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OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE XII
[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2008]
Lapithes et Centaures (I) : (12, 146-459)
Festin chez Achille : introduction aux récits de Nestor (12, 146-188)
Après les premiers combats devant Troie, les deux camps observent une trève, durant laquelle Achille offre un sacrifice à Pallas. Le banquet sacrificiel se prolonge en entretiens sur la vertu guerrière, les convives évoquant principalement la récente victoire d'Achille sur l'invulnérable Cygnus. (12, 146-167)
Nestor mentionne alors un cas d'invulnérabilité comparable, celui de Cénée, du pays des Lapithes. Précisant que ce Cénée avait jadis été une femme, le vieux Nestor excite la curiosité générale, et on le prie de raconter cette histoire du temps lointain de sa jeunesse, quelque deux siècles plus tôt. (12, 168-188)
Hic
labor, haec requiem multorum pugna dierum attulit et positis pars utraque substitit armis. Dumque uigil Phrygios seruat custodia muros, et uigil Argolicas seruat custodia fossas, |
L'épreuve
de ce combat fut suivie d'un repos de plusieurs
jours : les deux camps déposèrent les armes et le conflit s'interrompit. Une garde vigilante protège les murs des Phrygiens, et une garde vigilante protège les tranchées des Argiens, |
|
12, 150 |
festa
dies aderat, qua Cycni uictor Achilles Pallada mactatae placabat sanguine uaccae. Cuius ut imposuit prosecta calentibus aris et dis acceptus penetrauit in aethera nidor, sacra tulere suam, pars est data cetera mensis. |
quand
arriva le
jour de la fête où Achille, vainqueur de
Cygnus, voulut se concilier Pallas avec le sang d'une génisse qu'il avait immolée. Quand il eut posé sur les flammes des autels les morceaux de chair, et que leur fumet, agréé par les dieux, eut pénétré dans l'éther, les officiants prirent la part du sacrifice, et le reste fut servi sur les tables. |
12, 155 |
Discubuere toris proceres et corpora tosta carne replent uinoque leuant curasque sitimque. Non illos citharae, non illos carmina uocum longaue multifori delectat tibia buxi, sed noctem sermone trahunt, uirtusque loquendi |
Les chefs
s'installent sur des lits, se gavent de viandes
rôties et cherchent à oublier dans le vin leurs soucis et leur soif. Ces hommes ne se délectent ni de cithares, ni de poèmes et de chants, pas plus que de la longue flûte de buis aux multiples trous. Ils passent la nuit à converser, et le sujet de leurs entretiens |
12, 160 |
materia
est ; pugnas referunt hostisque suasque, inque uices adita atque exhausta pericula saepe commemorare iuuat ; quid enim loqueretur Achilles, aut quid apud magnum potius loquerentur Achillem ? Proxima praecipue domito uictoria Cygno |
c'est la
vertu guerrière ; ils évoquent leurs combats et
ceux de l'ennemi, |
12, 165 |
in
sermone fuit : uisum mirabile cunctis, quod iuueni corpus nullo penetrabile telo inuictumque a uulnere erat ferrumque terebat. Hoc ipse Aeacides, hoc mirabantur Achiui, cum sic Nestor ait : « Vestro fuit unicus aeuo |
fut au
centre de la conversation : tous trouvaient
miraculeux que le corps du jeune homme soit resté impénétrable à tous les traits, intact de toute blessure, et capable d'émousser une pique de fer. L'Éacide aussi s'en étonnait, tout autant que les Achéens, quand Nestor dit ainsi : « De votre génération, le seul être |
12, 170 |
contemptor ferri nulloque forabilis ictu Cygnus. At ipse olim patientem uulnera mille corpore non laeso Perrhaebum Caenea uidi, Caenea Perrhaebum, qui factis inclitus Othryn incoluit ; quoque id mirum magis esset in illo, |
apte à
mépriser le fer et à rester impénétrable à tous
les traits, |
12, 175 |
femina
natus erat. »
Monstri nouitate mouentur quisquis adest, narretque rogant ; quos inter Achilles : « Dic age, nam cunctis eadem est audire uoluntas, o facunde senex, aeui prudentia nostri, quis fuerit Caeneus, cur in contraria uersus, |
c'est
qu'il était né femme. »
Tous les assistants sont frappés par l'étrangeté du prodige et le prient de raconter, notamment Achille : « Vas-y, raconte, car tous nous avons le même désir de t'entendre, éloquent vieillard, toi, qui es la sagesse de notre siècle. Dis-nous qui était Cénée, pourquoi changea-t-il de sexe, |
12, 180 |
qua tibi
militia, cuius certamine pugnae cognitus, a quo sit uictus, si uictus ab ullo est. » Tum senior : « Quamuis obstet mihi tarda uetustas, multaque me fugiant primis spectata sub annis, plura tamen memini. Nec quae magis haereat ulla |
par
quelle campagne, par quel combat singulier
t'est-il connu, |
12, 185 |
pectore
res nostro est inter bellique domique acta tot, ac si quem potuit spatiosa senectus spectatorem operum multorum reddere, uixi annos bis centum ; nunc tertia uiuitur aetas. |
dans la
guerre et dans la paix,
il n'en est aucun plus ancré
en moi. Si quelqu'un, grâce à une vieillesse prolongée, a pu être témoin de nombreux événements, c'est bien moi, moi qui ai vécu l'espace de deux fois cent ans. Maintenant je vis mon troisième siècle. |
Le Lapithe Caenis/Cénée - Les Noces troublées du Lapithe Pirithoüs (12, 189-234)
Nestor raconte alors que la jeune et jolie Lapithe Caenis avait tellement plu à Neptune que celui-ci la viola. En compensation le dieu l'engagea à faire un voeu. Caenis demanda à changer de sexe, pour éviter d'être à l'avenir exposée à un tel outrage. Elle fut ainsi transformée en Cénée, un jeune homme, qui reçut en outre la faveur d'être invulnérable. (12, 189-209)
Nestor évoque ensuite les noces de Pirithoüs, roi des Lapithes, qui furent perturbées par ses invités, les Centaures. Au milieu de la fête, un des Centaures, Eurytus, en état d'ébriété, enlève la mariée, Hippodamie. Il est bientôt imité par les autres Centaures, qui font chacun leur choix parmi les femmes de l'assistance, dans le désordre général. Parmi les invités, dont Nestor, Thésée blâme Eurytus de s'en prendre ainsi à son ami intime et il lui reprend Hippodamie, mais le ravisseur ne se laisse pas faire. (12, 210-234)
Clara
decore fuit proles Elateia Caenis, |
Caenis, fille d'Élatée, la
plus belle des vierges de Thessalie, |
|
12, 190 |
Thessalidum uirgo pulcherrima, perque
propinquas perque tuas urbes (tibi enim popularis, Achille), multorum frustra uotis optata procorum. Temptasset Peleus thalamos quoque forsitan illos ; sed iam aut contigerant illi conubia matris |
était
célèbre pour sa beauté. Dans les villes
voisines, dans tes propres cités – oui, Achille, elle était de ton pays – , de nombreux prétendants avaient sollicité sa main, mais en vain. Peut-être Pélée aussi aurait-il été tenté de s'unir à elle ; mais ou bien son union avec ta mère avait déjà été accomplie, |
12, 195 |
aut
fuerant promissa tuae, nec Caenis in ullos denupsit thalamos secretaque litora carpens aequorei uim passa dei est ; ita fama ferebat ; utque nouae Veneris Neptunus gaudia cepit : “Sint tua uota licet” dixit “secura repulsae ; |
ou bien
elle lui avait été promise, et Caenis n'épousa
personne. Un jour qu'elle arpentait un coin caché du rivage, le dieu des mers la viola. C'est ce que disait la Renommée. Dès que Neptune eut goûté aux joies de ce nouvel amour, il dit : “ Tu peux faire un voeu, sans avoir à craindre un refus ; |
12, 200 |
elige
quid uoueas !”
(Eadem hoc quoque fama ferebat) “magnum” Caenis ait “facit haec iniuria uotum, tale pati iam posse nihil ; da, femina ne sim, omnia praestiteris.” Grauiore nouissima dixit uerba sono poteratque uiri uox illa uideri, |
choisis ce que tu voudras ! ” La même Renommée
disait aussi : “ L'outrage subi, répondit Caenis, me suggère un voeu important : pouvoir ne plus jamais subir un tel sort. Fais que je ne sois plus femme, et tu m'auras tout donné ”. Elle prononça ces derniers mots sur un ton plus grave, et sa voix pouvait passer pour celle d'un homme, |
12, 205 |
sicut
erat ; nam iam uoto deus aequoris alti adnuerat dederatque super, nec saucius ullis uulneribus fieri ferroue occumbere posset. Munere laetus abit studiisque uirilibus aeuum exigit Atracides Peneiaque arua pererrat. » |
ce qu'il
était devenu. Le dieu des mers déjà avait
réalisé son voeu, et lui avait accordé de surcroît le pouvoir d'être inaccessible à toutes les blessures et celui de ne pas périr par le fer. Heureux de ce présent, le fils d'Atrax s'éloigne et passe sa vie en homme, parcourant en tous sens les campagnes du Pénée. » |
« Duxerat
Hippodamen audaci Ixione natus nubigenasque feros positis ex ordine mensis arboribus tecto discumbere iusserat antro. Haemonii proceres aderant, aderamus et ipsi, festaque confusa resonabat regia turba. |
« Le
fils de l'audacieux
Ixion avait épousé
Hippodamie et avait ordonné aux sauvages fils de la Nuée de s'installer autour de tables dressées dans un antre couvert par des arbres. Les chefs d'Hémonie étaient là ; moi aussi, j'étais présent, et le palais royal en fête résonnait du brouhaha de la foule. |
|
12, 215 |
Ecce
canunt Hymenaeon, et ignibus atria fumant, cinctaque adest uirgo matrum nuruumque caterua, praesignis facie. Felicem diximus illa coniuge Pirithoum, quod paene fefellimus omen. Nam tibi, saeuorum saeuissime Centaurorum, |
On
entonne le chant d'Hyménée
et les torches enfument les salles. |
12, 220 |
Euryte,
quam uino pectus, tam uirgine uisa ardet, et ebrietas geminata libidine regnat. Protinus euersae turbant conuiuia mensae, raptaturque comis per uim noua nupta prehensis. Eurytus Hippodamen, alii, quam quisque probabant, |
Eurytus, tu as le coeur
embrasé tant par la vue de la jeune fille que par le vin, et tu es sous la double emprise de l'ivresse et de la passion. Aussitôt les tables sont renversées, le désordre trouble le banquet. On enlève de force la nouvelle épousée, en la traînant par les cheveux. Eurytus enlève Hippodamie, les autres Centaures enlevaient chacun |
12, 225 |
ut poterant,
rapiunt ; captaeque erat urbis imago. Femineo clamore sonat domus ; ocius omnes surgimus, et primus : “ Quae te uecordia, ” Theseus “ Euryte, pulsat, ” ait, “ qui me uiuente lacessas Pirithoum uiolesque duos ignarus in uno ? ” |
comme ils
pouvaient la femme de leur choix : on eût dit
une prise de ville. La demeure retentit de cris de femmes ; tous promptement nous nous levons et Thésée le premier dit : “ Quelle folie te pousse, Eurytus, pour oser, moi vivant, provoquer Pirithoüs et outrager sans le savoir deux personnes en une seule ? ” |
12, 230 |
[Neue ea
magnanimus frustra memorauerit heros, submouet instantes raptamque furentibus aufert.] Ille nihil contra, neque enim defendere uerbis talia facta potest ; sed uindicis ora proteruis insequitur manibus generosaque pectora pulsat. |
[Le héros
magnanime
ne se contente
pas de ce vain rappel ; il repousse les ravisseurs menaçants, arrache la captive à leur fureur.] Eurytus ne répond rien, car il ne pourrait justifier de tels actes par des paroles ; mais de ses mains il frappe insolemment le visage du généreux défenseur et lui heurte violemment la poitrine. |
Premiers combats entre Lapithes et Centaures (12, 235-326)
Thésée tue Eurytus, à l'aide d'un énorme cratère, et dès lors les Centaures font arme de tout ce qu'ils trouvent : vaisselle, candélabres, objets sacrés, etc... Le Centaure Amycus fracasse le visage du Lapithe Céladon et est à son tour abattu par Pélatès. Grynée tue deux Lapithes, Brotéas et Orios, à leur tour vengés par Exadius, qui a bénéficié des talents de magicienne de Mycalé, la mère d'Orios. (12, 235-270)
Ensuite, le Centaure Rhétée, usant d'une pièce de bois durci au feu, vient à bout de Charaxe (et indirectement de Cométès), puis s'en prend à un groupe de trois Lapithes : Corythos, Évagre et Dryas. Le Centaure abat les deux premiers, puis est à son tour victime de Dryas, qui le met en fuite. Des Centaures aussi s'enfuient. Dryas en massacre une série, tandis que le Lapithe Phorbas tue d'un coup de javelot le jeune Centaure Aphidas qui était ivre mort. (12, 271-326)
12, 235 |
Forte
fuit iuxta signis exstantibus asper antiquus crater ; quem uastum uastior ipse sustulit Aegides aduersaque misit in ora ; sanguinis ille globos pariter cerebrumque merumque uulnere et ore uomens madida resupinus harena |
Justement se
trouvait là tout près, orné de ciselures en
relief, un antique cratère. Cet énorme vase, plus grand que lui, le fils d'Égée le souleva et le lança à la tête de son adversaire. Celui-ci, vomissant par la bouche et par sa blessure du sang en caillots mêlés à son vin et à sa cervelle, couché sur le dos dans le sable humide, |
12, 240 |
calcitrat. Ardescunt germani caede bimembres certatimque omnes uno ore “ arma, arma ” loquuntur. Vina dabant animos et prima pocula pugna missa uolant fragilesque cadi curuique lebetes, res epulis quondam, tum bello et caedibus aptae. |
agite ses
sabots. Ce meurtre fait bouillir de rage ses
frères Centaures qui tous à l'envi crient d'une seule voix : “Aux armes, aux armes ”. Le vin leur donnait du courage et, dès le début du combat, les coupes volent : les vases fragiles et les bassins rebondis, naguère vaisselle de table, servent alors à la guerre et aux massacres. |
12, 245 |
Primus
Ophionides Amycus penetralia donis haud timuit spoliare suis et primus ab aede lampadibus densum rapuit funale coruscis ; elatumque alte, ueluti qui candida tauri rumpere sacrifica molitur colla securi, |
Le
premier, Amycus, fils d'Ophion, n'hésita pas à
dépouiller le sanctuaire de ses offrandes. Il fut aussi le premier à enlever du temple un candélabre garni de nombreuses lampes étincelantes. Il le soulève bien haut, et, comme le sacrificateur prêt à briser sous la hache du sacrifice le cou d'un taureau blanc, |
illisit
fronti Lapithae Celadontis et ossa non agnoscendo confusa relinquit in ore. Exsiluere oculi disiectisque ossibus oris acta retro naris medioque est fixa palato. Hunc pede conuulso mensae Pellaeus acernae |
il
le jette sur le front de Céladon le Lapithe,
transformant en un amas confus d'os son visage devenu méconnaissable. Les yeux sortent de leurs orbites et le coup lui brisa les os, et lui enfonça le nez qui se fixa au milieu du palais. Ayant arraché un pied de table en bois d'érable, un habitant de Pella, |
|
12, 255 |
strauit
humi Pelates, deiecto in pectora mento, cumque atro mixtos sputantem sanguine dentes uulnere Tartareas geminato mittit ad umbras. Proximus ut steterat, spectans altaria uultu fumida terribili, “ cur non ” ait “ utimur istis ? ” |
Pélatès,
étendit Amycus sur le sol, le menton sur la
poitrine, crachant ses dents mêlées à du sang noir, puis l'envoya rejoindre les ombres du Tartare, en lui assénant un second coup. Comme il se trouvait tout près, regardant d'un air effrayant l'autel fumant, Grynée dit : “ Pourquoi ne pas nous en servir ? ”. |
12, 260 |
Cumque
suis Gryneus inmanem sustulit aram ignibus et medium Lapitharum iecit in agmen depressitque duos, Brotean et Orion ; Orio mater erat Mycale, quam deduxisse canendo saepe reluctantis constabat cornua lunae. |
Et il
souleva l'immense autel dont les foyers étaient
allumés, le lança au milieu de la troupe des Lapithes, et en écrasa deux, Brotéas et Orios. La mère d'Orios était Mycalé, bien connue pour avoir souvent par ses incantations fait descendre sur la terre les cornes de la lune, malgré leur résistance. |
12, 265 |
“ Non
impune feres, teli modo copia detur ! ” dixerat Exadius telique habet instar, in alta quae fuerant pinu uotiui cornua cerui. Figitur hinc duplici Gryneus in lumina ramo eruiturque oculos, quorum pars cornibus haeret, |
“ Tu n'en sortiras pas impuni, pourvu qu'on me
donne un trait !”, avait dit Exadius, et en guise de javelot, il se servit d'un objet votif, les cornes d'un cerf, qui se trouvaient en haut d'un pin. Avec cette arme à deux branches, il transperce les yeux de Grynée et les arrache de leurs orbites : un oeil reste attaché aux cornes, |
12, 270 |
pars
fluit in barbam concretaque sanguine pendet. Ecce rapit mediis flagrantem Rhoetus ab aris pruniceum torrem dextraque a parte Charaxi tempora perstringit fuluo protecta capillo. Correpti rapida, ueluti seges arida, flamma |
l'autre glisse et
reste pendu dans sa barbe, retenu par le sang
durci. Voilà que Rhétée arrache du milieu des autels une bûche de prunier enflammé et, d'un coup à droite, il toucha Charaxe dont les tempes étaient couvertes d'une fauve chevelure. Comme une moisson sèche, les cheveux saisis par la flamme |
12, 275 |
arserunt
crines, et uulnere sanguis inustus terribilem stridore sonum dedit, ut dare ferrum igne rubens plerumque solet, quod forcipe curua cum faber eduxit, lacubus demittit ; at illud stridet et in tepida submersum sibilat unda. |
s'embrasèrent rapidement et, au contact du feu,
le sang de la plaie rendit un son effrayant, qui siffla comme fait souvent le fer rougi que le forgeron retire du feu avec des pinces recourbées, pour le plonger dans un bassin d'eau : le fer grésille et siffle quand on l'immerge dans l'eau tiède. |
12, 280 |
Saucius
hirsutis auidum de crinibus ignem excutit inque umeros limen tellure reuulsum tollit, onus plaustri, quod ne permittat in hostem, ipsa facit grauitas ; socium quoque saxea moles oppressit spatio stantem propiore Cometen. |
Le blessé secoue
de ses cheveux dressés le feu qui les dévore, descelle du sol un seuil de pierre et soulève sur ses épaules ce qui serait la charge normale d'un chariot. Vu le poids du bloc, il ne peut lancer contre les ennemis la pierre, qui va même écraser son compagnon, Cométès, debout tout près de lui. |
12, 285 |
Gaudia
nec retinet Rhoetus :
“ Sic,
conprecor, ”
inquit “ cetera sit fortis castrorum turba tuorum ! ” Semicremoque nouat repetitum stipite uulnus, terque quaterque graui iuncturas uerticis ictu rupit et in liquido sederunt ossa cerebro. |
Rhétée ne
contient pas sa joie, disant :
“ Fassent les dieux que ceux de ton camp soient tous aussi forts que toi ! ” Avec son tison à demi brûlé, il le blesse à nouveau, et le frappe violemment à trois et à quatre reprises, lui brisant la nuque et lui enfonçant les os dans les chairs flasques du cerveau. |
12, 290 |
Victor ad
Euagrum Corythumque Dryantaque transit ; e quibus ut prima tectus lanugine malas procubuit Corythus, “ puero quae gloria fuso parta tibi est ? ” Euagrus ait, nec dicere Rhoetus plura sinit rutilasque ferox in aperta loquentis |
Victorieux, il
s'en prit alors à Évagre, Corythos et Dryas. Lorsque Corythus, aux joues couvertes de leur premier duvet, s'affaissa, Évagre dit : “ Quelle gloire peux-tu t'attirer en abattant un enfant ? ”. Rhétée ne le laisse pas en dire plus. Furieux, il lui enfonça le tison enflammé dans la bouche béante |
12, 295 |
condidit
ora uiri, perque os in pectora, flammas. Te quoque, saeue Drya, circum caput igne rotato insequitur ; sed non in te quoque constitit idem exitus ; adsiduae successu caedis ouantem, qua iuncta est umero ceruix, sude figis obusta. |
tandis qu'il parlait et, à travers la bouche,
atteignit la poitrine. Toi aussi, farouche Dryas, il te poursuit agitant son brandon autour de ta tête ; mais avec toi il n'obtient pas le même résultat. Tandis qu'il triomphait après le succès de ces meurtres répétés, tu lui plantes ton épieu durci au feu entre la nuque et l'épaule. |
12, 300 |
Ingemuit
duroque sudem uix osse reuellit Rhoetus et ipse suo madefactus sanguine fugit. Fugit et Orneus Lycabasque et saucius armo dexteriore Medon et cum Pisenore Thaumas ; quique pedum nuper certamine uicerat omnes, |
Rhétée pousse un
gémissement ; non sans mal il retire l'épieu de l'os qui le retenait, puis s'enfuit baigné de son propre sang. Avec lui, prennent la fuite Ornéus et Lycabas et Médon, blessé au bras droit, ainsi que Thaumas accompagné de Pisénor et Mermérus qui, après avoir vaincu tout le monde à la course à pied, |
12, 305 |
Mermeros
accepto tum uulnere tardius ibat ; et Pholus et Melaneus et Abas praedator aprorum, quique suis frustra bellum dissuaserat, augur Astylos ; ille etiam metuenti uulnera Nesso : “ Ne fuge ! ad Herculeos ” inquit “seruaberis arcus. ” |
marchait
alors plus lentement, parce que il était
blessé. Pholus et Mélaneus, et Abas, chasseur de sangliers, s'enfuient aussi, de même que celui qui avait vainement déconseillé la guerre aux siens, l'augure Astylos ; celui-ci avait même dit à Nessus qui redoutait un coup : “ Ne fuis pas ! Tu seras épargné, car tu es réservé à l'arc d'Hercule. ” |
12, 310 |
At non
Eurynomus Lycidasque et Areos et Imbreus effugere necem ; quos omnes dextra Dryantis perculit aduersos. Aduersum tu quoque, quamuis terga fugae dederas, uulnus, Crenaee, tulisti ; nam graue respiciens inter duo lumina ferrum, |
Mais ni
Eurynomos et Lycidas, ni Aréus et Imbréus n'échappèrent à la mort ; Dryas, de sa droite, frappa devant lui tous ses adversaires. Toi aussi tu reçus un coup de face, Crénée, alors même que tu fuyais, le dos tourné ; en effet, en te retournant, tu reçus une lourde pique entre les deux yeux, |
12, 315 |
qua naris
fronti committitur, accipis, imae. In tanto fremitu cunctis sine fine iacebat sopitus uenis et inexperrectus Aphidas languentique manu carchesia mixta tenebat, fusus in Ossaeae uillosis pellibus ursae. |
à la base
du nez, là où il est en contact avec le front. Dans tout ce tumulte, Aphidas gisait, profondément endormi, engourdi jusqu'au fond des veines, impossible à réveiller ; d'une main languissante il tenait une coupe de vin mêlé d'eau, étendu sur l'épaisse toison d'une peau d'ourse de l'Ossa. |
12, 320 |
Quem
procul ut uidit frustra nulla arma mouentem, inserit amento digitos “ miscenda ” que dixit “ cum Styge uina bibes ” Phorbas ; nec plura moratus in iuuenem torsit iaculum, ferrataque collo fraxinus, ut casu iacuit resupinus, adacta est. |
Dès qu'il
le vit de loin, inoffensif, n'agitant aucune
arme, Phorbas inséra ses doigts dans la courroie de son arme et dit : “ Tu boiras ton vin en le mélangeant à l'eau du Styx ”. Sans plus attendre, il brandit son javelot vers le jeune Centaure, et le frêne à la pointe de fer l'atteignit au cou, tel qu'il était, |
12, 325 |
Mors
caruit sensu, plenoque e gutture fluxit inque toros inque ipsa niger carchesia sanguis. |
couché sur le dos.
Il ne
sentit pas venir la mort : un flot de sang noir emplit sa gorge et coula à flots sur sa couche et même dans sa coupe. |
NOTES
Phrygiens... Argiens (12, 148-149). Termes désignant respectivement les Troyens, habitants de la Phrygie, et les Grecs, donc le général en chef Agamemnon venait d'Argolide.
Éacide (12, 168). Achille, petit-fils d'Éaque, appelé aussi parfois fils de Pélée (cfr 12, 82).
Nestor (12, 169). Héros omniprésent dans l'Iliade, Nestor, fils de Nélée et de Chloris, était roi de Pylos, en Messénie. Il incarne depuis Homère le type du vieillard plein d'expérience et de sagesse. Sa longue vie (Apollon lui aurait accordé de vivre durant plus de trois générations) lui a permis de participer, longtemps avant Troie, à l'expédition des Argonautes (selon certaines versions), à la chasse de Calydon (voir 8, 313), et, comme le présente la suite de ce passage d'Ovide, au combat des Centaures et des Lapithes.
Cénée le Perrhébéen (12, 172). Caenis (Caenis/Cénis/Caenus/Cénée) fut d'abord la fille, très belle, d'un Lapithe, nommé Élatée. Ovide fait raconter ici par Nestor sa pittoresque histoire : son viol par Neptune/Poséidon, son changement de sexe et son invulnérabilité (v. 189-209), son combat contre les Centaures (12, 210-497), et enfin sa fin et sa métamorphose en oiseau (12, 498-535). Sur sa légende, cfr notamment Apollodore, Epitome, 1, 22. - Un Cénée avait participé à la chasse au Sanglier de Calydon (8, 305). - De même que les Lapithes, les Perrhébéens étaient un peuple archaïque de Thessalie ; il appartenait à l'histoire, mais surtout à la mythologie.
Othrys (12, 173). L' Othrys était une montagne de Thessalie.
Pélée (12, 193-195). Pélée était le père d'Achille. Son union avec Thétys a été évoquée en 11, 217-265.
Renommée (12, 197). Voir 12, 43.
fils d'Atrax (12, 208). Plus haut, au vers 189, Caenis a pour père Élatée. On ne sait guère expliquer ce qui apparaît chez Ovide comme une contradiction. Mais le fait est qu'Antoninus Liberalis, 17, 4, fait de Caenis une fille d'Atrax. De toute façon, la question est secondaire.
Pénée (12, 209). Fleuve de Thessalie. Pénée, dieu de ce fleuve, est le père de Daphné : voir 1, 452 et 543-567, ainsi que 2, 243.
Lapithes et Centaures (12, 210-535). Peuple mythique de Thessalie, les Lapithes ont pour ancêtre éponyme Lapithès, fils d'Apollon et petit-fils du dieu fleuve Pénée. Ce Lapithès serait lui-même l'ancêtre d'Ixion et de Pirithoüs. - Les Centaures, êtres hybrides, ayant la tête et le buste d'un homme et le reste du corps d'un cheval, remonteraient pour leur part à Centauros, frère de Lapithès. La version la plus répandue de la légende fait naître les Centaures des amours sacrilèges d'Ixion et de Néphélé, une nuée qui avait revêtu la forme d'Héra, d'où le terme Nubigenae « fils des nuées », qui les désigne parfois. - Lapithes et Centaures étaient donc des demi-frères ou des cousins. Ils interviennent dans de nombreuses légendes, dont la plus connue est le fameux combat, relaté ici par Ovide dans une version haute en couleurs. Cette lutte a souvent servi dans la sculpture grecque (par exemple sur le fronton occidental du temple de Zeus à Olympie, sur les métopes du Parthénon à Athènes, etc.) à symboliser la lutte de la civilisation (Lapithes) contre la barbarie (Centaures). - On pourra comparer les circonstances et certains épisodes de ce combat à celui de Persée contre Phinée, en 5, 89-148.
fils d'Ixion... (12, 210). Il s'agit de Pirithoüs, fils d'Ixion, roi des Lapithes, qui avait invité à ses noces avec Hippodamie (fille d'Adraste ou de Butès), ses cousins les Centaures, fils des nuées ou de la Nuée (= Néphélé), comme il est dit dans la note précédente. - Ixion est qualifié d'audacieux, parce que, coupable de parjure, de meurtre, de sacrilège, d'ingratitude à l'égard de Zeus, le seul à avoir consenti à lui pardonner, il tenta de faire violence à Héra. Zeus et/ou Héra interposèrent entre Ixion et la déesse Néphélé, une nuée ressemblant à Héra. C'est ainsi que naquit Centauros, le père des Centaures. Dès lors, Zeus fut impitoyable et punit Ixion en l'attachant à une roue enflammée lancée dans les airs et destinée à tourner sans fin. Ixion fait partie du catalogue des damnés, en compagnie d'autres grands criminels (Tityos, Tantale, Tityos, Sisyphe, les Danaïdes). Voir 4, 461, qui renvoie à Én., 6, 601 et note).
chefs d'Hémonie (12, 213). L'Hémonie est un synonyme de Thessalie (voir 11, 229, renvoyant à d'autres passages). Aux chefs de Thessalie (entre autres les Lapithes) s'ajoutaient donc d'autres héros, dont Nestor.
Hyménée (12, 215). Le dieu du mariage, dont on invoquait le nom à l'occasion des mariages. Personnification du chant de mariage ou d'Hyménée.
Eurytus (13, 220). C'est le nom attribué ici au Centaure qui déclencha la querelle fameuse. L'épisode remonte à Homère, Odyssée, 21, 295-305, où il porte le nom d'Eurytion.
Thésée (12, 227). Célèbre héros de l'Attique, fils d'Égée, dont le rôle dans les Métamorphoses est évoqué passim entre 7, 404ss et 9, 97ss. Voir surtout note à 7, 404. Il est un ami inséparable de Pirithoüs, comme on l'a vu à Calydon (8, 303 ; 8, 403-410 ; 8, 566-567).
ne se contente pas... (12, 230-231). Beaucoup d'éditeurs (mais ce n'est pas le cas de G. Lafaye) considèrent ces deux vers comme interpolés.
cratère (12, 236). Comme l'épisode raconté en 5, 80.
Amycus... (12, 245). Après le récit du massacre d'Eurytus par Thésée, commence ici une longue description dans laquelle, selon J. Chamonard, « Ovide mettra en scène soixante-seize personnages (53 Centaures et 23 Lapithes), dont un certain nombre, comme Peiritoos, Pélée, Thésée, le devin Mopsos, appartiennent à la légende, mais dont la plupart sont inconnus par ailleurs. Il est vraisemblable qu'Ovide a pris ces noms dans quelque catalogue dressé à l'époque alexandrine, du genre des listes que nous trouvons dans Hygin pour les Argonautes (Fab. 14), les prétendants d'Hélène (Fab., 81), les fils et filles de Priam (Fab., 90), les Danaïdes (Fab., 170), les chasseurs de Calydon (Fab., 173), les chiens d'Actéon (Fab., 181), etc. On se bornera donc à les transcrire ».
cornes de la lune (12, 264). Sur cette pratique de la magie, censée provoquer les éclipses, voir 7, 207.
cornes d'un cerf (12, 267). Peut-être un ex-voto consacré à Diane après une chasse fructueuse (G. Lafaye). Sans doute Ovide veut-il insister sur l'intervention miraculeuse de Diane en faveur du Lapithe, grâce à l'intervention magique de Mycalé.
Mycalé (12, 263). On ne dispose pas d'informations particulières sur cette magicienne Mycalé, qui porte un nom de montagne (2, 223).
Nessus (12, 308). Sur le Centaure Nessus, voir 9, 101-133 : Ovide y raconte sa mort sous les coups d'Hercule, qui le punit d'avoir voulu abuser de son épouse Déjanire.
Ossa (12, 319). Une montagne de Thessalie. Voir 1, 155 ; 2, 225 ; 7, 224.
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