PVBLII CORNELII TACITI DIALOGVS DE ORATORIBVS

Débat sur les orateurs de Publius Cornelius Tacitus dit Tacite

Traduction nouvelle avec notes par Danielle De Clercq (Mars 2008)


NOTES XXVIII-XXXV

 

recherches (XXVIII 1). Cf. XXVII 1.

cause (XXVIII 1). En fait le moment de l'apparition de cette évolution reste assez flou. On sera assez étonné de voir coexister des exemples d'éducation ancienne, tels les Gracques, César, Octave, et l'anarchie politique qui leur est contemporaine. Cf. XXVIII 6 ; XXXVI sv.

chez vous (XXVIII 3). Rappel de l'origine gauloise des trois interlocuteurs de Vipstanus Messalla.

nourrice (XXVIII 4). Messalla va peu après s'étendre sur les conséquences morales de cette situation. Cf. XXIX 1. Quintilien, plus en phase avec son temps, présente comme un fait acquis que les nouveau-nés soient confiés à des nourrices. Mais, s'inspirant du stoïcien Chrysippe (vers 280 a.C), il prodigue des recommandations pour ne pas créer de déformations morales et langagières chez l'enfant. Cf I.O. I 1, 4-5 : Ante omnia ne sit uitiosus sermo nutricibus : quas, si fieri posset, sapientes Chrysippus optauit, certe quantum res pateretur optimas eligi uoluit. Et morum quidem in his haud dubie prior ratio est, recte tamen etiam loquantur. 5. Has primum audiet puer, harum uerba effingere imitando conabitur. Et natura tenacissimi sumus eorum, quae rudibus animis percepimus : ut sapor quo noua imbuas uasa durat, nec lanarum colores, quibus simplex ille candor mutatus est, elui possunt. Et haec ipsa magis pertinaciter haerent quae deteriora sunt. Nam bona facile mutantur in peius : quando in bonum uerteris uitia ? Non adsuescat ergo, ne dum infans quidem est, sermoni qui dediscendus sit. 4. Avant tout, pas de fautes de langage chez les nourrices ! Chrysippe, lui, les a souhaitées, si possible, intelligentes, du moins les plus vertueuses qu'on pût espérer. Oui, bien sûr, c'est leur moralité qui doit d'abord être prise en considération. Mais veillons aussi à ce qu'elles parlent quand même correctement. 5. Ce sont elles que l'enfant entendra d'abord, ce sont leurs mots à elles qu'il essayera de former par imitation. Car tout naturellement nous retenons au plus profond de nous-mêmes tout ce que nous avons appris en bas âge. De même un récipient : l'odeur dont il a été imprégné étant neuf s'y incruste pour toujours. Quant aux laines, on ne peut délaver les couleurs qui ont teint leur blancheur naturelle. Plus néfastes sont les impressions reçues, plus elles demeurent obstinément ancrées. Le bien évolue facilement en mal : mais quand arrive-t-on à convertir en bien les imperfections ? Par conséquent qu'un enfant ne s'habitue pas, à plus forte raison quand il ne parle pas encore, à un langage qu'il devra désapprendre. Ibid. 16 is, quamuis nutricibus triennium dederit, tamen ab illis quoque iam formandam quam optimis institutis mentem infantium iudicat. Celui-ci (Chrysippe), tout en confiant pendant trois ans les enfants en bas âge à des nourrices, pense pourtant que ce sont elles qui doivent leur former l'esprit aux meilleures habitudes.

mère (XXVIII 4). Le même exemple est donné par la mère d'Agricola. Cf. Agr. IV 3 : Mater Iulia Procilla fuit, rarae castitatis. In huius sinu indulgentiaque educatus per omnem honestarum artium cultum pueritiam adulescentiamque transegit. Iulia Procilia, mère d'Agricola, était une dame d'une exceptionnelle respectabilité. Elle s'occupa elle-même de son fils en bas âge, le choya avec tendresse et, de l'enfance à l'adolescence, l'éduqua en profondeur à la pratique du bien.

Cornelia (XXVIII 6). Cf. Br. 210-211 : Magni interest quos quisque audiat cotidie domi, quibuscum loquatur a puero, quemadmodum patres, paedagogi, matres etiam loquantur. 211. Legimus epistulas Corneliae matris Gracchorum. Apparet filios non tam in gremio educatos quam in sermone matris. Auditus est nobis Laeliae Gaii filiae saepe sermo. Ergo illam patris elegantia tinctam uidimus. Voilà l'enjeu : qui entend-on parler chaque jour à la maison ? Avec qui parle-t-on dès le plus jeune âge ? Comment parlent les pères, les pédagogues, sans oublier les mères ? Nous avons lu les lettres de Cornelia, la mère des Gracques : il en ressort qu'ils n'ont pas été autant éduqués dans le giron de leur mère que par sa conversation. Souvent nous avons entendu converser Laelia, la fille de Gaius et nous avons vu qu'elle était imprégnée de l'élégance paternelle. I.O. I, 1, 6 : In parentibus uero quam plurimum esse eruditionis optauerim. Nec de patribus tantum loquor : nam Gracchorum eloquentiae multum contulisse accepimus Corneliam matrem, cuius doctissimus sermo in posteros quoque est epistulis traditus, et Laelia C. filia reddidisse in loquendo paternam elegantiam dicitur, et Hortensiae Q. filiae oratio apud triumuiros habita legitur non tantum in sexus honorem. Puissè-je lui souhaiter des parents instruits le plus possible ! Et je ne parle pas que des pères, car nous savons que la mère des Gracques, Cornelia, a beaucoup contribué à leur éloquence, elle dont la postérité aussi connaît grâce à sa correspondance la manière très savante de s'exprimer. Laelia, la fille de Gaius reproduisait, dit-on, l'élégance paternelle dans son parler. Enfin, le discours d'Hortensia, la fille de Quintus  s'adressant aux triumvirs, on ne le lit pas seulement pour faire honneur à son sexe. Cf. Br.252.

inné (XXVIII 7). Messalla rejoint ici le point de vue de Maternus sur la pureté naturelle de l'être humain que la vie corrompt par la suite. Cf. XII 2.

petite (XXIX 1). Cf. III 4.

fariboles (XXIX 1). L'énoncé de Messalla rappelle Quintilien tout en faisant l'impasse sur la durée de cette période et de la suite à lui apporter. Cf. I.O. I 9, 2.  Aesopi fabellas, quae fabulis nutricularum proxime succedunt, narrare sermone puro et nihil se supra modum extollente, deinde eandem gracilitatem stilo exigere condiscant [pueri]. Que les fables d'Esope, qui succèdent très vite aux contes des nourrices, les enfants apprennent à les raconter sans faire de fautes de langage et sans les embellir outre mesure, ensuite à les écrire avec la même simplicité.

moralité (XXIX 2). Cf. Juvénal, Sat. XIV 47-49 : Maxima debetur puero reuerentia, si quid / turpe paras, nec tu pueri contempseris annos, / sed peccaturo obstet tibi filius infans. C'est au plus grand respect qu'a droit l'enfance. Si tu te prépares à agir mal, ne traite pas par le mépris l'âge de ton enfant. Au contraire, si tu as l'intention de commettre une faute, que ton fils encore sans parole t'en empêche. Sénèque va dans le même sens pour éviter que l'enfant ne devienne colérique. Cf. De Ira II 21, 6 : Dabimus aliquod laxamentum. In desidia uero otiumque non resoluemus et procul a contactu deliciarum retinebimus. Nihil enim magis fecit iracundos quam educatio mollis et blanda. Ideo unicis quo plus indulgetur, pupillisque quo plus licet, corruptior animus est. Non resistet offensis cui nihil umquam negatum est, cui lacrimas sollicita semper mater abtresit, cui de paedagogo satisfactum est. Nous le laisserons se relaxer quelque peu, mais sans lui permettre de se dissiper dans le désoeuvrement et l'inaction. Nous le tiendrons bien à l'écart des plaisirs. Car c'est avant tout une éducation molle et complaisante qui rend colériques des individus. C'est pourquoi, plus on a d'indulgence pour des enfants uniques, plus on accorde à des pupilles, plus on les corrompt. Il ne supportera pas d'offenses, celui à qui jamais on n'a rien refusé, celui dont sa mère sur le qui-vive a toujours essuyé les larmes, celui qui toujours a eu raison contre son pédagogue.

élémentaire (XXX 1). Cet enseignement (de 7 à 11 ou 12 ans) était assuré par le litterator qui apprenait à lire, à écrire et à compter tandis que l'enseignement moyen (de 11 ou 12 ans jusqu'à environ 16 ans), auquel Vipstanus Messalla fait aussi une allusion peu flatteuse, revient au grammaticus qui enseignait la littérature grecque et latine (surtout de la poésie) en étoffant son cours de notions d'histoire, de géographie, de physique d'astronomie et surtout de mythologie.

bientôt (XXX 2). Cf. XXXV 1 sv.

dernière (XXX 3). Cf. Br. 304 sv.

débuts (XXX 3). Cf. Br. 308 sv.

parcouru (XXX 3). Cf. Br. 314-315.

orateur (XXX 5). Messalla fait allusion à la définition que donne Cicéron de l'orateur. Cf. De Or. I 64 : Quam ob rem, si quis uniuersam et propriam oratoris uim definire complectique uult, is orator erit mea sententia hoc tam graui dignus nomine, qui, quaecumque res inciderit, quae sit dictione explicanda, prudenter et composite et ornate et memoriter dicet cum quadam actionis etiam dignitate. Si on veut définir et concevoir de manière générale et appropriée la notion d'orateur, je pense qu'un orateur digne de cette dénomination si imposante sera celui qui, s'il arrive quoi que ce soit qui doive être expliqué oralement, s'exprimera avec mesure et méthode et élégance et de mémoire, tout en observant en quelque sorte un comportement digne. III 80 : sin aliquis exstiterit aliquando, qui Aristotelio more de omnibus rebus in utramque partem possit dicere et in omni causa duas contrarias orationes, praeceptis illius cognitis, explicare aut hoc Arcesilae modo et Carneadi contra omne, quod propositum sit, disserat, quique ad eam rationem adiungat hunc rhetoricum usum moremque exercitationemque dicendi, is sit uerus, is perfectus, is solus orator. Nam neque sine forensibus neruis satis uehemens et grauis nec sine uarietate doctrinae satis politus et sapiens esse orator potest. Mais si quelqu'un se présente qui puisse, à la manière d'Aristote, soutenir le pour et le contre sur tous les sujets, et, pénétré de ses préceptes, développer pour la même cause deux plaidoyers contradictoires, s'il peut, à la manière d'Arcésilas et de Carnéade, combattre toute espèce de propositions, et qu'à ces procédés il joigne l'expérience de l'art oratoire, l'habitude et l'exercice de la parole, cet homme est le véritable, le parfait, le seul orateur ; car sans la nerveuse éloquence du barreau, l'orateur n'aurait ni assez de passion, ni assez de poids et, sans la variété de connaissances à tirer de la philosophie, il ne serait ni assez cultivé ni assez savant.

matériau (XXXI 1). Cf Or IV 14-15 : Positum sit igitur in primis... sine philosophia non posse effici quem quaerimus eloquentem, non ut in ea tamen omnia sint, sed ut sic adiuuet ut palaestra histrionem... Nam nec latius atque copiosius de magnis uariisque rebus sine philosophia potest quisquam dicere. 15. Si quidem etiam in Phaedro Platonis hoc Periclem praestitisse ceteris dicit oratoribus Socrates, quod is Anaxagorae physici fuerit auditor ; a quo censet eum, cum alia praeclara quaedam et magnifica didicisse tum uberem et fecundum fuisse gnarumque, quod est eloquentiae maximum, quibus orationis modis quaeque animorum partes pellerentur. Quod idem de Demosthene existimari potest, cuius ex epistulis intellegi licet quam frequens fuerit Platonis auditor. Posons donc comme base... que, sans la philosophie, on ne devient pas l'orateur que je recherche. Non, seule elle ne suffit pas à tout, mais elle apporte à l'art oratoire ce que la gymnastique apporte à l'acteur... Seule la philosophie permet de traiter avec plus de largesse d'esprit et de profondeur des grandes questions dans leur diversité. 15. En effet, dans le Phèdre de Platon aussi, Socrate affirme que Périclès se détache de tous les autres orateurs grâce au fait d'avoir été l'élève d'Anaxagore, et il en déduit que non seulement il a acquis en quelque sorte un savoir remarquable et imposant, mais aussi qu'il en était devenu un orateur riche et fécond et instruit de ce qui est le summum de l'éloquence, c'est-à-dire des procédés oratoires aptes à émouvoir tous les aspects de la personnalité. On peut penser la même chose de Démosthène, dont ses lettres peuvent nous apprendre qu'il fut un élève combien assidu de Platon.

imaginaires (XXXI 3). Cf. XXXV 4-5.

juge (XXXI 3). Cf. XIX 5 et XX 1 (point de vue d'Aper) et XXXIX 1 sv (point de vue de Secundus).

armes (XXXII 2). Messalla recourt à la même métaphore qu'Aper. Cf. V 4 ; 5 ; de Or. I, VIII 30-32.

XXXII 3 -7. Le point de vue de Messalla diverge sensiblement de celui d'Aper. Cf. XX 3-6.

sénatus-consulte (XXXII 3). Le senatusconsultum est un décret du sénat qui a force exécutive à la différence de l'auctoritas qui est une simple décision du sénat frappée d'intercession par un magistrat compétent.

auditeur (XXXII 5). Cf. Or IV 14-15.

termes (XXXII 6). Cf. Or III 12 : fateor me oratorem, si modo sim aut etiam quicumque sim, non ex rhetorum officinis sed ex Academiae spatiis exstitisse; illa enim sunt curricula multiplicium uariorumque sermonum, in quibus Platonis primum sunt impressa uestigia. J'avoue que je suis sorti orateur, que je le sois ou même n'importe quoi d'autre, non pas des fabriques des rhéteurs, mais des parcours de l'Académie, car ils sont les lices où s'exercent bien des prises de parole de toute sorte, marquées avant tout par l'empreinte de Platon. Cicéron fait allusion aux cours que Platon dispensait à ses disciples en parcourant les jardins de l'Académie (spatiis, curricula).

discipline (XXXIV 1). Cf. XXVIII 3.

accompagner (XXXIV 1). Selon Aper cette pratique est toujours en vigueur. Cf XX 4. D'autre part, Tacite a insisté sur l'assiduité avec laquelle il s'instruisait auprès d'Aper et de Secundus. Cf. II.

dix-huit ans (XXXIV 7). On peut s'étonner que Messalla n'évoque pas aussi l'exemple illustre d'Hortensius. Cf. Br. 228.

XXXV. À comparer avec l'opinion d'Aper sur les rhéteurs (XXIII 2).

censure (XXXV 1). En 92 a.C. Cf. De Or. III 93-95Crassus s'en prend aux rhéteurs latins en leur reprochant, contrairement aux rhéteurs grecs leur manque de fond : Quos ego censor edicto meo sustuleram, non quo, ut nescio quos dicere aiebant, acui ingenia adulescentium nollem, sed contra ingenia obtundi nolui, conroborari impudentiam. 94. Nam apud Graecos, cuicuimodi essent, uidebam tamen esse praeter hanc exercitationem linguae doctrinam aliquam et humanitate dignam scientiam, hos uero nouos magistros nihil intellegebam posse docere, nisi ut auderent. Quod etiam cum bonis rebus coniunctum per se ipsum est magno opere fugiendum : hoc cum unum traderetur et cum impudentiae ludus esset, putaui esse censoris, ne longius id serperet, prouidere. 95. Quamquam non haec ita statuo atque decerno, ut desperem Latine ea, de quibus disputauimus, tradi ac perpoliri posse, patitur enim et lingua nostra et natura rerum ueterem illam excellentemque prudentiam Graecorum ad nostrum usum moremque transferri, sed hominibus opus est eruditis, qui adhuc in hoc quidem genere nostri nulli fuerunt; sin quando exstiterint, etiam Graecis erunt anteponendi. J'avais fait fermer leurs écoles (des rhéteurs latins) pendant ma censure. Non, je ne refusais pas, comme certains le prétendaient, à nos jeunes gens d'affiner leur esprit, mais au contraire j'ai refusé que leur esprit fût émoussé, que leur effronterie en sortît renforcée. 94. En effet, chez les Grecs, de quelque nature qu'ils fussent, je voyais quand même en eux, outre le fait d'être rompus à la parole, de l'instruction et des connaissances relevant d'une bonne culture générale. Mais ces nouveaux maîtres, je ne les voyais pas enseigner rien d'autre que l'outrecuidance, qui même associée à de bonnes aptitudes, est en elle-même à éviter à tout prix. Comme c'était leur seul enseignement et que c'était un endroit où l'on jouait à dévergonder, j'ai jugé qu'il était de mon devoir de censeur de veiller à ce que ce mal ne s'insinuât pas davantage. 95. Certes je ne considère pas comme acquis de désespérer que l'enseignement dont nous discutons soit transmis et affiné en latin. En effet, notre langue permet naturellement que cette ancienne et éminente culture grecque passe dans nos usages et mode de vie, mais cela réclame des hommes érudits, qui jusque maintenant ne sont pas encore apparus chez nous dans cette discipline. Mais le jour où ils se présenteront, ils iront jusqu'à remplacer les Grecs. J'ai tenté par ma traduction de ludus qui signifie à la fois jeu, amusement et aussi école de rendre le caractère peu sérieux attribué à cette institution (ludum impudentiae).

commencé (XXXV 1). Cf. XXX 1.


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