Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 181b-188a
Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)
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RENCONTRE EN GRANDE-BRETAGNE ENTRE TRISTAN, UTHER PENDRAGON, ARTHUR ET PARIS - MORT DE CLOTAIRE Ier ET PARTAGE DU ROYAUME ENTRE SES QUATRE FILS - FUSION ENTRE LA LÉGENDE ARTHURIENNE ET LE MONDE MÉROVINGIEN
Ans 493-503 de l'Incarnation
Texte et traduction
Ce fichier qui couvre les années 493 à 503 de l'Incarnation et correspond aux p. II, 181-188a du Myreur, peut être divisé en deux sections principales :
- La première (A = Myreur, II, p. 181b-183a) est pour l'essentiel consacrée à la présentation de Tristan, roi du Léonois dans les Cornouailles, un chevalier à l'épée prodigieuse qui, après avoir attaqué et conquis l'Irlande, entre en contact d'une part avec Uther Pendragon, roi de Grande-Bretagne, et son fils Arthur, et d'autre part avec Paris, un personnage légendaire, qui va jouer un très grand rôle dans la suite du récit.
Ce Paris est présenté par Jean d'Outremeuse comme le fils de Chramne, un bâtard de Clotaire Ier qui se considère comme l'héritier du trône des Francs, provoquant l'hostilité de Clotaire Ier qui s'en débarrasse. Il a déjà été question de lui plus haut (II, p. 170 et II, p. 179). Paris, son fils, reprendra cette prétention, et sera lui aussi l'objet de l'opposition de Clotaire Ier qui le chassera. Le jeune Paris, pour avoir de l'aide, se rapprochera de la cour d'Uther. Le cadre de la rencontre est un grand tournoi organisé à Caerleon en Grande-Bretagne.
C'est le procédé choisi par Jean pour introduire dans l'histoire des Francs les héros de la « matière de Bretagne ». Le récit de la fusion entre la légende arthurienne et le monde mérovingien ne sera pas terminé avec le présent fichier ; elle se prolongera beaucoup plus loin (en II, p. 203-218) après l'intermède que constitue l'histoire des rois de Bretagne (II, p. 188b-202a).
- La seconde section (B = Myreur, II, p. 183b-188b) est pour l'essentiel centrée sur ce qui se passe chez les Francs : les réactions de Clotaire Ier devant le geste de Paris, la mort du roi, le partage de son royaume entre ses quatre fils (Charibert Ier, Chilpéric, Gontran et Sigebert Ier) et le destin matrimonial de chacun d'eux.
Quelques mots sur Tristan et sur Iseut
C'est la première apparition dans le Myreur du célèbre Tristan, du Léonois en Cornouailles ; c'est le héros de la légende médiévale, Tristan et Iseut, née en pays celtique et développée par les poètes de la fin du XIIe siècle (Béroul et Thomas). Mais le rôle que Jean fait jouer à Tristan dans la suite du Myreur n'a pas grand-chose à voir avec celui du Tristan du poème.
De même, la Iseut du Myreur (II, p. 182 [épouse du roi Marc de Cornouailles], II, p. 210 [Yseut de Cornouailles], II, p. 241 [tuée par Marc, en même temps que Tristan], II, p. 358 [concubine de Tristan], IV, p. 36) ne correspond pas exactement à celle du poème du XIIe siècle.
En outre, il ne faut pas confondre cette Iseut avec l'Iseult, femme de Gasselin (II, p. 449-450).
Brève information bibliographique
- M. Aurell, La légende du roi Arthur (550-1250), Paris, Perrin, 2007, 692 p. ; édition revue : Paris, Perrin, 2018, 920 p. (Tempus, 725) : une somme sur la légende arthurienne, sur sa naissance et sur ses manifestations littéraires des origines à 1250 [ce qui explique que Jean d'Outremeuse n'y soit pas étudié].
- A. Gautier, Le roi Arthur, Paris, 2019, 208 p.
- O. Jodogne, Le règne d'Arthur conté par Jean d'Outremeuse, dans Romance Philology, t. 9, 1, 1955-1956, p. 144-156.
- M. Tyssens, Jean d'Outremeuse et la matière de Bretagne, dans Studia in honorem Prof. Martin de Riquer, t. IV, Barcelone, 1991, p. 593-609.
- R. Trachsler, « Conter d'Arthur » à la fin du Moyen Âge, dans Clôtures du cycle arthurien. Étude et textes, Genève, 1996, p. 262-286 (Publications romanes et françaises, 215) : il est longuement question de Jean d'Outremeuse (p. 262ss), mais surtout du traitement de la matière anglaise.
- P. Courroux, Ni vaine ni plaisante ? La matière de Bretagne et les Chroniqueurs, dans Circé. Histoires, cultures et sociétés, t. 7, 2, 2015 (éd. numérique)
Sur la Toile
- Le site Histoire pour tous propose sur la Toile un petit dossier sans prétention qui est intitulé Le roi Arthur : entre histoire et légende et qui ne manque pas d'intérêt.
A. Ans c. 493-496 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 181b-183a
TRISTAN, UTHER PENDRAGON, ARTHUR ET PARIS
Première apparition de Tristan, roi du Léonois - Pape Gélase - Tristan, un brillant chevalier armé d’une épée prodigieuse, attaque l’Irlande du roi Godolas et conquiert le pays qu’il donne à Cheriel, frère de la reine Yseult, épouse du roi Marc de Cornouailles - Réaction, finalement positive, d’Uther Pendragon, roi de Grande-Bretagne, qui accepte la nouvelle situation et apprécie les qualités de Tristan - Uther organise à Carlisle (Caerleon) un grand tournoi, où participent, outre le roi Tristan, Arthur, fils d'Uther, et Paris, le jeune héritier du royaume franc chassé par Clotaire Ier et accueilli à la cour d’Uther - Paris, qui s’est fait particulièrement remarquer, explique son cas et demande à l’assistance de l’aider à retrouver sa place chez les Francs - Les participants accèdent à son souhait (vers 493-496 de l'Incarnation)
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[II, p. 181] [De roy Tristans]
A cel temps regnoit ly roy Tristans de Lonnois, qui fut unc bons chevalier secreis :
car, sicom dist Boece ly philosophes qui à cel temps
regnoit, Tristans fut ly miedre chevalier qui fust en monde à son temps,
mains ilh astoit secreis : chu est à dire que sa bonne chevalerie astoit
secrée. Et chu astoit vors, car une chouse secrée, sicom dist Boece meismes,
est chu que uns hons sceit, si le dist à III ou à IIII de ses priveis amis en secreit ;
et enssi fut-il-il de Tristans, car sa proieche, qui fut si grant, fut
demonstrée sens plus aux cristiens et à ses amis, qui bien astoient
infourmeis de ly, et ne fut oncques monstreis aux longens et estrangniers, sicom Sarasiens auxqueiles
la proieche des crisliens doit estre demonstrée. Et par cest raison, le nomme
Boece secreis, enssi com dit est. |
[II, p. 181] [Le roi Tristan] À cette époque [vers 493] vivait le roi Tristan du Léonois (cfr II, p. 101), qui fut un bon chevalier discret. Comme le dit Boèce, le philosophe qui vivait alors, Tristan fut en son temps le meilleur chevalier du monde, mais il était discret, c’est-à-dire que ses exploits restaient secrets. Et c’était vrai. Une chose cachée, comme le dit Boèce lui-même, est ce qu’un homme sait et confie en secret à trois ou quatre de ses amis proches. C’est ce qui se passa pour Tristan : ses prouesses, qui furent si grandes, ne furent révélées qu'aux chrétiens et à ses amis, qui étaient bien informés sur lui. Elles ne furent pas communiquées aux gens des pays lointains et étrangers, comme les païens, à qui les prouesses des chrétiens doivent être démontrées. C’est pour cette raison que Boèce le qualifie de discret, comme on l'a dit. |
Chis Tristans fist à son temps mult de bonnes chevalries, qui plus
plainement sont escriptes ens es histoires de Engleterre ; portant nous en
passerons brieffement, et oussi du roy Artus qui astoit à chi temps. Enssi soy passe
chi croniques brieffement, car les histoires d’eaux sont grandes asseis par
elles-meismes. |
Ce Tristan accomplit en son temps de nombreux actes de chevalerie, racontés avec beaucoup plus de détails dans les histoires d’Angleterre. C’est pourquoi nous n'en parlerons que brièvement, comme ce sera [le cas] pour le roi Arthur, qui vivait aussi à cette époque. Les chroniques doivent être brèves, les histoires qui traitent de ces personnages étant assez longues en elles-mêmes. |
Et
encordont chi après de la coronation le roy Artus est recapituleis, et de
tous les roys qui onques en la Grant Bretangne jusqu’al roy Artus, affin que
chis croniques n’en soit nient priveis d’eaux, et que ilh ne fesist bien
mention de leurs histoires, se chu ne fust portant qu’ilh sont si prolix et
si grant, que ilh les convient mettre por eaux, enssi bien com de cest de Franche, de Romme, d’Allemangne, de
Flandre, de Brabant et des altres paiis, ons en true les histoirs en leurs
paiis, assavoir en casconne plus plainement que chaens. |
C'est pourquoi ce qu'on va trouver plus loin (II, p. 188-203) est un résumé du règne du roi Arthur et de tous les rois de Grande-Bretagne qui l'ont précédé. Les chroniques ne peuvent pas passer sous silence ces personnages, mais elles ne doivent pas reprendre tout ce qu'on trouve sur eux dans les histoires. Leurs réalisations sont à présenter dans des ouvrages spécialisés, prolixes et détaillés, comme le sont les histoires de France, d’Allemagne, de Flandre, de Brabant et d’ailleurs (cfr pour une remarque semblable, II, p. 188b). |
La formulation de Jean est plutôt embrouillée, mais il veut dire simplement que des récits détaillés ne sont pas à leur place dans une chronique universelle comme la sienne. Cfr les notes de Bo ad locum : « Jean d'Outremeuse s'occuperait bien de l'histoire de ces rois bretons, si l'étendue des détails n'obligeait de la traiter à part » et aussi « Il en est de même de l'histoire de France et des autres pays, qu'on trouve plus détaillée dans chacun de ces pays que dans une chronique générale ». |
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[Status papales - De la messe]
Sour l'an IIIIc et XCIIII, ordinat ly pape de Romme, Gelasius, à dire à la
messe les collectes, et les orisons,
et le trecte ; et sy vos disons que ilh [II, p. 182] fist mult de belles orisons, tractes et ymnes, sycom
fist sains Ambrose ; et si adjostat à la prefaise de la messe à
dire : Vere dignum et justum est. |
[Ordonnances papales - La messe]
En l’an 494, le pape de Rome, Gélase, ordonna que l’on dise à la messe les
collectes, les oraisons et le tractus ; nous vous disons aussi que Gélase [II, p. 182] composa quantité
d’oraisons, de tractus et d'hymnes magnifiques, comme le fit saint Ambroise. Il prescrivit
également d'ajouter à la préface de la messe : Vere dignum et justum est. |
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Item, l'an IIIIc et XCV, assemblat Tristans, roy
de Lonnois, toutes ses gens ; si entrat en pays de Ybernie, dont Godolas
astoit sires, unc bons chevalier qui avoit es parties de Hirlande fait aucun
despit à roy Tristant. Adont vient Godolas à grant gens et orent batalhe
ensemble. Se avient que, si ne fust la proieche de Tristant, ses gens
fussent desconfis, car toudis cressoit li peuple le roy Godolas. |
En
l’an 495, Tristan, roi de Léonois, rassembla toutes ses forces et pénétra en
Irlande, dont le seigneur était Godolas, un bon chevalier, qui,
dans les différentes régions d’Irlande, n’avait fait aucun tort au roi Tristan. Godolas vint avec
des troupes nombreuses et une bataille les opposa. Et, sans les prouesses de Tristan,
ses hommes auraient été vaincus, car les forces de Godolas s’accroissaient sans cesse. |
Mains Tristans aloit par la batalhe, si tenoit son espée, laqueile Ogier li
Dannois oit longtemps apres, qui n'avoit pointe devant, ains avoit esteit
brisié par plusieurs fois ; et fut ly espée nommée Courtaine. Et ochioit Tristans
de cest espée tant de gens, que chu estoit mervelhe à veioir. Et si
desconfist la batalhe, et conquist toute la terre et ochist le roy Godolas ;
si donnat la terre à Cheriel, qui astoit frere la royne Yseut, femme à roy
March de Cornualhe, oncle à Tristant, frere à sa mère. |
Mais Tristan parcourait le champ de bataille, brandissant son épée, qui fut
beaucoup plus tard la possession d'Ogier le Danois et qui n’avait pas de
pointe, car elle avait été brisée à plusieurs reprises. Cette épée était
appelée Courtaine (cfr II, p. 252). Avec elle, Tristan tuait tant de gens que c’était
prodigieux. Il remporta la bataille, conquit tout le territoire et tua le roi Godolas. Il
donna sa terre à Cheriel,
le frère de la reine Iseut, l’épouse du roi Marc de Cornouailles,
qui était l'oncle de Tristan, le frère de sa mère. |
« Courtain ou Courte était le nom de l'épée du chevalier Ogier le Danois. Son nom est une transcription en français du norrois Kyrr/Kyrrt, "tranquille". Son nom français vient du fait qu'on crut qu'elle avait été brisée, et donc raccourcie, Ogier le Danois n'ayant pas souhaité la reforger. Elle est restée comme telle, depuis lors, selon une recomposition franco-française de la légende » (P. Le Gentil, Ogier le danois, héros épique, dans Romania, t. 310, 1957, p. 199-233, p. 211. [lire en ligne via Persée <https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1957_num_78_310_3081>]) |
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Adont fut defiés Tristant por chesti fait de roy Uterpandragon de la
Grant-Bretangne ; mains Tristans ly mandat qu'ilh avoit ochis unc trahitre
qui tenoit la terre d’Ybernie de ly, ilh y avoit en la terre remis unc
valhant roy qui astoit loial et qui loialment le serviroit com ses hons, s'ilh ly plaisoit ;
se chu nom, ilh venist à unc jour contre ly atout son poioir reconquesteir
la terre, car Tristant le defenderoit contre ly puisque defiet l'avoit.
Quant ly roy entendit chu, si dest que Tristans astoit loial et hardis
chevalier sour tous altres. |
Pour cet acte,
Tristan fut mis au défi par Uther Pendragon, roi de Grande-Bretagne ; cependant Tristan lui fit savoir qu’il avait
tué en Godolas un traître, qui tenait de lui la terre d’Irlande. ll avait installé dans
le pays un nouveau roi qui le servirait loyalement, comme ses hommes (à lui
Tristan), si le roi le voulait. Si le roi refusait, qu'il vienne avec toutes
ses forces pour reconquérir la terre, car
Tristan se défendrait contre lui, puisqu’il avait été provoqué.
Quand le roi entendit cela, il
pensa que Tristan était un chevalier loyal et hardi, plus que tout autre. |
Uther Pendragon (gallois : Uthyr Bendragon, Pen Draig également qui signifie « tête de dragon » ou « chef de guerriers » en gallois) est dans la littérature galloise — en particulier l’Histoire des rois de Bretagne (Historia regum Britanniae) — et la légende arthurienne, un roi de Bretagne en lutte contre les Saxons, et le père du roi Arthur (https://fr.wikipedia.org/wiki/Uther_Pendragon) |
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En
cel an fist ly roy Uter crieir unc tournoy à Carlon,
car à cel jour voloit faire chevalier son fis Artus et Paris le heure de
Franche. A ches tournois vinrent tous les chevaliers de renommée de
cristiniteit, et des païens en y
vient asseis : Tristans y fut et mult d'aultres, qui puis servirent le roy
Artus ; et furent de la maisnie et l'hosteit de la fraterniteit et de la
tauble reonde. |
Cette
année-là, le roi Uther fit proclamer un tournoi à Caerleon (cfr
II, p. 171 et
p. 241), car il voulait faire
chevaliers son fils Arthur ainsi que Paris, l’héritier du royaume franc (cfr II, p. 179). À ce tournoi se rendirent tous les chevaliers renommés
dans
la chrétienté ; des païens aussi y vinrent en grand nombre. Tristan y participa
avec beaucoup d’autres, qui par la suite servirent le roi Arthur. Ils
firent en effet partie de la maison et de la
communauté de la Table Ronde. |
[Coment Artus et Paris furent
chevaliers] Chis tournois fut fais le XVIIIe jour de mois de may, l'an [add.
IIIIc
et] XCVI, et-là se
provat mult bien Artus, et oussi fist Paris à leur novelle chevalerie ; et
portant que cascons prisoit Tristans à cel tournoy, car ilh abatoit tout à
terre, Paris soy faisoit toudis meneir à Tristan : et trovons que ilh
aherdit Tristan XIIII fois, et l'abatit une fois ou II, et l'asachat II fois
à l'archon tout fours, [II, p. 183] si que Tristan pendoit
por le piet à l'estrier. Et les altres fois fut Paris abatus et sachiés à
terre de part Tristant, et tant que Paris par les Bretons et Tristan par les
defourtrains, orent les pris de tous
les pons de tournoy. |
[Comment Arthur et Paris devinrent
chevaliers] Ce tournoi se déroula le 18 mai
de l’an 496. Arthur s'y comporta très bien, tout comme Paris, conformément à leur nouvel
état de chevalier. Chacun lors de ce tournoi admirait Tristan,
qui mettait tout le monde à terre. Paris se faisait toujours
opposer à Tristan. Nous
trouvons qu’il s’attaqua quatorze fois à lui, qu'il l’abattit une ou deux fois
et le désarçonna complètement deux fois, [II,
p. 183], au point que Tristan restait suspendu par le pied à l’étrier. Les
autres fois, Paris fut terrassé et jeté à terre par Tristan. Finalement Paris,
du côté des Bretons, et Tristan,
du côté des étrangers, remportèrent les prix de toutes les joutes du tournoi. |
Apres le tournoy demandat Tristan al roy Uterpandragon qui astoit chis
noveal chevalier, qui portait les armes de Franche sens nulle differenche. A
chu respondit le roy Uter qu'ilh astoit drois heurs de Franche, car son
peire estoit ly anneis fis le roy Clotaire, mains ilh l'at decapiteit, si
est Paris chi fuis ; mains encor
acquerat-ilh tant de bons amis que ilh rarat son paiis. |
Après le tournoi, Tristan demanda au roi Uther Pendragon qui était ce nouveau
chevalier portant les mêmes armes que les Francs. Le roi Uther répondit
que c'était Paris, l’héritier légitime des Francs. En effet son père
[Chramne] était le premier fils du roi Clotaire,
mais celui-ci l'avait décapité et Paris était venu se réfugier ici. Uther
ajouta que Paris se fera tellement de bons amis qu’il récupérera
son pays. |
Et dest Tristan : « S'ilh vit, ilh serat bon chevalier, car onques ne senti
si fors hons de li, et encor serat-ilh plus fors, car ilh est jovenes ».
Adont avoit Paris XV ans, si s'estoit teilement porteis contre Tristan, qui
astoit ly miedre chevalier de monde, qu'ilh en fut mult prisiés. |
Tristan dit alors : « S’il reste en vie, il sera bon chevalier, car je n’ai
jamais rencontré d’homme si fort que lui,
et il le deviendra davantage encore, car il est jeune ». Paris avait
alors quinze
ans et il avait si bien jouté contre Tristan, le meilleur chevalier au monde,
qu’il en fut très apprécié |
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Apres chu alarent seoir à tauble, et là vient Paris, tenant Artus par le
main, et dest en hault qu'ilh astoit cachiés fours de sa terre à tort, et
que son aion, ly roy de Franche Clotaire, ly avoit ochis son peire : si
prioit à
tous les chevaliers qui là astoient, que ilh les plaisist à eistre ses amis,
et que cheaux qui ne voiroient [eistre] ses amis ne fussent mie ses anemis.
Atant ly ont promis Artus, Tristans, Beomedes li roy d'Yrlande, Soladris li
sire de l'Estroit-Pas et bien XII hauls saingnours, roys, dus et contes de
li aidier contre les Franchois, oussitoist que ilh les voroit someir.
Enssi soy departit ly tournois, si ralat cascon en son paiis. |
Ensuite ils s’installèrent à table, où
Paris
se présenta en tenant Arthur par la
main. Il dit à voix haute qu’il était chassé à tort de sa terre et que son
père avait été tué par son aïeul, le roi des Francs Clotaire. Il demanda à
tous les chevaliers présents de bien vouloir être ses amis et pria ceux qui
refuseraient de ne pas être ses ennemis. Alors Arthur, Tristan, Béomédes, le roi d’Irlande, Soladris le
seigneur de l’Estroit-Pas, et au moins douze nobles seigneurs, rois, ducs et
comtes, lui promirent de l’aider contre les Francs dès qu’il voudrait les y engager.
Ainsi se termina le tournoi et chacun retourna dans son pays. |
B. Ans 496-503 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 183b-188a
CLOTAIRE Ier - SA MORT - LE PARTAGE DU ROYAUME ENTRE SES QUATRE FILS - LEURS MARIAGES
Clotaire Ier, informé, demande à son prévôt Agaza de le protéger (an 496 de l'Incarnation) |
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[II,
p. 183b] Pluseurs chevaliers de Franche furent à chi tournoy, qui apres revinrent
arier mult esbahis de la proieche Paris, et de chu que tant de hauls
saingnours ly avoient enconvent ; et l'ont dit al roy Clotaire, qui en fut
mult corochiés et dest, si n'astoit la maladie que ilh menoit de la fievre,
ilh yroit contre eaux à grans oust. Atant mandat ly roy Clotaire Agaza, son
prevoste, et ly dest que Cramynus, son fis, avoit unc fis qui astoit nommeis
Paris, qui tenoit son hosteil en la Grant-Bretangne awec le roy Uter, qui ly
avoit promis de ly aidier ; parqu'en ilh soy dobtoit que ilh ne li fesissent
despit, se ly priat qu'ilh fust garnis solonc chu. Et chist dest : « Volentiers » |
[II,
p. 183b]
À ce tournoi avaient assisté de nombreux chevaliers francs, qui revinrent chez
eux très surpris des prouesses de Paris et de l'accord que tant de grands
seigneurs avaient conclu avec lui. Ils racontèrent la chose au roi Clotaire
I,
qui en fut très irrité. Il dit que s’il n’était pas atteint d’une maladie
qui lui donnait de la fièvre, il marcherait contre eux avec une grande
armée. Alors Clotaire convoqua Agaza (cfr II, p. 168 et
p. 205), son prévôt,
et lui dit que son fils Chramn avait un fils dénommé Paris, installé en
Grande-Bretagne avec le roi Uther, lequel avait promis de l’aider. Et parce que Clotaire
avait peur qu’ils ne viennent le défier, il pria son prévôt de le protéger,
lequel répondit : « Volontiers ». |
En cel an fut ordineis à preistre ly jovene fis le roy Clodomiere d'Orlins,
qui oit nom Cloduas. |
Cette année-là [496] fut ordonné prêtre le jeune fils du roi Clodomir d’Orléans, dénommé Clodoald (cfr II, p. 176). |
Mort de Clotaire Ier (497
de l'Incarnation) |
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[Ly roy Clotaire morut]
Sour l'an IIIIc et XCVII, alat li roy Clotaire chevalchant droit vers
Compingne ; si passat parmy unc [II,
p. 184] foreste où ilh acolhit une chief,
mains ly chief s'enfuit et ly roy le cachat, si chaiit de son cheval à tieste en sablon, dedens le tron d'onne arbre
brisiet, qui li entrat jusques en la cervelle et l'ochist. Si fut porteis en Compingne, et ensevelis en
l'engliese Sains-Medars ; mains ses enfans le fisent osteir apres chu, et
fut ensevelis dedens l'engliese Sains-Brises à Soison, mult noblement solonc
son estat. |
[Mort du roi Clotaire]
En l’an 497, le roi Clotaire Ier chevaucha en direction de Compiègne ; il
traversa une [II, p. 184] forêt,
où il fit lever un cerf qui s’enfuit. En le pourchassant, le roi tomba de son
cheval, tête en avant, sur un tronc d’arbre cassé, qui lui
rentra jusqu’à la cervelle et le tua. Il fut transporté à Compiègne et enseveli dans l’église
Saint-Médard ; par la suite, ses enfants l'en firent retirer pour l'ensevelir
très honorablement, conformément à son état, dans l’église Saint-Brice à
Soissons. |
[Des IIII enfans le roy Clotaire
- La roalme le roy Clotaire fut departie à ses IIII enfans]
De cheli roy Clotaire remanirent IIII fis tous vief, assavoir :
Haribers, Cilpericles, Gontiers et Sigebers ;
si avient que Cilpericle prist le tresour son peire Clotaire et vient à
Lutesse, où ilh se fist coroneir com roy de Franche ; et por le grant partie
qu'ilh acquist aux Franchois, et oussi ilh avoit le prevost en son
ayde, et nonobstant qu'ilh fust coroneis, ilh ne fut mie roy de Lutesse ; ains
fut la terre partie, et fut roy de Lutesse li plus anneis, Haribers ; car
Cilpericle oit Soison, et Gontiers oit Orlins et Borgongne, et Sigebers oit
Austrie, ch'est le royalme de Mes. |
[Les quatre enfants du roi Clotaire - Son royaume fut partagé entre ses quatre enfants] Ce roi Clotaire laissa quatre fils en vie : Charibert Ier, Chilpéric, Gontran et Sigebert Ier. Chilpéric prit le trésor de son père Clotaire et vint à Lutèce, où il se fit couronner roi, vu le grand territoire qu’il avait conquis pour les Francs et aussi parce qu'il avait l’appui du prévôt. Cependant, bien que couronné, il ne fut pas roi de Lutèce. Le royaume fut partagé comme suit. L’aîné, Charibert, devint roi de Lutèce ; Chilpéric eut Soissons ; Gontran eut Orléans et la Bourgogne, et Sigebert l’Austrasie, qui est le royaume de Metz. |
Quatre fils : Ingonde est la reine légitime de Clotaire Ier, mère de Sigebert Ier, de Charibert Ier et de Gontran. Chilpéric Ier est né d'Arégonde, la concubine de Clotaire Ier. Sur ce Gontran/Gontiers, cfr aussi II, p. 2722, où il est appelé Gontray. |
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Enssi
fut la terre departie, mains ilh ne durat mie longement, car Heribers prist
une noble femme, le filhe le roy de Gascongne, qui oit nom Nygeburde, qui avoit dois cambrieres mult belles qui
astoient de basse lignie ; si furent nomée Marcoveue et Merodes, si en amat ly roy Heribers le jovene,
Merodes ; mains quant la royne le soit, se le fist ochire. Et ly roy
lasat la royne, si prist l'autre cambriere à femme. |
Ainsi fut partagé le territoire, mais cet état ne dura pas longtemps, car
Charibert épousa une noble dame, la fille du
roi de Gascogne, appelée Ingoberge ; celle-ci avait deux chambrières, qui
étaient de basse lignée, et s’appelaient Marcovèfe et Méroflède ; le roi
Charibert s’éprit de Méroflède, la plus jeune ; mais quand la reine l’apprit,
elle la fit tuer. Le roi quitta la reine et épousa l’autre chambrière. |
[Sains Germain excommegnat le
roy] Et de chu sains Germain, evesque de Lutesse, excommengnat le
roy et fut excommengniés toute sa vie ; et alat tenir à Bleves,
et ne tenoit point d'estaut de roy. |
[Saint Germain excommunia le roi]
Suite à cela, saint Germain, évêque de Lutèce, excommunia le roi Charibert, qui
le resta toute sa vie. Il alla se fixer à Blaye, sans plus avoir le
statut de roi. |
[Cilperis soy fist coroneir roy
de Paris, qui fut ly VIIe roy Franchois]
Adont vient Cilperis, ly roy de Soison, en la terre son frere Heribers, qui
astoit li plus anneis apres luy, et soy fist coroneir par les Franchois, qui
le fisent volentiers. Et dest que son frere n'estoit mie digne d'estre roy,
qui se lassoit enssi excommengnier.
Enssi fut Cilperis roy de Franche, enssi qu'ilh demandoit, et regnat XXIII
ans ; et fut coroneis l'an deseurdit en mois de novembre, car Heribers
n'avoit tenut sa terre que IIII mois ; et fut ly VIIe roy de Franche, car
Heribers de riens ne fut compteis. |
[Chilpéric se fit couronner roi
de Paris et fut le septième roi franc]
Alors Chilpéric, le roi de Soissons, né immédiatement après son frère
Caribert, se rendit dans son territoire, et se fit couronner roi par les
Francs qui acceptèrent volontiers. Il déclara que son frère, qui
se laissait ainsi excommunier, n’était pas digne
d’être roi. Ainsi Chilpéric devint roi des
Francs, comme il le demandait, et régna durant vingt-trois ans. Il fut
couronné en l’an susdit (497), au mois de novembre, car Charibert n’avait
régné que quatre mois ; il fut le septième roi des Francs, Charibert n’étant
nullement pris en compte.. |
[Coment terriblement morut li
roy Heribers] Item, l'an IIIIc XCVIII, morut
li roy Beribers tous excommengniés, si fut ensevelis à Bleves ; et deveis
savoir que ilh morut teilement que ilh mangnat sa lenge et ses mains et ses piés,
et si exstrenglat Marcoveue que ilh avoit exposeit, et unc petis fis qu'ilh en avoit qui oit
nom Cildebers. |
[Mort terrible du roi Charibert]
En l’an 498, le roi Charibert mourut, toujours excommunié, et fut
enseveli à Blaye. Vous devez savoir qu’il mourut en mangeant
sa langue, ses mains et ses pieds, et qu’il étrangla Marcovèfe, [II, p. 185] qu’il avait épousée,
ainsi qu'un enfant qu’il avait eu d’elle et qui était appelé Childebert. |
[De roy Gontiers d’Orlin]
En cel an meismes soy mariat ly roy Gontiers de Orlins, et prist Jonadas,
une femme de basse lignie, le filhe de unc
simple esquewier ; mains elle n'oit onques enfant, ains morut sens
heures. Si oit sa terre apres luy ly jovene Hildebers, li fis le roy Sigibers d'Austrie. |
[Le roi Gontran d’Orléans]
Cette même année, le roi Gontran d’Orléans se maria et prit pour épouse
Jonadas, une femme de basse lignée, fille d’un simple écuyer. Elle
n’eut jamais d’enfant, et (le roi) mourut sans héritiers. Après lui, sa terre passa au jeune Childebert
II,
le fils du roi Sigebert Ier d’Austrasie. |
Sur les femmes de Gontran, cfr Bo, ad locumm, p. 185, n. 1, qui évoque une concubine, Venerande, et deux femmes légitimes, Marcatrude et Austrechilde. Ce Gontran est un problème ; dans l'histoire, il eut plusieurs partenaires et plusieurs enfants, dont des fils ; cfr B. Dumézil, La reine Brunehaut, Paris, 2008, le tableau de la p. 477. |
|
[Li roy Cilperis acontat
Fredegonde I sorgante] En cel an acontat li roy Cilperis de Franche une sourgante qui
oit nom Fredegonde, qui tant astoit belle que ch'astoit mervelhe à veioir sa
bealteit ; mains tant astoit male que nus ne le poioit dire, car
onques tant qu'elle viscat elle ne fist que male, et ne porchachat que male
à cascon, et specialment entre le roy Cilperis et les roynes qu'ilh oit
puisedit. |
[Le roi Chilpéric s'unit à Frédégonde,
une servante] En cette année, le roi franc Chilpéric
s'unit à une servante, nommée Frédégonde, merveilleusement
belle mais méchante comme personne ne pourrait l’imaginer. Toute sa vie,
elle ne fit que du mal, et ne chercha qu'à nuire à chacun, spécialement
au roi Chilpéric et aux reines qu’il épousa par la suite. |
[Ly roy Sigibers esposat
Brumehote, qui fist les cachies par nygromanche - Thanagildis, roy
d’Espangne] Sour l'an IIIIc XCIX, s'avisat ly roy Sigibers d'Austrie que
ses freres prendoient femmes de basse lignie, si en fut mult corochiés, si
envoiat messagiers en Espangne al roy Thanagildis, et li demandat une de ses filhe por
prendre à femme. Et ly roy li envoiat une mult belle et saige, qui fut nommée Brucilde
[sic], chu est à dire en franchois Brumehote, car
chu fut la propre royne qui fist tant de male, et fist par nygromanche les cachies que
ons apelle les cachies Brumehote, car, tant que elle et Fredegonde visquarent, n'oit
pais entre les freres et cusiens. Cest Brumehote fist baptisier le roy
Sigibers, et puis se l'espoisat. |
[Le roi Sigebert Ier épousa Brunehaut, qui fit les chaussées par magie - Athanagild, roi d’Espagne] En l’an 499, le roi Sigebert Ier d’Austrasie se rendit compte que ses frères épousaient des femmes de basse lignée. Il en fut très courroucé. Il envoya des messagers en Espagne, au roi Athanagild, pour lui demander une de ses filles en mariage. Et le roi lui envoya une fille très belle et très sage, dénommée Brunehilde, c’est-à-dire en français Brunehaut. Ce fut cette même reine, qui fit tant de mal et recourut à la magie pour faire les chaussées qu'on appelle chaussées Brunehaut. Aussi longtemps qu’elle et Frédégonde vécurent, la paix n’exista pas entre les frères et les cousins. Le roi Sigebert fit baptiser Brunehaut [arienne, vu son origine wisigothe] et la prit pour épouse. |
[De roy Cilperis] En cel an meismes, mandat ly roy Cilperis de Franche à roy Ector de Dannemarche que ilh ly envoiaste une de ses filhe, et ilh le prenderoit à femme. Et chis li envoiat une, se le fist baptisier et l'esposat : et oit à nom Andromire. Et chu fist-ilh portant que li roy, son frere, avoit mandeit une en Espangne. De cesti damme oit Cilperis IIII fis : Clotaire, Theodebers, Merenex et Cloveis. |
[Le roi Chilpéric] Cette même année, le roi de France Chilpéric demanda à Hector, roi de Danemark, de lui envoyer une de ses filles, qu’il prendrait pour épouse. Hector lui en envoya une, que Chilpéric fit baptiser et qu’il épousa : elle s’appelait Audovère. Il agissait ainsi parce que le roi son frère avait fait venir une épouse d’Espagne. Cette dame donna quatre fils à Chilpéric : Clotaire II, Théodebert, Mérovée et Clovis (cfr II p. 215). |
Mains quant li roy Sigibers
le soit, se li mandat que li siene femme estoit melheur et plus noble, car li
roy d'Espangne estoit plus noble que li roy de Dannemarche. Adont fut
corochiet Cilperis, qui tantost mandat al roy d'Espangne qu'ilh li [II, p. 186] envoiast une de ses
filhes por esposeir, car ilh le voloit avoir et donneir congier les
altres ; car vos deveis savoir qu'ilh avoit IIII femmes. |
Quand le roi
Sigebert le sut, il lui fit savoir que sa
propre femme était meilleure et plus noble, car le roi d’Espagne était plus
noble que le roi de Danemark. Alors Chilpéric, très irrité, demanda
aussitôt au roi d’Espagne de lui [II,
p. 186] envoyer une de ses filles en mariage, car il voulait l’avoir pour
femme et répudier les autres. Vous devez savoir qu’il eut quatre femmes. |
[Cilperis avoit IIII femmes]
Ly roy Cilperis avoit IIII femmes toutes en vie, sens son sorgante
Fredegonde, de quoy faisoit chinq ; mains nonporquant ly roy d'Espangne
li envoiat une siene filhe belle et saige qui oit nom Galsymonde. Et li roy Cilperis le fist baptisier, puis
l'esposat, mains onques por chu ilh ne donnat congier les altres ; dont
la royne Galsymonde astoit mult corochié, car la male Fredegonde li faisoit
tous les despis qu'elle poioit, et tant que la royne Galsymonde prioit sovent
à roy qu'ilh ly donnast congiet de raleir en Espangne deleis son peire, et se
retenist toute le tressour qu'elle avoit
aporteit. Et li roy ne ly vot point ottriier, ains li promettoit toudis par
blanches parolles qu'ilh soy delairoit tantost de Fredegonde. |
[Chilpéric avait quatre femmes]
Le roi Chilpéric avait quatre épouses, toutes en vie, sans compter sa
servante Frédégonde, ce qui en faisait cinq ; malgré cela, le roi
d’Espagne lui envoya une de ses filles, belle et sage, nommée Galswinthe.
Le roi Chilpéric la fit baptiser puis il l’épousa, sans jamais cependant répudier les autres. Galswinthe en fut très irritée, parce que la méchante Frédégonde lui
faisait tous les torts possibles, au point que Galswinthe priait
souvent le roi de la renvoyer en Espagne auprès de son père, tout en gardant le trésor qu'elle avait apporté.
Le roi ne voulut pas lui accorder ce qu'elle demandait, mais il lui promettait toujours avec des paroles
caressantes de se débarrasser immédiatement de Frédégonde. |
Divers événements dans
l'Église : Les papes Gélase et pape Anastase - Corps de saint Barnabé -
Saint
Avit (499 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 186]
[L’invention sainte crois del
cripte Sains-Michiel] En apres, sor l'an deseurdit le
Ve jour de novembre, morut li pape Gelasius, à cuy temps ilh fut faite le
invention del cripte Sains-Mychiel, et fut troveis le corps sains
Barnabé, et awec luy l'ewangeile que de
sa propre main escript sains Mathier en ebreu. |
[II, p. 186] [La découverte de la Sainte-Croix
de la crypte de Saint-Michel] Ensuite [499], en l’an susdit, le 5
novembre, mourut le pape Gélase. De son vivant, on découvrit la crypte de
Saint-Michel [sur le monte Gargano] ainsi que, [à Chypre, près de Salamine],
le corps de saint Barnabé, et, avec lui, l’évangile de saint
Matthieu écrit en hébreu par saint Mathieu lui-même |
A
cel temps defendit la foid catholique
sains Amiens, evesque de Viane, contre les heretiques arrien en la royalme
de Franche. |
À cette époque, saint
Avitus,
évêque de Vienne, défendit la foi catholique, contre les hérétiques ariens
dans le royaume des Francs |
Lydit pape Gelasius donnat
principalment
al engliese le canon ordineit. |
Ledit pape Gélase donna principalement à l’église le canon de la messe bien mis au point. |
[Anastase, li LIIIe pape]
Apres la mort le pape Gelasius vacat li siege IX jours, puis fuit consecreis,
le XVe jour de novembre, à
pape
de Romme, Anastaise li secon de cel
nom ; et fut de la nation de Romme, fis d'on archidyake qui fut nommeis
Fortius, liqueis tient le siege une
an, XI mois et XXIII jours, solonc sains Grigoire, et solonc Martiniain, II
ans, XI mois et XXIII jours. |
[Anastase, 53e pape] Après la mort du pape Gélase, le siège papal resta vacant neuf jours. Ensuite fut consacré pape à Rome Anastase, le second du nom. Il était originaire de Rome, fils d’un archidiacre, nommé Fortius. Il occupa le siège durant un an, onze mois et vingt-trois jours, selon saint Grégoire, et, selon Martin, durant deux ans, onze mois et vingt-trois jours. |
Chilpéric tue toutes ses épouses, sauf Audovère - Frédégonde, la mauvaise - Athanagild, roi d'Espagne, battu par l'empereur romain, puis par Chilpéric - Les papes Anastase et Symmaque - Chilpéric fonde Saint-Michel - À Tongres, mort du comte Gobert, remplacé par son fils Clotaire (500-503 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 186]
[Cilperis estranglat la royne et
ses altres femmes] Item, l'an Vc, enortat tant la
male Fredegonde le roy Cilperis, que ilh estranglat par nuit, en son lit, la
belle royne Gelsymonde ; et fut son corps ensevelis mult richement à Soison où elle fut
mort, où Dieu, por l'amour de lée, demonstrat mult de beals myracles. |
[II, p. 186]
[Chilpéric étrangla la reine et
ses autres femmes] En l’an 500, la méchante
Frédégonde influença tellement le roi Chilpéric qu’il étrangla
la nuit dans son lit la belle reine Galswinthe. Son corps fut luxueusement enseveli à Soissons, où elle
était morte et où Dieu, par amour pour elle, réalisa de beaux et nombreux miracles. |
[Del male Fredegonde]
En cel an fist tant la male Fredegonde al roy, qu'il ochist toutes ses
femmes, fours que la royne Adomire de Dannemarche : et celle ilh lassat
portant qu'ilh en avoit dois enfans d'unne seul porture, et si estoit encors
enchainte ; mains ly roy li donnat congiet par l'ennortement de
Fredegonde. Enssi demorat Fredegonde toule seule deleis le roy en sorgante,
car elle astoit de si basse lignie que por [II, p. 187] espeuse n'apartinoit pais al roy : elle estoit
née de Vaubacourt, de la paroche Sains-Vis, filhe d'on poevre hons ; mains encordont elle disoit sovent
que elle feroit tant par son malis, que ly roy encor l'esposeroit. |
[La méchante Frédégonde] Cette année-là, la méchante Frédégonde influença tellement le roi qu’il tua toutes ses femmes, sauf la reine Audovère de Danemark. Il l’épargna parce qu’elle lui avait donné deux jumeaux et qu’elle était encore enceinte ; toutefois le roi, poussé par Frédégonde, la répudia. Ainsi Frédégonde resta toute seule, aux côtés du roi, en tant que servante, car elle était de si basse condition [II, p. 187] qu’elle ne pouvait être l’épouse du roi. Elle était de Vaubacourt, de la paroisse de Saint-Vit, fille d’un pauvre homme ; toutefois elle disait souvent qu'elle réussirait encore, grâce à sa malice, à se faire épouser par le roi. |
Adonc fut mandeit al roy Cilperis, par ses frères qui vivoient, que ilh
n'estoit point digne d'estre roy qui enssi avoit murdrit ses femmes, mains
s'ilh ne remandoit Ia royne Adomire, ilh le cacheroient fours de sa terre
com murdreur. Quant ly roy entendit chu, se remandat Adomire la royne ;
mains elle fut puis dechuite vilainement par Fredegonde, enssi com vos oreis chi-après. |
Alors les frères encore vivants du roi Chilpéric lui firent savoir qu’il
était indigne d’être roi, lui qui avait ainsi mis ses
épouses à mort. S'il ne faisait pas revenir la reine Audovère, disaient-ils, ils le chasseraient
de sa terre comme meurtrier. Quand le roi entendit cela, il rappela la
reine ; mais celle-ci, par la suite, fut vilainement trompée par
Frédégonde, comme vous l’entendrez ci-dessous. |
[De roy d’Espangne]
Item, l'an Vc et I, assemblat ly roy Thanagilde
d'Espangne ses gens, si entrat en pays de Rommenie en destruant le pays.
Mains l'emperere vient contre luy à grant gens, si orent batalhe ensemble, si
furent les Espangnois desconfis. |
[Le roi d’Espagne] En l’an 501, le roi [wisigoth] Athanagild d’Espagne rassembla ses troupes et pénétra dans le territoire romain, en semant la destruction dans le pays. Cependant, quand l’empereur marcha contre lui avec beaucoup d’hommes, ils se battirent et les Espagnols furent défaits. |
[Status papales]
Item, l'an Vc et II le XVe jour de septembre, morut li pape Anastaise :
chis ordinat que nuls ne laisast son offiche par yre, par hayme ne par
rancoure, fours la messe. Chis excommengnat Anastaise l'emperere, et à son
temps s'enlevèrent mult de prestres et de clers contre chesti pape, portant
qu'ilh excommengnat Fortuit, le
dyake, qui avoit esteit familiare à Acace (corr. Bo), qui par l'engliese estoit excommegniet |
[Ordonnances papales] En l’an 502, le 15 septembre, mourut le pape Anastase. Il avait ordonné que personne n'abandonne l'office de la messe, par colère, haine ou ressentiment. Cet Anastase excommunia l’empereur et, du vivant de ce pape, beaucoup de prêtres et de clers s’élevèrent contre lui, parce qu’il avait excommunié le diacre Photius, pour avoir été un proche d'Acace, excommunié par l’église. |
[Symachus, le LIIIIe pape]
Et après la mort le pape Anastaise vacat
li siege VII jours, puis fut consacreis à pape de Romme LIIIIe
Symachus, frère à pape Anastauz d'on peire, mains la mère le pape Symachus fut de la nation de Sarde ; et tient le
siege V ans, VI mois et XXII jours. |
[Symmaque, le 54e pape]
Après la mort du pape Anastase, le siège resta vacant sept jours. Ensuite
fut consacré cinquante-quatrième pape de Rome, Symmaque, frère du pape
Anastase par son père, mais la mère de Symmaque était d’origine sarde. Symmaque occupa le siège cinq ans, six
mois et vingt-deux jours. |
[De Boeche]
Item, l'an Vc et III translatat Boeches, le gran philosophe romans, une grant partie de VII ars. |
[Boèce]
En l’an 503, Boèce, le grand philosophe romain, traduisit une grande partie
des Sept Arts
|
[Cilperis fondat le mont
Sains-Michiel] En cel an s'en alat ly roy
Celperis en Espangne, où ilh soy combatit al roy Tanagildis, si l'ochist et
desconfist ses gens ; et, al revenir, li roy Cilperis fist fondeir le
mont Sains-Mychiel, puis revient en Franche, si soy repoisat unc pou de temps
en pais. |
[Chilpéric fonda le mont Saint-Michel]
En cette année, le roi Chilpéric alla en Espagne, où il combattit
contre Athanagild ; il le tua et défit ses troupes. Sur le chemin du retour,
Chilpéric fit fonder le mont Saint-Michel, puis revint dans son pays, où il se reposa
quelque temps en paix. |
[De conte de Tongre]
Item, dois ans devant, assavoir l'an Vc et I, morut Gobiert, li conte de
Tongre ; si fut après luy conte son fis [II, p. 188] Clotaire, qui regnat LX ans tou plains. |
[Le comte de Tongres] Deux ans auparavant, c’est-à-dire en l’an 501, mourut Gobert, comte de Tongres [le Gobert de Vaucouleurs de II, p. 166-167 ?] ; son fils [II, p. 188] Clotaire lui succéda et régna soixante années complètes.
|
[Texte précédent II, p. 160b-181a] [Texte suivant II, p. 188b-193a]