Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 193b-203a
Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)
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LA GRANDE-BRETAGNE ET SES ROIS (2ème partie)
De la période romaine à l'an 1440
Texte et traduction
Introduction générale (cfr fichier précédent)
Transition (cfr fichier précédent)
A. Les origines lointaines de la Grande-Bretagne jusqu'à Brutus qui en devient le premier roi (cfr fichier précédent)
B. Les successeurs légendaires de Brutus jusqu'à l'arrivée des Romains (de Locrinus, le 2e roi, à Lud, le 52e) (cfr fichier précédent)
C. La période romaine et la christianisation (de Cassibellan, 53e roi, à Gratien, le 74e)
a. Brève introduction historique sur la période anglo-saxonne
b. L'invasion par les Angles - Constantin II (75e roi) - Constant (le 76e) - Vortegirn/Vortigern (le 77e) - Aurèle (le 78e)
d. Arthur (80e roi), les chevaliers de la Table Ronde et Constantin III (81e roi)
e. Les successeurs de Constantin III (81e roi) jusqu'à Guillaume le Conquérant (101e roi)
E. De Guillaume le Conquérant (101e roi) au roi Henri qui régnait en 1440 (117e roi)
C. La période romaine et la christianisation (de Cassibellan, 53e roi, à Gratien, le 74e)
Faut-il dire qu'une très grande partie des noms des premiers rois de la liste de Geoffroy sont légendaires ? Les choses toutefois vont changer quelque peu avec la période romaine et un point d'histoire sur les relations entre le monde romain et la Bretagne de l'époque ne sera pas inutile.
Depuis longtemps, les peuples du sud-est des îles britanniques avaient des contacts culturels et commerciaux avec ceux de la Gaule. Après 120 a.C., les contacts commerciaux s’intensifièrent. La Bretagne commença à recevoir des marchandises, comme des amphores de vin, et les monnaies gauloises y furent introduites. D’étroits contacts politiques et commerciaux entre la Bretagne et le Nord de la Gaule fournirent à César le prétexte de ses expéditions de 55 et de 54 a.C. (B.G., V, 8-22). Elles ne se terminèrent pas par une conquête, bien que, d'après ce que César lui-même écrit dans ses Commentaires, il ait imposé un tribut au roi breton du moment à qui César donne le nom de Cassivellaunos. Ce personnage apparaît chez César comme le chef d’une coalition qui s'oppose par la force à la seconde attaque romaine et finit par capituler en 54 av. J.-C. D'après le Commentaire, César « ordonne la livraison d'otages et fixe le tribut que la Bretagne devra payer chaque année au peuple romain ».
Ce personnage correspond au Cassibellan de Jean, 53e roi breton. Avec lui, on n'est donc pas dans la pure fiction. Au départ de l'évolution en tout cas, car ce roi historique deviendra très vite un personnage littéraire de la « matière de Bretagne » auquel Geoffroy consacrera plus de dix pages (§ 54 à 64) dans la traduction de L. Mathey. Si l'historicité du personnage en soi est assurée, elle n'implique évidemment pas celle de tous les détails du récit romancé que Geoffroy imagine à son sujet et dans lequel Jean a largement sabré pour le réduire aux quelques lignes qu'on lit dans le Myreur. Une démonstration détaillée de l'évolution du récit de César à la notice squelettique de Jean en passant par le large exposé de Geoffroy n'a pas sa place ici. Ce qu'on doit retenir, c'est le type de travail auquel se livre la plupart du temps le chroniqueur liégeois dans sa présentation de la liste des rois. Jean, qui adore tellement développer, amplifier, mettre en scène, va, devoir réduire ‒ parfois à l'extrême ‒ les nombreux récits qu'il trouve dans sa source, que ces récits aient ou non un fond historique.
Mais revenons au sujet. Qu'en est-il de la conquête de la Bretagne ? Les deux expéditions de César ne peuvent pas être considérées comme une conquête. L'armée romaine n'est pas restée en Bretagne et le tribut ne fut probablement jamais payé. Auguste et Caligula semblent bien avoir envisagé une conquête, mais celle-ci ne fut vraiment entamée qu'en 43 p.C.n., sous Claude, quelque 90 ans donc après les expéditions de César. Une armée de 4 légions, avec des auxilia, envahit rapidement le territoire des Catuvellani dont elle s’empare à la bataille décisive de Camulodunum (Colchester). Après cette victoire, l’armée romaine progresse vers l’Ouest et le Nord au point qu’en 60 p.C., à l’époque de la révolte de Boudicca, reine des Iceni, les plaines au sud de la Trent et une grande partie du pays de Galles étaient passées sous contrôle romain. La romanisation était en route ; des villes étaient déjà bien établies à Londinium (Londres), Verulamium (St Albans) et Colchester. Après l'écrasement de la révolte de Boudicca, l’expansion territoriale se ralentit pendant une dizaine d’années. Elle ne reprendra vraiment que sous les Flaviens.
Claude est mentionné assez longuement (M § 65-69) chez Geoffroy dans un récit qui, d'une part, n'a que des rapports très lointains avec la réalité historique, relativement bien connue (p. ex. R. Dudley, G. Webster, The Roman Conquest of Britain A.D. 43-57, Londres, 1965) et qui, d'autre part, se retrouve, mais fort résumé et fort transformé, dans la notice consacrée par Jean au 57e roi. Chez Geoffroy, le roi en contact avec les forces romaines s'appelle Arvirargus ; chez Jean, c'est Armiragon. Ce personnage a un frère qui s'appelle Guider chez Geoffroy et Hastinus chez Jean.
S'il n'y avait que des différences dans les noms, on pourrait les mettre sur le compte de simples variations orthographiques. Mais il y a bien davantage. Avant même d'entrer dans le détail des règnes, jetons rapidement un oeil sur les successions royales des rois bretons au début de la période romaine, chez Geoffroy et chez Jean. Le simple énoncé des noms retenus suffira pour faire sentir leurs différences. Chez Geoffroy, on trouve Cassibellan - Tenuantius - Kimbelin - Guider - Arvirargus - Marius - Coilus - Lucius ; chez Jean, Cassibellan - Tenuantius - Kimbelin - Wandalus - Amiragon - Moradob, devenu Lucius après son baptême.
Plus grave encore, les contenus ne correspondent pas. Bornons-nous à quelques exemples : il n'est pas question chez Geoffroy, comme chez Jean, d'une ville construite en l'honneur du frère du roi breton ; Vespasien, qui joue un grand rôle dans le récit de Geoffroy, n'apparaît pas chez Jean ; Jean place à la tête de l'expédition romaine un chevalier de Claude nommé Caudas, tandis que, pour Geoffroy, Claude arrive en personne en Bretagne, avec le chef de sa milice, Lelius Hamo. À titre indicatif, signalons que, dans la réalité historique, le commandant romain de l'armée romaine qui planifie et dirige la conquête du sud de l'île était Aulus Plautius et que Claude ne fit en Bretagne qu'un bref séjour une fois les opérations terminées.
Il y a aussi l'étrange épisode romanesque, qui n'est présent que chez Geoffroy, dans lequel Claude donne sa fille en mariage à Arvirargus lorsqu'il accepte de se soumettre à Rome. Cette fille, toujours selon Geoffroy (M § 68), se nommait Genvissa, et son mari était tellement épris d'elle qu'il avait suggéré à Claude de faire construire, à l'endroit de ses noces, une ville qui s'appellera Gloucester. À titre indicatif toujours, signalons que, dans la réalité historique, Claude a eu plusieurs filles de différents mariages, mais qu'aucune n'est connue pour avoir épousé un roi breton. Que d'inventions de la part de Geoffroy (ou sa source) ! Pour sa part, dans sa notice sur le 57e roi, Jean n'a pas intégré cet épisode.
Le motif du mariage de la fille de Claude et celui de la fondation d'une ville, Jean les a utilisés par contre dans la notice qu'il consacre à son 58e roi, lequel, pour le chroniqueur liégeois, est fils et successeur d'Armiragon et dont le nom breton, toujours selon Jean, était Moradob. Ce roi est intéressant, car il deviendra chrétien et recevra à son baptême le nom de Lucius.
Attardons-nous un instant sur ce dernier roi, le fils d'Amiragon pour Jean. C'est donc le roi breton qui avait épousé la fille de l’empereur Claude et fondé en Grande-Bretagne une cité appelée Gloucester, du nom de sa femme, Glaucestre selon Jean. Le chroniqueur signale lui-même qu'il avait déjà présenté le personnage en I, p. 462-463 (en fait sous le nom de Morodab, question de graphie encore sans doute). C'était d'ailleurs dans un éclairage différent, en rapport avec saint Luc qui évangélisait la région. Jean, qui tient explicitement à reprendre l'histoire de ce roi, donne alors un nouveau récit ‒ un peu différent de celui du tome premier ‒ de sa conversion et de son baptême. Le lecteur pourra les comparer.
On pourrait allonger le commentaire consacré à cette notice en signalant que Bède (en I, 4) présente de la conversion de ce roi breton une autre version que Jean d'Outremeuse. Elle correspond globalement à celle de Geoffroy (M § 72) selon laquelle le roi Lucius aurait écrit une lettre au pape Éleuthère, lui exprimant son souhait de devenir chrétien, souhait auquel le pape aurait répondu très positivement. Sur ce point, Geoffroy s'est certainement inspiré de Bède, directement ou indirectement, mais sa version est bien plus détaillée que celle de Bède qui était très simple et très brève : « La pieuse requête du roi fut acceptée, et la foi qu'ils reçurent, les Bretons la conservèrent intacte et entière, dans la paix et la tranquillité, jusqu'à l'époque de l'empereur Dioclétien ». En tout cas, le récit que fait Jean de la conversion du roi breton est tout à fait différent.
Un détail curieux : la mention qui termine le récit de la conversion du roi Lucius et de la reine, selon laquelle la coutume voulait que les rois et les reines de l'époque portent deux noms, en l'occurrence Moradob Torillus et Glaucestre Conatens. Geoffroy ne dit rien de tel.
Terminons par un détail, emprunté à une note de Borgnet et concernant la fille de Claude qui aurait épousé un des rois bretons : Glaucestre, épouse de Moradob pour Jean : Genvissa, épouse de Lucius pour Geoffroy (M § 68-69 ). « Peut-être, écrit l'éditeur, faut-il y voir Pomponia Graecina, la femme d'Aulus Plautius, le lieutenant de Claude. Cette dame, qu'un passage de Tacite paraît désigner comme chrétienne (superstitionis externe rea, Annales, XIII, 32), passe pour avoir propagé le doctrine nouvelle dans la Grande-Bretagne ». Dans Myreur, I, p. 462-463, il est dit que « cette reine, qui s'appelait Gazonas, reçut après son baptême celui de Marie. Ce fut la première Marie de la loi chrétienne ». On s'arrêtera là.
On voit la complexité que représenterait une analyse approfondie de ces notices sur les rois bretons de la période romaine. Dans le cadre de notre présentation/traduction du texte, pareille analyse ne peut pas être envisagée.
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En ce qui concerne les successeurs de Lucius, Jean fait état d'un Goceaux (II, p. 194), son fils censé régner 40 ans. Ce faisant, il s'écarte clairement de Geoffroy, lequel précise (M § 73) que Lucius était mort sans postérité et qu'« à sa mort, la division s'empara des Bretons tandis que l'autorité romaine s'affaiblissait », situation, continue-t-il, qui amena « les sénateurs romains à déléguer l'un des leurs, Sévère, ainsi que deux légions. ». Geoffroy, toujours lui, donne alors quelques détails sur cet empereur : notamment la construction d'un mur traversant l'île « d'une mer à l'autre » et des opérations militaires au cours desquelles Sévère aurait trouvé la mort. Il aurait été enterré dans la ville d'York (M § 74).
Ainsi donc, lorsqu'il évoque la situation de la Bretagne, Geoffroy passe directement de l'époque de Lucius, dont il fait, rappelons-le, un beau-fils de Claude (empereur romain de 41 à 54), à celle de Sévère ‒ qui est évidemment Septime Sévère ‒ empereur romain de 193 à 211 de notre ère, qui a comme adversaire un certain Sulgénius. Pas un mot sur les 150 années intermédiaires, particulièrement sur les Flaviens et la série des gouverneurs romains qui complétèrent la conquête du pays de Galles et avancèrent vers l’Écosse, l'un d'entre eux Cn. Iulius Agricola (c. 77/78-83/84) pénétrant même profondément dans ce pays. Bien sûr, tout ne se passa pas toujours à l'avantage des Romains, qui durent finalement adopter des positions défensives (le mur d'Hadrien, le mur d'Antonin). On assistera encore à des avancées romaines significatives mais l'Écosse ne sera jamais incorporée dans l'Empire avec succès.
Quoi qu'il en soit, Geoffroy ne se fait pas une idée historiquement correcte de Septime Sévère, il en donne ici un souvenir défiguré. Ce n'est pas cet empereur qui est responsable de l'érection d'un limes frontière, il n'a fait que sécuriser le mur d'Hadrien. Il est effectivement parti à la fin de son règne combattre les Calédoniens qui multipliaient les attaques contre les Romains. Toutefois il n'est pas mort au combat, mais ‒ à York effectivement ‒ « des suites des fatigues occassionnées par cette [...] campagne et de la goutte probablement » (Zosso-Zingg, Les empereurs romains, p. 125).
D'après l'index de L. Mathey (p. 334), « Geoffroy met en scène Sévère en s'inspirant du récit de Bède (Historia ecclesiastica, I, 5 ». Jean, pour sa part, n'a rien conservé de la vision de Geoffroy. Il reprend simplement, en le résumant, le récit qu'il a donné plus haut (cfr fin de Myreur I, p. 566-579 passim et début de Myreur II, p. 1-4 passim) dans sa présentation de l'histoire romaine. Dans ce long récit, nous avions vu une sorte de geste que nous avons appelée la Geste de Valentin, de Thomas et de Clodas, avec des personnages comme Édéa, fille du roi Simon, Valentin, Thomas, Clodas et d'autres encore. Cette geste était précisément liée à Septime Sévère.
Le rapport existant indiscutablement entre les deux passages devrait être approfondi, mais cette geste en tout cas ne vient pas de Geoffroy. Il s'agit probablement d'une création de Jean d'Outremeuse, qu'il avait développée plus haut dans sa vision de l'histoire de Rome et qu'il se borne à évoquer ici dans sa vision de l'histoire de Bretagne.
Le fait est que Jean, après avoir résumé la Geste dont nous parlons et qu'il a développée ailleurs, ramène dans le récit un sénateur, nommé Sévère, qui régna dix ans. Ce ne peut être évidemment que le Sévère de Geoffroy, avatar tronqué du Septime Sévère de l'histoire.
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Reste la question du fils de ce dernier. Jean note : « Après lui, son fils Bassien fut roi durant huit ans, et mourut dans une bataille contre les Écossais ». Comme le note L. Mathey dans son index (p. 309), « Geoffroy en fait [de Bassianus], après Gildas et Bède, l'un des fils de l'empereur Sévère ». Il s'agit, historiquement, de l'empereur romain Bassianus Antoninus Caracalla, fils de Septime Sévère qui lui succède sur le trône de 198 à 217. À titre indicatif, précisons que Caracalla n'est pas mort en Bretagne, dans une bataille contre les Écossais, mais assassiné en Orient, par un officier de sa garde, alors qu'il se rendait d'Édesse vers l'empire parthe pour y faire la guerre. En réalité, le récit de Geoffroy (§ 75-77), qui utilise celui de Bède (I, 6), est très différent de celui de Jean. Il fait également intervenir Géta, le frère de Caracalla, et des personnages comme Carausius et Allectus à qui sont confiés des rôles relativement importants.
Asclépiodote par contre est présent chez Jean et chez Geoffroy, mais leurs histoires ne se ressemblent pas beaucoup. On sera par ailleurs quelque peu surpris d'apprendre l'origine de ce nom. Ce roi breton (selon Geoffroy et Jean), tué (selon Jean) dans un combat contre les Romains ou (selon Geoffroy) par Coel, duc de Colchester, qui voulait prendre sa place sur le trône, portait en réalité le nom d'un personnage historique romain : Julius Asclepiodotus, un officier supérieur de Constance Chlore (note de Borgnet, II, p. 196) qui contribua à rétablir l'autorité de Rome en Bretagne, en 296. Bède (I, 6) le cite dans cette fonction. Ses successeurs se seront emparés du nom pour en faire un roi légendaire !
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Pour ne pas prolonger exagérément l'analyse, nous ne ferons que parcourir chez Jean quelques autres notices. On voit passer rapidement Constance I, dit Constance Chlore (qui joua un rôle historique en Bretagne), son épouse Hélène, puis Constantin I. On réalise combien le point de vue du rédacteur est britannique : Constance Chlore n'est pas l'empereur romain d'Occident mais un simple roi breton ; quant à la carrière de Constantin, il est d'abord un roi de Bretagne, puis, à Rome, un consul, ensuite un auguste souverain, et enfin un empereur romain. On sera aussi surpris d'apprendre qu'Hélène est une bretonne de souche, la fille de Coel Hem, comte de Colchester, puis roi de Bretagne. Soit dit en passant, nous avons rencontré plus haut le motif inverse : une fille de Claude épousant un roi barbare !
Les dernières notices sont très difficiles à interpréter. Qui peut se cacher derrière le roi Henri, oncle de Constantin et premier du nom ? Et derrière son successeur Henri II ? Les Henris sont courants sur le trône en Angleterre, mais ils n'apparaissent que beaucoup plus tard, après Guillaume le Conquérant (cfr Henri I Beauclerc, en 1100-1135). Geoffroy ne dit rien d'eux ; il s'intéresse pourtant à la parenté d'Hélène puisqu'il donne à cette dernière (§ 79) trois oncles, dont Constantin, dit-il, fit des sénateurs : Joelinus, Trahern et Marius. « Maximian, note Borgnet (II, p. 195), indique sans doute l'usurpateur Maxime, meurtrier de l'empereur Gratien ». Geoffroy a fait à ces deux personnages une large place dans son oeuvre (M § 81-88). Mais qui est ce Trajan ? Et l'Otton de Jean ? Le récit de Geoffroy les ignore, ainsi que le Canonel du même Jean. On a l'impression que, dans cette partie du récit, Jean d'Outremeuse a abandonné Geoffroy, qu'il suit une autre source, ou qu'il fait cavalier seul. Nous n'irons pas plus loin dans notre enquête.
En notant toutefois que nous avons beaucoup avancé dans le temps, que nous sommes au Bas-Empire, une époque où, malgré certaines difficultés institutionnelles (usurpateurs) ou militaires (attaques concertées de barbares venant du Nord), « la Bretagne jouit d’une paix relative comparée aux autres provinces » (Oxford Classical Dictionary, 1966, s.v° Britain). Mais au début du Vème siècle, les choses changèrent et les menaces militaires extérieures devinrent beaucoup plus dangereuses. À ce moment, la garnison romaine de Bretagne fort dégarnie ne put plus y faire face et Rome, menacée elle-même, ne put plus envoyer d’aide. Les Romains abandonnèrent alors le pays ; ils laissèrent bien aux Bretons « en exemple des instructeurs d'armes » comme dira Geoffroy (M § 91), mais cela ne suffit pas pour protéger la Bretagne. Celle-ci tomba alors petit à petit aux mains des enhahisseurs et une nouvelle période s'ouvrit : la période anglo-saxonne.
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Nous ne voudrions toutefois pas abandonner la période romaine sans dire un mot de la christianisation. Jean, suivant Geoffroy, avait abordé le sujet en parlant du roi Moradog/Lucius, 58e roi de Bretagne (selon lui) et premier roi chrétien. Dans la suite, le chroniqueur liégeois n'avait plus abordé la question. Il aurait pu le faire dans sa notice consacrée à Asclépiodote, qui était son 66e roi breton, s'il avait davantage suivi le récit de Geoffroy (§ 77). Celui-ci avait raconté que c'était sous le règne de ce roi que « l'empereur Dioclétien avait dirigé la persécution qui fit presque disparaître de l'île le christianisme, demeuré intact et sans atteinte depuis le temps du roi Lucius. Maximien Hercule, chef de la milice du tyran Dioclétien, arriva en Bretagne. Sur ses ordres, toutes les églises furent renversées et toutes les Saintes Écritures qu'on put trouver, brûlées sur les places publiques ; l'élite des prêtres, avec les fidèles placés sous leur direction, fut massacrée, etc. »
[II, p. 193b] [Cassibellans, le LIIIe] Apres regnat Cassibellans, le frere Ludal, qui regnat XX ans. A temps de cheli roy, regnoit l'emperere de Romme Julius-Cesar et Virgile, li gran philosophe. Et vient Julius-Cesar en Brutangne, et les mist en la subjection des Romans, por milh libres d'argent que les Brutons durent paiier cascon an aux Romans par tregut ; mains Julius y fut desconfis II fois, et à la tirche furent les Bretons desconfis, et par l'ayde de Androges, le fis de frere Cassibelans qui aidat contre son oncle Julius-Cesar ; car son oncle l'avoit banit de sa terre, por unc sien aultre neveur qu'ilh ly avoit ochis. |
[II, p. 193b] [Cassibellan, 53e] Après, le frère de Lud, Cassibellan, régna vingt ans. A l'époque de ce roi vivaient Jules César, l’empereur de Rome, et Virgile, le grand philosophe. Jules César vint en Bretagne et soumit les Bretons aux Romains, leur imposant chaque année un tribut de mille livres d’argent. Jules fut bien battu à deux reprises, mais les Bretons furent vaincus la troisième fois, parce que Androgeus, le fils du frère (= le neveu) de Cassibellan, avait aidé Jules César contre son oncle. Son oncle en effet l’avait banni de sa terre, à cause d’un autre de ses neveux, qu'Androgeus avait tué. |
[Li LIIIIe roy - Li LVe - Li LVIe] Quant li roy Cassibelans fut mors, si fut roy de Brutangne, le LIIIIe, li frere Androges deseurdit qui oit nom Tenantiens, et regnat XXXII ans. Apres regnat son fis Belin XXIIII ans. Puis regnat Wandalus, le fis Tenantiens XVIII ans. |
[54e roi - 55e - 56e] Quant le roi Cassibellan fut mort, le cinquante-quatrième roi de Bretagne fut le frère d’Androgeus, cité ci-dessus, qui s’appelait Tenuantius. Il régna trente-deux ans. Après, son fils Kimbelin régna vingt-quatre ans. Puis Wandalus, le fils de Tenuantius, régna dix-huit ans. |
A cel temps, assavoir l'an Vm II cens, unc mons del origenation del monde, qui fut l'an del regnation le roy Belin VI ans, s'aumbrit Jhesu-Crist en la Virge Marie al incarnation ; et regnat apres, plusieurs ans, Belin et Wandalus, si com dit est. |
En ce temps-là, c’est-à-dire en l’an 5199 de l’origine du monde, correspondant à l’an 6 du règne du roi Kimbelin, Jésus-Christ s’incarna dans la Vierge Marie lors de l’Incarnation. Plusieurs années après, comme on vient de le dire, régnèrent Kimbelin et Wandalus. |
[Li LVIIe] Et quant Wandalus fut mors, si fut roy son fis Amiragon, et regnat V ans, qui fut sy orgulheux qu'ilh ne vot onques paiier le tregut aux Romans, porquen Claudius Cesar y envoiat unc sien chevalier qui oit nom Caudas qui mult le gueriat et ochist le roy Amiragon en batalhe ; se remist les Brutons en tregut des Romans. Chis roy Amiragon avoit unc frere qui astoit bon cbevalier, si fut ochis en la batalhe awec les Brutons contre les Romans, qui fut nommeis Hastinus, por l'amour de queile li chevalier Caudas fondat une citeit qu'ilh apellat Hascongne, en propre lieu où la batalhe avoit esteit. |
[57e] Après la mort de Wandalus, son fils Amiragon devint roi et régna durant cinq ans ; il était si arrogant qu’il ne voulut jamais payer de tribut aux Romains, raison pour laquelle Claude César envoya un de ses chevaliers dénommé Caudas, qui guerroya beaucoup contre le roi Amiragon et le tua au combat. Les Bretons redevinrent alors tributaires des Romains. Cet Amiragon avait un frère, excellent chevalier, qui mourut dans la bataille entre Bretons et Romains. Il avait pour nom Hastinus. C'est par amour pour lui que le chevalier Caudas fonda une cité qu’il appela Hastogne [Hastings ?], à l’endroit exact où s’était déroulée la bataille. |
[Li VIIIe] Apres Amiragon regnat son fis de sa femme Enea, la filhe le roy d'Ybernie, lyqueis fis fut nommeis Moradob, et regnat L ans : chis fut de roys de Brutangne li LVIIIe et ly promirs qui fut cristiens, voire des roys de Brutangne. Chis roy Moradob fut cristiens. si vos diray comment, jasoiche que je vos en ay faite mention par deseur en chi presens croniques. |
[58e] Après Amiragon régna son fils, né de sa femme Énea, la fille du roi d’Irlande. Ce fils eut pour nom Moradob et son règne dura huit ans ; il fut le cinquante-huitième roi de Bretagne et le premier chrétien, des rois de Bretagne bien sûr. Ce roi Moradob fut chrétien, et je vous dirai comment, bien que j’aie mentionné ce fait plus haut dans cette chronique (cfr I, p. 462-463). |
Promirement ly roy Moradob oit une femme qui fut le filhe l'emperere Claudius Cesar, et fondat en son paiis une citeit qu'ilh apellat Clociestre, apres le nom de sa femme qui avoit nom Clauciestre. Si [II, p. 194] avient que sour l'an del Incarnation Jhesu-Crist LXIIII, qui astoit li VIIIe an del regnation le roy Moradob, que sains Luque li ewangeliste vient en Brutangne et le convertit al prechier. Et ly roy Moradob le fist mettre en prison ; mains la royne Clauciestre où elle chevalchoit chaiit mort subitement, si en fut li roy mult esmaiiés, car ilh amoit sa femme. |
D’abord le roi Moradob, qui avait épousé la fille de l’empereur Claude César, fonda dans son pays une cité qu’il appela Gloucester, d’après le nom de sa femme, nommée Glaucestre. Il se [II, p. 194] fit que, en l’an 64 de l’Incarnation de Jésus-Christ, correspondant à l’an 8 du règne du roi Moradob, saint Luc l’évangéliste arriva en Bretagne et la convertit par ses prêches. Le roi Moradob le fit mettre en prison ; cependant la reine Glaucestre tomba subitement morte en chevauchant, et le roi en fut très affecté car il aimait sa femme. |
[Porquoy ly roy de Brutangne fut baptisiet] Mult fut esmaiés ly roy Moradob por sa femme. Mains sains Luque le resuscitat, sique por chesti rason soy fist baptisier ly roy et sa femme, sicom je ay fait plainnement mention chi deseur. Et fut li roy nommeis Luque, qui devant astoit nommeis Moradob Torillus ; mains Moradob estoit son propre nom et Torillus son sournom. Et la royne oit nom Marie, qui devant estoit nommée Clauciestre Conatens : car ch'astoit adont la manere que roys et roynes astoient nommeis par dois noms. Enssi fut convertie Brutangne à la foid Jhesu-Crist. |
[Pourquoi le roi de Bretagne fut baptisé] Le roi Moradob fut très affecté à cause de sa femme. Mais saint Luc la ressuscita et, pour cette raison, le roi et sa femme se firent baptiser, comme je vous l’ai raconté en détail ci-dessus (cfr I, p. 462-463). Le roi fut désormais appelé Lucius, lui qui avant était nommé Moradob Torillus, Moradob étant son propre nom et Torillus son surnom. La reine porta le nom de Marie, elle qui précédemment était nommée Glaucestre Conatens : car la coutume était alors de nommer rois et reines par deux noms. C’est ainsi que la Bretagne fut convertie à la foi dans Jésus-Christ. |
[II, p. 194] [Le LIXe roy - Le LXe - Valentin le LXIe] Apres le mort Lucas, le roy de Brutangne qui promier y fut cristineit, fut roy son fis qui oit nom Goceaux, qui regnat XL ans. Puis fut roy Symon, son fis, qui regnat XXVI ans : chis oit mult de gueres à son temps, si fut en ses gueres mult bien socorus par Valentin, le fis le roy Adromas de Dannemarche qui oit à femme Edea, le filhe le roy Symon ; et fut roy apres luy et regnat IX ans. |
[II, p. 194] [59e roi - 60e - Valentin 61e] Après la mort de Lucius, le premier roi de Bretagne devenu chrétien, son fils, nommé Goceaux, régna quarante ans. Ensuite le roi fut son fils Simon, qui régna vingt-six ans : il mena de son vivant beaucoup de guerres dans lesquelles il fut bien soutenu par Valentin, le fils du roi Andromas de Danemark, l’époux d’Édéa, fille de Simon. Valentin succéda à Simon et régna durant neuf ans. |
[Le LXIIe] Apres fut roy Thomas, son fis, qui estoit jovenes ; si fut son mambours et regnat sicom roy, Luciien li roy de Scoche, X ans. Puis fut Thomas roy et regnat XXX ans, et fut coroneis sour l'an del Incarnation cent IIIIxx et XI. Chis oit III fis : Clodas, Thomas et Symon. Chis Thomas conquist Hongrie et le mist en son tregut. |
[62e] Ensuite son fils Thomas, qui était un enfant, devint roi. Il eut comme tuteur Lucien, le roi d’Écosse, qui régna (en Bretagne) en tant que roi pendant dix ans. Après cela, Thomas devint le roi et son règne dura trente ans. Il fut couronné en l’an 191 de l’Incarnation et eut trois fils : Clodas, Thomas et Simon. Il conquit la Hongrie et lui imposa un tribut. |
[Clodas, li LXIIIe roy - Severus, li LXIIIIe - Basin, li LXVe roy] Apres le mort Thomas fut son fis Clodas roy, et regnat XX ans. Et Thomas, li secon fis, fut roy de Cornualhe, et Symon, li IIIe fis, fut roy de Scoche. Chis Clodas morut sens heures, si que l'emperere donnat le royalme de la Grant-Bretangne à unc senateur, qui oit nom Severus, qui regnat X ans. Apres luy fut son fis Basin roy, et regnat VIII ans, et fut ochis en une batalhe contre les Escochois. |
[Clodas, 63e roi - Sévère, 64e - Bassien, 65e roi] Après la mort de Thomas, le roi fut son fils Clodas, qui régna vingt ans. Thomas, son second fils, fut roi de Cornouailles et Simon, son troisième fils, roi d’Écosse. Ce Clodas, qui mourut sans héritiers, transmit le royaume de Grande-Bretagne à un sénateur, nommé Sévère, qui régna dix ans. Après lui, son fils Bassien fut roi durant huit ans, et mourut dans une bataille contre les Écossais. |
[Ly LVIe roy] Atant fut esluis [II, p. 195] unc roy, et chis fut ly roy de Cornualhe Ascilpiadoch, qui regnat II ans, puis fut ochis contre les Romans en une batalhe. |
[66e roi] Alors fut élu [II, p. 195] un roi, Asclépiodote, qui était roi de Cornouailles ; il régna deux ans, puis fut tué dans une bataille contre les Romains. |
[Cloel, li LVIIe] Apres fut roy par election Cloel, li conte de Clociestre, si regnat XII ans. |
[Coel Hem, 67e] Après lui fut désigné roi par élection Coel Hem, le comte de Colchester, qui régna durant douze ans. |
[Constant, li LXVIIIe roy de Brutangne] Chis Cloel oit une filhe qui estoit mult belle, et savait mult de clergerie ; si l'oit à femme unc senateur de Romme, qui fut nommeis Constant, et la damoiselle oit nom Helaine, lyqueis Constant regnat apres la mort Cloel, et fut roy de Brutangne XX ans. |
[Constance, 68e roi de Bretagne] Ce Coel Hem eut une fille, très belle et fort instruite, qui épousa un sénateur de Rome, du nom de Constance. La demoiselle avait pour nom Hélène. Ce Constance devint roi après la mort de Coel Hem, et régna comme roi de Bretagne, durant vingt ans. |
[Constantin, li LXIXe roy] Et quant ilh fut mors, si fut roy apres luy Constantin, qui fut mult bon chevalier, et puis fut emperere de Romme : liqueis Constantin regnat V ans, et puis laisat le rengne de Brutangne, si alat à Romme, où ilh fut esluis conseaux et auguste soverains, et puis fut emperere apres le mort l'emperere Dyocletiain, et Helaine, sa mere, alat en Jherusalem habiteir. |
[Constantin, 69e roi] Quand Constance fut mort lui succéda comme roi Constantin, qui fut un très bon chevalier, et devint par après empereur de Rome. Ce Constantin régna cinq ans, puis abandonna le royaume de Bretagne et se rendit à Rome, où il fut élu consul et auguste souverain. Par la suite, il fut empereur après la mort de l’empereur Dioclétien ; sa mère Hélène alla habiter à Jérusalem. |
[Henris li Blons, li LXXe roy - Henris, son fis, li LXXIe] Et Henris, li oncle de Constantin et li promier de chi nom, regnat sour les Bretons IX ans, puis apres fuit roy Henri, son fis, II ans, et puis morut sour l'an del Incarnation IIIc et IX, le promier an que Constantin fut coroneis emperere de Romme. |
[Henri le Blond, 70e roi - Henri, son fils, 71e] Henri, l’oncle de Constantin, et le premier de ce nom, régna sur les Bretons durant neuf ans. Puis son fils Henri fut roi durant deux ans, et mourut en l’an 309 de l’Incarnation, l'année du couronnement de Constantin comme empereur de Rome. |
[0ctes, li LXXIIe roy] Adont envoiat Constantin en Brutangne unc sien oncle, frere à son pere, car Henris avait esteit frere à sa mere, et chis oncles fut nommeis Trajanus ; mains Octes, ly contes de Wales, soy astoit jà fait coroneis : si encachat Trajanus, et demorat enssi Octes roy, et regnat LXXI an. |
[Otton, 72e roi] Alors Constantin envoya en Bretagne un de ses oncles, qui était le frère de son père ; en effet, son oncle Henri était le frère de sa mère. Cet oncle avait pour nom Trajan. Mais, Otton, le comte de Galles, s’était déjà fait couronner : il chassa Trajan, et ainsi resta roi durant soixante et onze ans. |
[Maximiain, li LXXIIIe - Canonel, li promier roy de Petit-Bretange] Et quant ilh fut mors, si regnat Maximiain, unc senateur de Romme qui avoit à femme Gedea, la filhe Octon le roy de Brutangne, et regnat XXXVI ans. Chis gueriat mult les Romans, si conquist la terre de la Petit-Brutangne, si en fist une royalme et le donnat à unc sien chevalier, qui oit nom Canonel. |
[Maximien, 73e roi - Canonel, le premier roi de Petite-Bretagne] Après sa mort, Maximien, un sénateur de Rome, qui avait pour épouse Gédéa, la fille d’Otton, le roi de Bretagne, régna comme roi de Bretagne durant trente-six ans. Il guerroya beaucoup contre les Romains, conquit la Petite-Bretagne, dont il fit un royaume, qu’il donna à un de ses chevaliers, nommé Canonel. |
[Gratiain, li LXXIIIIe roy] Quant li roy Maximiain de la Grant-Brutangne fut mors, si fut roy unc sien fis qui fut nommeis Gratiain, liqueis regnat XVIII ans, puis fut ochis par ses hommes meismes, portant qu’ilh estoit si fel. |
[Gratien, 74e roi] Quand le roi Maximien de Grande-Bretagne mourut, un de ses fils nommé Gratien fut nommé roi. Il régna dix-huit ans, puis fut tué par ses propres hommes, parce qu'il était fourbe. |
D. La période anglo-saxonne : L'invasion de la Grande-Bretagne par les Angles - Merlin, Arthur et la « Matière de Bretagne » - Les rois, de Constantin III (75e roi) à Guillaume le Conquérant (101e roi)
a. Brève introduction historique sur la période anglo-saxonne b. L'invasion par les Angles - Constantin (75e roi), Constant (le 76e), Vortegirn/Vortigern (le 77e), Aurèle (le 78e) c. Uther (79e roi) - Merlin d. Arthur (80e roi) les Chevaliers de la Table Ronde et Constantin III (81e ro e. Les successeurs de Constantin III jusqu'à Guillaume le Conquérant (101e roi)
a. Brève introduction historique sur la période anglo-saxonne La période anglo-saxonne débute au Ve siècle, après le départ des légions romaines de l'île, vers 410. Du début du Ve siècle au début du VIe, des tribus d'Angles, de Saxons et de Jutes (plus tard appelés les Anglo-Saxons), venant du Danemark et du nord de l'Allemagne, traversent la Manche pour envahir la Bretagne d'autrefois (la Grande-Bretagne actuelle). Leur arrivée et leur implantation sur le sol britannique constituent un long processus qui reste assez mal connu, d'autant que le mythe vient souvent se mêler aux faits. C'est à cette époque (fin Ve-début VIe siècle) qu'aurait vécu le légendaire roi Arthur, qui est au cœur de la célèbre « légende arthurienne » ou « cycle arthurien », cette dernière expression désignant un ensemble de textes écrits au Moyen Âge autour du roi Arthur, de son entourage (notamment l’enchanteur Merlin) et de la quête du Graal. C'est un thème fort de la matière de Bretagne. Et, en ce qui concerne Jean d’Outremeuse, on rappellera qu’il a introduit la légende arthurienne dans l’histoire des Mérovingiens, mélangeant les genres sans sourciller. Quoi qu’il en soit, au cours des VIe et VIIe siècles, les Anglo-Saxons, qui sont païens, vont peu à peu se tailler des royaumes rivaux, plus ou moins étendus, repoussant les Bretons vers le Nord et l'Ouest jusqu'à occuper entièrement l'actuelle Angleterre. On utilise parfois pour les désigner l'expression d'Heptarchie. On retrouvera ce mot plus loin. Christianisés progressivement ‒ on date de 587 l'arrivée d'Augustin de Cantorbéry, dans le Kent précisément ‒ , ces royaumes vont souvent développer une civilisation brillante, avec sa langue, le vieil anglais, et son art. Leur littérature est florissante, mais ils s'illustrent également dans les domaines de l'enluminure, de l'orfèvrerie, de l'architecture, de la sculpture ou de la broderie.* Les invasions vikings du milieu du IXe siècle bouleversent la situation : en quelques années, la Northumbrie et l'Est-Anglie sont conquises par les Danois, de même que l'est de la Mercie. Les Vikings s'établissent dans l'est du pays, une région qui prend le nom de Danelaw. Il faudra du temps et les efforts de plusieurs rois pour que les Anglo-Saxons récupèrent leurs territoires et qu'apparaisse enfin, au début du Xe siècle un état unique, le royaume d'Angleterre. On en reparlera. Le roi Alfred (2e moitié du IXe siècle), qui vivait à l’époque de l’invasion du Danois Guthrun, est célèbre pour avoir, à deux reprises, vigoureusement défendu contre lui le Wessex, son royaume. Cet Alfred conclura un traité avec l’envahisseur afin de délimiter leur frontière commune et obtiendra son baptême. Roi du Wessex de 871 à sa mort en 899, Alfred portera même le titre de roi des Anglo-Saxons sans toutefois jamais contrôler la totalité du territoire anglais. Il recevra quand même l'épithète de « Grand ». Les efforts d'Alfred, joints à ceux de ses successeurs, permettront finalement aux Anglo-Saxons de reconquérir les autres territoires pour former progressivement au début du Xe siècle un état unique, le royaume d'Angleterre. Cela ne signifie toutefois pas la disparition de l'influence danoise sur l'Angleterre. Au début du XIe siècle, plusieurs de ses rois seront danois. Avec Knud le Grand par exemple (1016 à 1035), l’Angleterre pourrait même être considérée comme une province de la monarchie scandinave, Knud étant également roi de Danemark et de Norvège. Toutefois, un peu plus tard, avec le règne d'Édouard le Confesseur (1042-1066), la dynastie anglo-saxonne reviendra au pouvoir en Angleterre. Pas pour longtemps d'ailleurs, puisqu'Édouard mourra sans héritier et que son cousin, Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, réclamera le trône d'Angleterre qu'avait occupé Harold II, le beau-frère d'Édouard. Le débarquement de Guillaume à Hastings en 1066 et la mort d'Harold au combat inaugureront la période anglo-normande de l'histoire de l'Angleterre. * La période anglo-saxonne de l'histoire britannique est parfois qualifiée ‒ avec un peu ou beaucoup d'exagération peut-être ‒ de Dark Age, comme le montrent les quelques titres suivants : A. Williams, A.P. Smyth, D.P. Kirby, A Biographical Dictionary of Dark Age Britain : England, Scotland, and Wales, c.500-c.1050, Londres, 1991, 253 p. ‒ E.T. Leeds, D.B. Harden [Éd.], Dark-Age Britain, Londres, 1956, 270 p. ‒ G. Halsall, Worlds of Arthur : Facts and Fictions of the Dark Ages, Oxford, 2013, 357 p. ‒ Map of Britain in the Dark Ages, 2e éd., Southampton, 1971,63 p. (Archaeological and historical maps). Mais ce qu'on veut faire entendre par là est l'incertitude qu'entraîne le peu de documentation. Empruntons sur cette question quelques paragraphes à Wikipédia, un article à voir pour des explications plus complètes et pour des informations bibliographiques) « Notre principale source d'information historique pour la période comprise entre l'abandon de la Bretagne par les Romains vers 410 et la conquête normande de l'Angleterre en 1066 est ce qu'on appelle la Chronique anglo-saxonne (Anglo-Saxon Chronicle). C'est un ensemble d'annales en vieil anglais relatant l'histoire des Anglo-Saxons. Leur rédaction débute dans le royaume de Wessex sous le règne d'Alfred le Grand, à la fin du IXe siècle. De multiples copies des annales sont distribuées aux monastères d'Angleterre et ensuite mises à jour indépendamment les unes des autres. » « Le manuscrit original de la Chronique est perdu, mais il en subsiste neuf copies, dont l'état de conservation et l'importance historique varient. La rédaction de la plus ancienne copie subsistante semble avoir débuté vers la fin du règne d'Alfred, tandis que la plus récente est composée à l'abbaye de Peterborough au début du XIIe siècle et mise à jour jusqu'en 1154. Les différentes copies de la Chronique reflètent souvent les intérêts et les biais des abbayes où elles ont été rédigées. Il leur arrive de faire preuve de partialité dans leur récit, voire d'omettre complètement certains événements. Certaines se contredisent également entre elles. » « Une grande partie des informations présentes dans la Chronique n'apparaît nulle part ailleurs. »
À toutes fins utiles, signalons aussi qu'on peut trouver sur le site Anglo-Saxons de Wikipédia une image assez détaillée des invasions de 400-500, et sur le site Histoire du monde de Wikipédia un résumé de l'histoire de l'Angleterre des Anglo-Saxons de 410 à 1066 (avec notamment une carte des sept royaumes Anglo-Saxons au VIIe siècle).
b. L'invasion par les
Angles : Constantin II (75e roi), Constant (le 76e), Vortegirn/Vortigern (le
77e), Aurèle (le 78e)
Reprenons ce qui a été dit dans l'introduction générale, à savoir
qu'après le départ des
Romains, du début du Ve au début du VIe siècle, des tribus d'Angles, de Saxons et de Jutes (plus tard appelés les
Anglo-Saxons), venant du Danemark et du nord de l'Allemagne,
sont venues s'implanter sur le sol britannique et prendre la place
des Bretons qui l'occupaient. Ce fut un long processus
dont beaucoup d'éléments (chronologiques et géographiques) nous
échappent.
Jean explique les choses à sa manière. Il renvoie à un passage
antérieur du Myreur et il suit de très loin la présentation
de Geoffroy. Ce dernier mentionne en effet (M § 93-95), outre l'outsider Vortegirn/Vortigern, le roi
Constantin II et ses trois fils Constant, Aurèle Ambroise et Uther,
issu du mariage de Constantin II avec « une Romaine de noble lignage
». Ce n'est pas la première dame romaine qui épouse un roi local.
Par ailleurs, il faut dire que tous
les rois cités, de Constantin II à Uther, ainsi que leurs
réalisations sont légendaires. Les noms qu'ils portent, quand ils
ne sont pas purement et simplement imaginés par Geoffroy, sont
empruntés par ce dernier à des récits antérieurs. C'est le cas notamment de
Vortegirn/Vortigern et de Hengist, sur l'origine desquels on pourra voir
l'index et la traduction de L. Mathey. Mais la chose importe peu ici.
Jean place Constantin II à
l'époque du roi franc Clovis. Il s'agit là d'une concordance
délicate à transformer en une datation précise quand on sait que dans l'Histoire Clovis est mort en 511, mais
que, dans la chronologie de Jean, il est mort le 13 juin 468 (cfr
II, p. 166). Le
décalage est de quelque 50 ans.
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[Constantin, li LXXVe] Apres regnat [II, p. 196] Constantin, li frere Adroel, le roy de la petite Brutangne, XXX ans ; et regnoit chis roy al temps le roy Cloveis de Franche, qui fut li promirs roy cristiens. Chis roy Constantin oit à son temps mult de gueres aux Romans et aux Danois. Et vinrent les Danois assegier les Brutons, et les orent presque conquis quant à leur socour vinrent une manere de gens, qui aloient en teile manere aventurant par le monde, pour veoir unc lieu à leur plasier por habiteir : et astoient de Aysie le grant, et avoient unc roy qui astoit nommeis Englans, et apres luy ilh nomat ses gens Englois. Ches Englois desconfirent les Danois, et puis leur plaisit li paiis de Brutangne si bien, que onques les Brutons ne les porent encachier, ne jetteir de leur paiis par batailhe ne altrement. |
[Constantin, 75e roi] Ensuite [II, p. 196] Constantin [II], frère d’Aldroenus, roi de Petite-Bretagne (cfr II, p. 197), régna durant trente ans. C'était à l'époque du roi Clovis de France, le premier roi chrétien. Ce roi Constantin dut livrer de nombreuses guerres contre les Romains et les Danois. Ceux-ci étaient venus attaquer les Bretons qui se trouvaient presque conquis lorsqu'ils furent secourus par des gens qui se déplaçaient à l’aventure à travers le monde, à la recherche d’un lieu agréable à habiter : ils étaient originaires de la grande Asie et avaient un roi nommé Anglans (cfr II, p. 199), lequel avait donné à ses sujets un nom tiré du sien, à savoir Angles. Ces Angles battirent les Danois. Mais dans la suite, le pays de Bretagne leur plut tellement que les Bretons ne purent jamais les en chasser, ni les jeter hors de leur pays, ni par la bataille ni autrement. |
[Des coweis Brutons] Et vos dis que ches gens astoient tous coweis, en teile manere que chi deseur fait mention, sour l'an IIIIc et XLVI. Tant regnarent ches gens, que longtemps apres ilhs jettarent les Brutons fours de la plus grant partie de leurs paiis, et le obtinent entre eaux : si le nommarent Engleterre et encor li nomen-ons. Mains puis y revinrent aultres gens qui les misent tous à mort, fours mis cheaux qui habitoient en la citait de Orchestre ; et encors ilh sont tous coweis en cest citeit d'Orchestre, et en remanant de paiis habitarent cheaux qui le reconquestont, qui ne sont point coweis. |
[Des Bretons avec une queue] Ces gens [= les Angles] avaient tous une queue, comme cela a été mentionné ci-dessus (II, p. 144-145), à propos de l’année 446 [en fait 447]. Ils furent si puissants que longtemps après ils expulsèrent les Bretons de la plus grande partie de leurs terres qu'il retinrent pour eux : ils appelèrent ce territoire l’Angleterre, et c'est encore le nom qu'il porte. Dans la suite arrivèrent d'autres gens qui les mirent tous à mort, sauf ceux qui habitaient la ville de Worcester. Et encore aujourd'hui tous les gens de Worcester ont une queue, alors que dans le reste du pays, occupé par les conquérants, personne n'en a une. |
Chis roy Constantin oit trois fis : ly anneis oit nom Constant, chis fut moyne à Winclastre ; li aultre Aurelius Ambrose, et ly thiers oit nom Uter. Et quant ly roy Constantin oit regneit XXX ans, si fut ochis dedens unc vergier par unc sien servans, de quen les Bretons furent en grant esmay, car les dois fis le roy estoient jovenes. |
Ce roi Constantin eut trois fils : l’aîné s’appelait Constant, il fut moine à Winchester ; le second s’appelait Aurèle Ambroise, et le troisième Uther. Après un règne de trente années, le roi Constantin fut tué dans un verger par un de ses serviteurs ; cela tourmenta beaucoup les Bretons, car les deux fils du roi étaient de jeunes enfants. |
[Constant li LXXVIe roy de Brutangne] Si prisent en l'abbie le plus anneit qui astoit nommeis Constant, com dit est : chis fut roy et regnat X ans. Mains ilh avoit unc maistre, qui astoit nomeis Vortinger qui astoit conte de Wales ; chis fist le roy ochier par les gens de son amisteit, [II, p. 197] puis les fist ochier par justiche, affin qu'ilh n'en fuist accuseis. |
[Constant, 76e roi de Bretagne] On alla rechercher l’aîné dans son abbaye ; il s’appelait Constant, comme on l'a dit. Il devint roi et régna durant dix ans. Cependant il avait un maître, qui s’appelait Vortegirn/Vortigern, comte de Galles ; celui-ci fit tuer le roi par les gens de son entourage [II, p. 197], qu’il fit ensuite exécuter en recourant à la justice, pour n’être pas lui-même accusé [du meurtre du roi]. |
[Vortinger, li LXXVIIe - Aurelius, li LXXVIIIe] Et puis soy fist Vortinger coroneir à roy, et regnat VII ans. Apres les VII ans, vient en Brutangne li roy de la Petite Bretangne, qui avoit nouris les dois jovenes fis Aurelius et Uter ; si trouvat que unc sayne Sarasien, qui avoit nom Hengist, cuy filhe Vortinger avoit à femme, et encordont chis Vortinger astoit cachiés fours de Brutangne par chis Hengist, si soy voloit chis Hengist faire coroneir ; mains Aurelius l'ochist en batalhe, et fut Aurelius coroneis et regnat V ans. |
[Vortegirn/Vortigern, 77e - Aurèle, 78e] Ensuite, Vortegirn/Vortigern se fit couronner roi, et régna durant sept ans. Après ces sept années, [Aldroenus] le roi de Petite-Bretagne, qui avait élevé les deux jeunes fils [de Constantin], Aurèle et Uther, vint en Grande-Bretagne. Il y trouva un Saxon païen, dénommé Hengist, qui avait épousé la fille de Vortegirn/Vortigern. Et bien que ce Vortegirn/Vortigern ait été chassé de Bretagne par cet Hengist, il voulut faire couronner Hengist comme roi. Mais Aurèle le tua dans une bataille ; c'est lui qui fut couronné, et il régna durant cinq ans. |
c. Uther (79e roi) - Merlin Jean a déjà évoqué plus haut à deux reprises au moins le cas de Merlin. Il n'avait pas dit alors, et il ne le dira pas davantage ici qu'il existait des recueils de prophétie de Merlin et que l'Historia regum Brittaniae de Geoffroy de Monmouth en contenait un (M § 109-117 ; p. 157-173). Le texte regroupait 74 prophéties. Geoffroy a raconté lui-même qu'à l'époque où il écrivait l'Historia, il avait été sollicité par Alexandre, l'évêque de Lincoln, de mettre par écrit ces prophéties célèbres. Il avait interrompu l'Historia pour écrire un petit livre intitulé les Prophéties de Merlin, qu'il intégra ensuire à l'oeuvre principale. « L'interprétation des prophéties de Merlin reste dans l'ensemble difficile, une grande partie étant totalement inintelligible » (L. Mathey, p. 296, n. 63, avec une abondante bibliographie). Pour d'autres informations dans le Myreur de Jean concernant Merlin, on verra le tome IV, p. 55 et 57, ainsi que le tome V, p. 187.
Sur l'histoire d'Uther, qui tombe amoureux d'Ygerne, la femme du
comte de Cornouailles, sur la mort de ce dernier, sur le château de
Tintagel, sur la passion entre Uther et Ygerne, qui donna naissance
au futur roi Arthur, on lira les § 137 et 138 de Geoffroy, beaucoup
plus détaillés. Dans l'Historia regum Brittaniae, les noms
sont un peu différents et d'autres événements interviennent : le duc
de Cornouailles (ce n'est pas un comte) ne s'appelle pas
Clovis, mais Gorlois ; sa femme ne s'appelle pas Ygerne, mais
Ingerne. Quant à
l'ayde de Merlins apportée au roi, elle est bien explicitée :
grâce à ses philtres, Merlin donne à Uther l'apparence de Gorlois, ce
qui permet au roi d'assouvir sa passion.
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[II, p. 197] [Uter, li LXXIXe - De Merlin] Et apres les V ans fut roy coroneis Uter ; mains vos deveis savoir que quant Aurelius morut, Uter estoit en Yrlande où ilh soy combattoit, et estoit Merlins awec luy qui adont regnoit et faisoit mult de mervelhes, et savoit toutes les chouses passées, presentes et futures ; et astoit sa mere une nonain, filhe de roy, et son pere fut unc male espir. |
[II, p. 197] [Uther, 79e - Merlin] Cinq ans après, Uther fut couronné roi. Vous devez savoir cependant que lors de la mort d’Aurèle, Uther se trouvait en Irlande, où il combattait. Merlin, qui vivait à cette époque, était avec lui et faisait quantité de merveilles. Il connaissait tout, les choses passées, présentes et futures. Sa mère était une nonne, fille de roi, et son père était un mauvais esprit [Sur Merlin, cfr II, p. 165 ; II, p. 171]. |
Mains de chu n'apartient à nos, qui escrivons l'escriptures de sainte Engliese, si nos en tairons atant. |
Mais Merlin n'est pas notre sujet, à nous qui écrivons l’histoire de la sainte Église. Aussi nous n'en dirons pas plus ici. |
Ors avient que enssi que Uter, qui astoit en Yrlande, que le droit jour que son frere morut par venin que ons li donnat à boire, apparut une estoile ardant com chu fust unc dragons ardant. Et quant Merlins le veit, se dest à Uter que son frere li roy astoit mors, et que ilh retournast ; car ly dragons le senefioit que ilh sieroit roy, et que de luy nastroit unc roy qui sormonteroit tout le monde à son temps. De toute chu et de pluseurs aultres chouses li dest, sicom ilh en fait mention plainnement dedens les hystoires d'Engleterre, qui sont mult belles à oiir. |
Alors, tandis que Uther se trouvait en Irlande, le jour exact où son frère [Aurèle, ici en II, p. 197 et dans Geoffroy, M § 133] mourut à cause du poison qu’on lui avait fait boire, une étoile apparut, brûlant comme un dragon crachant le feu. Quand Merlin la vit, il dit à Uther que le roi son frère était mort. Il lui conseilla de retourner (dans son pays) car le dragon signifiait qu’il serait roi, et que de lui naîtrait un roi, qui surpasserait tout le monde de son vivant. Il lui parla de tout cela et de beaucoup d’autres choses, comme il en est fait mention en détail dans les histoires d’Angleterre, qui sont très belles à entendre. |
[Porquoy Uter oit nom Uterpandragon] Uter retournat et vient en Brutangne, si fut coroneis à roy, et regnat XVIII ans. Apres avient que Uter, par le raison del estoile qui resembloit unc dragon, fist faire II dragons : si faisoit l'unc porteir devant luy en batalhe, et l'autre ilh mist sus l'engliese de Wincliestre. Et fut dedont en avant nommeis Uterpandragon, et pandragon en bruton signifie en franchois chief de dragon : et ilh en estoit chief, car nuls ne le portoit que luy. |
[Pourquoi Uther eut le nom d’Uther Pendragon] Uther s’en retourna et revint en Bretagne, fut couronné roi et régna durant dix-huit ans. Par la suite, Uther, à cause de l’étoile qui ressemblait à un dragon, fit réaliser deux dragons : il en faisait porter un devant lui, dans les batailles et posa l’autre sur l’église de Winchester (cfr II, p. 196). Et depuis lors, il fut appelé Uther Pendragon ; « pendragon » en breton signifie en français « tête de dragon » : et il en était la tête, car personne, sauf lui, ne la portait [cfr Geoffroy, M § 135]. |
Apres assemblat unc jour ly roy Uterpandragon tous les barons de sa [II, p. 198] terre, et les donnat à mangier. Si avient que ilh y vient Cloveis, ly conte de Cornelhe en Cornualhe, lyqueis amenat awec luy sa femme Ygerne, qui mult astoit belle ; si l'ennamat ly roy Uterpandragon, mains li conte s'en aperchuit, si s'en ralat en son paiis et enfermat sa femme en unc casteal que ons nommoit Tintaiele. Et ly roy Uterpandragon le gueriat, et en gueriant ilh fut ochis Cloveis li conte, et ly roy oit sa femme par l'ayde de Merlins, sicom vos le trovereis plus plainnement ens histoires de Engleterre, où je vos renvoie. |
Puis un jour, le roi Uther Pendragon rassembla tous les barons de son [II, p. 198] pays, leur servit à manger. Il se fit que Clovis, le comte de Cornelle (?) en Cornouailles, y vint avec sa femme Ygerne, qui était très belle. Le roi Uther Pendragon en tomba amoureux, mais le comte s’en aperçut. Il retourna dans son pays et enferma sa femme dans un château nommé Tintagel. Le roi Uther Pendragon lui fit la guerre. Le comte Clovis fut tué et, grâce à l’aide de Merlin, le roi eut sa femme, comme vous le trouverez raconté avec plus de précisions dans les histoires d’Angleterre, auxquelles je vous renvoie. |
d. Le
roi Arthur (80e roi), les chevaliers de la Table Ronde
et Constantin (81e roi)
Il avait déjà été question d'Arthur plus haut à plusieurs reprises,
dans le Tome I (I,
p. 127 et p. 463)
et dans le Tome II (II, p. 165,
p. 180 et
p. 182). Jean d'Outremeuse revient ici sur le personnage en
tant que roi de Grande-Bretagne et sur son rôle parmi les Chevaliers
de la Table Ronde. On est en plein, faut-il le dire, dans la On sera surpris de trouver chez lui une curieuse version de l'épisode de la lutte d'Arthur contre le géant qui avait enlevé une certaine Hélène, « nièce du duc Hoel », précise Geoffroy (§ 165) et qui n'est donc pas l'Hélène correspondant au personnage historique de la mère de Constantin. Le chroniqueur liégeois place le combat sour le mont Sains-Bernart en Espangne et appelle le monstre Dinavus, alors que Geoffroy ne lui donne pas de nom et parle du mont Saint-Michel. Par contre, Jean s'accorde avec Geoffroy sur le détail de la succession d'Arthur : dans l'Histoire des rois de Bretagne aussi (§ 178), « Arthur abandonna la couronne de Bretagne à son parent Constantin, qui était le fils de Cador, duc de Cornouailles ». Et il ajoute une précision chronologique précieuse : « C'était en l'an 542 ap. J.-C. ». Jean et Geoffroy s'accordent donc sur la date de la mort du roi Arthur. Mais qu'en est-il de celle de son accession au pouvoir ? Jean déclare qu'il fut couronné en 504 et ajoute sicom ilh est escript deseur (« comme on l'a dit ci-dessus »), mais nous avouons ne pas avoir trouvé cette information expressis verbis dans le Myreur. Jean doit l'avoir déduite de la date de la mort et de la durée de son règne (542-38 = 504). On notera que ce Constantin (le n° 81), tout à fait légendaire, est le troisième Constantin que nous rencontrons dans la liste des rois de Bretagne. Il y avait eu d'abord Constantin I (le 69e roi, cfr II, p. 195), qui n'est autre que l'empereur de Rome et ensuite Constantin II (le 75e roi, cfr II, p. 196), légendaire comme le troisième et qui régnait à l'époque de l'invasion des Angles. On notera aussi la présence de Guenièvre, c'est l'épouse légendaire du roi Arthur, dont le nom apparaît dans la littérature médiévale sous diverses graphies (Guenhuura, Ganhumara, entre autres). Geoffroy (M § 152) en fait « une jeune fille de noble origine romaine ». On la retrouvera chez Jean en II, p. 210 (où elle assiste à un tournoi à Lutèce), en II, p. 243-244 (où elle sera décapitée et en partie mangée par Lancelot) et en II, p. 358 (où Lancelot nie qu'elle ait été sa maîtresse). Guenièvre est ici (II, p. 198) enlevée par Modred, un nom à la graphie variable lui aussi (Mordred, Mordret, Mordrech, etc.) et qui est un proche parent (ici, un cusin) d'Arthur. Dans la présente notice de Jean, il est censé avoir conquis le pays d'Arthur, enlevé son épouse, avoir été battu plusieurs fois par Arthur et avoir été tué par ce dernier. On retrouvera plus loin (II, p. 243-244) l'histoire de Modred racontée plus longuement et d'une manière assez différente. On y apprendra quelle horrible fin Lancelot lui réservera. On notera le texte de II, p. 199 : « Nous n'avons ici que peu parlé du roi Arthur, parce que nous voulions présenter brièvement les rois d’Angleterre, jusqu’en 1440, date où ce livre fut écrit. » Comme Jean d'Outremeuse est mort en 1399, l'éditeur Borgnet fait très justement observer : « Cette date [jusqu'en 1440] s'applique à la copie même, et doit avoir été ajoutée par Jean de Stavelot », qui est le copiste. La liste dont nous parlons mentionne 36 rois (du n° 82 [deux rois] au n° 117), qui n'appartiennent pas à une seule et même dynastie.
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[II, p. 198] [Artus, li LXXXe roy - Les chevaliers de la Table Reonde] De cesti damme issit li valhans roy Artus, qui fut roy de la Grant-Brutangne apres son pere, et regnat XXXVIII tou plains, et fut ly miedre roy qui à son temps regnast et qui govrenat la plus noble chevalerie de monde, qui se nomoient les chevaliers de la Tauble Reonde ; car ilh avoient à la court le roy Artus une reonde tauble, et avoit altour LX sieges que Merlins avoit faite par son maistrie. Et fut Artus coroneis l'an Vc et IIII, sicom ilh est escript deseur, et fut ly LXXXe roy de Brutangne. |
[II, p. 198] [Arthur, 80e roi - Les chevaliers de la Table Ronde] De cette dame [Ygerne] naquit le vaillant roi Arthur, qui devint roi de Grande-Bretagne après son père, et régna durant trente-huit années complètes. Il fut le meilleur roi de son temps et dirigea les plus nobles chevaliers du monde, appelés Chevaliers de la Table Ronde parce qu'ils siègeaient à la cour du roi Arthur autour d'une table ronde, comptant soixante sièges fabriqués par Merlin grâce à la magie. Arthur fut couronné en l’an 504, comme on l'a dit ci-dessus, et il fut le quatre-vingtième roi de Bretagne. |
Chis roy Artus avoit XV ans d'eaige, quant il commenchat à regneir, et avoit en luy toute bonteit ; et desconfit tous ses annemis, et conquist Yrlande, Esco et Franche, et si ochist l'ajoans Dinavus qui avoit ravie Helaine sour le mont Sains-Bernart en Espangne ; et puis desconfit l'emperere de Romme et toutes ses gens en paiis de Borgongne, et puis soy retournat hastivement, por chu que ons li dest que Mordret, son cusin, avoit saisie toute sa terre et sa femme, la royne Genevre. |
Le roi Arthur était âgé de quinze ans quand il commença à régner. Il y avait en lui une grande bonté. Il vainquit tous ses ennemis, conquit l’Irlande, l’Écosse et le royaume des Francs ; il tua aussi le géant Dinavus, qui avait enlevé Hélène sur le mont Saint-Bernard, en Espagne. Ensuite, il défit l’empereur de Rome et tous ses sujets en Bourgogne, puis retourna en hâte chez lui, parce qu’on lui avait dit que son cousin Modred s’était emparé de tout son pays et de sa femme, la reine Guenièvre. |
De quoy Artus fut mult corochiés ; et por chu ilh passat mere, et emenot sens nombres de Franchois awec ses Brutons, et soy combattit contre Mordret pluseurs fois, et tous jours le desconfissoit. Et la dierain batalhe fut en Cornualhe, où ilh avoit des gens sens nombre de l'unc costeit et de l'autre : là fut Mordret ochis de la main Artus, et Artus fut navret de la main Mordret, et tot la chevalerie ochis de l'unc costeit et de l'autre ; et cheaux de la Tauble Reonde [II, p. 199] onques nuls n'escapat de cette batalhe, fours que Artus et II de ses chevaliers. |
Cela irrita fortement Arthur. C’est pourquoi il traversa la mer, emmenant avec ses Bretons d’innombrables Francs. Il se battit à plusieurs reprises contre Modred et, à chaque fois, il l’emportait. La dernière bataille eut lieu en Cornouailles, où il y avait d'innombrables troupes dans les deux camps. Là Modred fut tué de la main d’Arthur, qui fut lui-même blessé par Modred. Dans les deux camps, toute la chevalerie fut tuée et, parmi les chevaliers de la Table Ronde [II, p. 199], personne ne fut épargné dans la bataille, sauf Arthur et deux de ses chevaliers. |
[Constantin, li LXXXIe] Et puis ilh donnat son royalme à Constantin, le fis Cador le conte de Cornualhe, lyqueis ochist les II enfans Mordret, et puis ilh morut. |
[Constantin, 81e] Ensuite Arthur donna son royaume à Constantin (III), le fils de Cador, comte de Cornouailles, qui avait tué les deux enfants de Modred. Après quoi le roi Arthur mourut. |
Chis avons en brief parleit de roy Artus portant que nos volons en brief parleir des roys d'Engleterre jusques al temps de l'an MCCCC et XL, quant chi libre fut escript. Et quant nos venrons là si recommencherons de parleir plus grandement des fais le roy Artus. |
Nous n'avons que peu parlé ici du roi Arthur, parce que nous voulons présenter brièvement les (autres) rois d’Angleterre, jusqu’en 1440, date où ce livre fut écrit. Quand nous en serons là, nous recommencerons à traiter plus longuement des exploits du roi Arthur (cfr II, p. 203ss). |
e. Les successeurs de Constantin III (81e roi) jusqu'à Guillaume le Conquérant (101e roi)
Jean a placé plus haut (II, p. 198) le couronnement du roi Arthur en l'an 504 (de l'Incarnation, peut-on supposer) et lui a attribué 38 années complètes de règne, ce qui permet de dater de 542 sa mort et l'accession au pouvoir de son successeur Constantin III. En tout cas, cette date de 542 est celle qui a été explicitement donnée par Geoffroy (M § 178 in fine) Sur le règne de Constantin, Jean ne donne aucun détail précis sur le règne de Constantin, mais d'après ce que dit de lui Geoffroy, il n'a pas dû être très long : 5 ou 6 ans, peut-être un peu plus. La liste qui suit va donc couvrir une assez longue période depuis les premiers successeurs de Constantin (ils sont deux qui portent le même n° 82) [soit ± 550 p.C.] jusqu'à l'arrivée de Guillaume le Conquérant (n° 101) [bataille de Hastings en 1066]. Les successeurs directs de Constantin III appartiennent toujours à la période anglo-saxonne, dont une vision générale a été donnée plus haut. Elle se caractérisait notamment, on l'a dit, par l'apparition de nombreux royaumes plus ou moins étendus, ainsi que par des invasions danoises, dont certaines ont joué un grand rôle. Pour présenter cette période, l'Histoire des rois de Bretagne de Geoffroy ne sera pas d'un grand secours, Jean n'ayant pas pu l'utiliser longtemps. Geoffroy arrête en effet son récit un peu après l'invasion des Saxons. Les deux premiers successeurs de Constantin, Adelbrich et Adelfi, un Danois et un Breton, que Jean fait régner conjointement et auxquels il donne le même n° 82, n'apparaissent pas chez Geoffroy. Geoffroy connaît comme seul successeur de Constantin un Aurélius Conanus (Conan), présent aussi chez Jean. Après Conan, Geoffroy signale successivement un Vortiporius, un Malgo, puis un Karetic, contre lequel combat un certain Gormond, débarqué en Bretagne à la tête de 160.000 Africains. Après Conan, Jean passe directement à Karetic et à Gormond, en ne donnant d'ailleurs pas l'impression de bien comprendre, prenant la tangente avec des explications portant sur les noms des populations et des pays. Il s'attarde sur le terme Heptarchie, qui ne figure pas chez Geoffroy. Il s'agit là d'un nom collectif, aujourd'hui abandonné, qui fut donné à partir du XIIe siècle dans la littérature médiévale ‒ peut-être par Henri de Huntingdon ‒ à sept des nombreux royaumes qui se constituèrent, à l'époque des invasions. On les avait probablement jugés plus importants que les autres. C'était en l'occurrence l'Est-Anglie, la Mercie, la Northumbrie, le Sussex, le Wessex, l'Essex et le Kent, le Kent étant le royaume qui s'était constitué le premier. On remarquera que la liste fournie par Jean n'est pas l'Heptarchie classique, Leicester et Hereford n'étant pas des royaumes. Wikipédia a consacré un site à cette notion d'Heptarchie : on y trouvera une carte et, pour chacun des royaumes, la liste des rois connus. Dans la réalité historique, la période anglo-saxonne a connu bien d’autres regroupements. Dans des cas privilégiés, les noms de leurs chefs et ceux des territoires qu'ils contrôlaient nous sont connus grâce à des auteurs plus anciens, comme par exemple Gildas le Sage (vers 540) ou Bède le Vénérable (vers 721), qui furent utilisées par Geoffroy et aussi parfois par Jean, qui les fait apparaître sans nuances comme des reges Britanniae. Grâce à Gildas par exemple (éd. J.A. Giles, 1848), nous savons que vers le milieu du VIe siècle, on trouvait un Constantin comme roi de la Domnonée (§ 28), un Aurèle Conan comme roi du Gwent ou du Powys (§ 30), un Vortiporius comme roi du Dyfed (§ 31), et un Malgo (Maelgwn, Maglocunus) comme roi du Gwynedd (§ 32). On les retrouve presque tous chez Geoffroy et chez Jean. Dans le Gwynedd du VIIe siècle, trois autres noms de rois sont connus : Cadvan (Cadfan) mort vers 625, Cadvallo (Cadwallon) mort en 634, Cadvalladr (Cadwaladr) mort en 682. Accueillis par Geoffroy, ils ne l'ont pas été par Jean. Bien des rois, signalés par Bède, n'apparaissent pas dans les listes de Geoffroy ou de Jean. On ne perdra pas de vue ce qui a été dit plus haut de l'Anglo-Saxon Chronicle, et des informations historiques très précieuses qu'elle fournit et qu'on ne trouve pas dans les textes littéraires. Pour le dire en quelques mots, l'histoire précise de la période anglo-saxonne n'est pas simple. Aussi, pour des raisons de concision et aussi faute de compétence, nous ne commenterons plus, sauf exception, les noms des rois qui apparaissent dans Myreur, II, p. 196-197. Quoi qu'il en soit, l'impression générale que donne Jean de cette période n'est pas bonne. Les envahisseurs, « qui étaient païens, dit-il, détruisirent toutes les églises du royaume et dévastèrent l'ensemble du pays ». Il en profite pour signaler l'arrivée d'Augustin de Cantorbéry en 587 et son oeuvre missionnaire. Jean en avait déjà parlé plus haut (en II, p. 101), en confondant d'ailleurs Augustin, de Cantorbéry avec Augustin d'Hippone. * On a évoqué plus haut dans l'introduction historique à la période anglo-saxonne les invasions vikings du milieu du IXe siècle qui bouleversent la situation. En quelques années, la Northumbrie, l'Est-Anglie de même que l'est de la Mercie avaient été conquises par les Danois. Les Vikings se sont établis dans l'est du pays, une région qui prend le nom de Danelaw. La liste de Jean contient beaucoup de noms de rois censés se rattacher à cette période, mais il n'est pas toujours facile d'y voir clair et d'identifier les personnages cités. Diverses notes de Borgnet dans son édition ont tenté d'éclaircir la situation. Nous avons trouvé plus simple de résumer l'essentiel des événements, tels qu'on les trouve dans les synthèses historiques. Le roi Alfred (2e moitié du IXe siècle), qui vivait à l’époque de l’invasion du Danois Guthrun, est célèbre pour avoir, à deux reprises, vigoureusement défendu contre lui le Wessex, son royaume. Cet Alfred conclura un traité avec l’envahisseur afin de délimiter leur frontière commune et obtiendra son baptême. Roi du Wessex de 871 à sa mort en 899, Alfred portera même le titre de roi des Anglo-Saxons sans toutefois jamais contrôler la totalité du territoire anglais. Il recevra malgré tout l'épithète de « Grand ». Les efforts d'Alfred, joints à ceux de ses successeurs, permettront finalement aux Anglo-Saxons de reconquérir les autres territoires pour former progressivement au début du Xe siècle un état unique, le royaume d'Angleterre. Cela ne signifie toutefois pas la disparition de l'influence danoise sur l'Angleterre. Au début du XIe siècle, plusieurs de ses rois seront danois. Avec Knud le Grand par exemple (1016 à 1035), l’Angleterre pourrait même être considérée comme une province de la monarchie scandinave, Knud étant également roi de Danemark et de Norvège. Toutefois, un peu plus tard, avec le règne d'Édouard le Confesseur (1042-1066), la dynastie anglo-saxonne reviendra au pouvoir en Angleterre. Pas pour longtemps d'ailleurs, puisqu'Édouard mourra sans héritier et que son cousin, Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, réclamera le trône d'Angleterre qu'avait occupé Harold II, le beau-frère d'Édouard. Le débarquement de Guillaume à Hastings en 1066 et la mort d'Harold au combat inaugureront la période anglo-normande de l'histoire de l'Angleterre. Telle est, brièvement résumée la situation, mais il n'est pas facile d'établir une correspondance précise entre les événements historiques et la vision de Jean d'Outremeuse. Ainsi selon ce dernier, le roi contemporain du Danois Guthrun est un Edmond (n° 86) alors qu'il aurait dû être un Alfred (Alfred le Grand), lequel apparaît plus loin dans la liste (n° 88). Mais nous n'irons pas plus avant dans l'analyse.
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[II, p. 199] [Adelbrich et Adelfi, roys de Brutons LXXXIIe] Apres la mort Constantin, firent les Brutons II roys : ly unc oit nom Adelbrich, ilh estoit Danois ; et l'autre Adelfi, et chis estoit Brutons. Et puis fut ochis AdeIfi, et remanit roy Adelbrich, et ne regnat que IIII ans, car Danois et Saxinges l'ochirent, de quoy chu fut damage à toute Brutangne. |
[II, p. 199] [Adelbrich et Adelfi, 82es rois des Bretons] Après la mort de Constantin, les Bretons nommèrent deux rois : l’un, appelé Adelbrich, était Danois ; l’autre, Adelfi, était Breton. Par la suite, Adelfi fut tué et le roi Adelbrich resta seul. Il ne régna que quatre ans, car il fut tué par les Danois et les Saxons, ce qui fit grand tort à toute la Bretagne. |
[Curan, li LXXXIIIe] Apres, Curan fut fais roy, qui fut li cusin Constantin, et fut malvais tout le temps qu'il viscat, et regnat XIIII ans. |
[Conan, 83e] Après cela, Conan fut nommé roi ; il était le cousin de Constantin et fut mauvais toute sa vie. Il régna quatorze ans. |
[Li LXXXIIIIe - Porquoy ons nommat Bretangne Engleterre] Et puis regnat unc sien cusin, qui oit nom Sertik. AI temps de cely fut tout Brutangne destruite, sens jamais retourneir en les mains des Brutons, car Gurmont, ly fis à roy d'Affrique, conquist tout la terre et le donnat aux Saxons qui mult l'avoient desirée, por l'amour de Englist qui en avoit esteit sires. Et por chu dedont en avant, apres Englist, fut la terre de Brutangne nommée Engleterre. |
[84e - Pourquoi on appela la Bretagne Angleterre] Ensuite régna un de ses cousins, nommé Karetik (Careticus). Sous son règne, toute la Bretagne fut détruite et ne retourna jamais aux Bretons. En effet Gourmont, le fils du roi d’Afrique, conquit tout le pays et le donna aux Saxons, qui avaient beaucoup désiré l'avoir, par amour pour Anglans (cfr II, p. 196) qui en avait été le seigneur. C’est pourquoi, dorénavant, la terre de Bretagne, prenant le nom d'Anglans, fut appelée Angleterre. |
[Des VII royalme de Engleterre, les LXXXVe roys] Et y fisent VII roys en lieu chi desous nommeis : ly promier regne fut Kent, li IIe Xestre, li IIIe Bexestre, li IIIIe Affexestre, li Ve Stangle, li VIe Leicestre, li VIIe Herefors. Ches gens, qui avoient conquis la Grant-Bretangne et le nommoient Engleterre, tenoient la loy sarasine, et destrusoient toutes les englieses du royalme et gastarent tout le paiis ; car les VII roys devantdit avoient gueres tousjours l'unc à l'encontre de l'autre |
[Des VII royaumes d’Angleterre, 85es rois] Et dans les endroits suivants furent établis sept rois : le premier royaume fut leKent, le deuxième Sussex, le troisième le Wessex, le quatrième l'Essex, le cinquième l'Estanglie, le sixième le Leicester, le septième l'Hereford. Ces gens qui avaient conquis la Grande-Bretagne et l'appelaient Angleterre, étaient païens. Ils détruisirent toutes les églises du royaume et dévastèrent l'ensemble du pays ; car les sept rois qu'on vient de citer se faisaient continuellement la guerre. |
[L’an Vc IIIIxx et VII fut convertie Engleterre] Et apres chu sains Grigoire, pape de Romme, y envoiat Augustin awec XL compangnons de sainte vie qui convertirent le paiis ; et fut chu l'an Vc IIIIxx et VIIe, sicom dient les croniques qui de chu font mention. |
[L’an 587, l’Angleterre fut convertie] Et par après le pape de Rome, saint Grégoire, y envoya Augustin et quarante compagnons ; menant une sainte vie, ceux-ci convertirent le pays. Cela se passa en l’an 587, selon les chroniques qui mentionnent ces faits. |
Ches [II, p. 200] septes roys qui regnoient en Engleterre soy destrurent tous l'unc l'autre, et fisent tant oussi, que toute la terre fut destruite et gastée. |
Ces [II, p. 200] sept rois qui régnaient en Angleterre se détruisirent tous l’un l’autre et en firent tant que tout le territoire fut ravagé et saccagé. |
[Edmond, li LXXXVIe, qui fut proidhons] Apres, les Saxongnes governarent la royalme d'Engleterre par mult long temps, et mult de tribulations et de mechief faisoient au peuple ; et fisent enssi jusqu'à temps qu'il oit unc bon roy en Daxestre qui oit nom Emond. Et fut chis proidhons et amat mult sainte Engliese, et aux poevres faisoit mult de biens, et gardat mult bien son paiis contre ses anemis à son poioir. |
[Edmond, 86e, qui fut un sage] Après eux, les Saxons gouvernèrent le royaume d’Angleterre pendant très longtemps, imposant au peuple beaucoup de tribulations et de malheurs. Ils agirent ainsi jusqu’au temps où un bon roi, nommé Edmond, régna sur le Sussex. IL fut sage et très attaché à la Sainte-Église, faisant beaucoup de bien aux pauvres et protégeant très bien son pays contre les ennemis de son pouvoir. |
Et le vient corir sus, à tort et sens cause, li roy Gordan de Dannemarche, et amynat tant de Danois que ons n'en savoit le nombre, et conquisent tout la terre et le destrurent, et martyrisarent le roy sains Emond, qui astoit roy de Xestre. |
Et un jour, le roi Guthrun de Danemark, à tort et sans raison, vint l’attaquer, amenant avec lui tellement de Danois qu’on n'en connaissait pas le nombre. Ils conquirent tout le pays, le dévastèrent et martyrisèrent le roi saint Edmond, le roi de Sussex. |
[Eldret, li LXXXVIIe] Apres ches mals aventures que les Engles orent oiint, regnat unc mult noble roy en Kent, qui oit nom Eldret : chisti delivrat le paiis de ses anemis, et fist mult de maul aux Danois par pluseurs fois. |
[Éthelred, 87e] Après ces pénibles événements que les Angles eurent à souffrir, régna dans le Kent un très noble roi nommé Éthelred. Il délivra le pays de ses ennemis et, à plusieurs reprises, fit beaucoup de mal aux Danois. |
[Alvred, li LXXXVIIIe] Apres fut roy Alvred, li frere Eldret : chis oit mult de belles victoires contre ses anemis, et fut bon chevalier, hardis et mult redobteis ; et governat son rengne bien et sagement, et amat mult clergerie, et fist pluseurs beaux libres, et si estudioit sovent, et fut bien ameis de son peuple, et faisoit raison et justice à cascon solonc droit, et regnat XXX ans. |
[Alfred, 88e] Après devint roi Alfred, le frère d’Éthelred. Il remporta de belles et nombreuses victoires contre ses ennemis. Il fut un bon chevalier, hardi et redouté, gouvernant son royaume avec bonté et sagesse. Il aima beaucoup les clercs, composa plusieurs beaux livres et se consacra fort à l’étude. Il fut très aimé par son peuple et rendait à chacun raison et justice selon le droit. Il régna trente ans. |
[Edombart, li LXXXVIXe] Apres Alvred regnat son fis Edombart, et fut proidhons et saige, et regnat XXIIII ans. |
[Édouard, 89e] Après Alfred régna son fils Édouard ; ce fut un homme bon et sage, qui régna vingt-quatre ans. |
[Adelton, li XCe] Et apres regnat son fis Adelton mult cortoisement XXV ans. |
[Athelstan, 90e] Après lui, son fils Athelstan régna avec grande bonté vingt-cinq XXV ans. |
[Emonde, li XCIe] Et regnat Emond son frere, et oit guerre aux Dannois et les desconfist, et regnat VII ans. |
[Emond, 91e] Alors régna son frère Émond, qui fut en guerre avec les Danois qu’il vainquit. Il régna sept ans. |
[Eldret, li XCIIe] Apres regnat son frere Eldret, qui bien vengat Edombart son peire de ses anemis, et mist Escoche en sa subjection à sa volenteit, et regnat X ans et demy. |
[Eldret, 92e] Après fut roi son frère Eldret, qui vengea son père Édouard contre ses ennemis, soumit l’Écosse à sa volonté et régna dix ans et demi. |
[Edombin, li XCIIIe] Et puis regnat Edombin, son frere, qui fut mult contraire à Dieu et à sainte Engliese et à tous ses amis, et amat ses anemis, et derobat et pilhat tous les tressours de sainte Engliese, et regnat IIII ans. |
[Edwy, 93e] Et puis régna Edwy, son frère, qui fut très hostile à Dieu, à la Sainte-Église et à tous ses amis. Il aima ses ennemis, déroba et pilla tous ses trésors de l'Église. Son règne dura quatre ans. |
Apres regnat son fis Eadgar, qui mult fut proidhons et amat sainte Engliese, et donnat mult de sien aux poevres englieses et aux poevres gens, et fut de sainte vie, et amat toutes gens de bonne vie et leur portoit grant reverenche [II, p. 201], et aprendoit volontier toute bonne doctrine, et à servir Diue astoit mult diligens, et mettoit grand poine del faire à chascon raison et justiche, et regnat XVII ans. |
Après lui, son fils Édouard devint roi. Il fut très sage et aima la sainte Église, donnant beaucoup de ses biens aux pauvres églises et aux pauvres gens. Il mena une sainte vie, aimant tous les gens de bonne vie et leur portant grand respect [II, p. 201]. Il apprenait volontiers toute bonne doctrine, et était très actif à servir Dieu. Il prenait grand soin de rendre à chacun raison et justice. Il régna 17 ans. |
[Edombart, li XCIVe] Apres fut roy son fils Edombart, et estoit son fis de sa promier femme ; chesti ensuit son peire en tot bien faire et fut sains hons et juste ; et le fist ochier sa mareste, qui oit nom Estrildis, quant ilh oit regneit XII ans. |
[Édouard, 94e] Après lui régna son fils Édouard, né de sa première femme. Homme saint et juste, il suivit l'exemple de son père et fit le bien en tout. Sa marâtre, nommée Elfride, le fit tuer, quand il eut régné douze ans [Édouard le Martyr, selon Bo]. |
[Eldred, li XCV] Apres fut roy son fis Eldred, et oit II fis Emond et Edonbine. Cesti Edonbin fut ochis par le roy Subin de Dannemarche, qui en Engleterre estoit venus et conquist tout le paiis, et s'enfuit Emond en Normendie, et là trovat-ilh mult bon ayde, et retournat en Engleterre et trovat que Subin, li roy de Dannemarche, estoit mort, et Keont son fis y regnoit ; et tantost qu'ilh soit la venue Emond, ilh s'enfuit en Dannemarche. |
[Ethelred, 95e] Après lui, son fils Ethelred fut roi ; il eut deux fils, Emond et Edonbin. Cet Edobin fut tué par le roi Subin (Sweyn ou Suenon) de Danemark, qui était venu en Angleterre et avait conquis tout le pays ; Emond s'enfuit en Normandie, où il trouva une aide importante et bonne, et retourna en Angleterre ; il apprit que Subin, le roi de Danemark était mort et que son fils Keont était roi ; dès que celui-ci connut l'arrivée d'Emond, il s'enfuit au Danemark. |
[Emond, li XCVI] Adont Emond saisi tout sa royalme, et fist morir cheaux qui avoient sourtenu cheaux qui astoient ses annemis contre luy, et regnat IX ans, et avoit à espeuse la seur Richar, le duc de Normendie, et oit II fis Elvred et Edombart. |
[Emond, 96e] Alors Emond s'empara de tout le royaume, et fit mourir ceux qui avaient soutenu contre lui ses ennemis ; il régna neuf ans ; il avait pour épouse la soeur de Richard, le duc de Normandie, et il eut deux fils, Alfred et Edouard. |
[Edombart, XCVII]. Et fut Emond ochis, et puis furent ses II fis envoiés en Normendie afin qu'ilh ne fussent ochis ; et là furent-ilh bien nuris de duc Guilhaume, tant que ilh furent grans. |
[Édouard, 97e] Emond fut tué et ses deux fils furent envoyés en Normandie pour éviter d'être tués ; là ils furent bien élevés par le duc Guillaume, jusqu'à ce qu'ils soient devenus grands. |
[Adelton et Adelbrich, XCVIII] Et le temps pendant que ches enfans astoient en Normendie, ilh oit en Engleterre II roys qui astoient de Dannemarche, li unc oit nom Adelton et l'autre Adelbrich, qui mult fisent de mal aux Englés, por chu qu'ilh savoit bien que la terre ne leur demorroit pais à tousjours. Et por chu les Englés envoiarent en Normendie quiere leur saingnour, se leur fut envoiet Guilhaume le bastard et awec luy mult de bonnes gens. Et fut Alvred en trahison ochis de son oncle, qui cuidat ochier l'autre por avoir son royalme. |
[Adelton et Adelbrich, 98e] Et pendant le temps où ces enfants étaient en Normandie, il y eut en Angleterre deux rois originaires du Danemark ; l'un s'appelait Adelton et l'autre Adelbrich ; ils firent beaucoup de mal aux Anglais, parce qu'ils savaient que cette terre ne resterait pas toujours la leur. Et comme les Anglais envoyèrent quérir en Normandie leur seigneur, on leur envoya Guillaume le Bâtard, accompagné de beaucoup de gens braves. Et Alfred (?) fut traîtreusement tué par son oncle, qui croyait tuer l'autre pour avoir son royaume. |
[Edombart, li XCIX] Et Endombart (Edouard le confesseur) fut bien gardeit, et le firent les Englés roy. Et enssi s'enfuirent les Dannois en leur paiis. Chis roy fut proidhons et fist mult de bien en sa vie ; et fist Dieu par luy mult de [II, p. 202] myracles, et regnat Xllans. |
[Edouard, 99e] Et Edouard fut bien protégé, et les Anglais le nommèrent roi. Ainsi les Danois s'enfuirent dans leur pays. Ce roi fut un homme sage, qui fit beaucoup de bien durant sa vie ; Dieu fit par son intermédiaire de nombreux [II, p. 202] miracles ; il régna douze ans. [C'est Édouard le Confesseur] |
[Harok, li Ce roy] Apres Harok, conte de Xenfort, fist tant qu'ilh fut roy d'Engleterre, et puis soy mist en mer por aleir en Flandre ; mains ilh arivat à (sic) en Pontieu, si fut pris et emmyneis à duc de Normendie Guilhaume le bastard, affin que ilh soy vengast de luy : car Genebin, son père avait fait ochire Alvred, le frere sains Edombart et cusin al duc Guilhaume. Totfois li accord fut fait enssi, que ly roy jurat sour les saintes ewangeiles que ilh esposeroit la filhe le duc, et por chu li donnat-ilh des riches dons. Et puis ly roy s'en alat en Engleterre, et ne tient ne foid ne creant il duc Guilhaume. De quoy li duc soy corochat, et por chu ilh passat mer à grans gens et conquist tout Engleterre, et ochist de sa main le roy Harok, et desconfist toutes ses gens, et les mist en sa subjection. |
[Harold, 100e roi] Dans la suite, Harold, comte d'Oxford, manoeuvra et finit par devenir le roi d'Angleterre. Puis il prit la mer pour se rendre en Flandre ; mais il arriva en Ponthieu, où il fut pris et emmené auprès du duc de Normandie, Guillaume le Bâtard, dont il voulait se venger (?) : car Godwin son père avait fait tuer Alfred, frère de saint Edouard et cousin du duc Guillaume. Toutefois un accord fut trouvé : il stipulait que le roi jurerait sur les saints évangiles d'épouser la fille du duc et pour cela, il donna de riches présents. Le roi retourna alors en Angleterre, où il ne manifesta aucune fidélité au serment qu'il avait fait envers le duc Guillaume. Celui-ci en fut irrité. Il traversa la mer avec une troupe nombreuse et conquit toute l'Angleterre ; il tua de sa main le roi Harold, défit tous ses gens et les mit sous sa domination. |
E. De Guillaume le Conquérant (101e roi) au roi Henri qui régnait en 1440 (117e roi)
Nous n'avons pas analysé en détail la dernière liste de rois depuis Guillaume le Conquérant jusqu'au roi Henri régnant en 1440. Nous avons dans la traduction introduit quelques éléments (dates, ou noms) pour faciliter la compréhension du lecteur, mais sans intervenir nettement. Pour les lecteurs intéressés, nous avons aussi présenté, sans commentaire et sans aucune prétention à l'originalité, une brève synthèse des réalités historiques, tirée des dictionnaires et des manuels.
Après Guillaume de Conquérant (duc de Normandie de 1035 à 1087, roi d’Angleterre de 1066 à 1087), fondateur de la dynastie anglo-normande, ses successeurs directs, Guillaume II le Roux (1087-1100), puis Henri I Beauclerc (1100-1135), qui sont les troisième et quatrième fils de Guillaume, consolident le pouvoir royal en Angleterre, tout en conservant le duché de Normandie.
Certains rois méritent quelques informations.
ÉTIENNE DE BLOIS (1135-1154). Petit fils de Guillaume le Conquérant par sa mère Adèle, il s’empare du trône à la mort d’Henri I Beauclerc. La guerre civile qui l'oppose à Mathilde, « l'Emperesse », et qui est connue sous le nom d'« Anarchie », s'éternise durant son règne et s'achève seulement lorsqu'il reconnaît comme héritier Henri, le fils de Mathilde, en 1153.
HENRI II (1133-1189), dit « Court-manteau », fils aîné de Geoffroi V Plantagenêt et de Mathilde l’Emperesse, succède à Étienne de Blois sur le trône d’Angleterre. Il est duc de Normandie (1150-1189), comte d’Anjou (1151) et duc d’Aquitaine (1152-1189) [par son mariage avec Aliénor], roi d’Angleterre (1154-1189]. Ses réformes dans ce pays heurtent les privilèges des barons et de l’Église. Il rencontre notamment la violente opposition de l’archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket : le conflit aboutit au meurtre de l’archevêque. Henri II consolide son domaine français et pratique une politique d’entente avec l’Empire, la Sicile et la Savoie. Il annexe, aux dépens de l’Écosse, le Cumberland et le Northumberland (1157). La fin de sa vie fut assombrie par les révoltes de ses fils, Henri dit « le Jeune » qui règnera avec lui (1173 et 1183) et Jean sans Terre (1188-1189) qui deviendra roi plus tard (1199-1216).
RICHARD Ier CŒUR DE LION (1189-1199), fils d’Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine, lui aussi comme les deux personnages qui viennent d’être cités. Régime autoritaire, comme celui de Henri II.
« Après la mort subite de son frère aîné le roi Henri le Jeune en 1183, il devient héritier de la couronne d’Angleterre, mais aussi de l’Anjou, de la Normandie et du Maine. Pendant son règne, qui dure dix ans, il ne séjournera que quelques mois dans le royaume d’Angleterre et n'apprendra jamais l'anglais. Il utilise toutes ses ressources pour partir à la troisième croisade, puis pour défendre ses territoires français contre le roi de France, Philippe Auguste, auquel il s’était pourtant auparavant allié contre son propre père. Ces territoires, pour lesquels il a prêté allégeance au roi Philippe, constituent la plus grande partie de son héritage Plantagenêt. » (Wikipédia)
« Peu après son accession au trône en 1189, il décide de se joindre à la troisième croisade, inspirée par la perte de Jérusalem, prise par Saladin. Richard Cœur de Lion craint que Philippe Auguste n’usurpe ses territoires en son absence. Le roi de France a les mêmes craintes vis-à-vis de son rival anglais, aussi les deux rois partent ensemble pour la Palestine. Ils s'engagent à défendre les territoires l'un de l'autre pendant qu'ils seront à la croisade. » (Wikipédia)
JEAN SANS TERRE (1199-1216), fils également d’Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine. Son surnom lui vient de ce qu’il perd une grande partie du domaine continental, suite aux conquêtes, par Philippe Auguste, de la Normandie, de la Touraine, de l’Anjou, de la Saintonge et du Poitou.
HENRI III (1216-1272), le fils aîné de Jean, lui succède. L’opposition des barons entraîne d’importantes réformes internes : la Grande Chartre (1215) équilibre les droits des barons et ceux du roi ; les Provisions d’Oxford (1258) accordent une importance grandissante au Conseil royal qui deviendra le Parlement sous Édouard Ier.
ÉDOUARD Ier (1272-1307), le fils aîné d’Henri III. Naissance du Parlement.
ÉDOUARD II (1307-1327), quatrième fils d’Édouard Ier. Déposé par le Parlement, il abdique et meurt en captivité au château de Berkeley, probablement assassiné.
ÉDOUARD III (1327-1377), fils aîné d’Édouard II. Descendant par sa mère des Capétiens directs, ses prétentions au trône de France entraînent le déclenchement de la guerre de Cent Ans.
RICHARD II (1377-1399), petit-fils d’Édouard III. Déposé par son cousin Henri Bolingbroke, le futur HENRI IV, il abdique et meurt en captivité au château de Pontefract, probablement assassiné. Mort sans descendance.
HENRI IV (1399-1413), également petit-fils d’Édouard III. Il est aussi seigneur d'Irlande de 1399 à 1413, et revendique les prétentions de son grand-père Édouard III sur le trône de France, en pleine guerre de Cent Ans. Il inaugure le règne de la maison de Lancastre, une branche cadette des Plantagenêt qui se maintient sur le trône jusqu'en 1461.
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On fera aussi remarquer in fine la confusion que manifeste le chroniqueur liégeois dans la numérotation des Henri et que nous n'analyserons pas.
[Guilhaume li bastard CIe] Apres chu que Guilhaume li bastard oit conquis Engleterre, il soy fist coroneir et governat la rengne noblement, car ilh estoit preux et hardis. Et puis oit mult grant gerre à roy de Scoche et le mist en sa subjection. Et puis li duc Wilhem revint en Normendie, où ilh morut. |
[Guillaume le bâtard, 101e] Après avoir conquis l'Angleterre, Guillaume le Bâtard se fit couronner et gouverna le royaume avec honneur, car il était preux et hardi. Par la suite, il mena une très grande guerre contre le roi d'Écosse et le mit en sa sujétion. Et puis, le duc Guillaume revint en Normandie, où il mourut [en 1087]. |
[Guilhaume CII - Henri CIII] Et puis fuit roy Guilhaume, son fis qui fut malvais tout sa vie, et fut ochis en unc bois. Et puis regnat son frere Henry Beauclerc, li promier de chi nom. |
[Guillaume, 102e - Henri, 103e] Ensuite le roi fut son fils Guillaume, qui fut mauvais durant toute sa vie et fut tué dans un bois [1087-1100]. Puis ce fut le règne de son frère Henri Beauclerc, premier de ce nom [1100-1135]. |
[Estienne - Henry - Henry CVI] Apres, regnat son cusin Estiene, li fis la contesse de Blois. Apres regnat Henry, li secon de chi nom, qui fut fis à conte Danien. Cesti regnat mult noblement et oit III fis : ly promier oit nom Henry, ly IIIIe de chi nom, qu'ilh fist coroneir. Et à son vivant fut mult malvais et oit grant gerre à son pere, et fist decolleir sains Thomas de Cantorbie, l'an M C et LXXII, et morut devant son pere, quant ilh oit regneit XXXVI ans, et oit II freres, Richart et Johans, et Il seurs, Alienor et Ysabel. |
[Étienne - Henri - Henri, 106e] Après devint roi son cousin Étienne, le fils de la comtesse de Blois [1135-1154]. Ensuite régna Henri, le second de ce nom, fils du comte Danien [C'est Henri II, dit « Court-manteau», 1154-1190, qui épousa Aliénor d'Aquitaine]. [Cet Henri II] régna honorablement et eut trois (?) fils : le premier eut pour nom Henri, le quatrième de ce nom [pour Jean], que Henri II fit couronner [qui régna avec lui]. De son vivant, ce fils fut très mauvais, mena une grande guerre à son père et fit décapiter saint Thomas de Cantorbéry (Thomas Beckett), en l'an 1172. Il mourut avant son père (en 1183), après un règne de 36 ans ; il avait deux frères, Richard [Coeur-de-Lion] et Jean [sans-Terre], et deux soeurs, Aliénor et Isabelle. |
[Richard, li CVII] Apres chu fut roy Richart. Cesti roy fut en la Terre-Sainte awec le roy de Franche, où ilh fist mult de beaux fais ; et euwissent conquis tout le paiis de Surie, se discors ne fust [II, p. 203] venus entres les cristiens. Apres ilh revient et fist mult de maule en Franche, et fut ochis d'une saiget. |
[Richard, 107e] Après le roi fut Richard [Coeur de Lion, 1189-1199]. Ce roi alla en Terre Sainte avec le roi de France et y accomplit de nombreuses actions d'éclat. Ils auraient conquis tout le pays de Syrie, si la discorde n'était pas survenue [II, p. 203] entre les chrétiens. Après, il revint en France et y fit beaucoup de mal. Il mourut d'une flèche [à Châlus, où il assiégeait un château]. |
[Johans, li CVIII roy - Henri, li CIXe roy - Eduart li CXe - Eduart li CXIe - Eduart li CXII] Apres fut Johans roy, et governat le roy de Franche Philippe Auguste, et grevat mult sainte Engliese. Apres fut roy Henri, li Ve de chi nom : cesti boutat hours Loys de Franche qui en Engleterre estoit entreis, et avait pris pluseurs citeis, et villes, et casteals. Apres regnat son fis Eduart mult noblement tout le temps qu'ilh viscat. Apres regnat son fis Eduart : cesti esposat Ysabel, la filhe du roy de Franche Philippe le Beal, et en oit unc fis qui oit nom Eduart. Apres les Englés misent ledit roy en prison, où ilh morut. Apres fut roy son fis Eduart, li IIIe de chi nom, et esposat Philippe, la filhe le conte de Hanault, et en issit une belle lignie. Apres fut roy Richart, li secon de chi nom, et regnat XXII ans. Apres ilh fut mis en prison, et fuit deposeit del royalme d'Engleterre par Henry de Lanclastre. |
[Jean, 108e roi - Henri, 109e roi - Édouard, 110e - Édouard, 111e - Édouard, 112e] Après, Jean [Sans Terre ; 1199-1216] devint roi, quand régnait en France Philippe Auguste, qui fit beaucoup de mal à la Sainte-Église. Après il y eut le roi Henri, le 5e de ce nom [en fait Henri III dans la nomenclature historique classique] : il chassa (du royaume) Louis de France [le futur Louis VIII], qui était entré en Angleterre, et s'était emparé de plusieurs cités, villes et châteaux forts. Après lui son fils Édouard [I] régna très honorablement [1272-1307], sa vie durant. Il eut un fils, nommé Edouard qui régna [de 1307 à 1327, en tant qu'Édouard II] et qui épousa [en 1308] Isabelle, la fille du roi de France Philippe le Bel et en eut un fils nommé Édouard. Par la suite, les Anglais mirent le dit roi en prison, où il mourut. Son fils Édouard, le troisième de ce nom, lui succéda [de 1327 à 1377]. Il épousa [en 1328] Philippa, la fille du comte de Hainaut, à l'origine d'une belle lignée [elle meurt en 1369]. Ensuite, Richard, le second de ce nom, fut roi durant 22 ans [de 1377 à 1399]. Après il fut mis en prison, et dépossédé du royaume d'Angleterre par Henri de Lancastre. |
[Henry, li CXIII - Henry CXIIII - Henry CXV - Henry CXVI -Henry, li CXVII] Apres fut roy Henry de Lanclastre, li VIe de chi nom, par grant forche, enssi qu'ilh apert plus plainement ès croniques d'Engleterre. Apres fut roy Henri, son fis, ly VIIe de chi nom. Apres fut coroneis Henry, son fis, ly VIIIe de chi nom, qui fist gran destruction et gran mal en Normendie et en Franche. Apres fut roy Henri, son fis, li Xe de chi nom, qui oussi gueriat Franche, enssicom son père, et soi faisoit appelleir roy de Franche et d'Engleterre, et oit oussi guerre à Philippe, duc de Borgongne, à cuy ilh gangnat grant avoir deleis Calais et desconfit ses gens : chis roy visquoit quant chis libre fut escript assavoir l'an M CCCC et XL. |
[Henri, 113e - Henri, 114e - Henri, 115e - Henri, 116e - Henri, 117e] Ensuite Henri de Lancastre, le 6e de ce nom, devint roi par la force, comme cela paraît avec plus de détails dans les chroniques d'Angleterre. Après devint roi son fils Henri, le 7e de ce nom. Ensuite fut couronné son fils Henri, le 8e de ce nom, qui causa grande destruction et grand malheur en Normandie et en France. Ensuite, le roi fut son fils Henri, le 10e [9e] de ce nom, qui guerroya aussi en France, comme son père, se faisant appeler roi de France et d'Angleterre ; il fit aussi la guerre à Philippe [le Bon], duc de Bourgogne [de 1396 à 1467], dont il tira grand profit près de Calais, ayant défait toutes ses troupes. Ce roi vivait en 1440, quand ce livre fut écrit. |
[Texte précédent II, p. 188a-193a] [Texte suivant II, p. 203b-218a]