Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 26b-37a
Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)
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DE VALÉRIEN ET GALLIEN À MARCUS ET CARUS :
VALÉRIEN ET GALLIEN -
CLAUDE LE GOTHIQUE - AURÉLIEN - TACITE ET FLORIEN - PROBUS - MARCUS ET
CARUS
Ans 263-286
Le
présent fichier comporte trois parties :
* A. Ans
263-272 (Myreur, II, p. 26b-31) :
Valérien et Gallien - Claude le Gothique [sommaire] [texte]
* B. Ans 272-278
(Myreur,
II, p. 32-34a) : Aurélien et
ses successeurs éphémères : Tacite et l’usurpateur Florien [sommaire] [texte]
*
C.
Ans 278-286
(Myreur, II, p. 34b-37a) :
Au temps de l’empereur Probus et de ses successeurs, Marcus et Carus [sommaire] [texte]
TEXTE et traduction
Le présent fichier couvre les événements que le chroniqueur liégeois place sous le règne des empereurs qui se sont succédé de la mort de Dèce (251) à l'avènement de Dioclétien (284). Pour la clarté de la présentation, il a été partagé en trois parties. Des empereurs pris en compte, Aurélien est le plus important : c'est lui qui a mis fin, on l'a dit, à la période d'« anarchie militaire ». Ceux qui l'ont précédé (notamment Valérien, Gallien, Claude le Gothique) et ceux qui l'ont suivi (notamment Tacite, Probus, Marcus et Carus) ont joué un moindre rôle.
En ce qui concerne les affaires de l'empire, les notes de lecture montreront l'écart existant entre la réalité historique et l'image qu'en donne Jean d'Outremeuse. Elles aborderont aussi les affaires de l'Église : essentiellement la papauté, la suite des évêques de Tongres (mort de Florentin et désignation de Martin), les hérésies et quelques autres questions secondaires.
A. Les empereurs Valérien et Gallien (263-270) - Claude le Gothique (270-272)
[Myreur, II, p. 26b-31]
* Affaires de l’Église : martyrs dont le pape Sixte II - Le pape Denys (265)
* Successions en Gaule et au Danemark -
Les Alamans de Priam se soulèvent contre Rome et pénètrent
dans l'empire romain, saccageant
la Gaule
au passage - Défaits par le duc Hector, ils s'enfuient mais
s'emparent de Lutèce dans laquelle ils s'installent solidement après en avoir
chassé les Gaulois - Le duc Hector finira par reprendre Lutèce, après un siège
de dix-huit mois, à la grande satisfaction de l’empereur Valérien qui vient même
aider le duc de Gaule
(267-268)
* Mort de saint Florentin, sixième évêque de
Tongres - Martin devient le septième évêque (269)
* Reconquête de Lutèce par Hector
- Décapitation du roi Priam de Germanie par l’empereur Valérien - Valérien
assassiné à Milan par des sénateurs, cousins de Priam -
Rappel des campagnes militaires de Valérien, notamment contre
Shapur de Perse,
et de ses persécutions contre les chrétiens (270)
* Claude le Gothique : sa
désignation comme empereur et ses opérations militaires (270-271)
* Martyre du pape Denys - Ses ordonnances -
Élection du pape Félix (271-272)
Valérien et Gallien, trente et unième empereur, l’un favorable, l’autre hostile aux
chrétiens, succèdent à Dèce - Successions à Louvain et en Flandre - Les Huns
saccagent la Syrie et l’Arabie, mais sont chassés
de
Jérusalem par le roi d’Égypte - Rébellion des Perses contre Rome (263-264) |
|
[II, p. 26b]
[Gabbus et Valerianus empereres XXXI] Le VIIe jour
de marche, fut coroneis à emperere Gabbus et Valerianus, son fis ;
mains Gabbus morut dedens II mois et VI jours ; si fut remis awec
Valeriain Gallienus Decius, son fis, qui fut ly plus fellons de
monde, -- mains Valeriain amoit les cristiens, et chis les haioit
mult -- lesqueis regnarent VI ans, III mois et XII jours, solonc
Grigoire et sains Augustin. Et solonc Vincent ilh regnarent XIII
ans, et solonc Martiniain XV ans. |
[II, p. 26b] [Gallus et Valérien, trente et unième empereur] Le 7 mars [263] furent couronnés empereurs Gallus et Valérien, son fils. Mais Gallus mourut après deux mois et huit jours. On mit avec Valérien Gallien Dèce son [autre ?] fils. Ce Gallien était le plus félon du monde ; il haïssait fort les chrétiens, tandis que Valérien les aimait. Grégoire et saint Augustin disent qu’ils régnèrent six ans, trois mois et douze jours ; selon Vincent, treize ans, et selon Martin, quinze ans. |
[De conte de Lovay] En cel an morut Prian, le
conte de Lovay ; se regnat son fis
apres luy, qui oit nom Ector, qui regnat XXVIII ans. |
[Le comte de Louvain] En cette année,
Priam, le comte de Louvain,
mourut. Son fils, nommé Hector, lui succéda et régna vingt-huit ans. |
[Les Huens
destrurent ches de Surie et d’Arabie] Item, l'an IIc LXIIII, entrarent les
Huens en la terre de Surie, se le gastont laidement, et desconfirent
cheauz de Surie et d'Arabie, puis s'en
allont vers Jherusalem ; mains ly roy d'Egipte les recachat à leur
grant perdre. |
[Les Huns vainquirent
les gens de Syrie
et d’Arabie]
En 264, les Huns envahirent la Syrie, la saccagèrent fortement,
mirent en
déroute
les Syriens et les Arabes, puis allèrent à Jérusalem. Le roi
d’Égypte alors les chassa, leur causant de grandes pertes. |
[Conte de Flandre] En cel an morut Salomon, ly
conte de Flandre ; apres luy le fut
ses fis Otton, qui regnat XXVIII ans. |
[Le comte de Flandre] Cette année-là [264] mourut Salomon, comte de
Flandre ; après lui son fils Otton devint comte et régna vingt-huit
ans. |
En
cel an [II, p. 27]
soy rebellarent cheaux de Persie contre l'emperere de Romme ; si fut
tantoist nunchiet à l'emperere, lyqueis assemblat ses oust.
|
En cette année, [II, p. 27] les Perses se rebellèrent contre l'empereur de Rome. Ce fut aussitôt annoncé à l'empereur, qui rassembla ses armées. |
Affaires de l’Église : martyrs dont le pape Sixte
- Le pape Denys (265) |
|
[II, p. 27] [Galliens l’emperere fist decolleir le pape Sixte] Mains Galliens l'emperere fist fours traire de prison le pape Sixte et Felicissimus et Agapitus, et les fist decolleir, sour l'an IIc LXV, le XIXe jour de julle : ches trois martyres furent ensevelis en la cymitere Sains-Calixte, de part sains Lorent et sains Ypolite ; mains portant les fist martirisier Decius Cesar : Decius ou Gallienus c'est tout unc. IIh fist sains Lorent rostir, enssi com sa legente fait mention. |
[II, p. 27] [Gallien l’empereur fit décapiter le pape Sixte] Le 19 juillet de l’an 265, l’empereur Gallien fit sortir de prison le pape Sixte, ainsi que Félicien et Agapite et les fit décapiter. Ces trois martyrs furent ensevelis dans le cimetière Saint-Calixte, par saint Laurent et saint Hippolyte. C’est pourtant Dèce César qui les fit martyriser (cfr II, p. 26). Mais Dèce ou Gallien, c’est tout un. L’empereur fit griller saint Laurent, comme le mentionne son histoire. |
Dèce ou Gallien, c'est tout un : Martin considère ici que le persécuteur est Gallien, alors que plus haut, en II, p. 26, il avait été question de Dèce. ‒ Pour sa part, Martin (Chronique, p. 414, ed. L. Weiland), à propos du pape Sixte, fait intervenir Dèce : Hic [= Syxtus II.] cum Felicissimo et Agapito Decio presentati capite truncati sunt. Le même Martin, au même endroit, attribue aussi à Dèce le martyre de saint Laurent : Quos [= les martyrs précédents] beatus Laurencius et Ypolitus cum multis aliis per martirium secuti sunt. Jean d'Outremeuse a probablement plusieurs sources devant lui.
[Denys le pape XXVIIe] Apres la mort sains Sixte, furent les clers mult enbahis ; et demorat li siege vacant XXII jours, et apres, al XIe jour d'awoust, fut consacreis pape de Rom Denys, lyqueis fut ly fis de unc moyne de cuy ons ne trueve pointe sa lignie : lyqueis tient le siege VI ans IIII mois et XV jours ; et solonc sains Grigoire et Vincent, II ans et IIII mois ; et solonc Damaise, VI ans II mois et IIII jour ; et solonc Martiniain II ans, III mois. |
[Denys, vingt-septième pape] Après la mort de saint Sixte, les clercs furent très affligés. Le siège demeura vacant vingt-deux jours, puis, le 11 août, fut consacré pape de Rome Denys. Il était fils d’un moine, dont on ne trouve pas la lignée. Il occupa le siège six ans, quatre mois et quinze jours ; selon Grégoire et Vincent, deux ans et quatre mois ; selon Damase, six ans, deux mois et quatre jours, et selon Martin, deux ans et trois mois. |
L’empereur Gallien
dévaste la Perse, mais est battu et mis en fuite par le roi de
Perse Shapur, qui conquiert la Syrie - Gallien est blessé et meurt, à
la grande satisfaction de Valérien, qui, désormais seul, devient le
trente-deuxième empereur de Rome - Le roi de Perse conquiert la
Syrie (265) |
|
[II, p. 27] [Les Persiens ont desconfis les Romans, et
fut mort l’emperere Gallienus Decius et conquis Surie] En cel an s'en alat
l'emperere Gallienus Decius en Persie ; sy lassat Valeriain la terre
à gardeir. Et quant ilh vint en Persie, si destruit le pays ; mains
quant ly roy Sapor de Persie le soit, se vint à grant gens contre
les Romans, sy oit batalhe à eaux,
où les Romans furent
desconfis ; et qui pot escappeir, ilh s'enfuit vers Romme. Et
Gallienus Decius fut mult navreis, sy soy metit al fuir, et morut en
unc bois, et l'ochirent les biestes que ons appelle marmoses. |
[II, p. 27]
[Les Perses défirent les Romains, l’empereur Gallien Dèce mourut et la Syrie
fut conquise]
Cette année-là [265], l’empereur Gallien Dèce partit pour la Perse, laissant Valérien garder le pays.
Arrivé en Perse,
il dévasta le
pays.
Mais quand Shapur, le roi de Perse le sut, il vint avec de grandes
forces contre les Romains. Dans la bataille qui les opposa, les
Romains furent battus et ceux qui purent s’échapper s’enfuirent vers
Rome. Gallien Dèce, grièvement blessé, se mit à fuir. Il mourut dans
un bois, tué par des bêtes appelées marmoses [des espèces de
sarigues, selon Bo]. |
[Valeriain emperere
de Romme XXXIIe]
Et quant
Valeriain son peire le soit, sy en fut bien liies, sy regnat tou
seul, mains ilh fut pou dobteis. |
[Valérien, trente-deuxième empereur de Rome] Quand son père Valérien apprit la mort de Gallien, il s‘en réjouit et régna seul. Il fut peu redouté. |
[II, p. 27] [Ly roy de Persie conquist mult de paiis]
En l'an present conquisent
les Persiens tout la terre de Surie, qui adont estoit appendante à
l'empire de
Romme ; se le misent en la
subjection del royalme de Persie. |
[II, p. 27] [Le roi de Perse conquit nombre de pays] Cette année-là [265], les Perses conquirent toute la Syrie, qui alors faisait partie de l’empire romain. Ils la mirent sous la domination de la Perse. |
La
Sicile, délaissée par les Romains, se soumet à Shapur de
Perse, qui ensuite conquiert la Cappadoce -
Les Romains se rebellent contre le faible Valérien, qui se maintient
au pouvoir (266-267) |
|
Item, l'an IIc LXVI, en mois de marche, entrat ly roy Sapor de Persie en Sezile, qui estoit de l'empire de Romme. Sy mandarent les hommes de paiis socour à l'emperere de Romme ; mains l'emperere n'en wot rien faire. Et, quant cheaux de Sezile veirent que ilhs ne seroient nient soucorus de Romans, ilhs soy rendirent à roy Sapor, et misent leur terre en sa subjection. Apres, soy partit ly roy de Persie de Sezile et entrat en la royalme de Capadoche ; si orent cheaux de paiis batalhe à eaux, mains cheaux de Persie orent victoire. |
En l’an 266, en mars, le roi Shapur de Perse envahit la Sicile, qui faisait partie de l’empire romain. Les habitants du pays demandèrent du secours à l’empereur de Rome ; mais celui-ci ne voulut rien faire. Quand les Siciliens virent qu’ils ne seraient pas secourus par les Romains, ils se rendirent au roi Shapur, et mirent leur pays en sa sujétion. Après cela, le roi de Perse quitta la Sicile et envahit le royaume de Cappadoce ; une bataille se déroula entre les gens du pays et les Perses, qui remportèrent la victoire. |
[II, p. 28]
[Coment l’emperere demorat sires de son
paiis]
En cel an soy rebelliarent les Romans encontre l'emperere, portant
qu'ilh lassat enssy son paiis
destruire
par les Persans ; mains ly emperere attrahit vers luy subtilement
ses grandes gens par dons qu'ilh leur donnat, et les moïens par les
proieres des grans et les petis par maneches : enssi demorat ly
emperere saingnour de son paiis et bien de ses gens. |
[II, p. 28]
[Comment
l’empereur resta le seigneur de son pays] Cette année-là [266], les Romains se
rebellèrent contre l’empereur Valérien, parce qu’il laissait
ainsi détruire son pays par les Perses ; mais l’empereur,
avec subtilité, s’attira les
gens les plus importants par
des cadeaux, les gens moyennement importants par les prières des
grands, et les petits par des menaces. Ainsi resta-t-il le seigneur
de son pays et de beaucoup de ses habitants
[même politique que celle de
Pilate dans le Pont, en
I, p. 388] |
Item, l'an IIc et LXVII, en mois de may, soy rendirent cheaux
de Capadoche aux Persans, sy furent en leur subjection. Enssi
commenchat ly empire de Romme grandement à demynueir. |
En mai de l’an 267, les habitants de Cappadoce se rendirent aux Perses et devinrent leurs sujets.
Ainsi l’empire de Rome commença à se réduire fortement. |
Successions en Gaule et au Danemark - Les Alamans de Priam se soulèvent contre Rome et pénètrent dans l'empire romain, saccageant la Gaule au passage - Défaits par le duc Hector, ils s'enfuient mais s'emparent de Lutèce dans laquelle ils s'installent solidement après en avoir chassé les Gaulois - Le duc Hector finira par reprendre Lutèce, après un siège de dix-huit mois, à la grande satisfaction de l’empereur romain qui vient même aider le duc de Gaule (267-268) |
|
[II, p. 28] [De dus de Galle - De Dannemarche] En cel an morut Marcones, ly dus de Galle ; si fut dus apres luy Ector son fis, liqueis regnat XVI ans. Et cel an, le XXIe jour de mois d'octembre, morut ly roy Ogens de Dannemarche ; si fut roy apres luy son fis Alixandre, qui regnat XXVII ans. |
[II, p. 28] [Le duc de Gaule - Le Danemark] Cette année-là [267], Marcon, le duc de Gaule, mourut ; lui succéda comme duc son fils Hector, qui régna seize ans. Cette même année, le 21 octobre, le roi Ogens de Danemark mourut ; son fils Alexandre devint roi après lui et régna vingt-sept ans. |
[Guerre entre
Romans et Allemans]
Item, l'an IIc et LXVIII, soy releverent les Allemans contre les
Romans, si ne vorent mie payer leur tregut. Et tout chu
avenoit
por le chaitiveteit de l'emperere de Romme, qui n'estoit pas
dobteit. |
[Guerre entre Romains et Alamans] En l’an 268, les Alamans (cfr I, p. 570 ; cfr Notes) se soulevèrent contre les Romains et refusèrent de payer leur tribut. Tout cela se passait à cause de la faiblesse de l’empereur de Rome, qui n’inspirait pas la crainte. |
Adont assemblat Prian, ly roy d'Allemangne, qui novellement avoit esteit coroneis, ses oust, puis vient vers l'empire de Romme por la terre exilhier ; sy avint que ilhs passarent parmy Galle et wastarent grandement la terre, de quoy ly dus Ector fut mult corochiés ; si assemblat ses hommes et vient contre les Allemans, se les corut sus. |
Priam, le roi d’Allemagne, qui avait été récemment couronné, rassembla ses armées et entra dans l’empire romain, pour le saccager. En passant par la Gaule, ils la mirent fort à sac, ce qui provoqua la colère du duc Hector. Celui-ci rassembla ses hommes et marcha contre les Alamans qu’il attaqua. |
[Les Allemans furent desconfis des Galliiens] Là oit grant batalhe et felle ; mains les Allemans furent teilement desconfis qu'ilhs soy misent al fuyr, et n'arestarent se vinrent à Lutesse la citeit, qui mult estoit forte de fosseis. Si entrarent dedens les AIlemans, et si encacherent fours de la citeit tous cheaux que ilh trovarent ens, et ilh estoit bien garnie ; se ne dobtarent mie le duc Ector qui estoit sires de chest citeit. |
[Les Alamans furent défaits par les Gaulois] Dans la bataille grande et cruelle qui s’ensuivit, la déroute des Alamans fut telle qu’ils se mirent à fuir et ne s’arrêtèrent qu’une fois arrivés à Lutèce, une cité fortement défendue par des fossés. Ils y entrèrent et en chassèrent tous ceux qu’ils y trouvèrent. Comme la cité était très bien approvisionnée, ils ne craignirent pas le duc Hector, qui en était le seigneur. |
Adont vinrent les fuans à duc Ector, et ly dessent, comment sa
citeit estoit prise. Quant ly duc entendit chu, sy en oit grant
coroche ; se demandat à ses gens comment ilh l'avoient sy mal
gardeit. Adont respondirent ses gens qu'ilhs avoient
esteit
dechus, car ilh quidarent que chu fuissent les Sychambiens des
Allemans, sy les lasserent ens entreir : enssi furent dechus les
Sycambiens, sy en furent mult yreis. |
Les fuyards se rendirent auprès du duc Hector et lui dirent que sa ville avait été prise. En apprenant cela, le duc entra dans une grande colère. Il demanda à ses gens comment ils l’avaient si mal gardée. Ils répondirent qu’ils avaient été trompés : ils avaient cru que ces Alamans étaient des Sicambres et les avaient laissés entrer. Bref, ils avaient été trompés et en furent très irrités. |
[Li duc de Galle
assegat les Allemans dedens Lutesse]
Adont vint ly dus
Ector à XLm hommes devant Lutesse, et l'asseghat ; et durat li sige
XVIII mois, anchois qu'ilh fust prise, car elle estoit bien garnie de
vitalhe. |
[Le duc de Gaule assiégea les Alamans dans Lutèce] Alors le duc Hector se présenta devant Lutèce avec quarante mille hommes et l’assiégea. Il fallut dix-huit mois de siège avant que la ville ne soit reprise, car elle était bien fournie en vivres. |
Adont vinrent novelles à l'emperere que les Allemans [II, p. 29] estoient entreis en Galle, sy avoient wasteit le paiis, et comment ilhs avoient oyut batalhe aux Sycambiens et avoient esteit desconfis, sy avoient gangnié Lutesse en fuant. Quant ly emperere entendit chu, sy fut mult liies, et dest : « Aultrement ne poioy-je estre vengiés des Allemans qui sont rebelles à moy del payer leur tregut ; car ilhs ont asseis affaire aux Sycambiens qui bien m'en vengeront, car chu sont fortes gens. Et portant que les Sycambiens les ont assegiet en leur citeit meismes, je en yray à tout mon poioir aidier les Sycambiens. » Puis mandat l'emperere ses hommes, et s'en allat devers Lutesse. |
Quand l’empereur romain (Valérien) apprit que les
Alamans [II, p. 29] étaient en Gaule, qu’ils avaient
dévasté le pays, combattu contre les Sicambres, qu’ils avaient été vaincus et,
qu'en fuyant, ils avaient occupé Lutèce, il se réjouit
et dit : « Je ne pouvais être mieux vengé des Alamans qui sont en
rébellion contre moi et refusent de payer leur tribut ; ils ont fort à
faire avec les Sicambres qui vont bien me venger, car ce sont des gens puissants.
Et puisque les Sicambres les assiègent dans leur propre cité, j’irai les aider
de toutes mes forces ». Alors l’empereur
convoqua ses hommes et partit pour Lutèce. |
Et ly dus
Ector, quant ilh soit que ilh venoit por luy aidier, se ly fist
grant reverenche et ly portat grant honeur, sycom ilh afferoit alle
emperere. Et ly
emperere
ly fist oussi grant fieste, et fist tendre ses trefs devant Lutesse.
Enssi fut assegié Lutesse, com je vos dis ; si durat ly siege
longement. |
Quand le duc Hector sut que l’empereur venait
l’aider, il le reçut avec beaucoup de révérence et lui rendit tous
les honneurs qui convenaient à l’empereur. Celui-ci aussi lui fit
fête et fit dresser ses tentes devant Lutèce. Ainsi fut assiégée
Lutèce,
comme je vous dis, et le siège fut long. |
Mort
de saint Florentin, sixième
évêque de Tongres - Martin devient le septième évêque (269) |
|
[II, p. 29] [De Martin, ly VIIe evesques de Tongre] Item, l'an IIc et LXIX, en
novembre le XXe jour, morut sains Florens, ly VIe evesques de
Tongre, lyqueis avoit tenus le siege XLI an mult saintement, en
prechant la loy Jhesu-Crist. Après la mort
sains Florens fut relus et
consacreis Martien, I mult sains hons, qui fut ly fis Martin, conte
de Nammut, de la filhe le conte d'Arche, Helaine. Et estoit son
oncle Florens, ly evesques chidevant dit, car ilh fut frere à
Martien, le conte de Nammut, fis à vielh conte Estiene, de la filhe
le conte de Louz, c'on nommoit adont Osterne. |
[II, p. 29]
[Martin, septième évêque de Tongres] En l’an 269, le 20 novembre, mourut
saint Florentin, sixième évêque de Tongres (cfr
II, p. 20). Il avait
occupé très saintement le siège pendant quarante et un ans, en
prêchant la loi de Jésus-Christ. Après sa mort fut élu et consacré
Martin, un très saint homme, le fils de Martin, comte de
Nammut, et de la fille du comte d’Arche,
Hélène. Son oncle était Florentin, l’évêque cité ci-dessus, car il
était le frère de Martin, le comte de Nammut, fils du vieux comte
Étienne, et de la fille du comte de Looz, qu’on appelait alors
Osterne. |
[De Martin de
Tongre]
Chis evesques Martins, le VIIe de Tongre, regnat XXIX ans mult
saintement. En cel an meismes, en mois de decembre, commenchat à
fondeir
ly evesque Martin de Tongre une engliese en l'honeur de sains
Calixte à Tongre ; sy mist dedens XII canones et I doyen. |
[Martin de Tongres] Ce Martin, septième évêque de Tongres, régna durant vingt-neuf ans très saintement. Cette année-là [269], l’évêque Martin de Tongres se mit à fonder à Tongres une église en l’honneur de saint Calixte ; il y installa douze chanoines et un doyen. |
Reconquête de Lutèce par Hector - Décapitation du roi Priam par
l’empereur Valérien - Valérien assassiné à Milan par des sénateurs, cousins
de Priam - Rappel des campagnes militaires de Valérien, notamment contre
Shapur de Perse,
et de ses persécutions contre les chrétiens (270) |
|
[II, p. 29] [Ly duc Ector reconquist Lutesse, sa citeit, contre les Allemans] Item, l'an IIc et LXX, le XXVIIIe jour de mois de marche, fut prise Lutesse la citeit par cheaux qui devant avoient esteit XVIII mois. Et là fut pris ly roy Prian de Germaine, et toutes ses gens ochis. Chis roy Prian avoit entres les senateurs de Romme grant planteit de son lynaige, lesqueis priarent al duc Ector qu'ilh leur vosist rendre Ieur cusin le roy Prian, por bien amendeir le forfait que ilh ly avoit fait de son paiis à destruire. Adont les otriat ly dus Ector benignement ; mains ly emperere Valeriain ne le vot mie acordeir, ains ly fist incontinent coupeir le chief. Quant ly linage le roy Prian [II, p. 30] veirent chu, sy en furent mult corochiés ; si ont jureit les senateurs tous ensembles que ilh serat vengiés, ains que ilhs doient rentreir à Romme. Et quant ilhs orent asseis festoiet en la citeit de Lutesse, ly emperere soy partit de Galle et s'en rallat awec ses gens vers Romme ; si sont venus droit à Melant, le XXVIIe jour d'awoust. |
[II, p. 29]
[Le duc Hector reconquiert Lutèce, sa cité, contre les Alamans] Le 28 mars de l’an 270,
Lutèce fut prise par ceux qui l’avait assiégée pendant dix-huit mois. Le roi
Priam de Germanie fut fait prisonnier et tous ses hommes tués. Le roi Priam
avait, parmi les sénateurs de Rome, un grand nombre de personnes de son
lignage, qui
prièrent le duc Hector de leur rendre leur cousin, le roi Priam, afin de réparer le tort subi par la destruction de son
pays (?). Le duc Hector leur accorda volontiers cette faveur ; mais
l’empereur Valérien ne le voulut pas : il fit sur-le-champ décapiter
Priam. Quand les sénateurs romains,
parents du roi Priam [II, p.
30], virent cela, ils en furent très irrités. Ils jurèrent tous ensemble
de le venger, mais il leur fallait rentrer à Rome. Après avoir beaucoup
festoyé dans la ville de Lutèce, l’empereur quitta la Gaule et repartit avec
ses hommes vers Rome ; ils arrivèrent directement à Milan le 27 août. |
[L’emperere Valeriain fut ochis de ses gens à Melant] Et là fut ly emperere ochis des parens le roy Prian. Apres revinrent les senateurs à Romme, et lasserent leur emperere mors à Melant. |
[L’empereur Valérien fut tué par ses gens à Milan] Et là, l’empereur fut tué par les parents du roi Priam. Ensuite, les sénateurs revinrent à Rome en laissant à Milan le cadavre de leur empereur. |
[Des batalhes ledit
emperere et de ses fais]
Chis emperere
Valeriain fut en jovente bien combattans : ilh combattit ches de
Gonchie, de Greche et de Machidone et Daise, et soy combattit, luy
ou son conemperere, al roy Sapor de Persie et fut toudis
desconfis.
Et ly roy Sapor vint por chu plus hardiement conquerir chu qu'ilh
conquist sour l'empire de Romme, et tant qu'en la fin ly roy Sapor
tient l'emperere, tant com ilh viscat, le piet sus le hatreal.
|
[Les batailles et les exploits du
dit empereur]
Cet empereur Valérien fut dans sa jeunesse un bon guerrier : il
lutta contre les gens de Gothie, de Grèce, de Macédoine et de
Dacie ; lui-même ou son co-empereur combattit aussi le roi de Perse
Shapur
et il fut toujours vaincu. Cela rendit Shapur toujours plus hardi
dans ses conquêtes sur l’empire de Rome, si bien que le roi Shapur
finit par
tenir son pied sur la nuque de l'empereur romain (cfr
Notes). |
[Gran persecution
sour les Cristiens]
Chis
Valeriain, al commenchement de son empire, amat grandement les
cristiens ; mains al derain ilh y fist plus
grant
persecution que nuls des altres, et fist martirisier Paulus, le
promier hermite. |
[Grande persécution contre les Chrétiens]
Ce
Valérien, au début de son règne, aima beaucoup les Chrétiens, mais à la fin il
les persécuta plus que tous les empereurs. Il fit martyriser Paul, le premier
ermite. |
Claude le Gothique, trente-troisième empereur : sa désignation et ses opérations militaires (270-271) |
|
[II, p. 30] [Claudius, ly XXXIIIe emperere de Romme] Apres Valeriain les
senateurs fisent emperere de Romme unc prinche de la nation de
Romme, qui fut nommeis Claudius, ly secon de chi nom et le XXXIIIe
emperere, qui regnat II ans I mois et IX jours. Chis Claudius fut mult
contraire à sainte Engliese ; et, s'ilh awist longement visqueit,
ilh euwist faite martirysier sens nombre de cristiens. |
[II, p. 30]
[Claude, trente-troisième empereur de Rome] Après Valérien, les sénateurs
désignèrent comme empereur de Rome, un prince d’origine romaine, Claude,
le second de ce nom. Comme trente-troisième empereur de Rome, Claude
régna deux ans, un mois et neuf jours. Il fut très hostile à la
sainte Église et, s’il avait vécu longtemps, il aurait fait martyriser
un nombre incalculable de chrétiens. |
Mains en cel an meismes ly vinrent novelle à Romme que ly roy Sapor de Persie, et Illarique roy de Gochie, et Grenbaus ly roy de Machidone, degastoient sa terre de l'empire en Greche, qui adont estoit en la subjection des Romans. |
En cette même année (270 ?), la nouvelle parvint à Rome que le roi Shapur de Perse, le roi Alaric (?) des Goths et le roi de Macédoine Grenbaus dévastaient des terres en Grèce, qui faisait alors partie de l'empire romain. |
[L’an IIc LXXI - Claudius desconfit III roys en Grece] Quant Claudius entendit chu, sy assemblat ses chevaliers et montat sour mere à gran gens, l'an IIc et LXXI en mois de may, et nagat tant que ilh vient en Greche ; et se soy combattit à ses anemis le XXIIe jour de mois d'awoust ; et furent tous desconfis, et les roys s'enfuirent en voie par mere. |
[An 271 - Claude défit trois rois en Grèce] Quand Claude entendit cela, il rassembla ses chevaliers, prit la mer avec un grand nombre de gens, en l’an 271, au mois de mai. Il navigua jusqu'à ce qu'il parvienne en Grèce. Il affronta le 22 août ses ennemis qui furent tous vaincus. Les rois prirent la fuite par la mer. |
Quant Claudius soit que les roys estoient escappeis, se dest que chu ne poioit estre, car ilh avoit de sa propre main ochis le roy de Gochie et cheluy de Machidone ; mains ilh ne savoit que Sapor, ly roy de Persie, estoit devenus, dont ilh estoit mult corochiés. Adont ly fut dit qu'ilh s'en estoit fuys par mere. |
Quand Claude sut que les rois s’étaient échappés, il se dit que c’était impossible, car il avait de sa propre main tué le roi des Goths et le roi de Macédoine. Mais il ne savait pas ce que Shapur, le roi de Perse, était devenu, et cela l’irritait très fort. On lui dit alors que Shapur s’était enfui par mer. |
Lutte
prolongée entre Claude le
Gothique et Shapur le roi de Perse - Prisonnier de Claude à
Rome, Shapur tue l’empereur, avant d’être lui-même exécuté (272) |
|
Atant montat Claudius sour mere et le cachat ; mains Sapor vint [II, p. 31] en son paiis anchois ; si rassemblat des gens chu qu'ilh en pot avoir, si vient contre l'emperere et oit batalhe à luy l'an IIc LXXII, en mois de decembre. |
Là-dessus, Claude prit la mer et le pourchassa, mais Shapur parvint [II, p. 31] à regagner son pays avant. Il rassembla autant de gens qu’il put, marcha contre l’empereur et livra bataille contre lui, en décembre 272. |
Adont fut
encor ly roy Sapor desconfis et ses gens
mors ; si
s'enfuit en Surie, et priat les gens de paiis, que ilh avoit
novellement mis en sa subjection, que ilhs ly vosissent aidier
contre l'emperere de Romme, et ilh les affranqueroit de tous
servaiges. |
Le roi Shapur fut à nouveau vaincu et ses hommes tués ; il s’enfuit en Syrie et pria les habitants de ce pays, qu’il avait récemment mis sous sa sujétion, de consentir à l’aider contre l’empereur de Rome, (disant) qu’il les affranchirait de toutes servitudes. |
Quant ilhs entendirent chu, se covoitarent grandement d'eistre frans. Sy furent plus serfs com devant, car ilhs en alerent awec Sapor contre les Romans, si orent batalhe à eaux ; mains ilhs furent tos desconfis. Si fut pris ly roy Sapor, sy l'emynat l'emperere awec luy à Romme ; mains ilh mist anchois I roy en Surie qui tienet cheaux de paiis en grant servaige, puis s'en partit, et revint droit à Romme ; sy assemblat les senateurs en son palais, l'an deseurdit le VIe jour de mois de junne. |
En entendant cela, les Syriens désirèrent beaucoup être libres. Mais ils furent plus asservis encore qu’avant, car ils partirent avec Shapur contre les Romains, combattirent et furent vaincus. Le roi Shapur fut arrêté et l’empereur l’emmena avec lui à Rome, après avoir auparavant installé un roi en Syrie pour maintenir solidement les habitants en servitude. Cela fait, l’empereur s’en alla et rentra directement à Rome, où il rassembla les sénateurs en son palais, le 6 juin de l’an susdit [272]. |
Quant les senateurs furent assembleis, ly emperere fist amyneir devant luy le roy Sapor, son prisonnier ; et, quant ilh le veit, se ly dest : « Sapor, ilh toy covint morir, et je toy jure ma foid que je ne mangneray jamais tant com tu soies vief ». |
Une fois les sénateurs rassemblés, l’empereur fit amener devant lui le roi Shapur, son prisonnier. Quand il le vit, il lui dit : « Shapur, tu dois mourir et je te jure, sur ma foi, que je ne mangerai plus rien aussi longtemps que tu seras en vie ». |
[Ly roy Sapor
ochist l’emperere Claudius]
Quant ly roy Sapor entendit chu que ly emperere ly dest, sy oit
grant doleur al cuer, car ilh veioit bien
que
ilh ne poioit escappeir que ilh ne morist ; se s'avisat que ilh
vengeroit sa mort anchois que ilh fust ochis. Adont ilh salhit
avant, com chis qui estoit prois et hardis, si sachat I cuteal que I
senateur avoit pendant à son costeit, et le butat tantoist
l'emperere en ventre. Enssi fut l'emperere mors anchois le roy
Sapor. Adont fut ly roy Sapor tantost decolleis ; puis furent
ensevelis en temple l'emperere Claudius, ly uns deleis l'autre. |
[Le roi Shapur tua l’empereur Claude] Quand le roi Shapur entendit
ce que lui dit l’empereur, il éprouva au cœur une grande douleur, car il
voyait bien qu’il ne pouvait échapper à la mort. Il décida de venger sa mort
avant d’être tué. Alors
il sauta en avant, en homme
preux et audacieux, arracha un poignard qu’un sénateur
portait au côté, et l’enfonça
aussitôt dans le ventre de l’empereur. L’empereur mourut ainsi avant
le roi Shapur. Celui-ci fut aussitôt décapité. Les deux hommes furent
ensuite ensevelis, l’un à côté de l’autre, dans le temple de
l’empereur Claude. |
Martyre du
pape Denys - Ses ordonnances - Élection du pape Félix (271-272) |
|
[II, p. 31] [L’an IIc LXXI - Ly pape fut ochis -
Status papales]
Item, l'an IIc LXXI, en mois de decembre le XXVIe jour,
fut martiriziés ly pape Dyonisius ; si fut ensevelis en la cymitere
Sains-Calixte. Chis pape instituat à Romme et devisat les englieses
parochials ; si leurs donnat preistres cureis et cymiteres por
elles, et vot qu'ilh fussent
contens de ches cymiteres-Ià. Et apres sa mort vacat ly siege
IX jours. |
[II, p. 31] [An 271 - Le pape fut tué - Ordonnances
papales]
En l’an 271,
le 26 décembre, le pape Denys fut martyrisé ; il fut enseveli dans
le cimetière
Saint-Calixte. Ce pape institua et organisa à Rome les églises
paroissiales ; il leur attribua comme curés des prêtres, et des
cimetières propres, en exigeant que les paroisses s’en contentent.
Après sa mort, le siège resta vacant neuf jours. |
[Felix, le XXIXe pape] Et apres, assavoir le IIIIe jour de jenvier, fut consecreis pape de Romme XXIXe Felix li promier de cel nom, qui fut de la nation de Romme, le fis Constantin, unc senateur paiien, de la region capitaure, chu est à dire : tiest de toreal. Et tient le siege III ans IIII mois et XXVI jours |
[Félix, vingt-neuvième pape] Ensuite, c’est-à-dire le 4
janvier [272], Félix, le premier du nom, devint le vingt-neuvième pape de
Rome ; originaire de Rome, il était
fils d’un sénateur païen, de la
région ‘capitaure’, soit ‘tête de taureau’ (cfr I, p.
513). Il occupa le siège trois ans, quatre mois et vingt-six
jours. |
B. Aurélien (272-276) et ses successeurs éphémères, Tacite et Florien (276-277/8)
[Myreur, II,
p. 32-34a]
Désignation d’Aurélien, trente-quatrième empereur de Rome - Son
hostilité
à l’Église - Ses opérations militaires en
Gaule et en Sicile - Ses conquêtes en Orient - Divers (273-274) |
|
[II, p. 32]
[Aurelius le XXXIIIIe emperere de Romme]
Apres Claudius, vacat ly siege X
jour, puis fut coroneis à emperere de Romme uns senateur qui fut nommeis
Aurelius. Et regnat awec luy Patritricius son fis, p (sic ?) l'espausse de V ans IIII mois et XII jours. |
[II, p. 32]
[Aurélien, trente-quatrième empereur de Rome]
Après Claude, le trône
impérial resta vacant dix jours, puis on couronna empereur un sénateur nommé Aurélien.
Son fils Patricius régna avec lui cinq ans, quatre mois et douze jours. |
Chis
Aurelius fut mult contraire à sainte Engliese, et fist mult de cristiens
martyrisier ; et jurat tous ses dieux qu'ilh remetteroit la
terre de Galle
en tregut com devant. |
Cet
Aurélien fut très hostile à la sainte Église et fit martyriser un grand
nombre de chrétiens. Il jura aussi par tous ses dieux qu’il
soumettrait à nouveau la terre de Gaule au tribut, comme auparavant. |
[Ly dus de Galle at
desconfis les Romans]
Si assemblat ses gens l'an IIc LXXIII, sy entrat en Galle ; mains ly dus
Ector ly vint à l'encontre, et se soy combattit gentiment à l'encontre ; si
furent les Romans desconfis, et y
perdirent les Romans
XIm hommes, et sy fut mors Patricius ly fis l'emperere. Enssi mentit son
seryment l'emperere Aurelius ; si s'enfuit vers Romme por eistre à
salyeteit. |
[Le duc de Gaule défit les Romains] L’empereur rassembla ses
troupes en l’an 273 et pénétra en Gaule, mais le duc Hector vint à sa
rencontre et se battit vaillamment contre lui. Les Romains furent vaincus et perdirent onze mille
hommes ; Patricius, le fils de l’empereur, mourut. Ainsi l’empereur Aurélien
ne remplit pas son serment. Il s’enfuit vers Rome pour y être en sécurité. |
[Ilh pluit sanc] En cel an pluit-ilh gottes
de sanc, sy en
furent les gens mult esbahis. |
[Il plut du sang] Cette année-là [273], une
pluie de sang effraya beaucoup la population. |
Item,
l'an IIc LXXIIII, assemblat ly emperere ses gens, et puis s'en allat en la
terre de Sezilh et assegat pluseurs citeis que ilh prist par forche. Mains
quant ly roy de Sezilh le soit, se ly mandat que ilh issist de son paiis ;
car ilh ne
tenoit riens
de ly, ains estoit en la subjection des Persiens qu'ilh l'avoient conquis
par forche, car ilhs ne porent onques avoir sourcour des Romans. Quant
l'emperere entendit ches novelles, se leur fist pies que devant.
|
En l’an 274, Aurélien rassembla ses gens et partit vers la Sicile. Il y assiégea de nombreuses cités qu’il prit par la force. Mais une fois informé, le roi de Sicile lui enjoignit de quitter le pays, qui ne dépendait plus en rien de lui, mais qui était maintenant soumis aux Perses. Ces derniers avaient conquis les Siciliens par la force, sans que les Romains ne soient venus les secourir. En entendant cela, Aurélien traita les Siciliens plus mal encore. |
[Grant occhision
des Romans]
Et quant ly roy Ypocras le soit, se vint à grant gens,
et soy combatit aux Romans : en cel bataille furent ochis de
Romans XXXm hommes, mains encordont ilhs orent la
victoire, et furent les altres desconfis et ly roy Ypocras y fut mors. |
[Grand massacre parmi les Romains]
Quand le roi Ypocras (de
Sicile) apprit cela, il se porta contre les Romains avec des forces
nombreuses. Dans la bataille, les
Romains eurent trente mille tués mais furent vainqueurs. Les Siciliens
furent défaits et le roi Ypocras mourut. |
[L’emperere
conquist le royalme de Sezilhe et Capadoche et Persie] Et adont le remist
l'emperere en son tregut. Apres entrat l'emperere en la terre
de Capadoche, si oit à eaux
batalhe ; mains les Romans orent victoire, et furent remis en tregut des
Romans. |
[L’empereur conquit le royaume de
Sicile, la Cappadoce et la Perse] Alors l’empereur refit de la Sicile un pays
tributaire. Ensuite il envahit la Cappadoce ; dans la bataille les Romains
l’emportèrent, et la Cappadoce redevint tributaire de Rome. |
Apres,
l'emperere s'en allat vers le royalme de Persie, et les conquist tous par
batalhes, et les remist en sa subjection par tregut ; et y mist uns
roy qui fut
nommeis Julius le Hardis. Chis emperere Aurelius oit mult de victores contre
ses anemis, car ilh oit en tous estours victoire, foursmis contre les
Sycambiens. |
Puis, Aurélien partit pour le royaume de Perse,
remportant la victoire sur tous ces peuples qui redevinrent ses tributaires
et auxquels il imposa un roi, appelé Jules le Hardi. Cet Aurélien
remporta de nombreuses victoires contre ses ennemis ; en fait il fut
toujours victorieux, sauf contre les Sicambres. |
Le
pape Eutychien succède au pape Félix,
martyr - Le comte de Louvain Brabantinus succède
à son père Hector (275) |
|
[II, p. 32]
[Felix le pape mourut]
Item, l'an IIc LXXV, le XXXe jour de mois de may, fut martiriziet Felix, le
pape de Romme. Chis Felix fondat à son temps le capelle qui siet en la voie
que ons dist Aurelie, qui est à une mil de Romme, en
laqueile
fut ensevelis. Et instituat que ons celebrast des messes en memoire des
martyres. |
[II, p. 32]
[Mort du pape Félix]
En l’an 275, le 30 mai, Félix, le pape de Rome, fut martyrisé. Il fonda, de
son vivant, la chapelle
située sur la
voie dite Aurélienne, à un mille de Rome, chapelle dans laquelle il fut
enseveli. Il ordonna que l’on célèbre des messes en mémoire des martyrs. |
[II, p. 33] [Euticianus, XXXe pape] Apres la mort
Felix vacat ly siege III
jours, puis fut consecreis à pape
XXXe uns priestre, qui fut nommeis Eutichianus, qui estoit de Tusquaine, le
fis Martin. Et tient le siege IX ans I mois et XXII jours. |
[II, p. 33] [Eutychien,
trentième pape] Après la mort de Félix, le siège resta vacant trois
jours, puis un prêtre nommé Eutychien,
originaire de Toscane et fils de Martin, devint
trentième pape de Rome. Il régna neuf ans, un mois et vingt-deux jours. |
[Conte de Lovay] En cel an morut Ector, le
conte de Lovay ; si fut
conte apres luy son fis qui fut
nommeis Brabantinus, et regnat XXXIIII ans. |
[Comte de Louvain] Cette année là [275],
Hector,
le comte de Louvain mourut ;
son fils, nommé Brabantinus, devint comte après lui et régna trente-quatre
ans (cf II, p. 34, 35, 36, 38). |
L’empereur
Aurélien vainc les Huns et les chasse d‘Égypte - Il entoure Rome d’une
nouvelle
muraille - Il martyrise les chrétiens - Brabantinus
de Louvain fonde Léau (276) |
|
[II, p. 33] [L’emperere desconfist les Huens en
Egypte] En cel an, en mois de jenvier, revint ly emperere Aurelius parmy
Egypte, où ilh trovat
les Huens qui gastoient tout le
paiis. Sy oit batalhe à eaux, si perdit l'emperere mult de ses gens ; mains
les Huens furent desconfis et cachiés fours de paiis. |
[II, p. 33] [L’empereur
défit les Huns en Égypte] Cette année-là [276 ?], en janvier, l’empereur
Aurélien retourna en
Égypte, où il trouva les Huns saccageant
tout le pays. Il se battit contre eux, perdit beaucoup d’hommes,
mais les Huns furent défaits et chassés. |
Item,
l'an IIc LXXVI, en la fin de marche, revint ly emperere à Romme, et fist
abattre tous les murs de la citeit de Romme, se le fist refermeir de
mures de forte
pire mult noblement. |
En l’an 276, à la fin mars, l’empereur revint à Rome. Il y fit abattre tous les murs existants et
enfermer la ville par une muraille de pierre solide, très belle. |
[Ly conte de Lovay
fondat Liewes] En cel an fondat Brabantinus, ly
conte de Lovay, une vilhe qu'ilh nomat Liewes. |
[Le comte de Louvain fonda Léau] Cette année-là [276],
Brabantinus, le comte de Louvain, fonda une ville qu’il appela Léau
[en
flamand Zout-Leeuw selon Bo]. |
En cel
an fist l'emperere martirisier mult de cristiens à
Romme
[variante textuelle dans B]. |
Cette année-là [276], l’empereur fit martyriser un grand nombre de chrétiens à Rome. |
Mort d’Aurélien - Tacite son fils, trente-cinquième empereur, et Florien,
trente-sixième empereur, sont ses
successeurs éphémères - Portrait d’Aurélien, ses ordonnances et ses
réalisations (viande de porc, destruction de Soissons, persécutions, sainte
Colombe, le nom d’Orléans) (276-278) |
|
[II, p. 33] [L’orage ochit Aurelius l’emperere, et
tantost fut coroneis son fis Tacitus, le XXXVe emperere] En cel an, le derain jour de
fevrier, chaiit une effoudre sour la tauble l'emperere Aurelius, en son
palais, dont ilh morut ; si fut ensevelis en temple Jupiter. Et tantost
lendemain fut coroneis à emperere de Romme
XXXVe, Tacitus, ly fis Aurelius
mainneis, car ly anneis, qui fut nommeis Patricius, avoit esteit ochis en
Galle. Chis Tacitus regnat VI mois et XIX jours, car ilh fut ochis à Romme
l'an IIc LXXVII, le XXe jour de septembre, por sa grant malvaisteit, car ilh
voloit les Romans mettre en servaige. |
[II, p. 33]
[La foudre tua Aurélien l’empereur ; aussitôt son fils Tacite fut couronné
comme trente-cinquième empereur] En cette année-là [276], le dernier jour de février,
la foudre tomba sur la table de l’empereur Aurélien, dans son palais, et il
en mourut. Il fut enseveli dans le temple de Jupiter. Sans tarder, le
lendemain, son fils cadet, Tacite, fut couronné trente-cinquième
empereur de Rome, car l’aîné, Patrice, avait été tué en Gaule. Ce Tacite
régna six mois et dix-neuf jours ; à cause de sa grande méchanceté, il
fut tué
le 20 septembre 277, à Rome, car il voulait asservir les Romains. |
Et il en mourut : Martin (Chronique, p. 449, éd. L. Weiland) signale aussi ce foudroiement d'Aurélien, mais précise qu'il n'en mourut pas : Iste persecucionem faciens christianis fulmine corripitur, sed non moritur. En fait, la tradition manuscrite est hésitante : le non moritur est la lecture choisie par l'éditeur. Voir les notes de lecture.
Aurelius son peire estoit de Dannemarche, et estoit senateur de Romme quant
ilh fut coroneis : si fut trespuissans en batalhe et orgulheux. Chu fut ly
promier qui fist faire chapel et coronne de pieres prechieux ; et se edifiat
le
temple de
Solea, enqueile ilh mist son tressoir et ses gemmes. |
Son père Aurélien était originaire du Danemark et sénateur de Rome quand il fut couronné. Il fut un guerrier très puissant et arrogant. Il fut le premier à se faire faire une coiffure et une couronne de pierres précieuses. Il construisit aussi le temple du Soleil, dans lequel il plaça son trésor et ses gemmes. |
[Ilh fut ordineit
de mangier chair de porcheal]
Et se instituat que ly peuple mangnast dedont en avant le chair de porcheal
savaige et domieste.
Et sy allat en
Galle, où ilh destruit Soison ; et si ochist sains Columbe et tous les
cristiens que ilh y trovat. |
[Il fut ordonné de manger la viande
de porc] Il
ordonna que le peuple mange dorénavant de la viande de porc sauvage et domestique. Il alla aussi en Gaule, où il détruisit
Soissons ; il y tua sainte Colombe et
tous les chrétiens qu’il y trouva. |
[De la citeit de
Orliens]
Et vuelent alcuns escripteurs dire que ilh nommat Orlins apres son nom, qui
devant estoit nommée Genabum ; se le nommat
Aureliane, c'est
Orliens. |
[La cité d’Orléans] Certains auteurs prétendent
qu’il donna son nom à la ville d’Orléans, qui précédemment était
appelée Genabum ; il la nomma
Auréliane, ce qui est Orléans. |
[Florians, le XXXVIe emperere] Apres fut coroneis unc
senateur qui fut nommeis Florians, qui fut ochis [II, p. 34] en son palais par ses servans,
portant que ilh volloit mettre à
mort cheaux qui avoient ochis l'emperere Tacitus, l'an deseurdit en mois de
jenvier. |
[Florien, trente-sixième empereur] Ensuite fut couronné un
sénateur, appelé Florien. Il fut tué [II,
p. 34] dans son palais par ses serviteurs au mois de janvier de l’an
susdit [278], parce qu’il voulait
mettre à mort ceux qui avaient tué
l’empereur Tacite. |
C. [Au temps de] l’empereur Probus et de ses successeurs Marcus et Carus (278-286)
[Myreur, II, p. 34b-37a]
Désignation de l’empereur
Probus
- Mariage du comte de Louvain - Les Huns
(Russie, Judée, Égypte) - L’hérésie de Maxencien (278-280) |
|
[II, p. 34]
[Probus, le XXXVIIe emperere] Apres fut
coroneis unc senateur qui fut nomeis Probus, qui regnat VII ans II mois et
IIII jours. |
[II, p. 34]
[Probus, trente-septième empereur] Ensuite un sénateur, nommé Probus, devint empereur. Il
régna sept ans, deux mois et quatre jours. |
Item,
l'an IIc et LXXIX, prist Brabantinus, ly conte de
Lovay, à femme
le filhe le conte de Flandre, Alexandrine, qui mult estoit belle et
gracieux. |
En l’an 279, Brabantinus, le comte de Louvain prit
pour épouse la fille du comte de Flandre, Alexandrine,
qui était très belle et très charmante. |
En cel
an, le IXe jour de mois de julle, furent les
Huens
laidement pilhiés en Rossie. |
Cette même année,
le 9 juillet, les Huns furent très vilainement
maltraités en Russie. |
[Le heresie
Maxentien]
Item, l'an IIc et IIIIxx, commenchat
ly heresie
Maxentien et des aultres qui disoient que Jhesu-Crist n'avoit mie pris vraie
humaniteit en la virgue Marie ; et ne voloient mie croire les dis et
prophecies de sains prophetes, ne les libres qu'ilh avoient fais de la vraie
Escripture, ne des vies testament ; et se refusoient les sacremens de
mariage. Si en oit mult grant contraires entres les vrais cristiens, qui chu
leurs blamoient. |
[L’hérésie de Maxencien ?] En 280 commença l’hérésie de Maxencien (?) et de ceux qui disaient que Jésus-Christ
n’avait pas vraiment pris chair dans la Vierge Marie. Ils ne
voulaient pas croire les dires et les prophéties des saints
prophètes, ni les livres de la vraie Écriture ni de l’ancien testament ;
ils refusaient les sacrements de mariage. Parmi les vrais chrétiens, qui les
blâmaient, des oppositions fortes et nombreuses virent le jour. |
[Les Huens fisent
grant mal en Judée et Egipte]
En cel an misent les Huens grant persecution sour les cristiens en la terre
de Judée et
en la terre
d'Egipte, et mettirent à exilhe mult de paiis. |
[Les Huns firent beaucoup de mal en
Judée et en Égypte]
En cette année [280], les Huns persécutèrent
beaucoup
les chrétiens en Judée et en Égypte. Ils mirent à mal de nombreux pays. |
La réintroduction des
vignes dans l’empire par Probus - Situation de la Gaule -
L’usage du vin - Les canalisations magiques de vin établies par Virgile au
départ de Naples (281) |
|
[II,
p. 34] [L’emperere Probus
donnat congier de planteir vingnes, que on n’osoit par-devant] Item, l'an IIc et LXXXI,
donnat ly emperere congiet à tous cheaux qui estoient desous son empire de
planteir vingnes en leur paiis, que ons n'oisoit faire par-devant. Adont
plantarent vingnes pluseurs nations
en leurs paiis. En cel an
vient la novelle en Galle que par tout l'empire de Romme ons plantoit
vingnes. Quant ly duc entendit la novelle, sy en fist planteir par tout le
paiis de Galle, où ilh n'avoit onques devant oyut vingnes. |
[II, p. 34]
[L’empereur Probus permit de planter des vignes, ce qu’on n’osait faire auparavant] En l’an 281, l’empereur
autorisa tous les habitants de son empire à planter des vignes dans
leur pays, ce qu’on n’osait faire
auparavant. Alors de nombreux peuples plantèrent des vignes chez eux.
Cette année-là, en Gaule on entendit dire qu’on plantait des vignes dans
tout l’empire. Quand le duc l’apprit, il en fit planter dans toute la Gaule,
où jamais il n’y avait eu de vignes. |
[Quant
ilh n’estoit pointe de vin, chu que les saingnours bevoient] En chi
temps qu'ilh n'avoit en l'empire, ne en Galle, ne altre part dechà mere,
nulles vinghes, si bevoient les empereres et les aultres saingnours unc
beveraige faite de miel de moxhes, et de laceal (lait : Bo) de
jumens et des aultres biestes. Et encors bovent les Sarasins par-delà mere à
jour d'huy teile beveraige, car ilh n'ont pont de vin
teile part y at. Et oussi les prinches de Romme bevoient bien vin,
quant ilh l'avoient, qui venoit de Napples par les buses que Virgile fist por
astronomie, ou d'aultre part. |
[Quand il n’y avait pas de vin, ce
que buvaient les seigneurs]
À l’époque où il n’y avait aucun vignoble, ni dans l’empire, ni en Gaule, ni
ailleurs de ce côté de la mer, les empereurs et les autres seigneurs
buvaient un breuvage fait de miel d’abeilles et de lait de juments et d’autres
bêtes. Encore aujourd’hui, de l’autre côté de la mer, les Sarrasins boivent ce
breuvage, car ils n’ont de vin nulle part. Et les princes de Rome aussi
buvaient du vin, quand ils en avaient, un vin qui venait de Naples, ou
d’ailleurs, par les canalisations faites par Virgile, grâce à magie (cfr
I,
p. 259). |
Porus, nouveau duc de Gaule -
Ordonnances du pape Eutychien sur les paroisses - Le comte de Louvain
développe son comté (282-283) |
|
[II, p. 34] [De duc de Galle] L'an IIc LXXXII, en mois de may,
morut Ector ly dus de Galle ; sy regnat apres luy son fis Porus XIX ans :
chis fut bons chevalier et loial, enssi
com vos oreis chi-apres. |
[II, p. 34]
[Le duc de Gaule]
L'an 282, en mai, Hector, le duc de Gaule mourut. Son fils Porus régna après
lui
durant
dix-neuf ans. Ce fut un chevalier bon et loyal, comme vous l’entendrez
ci-après. |
[Statuts papales
des paroches] En cel an instituat li pape de Romme Eutichianus, que
en teile manere que ly pape Dyonis avoit ordineit à Romme les paroches et
cymiteres por elles, que enssi et semblamment fust-ilh
fait par tout le
monde, et es englieses parochials ewist I cureit por tos les cristiens
demorans en celle paroche, et I cymitere por ensevelir les mors. [II, p. 35] Adont commencharent les
evesques par le monde, cascon en sa dyoceis, à ordineir lesqueiles devoient
eistre englieses parochials, si misent en cascon I cureit |
[Ordonnances papales des paroisses] Cette année-là, de la même
façon que le pape Denys avait organisé à Rome les paroisses et leurs
cimetières (cfr II, p. 31), le pape de Rome
Eutychien ordonna d’adopter
les mêmes règles partout dans le monde : dans les églises paroissiales,
il devait y avoir un curé pour tous les chrétiens de la paroisse et un
cimetière pour y ensevelir les morts. [II,
p. 35] C’est alors que les évêques du monde, chacun dans son diocèse,
commencèrent à désigner les églises qui devaient être des églises
paroissiales, et à installer un curé dans chacune d’elles. |
[De conte de Lovay] Item, l'an IIcc IIIIxx et
III, edifiat ly conte de Lovay une vilhe en sa terre, que ilh nommat Levure.
Chis
conte fist mult de bien en son
paiis et y fondat pluseurs vilhes et casteals, et le regrandit tant que ilh
oit unc gran paiis desous luy à governeir. |
[Le comte de Louvain] En l’an 283, le comte de
Louvain fonda dans son comté une ville qu’il dénomma Leeuw
[Op-Leeuw selon
Bo]. Ce comte fit beaucoup de bien dans son pays : il y
fonda de nombreuses villes et
castels, et il l’agrandit si bien qu’il eut désormais à gouverner un grand
pays. |
Porus,
duc de Gaule, rentrant d’un raid en Allemagne, s’allie au passage au duc de
Lotharingie, Rainfroi, conquiert le royaume de Jupille,
petit mais
célèbre pour sa maison de justice (283) |
|
[II, p. 35] [De duc de Galle - De duc de Lotringe]
A cel temps assemblat ly dus
Porus de Galle ses hommes et sy entrat en Allemangne ; si destruit mult les
Allemans, portant qu'ilh avoient jadit wasteit son paiis al temps de son
peire ; et se revint par la duceit de Lotringe, qui estoit
adont I gran paiis, car ilh y
appendoit tout la terre que ons nomme maintenant la terre de Falconmont, de
Dolhen, de Lembor et mult d'aultres paiis. Là passat ly dus de Galle, mains
ilh n'y forfist riens, car ly dus Raufrois ly priat que ilh le lasast en
paix, car chu seroit son amis s'ilh avoit de luy mestier, et le priat al
dyneir ; et ilh demorat là l'espause de VIIII jours. |
[II, p. 35]
[Le duc de Gaule - Le duc de Lotharingie] À cette époque, le duc Porus de
Gaule rassembla ses troupes et pénétra en Allemagne, y faisant de grandes
destructions, parce que les Alamans, du temps de son père, avaient dévasté
son pays (cfr II, p. 28-30). Il revint ensuite chez lui en passant par le
duché de Lotharingie, qui était alors un grand pays, englobant tout ce qu’on
appelle aujourd’hui les terres de Fauquemont, de Dolhen, de Limbourg, sans compter beaucoup d’autres. Le duc de Gaule
passa par là, mais n’y fit aucun dégât. Le duc Rainfroi lui demanda en effet
de le laisser en paix, disant qu’il serait son ami, s’il avait besoin de lui.
Il l’invita à dîner ; Porus y séjourna durant neuf jours. |
[De roy de Jupilhe] Puis s'en partit en
remerchiant de sa bon fieste, si vint en la terre le roy de Jupilhe, qui
n'estoit mie gran paiis. Mains quant le roy Jupilhe
le soit, sy ovrat follement, car ilh allat encontre luy à pou de gens ; si
fut tantoist desconfis et fut luy-meismes ochis ; et tous ses hommes soy
rendirent à duc Porus, et soy misent del tout en sa subjection. |
[Le roi de Jupille] Puis Porus s’en alla en
remerciant le duc de son bon accueil. Il arriva dans les terres du roi de
Jupille, qui n’étaient pas très étendues. Le roi de Jupille l’ayant appris,
il n’agit pas sagement : il marcha contre Porus avec très peu d’hommes, et fut
aussitôt défait et tué ; tous se
rendirent et se soumirent totalement au duc Porus. |
[Del nobleche de
Jupilhe]
Enssi fut Jupilhe à duc de Galle, se ne fut plus royalme, mains fut I
principaliteit royal. Et y mist ly dus I prinche, qui fut saiges et
discreis, car la loy de Jupilhe et de Messe duroit par tout
Allemangne. Et
venoient tous les platieur à Jupilhe ou à Messe sour Gerleconq ; si avoit I
à Jupilhe et I à Messe, qui de longtemps estoient nommeis en lengaige de
paiis qui adont estoit, c'est-à-dire en la lenge de maintenant : maison de
franque justiche. |
[La célébrité de Jupille] Ainsi le duc de Gaule s’appropria
Jupille, qui ne fut plus un royaume, mais une principauté royale. Le duc y
installa un prince sage et avisé, car la loi de Jupille et de Metz s’appliquait à toute l’Allemagne. Tous les
plaideurs venaient à Jupille ou à Metz, au
lieu-dit Gielecoque. Il y avait un [centre de Justice] à Jupille et un à Metz. Longtemps ils
furent ainsi appelés dans la langue alors en vigueur dans le pays, ce qui
veut dire dans la langue d’aujourd’hui : « maison de libre justice ». |
Divers : Les Huns défaits en Judée et en Égypte -
La Lotharingie léguée à Brabantinus de Louvain -
Ordonnances
et martyre du pape Eutychien - Brabantinus, duc de Lotharingie et comte de
Louvain, fonde la cité de Bois-le-Duc et donne son nom à son pays (283-285) |
|
[II, p. 35] [Des Huens] En cel
an, en mois de julle, furent desconfis
les Huens en Judée et puis en Egypte. |
[II, p. 35]
[Les Huns]
Cette
année-là, en juillet, les Huns furent défaits en Judée et en Égypte. |
[Comment Lotringe
vint à Brabant] Item, l'an IIc IIIIxx et IIII, morut Rafrois ly dus de
Lotringe ; se n'avoit nuls heures, ne nuls plus prochains que Brabantinus,
le conte de Lovay, alqueile ilh lassat sa
terre de Lotringe tant seulement, qui volentier le prist.
Adont fut Brabantinus duc de Lotringe et conte de Lovay. |
[Comment la
Lotharingie passa à
Brabantinus] En
l’an 284 mourut Rainfroi, duc de Lotharingie ; il n’avait
pas d’héritiers
ni de parents plus proches que Brabantinus, comte de Louvain, à qui il laissa,
s'il l'acceptait, sa terre de Lotharingie, ce que l'héritier pressenti accepta volontiers. Ainsi Brabantinus devint
duc de Lotharingie et comte de Louvain. |
[De benir les frus] En cel an,
le XXVe jour de mois de jule, fut martirisiet ly pape de Romme Eutichianus.
Chis pape [II, p. 36]
ordinat à
son temps del benir les feves et les altres frus sus les alteis en sainte
Englise, et assemblat et ensevelit par diverses lieu IIIc et XLII martyres,
de sa propre main. |
[Bénir les fruits] En cette année [284], le 25 juillet, le pape de Rome Eutychien fut martyrisé. Ce pape [II, p. 36] ordonna, de son vivant, de bénir fèves et autres fruits sur les autels, dans la Sainte-Église. Il rassembla et, de sa propre main, ensevelit en divers endroits trois cent quarante-deux martyrs. |
[De Bois-le-duc] En cel an vint novelles à
Brabantinus, li duc de Lotringe et conte de Lovay, qu'i avoit en son paiis
des murdreurs
qui les gens murdrissoient ; sy
les allat destruire, et fist les bois flastrir, et edifiat là une vilhe que
ilh nommat le Bois-le-Duc. |
[Bois-le-Duc] En cette année, on annonça à
Brabantinus, duc de Lotharingie et comte de Louvain, qu’il y avait dans son pays
des meurtriers qui assassinaient des gens. Il alla les anéantir, fit brûler
les bois et construisit là une ville qu’il appela Bois-le-Duc. |
[Ly conte de Lovay
apellat son paiis, apres son nom, Brabant] Adont appellat Brabantinus tout son
paiis Brabant apres son
nom ; mains toudis ilh soy nommat conte
de Lovay et duc de Lotringe. |
[Le comte de Louvain appela son pays
Brabant, d’après son nom]
Alors Brabantinus
appela tout
son pays Brabant, d’après son nom ; mais toujours il se nomma comte de
Louvain et duc de Lotharingie. |
Mort de Probus - Le trentième pape Caïus, parent de
Dioclétien - L’hérétique Manès ou Mani - Marcus,
trente-huitième empereur avec son fils
Carus, meurent noyés après deux mois de règne (285-286)
|
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[II, p. 36]
L'an IIc IIIIxx et V, I'emperere
Probus entrat en paiis de Galle à gran gens ; mains ly dus Porus ly vint
à l'encontre et oit batalhe à luy, le XXIIIe jour de mois d'octembre. Sy
furent les Romans
desconfis et ly emperere Probus navreis ; si fut
reporteis desus I bierchoul chevalcereche jusques à Romme, où ilh morut le
XVIe jour de marche l'an deseurdit [sic
pour « suivante »]. |
[II, p. 36]
L'an 285,
l’empereur Probus entra en Gaule avec des troupes nombreuses,
mais le duc
Porus marcha contre lui. Dans la bataille livrée le 23 octobre, les Romains
furent vaincus et l’empereur Probus blessé. Il fut ramené sur une litière
portée par des chevaux jusqu’à Rome, où il mourut le 16 mars de
l’année suivante [correction imposée par le sens]. |
[Gayus, le XXXe
pape]
Item, je vos diray promier del election de pape, et puis del emperere. Quant
Eutichianus fut mors, si vacat ly siege XI jours, et puis le VIe jour de
mois d'awost fut fais pape de Romme I proidhons qui fut nommeis Gayus, qui
estoit de la nation de Dannemarche, de
linage
Dyocleciain, qui en chis temps fut emperere ; car Galbus, ly pere le pape,
estoit frere de la mere l'emperere Dyocleciain, lyqueis tient le siege XII
ans VIII mois et XVI jours, et solonc Martiniain, XI ans IIII mois et X
jours. |
[Caïus, trentième pape] Je parlerai d’abord de
l’élection du pape, et puis de l’empereur. À la mort d’Eutychien [284], le
siège papal resta vacant onze jours ; puis, le 6 août, un pape fut consacré
à Rome. C’était un homme sage, nommé Caïus, originaire du Danemark,
apparenté à Dioclétien, qui fut empereur en ce temps-là.
Galbus, le père du pape, était par
sa mère l’oncle de Dioclétien. Caïus occupa le siège douze ans, huit mois et
seize jours ou, selon Martin, onze ans, quatre mois et dix jours.
|
[De Manicheus, ly
heretique]
Apres, quant l'emperere Probus fut mors, al temps de cuy regnoit à Romme I
cler qui oit nom
Perses, de la nation de Acel, qui mult estoit engenable et
subtils, qui fut altrement appelleis Manes ; oussi ilh soy nommoit
Manicheus. Ilh estoit heretique et sourtenoit que ilh estoit dois lieu [sic] principals : l'unc bon et l'autre
malvais, unc reluisant et clers et l'aultre tenebreux, et mult d'aultres
erreurs laisat-ilh à cheaux qui furent apres luy. |
[L’hérétique Manichéus] Après la mort de l’empereur Probus vivait à Rome un clerc nommé Persès, originaire de Acel ; il était très ingénieux et très subtil. On lui donnait aussi comme autre nom Manès. Il s’appelait aussi Manichéus. C’était un hérétique. Il soutenait qu’il existait deux éléments principaux, l’un bon et l’autre mauvais, l’un brillant et clair, l’autre ténébreux. Il laissa beaucoup d’autres erreurs à ceux qui vécurent après lui. [voir Notes]. |
[Marcus et Carius,
emperere XXXVIII] Ors vacat ly siege VIII jours, puis fut coroneis, le XXIIIe
jour de marche, à emperere,
Marchus unc senateur ; et fut mis awec luy,
son fis [II, p. 37] Carius ;
si regnarent II mois, car ilhs soy noiarent ambdois en la Tybre à une fois,
le XXIIIe jour de may. |
[Marcus, trente-huitième empereur
avec Carus]
Alors le siège impérial resta vacant huit jours, puis le 23 mars [286],
Marcus, un sénateur, fut couronné empereur,
et
on lui adjoignit son fils [II, p. 37] Carus. Ils régnèrent
durant deux mois, car ils se noyèrent ensemble, le 23 mai. |
[Texte précédent II, p.17-26] [Notes de lecture] [Texte suivant II, p. 37-51 ]