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OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE XII
[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2008]
Lapithes et Centaures (III) - Fin des récits de Nestor - Mort d'Achille (12, 459-628)
Fin du combat des Lapithes et des Centaures : mort ou métamorphose de Cénée (12, 459-535)
Nestor revient enfin à l'invulnérable Cénée et nous apprend que le héros abat successivement cinq Centaures, mais se fait insulter par Latrée qui refuse de le considérer comme un homme véritable. Toutefois, le trait que lance Latrée s'émousse sans le pénétrer. Un combat épique s'engage, dont Cénée sort indemme et triomphant. Les Centaures furieux reprennent sans succès le combat contre Cénée. (12, 459-493)
L'un d'eux, Monychus, ne supportant pas cette domination des Centaures par un seul homme, né femme de surcroît, engage ses frères, puisque les traits n'atteignent pas l'invulnérable Cénée, à l'écraser sous un amas de rochers et de troncs d'arbres. En dépit d'une résistance surhumaine, Cénée meurt étouffé, à moins que, aux dires du devin Mopsus, il n'ait été métamorphosé en oiseau. Après cette lutte épique, les Lapithes firent de Cénée leur héros, et avec leurs alliés, dont Nestor, ils tuèrent les Centaures ou les forcèrent à fuir, mettant ainsi un terme à ce combat épique. (12, 498-535)
12, 459 | Quinque neci Caeneus dederat Styphelumque Bromumque |
Cénée en avait envoyé cinq à la mort :
Styphélus et Bromus, |
12, 460 |
Antimachumque Elymumque securiferumque
Pyracten. Vulnera non memini, numerum nomenque notaui. Prouolat Emathii spoliis armatus Halesi, quem dederat leto, membris et corpore Latreus maximus ; huic aetas inter iuuenemque senemque, |
Antimachus et Élymus, ainsi que Pyractès,
porteur d'une hache. J'ai oublié les coups, mais ai retenu les noms et le nombre des victimes. Armé des dépouilles d'Halésus d'Émathie, qu'il venait de tuer, Latrée, avec ses membres et son corps de géant, prend son élan. Il était d'âge moyen, entre la jeunesse et la vieillesse, |
12, 465 | uis
iuuenalis erat, uariabant tempora cani. Qui clipeo galeaque Macedoniaque sarisa conspicuus faciemque obuersus in agmen utrumque armaque concussit certumque equitauit in orbem uerbaque tot fudit uacuas animosus in auras : |
il
avait la force d'un jeune homme, ses tempes
grisonnaient. Avec son bouclier, son casque et sa sarisse macédonienne, il attirait les regards ; tourné vers les deux rangs de combattants, il secoua ses armes, galopa en formant un cercle précis, et dans sa fougue lança dans l'espace ce flot de paroles : |
12, 470 |
“ Et
te, Caeni, feram ? Nam tu mihi femina semper, tu mihi Caenis eris. Nec te natalis origo commonuit mentemque subit, quo praemia facto quaque uiri falsam speciem mercede parasti ? Quid sis nata, uide, uel quid sis passa ; columque, |
“ Et toi,
Caenis, vais-je te
supporter ? Car pour moi, toujours tu seras une femme, tu seras Caenis. Ton origine, ta naissance ne te viennent-elles pas à l'esprit, te rappelant pour quel acte, et à quel prix tu as pu obtenir cette faveur, ce faux aspect viril ? Vois ce que tu étais en naissant ou ce que tu as subi. Allons, |
12, 475 | i,
cape cum calathis et stamina pollice torque ; bella relinque uiris. ” Iactanti talia Caeneus extentum cursu missa latus eruit hasta, qua uir equo commissus erat ; furit ille dolore, nudaque Phyllei iuuenis ferit ora sarisa. |
prends une quenouille, des corbeilles, et que
ton pouce torde les fils. Laisse la guerre aux hommes. ” Tandis que Latrée plastronnait ainsi, Cénée lui lança un épieu qui lui déchira le flanc tendu par la course, à la jointure où l'homme devient cheval. Rendu furieux par la douleur, le Centaure frappe de sa sarisse le visage nu du jeune homme de Phyllos. |
12, 480 | Non
secus haec resilit, quam tecti a culmine
grando, aut siquis paruo feriat caua tympana saxo. Comminus aggreditur laterique recondere duro luctatur gladium ; gladio loca peruia non sunt. “ Haud tamen effugies ! Medio iugulaberis ense, |
L'arme rebondit comme la grêle du sommet d'un
toit, ou comme un petit caillou agité au creux d'un tambourin. Latrée attaque de près et fait des efforts pour enfoncer son épée dans le flanc trop dur de Cénée ; elle ne peut pénétrer en aucun point. “ Mais, tu ne m'échapperas pas ! Je t'égorgerai avec le plat de mon arme, |
12, 485 | quandoquidem mucro est hebes ”
inquit et in latus ensem obliquat longaque amplectitur ilia dextra. Plaga facit gemitus in corpore marmoris icti fractaque dissiluit percusso lammina callo. Vt satis illaesos miranti praebuit artus : |
puisque la
pointe en est émoussée ”, dit-il, et il dirige
vers son flanc le tranchant de sa lance et, de son long bras, lui entoure le ventre. Sous le coup, le corps gémit comme un marbre que l'on frappe ; la lame se brise et vole en éclats en percutant la peau épaisse. Quand le Centaure étonné eut assez vu ses membres intacts, Cénée dit : |
12, 490 |
“ Nunc
age ”
ait Caeneus “ nostro
tua corpora ferro temptemus ! ” Capuloque tenus demisit in armos ensem fatiferum caecamque in uiscera mouit uersauitque manum uulnusque in uulnere fecit. Ecce ruunt uasto rabidi clamore bimembres |
“ Voyons
maintenant l'effet qu'aura mon arme sur ton
corps ! ”. Et il lui enfonça dans les flancs, jusqu'à la garde, son épée meurtrière, la déplaça à l'aveugle dans ses entrailles, et, retournant sa main, il fit dans la plaie une autre plaie. Voilà que les Centaures furieux se précipitent en poussant des cris. |
12, 495 | telaque in hunc omnes unum mittuntque
feruntque. Tela retusa cadunt, manet inperfossus ab omni inque cruentatus Caeneus Elateius ictu. Fecerat attonitos noua res. “ Heu dedecus ingens ! ” Monychus exclamat. “ Populus superamur ab uno |
Tous sont armés de traits qu'ils envoient sur
le seul Cénée. Ces traits tombent sans s'enfoncer, et Cénée, le fils d'Élatée, reste indemme de toute atteinte, sans perdre de sang. Ce prodige les avait stupéfaits. “ Hélas, quel immense déshonneur ! ” s'exclama Monychus. “ Un homme à lui seul domine tout notre peuple, |
12, 500 |
uixque uiro ; quamquam ille uir est, nos
segnibus actis, quod fuit ille, sumus. Quid membra inmania prosunt ? Quid geminae uires et quod fortissima rerum in nobis natura duplex animalia iunxit ? Nec nos matre dea, nec nos Ixione natos |
lui
qui est à peine un homme. Et pourtant, l'homme
c'est lui ; notre mollesse fait de nous ce qu'il fut. À quoi nous servent nos membres de géants ? À quoi servent des forces redoublées et pourquoi la nature réunit-elle en nous les deux êtres les plus forts de l'univers ? Non, à mon avis, nous ne sommes pas nés |
12, 505 | esse reor, qui tantus erat, Iunonis ut altae spem caperet ; nos semimari superamur ab hoste ! Saxa trabesque super totosque inuoluite montes uiuacemque animam missis elidite siluis ; silua premat fauces, et erit pro uulnere pondus. ” |
d'une
déesse, ni d'Ixion,
grand au point d'espérer s'unir à l'altière
Junon ; |
12, 510 |
Dixit et insanis deiectam uiribus Austri forte trabem nactus, ualidum coniecit in hostem ; exemplumque fuit paruoque in tempore nudus arboris Othrys erat, nec habebat Pelion umbras. Obrutus inmani tumulo sub pondere Caeneus |
Il
dit, et ayant saisi un tronc que les forces
aveugles de l'Auster venaient de déraciner, il le lança contre son puissant ennemi. Son exemple fut suivi et, en très peu de temps, on dépouilla l'Othrys de ses arbres et on priva le Pélion de ses ombrages. Cénée, enseveli sous le poids énorme de ce monceau d'arbres, |
12, 515 | aestuat arboreo congestaque robora duris fert umeris ; sed enim postquam super ora caputque creuit onus, neque habet, quas ducat, spiritus auras, deficit interdum, modo se super aera frustra tollere conatur iactasque euoluere siluas |
s'agite et supporte le bois qui s'entasse sur
ses fortes épaules. Mais lorsque le poids sur sa face et sur sa tête s'alourdit, lorsque son souffle ne trouve plus d'air à aspirer, il défaille parfois ; tantôt, il s'efforce, en vain, de se soulever pour respirer et faire rouler au loin les forêts qui l'écrasent ; |
12, 520 |
interdumque mouet, ueluti, quam cernimus, ecce ardua si terrae quatiatur motibus Ide. Exitus in dubio est ; alii sub inania corpus Tartara detrusum siluarum mole ferebant ; abnuit Ampycides medioque ex aggere fuluis |
parfois aussi, il parvient à les ébranler,
comme si tout à coup un tremblement de terre secouait l'abrupt Ida, que nous voyons d'ici. La fin de Cénée reste incertaine ; selon certains, son corps, enfoui sous cette masse d'arbres, fut précipité dans le vide du Tartare. Le fils d'Ampyx n'est pas de cet avis, car de l'amas de branches, |
12, 525 | uidit auem pennis liquidas exire sub auras, quae mihi tum primum, tunc est conspecta supremum. Hanc ubi lustrantem leni sua castra uolatu Mopsus et ingenti circum clangore sonantem adspexit pariterque animis oculisque secutus : |
il
a vu s'envoler dans l'air limpide un
oiseau au plumage fauve, oiseau qu'alors je vis moi aussi, pour la première et la dernière fois. Dès qu'il le vit voler doucement, planant autour du camp des siens, lançant des cris puissants dans les alentours, Mopsus le suivit tout autant par les yeux que par la pensée et dit : |
12, 530 |
“ o
salue,”
dixit
“Lapithaeae gloria
gentis, maxime uir quondam, sed nunc auis unica, Caeneu ! ” Credita res auctore suo est ; dolor addidit iram, oppressumque aegre tulimus tot ab hostibus unum ; Nec prius abstitimus ferro exercere dolorem, |
“ Salut
à toi, ô gloire de la nation des Lapithes,
Cénée, naguère très grand héros, mais maintenant oiseau unique ! ,, Son témoignage accrédita cette histoire ; la colère s'ajouta à notre peine : nous souffrions de voir un héros isolé écrasé par tant d'ennemis. Et nous n'avons cessé de manifester notre douleur par l'épée |
12, 535 | quam data pars leto, partem fuga noxque
remouit. » |
avant d'avoir exterminé les uns, et vu les
autres fuir dans la nuit. » |
Fin des récits de Nestor : Hercule et les frères de Nestor. Métamorphose de Périclimène (12, 536-579)
Tlépolème, fils d'Hercule, reproche à Nestor de n'avoir à aucun moment fait mention des exploits de son glorieux père, Hercule. Le vieillard va en expliquer la raison. (12, 536-544)
Hercule en effet avait dévasté plusieurs villes, dont Pylos, où régnait Nélée, le père de Nestor. Il avait surtout causé la mort des onze frères de Nestor, et plus spécialement celle de Périclymène, qui tenait de Neptune, l'ancêtre de leur race, le don de se métamorphoser. Ayant pris la forme d'un aigle, Périclymène fut cependant abattu par une flèche d'Hercule. C'est donc pour Nestor une manière de vengeance d'omettre de célébrer Hercule, son ennemi, ce qui ne l'empêche pas d'assurer Tlépolème de son amitié. (12, 545-576).
À la fin des récits, les convives d'Achille se remirent à boire, puis allèrent se coucher. (12, 577-579)
12, 536 | Haec inter Lapithas et semihomines Centauros proelia Tlepolemus Pylio referente dolorem praeteriti Alcidae tacito non pertulit ore atque ait : « Herculeae mirum est obliuia laudis |
Pendant le récit
de ces combats entre Lapithes et Centaures, ces êtres semi-humains, Tlépolème ne resta pas bouche close, Il ne supportait pas le silence du héros de Pylos sur l'Alcide, et il déclara : « Tu as oublié de faire l'éloge d'Hercule, |
12, 540 |
acta tibi, senior ; certe mihi saepe referre nubigenas domitos a se pater esse solebat. » Tristis ad haec Pylius : « Quid me meminisse malorum cogis et obductos annis rescindere luctus inque tuum genitorem odium offensasque fateri ? |
ô
vieillard, et je m'en étonne ; car souvent ,
c'est la vérité, mon père m'a dit qu'il avait dompté les fils nés de la nuée. » Le roi de Pylos lui rétorqua tristement : « Pourquoi me forces-tu à rappeler mes malheurs, à raviver des plaies cicatrisées par les ans, à proclamer ma haine pour ton père et pour ses offenses ? |
12, 545 | Ille quidem maiora fide, di, gessit et orbem impleuit meritis, quod mallem posse negare ; sed neque Deiphobum nec Polydamanta nec ipsum Hectora laudamus ; quis enim laudauerit hostem ? Ille tuus genitor Messenia moenia quondam |
[O
dieux, ce héros a certes accompli des exploits
passant l'entendement, et le monde est plein de ses mérites, ce que je préférerais pouvoir nier. Mais nous ne faisons l'éloge ni de Déiphobe, ni de Polydamas, ni même d'Hector. Qui en effet ferait l'éloge d'un ennemi ? Ton illustre père détruisit jadis les murailles de Messène |
12, 550 |
strauit et inmeritas urbes Elimque Pylumque diruit inque meos ferrum flammamque penatis inpulit ; utque alios taceam, quos ille peremit, bis sex Nelidae fuimus, conspecta iuuentus ; bis sex Herculeis ceciderunt, me minus uno |
et
dévasta les cités d'Élis
et de Pylos, qui ne
méritaient pas ce sort. Il introduisit aussi le fer et le feu dans ma propre demeure. Sans vouloir parler des autres victimes qu'il fit périr, nous étions douze, les fils de Nélée, des jeunes gens en vue ; tous tombèrent sous les coups d'Hercule, moi seul excepté. |
12, 555 | uiribus ; atque alios uinci potuisse ferendum
est ; mira Periclymeni mors est, cui posse figuras sumere quas uellet, rursusque reponere sumptas Neptunus dederat, Nelei sanguinis auctor. Hic ubi nequiquam est formas uariatus in omnes, |
Que
tous les autres aient pu être vaincus, il faut
l'accepter, le supporter mais surprenante est la mort de Périclymène, qui avait la faculté de revêtir les figures qu'il voulait, puis de les quitter, une fois prises, grâce au don que lui avait accordé Neptune, l'ancêtre de Nélée. Après s'être en vain métamorphosé en toutes sortes de formes, |
12, 560 |
uertitur in faciem uolucris, quae fulmina
curuis ferre solet pedibus, diuum gratissima regi ; uiribus usus auis pennis rostroque redunco hamatisque uiri laniauerat unguibus ora ; tendit in hunc nimium certos Tirynthius arcus |
il revêt l'aspect
de l'oiseau qui dans ses serres crochues |
12, 565 | atque inter nubes sublimia membra ferentem pendentemque ferit, lateri qua iungitur ala. Nec graue uulnus erat ; sed rupti uulnere nerui deficiunt motumque negant uiresque uolandi. Decidit in terram, non concipientibus auras |
et,
tandis que l'aigle s'élève dans les nuages en
planant, il le frappe à l'endroit de la jointure de l'aile et du flanc. La blessure n'était pas profonde, mais le coup brisa les tendons qui faiblirent, le privant de mouvement et de forces pour voler. Il tomba sur le sol, ses ailes affaiblies n'avaient plus prise sur l'air |
12, 570 |
infirmis pennis, et qua leuis haeserat alae, corporis affixi pressa est grauitate sagitta perque latus summum iugulo est exacta sinistro. Num uideor debere tui praeconia rebus Herculis, o Rhodiae ductor pulcherrime classis ? |
et
la flèche, qui s'était légèrement enfoncée dans
l'aile, pressée par le poids du corps qui avait été perforé, lui traversa tout le flanc et ressortit à gauche de son cou. Selon toi, dois-je maintenant chanter les exploits de ton Hercule, très brillant capitaine de la flotte de Rhodes ? |
12, 575 | Nec
tamen ulterius, quam fortia facta silendo ulciscor fratres ; solida est mihi gratia tecum. » Haec postquam dulci Neleius edidit ore, a sermone senis repetito munere Bacchi surrexere toris ; nox est data cetera somno. |
Et
cependant, pour venger mes frères, je ne fais
rien de plus que taire ses hauts faits ; sois sûr de ma sympathie pour toi. » Le fils de Nélée avait raconté tous ces souvenirs d'une voix douce, et après l'exposé du vieillard, tous en revinrent aux dons de Bacchus et quittèrent les lits de table. Le reste de la nuit fut consacré au sommeil. |
La mort d'Achille (12, 580-628)
Neptune, dix ans après la mort de son fils Cygnus, est toujours plein de rancoeur envers Achille. Il demande à Apollon, au nom de leur ancienne collaboration lors de la construction des murs de Troie, de faire périr Achille. Apollon se dirige aussitôt sur le champ de bataille et conseille à Pâris de s'en prendre à Achille plutôt qu'à des soldats ordinaires et, ce disant, il dirige le trait de Pâris, qui tuera Achille. (12, 580-606)
Après quelques considérations sur le néant de la mort compensé par la gloire universelle acquise par Achille, Ovide annonce l'épisode qui fera l'objet du début du livre 13, celui de l'héritage des armes d'Achille, revendiquées par Ulysse et Ajax. (12, 607-628)
12, 580 | At
deus, aequoreas qui cuspide temperat undas, in uolucrem corpus nati Phaethontida uersum mente dolet patria saeuumque perosus Achillem exercet memores plus quam ciuiliter iras. Iamque fere tracto duo per quinquennia bello |
Cependant le dieu au trident,
qui régente les ondes marines, souffre en son coeur de père à la pensée que son fils a été mué en l'oiseau de Phaéton. Plein de haine pour le féroce Achille, il entretient en lui une colère tenace, au-delà des limites convenables. La guerre s'était déjà prolongée durant près de dix ans, |
12, 585 | talibus intonsum compellat Sminthea dictis : « O mihi de fratris longe gratissime natis, irrita qui mecum posuisti moenia Troiae, ecquid, ubi has iam iam casuras adspicis arces, ingemis ? Aut ecquid tot defendentia muros |
quand Neptune interpelle ainsi le dieu chevelu
de Sminthe : « Ô toi, de loin le plus cher pour moi des enfants de mon frère, toi qui avec moi as construit les inutiles murailles de Troie, quand tu contemples cette citadelle bien près de tomber, ne pleures-tu pas ? Ne déplores-tu pas tant de milliers d'hommes |
12, 590 |
milia caesa doles ? Ecquid, ne persequar omnes, Hectoris umbra subit circum sua Pergama tracti ? Cum tamen ille ferox belloque cruentior ipso uiuit adhuc, operis nostri populator, Achilles. Det mihi se ; faxo, triplici quid cuspide possim, |
massacrés à
défendre ces remparts ?
Pour ne pas les citer tous, l'ombre d'Hector, traîné autour de sa Pergame, ne te hante-t-elle pas ? Mais entre-temps, Achille, ce farouche héros, est toujours en vie, lui qui, plus ensanglanté que la guerre même, ruine notre oeuvre. Qu'il se présente à moi ; je lui ferai sentir la force de mon trident. |
12, 595 | sentiat ; at quoniam concurrere comminus hosti non datur, occulta necopinum perde sagitta ! » Adnuit atque animo pariter patruique suoque Delius indulgens nebula uelatus in agmen peruenit Iliacum ; mediaque in caede uirorum |
Mais, puisque
l'occasion d'affronter l'ennemi de près ne
s'offre pas, |
12, 600 |
rara per ignotos spargentem cernit Achiuos tela Parim ; fassusque deum : « Quid spicula perdis sanguine plebis ? » ait. « Siqua est tibi cura tuorum, uertere in Aeaciden caesosque ulciscere fratres ! » Dixit et ostendens sternentem Troica ferro |
Pâris lançant de temps à autre des traits
sur les Achéens inconnus. |
12, 605 | corpora Peliden arcus obuertit in illum certaque letifera direxit spicula dextra. Quod Priamus gaudere senex post Hectora posset, hoc fuit. Ille igitur tantorum uictor, Achille, uictus es a timido Graiae raptore maritae ; |
à
coups d'épée, tourna l'arc de Pâris et d'une
main meurtrière dirigea vers lui les flèches sûres d'atteindre leur cible. Le vieux Priam, après la mort d'Hector, eût pu se réjouir de cette mort. En effet, illustre Achille, toi, le vainqueur de si grands guerriers, tu es vaincu par le lâche ravisseur d'une épouse grecque. |
12, 610 |
at
si femineo fuerat tibi Marte cadendum, Thermodontiaca malles cecidisse bipenni. Iam timor ille Phrygum, decus et tutela Pelasgi nominis, Aeacides, caput insuperabile bello, arserat ; armarat deus idem idemque cremabat ; |
Et
pourtant, s'il fallait que tu tombes au combat
victime d'une femme, tu aurais préféré la hache à double tranchant du Thermodon. Maintenant ce héros, terreur des Phrygiens, honneur et rempart du nom des Pélasges, ce fils d'Éaque, cette tête invincible à la guerre, avait brûlé sur le bûcher : le même dieu qui l'avait armé le consumait aussi. |
12, 615 | Iam
cinis est et de tam magno restat Achille nescio quid, paruam quod non bene conpleat urnam ; at uiuit totum quae gloria conpleat orbem. Haec illi mensura uiro respondet et hac est par sibi Pelides nec inania Tartara sentit. |
Désormais, il n'est plus que cendre, et de
cet Achille si grand il reste je ne sais quoi d'insuffisant à emplir une petite urne ; mais sa gloire est vivante, qui emplit l'univers entier. C'est bien la mesure qui correspond à cet illustre héros, et en cela le fils de Pélée est égal à lui-même et insensible au vide du Tartare. |
Ipse etiam, ut, cuius fuerit, cognoscere
posses, bella mouet clipeus deque armis arma feruntur. Non ea Tydides, non audet Oileos Aiax, non minor Atrides, non bello maior et aeuo poscere, non alii ; solis Telamone creatis |
Et,
pour que l'on puisse savoir à qui échurent les
armes d'Achille, son bouclier est source de guerre et pour des armes on prend les armes. Le fils de Tydée n'ose pas les exiger, ni non plus Ajax, fils d'Oilée, ni le cadet des Atrides, ni son frère, qui le devance en âge et au combat, ni tous les autres ; seuls les fils de Télamon et de Laërte |
|
12, 625 | Laertaque fuit tantae fiducia laudis. A se Tantalides onus inuidiamque remouit Argolicosque duces mediis considere castris iussit et arbitrium litis traiecit in omnes. |
eurent assez d'assurance pour exiger un si
grand honneur. Le Tantalide écarta de lui cette charge, génératrice de rancune, et ordonna aux généraux d'Argolide de prendre place au centre du camp et il les chargea tous de trancher le litige. |
NOTES
Cénée (12, 459). Nestor avait, en 12, 168-209, commencé à raconter l'histoire du Lapithe Cénée, mais l'avait interrompue pour se lancer dans l'interminable récit du combat des Lapithes et des Centaures (12, 210-458). Il revient donc ici à Cénée, dont l'histoire servira de dénouement au combat. - De nouveau Ovide fait intervenir divers combattants, dont il emprunte sans doute les noms à des catalogues épiques. Nous nous bornerons à relever quelques noms parmi d'autres.
Émathie (12, 462). Synonyme de Macédoine. Voir n. à 5, 300-304, à 5, 313 et à 15, 824.
sarisse (12, 466). Pique particulière à l'infanterie macédonienne, d'une longueur de 5 à 6 mètres.
Caenis (12, 470). Voir 12, 189-209.
ce que tu as subi... (12, 474). Ton viol prouve que tu es bien une femme.
Phyllos (12, 79). Nom d'une ville de Thessalie, par ailleurs peu connue. Cénée est donc désigné ici comme un jeune Phyllien, c'est-à-dire Thessalien.
déesse... Ixion... Junon (12, 504-505). Ixion, père de Pirithoüs et roi des Lapithes, (voir 12, 210 et les notes). Le Centaure fait allusion au fait que Héra-Junon (et/ou Zeus-Jupiter), au moment où Ixion avait voulu abuser d'elle, avait interposé une nuée (Néphélé), et que de cette union entre Ixion et Néphélé seraient nés les fils des nuées (Nubigenae), en l'occurrence les Centaures.
Auster (12, 510). Vent du Sud, violent et pluvieux. Voir 1, 66 et la note à 1, 60 ; 7, 659-660.
Othrys... Pélion (12, 513). Deux montagnes de Thessalie. Voir 1, 151-155 ; 2, 22 ; 7, 224-225.
Ida (12, 521). Montagne de Phrygie (2, 218 ; 7, 359-360 ; 10, 71 ; 11, 762), à ne pas confondre avec l'Ida de Crète. Cette évocation de l'Ida par Nestor rappelle que les Grecs se trouvent devant Troie, dans la tente d'Achille (cfr 12, 146-188).
le fils d'Ampyx (12, 524). C'est le devin Mopsus, nommé au vers 528, et dont il a été question en 12, 456.
oiseau (12, 525). Le texte ne fournit aucune précision sur le type d'oiseau en question ici. C'est une des nombreuses métamorphoses ornithologiques mentionnées par Ovide.
Tlépolème. (12, 537). Tlépolème est un des fils d'Héraclès/Hercule et d'Astyoché. Après la mort d'Héraclès, il dut s'exiler et alla s'établir à Rhodes, où il fonda plusieurs villes. Il aurait été un prétendant d'Hélène et aurait participé à la guerre de Troie, en tant que chef des Rhodiens.
héros de Pylos.. (12, 538). Le héros de Pylos est Nestor (voir n. à 12, 169).
Alcide (12, 538). Comme c'est souvent le cas, Hercule est appelé Alcide, c'est-à-dire petit-fils d'Alcée.
fils de la nuée (12, 541). Voir note à 12, 210. Il existe une variante à la légende de la dispersion des Centaures, telle que la rapporte Ovide en 12, 534-535, après l'histoire de Cénée. Les Centaures auraient été affrontés à Héraclès, lors de sa chasse au sanglier d'Érymanthe. Voir notes à 9, 191 et 192.
Déiphobe (12, 547). Commence ici l'énumération de trois noms illustres appartenant au camp ennemi. Déiphobe (Iliade, 22, 226ss) est un des fils de Priam et d'Hécube, et le frère préféré d'Hector. Après la mort de Pâris, Déiphobe aurait obtenu la main d'Hélène, et aurait été mis à mort par Ménélas, lors de la prise de Troie.
Polydamas (12, 547). Polydamas (Iliade, 18, 249ss) était un Troyen, de l'entourage d'Hector, réputé de bon conseil, mais pas toujours écouté ; après la mort d'Hector, il avait conseillé de rendre Hélène plutôt que s'obstiner.
Hector (12, 548). Hector est évidemment le plus illustre des ennemis cités par Nestor.
Messène... Pylos... Élis (12, 549-550). Il s'agit de trois cités du Péloponnèse : Messène et Pylos sont en Messénie, et Élis est la capitale de l'Élide (des cartes sont signalées ailleurs au chant 6). L'expédition d'Hercule en Élide et en Messénie, à laquelle Nestor fait allusion ici, est racontée par Nestor (Iliade, 12, 670ss.). Ovide, dans le livre 9 consacré à Hercule évoque cet événement lié à l'épisode des Écuries d'Augias (voir n. à Mét., 9, 187).
Nélée (12, 543). Fils de Tyro et de Poséidon/Neptune, fondateur et roi de Pylos, Nélée eut douze fils. Il est lié au cycle d'Héraclès, qui dirigea contre lui une expédition, pour le punir d'avoir refusé de le purifier du meurtre d'Iphitos, expédition au cours de laquelle moururent tous ses fils, à l'exception de Nestor. Déjà cité en 2, 685 et 6, 418.
Périclymène (12, 556). La mention de ce Périclymène est l'occasion pour Ovide d'introduire une métamorphose. En effet, comme de nombreux dieux marins, ce fils de Nélée tenait de Neptune, son ancêtre, le don de se métamorphoser (Voir par exemple Apollodore, 1, 9, 9).
Tirynthien (12, 564). Hercule, qui était né à Tirynthe. Sur le personnage d'Hercule, voir la note de présentation générale au livre 9.
flotte de Rhodes (12, 574). Nestor a pour interlocuteur Tlépolème. Voir plus haut.
dieu au trident... oiseau de Phaéton... (12, 580-582). Les vers 12, 70-145 ont rapporté ce combat d'Achille et de Cygnus, fils de Neptune (voir n. à 12, 72).
La guerre... (12, 584-596). Après les récits qui occupent presque la totalité du livre 12 (vers 1-579) et qui se situent avant et au tout début de la guerre de Troie, l'action transporte le lecteur dix ans plus tard et évoque la mort d'Achille par Pâris. Ovide raconte ici la mort d'Achille, absente de l'Iliade, en suivant la version la plus traditionnelle, parmi de nombreuses variantes.
Sminthe... (12, 585-587). Ville de Troade, où s'élevait un temple à Apollon, le dieu à la belle chevelure, le neveu préféré de Neptune (vers 586). C'est à Apollon que Neptune, au nom de leur collaboration à la construction des murs de Troie/Pergame pour le compte de Laomédon (n. à 11, 195), vient demander de faire périr Achille.
ombre d'Hector (12, 591). Allusion à Iliade, 22, 462-465, où Andromaque voit le cadavre d'Hector, tiré vers les nefs des Achéens, mais surtout à Iliade, 24, 14-21.
dieu de Délos (12, 598). Apollon est né à Délos : voir, par exemple, n. à 6, 159-160 ; n. à 6, 190 ; n. à 6, 333 ; 11, 174.
Pâris (12, 600-601). Le fils de Priam, le ravisseur d'Hélène, qui fut la cause de la guerre de Troie et qui passe généralement pour un lâche. Voir 12, 4-6.
Éacide (12, 603). Désigne ici, comme c'est souvent le cas, Achille, petit-fils d'Éaque, fils de Pélée.
Thermodon (12, 610-611). Rivière d'Asie Mineure, se jetant dans le Pont-Euxin (mer Noire). Elle traversait le pays des Amazones. Ces deux vers font allusion à Penthésilée, la reine des Amazones, qui avait, après la mort d'Hector, combattu aux côtés des Troyens. Elle avait été tuée en combat singulier par Achille, mais celui-ci, la voyant si belle même morte, s'éprit d'elle et regretta de l'avoir tuée.
le même dieu (12, 614). Héphaïstos/Vulcain, le dieu du feu, est aussi le dieu forgeron, qui, à la demande de Thétis, avait forgé de nouvelles armes pour Achille (voir Homère, Iliade, 18, 468-617). On sait qu'Achille avait confié ses armes à Patrocle, qui en fut dépouillé par Hector.
son bouclier aussi... (12, 620-628). Après le récit de la mort d'Achille, Ovide termine le livre 12 en annonçant le sujet qui occupera le début du livre 13, un passage que l'on pourrait appeler « Le Jugement des armes ». Il comprendra les plaidoyers respectifs d'Ajax et d'Ulysse, et se terminera par la mort d'Ajax (13, 1-398).
fils de Tydée... Ajax... Atrides... (12, 622-623). Suit l'évocation de quelques figures majeures de la guerre de Troie : Diomède, fils de Tydée ; Ajax, fils d'Oïlée, et les Atrides, à savoir Ménélas, le cadet, et Agamemnon, son aîné.
fils de Télamon et de Laërte (12, 624-625). C'est-à-dire le grand Ajax de Salamine, le fils de Télamon (cfr 13, 2), et Ulysse, fils de Laerte (cfr note à l'introduction de 13).
Tantalide (12, 626). Ce descendant de Tantale est le général en chef des Achéens, Agamemnon, fils d'Atrée, petit-fils de Pélops, arrière-petit-fils de Tantale.
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