Bibliotheca Classica Selecta - Énéide - Chant X (Plan)- Hypertexte louvaniste - Page précédente - Page suivante
ÉNÉIDE, LIVRE X
COMBATS - MORTS DE PALLAS, LAUSUS ET MÉZENCE
Requête de Vénus à Jupiter (10, 1-62a)
Jupiter rappelle aux dieux rassemblés dans l'Olympe que l'installation des Troyens en Italie est voulue par le destin, et que le temps des guerres entre Carthage et Rome n'est pas encore venu. (10, 1-15)
Auprès de Jupiter, Vénus plaide en faveur des Troyens, et en appelle à son sens de l'équité, à sa tendresse paternelle, à sa vanité, à sa compassion. Puis, renonçant pour ses protégés à toute prétention au pouvoir, elle le supplie de sauvegarder au moins Ascagne et Énée. (10, 16-62a)
Panditur interea domus omnipotentis Olympi, conciliumque uocat diuom pater atque hominum rex sideream in sedem, terras unde arduus omnis castraque Dardanidum adspectat populosque Latinos. |
Pendant ce temps s'ouvre la demeure du tout-puissant Olympe ; le père des dieux et le roi des hommes convoque l'assemblée en son séjour étoilé, d'où d'en haut il observe toute la terre, le camp des Dardaniens et les peuples latins. |
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Considunt tectis bipatentibus, incipit ipse : « Caelicolae magni, quianam sententia uobis uersa retro tantumque animis certatis iniquis ? Abnueram bello Italiam concurrere Teucris. Quae contra uetitum discordia ? Quis metus aut hos |
On prend place dans la pièce aux doubles portes ; et il commence : « Nobles habitants du ciel, pourquoi donc chez vous ce recul, ce revirement, et ces rivalités si vives et si injustes ? Je n'avais pas permis à l'Italie de faire la guerre aux Troyens. Quelle est cette discorde bravant mes interdits ? Quelle crainte |
10, 5 |
aut hos arma sequi ferrumque lacessere suasit ? Adueniet iustum pugnae, ne arcessite, tempus, cum fera Karthago Romanis arcibus olim exitium magnum atque Alpes immittet apertas : tum certare odiis, tum res rapuisse licebit. |
a poussé les uns et les autres à prendre les armes et à se provoquer ? Il viendra le juste temps pour le combat, – ne l'appelez pas –, quand la féroce Carthage lancera un jour contre les collines de Rome un assaut dévastateur après avoir ouvert le passage des Alpes : alors les haines pourront s'affronter, les pillages être effectués. |
10, 10 |
Nunc sinite et placitum laeti componite foedus. » Iuppiter haec paucis ; at non Venus aurea contra pauca refert : « O pater, O hominum rerumque aeterna potestas ! Namque aliud quid sit, quod iam implorare queamus ? |
Maintenant soyez contents de permettre l'accord qui a mes faveurs. » Jupiter parla brièvement ; mais la Vénus d'or lui répondit longuement : « O père, puissance éternelle régnant sur les hommes et l'univers, – car quel autre recours pourrions-nous invoquer désormais ? – |
10, 15 |
Cernis ut insultent Rutulli Turnusque feratur per medios insignis equis tumidusque secundo Marte ruat ? Non clausa tegunt iam moenia Teucros : quin intra portas atque ipsis proelia miscent aggeribus moerorum et inundant sanguine fossas. |
tu vois les assauts des Rutules, la prestance magnifique de Turnus fonçant parmi ses cavaliers, gonflé d'orgueil par la faveur de Mars ? Les Troyens enfermés dans leurs murs ne sont plus à l'abri ; bien au contraire, la mêlée fait rage à l'intérieur des portes et sur les remblais des murs : le sang inonde les fossés. |
10, 20 |
Aeneas ignarus abest. Numquamne leuari obsidione sines ? Muris iterum imminet hostis nascentis Troiae nec non exercitus alter ; atque iterum in Teucros Aetolis surgit ab Arpis Tydides. Equidem credo, mea uolnera restant |
Énée, absent, ignore la situation. Ne permettras-tu jamais la levée de ce siège ? Une fois de plus, un ennemi menace les murs d'une Troie qui renaît, et une seconde armée se lève ; et voici qu'à nouveau le fils de Tydée se dresse contre les Teucères, venant d'Arpi l'étolienne, Oui, je le pense, des blessures m'attendent, |
10, 25 |
et tua progenies mortalia demoror arma. Si sine pace tua atque inuito numine Troes Italiam petiere, luant peccata neque illos iuueris auxilio ; sin tot responsa secuti, quae superi manesque dabant : cur nunc tua quisquam |
et moi, ta descendance, je suis destinée aux armes d'un mortel. Si les Troyens ont rejoint l'Italie sans ton accord et contre ton gré, qu'ils expient leurs fautes ; refuse-leur ton aide ; si au contraire, ils n'ont fait que suivre les si nombreux oracles des dieux du ciel et des Mânes, pourquoi peut-on maintenant |
10, 30 |
uertere iussa potest aut cur noua condere fata ? Quid repetem exustas Erycino in litore classes, quid tempestatum regem uentosque furentis Aeolia excitos aut actam nubibus Irim ? Nunc etiam manis, haec intemptata manebat |
transgresser tes ordres, ou forger de nouveaux destins ? Pourquoi évoquer les navires incendiés sur les côtes de l'Éryx, et le roi des tempêtes, et les vents furieux levés en Éolie, ou Iris dépêchée à travers les nuages ? En ce moment, elle agite aussi les Mânes, une partie de l'univers |
10, 35 |
sors rerum, mouet et superis immissa repente Allecto, medias Italum bacchata per urbes. Nil super imperio moueor : sperauimus ista, dum fortuna fuit ; uincant quos uincere mauis. Si nulla est regio, Teucris quam det tua coniunx |
qu'elle n'avait pas encore sollicitée ; soudain envoyée du ciel, Allecto, telle une bacchante, se déchaîne dans les villes d'Italie. Désormais l'empire n'importe plus. Nous avons nourri cet espoir, tant que la fortune nous souriait. Que l'emportent tes préférés. S'il n'est point de terre que ton épouse veuille donner aux Troyens, |
10, 40 |
dura, per euersae, genitor, fumantia Troiae exscidia obtestor, liceat dimittere ab armis incolumem Ascanium, liceat superesse nepotem. Aeneas sane ignotis iactetur in undis et, quamcumque uiam dederit Fortuna, sequatur : |
la cruelle, alors, ô père, je t'en supplie, au nom des restes fumants de Troie, permets qu'Ascagne reste éloigné des luttes armées, et soit sauvegardé ; permets que survive ton petit-fils. Qu'Énée soit tourmenté sur des flots inconnus, qu'il poursuive la voie que lui offrira la fortune, |
10, 45 |
hunc tegere et dirae ualeam subducere pugnae. Est Amathus, est celsa mihi Paphus atque Cythera Idaliaeque domus : positis inglorius armis exigat hic aeuum. Magna dicione iubeto Karthago premat Ausoniam : nihil urbibus inde |
et que je puisse le protéger, le soustraire au cruel combat. Je possède Amathonte, et la haute Paphos, et Cythère, et ma demeure d'Idalie : qu'il dépose les armes et, sans gloire, passe là sa vie. Ordonne que Carthage écrase l'Ausonie sous sa puisssante domination ; nous ne ferons aucun obstacle |
10, 50 |
obstabit Tyriis. Quid pestem euadere belli iuuit et Argolicos medium fugisse per ignes totque maris uastaeque exhausta pericula terrae, dum Latium Teucri recidiuaque Pergama quaerunt ? Non satius cineres patriae insedisse supremos |
aux villes tyriennes. À quoi bon pour les Teucères d'avoir échappé au fléau de la guerre, d'avoir dans leur fuite traversé les flammes argiennes, et d'avoir surmonté tant de périls sur mer et par le vaste monde, quand ils cherchaient le Latium et une nouvelle Pergame ? N'eut-il pas mieux valu rester dans leur patrie en cendres |
10, 55 |
atque solum, quo Troia fuit ? Xanthum et Simoenta redde, oro, miseris iterumque reuoluere casus da, pater, Iliacos Teucris. » |
sur le sol où la défunte Troie s'était dressée ? Ô père, je t'en supplie, rends aux malheureux Troyens le Xanthe et le Simoïs, permets-leur de revoir les malheurs d'Ilion. » |
10, 60 |
Plaidoyer de Junon et réponse de Jupiter (10, 62b-117)
Junon irritée répond à Vénus, rejetant sur elle toute la responsabilité du conflit et justifiant ses interventions au nom des droits des Latins et des Rutules à régner en Italie. (10, 62b-95)
Aux dieux perplexes, Jupiter annonce qu'il ne prendra parti ni pour Junon ni pour Vénus, assurant que « les destins trouveront leur voie ». (10, 96-117)
Tum regia Iuno acta furore graui : « Quid me alta silentia cogis rumpere et obductum uerbis uolgare dolorem ? |
Lors la royale Junon, en proie à une vive fureur : « Pourquoi me forces-tu à rompre un long silence, à divulguer tout haut un secret douloureux ? |
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Aenean hominum quisquam diuomque subegit bella sequi aut hostem regi se inferre Latino ? Italiam petiit fatis auctoribus, esto, Cassandrae inpulsus furiis : num linquere castra hortati sumus aut uitam committere uentis ? |
Quelqu'un, un dieu ou un humain, a-t-il vraiment poussé Énée à s'engager dans la guerre ou à se présenter en ennemi au roi Latinus ? Il est parvenu en Italie avec l'accord des destins, soit ! poussé par les fureurs de Cassandre : mais nous, l'avons-nous engagé à quitter son camp ou à confier sa vie aux vents ? |
10, 65 |
Num puero summam belli, num credere muros Tyrrhenamque fidem, aut gentis agitare quietas ? Quis deus in fraudem, quae dura potentia nostra egit ? Vbi hic Iuno demissaue nubibus Iris ? Indignum est Italos Troiam circumdare flammis |
À remettre à un enfant tout le soin de la guerre, à se fier à des murailles et à la loyauté tyrrhénienne, à tourmenter des peuples paisibles ? Quel dieu, quel maléfice venant de moi l'ont mené à ce piège ? Où voit-on dans tout ceci Junon ou Iris, lancée à travers les nues ? Il serait indigne pour les Italiens d'incendier une Troie renaissante |
10, 70 |
nascentem et patria Turnum consistere terra, cui Pilumnus auus, cui diua Venilia mater : quid face Troianos atra uim ferre Latinis, arua aliena iugo premere atque auertere praedas ? Quid soceros legere et gremiis abducere pactas, |
et pour Turnus de s'installer sur sa terre ancestrale, lui dont l'aïeul est Pilumnus et la mère la déesse Vénilia ! Que dire des Troyens aux sombres torches violentant les Latins, soumettant à leur joug les champs d'autrui et dérobant du butin ? Que dire du fait qu'ils choisissent des beaux-pères, arrachent des fiancées |
10, 75 |
pacem orare manu, praefigere puppibus arma ? Tu potes Aenean manibus subducere Graium proque uiro nebulam et uentos obtendere inanis, tu potes in totidem classem conuertere nymphas : nos aliquid Rutulos contra iuuisse nefandum est ? |
au giron familial et demandent la paix, main tendue, en armant des navires ? Toi, tu aurais le pouvoir de soustraire Énée aux bataillons des Grecs et de tendre devant le héros un nuage et des vents inconsistants ; tu pourrais transformer sa flotte en autant de nymphes : et nous, nous serions sacrilèges d'avoir quelque peu aidé les Rutules ? |
10, 80 |
Aeneas ignarus abest : ignarus et absit. Est Paphus Idaliumque tibi, sunt alta Cythera : quid grauidam bellis urbem et corda aspera temptas ? Nosne tibi fluxas Phrygiae res uertere fundo conamur, nos, an miseros qui Troas Achiuis |
Énée, absent, ignore tout ! : qu'il reste ignorant et absent. Tu possèdes Paphos et Idalie, tu possèdes l'altière Cythère. Pourquoi provoquer des âmes ardentes et une ville lourde de guerres ? Et selon toi, est-ce nous qui persistons à bouleverser la Phrygie en désarroi ? Est-ce nous ou est-ce celui qui opposa |
10, 85 |
obiecit ? Quae causa fuit, consurgere in arma Europamque Asiamque et foedera soluere furto ? Me duce Dardanius Spartam expugnauit adulter, aut ego tela dedi fouiue cupidine bella ? Tum decuit metuisse tuis : nunc sera querelis |
aux Achéens les malheureux Troyens ? Pourquoi l'Europe et l'Asie en bloc ont-elles pris les armes, rompant les traités par un enlèvement ? L'adultère dardanien est-il venu sous ma conduite assaillir Sparte ? Lui ai-je donné des armes, ai-je attisé les guerres, aidée de Cupidon ? C'est alors qu'il fallait craindre pour les tiens : tu arrives bien tard, |
10, 90 |
haud iustis adsurgis et inrita iurgia iactas. » Talibus orabat Iuno, cunctique fremebant caelicolae adsensu uario, ceu flamina prima cum deprensa fremunt siluis et caeca uolutant murmura, uenturos nautis prodentia uentos. |
avec tes plaintes injustes, et tu provoques de vaines querelles ». Ainsi parlait Junon, et tous les habitants du ciel tremblaient d'émotion, avec des avis partagés : ainsi frémissent les premiers souffles qui se lèvent dans les forêts et se propagent en ondes invisibles, murmures qui annoncent aux marins la prochaine arrivée des vents. |
10, 95 |
Tum pater omnipotens, rerum cui prima potestas, infit ; eo dicente deum domus alta silescit et tremefacta solo tellus, silet arduus aether, tum Zephyri posuere, premit placida aequora pontus : « Accipite ergo animis atque haec mea figite dicta. |
Alors le père tout puissant, qui détient la souveraineté universelle, prend la parole. Pendant son discours, la haute demeure des dieux reste silencieuse, la terre tremble, le haut éther se tait ; les zéphyrs aussi se sont posés ; l'immense océan apaise et retient ses flots : « Écoutez donc mes paroles et imprimez-les dans vos esprits. |
10, 100 |
Quandoquidem Ausonios coniungi foedere Teucris haud licitum, nec uestra capit discordia finem : quae cuique est fortuna hodie, quam quisque secat spem, Tros Rutulusne fuat nullo discrimine habebo. Seu fatis Italum castra obsidione tenentur |
Puisqu'une union entre Ausoniens et Troyens n'a pu être conclue, puisque votre discorde ne connaît point de fin, aujourd'hui, quels que soient la fortune de chacun, l'espoir qu'il nourrit, qu'il soit Troyen ou Rutule, je ne ferai aucune différence, que le siège du camp dépende des destins des Italiens, |
10, 105 |
siue errore malo Troiae monitisque sinistris. Nec Rutulos soluo : sua cuique exorsa laborem fortunamque ferent. Rex Iuppiter omnibus idem. Fata uiam inuenient. » Stygii per flumina fratris, per pice torrentis atraque uoragine ripas |
ou d'une malheureuse erreur des Troyens, suite à de funestes avis. Et je n'excepte pas les Rutules. Tous trouveront dans leurs initiatives leur part d'épreuve et de chance. Le roi Jupiter est le même pour tous. Les destins trouveront leur voie ». Jurant par le Styx son frère, par ses rives que brûlent de noirs tourbillons de poix, |
10, 110 |
adnuit et totum nutu tremefecit Olympum. Hic finis fandi. Solio tum Iuppiter aureo surgit, caelicolae medium quem ad limina ducunt. |
il fit un signe de tête, et à ce geste tout l'Olympe trembla. Ce fut la fin des discours. Alors Jupiter quitte son trône d'or, et les habitants du ciel l'entourent et l'escortent vers le seuil. |
10, 115 |
Notes (10, 1-117)
Pendant ce temps (10, 1). Pendant que se déroulent les événements décrits dans le livre 9, c'est-à-dire les combats opposant Troyens et Latins. On sait qu'en l'absence d'Énée, qui a quitté les siens en 8, 79 pour Pallantée, les Troyens ont accumulé les erreurs : qu'on songe à l'expédition désastreuse de Nisus et d'Euryale (9, 176-503), ou à la folle audace des deux gardiens de la porte Dardanienne (9, 672-818). Sur le plan formel, le chant 9 commence un peu de la même manière : « Pendant que se déroulent ces événements dans des régions lointaines ».
La demeure du tout-puissant Olympe (10, 1-2). D'habitude c'est Jupiter seul qui est qualifié de « tout-puissant » ; ici, comme d'ailleurs en 12, 791, l'adjectif s'applique à l'ensemble de l'Olympe. C'est évidemment de la demeure de Jupiter qu'il s'agit, demeure que Virgile place sur la cime la plus haute du mont Olympe, en Thessalie, en imaginant un Conseil des dieux, comme on en trouve chez Homère (Iliade, 4, 1-2, 8, 1-4).
aux doubles portes (10, 5). On hésitera à donner à l'expression une valeur trop concrète. Servius, dans son commentaire, voit là une manière d'évoquer l'immensité : la demeure céleste s'ouvre vers l'orient et vers l'occident.
Je n'avais pas permis (10, 8). Dans sa grande prophétie initiale (cfr 1, 263), Jupiter a bien prévu cette guerre, mais nulle part dans l'Énéide, il n'est question d'une interdiction qu'il aurait portée. On y voit parfois une contradiction que Virgile aurait fait disparaître s'il avait eu le temps de revoir son oeuvre.
Le temps fixé pour le combat, etc. (10, 11-14). Allusion aux guerres puniques, et à la fameuse campagne d'Hannibal en Italie. Le choc historique entre Rome et Carthage est ici préfiguré par la rivalité entre Latins et Troyens, au temps d'Énée.
contre les collines de Rome (10, 12) . Le texte latin parle, non pas des collines, mais des citadelles (arces) de Rome, chaque colline étant en quelque sorte considérée comme une forteresse. On sait qu'en réalité Hannibal n'attaqua pas Rome ; lorsqu'il parvint en vue des murailles de la ville, il n'osa pas donner l'assaut et emmena ses troupes pour passer l'hiver plus au sud, à Capoue.
des Alpes (10, 13). Allusion à la mémorable traversée des Alpes par Hannibal (218 av. J.-C.), racontée en détail par Tite-Live, 21, 34.
à l'accord qui a mes faveurs (10, 15). Le souhait de Jupiter – parlant en son nom propre ou répercutant les arrêts des destins, on ne le sait pas – , c'est que les dieux déposent leurs querelles, en attendant que vienne « le juste temps » pour les combats, c'est-à-dire l'époque des guerres puniques.
Vénus d'or (10, 16) . L'expression latine correspond à l' « Aphrodite d'or » d'Homère (Iliade , 3, 64). On se rappellera la prière de Vénus à Jupiter, 1, 229-253.
Une fois de plus un ennemi menace, etc. (10, 24-30). Cet ennemi est Diomède, fils de Tydée. Vénus ne cite pas son nom, mais elle a conservé de lui un souvenir cuisant, celui de la blessure que lui avait infligée le héros lorsque, devant Troie, elle était descendue du ciel pour porter secours à Énée en très grand danger (Iliade, 5, 330-351). Cet épisode est évoqué en 10, 29-30, et en 10, 81-82. Rappelons que Diomède est un des grands héros grecs de l'Iliade, farouche ennemi des Troyens. Ainsi par exemple il avait participé avec Ulysse à l'enlèvement du Palladium et avait blessé Hector. Sur Diomède, cfr 1, 96n.
une Troie qui renaît (10, 27). C'est le thème, courant dans l'Énéide, d'une Troie qui renaît dans le Latium. Rome, on le sait, sera « la nouvelle Troie».
Arpi l'étolienne (10, 28). Arpi est une ville d'Apulie (sud de l'Italie), où se trouvait alors Diomède, après son retour de Troie. On raconte qu'il aurait aidé le roi de la région Daunus, dans une guerre contre les Messapiens et, qu'en reconnaissance, Daunus lui aurait offert un territoire sur lequel le héros aurait construit Arpi. Ville d'Italie, Arpi est ici qualifiée d'étolienne, parce que le grand-père de Diomède, qui s'appelait Oenée, était roi d'Étolie.
des blessures m'attendent (10, 29). Allusion à la blessure que Diomède avait infligée à Vénus lorsque, devant Troie, elle était descendue du ciel pour porter secours à Énée en très grand danger (Iliade, 5, 330-351).
des dieux du ciel et des Mânes (10, 34). En ce qui concerne les dieux du ciel, on peut évoquer, par exemple, Apollon dont l'oracle avait dit aux Troyens de chercher la terre qui est leur ancienne mère, c'est-à-dire l'Italie (3, 94-98). En ce qui concerne les Mânes, rappelons les messages analogues émis par le fantôme d'Hector (2, 289-295), par l'ombre de Créuse (2, 776-789, surtout 781), et par l'image d'Anchise mort apparaissant à Énée (5, 724-731).
transgresser tes ordres, ou forger de nouveaux destins (10, 35). Ici, comme en d'autres passages (1, 262, par exemple), les ordres de Jupiter paraissent se confondre avec les arrêts du destin.
Pourquoi évoquer, etc. (10, 36-38). Vénus énumère ici, sans la nommer, diverses interventions de Junon contre les Troyens. À deux reprises, la déesse s'est servie d'Iris (citée au vers 38 par Vénus, puis au vers 73, par Junon), une fois en Sicile, pour exciter les Troyennes à mettre le feu aux vaisseaux (5, 604-663), une autre fois, en Italie, pour pousser Turnus à la guerre (9, 2-24). Il est également question de la tempête suscitée par Éole (1, 34ss).
les côtes de l'Éryx (10, 36). Le mont Éryx est une montagne située à l'extrémité nord-ouest de la Sicile, non loin de Drépane (cfr 1, 570 ; 5, 759 ). L'expression désigne donc ici la Sicile.
Allecto (10, 39-41). Ces vers évoquent le monde des Enfers, lieu de séjour de la furie Allecto, qui joue un rôle important au livre 7 de l'Énéide. Allecto, sur l'ordre de Junon (7, 323-340) intervient auprès d'Amata, qu'elle transforme en bacchante (7, 324-353 ; 374-405), irrite Turnus, en se déguisant en vieille femme, prêtresse de Junon (7, 406-474), puis avec une nouvelle ruse, embrase tout le Latium, avant d'être renvoyée aux Enfers par Junon (7, 475-560).
L'empire ne m'importe plus (10, 42). On se souviendra des paroles qu'en 1, 234-237, Vénus a adressées à Jupiter :
« C'est de là [= des Troyens] cependant qu'un jour, dans la suite des ans, les Romains devraient naître, ces chefs qui, ranimant la race de Teucer, tiendraient sous leur pouvoir la mer et toutes les terres : tu l'avais promis. » (trad. J. Perret)
On se souviendra aussi de la réponse de Jupiter à sa fille (1, 278-279) :
« À ceux-là [= les Romains] ni bornes dans l'espace ni durée définie je ne fixe : je leur ai donné un empire sans fin. » (trad. J. Perret)
Je possède Amathonte, etc. (10, 51-52). Amathonte, Paphos et Idalie sont des villes de l'île de Chypre, où était vénérée Aphrodite, dans divers temples. Cythère est une île de la mer de Crète, qui possédait un magnifique temple de Vénus, souvent appelée Cythérée par les poètes latins.
Carthage, etc. (10, 53-55). Ces vers évoquent les guerres puniques qui historiquement opposèrent des siècles durant les Carthaginois à l'Italie, appelée ici Ausonie.
Pergame (10, 58). La citadelle de Troie, plus exactement les tours de cette citadelle et, par suite, la ville elle-même. Nouvelle apparition du thème de la « nouvelle Troie ».
le Xanthe et le Simoïs (10, 60-63). Le Xanthe (cfr 1, 473), ou Scamandre, et le Simoïs (1, 100) sont deux rivières de la Troade.
Cassandre (10, 68). Fille de Priam et d'Hécube, soeur jumelle d'Hélénos (cfr 2, 246 ; 2, 343 ; 2, 404 ; 3, 183 ; 3, 187). Apollon lui avait donné le don de prophétie, tout en décidant que personne n'ajouterait foi à ce qu'elle disait. Junon prête ici à Cassandre des vaticinations sur la destination d'Énée, qui auraient été énoncées dans un accès de folie et qui ne devaient donc pas être prises au sérieux.
quitter son camp, etc. (69-71). Ces vers évoquent des événements rapportés dans les livres 8 et 9 : Énée remontant le Tibre jusqu'à Pallantée, abandonnant son camp, sollicitant l'alliance avec les Étrusques ou Tyrrhéniens (8, 478 ss.). L'expression « confier sa vie aux vents » lorsqu'il s'agit de remonter le Tibre depuis son embouchure jusqu'à Pallantée est une exagération dans la bouche de Junon, tout comme l'est la formule « remettre à un enfant tout le soin de la guerre ». En réalité, ce n'est pas à Ascagne, mais à Mnesthée et à Séreste qu'Énée, en partant, avait remis le commandement (9, 171-173).
Iris (10, 73). Voir 10, 36-38. Mauvaise foi évidente de Junon : c'est elle qui a envoyé Iris, elle aussi qui est allée chercher Allecto aux Enfers.
Turnus, Pilumnus, Vénilia (10, 75-76). Chez Virgile, Pilumnus (cfr 9, 4 et 10, 619) est présenté comme le grand-père de Turnus (et le père de Daunus). Vénilia est une personnalité assez mystérieuse (une nymphe ?), que certains Anciens associent à Neptune, d'autres à Janus, et dont Virgile fait la mère de Turnus, par une démarche de pensée analogue à celle qu'il a suivie pour faire de Juturne (livre 12) la soeur de Turnus. Dans le même ordre d'idées, on sait que Carmenta est devenue chez les poètes, et notamment chez Virgile, la mère d'Évandre (8, 336).
torches (10, 77). La torche est le symbole de la guerre et de ses violences. Mais ici encore Junon exagère : les violences commises par les Troyens lors des événements qui ont suivi la mort du cerf de Silvia (7, 483-504) sont en fait le résultat des provocations de Junon et d'Allecto.
des beaux-pères, etc. (10, 79) . Allusion à l'union d'Énée et de Lavinia, laquelle avait pourtant été promise à Turnus. Mais Latinus, malgré Amata (7, 359-374), ne fait que suivre les destins (7, 314).
demandent la paix, etc. (10, 80). « Demandent la paix, main tendue », en portant sans doute un rameau d'olivier comme lors de l'ambassade des Troyens chez Latinus (7, 152-155), ou lorsque Énée rencontre Pallas à son arrivée à Pallantée chez Évandre (8, 115-116).
soustraire Énée, etc. (10, 81-82). À Troie, Vénus a protégé son fils Énée contre les coups de Diomède (Iliade, 5, 311-318). Il en a été question en 10, 26-30.
transformer sa flotte, etc. (10, 83). C'est la transformation en nymphes marines des vaisseaux d'Énée. Voir 9, 107-122.
Paphos, etc. (10, 86). Cfr 10, 51-52.
une ville lourde de guerres (10, 87). La ville de Latinus est présentée ici par Junon comme rude et guerrière, alors qu'en 7, 46, le royaume latin apparaît calme et pacifique. Vénus, dit ici Junon, habituée à des régions propices à l'amour (Paphos, Idalie, Cythère) et à des êtres doux et aimables, ne devrait pas intervenir dans des pays guerriers et auprès de coeurs sauvages.
la Phrygie (10, 88). Le discours de Junon revient aux événements qui ont marqué la ruine de Troie. Dans une série d'interrogations oratoires, elle veut montrer que ce n'est pas elle – pourtant ennemie des Troyens – qui porte la responsabilité de ce qui s'est alors passé. Le présent « tentons » (conamur au v. 89) signifie « tentons et continuons de tenter »; il tire son sens du passé « a opposé » (v. 90 : obiecit) de la proposition suivante. Le sort de la Phrygie a été et reste chancelant (fluxas au v. 88). Ce n'est pas sa faute à elle, Junon.
celui qui opposa, etc. (10, 89-93). Le vrai responsable, c'est le Troyen Pâris qui, en enlevant Hélène de Sparte, déclencha la guerre de Troie, où s'affrontèrent Europe et Asie.
assaillir Sparte (10, 92). Selon Servius, Hélène aurait refusé de suivre Pâris, lequel aurait alors assiégé Sparte et emmené Hélène comme butin. Mais l'expugnauit du texte latin peut se comprendre métaphoriquement : Pâris, en enlevant la femme de Ménélas, se serait comporté comme dans une ville conquise.
Cupidon (10, 93). C'est Cupidon qui avait inspiré à Pâris sa passion pour Hélène. Vénus aurait dû surveiller son fils de plus près.
avis partagés (10, 97). Les uns approuvent Vénus, les autres Junon.
Écoutez donc mes paroles et imprimez-les dans vos esprits (10, 104). Reprise textuelle de la phrase par laquelle Céléno, en 3, 250, introduit sa prophétie. Ce discours de Jupiter, clôturant les plaidoiries de Vénus et de Junon, et la façon dont il sera obéi nous introduisent assez bien dans la conception que Virgile se fait des rapports entre le destin, les ordres de Jupiter et la volonté des dieux. Comme l'écrit J. Perret (Virgile. Énéide, III, 1980, p. 190), cette assemblée divine n'a pas pour but « de prendre une décision pour l'avenir ; elle est déjà prise et Junon le sait aussi bien que quiconque : les Troyens resteront au Latium et Énée épousera Lavinia (7, 313-314). Mais ce que Jupiter veut éviter, c'est que les dieux dans l'immédiat interviennent trop activement pour peser sur les modalités de cette réalisation : elles doivent rester entre les mains des hommes, dépendre de leurs efforts et de leur chance [...], si obscur que demeure ici le contenu de ce mot [fortuna]. [...] Naturellement Jupiter ne sera obéi qu'à moitié [...], mais certaines limites ne seront pas franchies ».
que le siège du camp, etc. (10, 109-110). Jupiter ne se préoccupe pas de savoir si le siège du camp troyen par les Rutules est « fatal », c'est-à-dire voulu par le destin des Rutules, ou s'il est « conjoncturel », s'expliquant alors tout simplement par des erreurs des Troyens.
Les destins trouveront leur voie (10, 113). Jupiter – et tous les dieux d'ailleurs – savent bien quelle est cette voie ; ils savent tous quel camp finalement va l'emporter. Le lecteur le sait aussi : il lui suffit de se reporter à la « grande prophétie de Jupiter » au chant 1 (cfr 1, 257-279). Les destins en fait se réalisent toujours. L'expression a déjà été utilisée par Virgile en 3, 395.
Styx, etc. (10, 113-115). Ces trois vers sont repris de 9, 104-106.
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