tongres et les bourgeois de Maastricht] Cette année-là [468], une vive tension éclata entre Boident, comte de Tongres (cfr II, p. 146 ; II, p. 149 ; II, p. 160), et les habitants de Maastricht sur la question du pouvoir temporel. L’évêque, appuyé par les bourgeois, le contredisait en affirmant, et c’était exact, que le duc de Lorraine, comte de Louvain, l’avait donné jadis à l’évêque saint Servais (cfr II, p. 67). Boident demanda l’aide de Gilles, comte de Cologne, qui vint assiéger Maastricht. L’évêque et les bourgeois demandèrent au roi franc Clotaire d’accepter de les aider.

Boident : A. Borgnet (ad locum) a consacré une note (3) au personnage ‒ légendaire, dit-ilde Boident, bien présent dans la Geste de Liège, vers 5858-5999.

[Ly roy Clotaire adjondit le temporaliteit de Treit à Franche – Gobier conte de Treit] Et chis y vient, si oit batalhe à eaux : si fut li conte Boident, qui astoit cusins à roy Clotaire, ochis par le roy ; et Giles s'en refuit devers Colongne, et le roy Clotaire le porsuit et l'ochist ; et adjondit la temporaliteit de Treit à Franche, et y metit unc conte lieutenant par les borgois à governeir, qui fut nomeis Gobier de Vacolour, qui avoit à femme Hildelain, la sorour le roy, qui regnat XXVIII ans.

[Le roi Clotaire rattacha au royaume franc le pouvoir temporel sur Maastricht - Gobert comte de Maastricht] Clotaire arriva et livra combat : il tua son cousin, le comte Boident. De son coté, Gilles s’enfuit à Cologne : Clotaire le poursuivit, le tua et rattacha au royaume franc le pouvoir temporel sur Maastricht. Il installa dans la ville un comte lieutenant pour gouverner les bourgeois. C’était Gobert de Vaucouleurs [II, p. 168], qui avait épousé Hildelain, sœur du roi Clotaire. Il gouverna vingt-huit ans (cfr II, p. 166).

[Discors por le royalme de Thuringe] En cel an meismes prist Ermefroy, ly fis Boident, la possession del royalme de Thuringe ; mains Badris, son frere bastars, ly empechat et le voloit avoir par forche, et tant que Ermefroy vient al roy Theoderich de Mes, et ly priat et ly dist qu'ilh astoit son cusins remueis de germains, qu'ilh ly vosist aidier contre son frere bastar, et ilh ly donroit la motié de son rengne.

[Dispute pour le royaume de Thuringe] Cette même année [468], Hermanfroi , fils de Boident, prit possession du royaume de Thuringe. Cependant Baderic, son frère bâtard, s'y opposa et voulut s’emparer du royaume par la force, jusqu’à ce que Herminafred vienne trouver le roi Théodoric de Metz, qui était, disait-il, son cousin issu de germain. Si Théodoric voulait l’aider contre son frère bâtard, il lui donnerait en échange la moitié de son royaume.

[Theoderich adjondit le rengne de Toringe à son rengne] Et ly roy ly aidat tant que ly bastar fut ochis en batalhe. Et Ermefroy ralat arrier de ses convens et ne les vot point acomplir, de quoy debas multipliat entre eaux tant que ly roy Theoderich ochist Ermefroy, et s'ajondit tout [le] regne de Thoringe à son rengne, et prist tout le tressour.

[Théodoric rattacha le royaume de Thuringe à son propre royaume] Le roi l’aida jusqu’au moment où le bâtard fut tué dans la bataille. Alors Herminafred renia ses accords et ne voulut pas les respecter, ce qui attisa entre eux la dispute jusqu’à ce que le roi Théodoric tue Herminafred, rattache tout le royaume de Thuringe au sien et s'empare de l'intégralité de son trésor.

[De sainte Radegunda] Si trovat là le soreur ou la cusine cheli Ermenfroy, qui oit nom Radegunda, qu'ilh donnat por sa bealteit et bonteit à Clotaire, son frere roy de Franche, à femme, qui puis menat mult sainte vie ; mains ilh n'en oit nulle enfant, et quant elle morut, si fut ensevelie à Potiers, où Dieu fist por lée mult de myracles. Chis roy Clotaire regnat XXIX ans.

[Sainte Radegonde] Il y avait là la sœur ou la cousine de cet Herminafred, qui s'appelait Radegonde. Comme elle était belle et bonne, Théodoric la donna pour épouse à son frère Clotaire, roi des Francs. Celle-ci mena dans la suite une vie très sainte, mais ne lui donna pas d’enfant. À sa mort, elle fut ensevelie à Poitiers, où Dieu fit de nombreux miracles par son intermédiaire (cfr II, p. 171). Clotaire régna vingt-neuf ans.

 

Catastrophes naturelles à Vienne, qui amènent l'archevêque Mamert à  organiser des Rogations - Mort d'Élinus - Son fils Agaza devient prévôt - Fondation par Childebert en l'honneur de saint Vincent d'une église qui s'appellera Saint-Germain-des-Prés - Mort à Paris de sainte Geneviève - Organisation par Clotaire du Concile d’Orléans (ans 469-470 de l'Incarnation)

[II, p. 168] [Grant muet de terre à Viane - Les biestes mangnent les gens] Sour l'an IIIIc et LXIX, en mois d'avrilh, oit en la terre de Viane si grant muet de terre que pluseurs englieses et maisons chairent ; si avient que les leux et les aultres bestes savaiges, qui habitoient en bois entour Viane, entrarent dedens les vilhes et devastarent et ochisent tos cheaux qui fours de leurs maisons furent troveis.

[II, p. 168] [Grand tremblement de terre à Vienne - Les bêtes mangent les gens] En avril 469 se produisit dans la terre de Vienne un tremblement de terre si puissant que beaucoup d’églises et de maisons s’écroulèrent. Les loups et les bêtes sauvages, qui peuplaient les bois autour de Vienne, en vinrent à entrer dans les villes, à semer la dévastation et à tuer tous ceux qu’ils trouvèrent hors de leurs maisons.

[Grant effoudre] Et le propre jour de la sainte Paske fut ly palais royal de chesti citeit destruis par une effodre qui chaiit sus.

[Grand coup de foudre] Et le jour même de la fête de Pâques, le palais royal de cette cité fut détruit, frappé par la foudre.

[Porquoy les processions furent fait devant l’Ascension] Adont astoit evesque de Viane sains Mamiens, qui por celle pestilenche ordinat les trois processions que ons appelle Rogations, que ons fait les trois jours devant l'Ascension, por le rason de chu que ilh rovat à Dieu que, parmy lesdit processions et les junnes que ilh avoit enssi ordineit, ly pestilenche cessast, sicom ilh fist.

[Pourquoi les processions furent organisées avant l’Ascension] À cause de ce fléau, saint Mamert, à l'époque évêque de Vienne, organisa les trois processions qu’on appelle Rogations et qui ont lieu les trois jours précédant l’Ascension. Il le faisait pour demander à Dieu la fin du fléau, grâce aux processions et aux jeûnes ainsi prescrits. Ce qui se passa.

Saint Mamert est le premier des trois saints de glace, suivi de saint Pancrace et de saint Servais. Et comme il est question de phénomènes météorologiques et de protection des champs, on n'oubliera pas le rôle important que joue en ce domaine la clé de saint Servais, promenée à travers les champs, pour leur éviter d'être dévastés par les tempêtes. Cfr II, p. 96-99. Sur les rogations instituées par saint Mamert, évêque de Vienne, cfr assez long développement de Grégoire de Tours, II, 34 (p. 127-128 Latouche).

En cel an morut Elynon, le prevoste de Franche ; si fut fais prevoste par le roy et les barons Agaza, le fis Elynon, qui regnat XXXVIII ans.

Cette année-là [469] mourut Élinus, le prévôt franc. Agaza, son fils, fut désigné comme prévôt par le roi et les barons. Il régna durant trente-huit ans (cfr II, p. 183 et p. 205).

[Del engliese Sains-Vincent et Sains-Germain, à Paris] En cel an fondat Childebers, ly roy de Soison, une engliese en l'honeur de sains Vincent es preis al defours de Lutesse, qui ors [II, p. 169] est appellée Sains-Germain es Preis.

[L’église Saint-Vincent et Saint-Germain, à Paris] Cette année-là [469], Childebert, le roi de Soissons, fonda une église en l’honneur de saint Vincent dans les prés à l’extérieur de Lutèce, église maintenant [II, p. 169] appelée Saint-Germain-des-Prés.

[Sainte Jenvier morut] Item, l'an IIIIc et LXX en mois de may, morut à Lutesse la glorieux virge sainte Jenvier.

[Mort de sainte Geneviève] En lan 470, au mois de mai, mourut à Lutèce la glorieuse vierge sainte Geneviève.

[De promier conciel de Franche qui fut à Orlins] En cel an fut ly promier conciel assembleis en Franche, et fut en la citeit de Orlins par le commandement de roy Clotaire : en chi conciel furent ordineit mult de choses profitaubles à sainte Engliese.

[Le premier concile chez les Francs se tint à Orléans] En cette année [470], le premier concile organisé chez les Francs se réunit dans la ville d’Orléans, sur l'ordre du roi Clotaire. On y prescrivit de nombreuses choses profitables à la Sainte-Église.

 

Problèmes de succession en Bourgogne : à la mort d'Alardin, ses deux frères, Sigismond et Gudomar III, prennent le pouvoir - Sigismond fonde sur le Rhône une église en l’honneur de saint Maurice et des martyrs de la Légion Thébaine (où il sera plus tard enseveli) - Clotilde, épouse de Clovis, suggère à ses fils de revendiquer la Bourgogne, qu'elle estime devoir lui revenir - Batailles entre les Francs et les Bourguignons - Sigismond est capturé et tué par Clodomir - Gudomar III combat et tue Clodomir - Les trois frères restants écrasent les Bourguignons - Gudomar, qui s'était enfermé dans la cité de Langres, est capturé et tué - La Bourgogne est rattachée au royaume des Francs - Childebert remet son royaume à Clotaire - Transfert du corps de saint Marc d'Alexandrie à Venise (ans 470-472 de l'Incarnation)

[II, p. 169] [Del passion et del englise Sains-Meurisse et ses compangnons] En cel an morut Arnadin, ly roy de Borgongne, sens heures ; si demorat la terre à ses dois freres, Sygemon et Gondemars : chis Sygemon fondat une belle engliese de Sains-Meurisse et ses compangnons sour le Royne, en droit lieu où ilh furent martirisiiet, en mois d'avrilh sour l'an IIIIc et LXXI. Et là fut ly roy Sygemon ensevelis apres son decesse.

[II, p. 169] [La passion et l’église de saint Maurice et de ses compagnons] En cette année  [470), le roi de Bourgogne, Alardin (cfr II, p. 153-154), mourut sans héritiers ; la terre revint à ses deux frères, Sigismond et Gudomar III. En avril 471, Sigismond fonda une belle église en l’honneur de saint Maurice et de ses compagnons (de la Légion Thébaine), sur le Rhône, à l’endroit exact où ils furent martyrisés (cfr II, p. 41). C’est là que fut enseveli le roi Sigismond, après son décès.

[De roy de Borgongne qui fut adjosteit à Franche] A cel temps mandat la royne Clotilde de Franche ses IIII fis en la citeit de Lutesse, si leur dest : « Saingnours, vos saveis comment ly roy Gondebuef, mes oncles, murdrit mon pere et ma mere por avoir leur terre, la royalme de Borgongne, et puis at tenuit la royalme tout sa vie qui devoit parvenir à moy, et apres sa mort le tient mes cusins Arnadin, son fis, par le congiet de monsaingnour le roy Cloveis, mon marit. Et maintenant que Arnadin est mors, ses dois freres, Sygemon et Gontemars, le tinent par leur forche, de quoy je ay grant mervelhe que vos asteis si poissans et ne reconquesteis par forche le royalme de Borgongne, qui doit depart moy apartenir à vous. »

[Le royaume de Bourgogne fut rattaché au royaume franc] À cette époque, Clotilde, reine des Francs, fit venir ses quatre fils à Lutèce et leur dit : « Seigneurs, vous savez que le roi Gondebaud, mon oncle, fit mourir mon père et ma mère pour s’emparer de leur terre, le royaume de Bourgogne. Il a détenu sa vie durant le royaume qui devait me revenir à moi. Depuis sa mort, son fils Alardin, mon cousin, le détient, avec l’accord de monseigneur le roi Clovis, mon mari. Maintenant qu’Alardin est mort, ses deux frères, Sigismond et Gudomar le tiennent par la force. Devant cette situation, je m’étonne grandement que, vous, qui êtes si puissants, vous ne repreniez pas par la force le royaume de Bourgogne, qui, par moi, doit vous appartenir, à vous ».

[Franchois ont desconfis les Borgengnons] Quant les enfans entendirent leur mere, sy regardent que elle disoit veriteit ; si s'aloient ensemble et jorarent la mort Sygemon et Gontemars, et entrarent en la terre de Borgongne à grant gens. Mains les dois freres, Sygemon et Gontemars, vinrent contre eaux et orent batalhe ensemble ; mains les Borgengnons furent desconfis, et si fut Sygemon pris depart le roy Clodemeire qui le mist en prison à Orlins, et puis l'ochist et le jettat en I puche. Mains sains Aviens, evesque d'Orlins, le rewastat fours et l'ensevelit sour Ie Roine, en l'engliese Sains-Meurisse qu'ilh avoit fondeit.

[Les Francs ont vaincu les Bourguignons] Quand les fils eurent entendu leur mère, ils estimèrent qu’elle disait la vérité. D’accord entre eux, ils jurèrent la mort de Sigismond et de Gudomar et pénétrèrent en terre de Bourgogne avec des troupes nombreuses. Mais Sigismond et Gudomar, les deux frères, marchèrent contre eux et leur livrèrent bataille. Les Bourguignons furent défaits. Sigismond fut capturé par le roi Clodomir, qui l’emprisonna à Orléans, puis le tua et le jeta dans un puits. Toutefois saint Aignan, évêque d’Orléans (cfr II, p. 120), l’en retira et l’ensevelit sur le Rhône, en l’église Saint-Maurice que Sigismond avait fondée.

Apres s'en alarent les IIII freres de Franche en Borgongne, et Gontemars soy combatit à eaux en mois de jenvier. Et là ochist Gontemairs Clodomier, le roy d'Orlins, de qu'en les III freres furent mult corochiés, et [II, p. 170] s'enforcharent tant que les Borgengnons furent desconfis ; si s'enfuit Gontemars droit en la citeit de Langres, où ilh s’encloiit ; mains les III freres l'assegarent dedens, se le prisent et l'ochisent. Enssi fut conquestée la royalme de Borgongne, et adjonte al royalme de Franche.

Ensuite, les quatre frères s’en allèrent en Bourgogne. Gudomar les combattit en janvier et tua Clodomir, le roi d’Orléans, ce qui irrita grandement ses trois frères [II, p. 170]. Ils engagèrent tellement de forces que les Bourguignons furent vaincus. Gudomar s’enfuit droit dans la cité de Langres, où il s’enferma. Mais les trois frères l’y assiégèrent, s’emparèrent de lui et le tuèrent. C'est ainsi que le royaume de Bourgogne fut conquis et rattaché au royaume franc.

Item, l'an IIIIc LXXII reportat le roy Childebert son royalme en le main del roy Clotaire, son frere ; si fut coroneis à Soison.

En l’an 472, le roi Childebert remit son royaume dans les mains de son frère, le roi Clotaire, lequel fut couronné à Soissons.

[De corps sains Marke, ewangeliste] En cel an des marchans aportarent le corps sains Marke ewangeliste, de Alixandre en la citeit de Venise.

[Le corps de saint Marc évangéliste] Cette année-là, des marchands apportèrent le corps de saint Marc l’évangéliste d’Alexandrie à Venise.

 

Les Danois de Julien échouent à conquérir le royaume de Thuringe qui appartenait à Théodoric Ier / Thierry I (fils de Clovis) et que Julien avait donné à son fils Cochelais en lui promettant de le conquérir - Les Danois sont vaincus, Julien et Clochelais sont tués, Hector, l’autre fils de Julien, devient roi de Danemark - Arras est presque entièrement détruite par la foudre - L’empereur d'Orient Zénon succède à son père Léon - Construction de l’église Saint-Étienne à Rome par le pape Simplice - Succession à Louvain - Clotaire Ier nomme duc d’Aquitaine un de ses fils Chramne - Ordonnances papales - Waccho, premier roi de Lombardie - Radegonde, la reine des Francs, fonde une abbaye de religieuses à Poitiers, où elle deviendra nonne et mourra saintement (ans 473-477 de l'Incarnation)

[II, p. 170] [Batalhe] Item, l'an IIIIc et LXXIII, assemblat ly roy Julin de Dannemarche ses hommes, et entrat en la terre de Turinge, qui apartinoit à roy Theoderich d'Austrie, car Julin l'avoit donneit son fis Clochelais et ly avoit enconvent de conquere ; mains ly roy Theoderich li defendit et le corut sus, et là oit fort batalhe, mains les Danois furent desconfis, et Julin et Clochelais ochis. Si fut fais roy de Dannemarche Ector, li aultre fis Julin qui astoit ly anneis, qui regnat LVI ans.

[II, p. 170] [Bataille] En l’an 473, le roi Julien de Danemark (cfr II, p. 157) rassembla ses hommes et pénétra dans le royaume de Thuringe, qui appartenait au roi Théodoric d’Austrasie (cfr II, p. 168). C’est que Julien l’avait donné à son fils Clochelais et lui avait promis de le conquérir. Mais le roi Théodoric se défendit et l’attaqua. Une grande bataille eut lieu : les Danois furent vaincus ; Julien et Clochelais furent tués. Hector, l’autre fils de Julien, qui était l’aîné, devint roi de Danemark et régna cinquante-six ans.

[Effoudre] En cel an meismes le XIIIe jour d'awost, chaiit une effoudre sus la citeit de Aras, et fut presque tout arse.

[Foudre] Le 13 août de cette même année, la foudre tomba sur la cité d’Arras qui fut incendiée presque entièrement.

[Zenon, li LIIIe emperere de Romme] En cel an en mois de fevrier le VII jour, morut ly emperere de Romme Lyon ; puis fut coroneis son fis Zenon, qui regnat X ans II mois et XII jours.

[Zénon, cinquante-troisième empereur de Rome] En cette année [473], le 7 février, l’empereur de Rome, Léon, mourut ; ensuite fut couronné son fils Zénon, qui régna pendant dix ans, deux mois et douze jours.

Léon Ier meurt en 474 de notre ère. Son fils, mineur, lui succède sans régner sous le nom de Léon I, et meurt après 10 mois. Zénon, dit l'Isaurien, prend alors le pouvoir, et règne de 474 à 491 de notre ère.

[Del englise Sains-Estiene] Item, l'an IIIIc LXXIIII en mois de may, commenchat li pape Supplicius à edifier une mult belle engliese à Rome en l'honeur de sains Estiene, le prothomartyr, deleis la capelle Sains-Lorent d'unne part et la capelle Sains-Lubiane del altre part, où son corps gieste awec IIIIm IIc et LXXII corps sains.

[L’église Saint-Étienne] En l’an 474, au mois de mai, le pape Simplice commença à construire à Rome, en l’honneur de saint Étienne, le premier martyr, une très belle église, près de la chapelle Saint-Laurent d’un côté, et de l’autre, près de la chapelle Sainte-Bibiane, où elle repose avec quatre mille deux cent et soixante-douze corps de saints.

[De Lovay] En cel an morut ly prinche de Lovay, qui oit nom Gilbons, si fut prinche apres luy unc chevalier qui fut nomeis Clodus.

[Louvain] Cette année-là [474] mourut le prince de Louvain, dénommé Gilbons ; après lui, le prince fut un chevalier appelé Clodus.

[D’Aquitaine] Item, l'an IIIIc et LXXV, fist ly roy de Franche Clotaire duc d'Aquitaine de Cramus, unc sien fis bastars qui mult astoit bon chevalier.

[En Aquitaine] En l’an 475, le roi franc Clotaire Ier nomma duc d’Aquitaine, Chramne, un de ses fils, un bâtard, qui était un excellent chevalier (cfr II, p. 179). 

Avec ce Crannes des Chroniques de Saint-Denys, le Chramnus des Chroniques latines, on voit ici apparaître un personnage d'origine royale (un bâtard de Clotaire que son père avait nommé duf d'Aquitaine) qui jouera un grand rôle dans la suite. Il en est beaucoup question déjà chez Grégoire de Tours (I, p. 181, 182, 188, 189, 193-204 ; II, p. 323, trad. Latouche). Il fera la guerre à son père qui ordonnera son exécution par le feu avec femme et enfants. L'événement a certainement ému les contemporains, car Marius d’Avenches, généralement très concis, le raconte avec force détails (Chronique, M.G.H., A.A., t. XI, ed. Mommsen, p. 237). On apprend ici que ce personnage, ambitieux et arrogant, va demander à Clotaire plus de terres, en l'espèce le Brabant, qui deviendrait possession de son « fils aîné Paris, âge de onze ans et excellent jouteur ». Chramne entend bien succéder à son grand père Clotaire, comme roi des Francs. Devant le refus catégorique de Clotaire, Chramne qui avait déjà plus haut menacé son père va maintenant lui faire la guerre. C'est moins Chramne le père  un personnage historique, que le fils, personnage inventé, qui doit attirer l'attention car il va faire entrer le récit dans le monde des légendes de la Table ronde. et du roi Arthur (déjà apparu plus haut dans le Myreur cfr II, p. 165 et I, p. 127 et 403). Plus loin, en II, p. 207 (Ref), ce Paris évoquera son père sous le nom de Cramynus.

[Status de pape - De V regions] En cel an ordinat ly pape que, en l'engliese Sains-Pire et Sains-Poul, que VII preistre cascunne samaine demorassent là por les penitans à confesseir et baptisier, et si fist V regions qui divident les preistres de la citeit : le promier at Sains-Pire, le seconde at Sains-Poul, le tirche at Sains-Lorent, le IIIIe at Sains-Johan de Latran et le Ve at Sainte-Marie-Ie-Maiour.

[Ordonnances papales - Les cinq régions] Cette année-là [475), le pape [Simplice] ordonna que chaque semaine sept prêtres soient présents dans l’église Saint-Pierre et Saint-Paul, pour confesser et baptiser les pénitents. Il créa aussi cinq régions qui se partageaient les prêtres de la cité : la première était Saint-Pierre, la seconde Saint-Paul, la troisième Saint-Laurent, la quatrième Saint-Jean de Latran et la cinquième Sainte-Marie-Majeure.

[Le promier roy de Lombardie, Warcho] Item, l'an IIIIc et LXXVII, [II, p. 171] commencharent les Lombars à faire unc roy, et fut ly promirs nomeis Warcho, qui fut une bon chevalier, et tient le chief de son rengne à Pavie.

[Le premier roi de Lombardie, Waccho] En l’an 477, [II, p. 171] les Lombards se mirent à nommer un roi. Le premier désigné fut Waccho, qui fut un bon chevalier. Il installa la capitale de son royaume à Pavie.

Lombards : En I, p. 2, Jean cite Paul Diacre (VIIIe siècle) parmi ses sources, mais ce qu'il écrit dans cette notice ne correspond pas aux données de l'Histoire des Lombards de Paul Diacre (VIIIe siècle). Dans ce texte en effet,  le premier roi que se choisirent les Lombards pour remplacer les ducs qui les dirigeaient jusqu'alors s'appelait Agelmundus (I, 14), Waccho ne fut que le huitième des rois lombards. S'agissant de rois légendaires, ce ne serait là qu'un détail négligeable si Jean n'avait pas avancé des précisions chronologiques et topographiques.

C'est qu'on connaît assez bien l'histoire des Lombards, un peuple d'origine germanique descendaznt du Nord. Nous savons avec certitude qu'en 477 de l'Incarnation, les Lombards n'étaient pas encore passés en Italie. Au début du VIe siècle, on les trouvait dans la région du moyen Danube. Ils contrôlaient la Pannonie, avaient adopté l’arianisme et servaient occassionnellement d'alliés plus ou moins fiables à un Justinien engagé dans les guerres d'Italie. Cela dura jusqu'en 568, date à laquelle, effrayés par la puissance Awar, les Lombards émigrent en masse en Italie, sous leur roi Alboïn, et s'installent un peu partout dans la péninsule, bouleversant, voire dominant à certains moments et à certains endroits, une Italie que d'ailleurs  « beaucoup connaissent, ayant participé à la reconquête justinienne qui, au terme de près de 25 années de guerres, avait fini par rendre la péninsule aux Romains d’Orient.» Pavie fut effectivement une de leurs capitales.

On retrouvera plus loin (II, p. 261) ces Lombards d'Italie, dont l'histoire est fort compliquée, notamment dans leurs rapports avec la Papauté et les Francs. Il fallait simplement marquer ici que Waccho ne fut pas le premier roi lombard et qu'il n'installa pas sa capitale à Pavie en l'an 477 de l'Incarnation.

Un dernier mot concernant le nom du roi. A. Borgnet, dans son édition, écrit Warcho, mais note les variantes existantes : « Waco dans Aimoin, Wacon dans les Chroniques de Saint-Denis ».  Paul Diacre, dans son Histoire des Lombards, utilisait la graphie Waccho. C'est cette dernière que nous avons adoptée.

En cel an fondat la royne de Franche Radegonde une belle abbie de nonains à Poitiers, où puis elle fut nonne et y morut saintement.

Cette année-là, la reine des Francs Radegonde fonda une belle abbaye de religieuses à Poitiers, où par la suite elle fut nonne et où elle mourut saintement (cfr II, p. 168).

 

Merlin en Grande-Bretagne - Théodebert (Thibert), fils de Théodoric (Thierry), fait des expéditions en Lombardie et en  Italie - Hongrie - Les évêques de Tongres : Sulpice et Quirille - Clotaire et ses Francs attaquent les Lombards de Waccho qui sont vaincus - La Lombardie devient tributaire de Clotaire - Ordonnance papale - Clotaire conquiert Angers - Mort du pape Simplice - Désignation du pape Félix III (ans 478-482 de l'Incarnation)

[II, p. 171] [De Merlin - La virge conchut de dyable] Item, l'an IIIIc et LXXVIII, regnoit en grant honeur Merlin en la Grant-Bretangne, qui fut fis del filhe de roy, une sainte nonain ; mains son peire fut unc dyable, car sa mere astoit en l'engliese Sains-Pire à Carlon entre les nonains, et disoit qu'elle n'avoit oncques esteit connuit charnelment d'homme ; mains uns hons ly vient devant en belle fourme qui le porsuoit, et bien sovent se le baisoit et l'acoloit, tant qu'ilh le lassat grosse.

[II, p. 171] [Merlin - La vierge conçut d’un diable] En l’an 478, Merlin vivait très honoré en Grande-Bretagne. C’était le fils de la fille du roi, une sainte nonne, mais son père était un diable. Sa mère se trouvait à Caerleon (II, p. 182 et p. 257), en l’église Saint-Pierre, parmi les nonnes. Elle disait qu’elle n’avait jamais été connue charnellement par un homme. En fait un homme, de belle apparence, lui apparaissait et la poursuivait ; bien souvent il l’embrassait et l’étreignait, tant et si bien qu’il l’engrossa.

[Del enfant qui fut sens peire] Et quant ly roy de Bretangne edifioit unc chasteal, ilh chaioit par nuit tout chu que ses ovriers avoient fait par jour ; si dessent les grans philosophes al roy, qui avoient envie sour Merlin, que s'ilh avoit de sanc d'onne enfant qui fust neis sens pere, que ilh troveroit bien en son rengne se ons le queroit, ly ovraige remanroit.

[L’enfant sans père] Quand le roi de Bretagne construisait un château, tout ce que ses ouvriers avaient fait pendant la journée s’écroulait pendant la nuit. Les grands sages, envieux de Merlin, dirent au roi que les travaux resteraient debout si on disposait du sang d’un enfant né sans père et qu’on pourrait en trouver un dans le royaume si on le cherchait.

Et le roy le fist querire ; et enssi que ons le queroit, si avient que Merlin soy combattoit de parleirs à uns altre garchon, chis garchon nomat Merlin aoutron sens peire. Quant cheaux l'entendirent, se prisent Merlin et l'amenont al roy ; et là dest Merlin chu qu'ilh falloit al edification de casteal et le mettit en veriteit, tant qu'ilh fut quitte de la mort. Et lyst-ons de luy tant de mervelhes ens es histoirs de Bretangne, que mult longe seroient del racompteir.

Alors le roi le fit chercher. Et il arriva que les gens chargés de cette mission surprirent une dispute entre Merlin et un autre garçon, qui le traitait d’enfant adultérin sans père. En entendant cela, les enquêteurs saisirent Merlin et l’amenèrent au roi. Et là, Merlin expliqua au roi ce qui manquait à l’édification du château, et cela se vérifia si exact que Merlin échappa à la mort. À son sujet, on lit tant de choses prodigieuses dans les histoires de Bretagne, que ce serait très long à raconter.

[II, p. 171] [Theodebers conquist mult en Lombardie et en Ytalie] L'an IIIIc et LXXIX, s'avisat Theodebers, ly fis le roy Theoderich d'Austrie, et s'en allat à grant gens sour les Lombars. Et passat les mons, si vint en Ytale, sy soy combattit II fois aux Lombards et Ytaliens, et les desconfist ; si conquist sor eaux vilhes et casteals à sa volenteit, et fist toute la terre de Alpes, c'on dist montangnes, retributaire à li jusques à la mere, puis se revient arriere al mandement de son pere qui le remandat ; mains ilh laisat Bucellus, son senescal, là por ly, et ly [II, p. 172] commandat à conquerre la royalme de Zesilhe et le paiis là entour.

[II, p. 171] [Théodebert fit beaucoup de conquêtes en Lombardie et en Italie] En l’an 479, Théodebert (cfr II, p. 177-178), fils du roi Théodoric/Thierry d’Austrasie, décida de partir avec d'importantes troupes attaquer les Lombards. Il traversa les montagnes et arriva en Italie. Par deux fois, il affronta les Lombards et les Italiens qu'il vainquit. Il soumit à sa volonté villes et places fortes, et imposa le tribut à tout le territoire qui va des Alpes, c’est-à-dire des montagnes, jusqu’à la mer. Puis il se retira, son père lui ayant donné l’ordre de rentrer. Toutefois il laissa Buccelin, son sénéchal, pour le remplacer et lui [II, p. 172] ordonna de conquérir le royaume de Sicile et le pays environnant.

[Ly patris de Romme reconquist le paiis] Mains de chu ilh fallit, car ly patris de Romme vient encontre ly, se l'ochist en batalhe et reconquist tout chu que Theodebers avoit conquis.

[Le patrice de Rome reprit le pays] Cependant, il échoua, car le patrice de Rome vint le combattre et le tua dans la bataille, récupérant tout ce qu’avait conquis Théodebert.

Note Bo, p. 171, n. 5 : « Le chroniqueur fait allusion à une première expédition de Théodebert [ou Thibert], petit-fils de Clovis, en Italie en 540, non contre les Langobards, mais pour empêcher la restauration de la domination impériale en Italie. Buccelin, le chef qu’il laissa après son départ, livra à Narses (le patris de Rome) en 554 une grande bataille dans la Campanie, bataille qu’il perdit, et où il périt avec la plus grande partie de ses soldats ».

Sur cette expédition en Italie, cfr Grégoire de Tours, III, 32 et Liber historiae Francorum, ch. 26, p. 88-89, éd. Lebecq, avec les notes. Dans l'Histoire, l'expédition, mentionnée ici, de Théodebert en Italie, eut lieu en 539 n.è. « Commanditée par Justinien, elle visait en fait à soutenir la reconquête byzantine de l'Italie du Nord aux dépens des Ostrogoths ». Elle n'avait donc rien à voir avec les Lombards ». L'auteur du LHF les avait déjà introduits abusivement dans le récit de Grégoire qu'il résumait. ‒ La notice qui suit sur l'expédition de Clotaire en Lombardie, la défaite de Waccho et l'imposition du tribut aux Lombards doit être une invention de Jean, dans la prolongation des notices précédentes. Rappelons qu'à cette époque (an 480 de l'Incarnation), les Lombards n'occupaient pas encore l'Italie. ‒ On retrouvera la Lombardie et les Lombards, en II, p. 261, avec des notes et des renvois aux autres passages du livre premier traitant de ce peuple.

[De roy de Hongrie] En cel an morut ly roy de Hongrie Ogiers : si fut roy apres luy Julin, son fis, qui regnat XXXIII ans.

[Le roi de Hongrie] En cette année mourut Ogier, le roi de Hongrie. Son fils Julien lui succéda et régna trente-trois ans.

[II, p. 172] [De Quirillus, le XVIe evesque de Tongre] Item, l'an IIIIc et IIIIxx, en mois de marche, morut à Treit sains Suppliciiens : si fut esluis evesque XVIe par le capitle Quirillus, le fis Quirillus le conte de Nammut del filhe le conte de Arche ou Dynant qui fut nomée Elie. Et astoit Quirillus doyens delle engliese de Treit, si regnat XL ans.

[II, p. 172] [Quirille, seizième évêque de Tongres] En l’an 480, au mois de mars, saint Sulpice (II, p. 164) mourut à Maastricht. Le chapitre élut comme seizième évêque Quirille, le fils de Quirille, comte de Namur, et de la fille du comte d’Arche ou Dinant (I, p. 450), qui s’appelait Élie. Quirille était le doyen de l’église de Maastricht et régna pendant quarante ans.

[Ly roy franchois at desconfis les Lombars et les mist en tregut] En cel an alat ly roy Clotaire de Franche en Lombardie à grant gens. Si vient contre luy Warcho, ly roy de Lombardie ; si orent batalhe ensemble, mains les Lombars furent desconfis ; si conquist ly roy Clotaire grant terres sour eaux, mains ly roy Warcho ly mandat qu'ilh laisast son rengne et ilh le tenroit de luy en tregut, si l'en renderoit cascon an XXII mars d'argent. Et ly roy Clotaire ly otriat, si retournat en Franche.

[Le roi franc défit les Lombards et en fit ses tributaires] Cette année-là [480], le roi des Francs Clotaire alla en Lombardie avec une grande armée. Le roi de Lombardie Waccho marcha contre lui. Les Lombards furent vaincus et le roi Clotaire conquit beaucoup de leurs terres. Cependant le roi Waccho lui fit savoir qu’il lui laisserait son royaume, le tiendrait de lui moyennant tribut et lui verserait chaque année vingt-deux marcs d’argent. Le roi Clotaire accepta et retourna chez lui.

[Status papales] Item, l'an IIIIc IIIIxx et I, ordinat ly pape que nus clers ne presiste vestures ne altres benefis, à lays personnes ou les seculeirs patron.

[Ordonnance papale] En l’an 481, le pape (Simplice) défendit à tout clerc d’accepter investitures ou autres bénéfices de personnalités laïques ou de patrons séculiers.

Simplice, pape de 468 à 483 n.è. À ce propos, Martin d'Opava (Chronique, p. 419) note : Et constituit, ut nullus clericus investituras a layco recipiat.

En cel an conquestat ly roy Clotaire de Franche la citeit de Angiers, si butat ens le feu et ochist le conte, qui oit nom Pel.

Cette même année, le roi franc Clotaire fit la conquête de la ville d’Angers (?), y bouta le feu et en tua le comte, qui portait le nom de Paul.

Note de Bo : « Jean d’Outremeuse a postdaté d’un demi-siècle environ les faits du règne de Clovis, à la mort duquel il assigne la date de 467 (468 ?, d'après II, p. 166) au lieu de 511. Il en résulte que, trouvant l’incendie d’Angers à la date de 481, il l’attribue non à Childéric, père de Clovis, mais à Clotaire Ier, l’un de ses fils. » Cfr chronique de Sigebert de Gembloux sous cette année 481.

(II, p. 172] (Felix le LIe pape] Item, l'an IIIIc et IIIIxx et II le secon jour de marche, morut Supplicius, ly pape de Romme ; si fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire asseis pres de sa tumbe. Et vacat ly siege V jours, et al VIIIe jour de marche fut consacreis à pape uns cardinais qui fut de la nation de Romme, le fis d'unc senateur qui oit nom Felix, Iyqueis pape oit à nom Felix li thirs de chi nom. Et Orosius dist que Felix fut li fis de (II, p. 173] unc preistre qui fut de la region de Faciol à Romme, et tient le siege IX ans XI mois et XVII jours.

(II, p. 172] (Félix, cinquante et unième pape] En l’an 482, le 2 mars, Simplice, le pape de Rome mourut. Il fut enseveli dans l’église Saint-Pierre, près de la tombe de Pierre. Le siège resta vacant cinq jours. Le 8 mars fut consacré pape un cardinal originaire de Rome, fils d’un sénateur dénommé Félix. Ce nouveau pape fut appelé Félix, troisième de ce nom. Orose dit que Félix était le fils (II, p. 173] d’un prêtre de la région de Fasciola (Fiesole ?) à Rome et qu'il occupa le siège pontifical durant neuf ans, onze mois et dix-sept jours.

Félix III, pape de 483 à 492 n.è.

 

Le roi Amalaric et son épouse Clotilde en Espagne - Intervention armée de deux des frères de Clotilde, Clotaire et Childebert - Les troupes d'Amalaric sont défaites - Le roi, qui s'enfuit, est tué par un chevalier, Guiscard de Soissons (ans 482-483 de l'Incarnation)

 [II, p. 173] En cel an envoiat Clotilde, la royne d'Espangne, unc conte et XXIII chevaliers à ses freres, qui tous trois furent troveis d'aventure à Lutesse, lesqueis messagiers dessent aux freres que leur soreur, ma damme d'Espangne, les mandoit qu'elle estoit mariée à unc mal tyrant sarasiens, qui le haioit et ly faisoit grant despit, portant qu'elle astoit cristiene et que son peire le roy Cloveis ly ayoit ochis son peire : car quant elle alloit al mostier por faire ses orisons, son marit li faisoit jetter, après lée et sour lée, le bru et le merde qui gisoit par les rues. Et monstrarent les messagiers aux freres la merde qu'ilh avoient aporteit loyet en unc drap.

[II, p. 173] Cette année-là [482], Clotilde, la reine d’Espagne, envoya à ses frères, qui tous trois se trouvaient par hasard à Lutèce, un comte escorté de vingt-trois chevaliers. Ces messagers vinrent dire aux frères que leur sœur, Madame d’Espagne, leur faisait savoir qu’elle était mariée à un méchant tyran païen (Amalaric ; cfr II, p. 166), qui la haïssait et la tourmentait beaucoup parce qu’elle était chrétienne et parce que son père (à elle), le roi Clovis, avait tué son père (à lui, Alaric, à Vouillé ; cfr II, p. 162). Ainsi, quand elle allait au monastère pour y prier, son mari faisait jeter vers elle et sur elle la boue et les ordures qui se trouvaient dans les rues. Les messagers montrèrent aux frères les saletés qu’ils avaient apportées, enveloppées dans un drap.

Adont orent les trois freres grant despit, et dessent qu'ilh ne poroient chu soffrir ; et assemblarent leurs oust les dois, assavoir Clotaire et Childebers, car ly roy Theoderich avoit guere en Austrie son pays, si n'y alat mie. Et ses dois freres soy misent à la voie vers Espangne ; et quant ilhs y furent venus, si commencharent la guere et à destruire vilhes, casteals, tout à leur volenteit.

Les trois frères, outrés, dirent qu’ils ne pourraient pas tolérer cela. Deux d’entre eux, Clotaire et Childebert, rassemblèrent leurs armées, car le roi Théodoric qui avait une guerre à gérer en Austrie, son pays, ne prit pas part à l’expédition. Ses frères prirent la route de l’Espagne et, une fois arrivés là, se mirent à guerroyer et à détruire villes, places fortes, comme ils l’entendaient.

[Les Franchois ont desconfis le Espangnois et ochis le roy Amalarich] Mains ly roy Amalarich assemblat ses hommes, si vient encontre eaux, si orent batalhe ensemble ; mains les Espangnois furent tous desconfis, et ly roy Amalarich s'enfuit, et les Franchois le suirent : si avient que Guicar de Soison, unc noble chevalier, l'atendit al entrée de unc mostier où ilh voloit entreir, se l’ochist de une lanche. Enssi fut ochis ly roy Amalarich d'Espangne.

[Les Francs défirent les Espagnols et tuèrent le roi Amalaric] Mais le roi Amalaric rassembla ses troupes, marcha contre eux et leur livra bataille. Les Espagnols furent tous défaits ; le roi Amalaric s’enfuit et les Francs le suivirent. Il se fit que Guiscard de Soissons, un noble chevalier, attendit le fuyard à l’entrée d’un couvent où il voulait entrer et le tua d’un coup de lance. Ainsi mourut le roi Amalaric d’Espagne.

Amalaric : comme le note Bo, Amalaric a été tué en 531 de notre ère et non en 483, comme l'écrit Jean d'Outremeuse, qui continue à rester d’un demi-siècle environ en arrière.

[Les Franchois amynont le tressoir d’Espangne et la royne en Franche] Puis entrarent les II roys franchois en Saragosse la citeit, et prisent tout le tressour le roy qui là astoit, si l’aportarent en Franche awec eaux, et ramynarent leur soreur Clotilde ; mains elle morut sour le chemyen en pays de Gascongne ; si fut son corps raporteis à Lutesse, et fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire.

[Les Francs ramenèrent chez eux le trésor et la reine d’Espagne] Après cela les deux rois francs pénétrèrent dans la cité de Saragosse, mirent la main sur tout le trésor du roi qui s'y trouvait et le rapportèrent avec eux. Ils ramenèrent aussi leur sœur Clotilde mais elle mourut en chemin, en terre de Gascogne. Son corps fut rapporté à Lutèce et enseveli dans l’église Saint-Pierre (fondation de Clovis, cfr II, p. 166).

Quant ly roy Childebers fut revenus à Lutesse, si donnat à l'engliese Sains-Vincent, qu'ilh avoit devant fondée, toute le siene part del tressoire qu'ilh avoit conquesteit en Espangne ; et si y donnat oussi le estole (corr. Bo) sains Vincent, que ly evesque de Saragosse ly avoit donneit. Et [II, p. 174] fut cest desconfiture devant-dit en Espagne, sour l'an IIIIc IIIIxx et III en mois de julle.

Quand le roi Childebert fut revenu à Lutèce, il fit don à l’église Saint-Vincent, qu’il avait précédemment fondée, de l’intégralité de sa part du trésor conquis en Espagne.  il donna aussi l’étole de saint Vincent (cfr II, p. 51) que lui avait offerte l’évêque de Saragosse. Cette [II, p. 174] défaite en Espagne, dont on vient de parler, eut lieu en l’an 483, au mois de juillet.

 

Mort de l'empereur romain Zénon, remplacé par son frère Anastase - Le pape Félix condamne l'évêque d'Alexandrie pour ses hérésies - En Afrique, les Vandales persécutent les chrétiens - Le pape Félix construit à Rome une église en l'honneur de saint Agapit - En Afrique, le roi des Vandales exile de nombreux évêques - Ordonnance du pape Félix (ans 483-486 de l'Incarnation)

[II, p. 174] [Anastaise ly LIIIIe emperere] En cel an en mois de avrilh, le XIXe jour, morut à Romme ly emperere Zenon ; si fut apres resluis son frere Anastase, fis à l'emperere Lyon, qui regnat XXXIII ans, VIII mois et XIX jours. Chis Anastase fut chis qui portat al roy Cloveis de Franche, en la citeit de Tours, la coronne et les vestimens que son peire ly emperere Lyon ly envoioit sicom consule et Auguste de Romme.

[II, p. 174] [Anastase, cinquante-quatrième empereur] Cette année-là [483], le 19 avril, l’empereur Zénon mourut à Rome. Fut élu après lui son frère Anastase qui était le fils de l’empereur Léon et qui régna trente-trois ans, huit mois et dix-neuf jours. Cet Anastase fut celui qui apporta dans la cité de Tours au roi des Francs Clovis, la couronne et les vêtements que son père, l’empereur Léon, lui envoya, en le faisant consul et Auguste de Rome (cfr II, p. 164).

En cel an condempnat ly pape Felix Piron, l'evesque d'Alixandre, qui astoit plains de heresies.

Cette année encore [483], le pape Félix condamna Pierre, l’évêque d’Alexandrie, pour ses nombreuses hérésies.

[II, p. 174] [Des Wandales - Grant persecution sour les christiens] Item, l'an IIIIc et IIIIxx et IIII commencharent à regneir ès parties d'Affrique une manere de gens qui s'apelloient Wandales ; si avoient unc roy qui avoit nom Honoriiens. Ches Wandaliens destrurent mult de terres et beals pays en la terre d'Affrique, et par especial ilhs destrurent sainte Englise et les cristiens mult oriblement.

[II, p. 174] [Les Vandales - Grande persécution contre les chrétiens] En l’an 484 commencèrent à régner, dans certaines parties de l’Afrique, des gens appelés Vandales. Ils avaient un roi du nom d’Hunéric. Ces Vandales dévastèrent beaucoup de terres et de beaux pays en Afrique. En particulier, ils s’attaquèrent à la Sainte-Église et aux chrétiens, provoquant d’horribles dégâts.

Vandales : Un article entier dans les FEC, t. 48, 2024, a été consacré à la vision que Jean d'Outremeuse se fait des Vandales dans le Myreur des Histors.

En cest an fist edifier li pape Felix une engliese en l'honeur de sains Agapit, deleis le basilique Sains-Lorent à Romme, et le consecrat le XIIIe jour de novembre.

Cette même année [484], le pape Félix fit construire une église en l’honneur de saint Agapit, près de la basilique Saint-Laurent à Rome. Il la consacra le 13 novembre.

[Mult des evesques furent envoiet en exilhe] Item, l'an IIIIc et IIIIxx et V en mois de may, fist ly roy des Wandaliens unc conciel en Affrique de IIIIc et XLIIII evesques, en fourme de bonne paix qu'ilh voloit avoir à eaux, enssi qu'ilh les avoit mandeit ; mains quant ilhs furent tous ensembles, se les envoiat en exilhe mult destroitement. Enssi fut et demorat mult cleire sainte Engliese, et fut ly serviche de Dieu enpechiet vilainement.

[Beaucoup d’évêques furent envoyés en exil] En 485, au mois de mai, le roi des Vandales réunit en Afrique un concile de quatre cent quarante-quatre évêques, pour établir une paix solide avec eux. C’est ce qu’il leur avait fait savoir ; mais, quand ils furent tous rassemblés, il les envoya très durement en exil. La Sainte-Église se trouva et resta fort clairsemée, et le service divin fut vilainement empêché (cfr aussi II, p. 179).

[Status papales] Sour l'an IIIIc et IIIIxx et VI ordinat li pape Felix que tout les englieses que ons edifieroit dedont en avant, fussent consecreez par l'evesque delle dyoceise en laqueile li engliese seroit fondée.

[Ordonnance papale] En l’an 486, le pape Félix ordonna que toutes les églises que l’on construirait dorénavant soient consacrées par l’évêque du diocèse dans lequel elles seraient fondées.

 


 

 

  D. Ans 486-493 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 174-181

 

LES FILS DE CLOVIS (SUITE)

 

RÔLE DE CLOTILDE - SA MORT - GUERRES DES FRANCS CONTRE LES SAXONS - CLOTAIRE Ier RESTE LE SEUL ROI DES FRANCS - CHRAMNE, FILS BÂTARD DE CLOTAIRE

 

 

 

Sommaire du texte

   * Rôle de Clotilde, veuve de Clovis, après la mort de Clodomir - Celui-ci laisse trois enfants (Clodoald, Gunthar/Gonthier et Théodebald/Thibaut) élevés à Tours par leur grand-mère Clotilde - Childebert et Clotaire, deux des autres fils de Clovis, craignant qu’elle ne veuille en faire plus tard des rois, s’en débarrassent - Clotaire tue les deux aînés, le cadet échappe à la mort et deviendra moine, tout cela à la grande tristesse de Clotilde (486-487)

    * Une guerre pour la succession de la terre d'Orléans éclate entre les trois frères restants - Clotaire demande l'aide de Dieu et Clotilde prie régulièrement à Tours sur la tombe de saint Martin - Miracle de Dieu sous forme d’une tempête violente qui ne frappe que les armées de Childebert et de Théodoric, épargnant celles de Clotaire, avec lequel les deux frères font la paix - Mort de Clotilde ensevelie à Lutèce en l’église Saint-Pierre, à côté de Clovis - Sainte Geneviève est ensevelie dans la même église (487-489)

   * Les Francs de Théodoric et de Théodebert (Metz) entrent en guerre contre les Saxons du roi Ysconart, que viennent assister les Autrichiens du roi Godonas - Batailles racontées sur un mode épique - Mort de Théodoric et de Théodebert - Victoire des Autrichiens et des Saxons qui partent assiéger Metz - Mais les rois francs Clotaire et Childebert viennent au secours des Messins et mettent les assaillants en déroute - Les rois d’Autriche et de Saxe sont tués mais le roi Childebert meurt aussi dans la bataille - Clotaire part alors ravager l’Autriche et  la Saxe, puis retourne à Metz où il fait ensevelir les corps de Théodoric et de Théodebert - Il revint ensuite dans son pays avec le corps de Childebert, qui est enseveli à Lutèce - Clotaire Ier reste le seul roi des Francs, maître de toutes les terres qu’avait détenues Clovis (489-491)

   * Les grands personnages de l’époque - Ordonnance du pape Félix - Mort de Félix et élection du pape Gélase - Pluie de sang en Afrique où l’Église était malmenée par les Vandales (vers 491-492)

   * Chramne, fils bâtard du roi Clotaire Ier qui l’a fait duc d’Aquitaine, entre en conflit armé avec son père qui lui avait refusé plus de terre - Battu, Chramne part en Petite-Bretagne demander de l’aide à son beau-père, le duc Chonober (Conomor) - Celui-ci vient  attaquer Clotaire - Les Bretons sont vaincus, Chonober (Conomor) est tué et Chramne, fait prisonnier, est brûlé sur l’ordre de son père - Un des fils de Chramne, le noble chevalier Paris, s’enfuit en Grande-Bretagne, où il sert le roi du moment aux côtés d’Arthur, le futur roi de Grande-Bretagne - Il jure de se venger cruellement des Francs et de revendiquer pour lui le trône de Clotaire, lorsque celui-ci mourrait - Clotaire fait enterrer vive l’épouse de Chramne et noyer ses quatre autres enfants - Note finale de Jean sur l’existence de Chramynus, un autre fils de Clotaire, légitime celui-là, duc de Brabant, qui fut décapité par Clotaire et qui avait aussi un fils du nom de Paris, réfugié en Grande-Bretagne (492-493)

 

Rôle de Clotilde, veuve de Clovis, après la mort de Clodomir - Celui-ci laisse trois enfants (Clodoald, Gunthar/Gonthier et Théodebald/Thibaut) élevés à Tours par leur grand-mère Clotilde - Childebert et Clotaire, deux des autres fils de Clovis, craignant qu’elle ne veuille en faire plus tard des rois, s’en débarrassent - Clotaire tue les deux aînés, le cadet échappe à la mort et deviendra moine, tout cela à la grande tristesse de Clotilde (ans 486-487 de l'Incarnation)

[II, p. 174] [Des III enfans ly roy Clodomire] A cel temps astoit à Tours la royne Clotilde, la femme jadit al roy Cloveis de Franche, et tenoit là ; sy venoit pou à Lutesse, car elle amoit mult sains Martin. Et nourissoit là Cloduars, Gontars et Theoduars, les III enfans de son anneit fis Clodomiere, roy de Orlins, qui estoit ochis en Borgongne, sicom dit est.

[II, p. 174] [Des III enfants du roi Clodomir] En ce temps-là [486], la reine Clotilde, épouse comme on l'a dit du roi des Francs Clovis, se trouvait à Tours, où elle résidait. Elle venait peu à Lutèce, car elle était très attachée à saint Martin. Là elle élevait Clodoald, Gunthar (ou Gonthier) et Théodebald (ou Thibaut), les trois enfants de son fils aîné Clodomir, roi d’Orléans, qui avait été tué en Bourgogne, comme on l'a dit (cfr II, p. 169).

Si avient que ly roy Childebers de Soison s'avisat unc jour que sa mère amoit mult les enfans le roy Clodomière, son frere, et soy dobtat que ilh en temps advenir ilh n'en vosist faire roy, portant qu'ilh astoient del anneit [II, p 175] frere ; si vient al roy Clotaire et se li dest : « Chirs frere, vos saveis que ma damme la royne, nostre mère, aymet fortement nostre frere Clodomire, et si en voirat faire roy, oussi toist com ilh seront grans ; si soy poroient encors esleveir contre nos. Et portant si regardons chu que nos en porons faire : se nos les tonderons, ou nos les ochirons. »

Un jour le roi Childebert de Soissons s’avisa que sa mère aimait beaucoup les enfants du roi Clodomir. Il eut peur que, dans l’avenir, elle ne veuille en faire des rois, puisqu’ils étaient les enfants de son [II, p. 175] frère aîné. Il se rendit chez le roi Clotaire Ier et lui dit : « Cher frère, vous savez que Madame la reine, notre mère, qui aimait beaucoup notre frère Clodomir, voudra faire de ses enfants des rois, dès qu’ils seront grands. Ils pourraient alors se dresser contre nous. C’est pourquoi, voyons ce que nous pourrions en faire : les tonsurer ou les tuer. »

Et ly roy Clotaire, quant ilh oiit chu, se dest qu'ilh en fesist sa volenteit del tout, car chu qu'ilh en feroit chu ly plaisoit.

Quand il entendit cela, le roi Clotaire lui dit d'agir en tout comme il le voudrait, car, quoi qu’il fasse, cela lui plaisait.

[Coment on depoisoit les prinches anchinement] Or, deveis savoir que à cel temps astoit la constumme teile : quant ons voloit uns roy ou uns prinche priveir de sa saingnorie sens mort, ons le tondoit, et astoit moynes en une abbie où ilh usoit sa vie perpetuelment. Et durat cel usaige jusqu'à temps Karle Martel, qui fuit roy de Franche : si fut deposeis ly roy qui adont regnoit, et si fut tondus et mis en l'abbie de Sains-Denis deleis Paris, enssi com vos oreis.

[Comment on déposait les princes anciennement] Vous devez savoir qu’en ce temps-là, la coutume était la suivante : quand on voulait priver un roi ou un prince de sa seigneurie sans le mettre à mort, on le tonsurait. Il était alors moine dans une abbaye, où il vivait jusqu’à la fin de sa vie. Cette coutume persista jusqu’au temps de Charles Martel, qui fut roi des Francs. Le roi qui régnait alors fut déposé : il fut tonsuré et placé dans l’abbaye de Saint-Denis, près de Paris, comme vous l’entendrez (il s'agit de Thierry IV, cfr II, p. 421-422.

Le roi Thierry III fut également tondu, cfr  II, p. 331.

[Mal trahit murdre des enfans le roy Clodomire] Apres chu ne passat gaire que li roy Childebers prist unc valhant chevalier qui astoit balhirs de toute Flandre desus luy, qui oit nom Archadius et ly dest qu'ilh alast à Tours parleir à sa mere, la royne Clotilde, et li desist qu'elle envoiast à Lutesse les trois enfans le roy Clodomire, car ilh les voloit coroneir roys del rengne leur pere. Et chis Archadius s'en allat innocemment à Tours, et fist si bien le message que la royne Clotilde, qui creioit que chu fust veriteit, li cargat les trois enfans qui vinrent à Lutesse.

[Le mal poussa à tuer des enfants du roi Clodomir] Après cela, il ne fallut pas longtemps avant que le roi Childebert ne désigne un vaillant chevalier, du nom d’Arcadius, qui avait, comme bailli, toute la Flandre sous ses ordres. Childebert lui dit d’aller à Tours, demander à sa mère, la reine Clotilde, d’envoyer à Lutèce les trois enfants du roi Clodomir, parce qu’il voulait les couronner rois du royaume de leur père. Arcadius se rendit innocemment à Tours et s’acquitta si bien du message que la reine Clotilde, croyant que c’était vrai, lui confia les trois enfants qui partirent avec lui à Lutèce.

Arcadius, qualifié de sénateur auvergnat par Grégoire de Tours, Histoire des Francs, III,  ch. 9 et  18

[Ly roy Clotaire ochist trahitement les enfans de son frere] Mains, oussitoist qu'ilhs furent entreis en palais, prist le promier le roy Clotaire, qui avoit XIX ans d'eaige, et li fiert de une cuteal parmy les flans, si l'ochist.

[Le roi Clotaire tua traîtreusement les enfants de son frère] Mais, dès qu’ils eurent pénétré dans le palais, le roi Clotaire se saisit du premier, âgé de dix-neuf ans, lui porta un coup de couteau dans les flancs et le tua.

Et quant ly plus anneis apres veit chu, qui avoit XVI ans, si oit mult grant paour et soy mist devant le roy Childebert en genols, et li dest en plorant : « Chirs oncles, por Dieu, car moy gardeis la vie de teile mort et ayés merchis de moy. » Et Childebers le prist sicom par piteit, et dest à roy Clotaire qu'ilh li plasist avoir merchi de chis enfant.

Quand le second des frères, qui avait seize ans, vit cela, il eut très peur. S’agenouillant devant le roi Childebert, il lui dit, en pleurant : « Cher oncle, pour l’amour de Dieu, gardez-moi la vie, ne me faites pas mourir, ayez pitié de moi. » Childebert le prit en pitié et demanda au roi Clotaire de vouloir bien épargner cet enfant.

Et ly roy Clotaire li respondit par grant ahir : « Faux trahitre glous, tu as tout chu commenchiet par ta malvaisteit, puis se le vues-tu estindre ; par la foid que je doie Dieu et ma damme la royne [II, p. 176] de Franche, se tu ne le mes tantost à mes pies par-devant moy, je toy-meismes ochiray. »

Le roi Clotaire, fort en colère, lui répondit  : « Faux traître avide, ta méchanceté t’a poussé à mettre cette affaire en branle, et maintenant tu veux l’arrêter. Par la foi que je dois à Dieu et à ma dame la reine [II, p. 176] des Francs, si tu ne le mets pas tout de suite devant moi, à mes pieds, c'est toi que je tuerai. »

Atant le mist à terre Childebers, et ly roy Clotaire vint avant por l'enfant ochire. Mains quant ly enfes veit qu'ilh ne poroit escapeir, si prist unc cuteal et court vers le roy, se li quidat buteir en ventre ; et ly roy esquippat arrier, si que ly cutel ly entrat en la cusse à plus près de ventre à pou qu'ilh ne fust ochis. Adont ly prist ly roy cutel, et li ferit parmy les flans et l’ochist. Enssi en fust II ochis.

Alors Childebert mit l’enfant à terre et le roi Clotaire s’avança pour le tuer. Mais, quand l’enfant vit qu’il ne pourrait s’échapper, il prit un couteau, courut vers le roi et pensa le frapper au ventre. Mais le roi se jeta en arrière et le couteau lui entra dans la cuisse, très près du ventre. Il s’en fallut de peu qu’il ne soit tué. Alors le roi prit le couteau, frappa l'enfant dans le flanc et le tua. C'est ainsi que deux des enfants furent tués.

Et ly thirs, qui avait III ans, qui astoit li plus jovenes, chis fust embleis par les barons de palais ; et fust par eaux nouris tant que ilh fuit prestre, enssi com vos oreis chi-après.

Le troisième, le cadet, qui avait trois ans, fut enlevé par les barons du palais, qui l’élevèrent jusqu’à ce qu’il devienne prêtre, comme vous l’entendrez ci-après (cfr II, p. 183).

Gaire ne passat après que la royne Clotilde soit tout chu : si en fust mult dolente, mains altre chouse n'en pot faire ne avoir. Et les corps en furent mult richement ensevelis à L.utesse. Et avient tout chu entre le mois de may et d'awost l'an IIIIc IIIIxx et VII.

Il ne fallut pas longtemps pour que la reine Clotilde apprenne tout cela. Elle en fut très malheureuse, mais ne put rien faire ni rien obtenir. Les corps furent richement ensevelis à Lutèce. Tout cela se passa entre les mois de mai et d’août de l’an 487.

 

Une guerre pour la succession de la terre d'Orléans éclate entre les trois frères restants - Clotaire demande l'aide de Dieu et Clotilde prie régulièrement à Tours sur la tombe de saint Martin - Miracle de Dieu sous forme d’une tempête violente qui ne frappe que les armées de Childebert et de Théodoric, épargnant celles de Clotaire, avec lequel les deux frères font la paix - Mort de Clotilde ensevelie à Lutèce en l’église Saint-Pierre, à côté de Clovis - Sainte Geneviève est ensevelie dans la même église (ans 487-489 de l'Incarnation)

[II, p. 176] [Grant gerre entres les III freres de Franche] En cel an en mois de jule, muet grant gerre entres les trois freres de Franche por la terre d'Orlins ; car adont vient ly roy Childebers en palais à Lutesse, et dest al roy Clotaire que ilh voloit avoir la terre qui avoit esteit al roy Clodomire, leur frere ; mains ly roy Clotaire li dest qu'ilh n'en auroit riens. Si soy partit Childebers de son frère par coroche, si vient à Mes et soy plandit al roy Theoderich, son altre frère, et à son fis Theodebers, qui ly dessent que ly roy Clotaire en seroit destruis. Si assemblarent grant gens et vinrent en Franche ; et ly roy Clotaire allat encontre eaux à grant gens, et se logarent à IX bonirs près l’unc de l'autre.

[II, p. 176] [Grande guerre entre les trois frères francs] En juillet de cette année [487], une grande guerre éclata entre les trois frères francs, pour la terre d’Orléans. Alors en effet, le roi Childebert vint au palais à Lutèce et dit au roi Clotaire qu’il voulait la terre qui avait appartenu au roi Clodomir, leur frère, mais le roi Clotaire lui dit qu’il n’en aurait rien. Childebert, en colère, quitta son frère et se rendit à Metz pour se plaindre au roi Théodoric, son autre frère, et au fils de celui-ci, Théodebert. Ils lui répondirent que le roi Clotaire serait anéanti. Ils rassemblèrent de grandes troupes et arrivèrent en Francie. Le roi Clotaire marcha contre eux avec une troupe importante. Les deux armées s’installèrent à près de neuf boniers l’une de l’autre.

Si avient que ly roy Clotaire priat à Dieu qu'ilh li vosist aidier, et mist en li toute son esperanche. Et enssi la royne Clotilde, leur mère, quant elle soit la guere entre ses fis enssi esmuet, si alat tous les jours, par l'espause de trois mois, sour le tumbe sains Martin en l'engliese de Tours, et ly priioit qu'ilh vosist priier à Dieu que ilh metist paix entres ses enfans.

Alors le roi Clotaire pria Dieu de bien vouloir l’aider et mit en lui toute son espérance. De son côté, la reine Clotilde, leur mère, quand elle apprit que la guerre avait commencé entre ses fils, alla tous les jours, durant trois mois, sur la tombe de saint Martin, dans l’église de Tours, le priant d’intercéder auprès de Dieu pour qu’il rétablisse la paix entre ses enfants.

[Grant tempeste qu’ilh avient à II roys et grant myracle] Atant fut mis jour de batalhe devens chu entres les dois parties, à unc mardi qui astoit le XVIe jour de junne l'an llllc IIIIxx et VIII. Sy avient que Dieu y demonstrat myracle, car le lundy à la nuit, dont lendemain devoit estre la batalhe, commenchat à cheioir sour les oust le roy Childebers et Theoderich sy très-grans tempeste de thonoir, de gresilh et de plove, que chu fut hisdeur à veioir ; car [II, p. 177] toutes les tentes, treis et pavilhons derompirent et chairent à terre sour cheaux qui astoient desous, si que les hommes meismes chaioient de paour, et si n'avoient entre eaux aultre covreture encontre le tempeste que leurs escus ; et les chevals rompirent leur loiiens et s'enfuoient, si en fut retroveis à vint mile près de là.

[Deux rois connurent une grande tempête et un grand miracle] Entre-temps, le jour de la bataille fut fixé au mardi 16 juin de l’an 488. Alors Dieu accomplit un miracle : le lundi, durant la nuit précédant le jour de la bataille, une tempête, avec tonnerre, grêle et pluie, s’abattit sur les armées des rois Childebert et Théodoric, avec tant de violence que c’était horrible à voir. En effet [II, p. 177] toutes les tentes et tous les pavillons s’écroulèrent sur leurs occupants et les hommes effrayés tombaient à terre, n’ayant plus d’autre protection contre la tempête que leurs boucliers. Les chevaux rompirent leurs liens et s’enfuirent ; on en retrouva à quelque vingt milles de là.

Et est certaine chose que oncques ly roy Clotaire et ses gens, qui si près logoient, n'orent tempeste n'en ne sentirent ploive, car enssi plaisit à Dieu. Et deveis savoir que ly tempeste durat enssi tout nuit et lendemain jusques à vespres, que onques ne s'apasentat de riens, si que les dois roys Childebers et Theoderich dessent que chu estoit por le pechiet de chu qu'ilh voloient leur frere destruire.

Mais ce qui est certain, c’est que jamais ni le roi Clotaire ni ses troupes, installées pourtant tout près, ne souffrirent de la tempête ni de la pluie, car telle était la volonté de Dieu. Vous devez savoir que la tempête dura ainsi toute la nuit et le lendemain jusqu’au soir, sans jamais s’apaiser d’aucune manière, au point que les deux rois Childebert et Théodoric dirent qu’elle était due au péché qu’ils commettaient en voulant anéantir leur frère.

[L’an IIIIc IIIIxx et IX fut pais entre les roys] Adont soy misent les dois roys en genols, en depriant Dieu que ilh vosist le tempeste faire cesseir et les pardonnast le pechiet ; puis envoiarent à leur frere le roy Clotaire, qu'ilh voloient paix à ly. Et ly roy Clotaire, qui avoit trop moins de gens que ses freres, l'otriat volentirs. Adont cessat ly tempeste, puis s'acordarent bien et ralat cascon en son paiis.

[L’an 489, la paix revint entre les rois] Alors les deux rois se mirent à genoux, en priant Dieu qu’il veuille faire cesser la tempête et pardonner leur péché. Puis ils envoyèrent dire à leur frère, le roi Clotaire, qu’ils voulaient faire la paix avec lui. Clotaire, qui avait des troupes beaucoup moins nombreuses que ses frères, y consentit volontiers. Alors, la tempête cessa. Les frères s’accordèrent et chacun rentra dans son pays.

Item, l'an IIIIc IIIIxx et IX en mois de julle, morut la valhante royne Clotilde en la citeit de Tour ; mains elle fut raportée en la citeit de Lutesse, et ensevelie en l'engliese Sains-Pire de costé son marit le roy Cloveis, en laqueile engliese sainte Genevier fut oussi ensevelie en une noble tumbe.

En 489, durant le mois de juillet, la vaillante reine Clotilde mourut dans la ville de Tours. Elle fut ramenée à Lutèce et ensevelie en l’église Saint-Pierre, à côté de son mari, le roi Clovis. Sainte Geneviève fut aussi ensevelie dans cette église, dans un célèbre tombeau.

 

Les Francs de Théodoric/Thierry et de Théodebert (Metz) entrent en guerre contre les Saxons du roi Ysconart, que viennent assister les Autrichiens du roi Godonas - Batailles racontées sur un mode épique - Mort de Théodoric et de Théodebert - Victoire des Autrichiens et des Saxons qui partent assiéger Metz - Les rois francs Clotaire et Childebert viennent au secours des Messins et  mettent les assaillants en déroute - Les rois d’Autriche et de Saxe sont tués mais le roi Childebert meurt aussi dans la bataille - Clotaire part alors ravager l’Autriche et la Saxe, puis retourne à Metz où il fait ensevelir les corps de Théodoric et de Théodebert - Il revint ensuite dans son pays avec le corps de Childebert, qui est enseveli  à Lutèce - Clotaire Ier reste le seul roi des Francs, maître de toutes les terres qu’avait détenues Clovis (ans 489-491 de l'Incarnation)

[II, p. 177] [Grant gerre entre le roy de Mes et de Saxongne] En cel an muet grant guere entre le roy Theoderich de Mes et le roy de Saxongne, Ysconart. Si assemblat cascon ses gens et orent batalhe ensemble en la terre de Saxongne ; mains ly roy de Saxongne fut mors et ses gens desconfis.

[II, p. 177] [Grande guerre entre les rois de Metz et de Saxe] Cette année-là [489], une grande guerre opposa le roi Théodoric de Metz et le roi Ysconart de Saxe. Chacun rassembla ses troupes. Ils se livrèrent bataille en terre de Saxe : le roi de Saxe mourut et son armée fut défaite.

Puis entrat Theoderich et Theodebers, son fis, en la royalme de Saxongne, et gangnat grant paiis, dedens le temps de X mois que ilh sorjournat en chesti paiis, apres chu que la batalhe avoit esteit qui fut l'an deseurdit en novembre. Et en chi terme, pendant que ly roy Theoderich sourjournoit ly et ses gens endit paiis, s'en allat Ydomas, le fis le roy Ysconart, en la terre d'Ostrich, et dest al roy Godonas que s'ilh se voloit vengier de fis le roy Cloveis de Franche, qui jadit avoit mis son paiis en tregut, si alast en Saxongne car là le troveroit-ilh.

Ensuite, Théodoric et son fils Théodebert (cfr II, p. 171) entrèrent dans le royaume de Saxe. Ils en conquirent une grande partie pendant les dix mois de leur séjour dans ce pays, après la bataille qui avait eu lieu cette année-là en novembre. Et pendant que le roi Théodoric et ses troupes étaient en Saxe, Ydomas, le fils du roi Ysconart, était allé en Autriche dire au roi Godonas que s’il voulait se venger du fils du roi Clovis des Francs, qui jadis avait soumis son pays au tribut (II, p. 155), il n’avait qu’à se rendre en Saxe, où il le trouverait.

Adont assemblat ly roy Godonas ses gens et vient en Saxongne ; mains quant li roy Theoderich le soit, se vient contre luy, et orent bataille ensemble l'an IIIIc et XC en mois de jule.

Alors le roi Godonas rassembla ses troupes et vint en Saxe. Quand le roi Théodoric l’apprit, il marcha contre lui. Ils se livrèrent bataille en juillet de l’an 490.

[Ferans, duc d’Ardenne] Là oit mult de gens mors et navreis, mains Theodebers at ochis Mandagloire [II, p. 178] Ie Sayne, qui mult estoit fors ; et Ferans, ly duc d'Ardenne, y fut mors, et Hadelin de Savoie, dont Theoderic ly roy fut corochiés, si ochist le roy Godonas. En la fin furent les Saynes et Osterins desconfis et s'enfuirent, et en fuant les cachoit Theodebers, le fis le roy Theoderich, si fut conseus et enclous des fuans et ochis. Adont retournarent les fuans et reprisent cuer, et revinrent en la batalhe et corurent sus les Franchois.

[Ferrand, duc d’Ardenne] Il y eut là un grand nombre de morts et de blessés. Théodebert tua Mandagloire [II, p. 178] le Saxon (cfr G.L., 6254), qui était très valeureux ; Ferrand (cfr Geste de Liège, 6226), le duc d’Ardenne, y trouva la mort ainsi que Hadelin de Savoie (cfr G.L., 6277) ; le roi Théodoric en fut très irrité et tua le roi Godonas. Finalement Saxons et Autrichiens furent défaits et s’enfuirent. Mais alors que Théodebert, le fils du roi Théodoric, les poursuivait, il fut repéré et cerné par des fuyards qui le tuèrent. Ceux-ci alors s’arrêtèrent et reprirent courage ; ils retournèrent au combat et coururent sus aux Francs.

[Grant batalhe] Forte fut la batalhe, car elle reforchat grandement ; mains là vient unc chevalier de Mes, qui dest à Theoderich le roy que son fis astoit mors. Quant li roy chu entendit, si li chaiit l'espée fours de sa main, et chaiit pasmeit sour le couI de son destrier, sique anchois que ilh fust releveis fut-ilh ferus de IIII Sarasins teilement qu'ilh fut mors ; car ly unc li coupat le destre bras, ly altre ly fendit la tieste à motié, et les altres II le lanchont en corps. Et ses gens furent desconfis et s'enfuirent.

[Grande bataille] Rude fut la bataille, car elle reprit beaucoup de force. Un chevalier de Metz vint annoncer au roi Théodoric que son fils était mort. Quand le roi entendit cela, son épée lui tomba de la main, il s’effondra, pâmé sur le cou de son destrier et, avant de se redresser, fut si violemment frappé par quatre païens qu’il mourut : l’un d’eux lui coupa le bras droit, un autre lui fendit la moitié de la tête et les deux autres lui percèrent le corps de leurs lances. Ses troupes furent défaites et s’enfuirent.

Et les Osterins et les Saynes les ont cachiet jusqu'en unc bois, puis se sont mis al chemien et si n'arestont tout ardant le paiis jusqu'à Mes ; si l'ont assegiet, mains ilh fut nunchiet à roy Clotaire et Childebers en Franche qui vinrent à grant gens, sy soy combatirent à eaux, en mois d'avrilh l'an IIIIc XCI. Et furent les Osterins desconfis, et ly roy d'Ostrich et chis de Saxongne ochis, et ly roy Childebers y fut mort oussi.

Les Autrichiens et les Saxons les poursuivirent jusque dans un bois, puis ils se mirent en route sans s’arrêter, en brûlant le pays jusqu’à Metz qu’ils assiégèrent. À cette nouvelle, les rois francs Clotaire et Childebert arrivèrent avec des troupes nombreuses et les affrontèrent en avril 491. Les Autrichiens furent vaincus ; le roi d’Autriche et celui de Saxe furent tués ; le roi Childebert aussi y mourut.

Jean d'Outremeuse a résumé ici en quelques paragraphes un récit très détaillé qu'il avait donné sur plus de 400 vers dans la Geste de Liège (vers 6085-6495).

Adont s'en alat ly roy Clotaire à grant gens en Ostriche, et destruite toute Ostriche et Saxongne, puis retournat à Mes où ilh fist ensevelir les corps des roys Theoderich et Theodebers ; et revint en Franche et reportat awec luy Childebers, qui fut ensevelis en l'engliese Sains-Vincent que ilh avoit fondeit à Lutesse. Enssi demorat Clotaire roy de toutes les terres que son peire Cloveis avoit tenue.

Alors le roi Clotaire partit avec de nombreuses forces, ravagea toute l’Autriche et la Saxe, puis retourna à Metz où il fit ensevelir les corps des rois Théodoric et Théodebert. Il revint ensuite dans son pays, ramenant avec lui Childebert, qui fut enseveli en l’église Saint-Vincent, fondée par ce dernier à Lutèce (II, p. 168). Ainsi Clotaire resta le roi de toutes les terres qu’avait détenues son père Clovis.

 

Les grands personnages de l’époque - Ordonnance du pape Félix - Mort de Félix et élection du pape Gélase - Pluie de sang en Afrique où l’Église était malmenée par les Vandales (vers les années 491-492 de l'Incarnation)

[II, p. 178] [Les sains qui regnoient à chi temps] A cel temps astoient en grant auctoriteit sains Victors, sains Carielf, sains Aviens abbeis de Chartres, sains Grigoire de Lengre, sains Benois, sains Germain, sains Brandas de Scoches, sains Mals de Bretangne, sains Lynart de [II, p. 179] Corbie, Orator le poete, Boeche le philosophe, Romans, Prescian le gramarin et Theophilus.

[II, p. 178] [Les saints de l’époque] À cette époque jouissaient d’une grande autorité saint Victor, saint Carilef (Calais), saint Aviens, abbé de Chartres (ou saint Avit, abbé de Mici ?), saint Grégoire de Langres, saint Benoît, saint Germain, saint Brandas d’Écosse, saint Malo (?) de Bretagne, saint Léonard (?) [II, p. 179] de Corbie, le poète Arator, le philosophe Boèce, saint Romain (abbé de Sainte-Claude ?), le grammairien Priscien (cfr II, p. 231) (de Césarée ?) et Théophile (Theophanes Byzantinus ? Theophilactus Simocatta ?)

[Status papales] Item, en cel an le VIIe jour de marche morut li pape de Romme Felix, si fut ensevelis en l'engliese Sains-Poul à Romme. Chis pape ordinat à son temps que uns hons, appelleis ou accuseis devant queilcunques juges ecclesiastiques, soient donnée indusse, affin que al respondre à chu que ons ly amettrat se puist personelment compareir, et que li accuseur et li juge soient teils qu'ilh ne soient pointe suspecte.

[Ordonnance papale] Cette année-là [491], le 7 mars, mourut Félix, le pape de Rome, qui fut enseveli dans l’église Saint-Paul à Rome. Ce pape ordonna de son temps qu’un homme, cité ou accusé devant n’importe quel juge ecclésiastique, devait bénéficier d’un délai pour pouvoir personnellement se préparer à répondre à ce dont on l’accuserait. Il fallait aussi que l’accusateur et le juge ne soient pas suspects.

Félix III, pape de 483 à 492 - Gélase, Ier, pape de 492 à 496

[Gelasius, le LIIe pape] Apres le mort Felix vacat le siege III jours, et puis fut eslus le XIe jour de marche à pape de Romme Gelasius, ly promier de chi nom, Iyqueis fut de la nation de Romme depart sa mere, et son pere Valeriens fut de Constantinoble et fut evesque de Cartaige : et tient le siege VIII ans VIII mois et XXV jours.

[Gélase, cinquante-deuxième pape] Après la mort de Félix, le siège resta vacant durant trois jours. Puis, le 11 mars, fut élu pape de Rome Gélase, le premier de ce nom, d’origine romaine par sa mère, tandis que son père Valère était de Constantinople et fut évêque de Carthage. Gélase occupa le siège durant huit ans, huit mois et vingt-cinq jours.

[Y pluit sanc] Item, l'an IIIIc XCII, en mois de marche le XIIIIe jour et le XVe et le XVIe jour, ilh pluit sanc si fort sens cesseir, que les grans ris coroient de sanc ; et chu fut en la terre d’ Affrique, où sainte Engliese astoit mult forminée par les Wandaliens.

[Pluie de sang] En l’an 492, les 14, 15 et 16 mars, il ne cessa pas de pleuvoir du sang, en si grande abondance que dans les grands cours d’eau coulait du sang. Cela se passa en terre d’Afrique, où la Sainte-Église était fort malmenée par les Vandales (cfr II, p. 174).

Vandales : Un article entier dans les FEC, t. 48, 2024, a été consacré à la vision que Jean d'Outremeuse se fait des Vandales dans le Myreur des Histors.

 

Chramne, fils bâtard du roi Clotaire Ier qui l’a fait duc d’Aquitaine, entre en conflit armé avec son père qui lui avait refusé plus de terre - Battu, Chramne part en Petite-Bretagne demander de l’aide à son beau-père, le duc Chonober (Conomor) - Celui-ci vient en territoire franc attaquer Clotaire Ier - Les Bretons sont vaincus, Chonober (Conomor) est tué et Chramne, fait prisonnier, est brûlé sur l’ordre de son père - Un des fils de Chramne, le noble chevalier Paris, s’enfuit en Grande-Bretagne, où il sert le roi du moment aux côtés d’Arthur, le futur roi de Grande-Bretagne - Il jure de se venger cruellement des Francs et de revendiquer pour lui le trône de Clotaire, lorsque celui-ci mourrait - Clotaire fait enterrer vive l’épouse de Chramne et noyer ses quatre autres enfants - Note finale de Jean sur l’existence de Chramynus, un autre fils de Clotaire, légitime celui-là, duc de Brabant, qui fut décapité par Clotaire et qui avait aussi un fils du nom de Paris, réfugié en Grande-Bretagne (ans 492-493 de l'Incarnation)

[II, p. 179] [De duc d’Aquitaine – Cramus, li bastart, diffiat son pere le roi Clotaire de Franche] En cel an s'avisat Cramus, le fis anneis et bastars à roy Clotaire –que ilh avoit oiiut de une jovene femme que ilh amat devant son mariage et l'avoit fait duc d'Aquitaine – si mandat à son pere, le roy Clotaire, que ilh li vosist asseneir terre plus avant que ilh n'avoit, car ilh astoit son anneis fis, car ilh avoit pou de terre, et se ilh ne ly donnoit terre ilh le destruroit ;

[II, p. 179] [Le duc d’Aquitaine – Chramne, le bâtard, défia son père le roi des Francs Clotaire Ier] Cette année-là [492], il fut beaucoup question de Chramne, le fils aîné et bâtard du roi Clotaire Ier. Celui-ci l’avait eu d’une jeune femme qu’il avait aimée avant son mariage et l’avait nommé duc d’Aquitaine (cfr II, p. 170). Cette année-là, Chramne demanda à son père, le roi Clotaire Ier, de lui attribuer plus de terres qu’il en avait, car il était son fils aîné et en possédait peu. Il (ajouta) que s’il ne lui en donnait pas, il l'attaquerait.

car ilh voloit que son anneis fis Paris, qui avoit XI ans d'eaige et jostoit si fortement que ilh abatoit unc fort chevalier à josteir, et astoit jà IX piés grans, awist Brabant por maintenir son estat ; et portant ilh voloit que ilh fust asseneit altre part d'aucunne terre, jusqu'à tant que son pere ly roy Clotaire seroit trespasseis de chi siecle, qu'ilh seroit roy de Franche com anneis heures.

Chramne voulait en effet que son fils aîné Paris, âgé de onze ans, excellent jouteur, capable d’abattre dans une joute un chevalier très fort, et mesurant déjà neuf pieds, reçoive le Brabant pour soutenir sa position. C'est pourquoi il ne voulait pas qu’une terre lui soit assignée ailleurs, jusqu’à la mort de son père le roi Clotaire, quand lui, en tant qu’héritier aîné, serait roi des Francs.

A chu respondit ly roy son pere, et dest qu'ilh li soffiast chu qu'ilh avoit, car ilh n'auroit aultre chouse, et li escondit mult honteusement. Adont assemblat Cramus chu de gens qu'ilh pot avoir, et entrat en Franche en exilhiant le paiis ; mains ly roy vient contre luy, si orent batalhe.

À cela le roi son père répondit qu'il devait se satisfaire de ce qu’il avait car il n’aurait rien d’autre ; puis il l’éconduisit sans aucun égard. Alors Chramne rassembla ce qu’il put de troupes et pénétra en territoire franc en dévastant le pays ; mais le roi marcha contre lui et une bataille eut lieu.

[II, p. 180] [Ly roy at desconfis son fis] Mult fut la batalhe dure de pere contre le fis, l'an deseurdit en mois de septembre; mains ly roy Clotaire avoit plus de gens, si fut son fis desconfis.

[II, p. 180] [Le roi défit son fils] Très dure fut la bataille du père contre le fils, en septembre de l’an susdit [492]. Mais le roi Clotaire avait des troupes plus nombreuses et son fils fut défait.

[Ly roy Clotaire desconfit les Bretons et fist ardre son fis] Adont s'en alat Cramus en la Petit Bretangne à duc Conoborus, cuy filhe ilh avoit à femme, et li requist ayde. Et chis ly dest qu'ilh ly aideroit volentier ; si vient à grans gens en Franche et oit batalhe à roy Clotaire, l'an IIIIc XCIII en may ; mains ly dus Conoborus fut mors et ses gens desconfit, et Cramus fut pris par forche, se le fist son pere ardre en unc feu.

[Le roi Clotaire Ier battit les Bretons et fit brûler son fils] Alors Chramne s’en alla en Petite-Bretagne, auprès du duc Chonober (ou Conomor), dont il avait épousé la fille et auquel il demanda de l’aide. Celui-ci lui répondit qu’il l’aiderait volontiers. Il vint effectivement en Francie avec de nombreuses troupes et une bataille l’opposa au roi Clotaire, en mai 493. Mais le duc Chonober (ou Conomor) mourut et ses hommes furent vaincus. Chramne fut fait prisonnier et son père le fit brûler sur un bûcher.

[De noble chevalier Paris, le fis Cramus] Et quant Paris, li fis Cramus, soit chu que son pere astoit mors, si s'en alat en la Grant Bretangne servir à roy Uterpandragon. Si furent bacheleirs ensemble Paris et Artus, li fis Uter, qui puis fut roy de la Grant Bretangne, enssi com vos oreis.

[Le noble chevalier Paris, le fils de Chramne] Et quand Paris, le fils de Chramne, sut que son père était mort, il alla en Grande-Bretagne, pour servir le roi Uther Pendragon. Paris fut bachelier avec Arthur, fils de Uther, qui fut ensuite roi de Grande-Bretagne, comme vous l’apprendrez (cfr II, p. 182).

Chis enfés Paris s'enfuit, portant qu'ilh soy dobtoit que son aiion, li roy Clotaire, ne le fesiet morir, si com ilh avoit faite son peire sens cause, et dest que, s'ilh astoit parvenus al eaige de discretion, ilh donroit aux Franchois tant de gueres qu'ilh en auroient asseis et vengeroit son pere mult crueusement ; et disoit que, se ly roy astoit mors, ilh seroit roy, sicom anneis heures fis del anneis fis legittime le roy Cramus. Enssi disoit Paris, et encor en fist-ilh plus, car nus oncques tant ne fist de chevalerie, com ilh fist, devant luy ne apres jusques à temps le bon Danois Ogier, le fis Gaufroit, le roy de Dannemarche, enssi com vos oreis.

Ce jeune Paris s’était enfui, parce qu’il redoutait que son aïeul, le roi Clotaire, ne le mette à mort sans raison, comme il l’avait fait avec son père. Il dit que, une fois parvenu à l’âge de raison, il livrerait contre les Francs tellement de guerres qu’ils en auraient assez et qu’il vengerait son père très cruellement. Il disait aussi que si le roi (Clotaire) mourait, lui, Paris, serait roi étant le premier héritier du roi Chramne, fils aîné légitime du roi (= Clotaire). Ainsi parlait Paris. Il en fit plus encore, car nul jamais n’accomplit autant d’exploits chevaleresques, avant et après lui, jusqu’à l’époque du bon Danois, Ogier, fils de Geoffroy, roi de Danemark, comme vous l’entendrez.

[Ly roy Clotaire fist enfoiir la mere Paris et ses IIII enfans noier] Apres la mort le prinche Cramus, prist sa femme Clotarde unc chevalier à marit qui prist sasine de tout la terre de Brabant ; mains ly roy Clotaire y alat, si le pendit à une arbre, et desous l'arbre fist faire une fosse et la damme dedens enfoiier, et tous ses IIII fis : Clotaire, Chilpericle, Sidebers et Cloveis noier en une aighe. Ensi ne demorat des V enfans Cramus que Paris tout seul, qui fut asseis quis et demandeis de roy Clotaire, mains ons ne le pot troveir.

[Le roi Clotaire fit enterrer vive la mère de Paris et noyer ses quatre enfants] Après la mort du prince Chramne, sa femme Clotarde (cfr II, p. 152, mère d'Alaric) prit pour époux un chevalier qui s’empara de tout le  Brabant. Mais le roi Clotaire Ier se rendit sur place et le fit pendre à un arbre. En dessous de l’arbre, il fit creuser une fosse et y fit enterrer la dame. Quant à ses quatre fils, il les fit tous noyer : Clotaire, Chilpéric, Sidebert et Clovis. Ainsi des cinq enfants de Chramne, ne resta en vie que le seul Paris, qui fut très recherché et réclamé par le roi Clotaire, mais on ne put le trouver.

[De Brabant] Ors deveis savoir que ly roy Clotaire avoit unc bastars, enssi com dit est, qui fut nommeis Cramus, à quy ilh avoit donneit Acquitaine, enssi com dit est ; et avoit ly roy oussi unc fis que ons nomoit Cramynus : chis Cramynus fut duc de Brabant et pere à Paris, qui s'enfuit oultre mere apres la mort [II, p. 181] de son peire : car ilh fut racompteit al roy Clotaire que Cramynus, son fis legittime, n'oit conselhier à faire le bastart, chu qu'ilh fist ; portant le mandat le roy Clotaire, et se le fist decapiteir.

[Le Brabant] Vous devez donc savoir que le roi Clotaire avait un fils bâtard, nommé Chramne, à qui il avait donné l’Aquitaine, comme cela a été dit. Mais le roi avait aussi un fils appelé Chramynus : ce Chramynus fut duc de Brabant et père de Paris, qui s’enfuit outre-mer après la mort [II, p. 181] de son père. On avait raconté au roi Clotaire que Chramynus, son fils légitime, reçut le conseil de se faire passer pour bâtard, ce qu’il fit ; c’est pourquoi le roi Clotaire le fit venir et le fit décapiter.

 


[Texte précédent II, p. 138-160] [Texte suivant II, p. 181-188]