Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 181b-188a

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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RENCONTRE EN GRANDE-BRETAGNE ENTRE TRISTAN, UTHER PENDRAGON, ARTHUR ET PARIS - MORT DE CLOTAIRE Ier ET PARTAGE DU ROYAUME ENTRE SES QUATRE FILS - FUSION ENTRE LA LÉGENDE ARTHURIENNE ET LE MONDE MÉROVINGIEN

 

Ans 493-503 de l'Incarnation

 

Texte et traduction

 


 

Ce fichier qui couvre les années 493 à 503 de l'Incarnation et correspond aux p. II, 181-188a du Myreur, peut être divisé en deux sections principales :

- La première (A = Myreur, II, p. 181b-183a) est pour l'essentiel consacrée à la présentation de Tristan, roi du Léonois dans les Cornouailles, un chevalier à l'épée prodigieuse qui, après avoir attaqué et conquis l'Irlande, entre en contact d'une part avec Uther Pendragon, roi de Grande-Bretagne, et son fils Arthur, et d'autre part avec Paris, un personnage légendaire, qui va jouer un très grand rôle dans la suite du récit.

Ce Paris est présenté par Jean d'Outremeuse comme le fils de Chramne, un bâtard de Clotaire Ier qui se considère comme l'héritier du trône des Francs, provoquant l'hostilité de Clotaire Ier qui s'en débarrasse. Il a déjà été question de lui plus haut (II, p. 170 et II, p. 179). Paris, son fils, reprendra cette prétention, et sera lui aussi l'objet de l'opposition de Clotaire Ier qui le chassera. Le jeune Paris, pour avoir de l'aide, se rapprochera de la cour d'Uther. Le cadre de la rencontre est un grand tournoi organisé à Caerleon en Grande-Bretagne.

C'est le procédé choisi par Jean pour introduire dans l'histoire des Francs les héros de la « matière de Bretagne ». Le récit de la fusion entre la légende arthurienne et le monde mérovingien ne sera pas terminé avec le présent fichier ; elle se prolongera beaucoup plus loin (en II, p. 203-218) après l'intermède que constitue l'histoire des rois de Bretagne (II, p. 188b-202a).

 

- La seconde section (B = Myreur, II, p. 183b-188b) est pour l'essentiel centrée sur ce qui se passe chez les Francs : les réactions de Clotaire Ier devant le geste de Paris, la mort du roi, le partage de son royaume entre ses quatre fils (Charibert Ier, Chilpéric, Gontran et Sigebert Ier) et le destin matrimonial de chacun d'eux.

 

Quelques mots sur Tristan et sur Iseut

C'est la première apparition dans le Myreur du célèbre Tristan, du Léonois en Cornouailles ; c'est le héros de la légende médiévale, Tristan et Iseut, née en pays celtique et développée par les poètes de la fin du XIIe siècle (Béroul et Thomas). Mais le rôle que Jean fait jouer à Tristan dans la suite du Myreur n'a pas grand-chose à voir avec celui du Tristan du poème.

De même, la Iseut du Myreur  (II, p. 182 [épouse du roi Marc de Cornouailles], II,  p. 210 [Yseut de Cornouailles], II,  p. 241 [tuée par Marc, en même temps que Tristan], II, p. 358 [concubine de Tristan],  IV, p. 36) ne correspond pas exactement à celle du poème du XIIe siècle.

En outre, il ne faut pas confondre cette Iseut avec l'Iseult, femme de Gasselin (II, p. 449-450).

 

Brève information bibliographique

- M. Aurell, La légende du roi Arthur (550-1250), Paris, Perrin, 2007, 692 p. ; édition revue : Paris, Perrin, 2018, 920 p. (Tempus, 725) : une somme sur la légende arthurienne, sur sa naissance et sur ses manifestations littéraires des origines à 1250 [ce qui explique que Jean d'Outremeuse n'y soit pas étudié].

- A. Gautier, Le roi Arthur, Paris, 2019, 208 p.

- O. Jodogne, Le règne d'Arthur conté par Jean d'Outremeuse, dans Romance Philology, t. 9, 1, 1955-1956, p. 144-156.

- M. Tyssens, Jean d'Outremeuse et la matière de Bretagne, dans Studia in honorem Prof. Martin de Riquer, t. IV, Barcelone, 1991, p. 593-609.

- R. Trachsler, « Conter d'Arthur » à la fin du Moyen Âge, dans Clôtures du cycle arthurien. Étude et textes, Genève, 1996, p. 262-286 (Publications romanes et françaises, 215) : il est longuement question de Jean d'Outremeuse (p. 262ss), mais surtout du traitement de la matière anglaise.

- P. Courroux, Ni vaine ni plaisante ? La matière de Bretagne et les Chroniqueurs, dans Circé. Histoires, cultures et sociétés, t. 7, 2, 2015 (éd. numérique)

 

Sur la Toile

- Le site Histoire pour tous propose sur la Toile un petit dossier sans prétention qui est intitulé Le roi Arthur : entre histoire et légende et qui ne manque pas d'intérêt.

 


 

 A. Ans c. 493-496 de l'Incarnation = Myreur, II, p. 181b-183a

 

TRISTAN, UTHER PENDRAGON, ARTHUR ET PARIS

 

Première apparition de Tristan, roi du Léonois - Pape Gélase - Tristan, un brillant chevalier armé d’une épée prodigieuse, attaque l’Irlande du roi Godolas et conquiert le pays qu’il donne à Cheriel, frère de la reine Yseult, épouse du roi Marc de Cornouailles - Réaction, finalement positive, d’Uther Pendragon, roi de Grande-Bretagne, qui accepte la nouvelle situation et apprécie les qualités de Tristan - Uther organise à Carlisle (Caerleon) un grand tournoi, où participent, outre le roi Tristan, Arthur, fils d'Uther, et Paris, le jeune héritier du royaume franc chassé par Clotaire Ier et accueilli à la cour d’Uther - Paris, qui s’est fait particulièrement remarquer, explique son cas et demande à l’assistance de l’aider à retrouver sa place chez les Francs - Les participants accèdent à son souhait (vers 493-496 de l'Incarnation)

 

Le roi Tristan de Léonois en Cornouailles - Sa présentation discrète chez Boèce - Jean d'Outremeuse n'en parlera que brièvement

[II, p. 181] [De roy Tristans] A cel temps regnoit ly roy Tristans de Lonnois, qui fut unc bons chevalier secreis : car, sicom dist Boece ly philosophes qui à cel temps regnoit, Tristans fut ly miedre chevalier qui fust en monde à son temps, mains ilh astoit secreis : chu est à dire que sa bonne chevalerie astoit secrée. Et chu astoit vors, car une chouse secrée, sicom dist Boece meismes, est chu que uns hons sceit, si le dist à III ou à IIII de ses priveis amis en secreit ; et enssi fut-il-il de Tristans, car sa proieche, qui fut si grant, fut demonstrée sens plus aux cristiens et à ses amis, qui bien astoient infourmeis de ly, et ne fut oncques monstreis aux longens et estrangniers, sicom Sarasiens auxqueiles la proieche des crisliens doit estre demonstrée. Et par cest raison, le nomme Boece secreis, enssi com dit est.

[II, p. 181] [Le roi Tristan] À cette époque [vers 493] vivait le roi Tristan du Léonois (cfr II, p. 101), qui fut un bon chevalier discret. Comme le dit Boèce, le philosophe qui vivait alors, Tristan fut en son temps le meilleur chevalier du monde, mais il était discret, c’est-à-dire que ses exploits restaient secrets. Et c’était vrai. Une chose cachée, comme le dit Boèce lui-même, est ce qu’un homme sait et confie en secret à trois ou quatre de ses amis proches. C’est ce qui se passa pour Tristan : ses prouesses, qui furent si grandes, ne furent révélées qu'aux chrétiens et à ses amis, qui étaient bien informés sur lui. Elles ne furent pas communiquées aux gens des pays lointains et étrangers, comme les païens, à qui les prouesses des chrétiens doivent être démontrées. C’est pour cette raison que Boèce le qualifie de discret, comme on l'a dit.

Chis Tristans fist à son temps mult de bonnes chevalries, qui plus plainement sont escriptes ens es histoires de Engleterre ; portant nous en passerons brieffement, et oussi du roy Artus qui astoit à chi temps. Enssi soy passe chi croniques brieffement, car les histoires d’eaux sont grandes asseis par elles-meismes.

Ce Tristan accomplit en son temps de nombreux actes de chevalerie, racontés avec beaucoup plus de détails dans les histoires d’Angleterre. C’est pourquoi nous n'en parlerons que brièvement, comme ce sera [le cas] pour le roi Arthur, qui vivait aussi à cette époque. Les chroniques doivent être brèves, les histoires qui traitent de ces personnages étant assez longues en elles-mêmes.

Et encordont chi après de la coronation le roy Artus est recapituleis, et de tous les roys qui onques en la Grant Bretangne jusqu’al roy Artus, affin que chis croniques n’en soit nient priveis d’eaux, et que ilh ne fesist bien mention de leurs histoires, se chu ne fust portant qu’ilh sont si prolix et si grant, que ilh les convient mettre por eaux, enssi bien com de cest de Franche, de Romme, d’Allemangne, de Flandre, de Brabant et des altres paiis, ons en true les histoirs en leurs paiis, assavoir en casconne plus plainement que chaens.

C'est pourquoi ce qu'on va trouver plus loin (II, p. 188-203) est un résumé du règne du roi Arthur et de tous les rois de Grande-Bretagne qui l'ont précédé. Les chroniques ne peuvent pas passer sous silence ces personnages, mais elles ne doivent pas reprendre tout ce qu'on trouve sur eux dans les histoires. Leurs réalisations sont à présenter dans des ouvrages spécialisés, prolixes et détaillés, comme le sont les histoires de France, d’Allemagne, de Flandre, de Brabant et d’ailleurs (cfr pour une remarque semblable, II, p. 188b).

La formulation de Jean est plutôt embrouillée, mais il veut dire simplement que des récits détaillés ne sont pas à leur place dans une chronique universelle comme la sienne. Cfr les notes de Bo ad locum : « Jean d'Outremeuse s'occuperait bien de l'histoire de ces rois bretons, si l'étendue des détails n'obligeait de la traiter à part » et aussi « Il en est de même de l'histoire de France et des autres pays, qu'on trouve plus détaillée dans chacun de ces pays que dans une chronique générale ».

Le Pape Gélase

[Status papales - De la messe] Sour l'an IIIIc et XCIIII, ordinat ly pape de Romme, Gelasius, à dire à la messe les collectes, et les orisons, et le trecte ; et sy vos disons que ilh [II, p. 182] fist mult de belles orisons, tractes et ymnes, sycom fist sains Ambrose ; et si adjostat à la prefaise de la messe à dire : Vere dignum et justum est.

[Ordonnances papales - La messe] En l’an 494, le pape de Rome, Gélase, ordonna que l’on dise à la messe les collectes, les oraisons et le tractus ; nous vous disons aussi que Gélase [II, p. 182] composa quantité d’oraisons, de tractus et d'hymnes magnifiques, comme le fit saint Ambroise. Il prescrivit également d'ajouter à la préface de la messe : Vere dignum et justum est.

Tristan, un brillant chevalier armé d’une épée prodigieuse, attaque l’Irlande du roi Godolas et conquiert le pays qu’il donne à Cheriel, frère de la reine Yseult, épouse du roi Marc de Cornouailles - Réaction, finalement positive, d’Uther Pendragon, roi de Grande-Bretagne, qui accepte la nouvelle situation et apprécie les qualités de Tristan

Item, l'an IIIIc et XCV, assemblat Tristans, roy de Lonnois, toutes ses gens ; si entrat en pays de Ybernie, dont Godolas astoit sires, unc bons chevalier qui avoit es parties de Hirlande fait aucun despit à roy Tristant. Adont vient Godolas à grant gens et orent batalhe ensemble. Se avient que, si ne fust la proieche de Tristant, ses gens fussent desconfis, car toudis cressoit li peuple le roy Godolas.

En l’an 495, Tristan, roi de Léonois, rassembla toutes ses forces et pénétra en Irlande, dont le seigneur était Godolas, un bon chevalier, qui, dans les différentes régions d’Irlande, n’avait fait aucun tort au roi Tristan. Godolas vint avec des troupes nombreuses et une bataille les opposa. Et, sans les prouesses de Tristan, ses hommes auraient été vaincus, car les forces de Godolas s’accroissaient sans cesse.

Mains Tristans aloit par la batalhe, si tenoit son espée, laqueile Ogier li Dannois oit longtemps apres, qui n'avoit pointe devant, ains avoit esteit brisié par plusieurs fois ; et fut ly espée nommée Courtaine. Et ochioit Tristans de cest espée tant de gens, que chu estoit mervelhe à veioir. Et si desconfist la batalhe, et conquist toute la terre et ochist le roy Godolas ; si donnat la terre à Cheriel, qui astoit frere la royne Yseut, femme à roy March de Cornualhe, oncle à Tristant, frere à sa mère.

Mais Tristan parcourait le champ de bataille, brandissant son épée, qui fut beaucoup plus tard la possession d'Ogier le Danois et qui n’avait pas de pointe, car elle avait été brisée à plusieurs reprises. Cette épée était appelée Courtaine (cfr II, p. 252). Avec elle, Tristan tuait tant de gens que c’était prodigieux. Il remporta la bataille, conquit tout le territoire et tua le roi Godolas. Il donna sa terre à Cheriel, le frère de la reine Iseut, l’épouse du roi Marc de Cornouailles, qui était l'oncle de Tristan, le frère de sa mère.

 « Courtain ou Courte était le nom de l'épée du chevalier Ogier le Danois. Son nom est une transcription en français du norrois Kyrr/Kyrrt, "tranquille". Son nom français vient du fait qu'on crut qu'elle avait été brisée, et donc raccourcie, Ogier le Danois n'ayant pas souhaité la reforger. Elle est restée comme telle, depuis lors, selon une recomposition franco-française de la légende » (P. Le Gentil, Ogier le danois, héros épique, dans Romania, t. 310, 1957,  p. 199-233, p. 211. [lire en ligne via Persée <https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1957_num_78_310_3081>])

Adont fut defiés Tristant por chesti fait de roy Uterpandragon de la Grant-Bretangne ; mains Tristans ly mandat qu'ilh avoit ochis unc trahitre qui tenoit la terre d’Ybernie de ly, ilh y avoit en la terre remis unc valhant roy qui astoit loial et qui loialment le serviroit com ses hons, s'ilh ly plaisoit ; se chu nom, ilh venist à unc jour contre ly atout son poioir reconquesteir la terre, car Tristant le defenderoit contre ly puisque defiet l'avoit. Quant ly roy entendit chu, si dest que Tristans astoit loial et hardis chevalier sour tous altres.

Pour cet acte, Tristan fut mis au défi par Uther Pendragon, roi de Grande-Bretagne ; cependant Tristan lui fit savoir qu’il avait tué en Godolas un traître, qui tenait de lui la terre d’Irlande. ll avait installé dans le pays un nouveau roi qui le servirait loyalement, comme ses hommes (à lui Tristan), si le roi le voulait. Si le roi refusait, qu'il vienne avec toutes ses forces pour reconquérir la terre, car Tristan se défendrait contre lui, puisqu’il avait été provoqué. Quand le roi entendit cela, il pensa que Tristan était un chevalier loyal et hardi, plus que tout autre.

Uther Pendragon (gallois : Uthyr Bendragon, Pen Draig également qui signifie « tête de dragon » ou « chef de guerriers » en gallois) est dans la littérature galloise — en particulier l’Histoire des rois de Bretagne (Historia regum Britanniae) — et la légende arthurienne, un roi de Bretagne en lutte contre les Saxons, et le père du roi Arthur (https://fr.wikipedia.org/wiki/Uther_Pendragon)

Le roi Uther organise à Carlisle (Caerleon) un grand tournoi, où participent très activement, outre le roi Tristan, Arthur, fils du roi Uther, et Paris, âgé de 15 ans, qu'on présente comme le jeune héritier du royaume franc qui avait été chassé par Clotaire Ier - Paris est bien accueilli à la cour d’Uther et par Tristan

En cel an fist ly roy Uter crieir unc tournoy à Carlon, car à cel jour voloit faire chevalier son fis Artus et Paris le heure de Franche. A ches tournois vinrent tous les chevaliers de renommée de cristiniteit, et des païens en y vient asseis : Tristans y fut et mult d'aultres, qui puis servirent le roy Artus ; et furent de la maisnie et l'hosteit de la fraterniteit et de la tauble reonde.

Cette année-là, le roi Uther fit proclamer un tournoi à Caerleon (cfr II, p. 171 et p. 241), car il voulait faire chevaliers son fils Arthur ainsi que Paris, l’héritier du royaume franc (cfr II, p. 179). À ce tournoi se rendirent tous les chevaliers renommés dans la chrétienté ; des païens aussi y vinrent en grand nombre. Tristan y participa avec beaucoup d’autres, qui par la suite servirent le roi Arthur. Ils firent en effet partie de la maison et de la communauté de la Table Ronde.

[Coment Artus et Paris furent chevaliers] Chis tournois fut fais le XVIIIe jour de mois de may, l'an [add. IIIIc et]  XCVI, et-là se provat mult bien Artus, et oussi fist Paris à leur novelle chevalerie ; et portant que cascons prisoit Tristans à cel tournoy, car ilh abatoit tout à terre, Paris soy faisoit toudis meneir à Tristan : et trovons que ilh aherdit Tristan XIIII fois, et l'abatit une fois ou II, et l'asachat II fois à l'archon tout fours, [II, p. 183] si que Tristan pendoit por le piet à l'estrier. Et les altres fois fut Paris abatus et sachiés à terre de part Tristant, et tant que Paris par les Bretons et Tristan par les defourtrains, orent les pris de tous les pons de tournoy.

[Comment Arthur et Paris devinrent chevaliers] Ce tournoi se déroula le 18 mai de l’an 496. Arthur s'y comporta très bien, tout comme Paris, conformément à leur nouvel état de chevalier. Chacun lors de ce tournoi admirait Tristan, qui mettait tout le monde à terre. Paris se faisait toujours opposer à Tristan. Nous trouvons qu’il s’attaqua quatorze fois à lui, qu'il l’abattit une ou deux fois et le désarçonna complètement deux fois, [II, p. 183], au point que Tristan restait suspendu par le pied à l’étrier. Les autres fois, Paris fut terrassé et jeté à terre par Tristan. Finalement Paris, du côté des Bretons, et Tristan, du côté des étrangers, remportèrent les prix de toutes les joutes du tournoi.

Apres le tournoy demandat Tristan al roy Uterpandragon qui astoit chis noveal chevalier, qui portait les armes de Franche sens nulle differenche. A chu respondit le roy Uter qu'ilh astoit drois heurs de Franche, car son peire estoit ly anneis fis le roy Clotaire, mains ilh l'at decapiteit, si est Paris chi fuis ; mains encor acquerat-ilh tant de bons amis que ilh rarat son paiis.

Après le tournoi, Tristan demanda au roi Uther Pendragon qui était ce nouveau chevalier portant les mêmes armes que les Francs. Le roi Uther répondit que c'était Paris, l’héritier légitime des Francs. En effet son père [Chramne] était le premier fils du roi Clotaire, mais celui-ci l'avait décapité et Paris était venu se réfugier ici. Uther ajouta que Paris se fera tellement de bons amis qu’il récupérera son pays.

Et dest Tristan : « S'ilh vit, ilh serat bon chevalier, car onques ne senti si fors hons de li, et encor serat-ilh plus fors, car ilh est jovenes ». Adont avoit Paris XV ans, si s'estoit teilement porteis contre Tristan, qui astoit ly miedre chevalier de monde, qu'ilh en fut mult prisiés.

Tristan dit alors : « S’il reste en vie, il sera bon chevalier, car je n’ai jamais rencontré d’homme si fort que lui, et il le deviendra davantage encore, car il est jeune ». Paris avait alors quinze ans et il avait si bien jouté contre Tristan, le meilleur chevalier au monde, qu’il en fut très apprécié.

Paris, qui s’est fait très remarquer, explique son cas et demande à l’assistance de l’aider à retrouver sa place chez les Francs - Arthur, Tristan, et nombre de rois, ducs et comtes le lui promettent - Fin du tournoi - Chacun retourne chez lui et Paris semble rester en Grande-Bretagne

 Apres chu alarent seoir à tauble, et là vient Paris, tenant Artus par le main, et dest en hault qu'ilh astoit cachiés fours de sa terre à tort, et que son aion, ly roy de Franche Clotaire, ly avoit ochis son peire : si prioit à tous les chevaliers qui là astoient, que ilh les plaisist à eistre ses amis, et que cheaux qui ne voiroient [eistre] ses amis ne fussent mie ses anemis. Atant ly ont promis Artus, Tristans, Beomedes li roy d'Yrlande, Soladris li sire de l'Estroit-Pas et bien XII hauls saingnours, roys, dus et contes de li aidier contre les Franchois, oussitoist que ilh les voroit someir. Enssi soy departit ly tournois, si ralat cascon en son paiis.

Ensuite ils s’installèrent à table, où Paris se présenta en tenant Arthur par la main. Il dit à voix haute qu’il était chassé à tort de sa terre et que son père avait été tué par son aïeul, le roi des Francs Clotaire. Il demanda à tous les chevaliers présents de bien vouloir être ses amis et pria ceux qui refuseraient de ne pas être ses ennemis. Alors Arthur, Tristan, Béomédes, le roi d’Irlande, Soladris le seigneur de l’Estroit-Pas, et au moins douze nobles seigneurs, rois, ducs et comtes, lui promirent de l’aider contre les Francs dès qu’il voudrait les y engager. Ainsi se termina le tournoi et chacun retourna dans son pays.

 


 

 B. Ans 496-503  de l'Incarnation = Myreur, II, p. 183b-188a

 

 CLOTAIRE Ier - SA MORT - LE PARTAGE DU ROYAUME ENTRE SES QUATRE FILS - LEURS MARIAGES

 

Clotaire Ier, informé, demande à son prévôt Agaza de le protéger (an 496 de l'Incarnation)

[II, p. 183b] Pluseurs chevaliers de Franche furent à chi tournoy, qui apres revinrent arier mult esbahis de la proieche Paris, et de chu que tant de hauls saingnours ly avoient enconvent ; et l'ont dit al roy Clotaire, qui en fut mult corochiés et dest, si n'astoit la maladie que ilh menoit de la fievre, ilh yroit contre eaux à grans oust. Atant mandat ly roy Clotaire Agaza, son prevoste, et ly dest que Cramynus, son fis, avoit unc fis qui astoit nommeis Paris, qui tenoit son hosteil en la Grant-Bretangne awec le roy Uter, qui ly avoit promis de ly aidier ; parqu'en ilh soy dobtoit que ilh ne li fesissent despit, se ly priat qu'ilh fust garnis solonc chu. Et chist dest : « Volentiers ».

[II, p. 183b] À ce tournoi avaient assisté de nombreux chevaliers francs, qui revinrent chez eux très surpris des prouesses de Paris et de l'accord que tant de grands seigneurs avaient conclu avec lui. Ils racontèrent la chose au roi Clotaire I, qui en fut très irrité. Il dit que s’il n’était pas atteint d’une maladie qui lui donnait de la fièvre, il marcherait contre eux avec une grande armée. Alors Clotaire convoqua Agaza (cfr II, p. 168 et p. 205), son prévôt, et lui dit que son fils Chramn avait un fils dénommé Paris, installé en Grande-Bretagne avec le roi Uther, lequel avait promis de l’aider. Et parce que Clotaire avait peur qu’ils ne viennent le défier, il pria son prévôt de le protéger, lequel répondit : « Volontiers ».

En cel an fut ordineis à preistre ly jovene fis le roy Clodomiere d'Orlins, qui oit nom Cloduas.

Cette année-là [496] fut ordonné prêtre le jeune fils du roi Clodomir d’Orléans, dénommé Clodoald (cfr II, p. 176).

 

Mort de Clotaire Ier (497 de l'Incarnation) - Le partage du royaume entre ses quatre enfants - Le parcours matrimonial de chacun d'eux (497-499 de l'Incarnation)

[Ly roy Clotaire morut] Sour l'an IIIIc et XCVII, alat li roy Clotaire chevalchant droit vers Compingne ; si passat parmy unc [II, p. 184] foreste où ilh acolhit une chief, mains ly chief s'enfuit et ly roy le cachat, si chaiit de son cheval à tieste en sablon, dedens le tron d'onne arbre brisiet, qui li entrat jusques en la cervelle et l'ochist. Si fut porteis en Compingne, et ensevelis en l'engliese Sains-Medars ; mains ses enfans le fisent osteir apres chu, et fut ensevelis dedens l'engliese Sains-Brises à Soison, mult noblement solonc son estat.

[Mort du roi Clotaire] En l’an 497, le roi Clotaire Ier chevaucha en direction de Compiègne ; il traversa une [II, p. 184] forêt, où il fit lever un cerf qui s’enfuit. En le pourchassant, le roi tomba de son cheval, tête en avant, sur un tronc d’arbre cassé, qui lui rentra jusqu’à la cervelle et le tua. Il fut transporté à Compiègne et enseveli dans l’église Saint-Médard ; par la suite, ses enfants l'en firent retirer pour l'ensevelir très honorablement, conformément à son état, dans l’église Saint-Brice à Soissons.

[Des IIII enfans le roy Clotaire - La roalme le roy Clotaire fut departie à ses IIII enfans] De cheli roy Clotaire remanirent IIII fis tous vief, assavoir : Haribers, Cilpericles, Gontiers et Sigebers ; si avient que Cilpericle prist le tresour son peire Clotaire et vient à Lutesse, où ilh se fist coroneir com roy de Franche ; et por le grant partie qu'ilh acquist aux Franchois, et oussi ilh avoit le prevost en son ayde, et nonobstant qu'ilh fust coroneis, ilh ne fut mie roy de Lutesse ; ains fut la terre partie, et fut roy de Lutesse li plus anneis, Haribers ; car Cilpericle oit Soison, et Gontiers oit Orlins et Borgongne, et Sigebers oit Austrie, ch'est le royalme de Mes.

[Les quatre enfants du roi Clotaire - Son royaume fut partagé entre ses quatre enfants] Ce roi Clotaire laissa quatre fils en vie : Charibert Ier, Chilpéric, Gontran et Sigebert Ier. Chilpéric prit le trésor de son père Clotaire et vint à Lutèce, où il se fit couronner roi, vu le grand territoire qu’il avait conquis pour les Francs et aussi parce qu'il avait l’appui du prévôt. Cependant, bien que couronné, il ne fut pas roi de Lutèce. Le royaume fut partagé comme suit. L’aîné, Charibert, devint roi de Lutèce ; Chilpéric eut Soissons ; Gontran eut Orléans et la Bourgogne, et Sigebert l’Austrasie, qui est le royaume de Metz.

Quatre fils : Ingonde est la reine légitime de  Clotaire Ier, mère de Sigebert Ier, de Charibert Ier et de Gontran. Chilpéric Ier est né d'Arégonde, la concubine de Clotaire Ier. Sur ce Gontran/Gontiers, cfr aussi II, p. 2722, où il est appelé Gontray.

Enssi fut la terre departie, mains ilh ne durat mie longement, car Heribers prist une noble femme, le filhe le roy de Gascongne, qui oit nom Nygeburde, qui avoit dois cambrieres mult belles qui astoient de basse lignie ; si furent nomée Marcoveue et Merodes, si en amat ly roy Heribers le jovene, Merodes ; mains quant la royne le soit, se le fist ochire. Et ly roy lasat la royne, si prist l'autre cambriere à femme.

Ainsi fut partagé le territoire, mais cet état ne dura pas longtemps, car Charibert épousa une noble dame, la fille du roi de Gascogne, appelée Ingoberge ; celle-ci avait deux chambrières, qui étaient de basse lignée, et s’appelaient Marcovèfe et Méroflède ; le roi Charibert s’éprit de Méroflède, la plus jeune ; mais quand la reine l’apprit, elle la fit tuer. Le roi quitta la reine et épousa l’autre chambrière.

[Sains Germain excommegnat le roy] Et de chu sains Germain, evesque de Lutesse, excommengnat le roy et fut excommengniés toute sa vie ; et alat tenir à Bleves, et ne tenoit point d'estaut de roy.

[Saint Germain excommunia le roi] Suite à cela, saint Germain, évêque de Lutèce, excommunia le roi Charibert, qui le resta toute sa vie. Il alla se fixer à Blaye, sans plus avoir le statut de roi.

[Cilperis soy fist coroneir roy de Paris, qui fut ly VIIe roy Franchois] Adont vient Cilperis, ly roy de Soison, en la terre son frere Heribers, qui astoit li plus anneis apres luy, et soy fist coroneir par les Franchois, qui le fisent volentiers. Et dest que son frere n'estoit mie digne d'estre roy, qui se lassoit enssi excommengnier. Enssi fut Cilperis roy de Franche, enssi qu'ilh demandoit, et regnat XXIII ans ; et fut coroneis l'an deseurdit en mois de novembre, car Heribers n'avoit tenut sa terre que IIII mois ; et fut ly VIIe roy de Franche, car Heribers de riens ne fut compteis.

[Chilpéric se fit couronner roi de Paris et fut le septième roi franc] Alors Chilpéric, le roi de Soissons, né immédiatement après son frère Caribert, se rendit dans son territoire, et se fit couronner roi par les Francs qui acceptèrent volontiers. Il déclara que son frère, qui se laissait ainsi excommunier, n’était pas digne d’être roi. Ainsi Chilpéric devint roi des Francs, comme il le demandait, et régna durant vingt-trois ans. Il fut couronné en l’an susdit (497), au mois de novembre, car Charibert n’avait régné que quatre mois ; il fut le septième roi des Francs, Charibert n’étant nullement pris en compte..

[Coment terriblement morut li roy Heribers] Item, l'an IIIIc XCVIII, morut li roy Beribers tous excommengniés, si fut ensevelis à Bleves ; et deveis savoir que ilh morut teilement que ilh mangnat sa lenge et ses mains et ses piés, et si exstrenglat Marcoveue que ilh avoit exposeit, et unc petis fis qu'ilh en avoit qui oit nom Cildebers.

[Mort terrible du roi Charibert] En l’an 498, le roi Charibert mourut, toujours excommunié, et fut enseveli à Blaye. Vous devez savoir qu’il mourut en mangeant sa langue, ses mains et ses pieds, et qu’il étrangla Marcovèfe, [II, p. 185] qu’il avait épousée, ainsi qu'un enfant qu’il avait eu d’elle et qui était appelé Childebert.

[De roy Gontiers d’Orlin] En cel an meismes soy mariat ly roy Gontiers de Orlins, et prist Jonadas, une femme de basse lignie, le filhe de unc simple esquewier ; mains elle n'oit onques enfant, ains morut sens heures. Si oit sa terre apres luy ly jovene Hildebers, li fis le roy Sigibers d'Austrie.

[Le roi Gontran d’Orléans] Cette même année, le roi Gontran d’Orléans se maria et prit pour épouse Jonadas, une femme de basse lignée, fille d’un simple écuyer. Elle n’eut jamais d’enfant, et (le roi) mourut sans héritiers. Après lui, sa terre passa au jeune Childebert II, le fils du roi Sigebert Ier d’Austrasie.

Sur les femmes de Gontran, cfr Bo, ad locumm, p. 185, n. 1, qui évoque une concubine, Venerande, et deux femmes légitimes, Marcatrude et Austrechilde. Ce Gontran est un problème ; dans l'histoire, il eut plusieurs partenaires et plusieurs enfants, dont des fils ; cfr B. Dumézil, La reine Brunehaut, Paris, 2008, le tableau de la p. 477.

[Li roy Cilperis acontat Fredegonde I sorgante] En cel an acontat li roy Cilperis de Franche une sourgante qui oit nom Fredegonde, qui tant astoit belle que ch'astoit mervelhe à veioir sa bealteit ; mains tant astoit male que nus ne le poioit dire, car onques tant qu'elle viscat elle ne fist que male, et ne porchachat que male à cascon, et specialment entre le roy Cilperis et les roynes qu'ilh oit puisedit.

[Le roi Chilpéric s'unit à Frédégonde, une servante] En cette année, le roi franc Chilpéric s'unit à une servante, nommée Frédégonde,  merveilleusement belle mais méchante comme personne ne pourrait l’imaginer. Toute sa vie, elle ne fit que du mal, et ne chercha qu'à nuire à chacun, spécialement au roi Chilpéric et aux reines qu’il épousa par la suite.

[Ly roy Sigibers esposat Brumehote, qui fist les cachies par nygromanche - Thanagildis, roy d’Espangne] Sour l'an IIIIc XCIX, s'avisat ly roy Sigibers d'Austrie que ses freres prendoient femmes de basse lignie, si en fut mult corochiés, si envoiat messagiers en Espangne al roy Thanagildis, et li demandat une de ses filhe por prendre à femme. Et ly roy li envoiat une mult belle et saige, qui fut nommée Brucilde [sic], chu est à dire en franchois Brumehote, car chu fut la propre royne qui fist tant de male, et fist par nygromanche les cachies que ons apelle les cachies Brumehote, car, tant que elle et Fredegonde visquarent, n'oit pais entre les freres et cusiens. Cest Brumehote fist baptisier le roy Sigibers, et puis se l'espoisat.

[Le roi Sigebert Ier épousa Brunehaut, qui fit les chaussées par magie - Athanagild, roi d’Espagne] En l’an 499, le roi Sigebert Ier d’Austrasie se rendit compte que ses frères épousaient des femmes de basse lignée. Il en fut très courroucé. Il envoya des messagers en Espagne, au roi Athanagild, pour lui demander une de ses filles en mariage. Et le roi lui envoya une fille très belle et très sage, dénommée Brunehilde, c’est-à-dire en français Brunehaut. Ce fut cette même reine, qui fit tant de mal et recourut à la magie pour faire les chaussées qu'on appelle chaussées Brunehaut. Aussi longtemps qu’elle et Frédégonde vécurent, la paix n’exista pas entre les frères et les cousins. Le roi Sigebert fit baptiser Brunehaut [arienne, vu son origine wisigothe] et la prit pour épouse.

[De roy Cilperis] En cel an meismes, mandat ly roy Cilperis de Franche à roy Ector de Dannemarche que ilh ly envoiaste une de ses filhe, et ilh le prenderoit à femme. Et chis li envoiat une, se le fist baptisier et l'esposat : et oit à nom Andromire. Et chu fist-ilh portant que li roy, son frere, avoit mandeit une en Espangne. De cesti damme oit Cilperis IIII fis : Clotaire, Theodebers, Merenex et Cloveis.

[Le roi Chilpéric] Cette même année, le roi de France Chilpéric demanda à Hector, roi de Danemark, de lui envoyer une de ses filles, qu’il prendrait pour épouse. Hector lui en envoya une, que Chilpéric fit baptiser et qu’il épousa : elle s’appelait Audovère. Il agissait ainsi parce que le roi son frère avait fait venir une épouse d’Espagne. Cette dame donna quatre fils à Chilpéric : Clotaire II, Théodebert, Mérovée et Clovis (cfr II p. 215).

Mains quant li roy Sigibers le soit, se li mandat que li siene femme estoit melheur et plus noble, car li roy d'Espangne estoit plus noble que li roy de Dannemarche. Adont fut corochiet Cilperis, qui tantost mandat al roy d'Espangne qu'ilh li [II, p. 186] envoiast une de ses filhes por esposeir, car ilh le voloit avoir et donneir congier les altres ; car vos deveis savoir qu'ilh avoit IIII femmes.

Quand le roi Sigebert le sut, il lui fit savoir que sa propre femme était meilleure et plus noble, car le roi d’Espagne était plus noble que le roi de Danemark. Alors Chilpéric, très irrité, demanda aussitôt au roi d’Espagne de lui [II, p. 186] envoyer une de ses filles en mariage, car il voulait l’avoir pour femme et répudier les autres. Vous devez savoir qu’il eut quatre femmes.

[Cilperis avoit IIII femmes] Ly roy Cilperis avoit IIII femmes toutes en vie, sens son sorgante Fredegonde, de quoy faisoit chinq ; mains nonporquant ly roy d'Espangne li envoiat une siene filhe belle et saige qui oit nom Galsymonde. Et li roy Cilperis le fist baptisier, puis l'esposat, mains onques por chu ilh ne donnat congier les altres ; dont la royne Galsymonde astoit mult corochié, car la male Fredegonde li faisoit tous les despis qu'elle poioit, et tant que la royne Galsymonde prioit sovent à roy qu'ilh ly donnast congiet de raleir en Espangne deleis son peire, et se retenist toute le tressour qu'elle avoit aporteit. Et li roy ne ly vot point ottriier, ains li promettoit toudis par blanches parolles qu'ilh soy delairoit tantost de Fredegonde.

[Chilpéric avait quatre femmes] Le roi Chilpéric avait quatre épouses, toutes en vie, sans compter sa servante Frédégonde, ce qui en faisait cinq ; malgré cela, le roi d’Espagne lui envoya une de ses filles, belle et sage, nommée Galswinthe. Le roi Chilpéric la fit baptiser puis il l’épousa, sans jamais cependant répudier les autres. Galswinthe en fut très irritée, parce que la méchante Frédégonde lui faisait tous les torts possibles, au point que Galswinthe priait souvent le roi de la renvoyer en Espagne auprès de son père, tout en gardant le trésor qu'elle avait apporté. Le roi ne voulut pas lui accorder ce qu'elle demandait, mais il lui promettait toujours avec des paroles caressantes de se débarrasser immédiatement de Frédégonde.

 

Divers événements dans l'Église : Les papes Gélase et pape Anastase - Corps de saint Barnabé - Saint Avit (499 de l'Incarnation)

[II, p. 186] [L’invention sainte crois del cripte Sains-Michiel] En apres, sor l'an deseurdit le Ve jour de novembre, morut li pape Gelasius, à cuy temps ilh fut faite le invention del cripte Sains-Mychiel, et fut troveis le corps sains Barnabé, et awec luy l'ewangeile que de sa propre main escript sains Mathier en ebreu.

[II, p. 186] [La découverte de la Sainte-Croix de la crypte de Saint-Michel] Ensuite [499], en l’an susdit, le 5 novembre, mourut le pape Gélase. De son vivant, on découvrit la crypte de Saint-Michel [sur le monte Gargano] ainsi que, [à Chypre, près de Salamine], le corps de saint Barnabé, et, avec lui, l’évangile de saint Matthieu écrit en hébreu par saint Mathieu lui-même (cfr Martin, Chronique, s. v° Gelasius,  p. 196, éd. Weiland).

A cel temps defendit la foid catholique sains Amiens, evesque de Viane, contre les heretiques arrien en la royalme de Franche.

À cette époque, saint Avitus, évêque de Vienne, défendit la foi catholique, contre les hérétiques ariens dans le royaume des Francs (cfr Martin, ibidem).

Lydit pape Gelasius donnat principalment al engliese le canon ordineit.

Ledit pape Gélase donna principalement à l’église le canon de la messe bien mis au point.

[Anastase, li LIIIe pape] Apres la mort le pape Gelasius vacat li siege IX jours, puis fuit consecreis, le XVe jour de novembre, à pape de Romme, Anastaise li secon de cel nom ; et fut de la nation de Romme, fis d'on archidyake qui fut nommeis Fortius, liqueis tient le siege une an, XI mois et XXIII jours, solonc sains Grigoire, et solonc Martiniain, II ans, XI mois et XXIII jours.

[Anastase, 53e pape] Après la mort du pape Gélase, le siège papal resta vacant neuf jours. Ensuite fut consacré pape à Rome Anastase, le second du nom. Il était originaire de Rome, fils d’un archidiacre, nommé Fortius. Il occupa le siège durant un an, onze mois et vingt-trois jours, selon saint Grégoire, et, selon Martin, durant deux ans, onze mois et vingt-trois jours.

 

Chilpéric tue toutes ses épouses, sauf Audovère - Frédégonde, la mauvaise - Athanagild, roi d'Espagne, battu par l'empereur romain, puis par Chilpéric  - Les papes Anastase et Symmaque - Chilpéric fonde Saint-Michel - À Tongres, mort du comte Gobert, remplacé par son fils Clotaire (500-503 de l'Incarnation)

[II, p. 186] [Cilperis estranglat la royne et ses altres femmes] Item, l'an Vc, enortat tant la male Fredegonde le roy Cilperis, que ilh estranglat par nuit, en son lit, la belle royne Gelsymonde ; et fut son corps ensevelis mult richement à Soison où elle fut mort, où Dieu, por l'amour de lée, demonstrat mult de beals myracles.

[II, p. 186] [Chilpéric étrangla la reine et ses autres femmes] En l’an 500, la méchante Frédégonde influença tellement le roi Chilpéric qu’il étrangla la nuit dans son lit la belle reine Galswinthe. Son corps fut luxueusement enseveli à Soissons, où elle était morte et où Dieu, par amour pour elle, réalisa de beaux et nombreux miracles.

[Del male Fredegonde] En cel an fist tant la male Fredegonde al roy, qu'il ochist toutes ses femmes, fours que la royne Adomire de Dannemarche : et celle ilh lassat portant qu'ilh en avoit dois enfans d'unne seul porture, et si estoit encors enchainte ; mains ly roy li donnat congiet par l'ennortement de Fredegonde. Enssi demorat Fredegonde toule seule deleis le roy en sorgante, car elle astoit de si basse lignie que por [II, p. 187] espeuse n'apartinoit pais al roy : elle estoit née de Vaubacourt, de la paroche Sains-Vis, filhe d'on poevre hons ; mains encordont elle disoit sovent que elle feroit tant par son malis, que ly roy encor l'esposeroit.

[La méchante Frédégonde] Cette année-là, la méchante Frédégonde influença tellement le roi qu’il tua toutes ses femmes, sauf la reine Audovère de Danemark. Il l’épargna parce qu’elle lui avait donné deux jumeaux et qu’elle était encore enceinte ; toutefois le roi, poussé par Frédégonde, la répudia. Ainsi Frédégonde resta toute seule, aux côtés du roi, en tant que servante, car elle était de si basse condition [II, p. 187] qu’elle ne pouvait être l’épouse du roi. Elle était de Vaubacourt, de la paroisse de Saint-Vit, fille d’un pauvre homme ; toutefois elle disait souvent qu'elle réussirait encore, grâce à sa malice, à se faire épouser par le roi.

Adonc fut mandeit al roy Cilperis, par ses frères qui vivoient, que ilh n'estoit point digne d'estre roy qui enssi avoit murdrit ses femmes, mains s'ilh ne remandoit Ia royne Adomire, ilh le cacheroient fours de sa terre com murdreur. Quant ly roy entendit chu, se remandat Adomire la royne ; mains elle fut puis dechuite vilainement par Fredegonde, enssi com vos oreis chi-après.

Alors les frères encore vivants du roi Chilpéric lui firent savoir qu’il était indigne d’être roi, lui qui avait ainsi mis ses épouses à mort. S'il ne faisait pas revenir la reine Audovère, disaient-ils, ils le chasseraient de sa terre comme meurtrier. Quand le roi entendit cela, il rappela la reine ; mais celle-ci, par la suite, fut vilainement trompée par Frédégonde, comme vous l’entendrez ci-dessous.

[De roy d’Espangne] Item, l'an Vc et I, assemblat ly roy Thanagilde d'Espangne ses gens, si entrat en pays de Rommenie en destruant le pays. Mains l'emperere vient contre luy à grant gens, si orent batalhe ensemble, si furent les Espangnois desconfis.

[Le roi d’Espagne] En l’an 501, le roi [wisigoth] Athanagild d’Espagne rassembla ses troupes et pénétra dans le territoire romain, en semant la destruction dans le pays. Cependant, quand l’empereur marcha contre lui avec beaucoup d’hommes, ils se battirent et les Espagnols furent défaits.

[Status papales] Item, l'an Vc et II le XVe jour de septembre, morut li pape Anastaise : chis ordinat que nuls ne laisast son offiche par yre, par hayme ne par rancoure, fours la messe. Chis excommengnat Anastaise l'emperere, et à son temps s'enlevèrent mult de prestres et de clers contre chesti pape, portant qu'ilh excommengnat Fortuit, le dyake, qui avoit esteit familiare à Acace (corr. Bo), qui par l'engliese estoit excommegniet.

[Ordonnances papales] En l’an 502, le 15 septembre, mourut le pape Anastase. Il avait ordonné que personne n'abandonne l'office de la messe, par colère, haine ou ressentiment. Cet Anastase excommunia l’empereur et, du vivant de ce pape, beaucoup de prêtres et de clers s’élevèrent contre lui, parce qu’il avait excommunié le diacre Photius, pour avoir été un proche d'Acace, excommunié par l’église.

[Symachus, le LIIIIe pape] Et après la mort le pape Anastaise vacat li siege VII jours, puis fut consacreis à pape de Romme LIIIIe Symachus, frère à pape Anastauz d'on peire, mains la mère le pape Symachus fut de la nation de Sarde ; et tient le siege V ans, VI mois et XXII jours.

[Symmaque, le 54e pape] Après la mort du pape Anastase, le siège resta vacant sept jours. Ensuite fut consacré cinquante-quatrième pape de Rome, Symmaque, frère du pape Anastase par son père, mais la mère de Symmaque était d’origine sarde. Symmaque occupa le siège cinq ans, six mois et vingt-deux jours.

[De Boeche] Item, l'an Vc et III translatat Boeches, le gran philosophe romans, une grant partie de VII ars.

[Boèce] En l’an 503, Boèce, le grand philosophe romain, traduisit une grande partie des Sept Arts [c'est-à-dire les arts libéraux, le quadrivium et le trivium].

[Cilperis fondat le mont Sains-Michiel] En cel an s'en alat ly roy Celperis en Espangne, où ilh soy combatit al roy Tanagildis, si l'ochist et desconfist ses gens ; et, al revenir, li roy Cilperis fist fondeir le mont Sains-Mychiel, puis revient en Franche, si soy repoisat unc pou de temps en pais.

[Chilpéric fonda le mont Saint-Michel] En cette année, le roi Chilpéric alla en Espagne, où il combattit contre Athanagild ; il le tua et défit ses troupes. Sur le chemin du retour, Chilpéric fit fonder le mont Saint-Michel, puis revint dans son pays, où il se reposa quelque temps en paix.

[De conte de Tongre] Item, dois ans devant, assavoir l'an Vc et I, morut Gobiert, li conte de Tongre ; si fut après luy conte son fis [II, p. 188] Clotaire, qui regnat LX ans tou plains.

[Le comte de Tongres] Deux ans auparavant, c’est-à-dire en l’an 501, mourut Gobert, comte de Tongres [le Gobert de Vaucouleurs de II, p. 166-167 ?] ; son fils [II, p. 188] Clotaire lui succéda et régna soixante années complètes.

 


[Texte  précédent II, p. 160b-181a]  [Texte suivant II, p. 188b-193a]