Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 138b-160a Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021) [BCS] [FEC] [Accueil JOM] [Fichiers JOM] [Pages JOM] [Table des Matières JOM]
CLOVIS ET L'EXTENSION TERRITORIALE DES FRANCS
Ans 438-461 de l'Incarnation
Texte et traduction Ce fichier qui couvre les années 438 à
461 de l'Incarnation et correspond aux p. II, 138-160 du Myreur, contient cinq sections :
* A. Ans
438-444 de l'Incarnation (Myreur, II,
p. 138-144) : Avènement de Clovis - Son mariage avec Clotilde - Les
Burgondes [Plan et texte] * B. Ans 444-448 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 144-147) : Clovis et Clotilde - Varia, notamment sur Tongres et sur Boident [Plan et texte] * C. Ans 449-452 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 148-151) : Nombreuses conquêtes de Clovis - Danois et Hongrois [Plan et texte] * D. Ans 453-457 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 151-154) : Francs, Hongrois, Danois, Espagnols, Romains, Germanie, Bourgogne... [Plan et texte] * E. Ans 457-461 de l'Incarnation (Myreur, II, p. 154-160) : La victoire de Clovis sur les Alamans (Tolbiac) - Baptême de Clovis [Plan et texte]
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A. Ans 438-444 de l'Incarnation AVÈNEMENT DE CLOVIS - SON MARIAGE AVEC CLOTILDE - LES BURGONDES
Plan du texte * Mort de Childéric et avènement de Clovis (438) * Fête de Saint-Pierre-aux-Liens à Rome (439) - Apparition du diable et conversions de Juifs (440) * Le concile d’Éphèse condamne Nestorius (442) * Clovis, par son mariage avec Clotilde, devient le suzerain de Gondebaud, roi des Burgondes (442-443) * Constantinople (varia) (444)
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Mort de Childéric et
avènement de Clovis (438 de l'Incarnation) |
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[II, p. 138]
[Cloveis, le Ve roy franchois]
En cel an, en novembre, morut ly quars roy de Franche Celderis ;
si fut fais apres luy roy son fis Cloveis, qui fut bon chevalier, lyqueis
regnat XXX ans. |
[II,
p. 138b] [Clovis,
cinquième roi des Francs] En novembre de cette année
[438] mourut
Childéric, le quatrième roi des Francs. Après lui, son fils Clovis fut couronné roi. C’était un bon chevalier et il régna durant trente ans. |
Dans l'histoire, la mort de Childéric et l'avènement de Clovis datent de 481 de notre ère. Quant à la durée de son règne, elle est dans l'histoire aussi de 30 ans (481-511). Sur ce point, Jean d'Outremeuse n'a rien modifié. |
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Fête de Saint-Pierre-aux-Liens à
Rome (439 de l'Incarnation) - Apparition du diable et conversions
de Juifs (440 de l'Incarnation) |
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[II, p. 138]
[Del chayne sains Pire et sa fieste d’awoste]
En cel an, fist aporteir l'emperere Theodosien de la citeit
de Jherusalem à Romme les chaynes, desqueiles sains Pire avoit esteit loiiés
en la prison où Herode le fist mettre en son temps. Et
entrarent les messagers en Romme, l'an IIIIc et XXXIX le promier
jour d'awoust ; et par teile jour avoit sains Pire esteit delivreis de sa
prison, sique ly pape, à la proiier l'emperere, ordinat à cel jour tous les
ans à celebreir la fieste des loiiens sains Pire. |
[II, p. 138] [La
chaîne de saint Pierre et sa fête en août]
Cette année-là, l’empereur Théodose fit transporter, de Jérusalem à Rome,
les chaînes qui avaient lié saint Pierre dans la prison où Hérode en son
temps l’avait fait enfermer. Les messagers arrivèrent à Rome
en
439, le 1er août ; comme saint Pierre avait été délivré de sa prison un 1er
août, le pape, à la prière de l’empereur, ordonna de célébrer chaque année
ce jour-là la fête des liens de saint Pierre. |
[L’an IIIIc et XL - Ly dyable s’apparut aux Juys en figure
de Moyses - Pluseurs Juys prisent baptemme]
Sour l'an IIIIc et XL, prist ly maligne esperit fourme
d'homme, et se vient entres les Juys, et fist entendant à eaux que ilh
estoit Moyses, et que ilh
les remonroit en la terre de promission qui astoit leur. Quant
les Juys entendirent chu, se le
creirent et montarent sour mere awec luy ; mains uns orage les
prist, qui en
noiat une grant partie. Et adont ly esperis soy departit d'eaux,
en disant à eaux que ilh astoit le dyable qui les voloit dechivoir. Quant
cheaux qui escapparent del orage veirent chu, se prisent baptemme oussitoist
que ilhs furent venus en Jherusalem. |
[L’an
440 - Le diable apparut aux Juifs sous les traits de Moïse - Plusieurs Juifs
reçurent le baptême] En l’an 440, l’esprit malin prit une
apparence humaine et se mêla aux Juifs, leur faisant entendre qu’il était
Moïse et qu’il les ramènerait dans la terre promise, qui leur appartenait.
Quand les Juifs entendirent cela, ils le crurent et embarquèrent sur mer avec lui ; mais un orage
les surprit et noya une grande partie d'entre eux. Alors
l’esprit malin se sépara d'eux, leur disant
qu’il était le diable et qu’il voulait leur nuire. Quand les rescapés de
l’orage virent cela, ils se firent baptiser immédiatement après leur retour
à Jérusalem. |
Ces deux notices sur les chaînes de saint Pierre et sur l'apparition du faux Moïse aux Juifs sont présentes chez Martin, Chronique, s.v° Theodosius II, p. 453-454, ed. Weiland, mais dans l'ordre inverse. D'abord l'apparition du diable : Hoc tempore diabolus in Creta in specie Moysi apparens, dum Iudeos in terra repromissionis per mare pede sicco promitteret perducere, plurimos necavit, sed qui evaserunt, ad Christi gratiam conversi sunt, où on notera l'expression pede sicco (comme dans le récit biblique), alors que Jean d'Outremeuse envisage un transport par bateaux. Ensuite les chaînes de Pierre : Tempore istius (= Théodose II) vincula sancti Petri instituta sunt celebrari ab uxore eius, où Jean a gommé la référence au rôle joué par l'épouse de l'empereur. |
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Les Vandales de Genséric en Afrique - Saint Augustin : sa mort et ses enseignements - Mort du pape Sixte III et sacre de Léon Ier le Grand (440 de l'Incarnation) |
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[II, p. 138]
[Sains Augustin morut del pawour des Wandalins qui avoient
assegiet sa citeit] En cel
an, assemblat ly roy Gerdolas de Wandales ses hommes, si entrat en paiis
d'Affrique et commenchat le paiis à destruire, et ardit mult de citeis ; et
assegat la citeit de Yppone, de laqueile sains Augustin estoit evesque. Mains ly roy
de Persie, qui novellement astoit devenus cristien, le socorit et ochist le
roy des Wandalins et ses gens ; mains nonporquant ilh prist sains Augustin
teile perturbation de la pawour qu'ilh en morut. |
[II, p. 138] [Saint Augustin mourut par peur des Vandales qui avaient assiégé sa cité] Cette année-là [440], le roi des Vandales Genséric rassembla ses hommes, pénétra en Afrique et se mit à saccager le pays, brûlant de nombreuses cités. Il assiégea la ville d’Hippone, dont saint Augustin était l’évêque. Mais le roi de Perse, devenu chrétien récemment, vint le secourir et tua le roi des Vandales et ses gens. Néanmoins la peur frappa si fort saint Augustin qu’il en mourut. |
Vandales : Un article entier dans les FEC, t. 48, 2024, a été consacré à la vision que Jean d'Outremeuse se fait des Vandales dans le Myreur des Histors. |
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[Del noble doctrine sains Augustin] En cel an chis glorieux confes finat sa vie et ses croniques à cel jour que ilh morut, et oussi iIIuminat-ilh mult sainte Engliese des nobles libres qu'ilh fist, car onques nuls devant luy n'en apres n'en fist tant. Et par ses escriptures furent mult des adversaires de sainte Engliese confondus, et mult qui avoient des erreurs contre la foid en furent rapelleis ; et encors en sont les bons jusques à jour d'huy edifiiés et endoctrineis. Et fut XL ans evesque [II, p. 139] d'Yppone, et morut l'an de son eage IIIIxx et VI. |
[L’illustre enseignement de saint Augustin] Cette année-là, la fin de la vie de ce glorieux confesseur signifia la fin de ses chroniques. Saint Augustin illustra aussi très brillamment la Sainte Église par les livres qu’il composa : personne, ni avant ni après lui, n’en écrivit autant. Ses écrits confondirent de nombreux adversaires de la Sainte Église et ramenèrent à la foi beaucoup de ceux qui avaient des vues erronées. Jusqu’à aujourd’hui, ils édifient et instruisent les gens de bien. Évêque d’Hippone durant quarante ans [II, p. 139], Augustin mourut à quatre-vingt-six ans. [Sur saint Augustin, cfr II, p. 78-79, et II, p. 101] |
Ici encore, comme pour les notices précédentes, Jean a utilisé la Chronique de Martin s.v° Theodosius II, p. 453, ed. Weiland : Gens Wandalorum ab Hyspaniis ad Affricam transeunt et vastant, ibique catholicam fidem Arriana impietate subvertunt. Comme Jean, Martin donne le nom du chef des Vandales et fait mention de saint Augustin et de sa mort, mais il ne porte pas de jugement sur l'enseignement de l'évêque d'Hippone. On note toutefois des différences curieuses : chez Martin, Augustin est mort à 76 ans après 29 ans d'épiscopat ; chez Jean, il est mort à 86 ans après 40 ans d'épiscopat. Il n'est pas question non plus dans ce passage de Martin d'un roi de Perse qui serait intervenu contre Genséric et les siens. Dans l'histoire, Genséric est mort de mort naturelle en 477 de notre ère après avoir régné quelque 50 ans. À quel roi de Perse, devenu chrétien, Jean songerait-il ici ? |
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[Le pape Sixte fist l’englise Nostre-Damme à Romme, où ilh
fut ensevelis] Item, l’an
deseurdit IIIIc et XL, le XIXe jour d'awouste, morut li pape de Romme
Sixte ; si fut ensevelis en la cripte del engliese Nostre-Damme-le-Maiour,
que ilh
avoit faite mult belle
en la citeit de Romme.
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[Le pape Sixte édifia l’église Notre-Dame à Rome, où il fut enseveli] En l’an 440, le 19 août, le pape Sixte III de Rome mourut. Il fut enseveli dans la crypte de l’église Notre-Dame-la-Grande (= Sainte Marie-Majeure), la très belle église qu’il avait édifiée dans la ville de Rome. |
Le texte de Martin, Chronique, s.v° Syxtus III, p. 418, ed. Weiland, évoque bien la fondation de Sainte-Marie-Majeure par ce pape, mais fournit sur lui d'autres données différentes ou absentes chez Jean. |
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[Leon, le XLVIIIe pape] Apres sa mort vacat li siege XIIII jours ; et apres,
assavoir le IIIe jour de septembre, fut consacreis à pape Lyon, le promier
de
cel nom, qui fut de la nation de Tuscaine, et fut ly fis
Quintiane ; et tient le siege XXI [ans] VII mois VIII jour. Sour l'an IIIIc
et XLI expoisat ly pape Lyon mult de la sainte Escripture, et adjostat mult
de parolles à sains canon de la messe. |
[Léon,
quarante-huitième pape] Après la mort de Sixte, le siège papal
resta vacant quatorze jours. Après cela, le 3 septembre, le pape Léon, le premier de ce nom, fut
consacré pape. Originaire de Toscane et fils de Quinctianus, il siégea vingt
et un ans, sept mois et huit jours. En 441, le pape Léon expliqua longuement
la Sainte Écriture, et ajouta beaucoup de textes au saint canon de la messe. |
En ce qui concerne la consécration du pape saint Léon Ier, la date donnée par Jean (440 de l'Incarnation) correspond à la réalité historique. En ce qui concerne sa mort, qui eut lieu en 461 de notre ère, Jean la situe en l'an 462 de l'Incarnation (II, p. 160). La suite de la biographie de ce pape sera présentée en II, p. 145, p. 151 et p. 160, mais il sera encore question de lui en II, p. 377 pour le transfert de son corps. |
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Le roi Clovis et ses
rapports avec le prévôt Élinus - Clotilde, l’héritière de Bourgogne, demandée en mariage par Clovis
(anneau symbolique) - Objection de Gondebaud, roi de Bourgogne - Ruse des
messagers - Accord tacite de Clotilde (441 de l'Incarnation) |
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[II, p. 139]
[De roy Cloveis de Franche, soy mariat al filhe de Borgongne]
A cel temps astoit en grant
auctoriteit en Franche ly roy Cloveis de Franche ; car, por le bonteit de
ly, fut-ilh plus grans saingnours de son paiis que son peire n'avoit
esteit ; et ly fut concedeit à ly, et à ses
heures apres ly, del estre sires de leur rengne, tant com ilh ne feroient
chouse qui fust contraible à son paiis, chu excepteit que ilh ne poiroit
riens faire passeir ne otriier en son rengne, se chu n'estoit par le
conselhe de son prevoste, car ly prevoste demorroit tousjours en son vertus
et toudis regneroit deseur le roy. |
[II, p. 139]
[Clovis, roi des Francs, épousa la fille de Bourgogne] À
cette époque [441], le roi des Francs Clovis jouissait
d’un grand prestige dans son pays. Sa bonté avait fait de lui, en son pays, un
seigneur plus grand que ne l’avait été son père. Il lui fut accordé, à lui
et à ses héritiers, d’être les seigneurs de leur royaume, aussi longtemps
qu’ils ne feraient rien qui fût hostile à leur
pays. Toutefois Clovis ne pourrait ni transmettre ni
attribuer quoi que ce soit
en son royaume, sans l’avis du prévôt, qui garderait toujours son pouvoir et
régnerait toujours au-dessus du roi. |
[L’apparelhement des noiches le roy franchois] En cel an les Franchois mariarent leur roy Cloveis, qui
astoit paiiens, à Clotilde, la filhe le roy Celderis de Borgongne, qui astoit
cristine. Si furent faites les apparelhemens en teile manere :
Cloveis ly roy franchois,
par le conselhe de Elynon son prevoste et de ses barons,
envoiat en Borgongne dois roys, trois dus et VI contes et XL chevaliers,
entres lesqueils ilh en y avoit dois qui furent nomeis Aurelion et
Claradas : à cheaux deis donnat ly roy une anelet d'or où ilh avoit VI pires
mult riches, assavoir IIII fiens dyamans qui astoient assies aux quattres
angleez de castelet de l'aneal ; et dedens le castelet ilh seioit II pires, assavoir :
unc saphirs, en queile la figure le roy Cloveis estoit talhié et sculpée, et
ly aultre estoit une esmeraude, où ilh avoit faite talhier la figure
Clotilde. |
[Préparation
des noces du roi des Francs]
Cette année-là, les Francs marièrent
leur roi Clovis, qui était païen, à Clotilde, la fille du roi Chilpéric de
Bourgogne, qui était chrétienne. Les préparatifs furent accomplis comme suit :
Clovis, le roi des Francs, sur le conseil d’Élinus, son prévôt, et de ses
barons, envoya en Bourgogne deux rois, trois ducs, six comtes et quarante chevaliers.
Deux d’entre eux se nommaient Aurélien et
Claradas. Le roi [Clovis] confia à ces deux personnages un
anneau d’or orné de six pierres précieuses, à savoir quatre fins diamants
sertis aux quatre angles du chaton de l’anneau et, au centre du chaton, étaient
serties deux pierres, à savoir un saphir sur lequel était taillée la figure
du roi, et une émeraude, où il avait fait tailler la figure de Clotilde. |
Élinus, présenté par Jean comme le prévôt de Clovis, est un personnage inventé, tout comme l'était son père Clarnus, prévôt de Childéric, pendant 32 ans (II, p. 137) |
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Chis aneal signifioit grant nobleche,
sicom vos oreis : promirs, ly saphirs, où ly roy fut figureis,
signifioit casteit, car ly saphir est caste et rastrainte luxure ; et ly
esmerade, où Clotilde est figurée, signifie virginiteit, car ly esmeraude
est
virgue, et ne puet sentir [II, p. 140]
vilonie de luxure sens rumpir. Et portant que ly roy astoit castle et la
royne virgue, fist-ilh en ches dois pires figureir leurs ymagenes.
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Cet anneau était un symbole de grande
noblesse, comme vous l’apprendrez : d’abord, le saphir, sur lequel
figurait le roi, symbolisait la chasteté, car le saphir est pur et réfrène la
luxure ; pour sa part, l’émeraude, où figurait Clotilde, symbolisait la
virginité, car l’émeraude est vierge, et ne peut supporter
[II, p. 140]
sans se briser l’infamie
de la luxure. C’est
parce que le roi était chaste et la reine vierge qu’il fit figurer leur
image sur ces deux pierres. |
Et les IIII dyamans, qui avoient les
pires enclouses, signifioient les IIII paiis qu'ilh avoient à governeir
s'ilh astoient ensemble, desqueiles IIII paiis
sieroit ly royalme de France teilement
enclouse aux IIII angleez que les dois pires astoient enclouz des IIII
dyamans, et seroit à cascon ly entrée de Franche oussi dure com est ly
entrée del dyamant, qui est ly plus dure chouse de monde. |
Quant aux quatre diamants qui entouraient les pierres, ils symbolisaient les quatre pays qu’ils auraient à gouverner s’ils étaient unis. Le royaume franc serait borné par les quatre pays tout comme, aux quatre angles, les deux pierres étaient entourées par les quatre diamants. Et pour chacun de ces pays, l’entrée en pays franc serait aussi dure que la taille du diamant, la matière la plus dure au monde. |
Et les paiis si astoient Flandre,
Brabant que ly roy tenoit adont, et les altres Borgongne et Avergne que ly
roy Celderis de Borgongne tenoit à
son temps, dequeile la royne Clotilde,
sique sa filhe legittime, com son heures le devoit succedeir et tenir et le
tenroit entirement, nonobstante le fraude de roy Godebuef, son oncle. |
Ces pays étaient d’une part la Flandre et
le Brabant que le roi détenait alors, et d’autre part la Bourgogne et
l’Auvergne, relevant à cette époque du roi Chilpéric de Bourgogne. La reine
Clotilde, sa fille légitime, en tant qu’héritière, devrait donc
[à sa mort] les détenir complètement, en dépit
de la déloyauté du roi Gondebaud, son oncle. |
Ceste aneal envoiat Cloveis à
Clotilde, et le mandat qu'elle venist sicom sa femme, et
qu'ilhs ly donnassent l'aneal en signe de mariage, enssi com la constumme
astoit adont. |
Cet anneau, Clovis l’envoya à Clotilde et lui demanda de
devenir sa femme. Les messagers devaient lui donner l’anneau en signe de
mariage, comme c’était la coutume à cette époque. |
Les messagiers s'en vont, si vinrent en Borgongne, et à roy Godebuef robarent sa nyeche, la royne de Bourgongne, depart le roy Cloveis de Franche por sa femme. Quant ly roy Gondebuef entendit chu, si fut mult enbahis, car ilh s'avisat que, se ly roy Cloveis avoit Clotilde à femme, qu'ilh voroit avoir toute sa terre et le demandoit sicom royne de Bourgongne, si qu'ilh seroit exilhé, et poroit encors ly roy Cloveis prendre venganche de la mort Celderis, le pere Clotilde. |
Les messagers prirent la route, arrivèrent
en Bourgogne et, au nom de Clovis, réclamèrent au roi Gondebaud sa nièce, la
reine de Bourgogne, afin que celle-ci devienne sa femme. En entendant cela,
le roi Gondebaud fut très inquiet. Il réalisa en effet que si le roi Clovis
épousait Clotilde, celle-ci lui réclamerait toute sa terre, en
tant que reine de Bourgogne ; que lui, Gondebaud, serait ruiné, et que
Clovis pourrait aussi venger la mort de Chilpéric, le père de Clotilde. |
Adont respondit ly roy Gondebuef aux messagiers que chis mariage ne soy poroit faire, car Clotilde estoit de la loy cristiene, et ly roy Cloveis astoit paiens. |
Alors le roi Gondebaud répondit aux messagers que ce mariage ne
pourrait se faire, car Clotilde était chrétienne et Clovis païen. |
Quant les messagiers entendirent chu,
se soy partirent d'illuque par matalent, et vinrent à leur hosteit ; et
orent conselhe entre eaux que Aurelion vestiroit les draps d'un povre hons de la
vilhe, et s'en yroit al matin al engliese où la demoiselle oroit à serviche
de Dieu, se feroit tant qu'ilh ly donroit l'aneal. Et enssi fut faite, et
vient Aureliain al mostier, et la damoiselle Clotilde, qui apres la messe
donnoit argent aux povres, enssi qu'elle astoit aconstummeit del faire, et
entre les aultre elle donnat Aureliain I denier d'argent ; et Aureliain li
basat la main, de quoy la dammoiselle oit grant mervelhe, car elle ly
semblat que chis est povres affaitiés sy soy partit ; et quant elle vient en
son palais, se le mandat et chis y vient. |
Quand les messagers entendirent cela, très irrités, ils
quittèrent les lieux et rentrèrent à leur auberge. Ils décidèrent entre eux qu’Aurélien,
revêtu des habits d’un pauvre de la ville, irait le matin dans l’église où
la demoiselle assisterait au service divin et ferait en sorte de lui donner
l’anneau. Ainsi fut fait. Aurélien se rendit à l’église. Clotilde, qui avait
l’habitude, après la messe, de donner de l’argent aux pauvres, donna
également à Aurélien un denier d’argent. Aurélien lui baisa la main, ce qui étonna beaucoup la
demoiselle : ce pauvre lui sembla être un faux pauvre et elle s’en alla.
Mais une fois rentrée dans son palais, elle le convoqua et il s'y présenta. |
Adont ly demandat la dammoiselle porquoy
ilh soy astoit mis en chest habit ? Et ilh ly dest : « Ma damme,
portant que je vuelhe parleir à vos plus secreement. Sachiés que je suy uns
des [II, p. 141] tres messagiers
le roy Cloveis de Franche, awec les altres prinches qui moy ratendent al
hosteit. Si vos demande à avoir à peire [= couple ?] et à femme ; mains ly roy
vostre oncle si nos at escondit, dont ilh venrat trop tart al
repentir. » |
La demoiselle lui demanda pourquoi il avait revêtu cette tenue. Il lui dit : « Madame, c’est parce que je voulais vous parler plus en secret. Sachez que je suis, avec les autres princes qui m’attendent dans une auberge, un des [II, p. 141] trois messagers du roi des Francs Clovis. Il vous demande de devenir son épouse ; mais le roi votre oncle nous a éconduits, ce dont il se repentira trop tard..» |
Adont ly donnat l'aneal en disant : « Ma
dammoiselle, damme et royne de Bourgongne et d'Avergne à present, et de
Franche advenir, je vos donne chest aneal com ilh est, depart Cloveis,
roy de Franche, sires et maistre de Flandre et de Brabant, en signe de
mariage, enssi com la constumme est solonc sa loy. » |
Puis il lui donna l’anneau en disant : « Mademoiselle, aujourd'hui dame et
reine de Bourgogne et d’Auvergne, future dame des Francs, je vous donne cet anneau, tel que
vous le voyez, de la
part de Clovis, roi des Francs, seigneur et maître de Flandre et du Brabant.
Je le fais en signe de mariage, comme c’est la coutume dans la loi de son
pays. » |
Clotilde pensat unc pau, et puis prist
l'aneal en disant : « Je ne refuse mie le roy ne le aneal, mains
nonporquant chu se poroit mal faire, se ly roy ne prent baptemme à nostre
loy. » Adont ly dest Aureliain : « Damme, faite volentiers, car quant vos sereis awec le roy, vos ly fereis toute
vostre loy croire, et maintenant ilh ne le feroit por riens. » Adont dest la
damme : « Amis, vos en rireis en Franche, et je garderay l'aneal de buen
cuer et de bonne volenteit, et sour chu ait ly roy bon conselhe. » |
Clotilde réfléchit un moment, puis elle
accepta l’anneau et dit : « Je ne refuse ni le roi ni l’anneau ;
toutefois ce mariage pourrait difficilement se faire, si le roi ne reçoit pas
le baptême, conformément à notre loi. » Alors Aurélien lui
dit : « Dame, acceptez de bon gré ; quand vous serez avec le roi,
vous le persuaderez de croire totalement en votre loi, mais maintenant rien
ne l’en convaincrait. » Alors la dame dit : « Mes amis,
vous repartirez chez les Francs ; je garderai l’anneau de bon cœur et de bon
gré, et puisse le roi être bien inspiré. » |
Enssi soy partit Aureliain de Clotilde, se
vint à son hosteit, si trovat les prinches, se les comptat
toute chu qu'ilh avoit faite ; se les plaisit mult bien, et montarent
lendemain en retournant vers Franche. |
Aurélien prit congé de Clotilde, se rendit
à son auberge, y trouva les princes et leur raconta tout ce qu’il avait
fait. Cela leur plut beaucoup et, le lendemain, ils
prirent leur monture et retournèrent en pays. |
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[II, p. 141] [De conciel de Ephese où oit IIc evesques] Item, l'an IIIIc et XLII, assemblat sains Patris, archevesque
de Ybernie en Escoche, unc concielhe en la citeit de Ephese de IIc evesques,
et là fut condempneis unc preistre qui oit nom Nestoriiens, qui disoit que
en corps Jhesu-Crist avoit dois personnes. Et là fut confermeit
que Jhesu-Crist n'estoit que unc seul corps, une seul personne de
dois natures et de trois noms. |
[II, p. 141] [Le concile d’Éphèse qui réunit deux cents évêques] En l’an 442, saint Patrice, archevêque d’Irlande et d’Écosse [cfr II, p. 134], rassembla dans la ville d’Éphèse un concile de deux cents évêques. C’est là que fut condamné le prêtre Nestorius, qui disait que le corps de Jésus-Christ consistait en deux personnes. Le concile confirma que Jésus-Christ était un seul corps, une seule personne constituée de deux natures et portant trois noms. |
« Le concile d'Éphèse, troisième concile œcuménique de l'histoire du christianisme, est convoqué en 430 par l'empereur romain de Constantinople Théodose II. Le concile condamne le 22 juin 431 le nestorianisme comme hérésie, et anathématise et dépose Nestorius comme hérésiarque » (Wikipédia). |
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Clovis, par son mariage avec
Clotilde, devient le suzerain de Gondebaud, roi des
Burgondes (ans 442-443 de l'Incarnation) |
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[De roy Clovis de France qui envoiat defier les Borgengnons] En cel an meismes revinrent en Franche à Lutesse les abbassateurs le roy Cloveis ; si ont racompteit al roy chu qu'ilh ont faite en Borgongne. Cloveis le roy, quant ilh entendit les messagiers, si fut mult liies et oit grant joie de la response Clotilde ; mains ortant fut-ilh corochiet de la response le roy Godebuef. Et oussi fut ly prevoste Elynom ; et dessent que encors ly remeryroient teilement que ilh en varoit pies. Adont prist ly roy Cloveis lettres saielées de son propre sael awec le saiel Elynom, et envoiat le roy Godebuef deffier ; puis assemblat ses oust et s'en alat en Bourgongne, sour l'an IIIIc et XLIII en mois de junne. |
[Clovis, roi des Francs, envoya un défi
aux Burgondes] Cette même année [442], les ambassadeurs
du roi Clovis revinrent en Francie et racontèrent au roi ce qu’ils
avaient fait en Bourgogne. Quand il entendit les messagers, le roi Clovis fut
très content et se réjouit beaucoup de la réponse de Clotilde ; mais il
fut tout autant irrité de celle du roi Gondebaud. Le prévôt Élinus le
fut aussi. Ils dirent qu’ils le lui revaudraient à un
point tel qu’il serait réduit à rien. Alors le roi Clovis prit des
lettres scellées de son propre sceau et de celui d’Élinus, et les envoya pour
défier au combat le roi Gondebaud. Puis
il rassembla ses armées et partit pour la Bourgogne, en juin de l’an 443. |
Mains
quant Clotilde le soit, se fist savoir à tous les hals prinches de paiis que,
chu que son oncles faisoit, ch'estoit por la raison que ilh ne voloit mie que
Clotilde fust si grande damme, com elle li posist remerir la mort son pere et
sa mere, et encordont ly roy [II, p. 142] de Franche Cloveis
astoit son maris, et se n'auroit jamais altre saingnour, s'elle poioit, car
elle l'avoit esposeit d'onne aneal d'oir par son messagier, sicom la
constumme estoit en sa loy. |
Quand Clotilde apprit cela, elle fit savoir à tous les grands princes du pays que son oncle agissait ainsi, parce qu’il ne voulait pas la voir devenir une dame aussi importante que celle qu’elle aurait mérité d’être à la mort de son père et de sa mère ; et qu’en plus de tout cela le roi des Francs [II, p. 142], Clovis, était son mari et qu’elle n’aurait jamais d’autre seigneur, même si elle le pouvait, car elle l’avait épousé en acceptant un anneau d’or apporté par son messager, selon la coutume de sa loi. |
Adont vinrent tous les barons à roy Godebuef, et ly dessent qu'ilh ne laissaist mie son paiis exilhier por doneir sa nyeche à roy Cloveis, car ly mariage astoit jà fais, et ly aneal d'oir presenteit et rechut depart la dammoiselle. Quant ly roy entendit chu, sy mandat sa nyeche ; et celle vient et aportat l'anel awec lée et le monstrat à tous generalement, et racomptat toutes les parolles que ly messagiers li avoit dit, et chu qu'elle avoit respondut à messagier. |
Alors tous les barons vinrent dire à Gondebaud de ne pas laisser ruiner son pays, en refusant de donner sa nièce au roi Clovis, car le mariage était déjà conclu, la demoiselle ayant accepté l’anneau d’or qui lui avait été présenté. Quand le roi entendit cela, il appela sa nièce. Elle arriva, apportant l’anneau avec elle et le montrant à toute l’assistance. Elle rapporta tout ce que lui avait dit le messager et ce qu’elle lui avait répondu. |
Adont acordarent les barons le mariage entirement, et que le roy Godebuef alast encontre le roy Cloveis et ly otriast sa nyeche. Enssi fut-ilh faite, car ly roy Godebuef vient à grant gens contre le roy Cloveis, et ly dest : « Sires, vos aveis faite unc mariage de vos et de ma nyeche Clotilde, lequel je lowe, otroie et confirme, car je ne le refusay mie, fours que tant vos asteis d'onne loy et lée de une altre ; et suy repentans del outraige que je fis, se vos prie que le moy pardonneis. » Respondit Cloveis : « Tout l'escondit et le forfait je le vos pardoing bonnement. » |
Alors les barons approuvèrent entièrement le mariage et dirent au roi Gondebaud de rencontrer le roi Clovis et de lui accorder sa nièce. Ainsi fut-il fait. Le roi Gondebaud, escorté d’une foule nombreuse, se porta à la rencontre du roi Clovis et lui dit : « Sire, vous avez conclu entre vous et ma nièce Clotilde un mariage que j’approuve, permets et confirme ; en effet, je ne l’ai pas refusé, avec la réserve que vous êtes d'une religion et elle d’une autre ; je regrette l’affront que je vous ai fait, et vous prie de me pardonner. » Clovis répondit : « Ce refus et cette faute, je vous les pardonne avec bienveillance. » |
[La royne demandat
dois dons al roy] Atant vinrent en la citeit, et y furent faites les
noches nobles et riches, et y fut myneit grant fieste ; mains à la
vesprée, quant ly roy Cloveis soy duit aleir cuchier awec sa femme, elle ly
demandoit dois proiers : la promier fust qu'ilh vosist prendre baptemme
et la loy cristiene qu'elle tenoit ; ly aultre fut que ilh vosist
demandeir à son oncle et faire qu'ilh l’awist le tressoir son peire et le
regne de Borgongne, qui devoit à lée parvenir. Et ly roy ly otriat le derain,
mains le promier refusat-ilh. Et-la damme s'en souffrit et ly dest :
« Sires, vos en areis bon conselhe ;
se Dieu wet, chu puet et porat bien eistre. » |
[La reine demanda deux faveurs au roi] Alors, on se rendit dans la ville, où furent célébrées des noces grandioses et somptueuses, et où on fit grande fête. Cependant, à la tombée de la nuit, quand le roi Clovis alla coucher avec sa femme, elle lui fit deux requêtes : la première était qu’il consente à recevoir le baptême et accepte la loi chrétienne qu’elle suivait ; l’autre était qu’il demande à son oncle et fasse qu'elle obtienne le trésor de son père et le royaume de Bourgogne, qui lui revenait, à elle. Le roi agréa la seconde requête, mais refusa la première. La dame en souffrit et lui dit : « Sire, ce serait là une bonne décision ; si Dieu veut, cela peut et pourra bien se faire. » |
Apres les noiches faites, quant ly roy Cloveis et ses gens soy durent partir, si at apelleis le roy Godebuef devant tous les barons de Franche et de Borgongne, et ly requist que ilh ostasse ses mains del regne de sa femme, et que ilh delivrat le tressoire le roy Cilderis le peire de sa femme, ou ilh auroit aultre conselhe. |
Une fois les noces accomplies, quand le roi et ses gens durent partir, Clovis appela le roi Gondebaud devant tous les barons du royaume franc et de la Bourgogne. Il lui demanda de renoncer au royaume de sa femme et de lui livrer le trésor du roi Chilpéric, le père de sa femme, sinon il prendrait une autre décision. |
Godebuef ly roy fut enbahis quant ilh entendit chu, et nonporquant ilh respondit que chu ne feroit-ilh mie pour chouse que avenir en posist ; et Clovis le deffiat. Mains la gerre ne multipliat mie, car ly prevoste Elynus [II, p. 143] et les barons alarent entre deux, et fut acordeis que ly roy Godebuef demoroit toute sa vie roy de Borgongne, mains ilh le tenroit de Cloveis ; en apres qu'ilh renderoit à Cloveis le grant tressoire le roy Celderis de Borgongne. Et tout chu fut acomplis, puis retournat ly roy Cloveis en Franche. |
Le roi Gondebaud fut stupéfait d’entendre cela. Il répondit néanmoins que cela ne se ferait pas, quoi qu’il puisse advenir. Clovis alors lui lança un défi. Toutefois, la guerre n’éclata pas. Le prévôt Élinus [II, p. 143] et les barons s’interposèrent, et un accord fut conclu, stipulant que le roi Gondebaud demeurerait roi de la Bourgogne, et qu’il la tiendrait de Clovis sa vie durant. Ensuite il rendrait à Clovis le grand trésor du roi Chilpéric de Bourgogne. Une fois tout cela réglé, le roi Clovis retourna dans son pays. |
Retour en arrière sous forme de résumé : les rois francs, de Pharamond (accent sur sa législation) à Clovis |
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[II, p. 143] [Les loys que Pharamont, le promier roy de
Franche, ordinat en son pays]
Item, nos vos avons obliet à racompteire et escrire des lois que
Pharamont, ly promier roy franchois, fist en son paiis ; se le vos dirons par
recapitulation. |
[II, p. 143] [Les lois que Pharamond, le premier roi des Francs, établit dans son pays] Nous avons oublié de raconter et de noter les lois que Pharamond, le premier roi des Francs, établit dans son pays. Nous vous en parlerons sommairement. |
Jean n'avait effectivement pas parlé de la législation de Pharamond en II, p. 89 ; II, p. 100 et p. 101 ; II, p. 104 et p. 105. |
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Pharamons, ly promier
roy franchois, ordinat et determynat loys en son paiis : portant qu'ilh
estoit roy, si devoit meneir son peuple par loy, et les ordinat
leur loy asseis pres de l'empire. Promiers ilh ordinat une loy qu'ilh apellat
salique, et par le vertut de celle loy les Franchois enlisoient IIII barons,
qui jugoient entre eaux de toutes questions. |
Pharamond, le premier roi franc,
établit et imposa des lois dans son pays. Comme roi, c'est par elles qu'il devait diriger son
peuple. Il imposa une législation très proche de celle de
l’empire (romain). En premier lieu, il institua une loi qu’il appela
salique, en vertu de laquelle les Francs choisissaient quatre barons, qui
jugeaient entre eux de toutes les questions. |
Apres
ordinat Pharamons que tous hommes noresist grans cheveals sor leurs
tiestes et à leurs barbas, qui durat enssi jusqu'à temps maistre Pire
le Lombar,
evesque de Paris, à cuy instanche ilh fut relasiés. Et chist ordinanche
fist-ilh portant qu'ilh voloit faire differenche des Franchois aux
Sycambiens, car les Sycambiens de Galle, par unc decreit que Julien-Cesaire
fist, soy fasoient tondre sovent en signe de servaige. |
Ensuite, Pharamond ordonna à tous les hommes d'avoir des cheveux longs et de porter une barbe. Cette règle resta en vigueur jusqu’à l’époque de maître Pierre le Lombard, évêque de Paris [XIIe siècle], qui exigea son abandon. Pharamond l’avait prescrite parce qu'il voulait différencier les Francs des Sicambres : en effet, suivant en cela un décret de Jules César, les Sicambres de Gaule se faisaient souvent tondre en signe d’esclavage. |
[De secon roy de
Franche]
Clodius, ly fis Pharamons, fut ly secon roy
de Franche. Chis fut ly promier qui portat long cheveals et barbe, et le
trechoit enssi com font les femmes. Et mult longtemps le fisent enssi ses
successeures roy de Franche, et avoient treches pendantes par derier,
galoneez et bottonneez de filh d'oir mult richement. |
[Le second roi des Francs] Clodion, fils de Pharamond, fut le second roi des Francs. Il fut le premier à porter une barbe et une longue chevelure qu’il tressait comme font les femmes. Pendant très longtemps, les rois des Francs ses successeurs l'imitèrent : ils portaient, retombant sur leurs dos, des tresses très richement ornées de rubans et garnies de fil d’or. |
Chis
roy Clodius, par forche d'armes et de chevalerie, s'en alat à oust jusques à
Thoringe, c'est à Loheraine, et prist le casteal que ons apelloit Dispergne,
où ilh mettit le siege de son rengne. En apres ilh metttit des despies oultre
le Riens, de
costeit devers Franche, et les suwit tendant atout son oust
jusques à Cambray, laqueile ilh prist par forche. Apres ilh passat por les
foreste de la Charlomire vers Tournay, [II,
p. 144] laqueile ilh prist ; et de tout ches parties, jusqu'à la
riviere del Sayne et del Riens, ilh estaublit son rengne. |
Ce roi Clodion, par la force des armes et
ses vertus chevaleresques, se rendit avec son armée en Thuringe, c’est-à-dire
en Lorraine/Lotharingie. Il s’empara de la
place-forte appelée Dispergne et y établit le siège de son royaume. Par
après, il envoya des éclaireurs au-delà du Rhin, en direction du pays franc, et
les suivit amenant toute son armée jusqu’à Cambrai, dont il s’empara
par la force. Ensuite, il traversa la forêt charbonnière, en direction de
Tournai
[II, p. 144] qu’il conquit. Avec toutes
ces terres, il se constitua un royaume, jusqu’à la
Seine et au Rhin. |
Dispergne : identification incertaine, certains y voient la ville allemande de Duisburg. |
|
[Le IIIe et IIIIe
roy de Franche] Meroveux fut li thiers roy de Franche, qui fut valhans
et preux, sycom j'ay dit desus. Childeris fut ly quars roy, qui fut banis
fours de Franche, sicom j'ay dit. Mains quant ilh oit sa pais ilh gueriat
paisieblement et
decachat ses grevans, et par especial ilh encachat fours de
la citeit de Trive les Romans, et Giles de Salerne qui les
govrenoit en nom des Romans, portant qu'ilh avoit procureit à chu que ilh fut
banis, et parmy l'ayde de Saynes ilh fut sires de Colongne et de Trive.
|
[Les troisième et quatrième rois des Francs] Mérovée fut le troisième roi des Francs ; il fut vaillant et preux, comme je l’ai dit plus haut (cfr II, p. 109-112, p. 116, p. 120, p. 121). Childéric fut le quatrième roi, un temps banni de son pays, comme je l’ai dit (cfr II, p. 121-125). Mais une fois redevenu roi, il ne guerroya que pour éloigner ceux qui lui faisaient tort. Il chassa notamment de la ville de Trèves les Romains et Gilles de Salerne (II, p. 145), qui la gouvernait au nom des Romains, parce qu’il avait contribué à le faire bannir (lui, Childéric) et était devenu, avec l'aide des Saxons, seigneur de Cologne et de Trèves. |
[De Ve roy
franchois]
Cloveis, le Ve roy de
Franche, est cheli de
cuy je parolle qui
vit al temps dont je racompte, qui oit à femme Clotilde, la filhe Celderis
roy de Borgongne, sycom j'ay dit desus. |
[Le cinquième roi des Francs]
Clovis, le cinquième roi des
Francs, est celui dont je parle, qui vécut au temps dont j’ai raconté l’histoire ; il épousa Clotilde, fille
de Chilpéric, roi de Bourgogne, comme dit ci-dessus. |
Constantinople : Varia (an 444 de
l'Incarnation) |
|
[II, p. 144]
[Muet de terre] Item, l'an IIIIc et XLIIII,
fut la citeit de
Constantinoble, par l'espauce de III mois,
fevrier, marche et avrilhe, mult travelhié par muet de terre. |
[II, p. 144] [Tremblement de terre] En l’an 444, durant
trois mois, de février à mars et avril, la ville de Constantinople fut très
éprouvée par un tremblement de terre. |
[Sabax fut ravis en
ciel]
Sy avient que uns hons de la citeit, qui
oit nom Sabax, fut ravis en l'aire, voiant toute le peuple, par le vertut de
Dieu ; et là ly dest une vois de ciel que ilh fesist chantair le letanie et
faire une procession, car altrement ne cesseroit ly mut de terre, Enssi
fut-ilh faite, si cessat. |
[Sabax fut emporté au ciel] Un jour, un habitant de
cette ville, dénommé Sabax, fut enlevé dans les airs, par la puissance
de Dieu, sous les regards de
tout le peuple. Et là, une voix céleste lui dit de chanter les litanies et
de faire une procession, sinon le tremblement de terre ne cesserait
pas. Ainsi fit-on, et le tremblement cessa. |
En cel an fut li
corps sains Johan Boche d'oir
raporteit de
exhile en la citeit de Constantinoble, et là le rechuit l'emperere
Theodosius mult humblement en plorant, en depriant à Dieu que ilh pardonnast
à sa mere Edoxa le meffait de chu que, par son defaute, astoit ly sains
proidhons mors en exilhe. |
Cette année-là (444), le corps de saint
Jean Chrysostome (cfr II, p. 105
et II, p. 119) fut ramené d’exil dans la ville de Constantinople.
L’empereur
Théodose II le reçut
avec humilité en pleurant et en
priant Dieu de pardonner à sa mère Eudoxie le fait que, par sa faute, le saint
homme était mort en exil. |
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B. Ans 444-448 de l'Incarnation
CLOVIS ET CLOTILDE - DIVERS VARIA, NOTAMMENT SUR TONGRES ET BOIDENT
Plan du texte
Clovis et Clotilde : Mort
d’Ingomer, leur premier fils - Siège et prise de Soissons - Clovis agrandit
son royaume - Naissance du second fils de Clovis, Clodomir - Pressions de Clotilde pour
convertir Clovis (ans 444-445 de l'Incarnation) |
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[II, p. 144]
[Del royne Clotilde
qui oit son promier enfant] En cel an meismes en mois de decembre, oit
la royne Clotilde son promier enfant de roy Cloveis ; et, quant ilh fut
neis, la royne le fist baptisier solonc la loy des cristiens, et fut nomeis
aux fons Yngomires, lyqueis viscat VII mois et puis morut ; de quoy ly
roy fut mult corochiés, et dest à la
royne que por le baptemme astoit-ilh
mors, car s'ilh fust consacreis à la loy Jupiter ilh ne fust mie mors. Et la
royne ly respondit que chu n'estoit mie por chu, mains Dieu voloit avoir leur
promier gangne, si l'avoit et en devoit eistre
mult liies. |
[II, p. 144] [La reine Clotilde eut son premier
enfant] En
cette même année [444], en décembre, la reine Clotilde mit au monde le
premier enfant qu’elle eut du roi Clovis. La reine le fit baptiser selon la
loi chrétienne et sur les fonts (baptismaux) il reçut le nom d’Ingomer. Il
vécut sept mois, puis mourut. Le roi en fut très contrarié et dit à la reine que
l’enfant était mort à cause de son baptême, car s’il
avait été voué à la loi de
Jupiter, il ne serait pas mort. La reine lui répondit que ce n’était pas pour
cela, mais parce que Dieu se réservait leur premier fruit,
qu’il l’avait et devait en être très heureux. |
[Li roy Cloveis
assegat Soyson] Item, l'an IIIIc et XLV en mois de may, assemblat ly roy Cloveis et le prevoste Elynon
leurs
gens, sy assegat la citeit de Soyson, [II, p. 145] portant que Sergruens, ly dus de Soyson, ly avoit
mandeit que ilh le defioit. Chis Sergruens astoit ly fis Giele de Salerne,
dont nos avons parleit chi-deseur. |
[Le roi Clovis assiégea Soissons] En l’an 445, au mois de
mai, le roi Clovis avec le prévôt Élinus
rassembla ses troupes et assiégea la cité de Soissons, [II, p. 145] parce que Syagrius, le duc de Soissons, lui avait
annoncé qu’il lui déclarait la guerre. Ce Syagrius était le fils de Gilles
de Salerne, dont nous avons
parlé ci-dessus (cfr
II, p. 144). |
[Ly roy Clovis
conquist le pays de Soyson et mult d’aultres] Adont fut Soyson conquies et tout le
paiis à lée appendant, et ly dus fut ochis,
et chest citeit adjondit ly roy
Clovis à son rengne et tout le paiis altour. |
[Le roi Clovis conquit le pays de Soissons
et beaucoup d’autres pays]
Soissons fut alors conquise, ainsi que tout le pays qui en dépendait. Le duc
fut tué et le roi Clovis ajouta à son royaume cette ville et tous
ses
alentours. |
En cel an conquist ly
roy Clovis toute la terre que les Romans avoient par si longtemps tenue
jusqu'à la riviere de Sayne, et altrepart jusqu'à
la riviere de Loire ;
et Meluns, le casteal sour Sayne qui astoit tant fort, ilh conquist. De ches
conquestes fut ly emperere Theodosius corochiés, si envoiat le roy Cloveis
defier ; mains ly roy ne le dobtat gaire, et se ilh vit encors longement,
ilh conquerat tant sour les Romans, qu'ilh en serat tous mervelheux.
|
Cette année-là [445], le roi Clovis conquit tout le territoire que les Romains avaient très longtemps détenu et qui s’étendait jusqu'à la Seine et de l'autre côté jusqu'à la Loire. Il conquit aussi Melun, une place-forte sur la Seine, très fortifiée. Ces conquêtes irritèrent fort l’empereur Théodose qui envoya un défi au roi Clovis. Celui-ci toutefois ne le craignait guère ; il déclara que, s’il vivait encore longtemps, il ferait tant de conquêtes sur les Romains que Théodose en serait tout étonné. [Suite II, p. 147] |
En cel
an oit la royne Clotilde une beal fis ; se le fist la royne baptisier, si
oit nom Clodoveus. Si fut longement maladieux, et tant que ly roy disoit que
ilh moroit, portant qu'ilh astoit baptiziet. Atant priat la royne à Dieu que
ilh
donnast al
enfant santeit, et ilh fut bientost garis. Quant ilh fut garis, se le dest
la royne al roy comment Dieu l'avoit garis, et suppliat à roy mult
humelement que ilh vosist luy-meismes prendre baptemme ; mains ly roy le
refusoit toudis. |
Cette année-là
[445], la reine Clotilde
mit au monde un beau garçon qu'elle fit baptiser et appeler Clodomir. Il fut
longtemps malade, et le roi disait qu’il mourrait, parce qu’il
était baptisé. Alors la reine pria Dieu de
donner la santé à son enfant, qui fut bientôt
guéri. Après sa guérison, la reine dit au roi comment Dieu l’avait guéri et
le supplia très humblement de consentir à recevoir lui-même le baptême ;
mais le roi continuait toujours à le refuser. |
[La royne de
Franche prechoit la foid de Dieu à roy et à peuple] Tant fist la royne, que ly prevoste
Elynon et presque tout le peuple de Lutesse creioient en Dieu et vousissent
bien estre baptiziés ; mains ilh n'osoient por le roy, et ne ly oisoient dire, et
toutevoies, toutes les fois qu'ilhs poioient, ilh escutoient les sermons et
les predications que la royne leur faisoit des myracles de Dieu.
|
[La reine des Francs prêchait au roi
et au peuple la foi en Dieu]
Tant fit la reine que le prévôt Élinus et presque toute la
population
de Lutèce eurent foi en Dieu et voulurent se faire baptiser, mais à cause du
roi ils n’osaient ni le faire ni le dire. Toutefois, chaque fois qu’ils le
pouvaient, ils écoutaient les sermons et les prédications de la reine, à
propos des miracles accomplis par Dieu. |
En Grande-Bretagne : saint Germain d'Auxerre et saint Loup de Troyes envoyés par le pape Léon comme missionnaires pour lutter contre l'hérésie pélagienne - Angles et Bretons contre Danois - Les Angles s’imposent à demeure aux Bretons, qui s’appelleront Anglais - Légende sur leur origine (en 447 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 145] Item, l'an IIIIc et XLVII, furent envoiés en Bretangne par le pape Lyon, sains Germain evesque d'Achoir, et sains Leu evesque de Troie, por les heresies qui y astoient por destruire, et à la vray foid ramyneir. |
[II, p. 145] En l’an 447, le pape Léon envoya en Grande-Bretagne saint Germain, évêque d’Auxerre, et saint Loup [saint Leu], évêque de Troyes, pour mettre fin aux hérésies qui y étaient répandues et pour ramener le peuple à la vraie foi. |
[Bretons et Englois
ont desconfis les Danois]
A cel temps alloient par le paiis une nation de gens qui astoient appelleis
Englois qui destruoient tout le paiis. Ches Englois vinrent habiteir en la
Grant-Bretangne, pour les Brutons aidier contre les Danois, qui les
avoient assalhit de gueres. Si orent les Bretons batalhe aux Danois ; mains
par le forche des Englois furent les Danois desconfis et s'enfuirent. Ces
Englois trahoient d'arch saetes barbeleez, dont ilh ochioient tant de gens
que ch'estoit grant mervelhe. |
[Bretons et Angles ont vaincu les Danois] À cette époque circulait dans le pays un groupe de gens, appelés Angles, qui semaient partout la destruction. Ces Angles étaient venus en Grande-Bretagne aider les Bretons contre les Danois qui les avaient attaqués. Les Bretons avaient livré bataille aux Danois et, grâce aux forces des Angles, ils les avaient vaincus et mis en fuite. Les Angles avec leurs arcs tiraient des flèches hérissées de pointes, avec lesquelles ils tuaient un nombre prodigieux de gens. |
Apres la victoire, vorent les Bretons que les Englois [II, p. 146] en alassent leur chemyen, et les paierent bien leurs sadeez. Et les Englois respondirent que ilh astoient en bon paiis, qui grandement leur plaisoit pour leur habitation, si l'enlisoient por eaux ; mains se les Bretons en voloient vuidier, si en alassent leur voie toute en pais. |
Après la victoire, les Bretons, voulant que les Angles [II, p. 146] passent leur chemin, leur versèrent correctement leurs soldes. Mais les Angles répondirent qu’ils se trouvaient dans un bon pays, très plaisant à habiter et qu’ils le choisissaient comme le leur. Si les Bretons voulaient vider les lieux, qu'ils se mettent en route et partent en paix. |
[Coment les Bretons
furent appelleis Englois] Quant les Bretons veirent chu, sy corurent
sus les Englois, et là oit grant batalhe ; mains les Bretons furent
desconfis,
car les Englois les trahoient tout oultre.
Adont fut fais une acors entre eaux que les Englois habiteroient en une des
parties de Bretangne, à unc des costeis, par teile
heure que onques depuis ne s'en partirent, et en la fien multipliont
si fort, que ilh cacherent les Bretons fours, et orent le paiis tout seuls,
et le nommont apres eaux Engleterre. |
[Comment les Bretons furent appelés Angles] Voyant cela, les Bretons
attaquèrent les Angles. Une grande bataille se
déroula, et les Bretons furent
vaincus, car les Angles les perçaient de leurs traits. Ils conclurent alors
un accord : les Angles occuperaient
un des côtés d'une partie de la
Grande-Bretagne. Ils le firent
avec un tel succès qu'ils ne quittèrent plus cet endroit. Et finalement, ils s’y multiplièrent tellement qu’ils chassèrent
les Bretons et gardèrent le pays pour eux seuls. Ils l’appelèrent Angleterre,
en lui donnant leur nom. |
[Coment les Englois
sont coweis] Mains les drois Englois qui sont mariés ly unc à
l'autre, cheaux qui en sont issus sont por certain tous coweis, et ont cowes
al dos enssi com biestes, enssi com les promiers Englois qui vinrent là
habiteir avoient. Et vinrent promier de Engle, une terre qui siet asseis pres
de la thour de Babel en Orient, et issirent de la nation Cain, le fis Noe, qui fut malvais. Et les Englois,
qui sont mariés à altre nation que le leur, cheaux ne sont mie coweis. |
[Les Angles ont des queues] Les Angles d’origine qui se marient entre eux ont des enfants tous munis d’une queue, c’est certain. Ils la portent dans le dos comme des bêtes, comme en avaient les premiers Angles venus habiter là. Ils venaient d’Angle, un pays situé en Orient, très près de la tour de Babel. Ils étaient issus de la race de Cham, le mauvais fils de Noé. Par contre, les Angles qui sont mariés à un autre peuple que le leur n’ont pas de queues (cfr aussi II, p. 196 et la note de lecture sur les Angles]. |
Le duché d’Ardenne et le duc Henri - Partage du duché entre ses trois fils, Thierry, Clovis et Boident, premier comte de Tongres (an 447 de l'Incarnation) |
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[II, p. 146] [De conte d’Osterne et de Henris, dus d’Ardenne] En cel an soy mariat Boident, le fis le duc d'Ardenne ; se prist Florenche, le filhe à conte d'Osterne que ons dist Lous maintenant. Henris, le dus d'Ardenne, astoit ly plus poissans dus de monde, de terre et de paiis, car ilh tenoit adont toute Ardenne et Lusembor, Thoringe que ons nom maintenant Loheraine en Austrie, et Boheyme, Gelre et Juley, et de Rains jusqu'à Trieve ; et de l'evesqueit de Tongre astoit-ilh sires temporeis, car ly evesque n'avoit adont nuls lays en sa subjection. |
[II, p. 146] [Le comte d’Osterne et Henri, duc d’Ardenne] Cette année-là [447], Boident, fils du duc d’Ardenne, épousa Florence, fille du comte d’Osterne, dit maintenant comte de Looz. Henri, duc d’Ardenne, était le duc le plus puissant du monde, en fait de terre et de population, car il possédait l’intégralité de l’Ardenne et du Luxembourg, la Thuringe, maintenant appelée Lorraine en Austrasie, la Bohême, la Gueldre [Pays-Bas actuels], Jülich [en Allemagne, cfr II, p. 45], ainsi que la zone qui va de Reims à Trèves. Il était aussi seigneur temporel de l’évêché de Tongres, l'évêque n'ayant avant cela aucun pouvoir sur les laïcs |
[Coment ly paiis
d’Ardenne fut departis à III enfans le duc Henri d’Ardenne] Chis dus
d'Ardenne oit Aylis à femme, filhe à Celderis le roy de Franche. Si en
oit III fis : ly anneis fut Thyris, qui fut dus apres son peire ;
ly secon oit nom Cloveis : chis oit toute
Behangne, et oit à femme Angelis, filhe à duc Guyon de Bretagne ; et ly aultre fis fut Boident, que je dis qui
soy maria. |
[Le pays d’Ardenne fut partagé entre les trois enfants du duc Henri d’Ardenne] Ce duc d’Ardenne avait pour épouse Alix, fille de Childéric, le roi des Francs. Il en eut trois fils : l’aîné Thierry devint duc après son père ; le second, nommé Clovis, eut tout Rochefort et épousa Angelis, fille du duc Guyon de Bretagne ; l’autre fils était Boident, du mariage duquel je viens de parler. |
Aylis : Childeric, père de Clovis, eut bien une fille, Audefleda/Audoflède, mais, selon Bo, p. 146, n. 3, elle épousa Théodoric le Grand, roi des Ostrogoths d’Italie. Behangne ou Behogne : nom ancien de Rochefort ; cfr J. Vannérus, Le nom de Behogne, dans Revue internationale d'onomastique, 1947, p. 21-30, via Persée |
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[De Boident, le
premier conte de Tongree]
A cheluy donnat ly
peire le temporaliteit de Tongre et cel de Thoringe. Et en teile manere
departit ly dus Henry sa terre en III parchons ; mains en temps apres venant
fut encors plus departis, enssi com vos oreis, car en la fien perdit-ilh son
nom et anychelat tout, tant de parties en fut faite. |
[De Boident, le premier comte de
Tongres] C’est
à Boident que son père donna le pouvoir temporel sur Tongres et la
Thuringe. Ainsi donc le duc Henri partagea son domaine en trois parties mais,
par après, le domaine subit encore plus de divisions, comme vous l’entendrez (II, p. 416
et p. 465) ; à
la fin, le duché
d’Ardenne perdit son nom et disparut complètement, tant il fut
partagé. |
[De conte de
Tongre]
Chis
Boident [II, p. 147] fut ly promier
conte de Tongre, car de sa temporaliteit fist-ilh conteit ; si avoit
mervelheusement
grandes rentes, et regnat XXXV ans. |
[Le comte de Tongres] Ce Boident [II, p. 147] fut le premier comte de Tongres car, de ce qui dépendait de son pouvoir temporel, il fit un comté. Il avait des revenus prodigieusement importants. Il régna durant trente-cinq ans (cfr II, p. 149 ; II, p. 160 ; II, p. 167-168.) |
Boident : Personnage légendaire, selon les notes de Bo, II, p. 149, n. 1, et II, p. 167, n. 3. Il en est question à plusieurs reprises dans la Geste de Liège (vers 5877-5999). Voici ce qu'en dit le résumé-index de Bormans : « Fils de Henri, duc d'Ardenne ; il épouse Florence ; roi d'Austrasie, seigneur temporel de Lotharingie, marquis de Hesbaye, premier comte de Tongres (II, p. 146 [G.L. p. 568]) ; il fait hommage de ses terres à Clovis ; roi de Metz et de Lotharingie (II, p. 149) ; il rebâtit Kemexhe, Waremme et d'autres villes de la Hesbaye, détruites par les Huns (II, p. 160 [G.L., p. 569]) ; il réclame la souveraineté temporelle à Maestricht ; tué par son cousin Clotaire (II, p. 167 [G.L., p. 568]). |
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Succession en Hongrie - Francs contre Romains
(Théodose/Clovis/Clotilde/Remi, archevêque
de Reims) (ans 447-448 de l'Incarnation) |
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[II, p. 147] [L’an IIIIc et XLVII
- De roy hongrois]
Item, l'an IIIIc et XLVII,
morut ly roy Aristolt de Hongrie ; si fut apres luy roy Ogiers, son genres,
de quoy j'ay desus fait
mention, et regnat XXXII ans. |
[II, p. 147]
[An 447 - Le roi de Hongrie] En l’an 447, le roi Aristote
de Hongrie mourut. Il fut remplacé par son gendre Ogier, dont j’ai fait mention plus haut. Ogier devint roi et régna
trente-deux ans (cfr II, p. 134-135). |
[Franchois ont
victoir aux Romans]
En cel an vint
l'emperere Theodosius en Franche ; et quant ly roy Cloveis le soit et Elynon
le prevoste, si alarent encontre luy à grant assemblée : si orent batalhe
ensemble, mains les Romans furent desconfis,
et en fut ochis XXXIIm et des Franchois VIm. Adont refuirent les Romans tos
enbahis, et ly roy Cloveis revient à Lutesse en jurant tous ses dieux, s’ilh
vit encors unc an, ilh conquerat sour les Romans plus de terre que sa
royalme ne soit grant, ou ilh morat en la paine, mains que Elynon, son
prevoste, ly welhe aidier, et chis ly otriat. |
[Les Francs
remportent la victoire sur les Romains]
Cette année-là
[447], l’empereur Théodose (cfr II, p. 145] arriva en Francie.
Quand le roi Clovis et le prévôt Élinus l’apprirent, ils marchèrent contre
lui avec une grande armée. Dans la bataille qui les opposa, les Romains
furent vaincus : ils perdirent trente-deux mille d’entre eux et six
mille Francs furent tués. Les Romains
prirent la fuite. Le roi Clovis revint à Lutèce, jurant par tous ses dieux,
que, s’il vivait encore un an, il prendrait aux Romains plus de terres que
son royaume n’en contenait, ou qu’il mourrait à la tâche, à condition
qu’Élinus, son prévôt, veuille bien l’aider, ce que ce dernier accepta. |
[La royne preche à
roy]
Et la royne priioit
tous jours al roy Cloveis que ilh presist baptemme ; mains ly roy n'y voloit
entendre. Et la damme ly disoit et juroit Dieu, se ly roy avoit batalhe et
tout son poioir contre unc seul enfant, et Dieu vousist
l'enfant
aidier, ly enfés destruroit le roy et Cm hommes s'ilh estoient awec luy,
tant de poioir donne Dieu à ses amis. Quant ly roy Cloveis entendit chu, si
faite semblant qu'ilh n'y aconte riens, mains ilh dest coiement, siqu'ilh
cognuit luy-meismes apres chu, s'ilh en avoit necessiteit en batalhe, ilh
l'esproveroit se cheli Dieu, que sa femme croit, ly aideroit et aroit poioir
de ly à conforteir. Et la damme deprioit tous les jours à Dieu que ilh
vosist demonstreir ses myracles à roy Cloveis, porqu'en ilh presiste
baptemme. |
[La reine prêche au roi]
Tous les jours, la reine
priait le roi Clovis de recevoir le baptême, mais le roi ne voulait rien
entendre. La dame lui disait, jurant au nom de son Dieu, que, si le roi, avec
tout le pouvoir qu’il avait, se battait contre un seul enfant, et que Dieu voulait
aider cet enfant, ce dernier détruirait le roi et les cent mille hommes qu’il
aurait avec lui, tant est grand le pouvoir que Dieu donne à ses amis. Quand
le roi Clovis entendit cela, il feignit de n’y attacher aucune importance,
mais se dit en secret, comme il le reconnut lui-même par la suite, que si le besoin s’en faisait sentir dans une bataille,
il vérifierait si ce Dieu en qui croyait sa femme l’aiderait et aurait le
pouvoir de l’appuyer. Chaque jour, la dame priait, demandant à Dieu de se
manifester par des miracles à Clovis, afin qu’il reçoive le baptême. |
[De sains Remy de
Rains]
Item, l'an IIII cent
et XLVIII, fut
sains Remy consacreis
archevesque de Rains, qui fut ly an propre de son eage XXXVIII. |
[Saint
Remi de Reims]
En l’an 448, saint
Remi fut sacré archevêque de
Reims ; il était âgé exactement de trente-huit ans. |
Légende des Sept
Dormants d’Éphèse - leur réveil en 448 de
l'Incarnation |
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[II, p. 147]
[Des VII dormans
mervelheux chose]
En cel an soy envoilerent
les VII dormans qui astoient freres et
qui cent et XCII ans avoient dormit iIIuc en une crotte de unc mostier en la
citeit de Ephese, assavoir deispuis le temps Decius l'emperere de Romme, qui
fist martyrisier tant de cristiens. Sy fuirent ches VII freres en cheli
cripte, et soy misent en orison, si endormirent, et gisoient là par la
volenteit de Dieu c'onques ne furent aparchus de nulluy ; et, quant ilhs
furent envoiliiés, se ne quidarent avoir dormit que une seule nuit, et furent
en grant esmay com de promier que, s'ilh
issoient fours de leur cripte, que ilhs ne fussent ochis. Atant commencharent
à escuteir s'ilh oroient les cris des cristiens que ons ochioit, se ne [II, p. 148] porent riens oiir. Puis
soy partit ly uns d'eaux des aultres, en alant vers la citeit por veioir la
manere ; mains de chu oit mult grant mervelhe qu'ilh veit le signe de la
crois sour les portes de la citeit ; et veit les belles englieses et la
cIergerie parmy, et oit les les gens publement parleir de Dieu, et veit des
beais hosteais qui n'y astoient mie quant ilh entrat en la cripte ; se
quidat que chu fussent chouses de fantassie, car la citeit astoit mult
changié en une seul nuit qu'ilh avoit dormit. |
[II, p. 147] [Les sept dormants, un fait merveilleux] Cette année-là [448], les sept dormants se réveillèrent. C’étaient des frères qui avaient dormi durant 192 ans dans la grotte d’un monastère de la ville d’Éphèse, depuis l’époque de Dèce, l’empereur romain [de 249 à 251] qui fit martyriser tant de chrétiens. Ces sept frères s’étaient réfugiés dans cette crypte, s’étaient mis à faire des oraisons et s’étaient endormis. Ils étaient restés là, par la volonté de Dieu, sans jamais être vus par personne. Quand ils furent réveillés, ils crurent n’avoir dormi qu’une seule nuit et furent très inquiets, pensant d’abord que s’ils sortaient de leur crypte, ils seraient mis à mort. Ils se mirent alors à écouter pour voir s’ils entendraient les cris des chrétiens en train d’être massacrés, mais ils ne [II, p. 148] purent rien entendre. Puis, l’un d’eux se sépara des autres et alla voir dans la ville comment cela se passait. Il fut très émerveillé quand il vit le signe de la croix sur les portes de la cité, les belles églises avec leurs clercs et les gens qui parlaient ouvertement de Dieu ; et aussi quand il vit les beaux hôtels qui n’existaient pas au moment où il était entré dans la crypte. Il crut qu’il s’agissait de rêves fantaisistes, car la ville avait fort changé, pendant la seule nuit où il avait dormi. |
Apres ilh vient al maison son peire, se le
trovat d'aultre fachon, de quen ilh oit grant mervelhe ; et puis demandat où
son peire astoit, se le nomat par son nom, mains cascon ly disoit que teis
hons qu'ilh nomoit ne demoroit pointe en la citeit. Atant s'en vient à unc
marchant qui vendoit à mangier, sy en achatat et prist son argent en sa burse, se ly
donnat ; mains chis ly
dest qu'ilh ne savoit queile monoie chu astoit, ne ilh n'avoit point de
cours dedens la citeit ne le paiis. Atant fut porteit aux canges, et les
cangeurs dessent que chu astoit de la monoie Decius l'emperere de Romme ; et
dest que ch'astoit vors, car Decius astoit her soir sires de celle citeit.
Atant at ly cangeur regardeit celle homme, se ly demandat se ilh avoit veyut
l'emperere Decius. Et chis respondit : « Oilh, je le veis hier al matinée,
quant ilh faisoit les cristiens ochire ; si m'enfuis en la cripte de mostier
awec mes VI freres, et avons là dormit ceste nuit, et al matin je me soy
desperteit, si suy venus par la citeit, s'y true-je les chouses contraires
et depuis toutes remueez. » |
Ensuite il se rendit à la maison de son père, qu’il trouva transformée, ce qui l’étonna beaucoup. Il demanda alors où était son père, dont il donna le nom, mais chaque personne interrogée répondait que l’homme en question n’habitait pas dans la cité. Puis il se rendit dans un magasin d’alimentation, fit un achat, prit de l’argent dans sa bourse et le donna au marchand ; mais celui-ci dit qu’il ne connaissait pas cette monnaie, qu’elle n’avait cours ni dans la ville ni dans le pays. Les changeurs, chez qui on porta l’argent, dirent qu’il s’agissait de la monnaie de l’empereur de Rome, Dèce. Le Dormant approuva, car la veille au soir Dèce était le seigneur de la cité. Alors le changeur le regarda et lui demanda s’il avait vu l’empereur Dèce. Il répondit : « Oui, je l’ai vu hier matin, quand il faisait mettre à mort les chrétiens ; et je me suis réfugié avec mes six frères dans la crypte du monastère, où nous avons dormi cette nuit ; le matin, je me suis réveillé et je suis venu dans la ville, où je trouve les choses différentes et toutes transformées. » |
Quant les gens oiirent chu, se l'enmynont devant l'emperere Theodosius, qui fut troveis adont en palais de la citeit de Romme, qui ly demandat dont ilh astoit. Et ilh ly espondit : « Del citeit de Ephese, » et nomat son peire et ses ancesseur ; mains ilh ne trovat onques nuls qui parleir en sawist. |
Quand les gens entendirent cela, ils
l’emmenèrent devant l’empereur Théodose, qui se trouvait dans son palais de
Rome. L’empereur lui demanda d’où il était. Il lui répondit : « De la ville
d’Éphèse, » et il donna le nom de son père et de ses ancêtres ; mais il ne
trouva jamais personne qui pût lui en parler. |
Atant mandat l'emperere les VI aultres freres, qui racomptarent à l'emperere chu meismes que ly altre disoit, et comment ilh leur astoit avenus. De quoy les gens orent grant mervelhe. Puis se trespassarent de chi siecle droit à thier jour apres ; si furent ensevelis à grant joie, en la cripte del engliese en laqueile ilh avoient dormit. |
Alors l’empereur fit venir les six autres frères, qui lui racontèrent la même chose que ce qu’il disait, et comment cela leur était arrivé. Les gens en furent très étonnés. Puis trois jours tard, les sept frères trépassèrent, quittant ce siècle ; ils furent ensevelis, dans la joie, dans la crypte de l’église dans laquelle ils avaient dormi. |
S elon Wikipédia, passim, « les Sept Dormants d'Éphèse est un récit miraculeux chrétien mettant en scène des jeunes gens chrétiens fuyant une persécution religieuse. Ils se seraient endormis dans une caverne pendant une très longue durée. Selon certains chercheurs, une sourate coranique reprend et adapte ce récit au contexte arabo-musulman. Son origine est un sermon d’Étienne, évêque d’Éphèse, prononcé, en grec, à l’occasion de la redécouverte vers 448 de corps bien conservés dans une caverne, à proximité de la ville. Selon l'islamologue Geneviève Gobillot, supposant un événement miraculeux et afin de critiquer une hérésie, l’évêque compose alors un récit, sans fondement historique, défendant une orthodoxie sur la question de la résurrection. La version la plus ancienne de ce récit date du 1er quart du VIe siècle et est conservée [en syriaque] dans les homélies de Jacques de Saroug, évêque de Batnæ en Syrie. Le récit est repris en latin notamment par Grégoire de Tours (De gloria martyrum, éd. B. Krusch, M.G.H., S.R.M., t. 1, p. 848-853) et Jacques de Voragine dans la Légende dorée (Les Sept Dormants, ch. 97, p. 543-547 [texte] et p. 1307-1308 [notes] ». On ajoutera que Martin d'Opava, Chronique, p. 454, éd. Weiland, raconte aussi la légende. |
|
C. Ans 449-452 de l'Incarnation
NOMBREUSES CONQUÊTES DE CLOVIS - HONGROIS ET DANOIS
Plan du texte * Le pape Léon et le Concile de Chalcédoine - Prodiges - Sainte Geneviève de Lutèce (452)
Les conquêtes de Clovis : Il enlève Orléans aux Romains - Il impose à ses cousins (Boident et ses frères Clovis et Thierry), d’être leur seigneur pour Tongres, la Lorraine et la Thuringe, promettant de les protéger contre l'empereur romain - Il conquiert la Hollande, la Zélande, la Frise et beaucoup d’autres régions (ans 449ss de l'Incarnation) |
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[II, p. 148]
Item, l'an IIIIc et XLIX, assemblat ly roy Cloveis ses oust,
par le consentement de prevoste Elynus, et entrat en la terre de l'empire de
Romme qui jondoit à son paiis, et le conquiste toute, assavoir Orlien et le [II, p. 149] paiis altour ; et
dest que jadit avoit esteit à ses ancesseurs, mains les Romans l'avoient
pilhiet contre rason. |
[II, p. 148] En l’an 449, le roi Clovis rassembla ses armées avec
l’accord du prévôt Élinus, pénétra dans la partie de l’empire romain qui
jouxtait son pays et qu’il conquit entièrement, à savoir Orléans et le [II, p. 149] pays
environnant. Il dit que ce territoire avait appartenu à ses ancêtres, et
que les Romains l’avaient pillé sans raison. |
[De Boident qui astoit dus de
Loheraine, et conte de Tongre, et marchis de Hesbay]
Apres s'en alat en la terre
de Thoringe, que ons nomme maintenant Loheraine, dont ilh astoit sires
Boident, le fis de son soreur et de duc Henri de Ardenne, et
astoit conte de Tongre. Cheli
Boident astoit dus de Thoringe et conte de Tongre, et marchis de Hesbay que
ons nomoit adont Haribain, sique ly roy Cloveis et Boident astoient de frere
et de soreur. |
[Boident était duc de Lorraine, comte de Tongres et marquis de Hesbaye] Ensuite, Clovis partit pour la Thuringe, appelée maintenant Lorraine. Le seigneur en était Boident (cfr II, p. 146-147), fils de la sœur de Clovis et du duc Henri d’Ardenne, et comte de Tongres. Ce Boident était duc de Thuringe, comte de Tongres et marquis de Hesbaye, nommée alors Haribain (cfr II, p. 160 ; et aussi II, p. 167). Ainsi le roi Clovis et Boident (descendaient) d'un frère et d'une sœur (?). |
Se
le mandat et ilh vient, se ly dest : « Beais cusins, vos teneis del
empire de Romme le ducheit de Thoringe, le conteit de Tongre, et asteis
marchis de Haribain, si vos requier vos et tous vos freres, mes cusins,
Cloveis mon filhoul qui tient Behangne en Ardenne, et Thiris qui est
principaile de toute Ardenne, qui chi asteis tous trois presens, vos dis que
vos teneis mal vos terres, car vos les deveis tenir de moy ; si welhiés
tenir et releveir de moy, et moy recognoistre vostre saingnour par
debonnaireteit et je vos tenseray bien encontre l'emperere et tous cheaux
qui vos voront greveir ; et, se nom, je vos deffie tous trois, et vos
destruray toutes vos terres ; mains je vos ay mandeit portant que vos
asteis mes cusins. » |
Clovis convoqua Boident et lui dit : « Beau
cousin, vous tenez de l’empire romain le duché de Thuringe, le comté de
Tongres et vous êtes marquis de Hesbaye. Aussi je vous requiers, vous et vos
frères, mes cousins, Clovis mon filleul, qui détient Rochefort
(II, p. 146) en Ardenne, et Thierry, le seigneur
le plus important de toute l’Ardenne, vous trois, qui êtes
ici présents, je vous dis que vous tenez irrégulièrement vos terres, car c’est de moi que vous devez les tenir.
Mais si vous voulez les tenir de moi, relever de moi et me reconnaître de votre plein gré comme votre seigneur, je vous
protégerai contre l’empereur et tous ceux qui voudront vous nuire ;
sinon, je vous défie tous les trois et je dévasterai toutes vos terres. Si je
vous ai fait venir, c’est parce que vous êtes mes cousins. » |
[Les III freres fisent à roy Clovis
homage de leurs paiis d’Ardenne, Tongre et Hesbay] Quant les trois freres entendirent
le roy, si ont pris conselhe et ont parleit ensemble ; et Thiris, qui fut
anneis at dit : « Vos, mes freres, monsaingnour le roy ne
nos wet de riens assiervir, car ilh ne
demande altre chouse que nos fachons homaige à luy ; c'este toudis unc
saingnour, ilh n'y at altre chouse que del otriier sa volenteit del toute. »
Et enssi le respondirent al roy, qui en fist grant fieste. |
[Les trois frères firent au roi
Clovis hommage de leurs pays d’Ardenne, de Tongres et de Hesbaye]
Quand les trois frères
entendirent le roi, ils délibérèrent et se concertèrent. Thierry, l’aîné
dit : « Vous, mes frères, monseigneur le roi ne veut pas nous
asservir, car il ne demande rien d’autre que notre hommage ; il est toujours un seigneur
et il n’y a rien d’autre à
faire que d’agir entièrement selon sa volonté. ». C’est ce qu’ils
répondirent au roi, qui en fut grandement satisfait. |
[Coment Austrie et Germaine furent
appelées Mes et Thoringe]
Adont
li fisent homaige, et ilh fist Boident roy de Mes et de Thoringe, le siege
estesant à Mes, qui devant apelloit-ons roy d'Austrie ou de Germaine. |
[L’Austrasie et la Germanie furent
appelées Metz et Thuringe]
Alors ils firent hommage à Clovis. Boident, précédemment appelé roi d’Austrasie
ou de Germanie, fut nommé par Clovis roi de Metz et de Thuringe, son siège
étant à Metz |
[Cloveis conquist Holande, Zelande,
Frise, Strasborc, Beawier, les Danois et pluseurs altres paiis]
Adont s'en alat Cloveis en
paiis del royalme de Frise, si
conquist Holande, Zelande, Friselande et
toutes les vilhes del royalme de Frise ; et d'altre costeit jusqu'à
Strasborch et jusqu'à Franquevort et Norebech et Bealwir et Dannemarche tous se sont rendus à ly, par
douchour ou par batalhe, esqueiles ilh avoit toudis victoir et ne fut onques
desconfis une seul fois ; si astoit fortune por ly. |
[Clovis conquit la Hollande, la Zélande,
la Frise, Strasbourg, la Bavière, les Danois et plusieurs autres pays]
Puis Clovis partit pour le
royaume de Frise, où il conquit la
Hollande, la Zélande et toutes les villes du royaume. De l’autre côté, il
alla jusqu’à Strasbourg, Francfort, Nuremberg, la Bavière et le Danemark.
Tous se soumirent à lui, à l’amiable ou après des batailles dont il sortait
toujours vainqueur. Il ne fut pas vaincu une seule fois, car la fortune lui
était favorable. |
Cinq frères évêques, dont saint Remi - Suite des conquêtes de Clovis : il conquiert la Bretagne et la Normandie grâce à son prévôt Élinus (an 455) |
|
[II,
p. 149] [L’an IIIIc et
LV - De sains Denis, et sains Germain et pluseurs altres] Et puis revint al VIe année,
l'an IIIIc et LV. A cel temps astoient en grant auctoriteit en France sains
Remy, archevesque de Rains ; sains Principes [II, p. 150] son frere,
evesque de Soison ; sains Vays,
evesque de Aras, leur frere ; sains Fulgesis, leur frere, evesque de Naples,
et sains Germain, evesque de Caples, tous freres. Sour l'an IIIIc et LV,
morut sains Germain, evesque de Achoir, qui fut mult proidhons.
|
[II,
p. 149] [An 455 - Saint
Denis, saint Germain et plusieurs autres] On en vient
maintenant six ans plus tard, en l’an 455. À cette époque, cinq frères
jouissaient d’une grande autorité. Il y en avait trois en pays franc : saint
Remi, archevêque de Reims, saint Principe [II, p. 150], évêque de Soissons, et saint Vaast, évêque d’Arras, tandis que les deux autres étaient
saint Fulgence, évêque de Naples, et saint Germain, évêque de Capoue. En
l’an 455 mourut l’évêque d’Auxerre, saint Germain, qui fut un très grand
sage. |
Sigebert de Gembl oux, dans sa Chronique (ann. 486, p. 312, éd. Bethmann), n’assigne que saint Principe comme frère à saint Remi (note de Bo ad locum) |
|
En
cel an meismes revient ly prevoste de Franche, Elynon, de Allemangne. Si
lassat là Cloveis conquerant, et revint en Franche por gardeir le paiis.
|
Cette même année [455], le prévôt
franc,
Élinus, revint d’Allemagne. Il y laissa Clovis qui menait là ses conquêtes et rentra
chez lui pour gérer le pays. |
[Les Franchois ont conquis les
Bretons et y ont mys I senescal, et apres Normendie] Si at troveit que les Bretons de la
Petite-Bretangne se rebelloient, si entrat en leur terre à grant gens et oit
batalhe à eaux, mains ilh les desconfist et
conquist leur paiis ; et les
mist en la subjection des Franchois, et y mist unc senescauz lieutenant del
roy. Apres conquist ly prevoste toute la terre de Normendie, anchois que ilh
retournast, et y mist unc lieutenant depart le
roy. |
[Les Francs ont conquis la Bretagne
et y ont installé un sénéchal. Puis, ils ont conquis la Normandie] Ayant découvert que les Bretons
de Petite-Bretagne s’étaient rebellés, Élinus entra dans leurs terres avec de
nombreuses troupes et leur livra bataille. Il les battit, s’empara
de leur pays, le mit sous la sujétion des Francs et y installa un sénéchal, représentant
le roi. Après cela, le prévôt conquit toute la terre de Normandie, puis, avant
de retourner dans son pays, y installa un lieutenant du roi. |
Marcien cinquantième empereur de Rome - Les Romains
battus en Hongrie par les Hongrois du roi Ogier - Hongrois
et Danois décident de s'allier à Clovis pour envahir Rome |
|
[II, p. 150] [Martin, ly Le emperere de Romme] Item, l'an IIIIc et LI en
novembre morut à Romme l'emperere Theodosius. Si fut apres coroneis
emperere de Romme Le, ly dus
d'Athennes qui oit nom Martin, lyqueis fut esluis depart les chevaliers et
coroneis par forche ; si regnat VI ans et viente jours. |
[II, p. 150] [Marcien, cinquantième empereur de
Rome] En novembre de l’an 451, l’empereur Théodose II mourut à Rome. Après
lui, le duc d’Athènes, nommé
Marcien, fut
choisi comme cinquantième empereur de Rome. Il fut élu par les chevaliers et
son couronnement fut imposé par la force ; il régna six ans
et vingt jours. |
[Batalhe entre Hongrois et Romans,
qui furent desconfis]
En cel an, ly emperere Martin assemblat les Romans por aleir encontre Cloveis
en Germaine. Si montat
sour
mere et nagat tant, que la mere le jettat en paiis de Hongrie ; si oiit dire
là que Ogier, ly roy de Hongrie, astoit rebelles aux Romans. Adont l'empere
commenchat à ardre et destruire le paiis ; mains quant ly roy Ogiers le
soit, si corut sus les Romans à XXm hommes contre XXVIm Romans, et durat la
batalhe del matinée jusqu'à la nuit,
qui
les covient departir par forche. Et lendemain, assavoir l'an IIIIc et LII le
IXe jour de jule, recommencharent leur batalhe ; mains les Romans furent
laidement desconfis, si s'enfuirent. En ceste batalhe furent ochis IIIm
Hongrois et VIIm Romans, et le jour devant furent ochis XIIIIc Hongrois et
IIIIm Romans ; entre les Romans en y oit XLIII qui astoient fendus jusqu'en
la poitrine, et cheaux avoit ochis Ogier ly roy hongrois, car teils cops
savoit-ilh ferir : ilh fut mult poissans et hardis chevalier. Et les Romans
s'enfuirent vers Romme. |
[Bataille entre Hongrois et Romains,
qui furent vaincus]
Cette année-là [451], l’empereur Marcien rassembla les Romains pour
marcher
contre Clovis en Germanie. Il prit la mer et finit par échouer en Hongrie, où
il apprit qu’Ogier, le roi du pays, était en rebellion contre les
Romains. L’empereur commença à incendier et à détruire le pays, mais quand le roi Ogier le sut, avec vingt
mille hommes il attaqua vingt-six mille Romains. La bataille dura du matin
jusqu’à la nuit, qui força les adversaires à se séparer. Le combat reprit le lendemain, le 9
juillet 452 : les Romains furent vilainement défaits
et prirent la fuite. Ce jour-là, trois mille Hongrois et sept mille Romains
furent tués ; le jour précédent, quatorze cents Hongrois et quatre mille
Romains avaient péri. Parmi eux, quarante-trois furent fendus jusqu’à la
poitrine, tués par Ogier le roi hongrois, qui était en effet capable d’asséner
pareils coups. C'était un chevalier très puissant et hardi. Les Romains
s’enfuirent vers Rome. |
Sur cet Ogier, neveu de Julien de Danemark, devenu roi de Hongrie, cfr II, p. 135ss. |
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Adont
ly roy Ogiers mandat à roy Julin, son oncle, le faite teile
com les Romans ly
avoient fait. Et ly roy Julin ly remandat que ilh fut toudis favorable à roy
Cloveis, car chu astoit ly prinche plus
douls, debonairs, cortois et amyable
que ons poroit troveir, et ne demandoit nule tregut al paiier ; et encor
ly [II, p. 151] mandat que ilh
s'apparelhast luy et ses gens dedens, une an tantost ensiwant, por aleir
destruire les Romans à Romme, car ilh yroit awec luy. |
Alors le roi Ogier fit savoir au roi Julien son oncle comment les Romains
avaient agi avec lui. De son côté, le roi Julien lui répondit qu’il avait
toujours été favorable au roi Clovis, car on ne pouvait trouver prince plus
doux, meilleur, courtois et aimable, et qui en plus n’exigeait aucun tribut. Julien fit encore
[II, p. 151] dire
à Ogier de se préparer, lui
et ses gens, pour partir à Rome l'année suivante y détruire
les Romains, ajoutant qu’il irait avec lui. |
Enssi furent faites les alianches contres les Romans, qui
puis costarent trop, enssi com vous oreis chi apres. |
Ainsi se conclurent les alliances contre les
Romains, qui
plus tard coûtèrent très cher, comme vous l’apprendrez ci-après. |
Le pape Léon et le Concile de
Chalcédoine - Prodiges - Sainte Geneviève de Lutèce (an 452 de l'Incarnation) |
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[II, p. 151]
[Le conciel de Calcidoine]
En cel an assemblat ly pape Lyon unc generale conciel en la citeit de
Calcidoine, en queile ilh furent condampneis pluseurs heresies qui
novellement astoient commenchiés, desqueiles sainte Engliese
astoit
enpechié, entres lesqueiles ilh fut condempneis Etiches abbés de
Constantinoble, et Dyoscorus evesque de Alixandre, qui disoient que la
parolle de Dieu et la chair de Dieu astoit toute natureile chouse. |
[II, p. 151] [Le concile de Chalcédoine] Cette année-là [452], le pape Léon rassembla en la ville de Chalcédoine un concile général, au cours duquel furent condamnées plusieurs hérésies nouvelles qui avaient commencé à se répandre et qui s’opposaient à la sainte Église. Parmi les condamnés, il y avait Eutychès, abbé de Constantinople, et Dioscure, évêque d’Alexandrie, qui soutenaient que la parole de Dieu et la chair de Dieu étaient une chose naturelle. [Cfr II, p. 160-161] |
[Mervelheux signes] En cel an apparurent mult de
diverses signes, car la terre se muet, la lune obscura si qu'ilh fut
eclipsé, ly estoile cavelue
apparut, ly chiel fut roige com sanc
vers les parties d'Aquiloine, et en cel rogure avoit blanches traiches à la
manere de glayves. Et fut chu le jour de !a florie Pasque. |
[Prodiges] Cette année aussi [452] apparurent divers signes en grand nombre : la terre trembla, la lune
s’obscurcit et fut éclipsée, la comète apparut, le ciel prit la
couleur du sang vers le Nord, et, dans le rouge,
on aperçut des traces blanches, comme des épées. C'était le jour de la
Pâque fleurie. |
A cel temps astoit en la citeit de Lutesse une glorieux
virgue, qui
fut nommée Geneviere, qui fut de grant sanctiteit et renommée par tout
Franche. |
À cette époque vivait à Lutèce une
vierge
célèbre, nommée Geneviève, qui était d’une grande sainteté et renommée dans
tout le pays. |
Geneviève : sainte (422-502) : en 451, ses prières auraient détourné de Rome l’armée d’Attila. Jean d'Outremeuse n'en parle qu'ici. |
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D. Ans 453-457 de l'Incarnation
FRANCS, HONGROIS, DANOIS, ESPAGNOLS, ROMAINS, GERMANIE, BOURGOGNE...
Plan du texte
Les Hongrois et les Danois attaquent
l'empire, battent
l'armée romaine devant Pérouse et vont
assiéger Rome - Clovis, qui combat en Germanie,
refuse catégoriquement d'aider l’empereur - Les Espagnols du roi Béodas,
eux, acceptent de venir, mais sont
défaits devant Rome et Béodas est tué -
Le siège de Rome
par les Danois et les Hongrois se prolonge durant trois ans - Clovis rentre
dans son pays après avoir conquis la Germanie jusqu'à Nuremberg (ans 453-455 de
l'Incarnation) |
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[II, p. 151]
[L’an IIIIc et LIII - Les Romans furent desconfis des Hongrois et Danois] Item, l'an IIIIc et LIII en
mois de jule, assemblarent ly roy de Dannemarche Julien et Ogier !e roy de
Hongrie grant gens, et en alerent vers Romme ; si
entrarent en l'empire en destruant
tout. Mains quant l'emperere le soit, si vient contre eaux à grans gens, et
orent batalhe ensemble devant Peruse en Lombardie, en mois de decembre ;
mains les Romans furent desconfis. |
[II, p. 151]
[An 453 - Les Romains furent défaits par les Hongrois et les Danois] En juillet de l’an 453, les
rois Julien de Danemark et Ogier de Hongrie rassemblèrent de grandes forces
et marchèrent vers Rome. Ils pénétrèrent
dans l’empire en semant la
destruction. À cette nouvelle, l’empereur marcha contre eux avec de
nombreuses troupes. Ils se battirent devant Pérouse, en Lombardie, au mois
de décembre ; les Romains furent vaincus. |
[Les dois roys assegont Romme] Adont les dois roys alerent
assegier Romme, et [quant] ly emperere veit chu, se mandat à roy Cloveis,
qui seioit devant Franquevoirt, qu'ilh ly venist aidier encontre les
Hongrois et Dannois. Mains ly roy Cloveis respondit aux messagiers, par
grant yreur, que ilh ne volloit nulle amisteit al emperere ne aux Romans,
car ch'estoient ses anemis, anchois ilh aideroit ses anemis, et se ly
emperere astoit ensereis en Romme,
chu ly plaisoit. Atant soy partirent les messagiers, et revinrent à Romme
l'an IIIIc et LIIII en mois de may ; si racontarent à l'emperere tout chu
qu'ilh avoient troveit à roy Cloveis. |
[Les deux rois assiègent Rome] Alors les deux rois allèrent
assiéger Rome. Quand l’empereur vit cela, il demanda au roi Clovis, qui
faisait le siège de Francfort, de venir l’aider contre les Hongrois et les
Danois. Mais le roi Clovis répondit aux messagers, avec une grande colère,
qu’il ne souhaitait aucun accord avec l’empereur et les Romains, qui étaient
ses ennemis, qu’au contraire il aiderait les ennemis des Romains et que cela
lui faisait plaisir
de
savoir l’empereur enfermé dans Rome. Les messagers
repartirent et rentrèrent à Rome, en mai
de l’an 454. Ils racontèrent à l’empereur tout ce qu’ils avaient appris
concernant le
roi Clovis. |
[Les Danois et Hongrois ont
desconfis les Espangnois devant Romme] Et quant l'emperere entendit chu,
se mandat à roy d'Espangne socour, et chis y vient à grant gens et oit
batalhe aux Danois et Hongrois ; mains ly roy Beodas
et ses Espangnois
furent [II, p. 152] desconfis, et
fut ly roy meismes ochis awec XVIIIm hommes de ses gens, en decembre l'an
deseurdit. |
[Les Danois et les Hongrois défirent
les Espagnols devant Rome]
Quand l’empereur entendit cela, il demanda du secours au roi d’Espagne, qui
vint avec de nombreuses troupes et combattit les Danois et les Hongrois. Mais
le roi Béodas (cfr II, p. 152) et ses Espagnols furent [II,
p. 152] défaits, et le roi lui-même fut tué avec dix-huit mille de ses
hommes, en décembre de cette année-là. |
Item, l'an IIIIc et LV, revint ly roy Cloveis des parties de Germaine : si
avoit conquesteit jusques à Norebech tout le paiis. Et quant ly
emperere Martin veit que nuls n'avoit durée contre ses anemis, si fut
enbahis et dest qu'ilh ne manderoit à nullus sorcour, car plus y venroit
plus y seroit ochis ; mains ilh ratenderoit que ses anemis enriroient de
leur greit, car sa citeit astoit fort et bien garnie. Enssi durat la chose,
et durat depuis le siege trois ans, sens departir les Danois et Hongrois.
Ches Danois lassoient issir fours de la citeit tous cheaux [qui] en voloient
issir, excepteit l'emperere ; mains ilh ne lassoient nullus rentreir dedens
ne riens raporteir. |
En 455, le roi Clovis revint des régions de Germanie, où il avait conquis
tout le pays jusqu’à Nuremberg. Quand l’empereur Marcien vit que personne
n’avait tenu contre ses ennemis, il fut tout étonné. Il dit qu’il ne
demanderait plus l’aide de personne, car plus nombreux ils viendraient, plus
nombreux se compteraient les tués. Il attendrait le départ volontaire de
ses ennemis, car sa ville était fortifiée et
bien fournie
en ressources. La situation se prolongea et le siège dura encore trois ans,
sans que se retirent Danois et Hongrois. Les Danois laissaient sortir de la
cité tous ceux qui le désiraient, sauf l’empereur, mais ne laissaient
personne y rentrer ni rapporter quoi que ce soit à l’intérieur. |
Alaric II, après avoir été couronné roi
d'Espagne et des Goths, part à l'aide de l'empereur romain assiégé dans Rome par
les Danois et les Hongrois -
Combats - Sortie des Romains -
Victoire finale des assiégeants - L'empereur retourne s'enfermer dans Rome
et
Alaric II regagne l'Aquitaine avec ses hommes
(an 455 de l'Incarnation ) |
|
[II, p. 152] [De roy d’Espangne Alarich] Sour l'an deseurdit IIIIc LV, assemblat ly roy Alarich grant gens, et jurat que jamais ne retourneroit si auroit esteit en Espangne et li fait coroneit com roy, puisque son oncle Beodas, frere Clotarde sa mere, astoit mors sens heures, et puis revenroit par Romme et vengeroit la mort son oncle. Atant s’en alat en Espangne, et quant les Espangnois le veirent, se ly fisent fieste et le coronarent. |
[II, p. 152] [Le roi d’Espagne Alaric] En l’an 455 cité ci-dessus, le roi Alaric II rassembla de grandes forces et jura qu'il ne ferait jamais marche arrière avant d’avoir atteint l’Espagne et s’y être fait couronner roi, puisque son oncle Béodas (cfr II, p. 151), frère de sa mère Clotarde (cfr II, p. 180 [femme de Chramnus, enterrée vive par Clotaire]), était mort sans héritier. Il jura aussi qu’il reviendrait à Rome et vengerait la mort de son oncle. Alors il se rendit en Espagne. Et quand les Espagnols le virent, ils lui firent fête et le couronnèrent. |
Clotarde est aussi le nom de l’épouse de Chramne et la mère de Paris (II, p. 179-180). Dans un cas comme dans l’autre, ce sont probablement des noms de personnage inventés. |
|
Adont fut Alarich coroneis roy d'Espangne et de Gothie ; et puis s'en alat
vers Romme à grant gens, et avoit bien LXm hommes. Et
quant ilh veit tant de gens, si fut mult liies et soy mist à la voie, et ne
finat delle chevalchier, se vient devant Romme, à quattres liwes pres des
Danois ; et là fichat-ilh ses treis por ses gens à reposeir. |
Une fois
couronné roi d’Espagne et des Goths, Alaric II partit pour Rome avec de
nombreuses troupes. Il avait bien soixante mille hommes.
Il
fut très content
de voir autant de monde rassemblé et se mit en route, sans cesser de
chevaucher. Il arriva devant Rome, presque à quatre lieues des Danois, et là
il planta ses tentes, pour laisser se reposer ses gens. |
Apres prist Alarich dois messagiers ; sy envoiat l'unc droit à Romme nonchier à l'emperere que ilh issist fours, car ilh le voloit sorcorir ; et l'autre ilh envoiat< aux Danois et Hongrois porter la diffianche, et nomeir jour de faire la batalhe à mardi tantost apres ensiwant, qui astoit ly XIe jour de novembre l'an deseurdit. |
Alaric désigna alors deux messagers ; il en envoya un directement à Rome
pour dire à l’empereur de sortir de la ville, car il voulait le
secourir ; et l’autre, il l’envoya aux Danois et aux Hongrois pour leur
lancer un défi et fixer le jour de la bataille au mardi suivant, qui était
le 11 novembre de l’an 455. |
[Hongrois et Danois desconfirent les
Romans et Espagnois]
Enssi fut-ilh fait, car le mardi vinrent les parties ensemble : là oit
batalhe orrible et pesant, car ilhs furent orgulheux de tout pars. Et oussi
ly emperere issit de Romme à grant gens et corut sus les Danois, si en furent les aqueis mult enfreeis ; mains
nonporquant chu ne leur valut, car les Danois et Hongrois desconfirent les
Espangnois et les Romans, et ly emperere soy rencloiit en Romme, et ly roy
Alarich s'enfuit à grans gens vers Aquitaine. En chesti batalhe furent-ilh
mors XLIIm homme, et de cheaux furent-ilh ochis des Hongrois et des Danois
IXm ; [II, p. 153] tous les
altres furent d'Espangne et d'Aquitaine, ne fallit gaires, car des Romans ne
fut-ilh mie ochis VIm |
[Hongrois et Danois défirent les
Romains et les Espagnols]
Voici comment cela se passa ce jour-là. Les deux parties
se
rencontrèrent
en une
bataille horrible et meurtrière, car on
s'acharna dans les deux camps. L’empereur même sortit de Rome avec de
nombreuses troupes et attaqua les Danois, qui furent
très effrayés ; mais cela ne fut pas un succès pour les Romains, car
Danois et Hongrois l’emportèrent sur eux et sur les Espagnols. L’empereur
retourna s’enfermer dans Rome et le roi Alaric s’enfuit avec beaucoup de ses gens
vers l’Aquitaine. Dans la bataille quarante-deux mille hommes,
dont neuf mille Hongrois et Danois moururent
; [II, p. 153] tous les autres morts venaient d’Espagne et d’Aquitaine, à
peu de choses près, car il n’y eut pas six mille tués parmi les Romains. |
D'Aquitaine, Alaric demande à Gondebaud, roi de Bourgogne, de l'aider contre les Romains - Devant son refus, il pénètre en Bourgogne avec ses Aquitains, bat les Burgondes et tue Gondebaud - Mais le fils de ce dernier, Alardin, contre-attaque et repousse Alaric - Celui-ci va alors conquérir l'Auvergne, y place des hommes à lui, puis rentre en Aquitaine (an de l'Incarnation 456) |
|
[II, p. 153]
[Ly
roy Alarich at desconfis les Borgengnons] Adont mandat ly roy Alarich à roy de
Borgongne Godebuef que ilh le venist aidier à Romme contre ses anemis, mains
ly roy Godebuef le refusat ; si entrat Alarich en son paiis et le destruit grandement. Et quant
le roy Godebuef le soit, se vient contre luy à grant gens, si soy combattit
à luy : là oit fort batalhe et dure, en mois de junne l'an IIIIc et LVI, et
là fut le roy Godebuef ochis et ses gens desconfites. |
[II, p. 153]
[Le
roi Alaric a vaincu les Bourguignons] Alors le roi Alaric fit demander au
roi de Bourgogne Gondebaud de venir l’aider à Rome contre ses ennemis, mais
Gondebaud refusa. Alaric entra alors en
Bourgogne et y sema la destruction. Quand Gondebaud l’apprit, il marcha
contre Alaric avec un grand nombre d’hommes et lui livra combat. Une bataille
importante et dure se déroula en juin 456 : le roi Gondebaud fut tué et ses
gens vaincus. |
Quant ly roy Godebuef fut mors, son fis Alardin, qui estoit bon chevalier, rasemblat ses hommes et vient à l'entrée de son paiis de Borgongne, et corut sus Alarich et ses gens ; et là furent desconfis cheaux d'Aquitaine. |
Après la mort du roi Gondebaud, son fils
Alardin, qui
était un bon chevalier, rassembla ses hommes et vint à la frontière de la
Bourgogne : il attaqua Alaric et ses gens et, là, les Aquitains furent
vaincus. |
Adont s'en alat Alarich droit vers Avergne, à chu de gens qu'ilh avoit, et
le conquestat par forche l'onne vilhe apres l'autre, car cheaux d'Avergne
avoient
entendut que ly roy Godebuef astoit ochis et ses gens mors et desconfites, et
que jamais par ly ilh n'averoient sorcure contre leurs anemis. Et quant ly roy
Alarich oit chu faite, se mist gens depart ly en Avergne et soy retraite en
Aquitaine. |
Alors Alaric partit directement vers l’Auvergne, avec les hommes dont il
disposait. Il prit par la force une ville après l’autre, car les Auvergnats
avaient appris la mort et la défaite du roi Gondebaud et de ses gens, et ils
savaient
qu’ils n’auraient jamais de secours des Burgondes. Et quand le roi Alaric
eut terminé la conquête, il plaça en Auvergne des gens à ses ordres et se
retira en Aquitaine. |
À la différence de Sigismond et de Gudomar III, bien connus comme fils de Gondebaud, Alardin (Arnadin, II, p. 169) ne semble pas être un personnage historique. |
|
Les Francs, soucieux de nouvelles conquêtes, songent à l'Allemagne - Le fils de Gondebaud,
Alardin, vient se plaindre auprès de Clovis du sort que
lui a réservé Alaric - Clovis lui donne en fief le
royaume de Bourgogne, puis il part faire des conquêtes en Allemagne (ans 456-457
de l'Incarnation) |
|
[II, p. 153]
En cel an orent conselhe
ensemble ly roy Cloveis de Franche et Elynus, son prevoste, et les hauls
barons de son
paiis, en queile manere et à
queile costeit ilh poroient conquerre sour leurs anemis. Si trovarent qu'ilh
en yroient en Allemangne ; et adont fut jureit depart eaux d'aleir ès
parties d'Allemangne. |
[II, p. 153]
Cette année-là [456], le roi
des Francs, Clovis, son prévôt Élinus et les hauts barons de son pays se
demandèrent comment et dans quelle direction ils pourraient encore faire des
conquêtes. Ils décidèrent que ce serait en
Allemagne et ils firent serment qu'ils se rendraient dans des régions de
l'Allemagne. |
En chesti an vient Arnadin en Franche, le fis de roy de Borgongne Godebuef,
et soy deplaindit al roy qui avoit son antain à femme, del roy
Alarich qui ly
avoit son pere ochis et ses hommes et son paiis destruit, sens cause altre
que ly roy Godebuef ly avoit refuseit de faire socour à l'emperere de
Romme ; et dest oussi comment ilh avoit le paiis defendut apres la morL son
pere, et comment ly roy Alarich avoit conquesteit tout Avergne et trait à
ly, et mis ses gens dedens por gardeir. |
Cette même année [456], Alardin, le fils du roi Gondebaud de Bourgogne, vint chez les Francs se plaindre du roi Alaric au roi (Clovis), l’époux de sa tante (Clotilde). Alaric, disait-il, avait tué son père et ses hommes ; il avait ravagé son pays, pour la seule raison que Gondebaud avait refusé de secourir l’empereur de Rome ; il dit aussi que lui, Alardin, avait défendu son pays après la mort de son père, et qu’Alaric avait conquis et s’était approprié toute l’Auvergne où il avait installé des gens à lui pour la garder. |
Mult fut ly roy Cloveis dolans quanl ilh entendit ches novelles, et dest
qu'ilh soy repentiroit volentiers de chu qu'ilh avoit jureit d'alleir sour
les Allemans, se ilh poioit ; mains portant que faire ne le poioit
altrement, ly roy Alarich auroit respit
jusques à son
retour, et, quant ilh seroit revenus, ilh ly remeriroit teilement que jamais
n'aroit cure del faire teile outraige. |
Le roi Clovis fut très affecté quand il apprit ces nouvelles. Il dit qu’il
regretterait volontiers d’avoir juré de marcher contre les
Alamans,
mais que, dans l'impossibilité de revenir en arrière, il laisserait le roi
Alaric tranquille jusqu’à son retour. Après cela, il ferait payer
à Alaric sa
conduite à un prix tel que plus jamais celui-ci ne chercherait à l’outrager ainsi. |
[Ly roy Clovis donnat le royalme de
Borgongne à Arnadin]
Adont appellat ly roy Cloveis Arnadin et ly dest : « Amis, portant
que vos asteis cusins sy prochain à mes [II,
p. 154] enfans, et que vos aveis bien defendut vostre paiis de Borgongne
apres
la mort de vostre pere, cuy ly paiis astoit toute sa vie tant
seulement, je vos donne la royalme de Borgongne qui en ma main astoit revenus
par le mort vostre pere ; et vos le tenreis en fies de moy, sy moy
servereis loyalment, sy en vaureis miés. » |
[Le roi Clovis donna le royaume de
Bourgogne à Alardin]
Alors, le roi Clovis convoqua Alardin et lui dit : « Ami, puisque vous êtes
proche
cousin
de mes [II,
p. 154] enfants et que vous avez bien défendu votre pays après la mort de votre père, qui
ne le détenait que sa vie durant, je vous attribue le royaume de Bourgogne, qui m’est revenu, à
la mort de votre père ; vous le tiendrez de moi en fief, si
vous me servez loyalement, ce qui sera à votre avantage. » |
Quant Arnadin entendit chu, se chait le roy as piés et ly vot baisier le
soleir ; mainsly roy le redrechat sus, et puis le coronat com roy. De chu
fut la
royne mult
liie et en remerchiat le roy son marit. |
Quand Alardin entendit cela, il tomba aux
pieds du roi
et voulut baiser sa chaussure, mais le roi le releva et le couronna comme
roi. Cela remplit de joie la reine, qui remercia son mari (suite de l'histoire d'Alardin,
en
II, p. 169). |
Et deveis savoir que ilh fut là declareit que Avergne ne seroit plus de la
royalme de Borgongne, mains, se ly roy Cloveis le poioit reconquesteir
elle seroit
adjond à son royalme de Franche. |
Sachez
aussi qu’à cette occasion, il fut
déclaré que
l’Auvergne ne ferait plus partie du royaume de Bourgogne ; mais que, si le
roi Clovis pouvait la reconquérir, elle rejoindrait le royaume franc. |
[L’an IIIIc et LVII] Item, l'an IIIIc et LVII en
mois de fevrier, commenchat ly roy Cloveis à assembleir ses hommes par tout
son paiis de Franche, de FIandre, de Brabant et del remanant de ses paiis
une partie, et l'autre demorat por gardeir le
paiis. Et en cel an en mois de
may, soy partit ly roy Cloveis de Franche à LXIIm hommes tous à chevailes,
et s'en allat droit en Allemangne por conqueire. |
[An 457] En février 457, le
roi Clovis se mit à rassembler des hommes à travers le pays franc, la Flandre,
le Brabant et ses autres possessions, emmenant
avec lui une partie des troupes et laissant l’autre pour défendre le pays. Et
en mai de cette même année, le roi Clovis quitta son pays, avec soixante-deux mille
hommes, tous à cheval, et partit directement vers l’Allemagne, pour aller en
faire la conquête. |
Les Danois et les Hongrois s'emparent de Rome - Mort de l’empereur Marcien - Couronnement de l'empereur Léon I (an 457 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 154] [Romme fut conquise] En cel an en novembre, fut la citeit de Romme conquise par les Hongrois et Danois ; et, jasoicbe que ilh fussent Sarasiens se ne voirent onques riens forfaire aux englieses, ne à la citeit, ne aux hommes, s'ilh n'astoient nobles ; mains cheaux astoient ochis partout où ilh astoient troveis. Adont fut ly emperere pris en son palais, si fut mis à mort. Et quant chu fut faite, les Hongrois et les Danois en ralont en leurs paiis, sens faire aultre grevanche à Romme ; car ilh disoient que ilh astoient vengiés de cheaux qui les avoient destruit leur paiis de Hongrie, sy com dit est, et portant ne fisent riens à cheaux qui ne les avoient riens forfait. |
[II, p. 154] [Rome fut conquise] Cette même année [457], en novembre, la ville de Rome fut conquise par les Hongrois et les Danois. Bien que païens, les vainqueurs ne voulurent nuire ni aux églises, ni à la cité, ni aux hommes, à moins qu'ils ne fussent nobles. Si c'était le cas, ils étaient tués, partout où on les trouvait. C'est alors que l’empereur (Marcien) fut capturé dans son palais et mis à mort. Cela fait, Hongrois et Danois s’en retournèrent dans leurs pays sans causer d’autre dommage à Rome. Ils disaient s’être vengés de ceux qui avaient saccagé la Hongrie, comme on l'a dit plus haut (cfr II, p. 151). C'est pour cela qu'ils ne firent rien contre ceux qui ne leur avaient fait aucun tort. |
[Lyon le LIIe emperere] Apres chu fut fais et coroneis le LIIe
emperere de Romme Lyon, ly promier de chi nom, qui fut fis de la soreur de
l'emperere Martin, lyqueis regnat XV ans VIII mois et XVIII jours.
|
[Léon, cinquante-deuxième empereur] Ensuite, le cinquante-deuxième empereur de Rome, Léon, le premier de ce nom, fut couronné. Il était fils de la sœur de Marcien. Léon régna quinze ans, huit mois et dix-huit jours.
|
Léon I le Thrace, présenté comme le 52e empereur alors que son prédécesseur Marcien était le 50e selon II, p. 150.. Léon sera empereur d’Orient de 457 à 474. |
|
E. Ans 457-461 de l'Incarnation
LA VICTOIRE DE CLOVIS SUR LES ALAMANS (TOLBIAC) ET SON BAPTÊME
Plan du texte * Les combats, rapportés sur le mode épique, sont extrêmement difficiles - Ils durent toute la journée et les Francs semblent vaincus - Heureusement la nuit arrête les combats - Une partie des forces de Clovis déserte - Au matin, la bataille reprend mais les Francs sont en très mauvaise position (459)
Clovis conquiert les duchés de Bavière et de Souabe - Les ducs demandent des renforts de tous côtés, signalant la dangerosité de Clovis - Les seigneurs ainsi alertés décident de se rassembler en Saxe - Pendant ce temps, Clovis conquiert la Hollande et la Zélande, puis part pour la Saxe, où il trouve réunies des forces venues de diverses régions d'Allemagne et totalisant au moins 200.000 chevaliers - Jean d'Outremeuse donne à toutes ces forces alliées le nom d'Alamans (ans 457-459 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 154]
[Cloveis
conquist mult de paiis] En
cel an en mois de decembre, conquist ly roy Cloveis Beawier et tout la terre
altour qui astoit grant ; et si conquist tout la ducheit de Suaire,
qui astoit unc gran paiis, par forche de batalhe : car ly roy Cloveis
oit pluseurs batalhes à eaux anchois que chu fust conquis. Et deveis savoir
que la ducheit de Suaire fut conquise en mois de marche et d'avrilhe jusques
à le moyne de may l'an IIIIc et LVIII, si avoit [II, p. 155] jà esteit ly roy Cloveis plus de une an.
|
[II, p. 154]
[Clovis
conquit de nombreux pays] Cette
même année [457], en décembre, le roi Clovis conquit la Bavière et tout le
territoire environnant, qui était vaste. Il s’empara aussi
à
force de batailles
de tout le duché de Souabe, qui était un grand pays : Clovis en
effet livra plusieurs batailles pour y parvenir. Sachez que la conquête de ce dernier duché
nécessita le mois de mars, le mois d’avril et la moitié du mois de mai de
l’an 458, si bien que [II, p. 155]
le roi Clovis resta plus d’un an
sur place. |
Adont s'avisarent ly dus de Bealwier et ly dus de Suaire, si envoiarent
leurs messagiers par toute Allemangne et en Pannoyne, en Hongrie, en
Frise, Dannemarche, Saxongne, Ostriche et en pluseurs altres paiis, que cascons
venist à grans gens ou leurs paiis seroient tous destruis, car Cloveis, ly
roy de Franche, regnoit si poissamment que ilh mettoit et voloit mettre en
sa subjection tout Allemangne ; et chu feroit-ilh bien se ons ne le
contrestesoit, car ilh avoit jà conquis Beawier et Suaire, et si estoit
entreis en Holande. |
Alors les ducs de Bavière et de Souabe décidèrent d’envoyer
des
messagers dans toute l’Allemagne, ainsi qu'en Pannonie, en Hongrie, en Frise, au
Danemark, en Saxe, en Autriche et dans plusieurs autres territoires, pour dire
à chaque seigneur de venir avec de nombreuses troupes, sous peine de voir leurs pays
complètement anéantis. Clovis, le roi des Francs, était si puissant
qu’il soumettait et voulait soumettre à sa loi toute l’Allemagne ; et il y
réussirait, si on ne lui résistait pas. Il avait déjà conquis la Bavière
et la Souabe, et avait pénétré en Hollande. |
Quant
tous les haus saingnours entendirent chu, si furent mult enbahis. Adont
assemblat cascons ses gens ; mains, portant que la froidure del yvier
commenchoit à venir en chis paiis qui est frois et bas, sy misent journée droit en Saxongne dedens le mois
de marche qui venoit adont proichannement. Enssi fist cascons sa porveanche. |
Quand
tous les hauts seigneurs entendirent cela, ils furent très inquiets. Chacun
rassembla ses hommes. Toutefois, parce que la rigueur de l’hiver commençait à
se faire sentir dans ce pays, froid et plat, ils fixèrent
la date de leur départ pour la Saxe au cours du mois de mars suivant. Et chacun prit les mesures imposées par les circonstances. |
[De roy Cloveis] Et ly roy Cloveis avoit assegiet la citeit de Geboeme en Hollande, droit en octembre ; mains adont y vient unc si gran plovaige, qui les covient partir por le grant aighe qui venoit en chis paiis ; si soy retrahit plus hault, jusqu'en fevrier tantost apres, assavoir l'an IIIIc et LIX. Adont revient ly rois Cloveis en Hollande, et le conquist en mois de fevrier ; et desconfist par dois fois en batalhe les Holandrois et Zelandrois. |
[Le roi Clovis] Le roi Clovis avait assiégé
la cité de Geboeme (?) en Hollande, précisément en octobre.
Mais à ce moment-là
tombèrent des pluies si abondantes que Clovis dut partir suite aux inondations
dans ce pays. Il se retira plus en hauteur, jusqu’au
mois de février de l’année suivante, c’est-à-dire de l’an 459. |
Apres vient ly roy Cloveis et en allat vers Saxongne, se
vient là en mois de junne ; mains ilh trovat tant de gens awec cheaux de
Saxongne, que ons ne les poioit nombreir ; car ilh y astoient les roys de
Dannemarche, Hongrie, Pannonie, Bulgarie, Boeme, Saxongne, Frise, Ostrich,
Alenie, Senechie et Albanie, awec pluseurs altres paiis, et tant qu'ilh
astoient bien ensemble jusques à IIc milhe hommes à cheval. |
Après cela, il partit pour la Saxe où il arriva en juin. Mais il y trouva les Saxons entourés de gens si nombreux qu’il était impossible de les compter. Il y avait là en effet les rois de Danemark, de Hongrie, de Pannonie, de Bulgarie, de Bohême, de Saxe, de Frise, d’Autriche, d’Alénie [le territoire des Alains], de Sénéchie (cfr I, p. 24 et 25) et d’Albanie, et de beaucoup d’autres pays. Réunis, ils étaient au moins deux cent mille chevaliers. |
Les combats, rapportés sur le mode épique, sont extrêmement difficiles - Ils durent toute la journée et les Francs semblent vaincus - Heureusement le soir arrête les combats - Une partie des forces de Clovis déserte pendant la nuit - Au matin, la bataille reprend mais les Francs sont en très mauvaise position (an 459 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 155] Quant Cloveis veit chu, si fut mult enbahis, car ses anemis avoient toudis IIII hommes contre I Franchois, et encordont ilh ne poioit ne se ne voloit retourneir. Si ordinat ses hommes et les corut sus, et ches soy defendirent asprement. Cesti batalhe durat del matinée jusques al vesprée ; et sachiés que cascon des parties soy maintenoit mult firement, et ly roy Cloveis s'en alloit par les rens et si faisoit teile assault que cascon le fuyoit ; et oussi faisoit ly prevoste Elynon. Et del altre part soy defendoient mult bien Ogier, Julien et tous les aultres. En chesti batalhe justarent dois fois ensemble Cloveis de Franche [II, p. 156] et Ogier ly Hongrois, qui astoit mult bons chevalier, mains ly uns ne pot abatre l'aultre ; et oussi jostat Julin à Cloveis, se ne le pot abattre. |
[II, p. 155] Quand
Clovis vit cela, il fut très inquiet, ses forces étant quatre fois moins
nombreuses que celles de l'adversaire, mais il ne pouvait ni ne voulait reculer. Il rangea ses
hommes en bataille, attaqua les ennemis qui se défendirent âprement. Le combat dura du matin jusqu’au soir.
Sachez que chacune
des deux parties résistait très vaillamment, que le roi Clovis passait dans
les rangs et attaquait avec tellement de force que tous le fuyaient ; le prévôt Élinus faisait
de même. Dans l’autre camp, Ogier, Julien et tous les autres se défendaient
très bien. Au cours de la bataille, Clovis le Franc [II, p. 156] et Ogier le Hongrois, un excellent
chevalier, joutèrent deux fois ensemble, mais aucun d’eux ne put terrasser
l’autre ; Julien aussi jouta avec Clovis, sans pouvoir l’abattre. |
De cesti batalhe avoient et orent toudis les Franchois de peiour, et furent reculeis plus de XIIII boniers tout combattant, et astoient sicom tous desconfis ; et vos dis qu'ilh s'enfuissent tous, se ne fust chu que la nuit obscurat, qui les departit à plus grant honnour que par le fuyr. A la nuit, sonat casconne partie sa retraite, et ficharent les Allemans leurs treis ; mains les Franchois ne voirent onques fichier leurs treis ne tentes, et disoient que à la meynuit s'en yroient. De quoy ly roy mult soy corochat, et leur dest : « Saingnours, vos me voleis deshonereir maintenant ? ons ne parolle partout le monde fours que de moy et des conquestes des Franchois ; se je m'enfuioie, les Allemans venroient en mon paiis et le destruroient ; je ayme miés chi à morir à honneur que veoir teile mechief. » |
Dans cette bataille, les Francs avaient et eurent toujours peur. Ils furent refoulés tout en combattant sur une distance de quatorze boniers et semblaient tout-à-fait vaincus. Je peux vous dire qu’ils se seraient tous enfuis, si l’obscurité de la nuit ne les avait séparés : c'était plus honorable que la fuite. À la tombée de la nuit, chaque partie sonna la retraite. Les Alamans plantèrent leurs tentes mais les Francs ne voulurent jamais installer ni camp ni tentes, disant qu’à minuit, ils s’en iraient. Le roi, saisi d’une grande colère, leur dit : « Seigneurs, vous voulez maintenant me déshonorer ? Partout dans le monde, on ne parle que de moi et des conquêtes des Francs. Si je m’enfuyais, les Alamans envahiraient mon pays et le saccageraient. Je préfère mourir ici honorablement que de voir un tel malheur se produire ». |
[De roy de Franche Cloveis] Adont jurat Cloveis la batalhe
à lendemain contre ses anemis, et qu'ilh les conqueroit ou ilh y
moroit ; mains tout coyement ilh les dobtoit si fort, que ilh vousist,
sicom ilh dest apres, avoir perdut une pungne et ilh ne fust onques entreis
en Allemangne à chesti fois, por qu'en [pour un, corr. Bo] teile deshonneur
qu'ilh attendoit ne li fust avenut. |
[Le roi des Francs Clovis]
Alors le roi Clovis jura de
livrer bataille le lendemain contre ses ennemis, disant qu’il les vaincrait
ou mourrait. Mais au fond de lui-même, il les redoutait si fort qu’il aurait
voulu, comme
il l'a dit lui-même
par après,
avoir perdu une main et n’être jamais venu en Allemagne : il
aurait ainsi évité le grand déshonneur qu’il pressentait. |
Enssi demoront les Franchois jusques à jour, et, quant ly soleal fut leveis,
les Franchois se sont armeis ; et ly roy les regardat, se veit que la motié
de ses gens et plus en astoient fuys par nuyt, et de l'autre motié en avoit
esteit ochis en la batalhe Xm hommes, siqu'ilh n'avoit mie XXm hommes deleis
ly, de quoy ilh fut mult enbahis ;
mains puisqu'ilh avoit jureit la batalhe, se ne le voit-ilh mie refuseir. Si
corut sus les Allemans, dont ilh en estoit bien IIc milhe bien rengiés ; là
commenchat la batalhe, mains les Franchois furent tantost reculeis jusques à
unc boscaige, enqueile ilh se mucharent. |
Les Francs restèrent ainsi jusqu’à l’aube. Au lever du soleil, ils s’armèrent. Clovis alors les regarda. Il vit que plus de la moitié de ses hommes avaient pris la fuite pendant la nuit, et que, de l’autre moitié, dix mille avaient péri au combat, si bien qu’il n’avait même plus vingt mille hommes avec lui. Cela l’inquiétait beaucoup mais, puisqu'il avait juré de combattre, il ne voulut pas se dérober. Il attaqua donc les Alamans, qui étaient bien deux cent mille, parfaitement rangés. Alors la bataille commença, mais aussitôt les Francs furent refoulés et se mirent à l’abri dans un petit bois. |
C'est alors qu'à l'instigation du prévôt Élinus, Clovis promet de se faire baptiser au Dieu de Clotilde - Un ange apporte au roi un écu aux trois fleurs de lys et un oriflamme - À la vue de ces objets, c’est la débandade générale des ennemis de Clovis (an 459 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 156] Adont vient Elymon, ly prevoste, al roy et ly dest : « Sires, je ne say que nos ferons, nos serons tous ochis, et si ne fust ly boscaige, nos fusimes ochis : sovengne-vos de Dieu as Borgengnons, aux Romans et aux Bretons, en cuy la royne Clolilde croit, qui est poissans sour tous, et je ay teile fianche en ly qu'ilh vos aiderat. » |
[II, p. 156]
Alors le prévôt Élinus vint trouver le roi et lui dit : « Sire, je ne sais
que faire, nous serons tous massacrés et,
d’ailleurs,
sans ce bois, nous aurions déjà été tués.
Pensez au Dieu des Bourguignons, des Romains et des
Bretons, celui en qui croit la reine Clotilde et qui est tout puissant. J’ai
pleine confiance qu’il vous aidera » |
[Ly roy de Franche vowat de prendre
baptemme s’ilh avoit victoire] Adont dest ly roy, en jondant ses mains vers le
ciel : « Se cheli Dieu, de cuy vos parleis et en cuy ma femme
croit, me vet aidier [II, p. 157]
contre mes anemis et jetteir à honneur et
avoir victoire de cheste batalhe, je croray en ly et seray son chevalier tout
mon vivant, et chu je ly creant al manere des cristiens. » Enssi dest et
creantat li roy Cloveis à Dieu, sa main tendue vers le ciel, car ch'astoit
enssi la manere des cristiens et encor est, qui promettoient leur foid vers
le ciel ; et les Sarasiens tochent leur main à leur dent. |
[Le roi des Francs fit vœu de recevoir le baptême s’il remportait la victoire] Alors le roi, joignant les mains vers le ciel, dit : « Si ce Dieu dont vous parlez et en qui mon épouse croit, veut m’aider [II, p. 157] contre mes ennemis, me rendre mon honneur et me donner la victoire en cette bataille, je croirai en lui et je serai son servant ma vie durant. Je le lui promets, à la manière des chrétiens ». Ainsi parla le roi Clovis et il fit sa promesse, main tendue vers le ciel, comme le faisaient et le font encore les chrétiens, qui engagent leur foi vers le ciel ; les païens, eux, mettent la main à leur dents. |
[L’angle aportat à roy les III
floirs de lis et l’oliflan]
Tout oussitost que la bonne parolle fut Cloveis de la boche, ly vient uns
angle desquendant de ciel, qui ly ostat de son coul l’escut qu'il portoit,
où ilh avoit portraitiet le ymaige Apollin qui astoit d'oir sour unc escut
de synable, et ly pendit il son coul unc novel escut qui fut d'asure à III
flour de lis d'oir ; mains apres le portarent les roys semée de fleur de lis
sens nombre unc long temps, puis apres le reprisent à III fleur de lis à porteir com devant.
Apres ly donnat l'oriflambe, et le mettit en le main del prevost Elynon,
puis soy partit ly angle. |
[L’ange apporta au roi les trois fleurs de lys et l’oriflamme] Dès que la bonne parole
sortit de la bouche de Clovis, un ange descendit du ciel vers lui, ôta de
son cou l’écu où était représenté Apollon, en
or sur écu de sinaple, et y suspendit à la place un nouvel écu d’azur orné
de trois fleurs de lys d’or. Dans la suite cependant, les rois portèrent
longtemps l’écu semé d’innombrables fleurs de lys, avant de reprendre celui
orné de trois fleurs de lys, comme avant. Puis l’ange donna l’oriflamme à
Clovis, qui le mit dans la main du prévôt Élinus, et il disparut. |
Adont escriat Cloveis ses hommes, en disant à hault vois :
« Avant, barons, corons sus nos anemis, car la victoire est cel journée à
nos. » |
Alors le roi Clovis appela ses hommes à grands cris et leur dit d’une voix forte : « En avant, barons, courons sus à nos ennemis ; aujourd’hui la victoire est à nous ». |
[Ly roy franchois at victoir contre ses anemis] Atant rengat ses gens et corut sus ses anemis ; là demonstrat Dieu myracle, car oussitost que les Allemans veirent l’oriflambe et l'escut, se ne soy porent defendre ne aidier, ains les ochioient les Franchois enssi com biestes ; et soy misent tous al fuir de paour. Et là fut pris ly roy Ogier de Hongrie et ly roy Julin de Dannemarche, son oncle, et ly roy Hirtans de Saxongne, ly roy Ebron de Pannoine, ly roy Gertains de Bulgarie, ly roy Ector de Brandeborch et XIc chevaliers, et si en fut bien mors IIIIxx milhes hommes ; et ly remanans s'enfuit, car ilh astoient en teile paour, qu'ilh leur semblait que tous les hommes de monde fussent awec les Franchois. Enssi fut faite cel desconfiture par le volenteit de Dieu, l'an IIIIc LlX en mois de junne. |
[Le roi franc remporta la victoire contre ses ennemis] Alors il rangea ses hommes et courut sus à ses ennemis. Et là, Dieu se manifesta par un miracle ; car, dès que les Alamans virent l’oriflamme et l’écu, ils ne purent ni se défendre ni se porter secours, tandis que les Francs les abattaient comme des bêtes. Effrayés, tous les ennemis se mirent alors à fuir. Le roi Ogier de Hongrie, le roi Julien de Danemark, son oncle, le roi Hirtans de Saxe, le roi Hébron de Pannonie, le roi Gontran de Bulgarie, le roi Hector de Brandebourg et onze cents chevaliers furent faits prisonniers. Au moins quatre-vingt-mille hommes périrent. Les autres s’enfuirent, tellement effrayés qu’ils croyaient que tous les hommes du monde entier étaient avec les Francs. Ainsi cette défaite voulue par Dieu, se passa en juin de l’an 459. |
Leurs chefs, faits prisonniers, ne sont libérés qu'après avoir consenti à remettre leurs terres à Clovis et à les tenir désormais de lui - Clovis rentre victorieux dans son palais de Lutèce le 11 mai 460 - Avec cette dernière victoire, il avait ajouté à ses terres huit royaumes et trois duchés - Remarques finales sur les mobiles de Clovis (an 459 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 157]
[Ly roy conquist VIII royalme à unc
seul jour] Apres
la batalhe entrant les Franchois dedens les tentes des Allemans, et là se
sont repoiseis XII jours. Puis oit ly roy conselhe que ilh feroit de ses
prisonniers ; mains les alcuns conselhont qu'ilh fussent tous ochis, et
alcuns qu'ilh fussent escorchiés tous viefs ; mains finablement adont
fut-ilh accordeis que, se cascuns volait mettre sa terre en la subjection des
Franchois et tenir del roy franchois, qu'il devoit bien estre quitte. Et
enssi fut-ilh faite, car tous les prinches prisonniers relevarent leur terres
de roy Cloveis et les misent en sa possession, et ly [II, p. 158] promisent del servir loialment ; enssi fut
faite ly accordanche entre eaux. Si ralat cascon en son paiis liies et
joians, et ly roy Cloveis revient à Lutesse sa citeit, si rentrat en son
palais le XIe jour de may l'an IIIIc et LX ; si fut mult fiestoiet de sa
femme et de ses hommes. |
[II, p. 157]
[Le roi conquit huit royaumes en un
seul jour] Après
cette bataille, les Francs entrèrent dans les tentes des Alamans, où ils se
reposèrent durant douze jours. Puis le roi tint conseil sur ce qu’il ferait
des prisonniers. Les uns suggérèrent de les tuer tous, d’autres de les
écorcher vifs ; en fin de compte, on
s’accorda sur le fait que les prisonniers qui consentiraient à soumettre leur
pays aux Francs et à le tenir de leur roi, devraient être libérés. Ainsi
fut-il fait : tous les princes prisonniers tinrent désormais leur terre
du roi Clovis et la mirent en sa possession, en [II, p. 158] promettant de le servir loyalement. Tel fut l’accord
conclu entre eux. Chacun retourna dans son pays heureux et satisfait. Clovis
revint dans sa ville de Lutèce et rentra dans son palais le 11 mai de l’an
460. Il y fut très grandement fêté par son épouse et ses gens. |
Enssi par teile manere conquist à une seul journée et à une seul victoire, ly roy Cloveis VIII royalmes et III ducheit, lesqueiles ilh adjondit à son paiis ; mains apres sa mort n'en goirent mie longement les Franchois. Et deveis savoir que, des roys et des saingnours qui furent ochis en ladit batalhe, ne conquist ly roy nulle de leurs paiis, car ilh le covenist passeir mere ; et oussi ilh n'astoit mie alleis en Allemangne por Hongrie, Dannemarche ne les aultres à conquerre, fours que chu qui movoit del empire de Romme ; mains portant qu'ilh le vinrent sus corir, ilh les prist par forche et les mist en sa subjection. |
C’est
ainsi que le roi Clovis conquit en une seule journée et en une
seule victoire huit royaumes et trois duchés, qu’il adjoignit à son
pays. Mais, après sa mort, les Francs n’en eurent pas longtemps la
jouissance. Vous devez savoir que le roi Clovis ne conquit aucun des pays des
rois et des seigneurs tués dans la bataille, car il
aurait dû traverser la mer (?). Vous devez savoir aussi que Clovis n’était pas allé en Allemagne
pour conquérir la Hongrie, le Danemark et les autres pays, mais seulement ceux qui
dépendaient de l’empire de Rome ; cependant parce que [les rois de ces
pays] étaient venus l’attaquer, il s'en était emparé par la force et
se les étaient soumis. |
Le baptême de Clovis à Reims :
Clotilde apprend la conversion du roi et remercie Dieu - Elle explique à son
époux ce à quoi il s’engage - Clovis est alors baptisé à Reims
par saint Remi - Une colombe apporte le saint chrême oublié - Clovis ne
change pas de nom (an 460 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 158]
Trois jours apres, avient que
ly prevoste Elynon revelat à la royne comment ly roy avoit voweit en grant
necessiteit, que il croiroit en Dieu en cuy elle creioit, s’ilh avoit
victoire, et Dieu ly demonstrat grant myracle, car ilh ly envoiat par l'angle l'escut d'asure
à flours de lis d'oir et l'oriflambe que nos avons raporteis. Et quant la
damme l'entendit, el regratiat Dieu. |
[II, p. 158] Trois jours plus tard, le prévôt Élinus révéla à la reine que le roi, en situation très difficile, avait fait le vœu de croire dans le Dieu en qui elle croyait, s’il avait la victoire, et que Dieu avait réalisé un grand miracle, en lui envoyant par l’ange l’écu d’azur aux fleurs de lys d’or et l’oriflamme dont nous avons parlé. En apprenant cela, la dame rendit grâces à Dieu. |
[La royne prechat le roy] Droit à la vesprée, le XIIIIe jour de may, quant la damme et ly roy furent cuchiés, si dest la damme à roy : « Sires, vos saveis que ly vraie roy de paradis, qui ciel et terre et tot chu qu'il at dedens fist et fourmat, qui s'aombrat es flans de la virge Marie, et si en nasquit, lée demorant virge, qui rechuit mort en la crois par les Juys por nos à rachateir de la mort d'ynfeir, où Adam nostre promiere pere nos avoit mis, en cuy je croie et croray, qui vos at aidiet par sa divine poissanche contre vos anemis, et plus avant qu'ilh ne fuist requis ne proiet depart vos, quant ilh vos envoiat par son angle l'escut et l'oriflambe par lequeile tous vos annemis sont conquis, par le myracle et nient mie par vostre poissanche ; si est bien raison que ly vraie Dieu soit par vous paiiés, et li soit acomplis tout chu que par vos ly aveis promis et voweit par vostre foid, al manere com les cristiens vowent, de prendre baptemme et croire en ly fermement. » |
[La reine fit un sermon au roi] Le soir même, le 18 mai, quand ils furent couchés, la dame dit au roi : « Sire, vous savez que le vrai roi du paradis, qui fit et forma le ciel et la terre et tout ce qui s’y trouve, qui se cacha dans les flancs de la vierge Marie, laquelle le mit au monde en demeurant vierge ; celui qui mourut crucifié par les Juifs pour nous racheter de la mort de l’enfer, où notre premier père Adam nous avait placés, ce Dieu en qui je crois et croirai, qui vous a aidé de sa puissance divine contre vos ennemis, et bien avant que vous ne l’ayez requis et demandé, quand il vous envoya par son ange l’écu et l’oriflamme grâce auxquels vous avez conquis tous vos ennemis, par un miracle et non par votre puissance. Ce vrai Dieu, il est donc juste que vous le payiez et que vous accomplissiez tout ce que vous lui avez promis en faisant, à la manière des vœux des chrétiens, le vœu inspiré par votre foi de recevoir le baptême et de croire fermement en lui ». |
[Comment ly promirs roy franchois
fut baptisiés à Rains par sains Remy] Atant respondit ly roy :
« Madamme, ne vos dobteis mie, car vraiement je suy vraie cristien, et
le seray et le vuelhe estre [à] jamais ; ilh ne moy faulte que baptemme,
laqueile je prenderay temprement, s'ilh plaist au doul Jhesu-Crist, qui tant
at fait por moy, lequeile je doy mult ameir et [II, p. 159] servir, et je le vuelhe faire et estre à tousjours
mais son chevalier. Et si vos dis que je vuelhe estre baptisiet par le main
l’archevesque Remy de Rains, qui est unc proidhons ; et portant
que ly sains proidhons fait le serviche de Dieu, je ne le manderay mie que
ilh vengne vers moy, anchois yray vers ly à Rains. » |
[Comment le premier roi franc fut baptisé à Reims
par saint Remi] Alors le roi répondit : « Madame, n’en
doutez pas, je suis réellement un vrai chrétien, je le serai et veux
l’être à jamais. Il ne me manque que le baptême, que je recevrai bientôt,
s’il plaît au doux Jésus-Christ, qui a tant fait pour moi, lui que je dois
beaucoup aimer et [II, p. 159] servir.
C’est ce que je veux faire, en étant à tout jamais son chevalier. Et je vous
dis aussi que je veux être baptisé de la main de l’archevêque Remi de Reims,
un grand sage. Et parce que cet homme assure le service de Dieu, je ne lui
demanderai pas de venir vers moi, mais c’est moi qui irai vers lui à
Reims ». |
Adont montat ly roy Cloveis à cheval et awec luy mult de gens, et s'en alat
droit au Rens, où ilh trovat sains Remy, qui fut mult liies de chu qu'ilh
voloit prendre baptemme. Se fist unc fons apparelhier et le consecrat, puis
fist devestir le roy tou nus et le fist
entreir en la cuve, se le baptisat ; mains quant ilh le duit enoindre, si
regardat et quist son sacre, se ne le pot troveir, de quoy ly alcuns vuelent
dire que ilh l'avoit obliet al venir, et les altres dient que ly dyable ly
avoit embleit, portant que ilh astoit dolans que tant de bien avenoit ; et
totvoie ly sacre ne fut mie troveis, si en fut sains Remy en grant esmay.
|
Alors le roi Clovis prit sa monture et, accompagné d’une importante escorte,
il se rendit directement à Reims, où il trouva saint Remi qui fut très
heureux de la volonté du roi de recevoir le baptême. Il fit donc préparer
des fonts baptismaux qu’il bénit. Ensuite il fit se dénuder le roi, le fit entrer dans
la cuve et le baptisa. Mais quand il dut l’oindre, il regarda autour de lui
et chercha le saint chrême, sans pouvoir le trouver, ce qui fit dire à
certains qu’il avait oublié de le prendre pour venir et à d’autres que le
diable, souffrant de voir tant de bonnes choses se réaliser, l’avait enlevé. En
tout cas, on ne trouva pas le saint chrême, et saint Remi en fut très
troublé. |
[Coment unc colon aportat le sainte oyle] Mains Dieu y demonstrat myracle, car unc colon tout blan descendit de ciel, qui tenoit en son beche unc petit vasselet de voile, qui tout plains astoit de sacre, et vient defour le cuve et le presentat à sains Remy, qui tantost soy jettat en genos et le prist en grant devotion. Et puis enondit le roy Cloveis, en disant que ilh astoit amis à Dieu. Enssi fut ly roy Cloveis baptisiés ; mains onques por chu ne ly fut son nom changiés. |
[Une colombe apporta l’huile sainte] Mais Dieu fit un miracle, car une colombe blanche descendit du ciel, en tenant dans son bec une petite fiole de verre, toute remplie de saint chrême. Elle vint près de la cuve, présentant la fiole à saint Remi, qui aussitôt tomba à genoux et la prit avec dévotion. Ensuite il en oignit le roi Clovis en disant qu’il était ami de Dieu. Ainsi fut baptisé le roi Clovis. Son nom toutefois ne fut pas changé. |
Conséquences et suite du baptême de Clovis : les rois francs seront désormais sacrés à Reims, décision que confirme le pape Léon Ier - Clovis est bien accepté par l’empereur romain d’Orient - On célèbre à Lutèce ses nouvelles noces - Clovis se montre généreux envers l'église de Reims (ans 460-461 de l'Incarnation) |
|
[II, p. 159] [Coment les roys de Franche doient estre sacreis à Rens] Apres fut baptisiés ly prevoste Elynon awec IIc chevaliers, et IIIc nobles, et IIIIm hommes, et XIIIIm femmes et jovenes enfans. Et ordinat là ly roy Cloveis que tous les roys de France et les roynes fussent, dedont en avant, sacreis à Rains depart l'archevesque de Rains, et envoiat chu à pape Lyon confirmeir à Romme, qui mult volentier le confirmat. |
[II, p. 159] [Les rois francs doivent être sacrés à Reims] Après Clovis, le prévôt Élinus, deux cents chevaliers, trois cents nobles, quatre mille hommes, quatorze mille femmes et jeunes enfants furent baptisés. Et là, le roi Clovis ordonna que tous les rois et reines de Francie seraient dorénavant sacrés par l’archevêque de Reims. Il envoya cette ordonnance à Rome au pape Léon qui la confirma très volontiers. |
Adont fut racompteit à l'emperere Lyon que ly roy Cloveis de Franche astoit
devenus cristiens, et ly fut racompteit la cause porquoy et sa conqueste
tout entirement ; de quoy ly emperere soy mervelhat mult, et dest que ly roy
Cloveis astoit la fleur de cristiniteit, puisqu'ilh astoit baptiziet, et
quant ilh astoit paiiens ilh astoit la flour de tous les
paiiens, et donques por cesti rason ilh astoit al temps d'ors la flour de
tout le monde ; si auroit tres-volentirs son amisteit, et s'ilh poioit ilh
l'auroit. |
Il fut alors rapporté à l’empereur Léon (d'Orient) que Clovis, le roi des Francs, était devenu chrétien. On lui en dit pourquoi et on lui raconta aussi toutes ses conquêtes. L’empereur s’en émerveilla beaucoup et déclara que le roi Clovis était la fleur de la chrétienté, puisqu’il était baptisé ; qu’il était la fleur de tous les païens, quand il était païen, et que donc, pour cette raison, il était désormais la fleur du monde entier ; aussi l’empereur serait très désireux de gagner son amitié, et s’il le pouvait, il l’obtiendrait. |
Et quant ly roy Cloveis fut baptiziés, ilh tient à Lutesse une grant fieste, et fist là ses noiches de sa novelle loy, auxqueiles ilh oit grant sollempniteit et grant melodies. |
Après son baptême, le roi Clovis tint à Lutèce une grande fête, et y célébra ses noces selon sa nouvelle loi, avec grande solennité et beaucoup de mélodies. |
Item,
l'an IIIIc et LXI, donnat ly roy [II, p. 160] Cloveis à l'engliese de
Rains mult de biens heretaible, et awec IIIc donirs d'oir. |
En
outre, en l’an 461, le roi Clovis légua [II, p. 160] à l’Église
de Reims de nombreux biens héréditaires, ainsi que trois cents deniers d’or. |
[Texte précédent II, p. 121-138] [Notes de lecture] [Texte suivant II, p. 160-181]