Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 566b-579a
Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)
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Sous MARC AURÈLE ET VERUS, COMMODE, SEPTIME SÉVÈRE : GUERRE ENTRE BRETAGNE ET ÉCOSSSE - Diffusion du christianisme - LES PAPES SOTHER ET ÉLEUTHÈRE - GESTE DE VALENTIN ET DE THOMAS - DIVERS [Myreur, p. 566b-579a]
Ans 172-193
Après l'introduction générale, ce fichier comporte deux parties :
* Myreur, p. 566b-571a (A. Ans 172-179 : Guerre entre Bretagne et Écosse - Geste de Valentin et de Thomas - Diffusion du christianisme - Guerres de Marc Aurèle - Papes Sother et Éleuthère - Divers)
[sommaire] [texte]* Myreur, p. 571b-579a (B. Ans 180-193 : Commode et ses successeurs - Retour aux affaires de Bretagne, d'Écosse, de Gaule, de Danemark et de Hongrie - Thomas - Clodas - Franco - Anténor - Alexandre - Navit ) [sommaire] [texte]
Introduction générale aux deux parties
La geste de Valentin, de Thomas et de Clodas
L'essentiel du fichier propose un nouveau récit épique. Il traite de régions qui jusqu'alors n'avaient guère occupé le devant de la scène, à savoir la Grande-Bretagne, l'Irlande, l'Écosse, les Cornouailles, le Danemark et, dans un deuxième temps, la Hongrie. Au départ, ces conflits n'ont rien à voir avec les empereurs romains, qui ne furent entraînés dans la guerre que plus tard et indirectement. Autre remarque, ces conflits, dans leurs premières phases en tout cas, font intervenir la religion, l'amour ainsi que des éléments fantastiques. Le château de Valentin est englouti dans le sol par exemple, et un des protagonistes, le roi Thomas, âgé seulement de dix ans, est une sorte de géant.
Géographiquement parlant, il ne s'agit plus du monde peuplé de Romains et de Gaulois, dans lequel Jean avait l'habitude de faire évoluer son lecteur. Ce monde-là toutefois reste encore présent. En effet, les Romains de Marc Aurèle continuent à guerroyer contre des peuples (Alamans, Aquitains) qui veulent se libérer de leur autorité et donc du tribut. Sous Commode, les Romains sont même appelés à l'aide par le roi de Hongrie. Les affrontements entre les Gaulois de Franco et leurs voisins, en l'occurence les Flamands d'Anténor, se poursuivent aussi.
Dans les combats interviennent également de nouveaux protagonistes : Valentin, Thomas, et puis Clodas.
Le chrétien Valentin est un prince danois arrivé en Bretagne, à Londres, où il a épousé Hédéa, la fille du roi Simon, chrétienne elle aussi. Simon est attaqué par Yrchois, roi d'Écosse, ancien prétendant d'Hédéa, évincé parce qu'il était païen. Valentin aide son beau-père Simon, vainc les Écossais, tue Yrchois et succède à Simon. C'était une force de la nature « haut de quatorze pieds », écrit Jean (p. 567) qui ajoute que « les chroniques du Danemark disent que d'un seul coup il pourfendait jusqu'au cheval un homme en armes ».
Thomas, quant à lui, est le fils de ce Valentin mais, comme il n'est encore qu'un bébé à la mort de son père, il restera sous tutuelle jusqu'à l'âge de dix ans. Devenu alors roi et bon chrétien, il souhaite épouser Aliénor, la fille du roi païen de Cornouailles, lequel le rejette à cause de sa foi. Ne voulant pas renier celle-ci, Thomas déclare la guerre au roi de Cornouailles et, en preux chevalier, triomphe de tous ses adversaires. Dans le récit, cet enfant de dix ans est un véritable géant : « il est prodigieusement vigoureux, a plus de force que deux chevaliers et mesure plus de dix pieds de haut » (p. 572). Inutile de préciser qu'il tue le roi païen, épouse sa fille, devient roi de Cornouailles, construit des églises et impose le baptême à tous ses sujets, sous peine de mort en cas de refus. Il annexe aussi l'Irlande.
Mais il ne limite pas ses projets d'évangélisation à ce pays. La suite du récit est un rien confuse, mais l'intention claire de Thomas est d'aller convertir le Danemark. Dans ce but, il semble avoir demandé l'aide de différents chevaliers, de Bourgogne et d'ailleurs. Le projet intéresse un chevalier gaulois particulièrement vaillant, nommé Clodas, une sorte de « chevalier errant », toujours en quête d'aventures. Ce Clodas, frère d'Anténor de Flandre et oncle de Franco de Gaule, n'est pas chrétien mais se fait baptiser. Avec cinq cents hommes d'armes, il rejoint Londres et le roi Thomas. Le récit ne dit rien d'explicite sur la réalisation de la conversion du Danemark, mais on peut penser que cette question fut vite réglée. Quoi qu'il en soit, les objectifs de Thomas, de Clodas et de leurs troupes s'élargissent : l'invasion de la Hongrie est désormais planifiée, sans que le narrateur précise si les raisons de l'opération restent religieuses.
Quoi qu'il en soit, les troupes alliées envahissent la Hongrie, défont les troupes hongroises et ravagent le pays. Le roi hongrois Alexandre, qui a demandé l'aide des Romains de Commode, est assiégé pendant quinze mois dans sa ville de Targont. Incapable de s'emparer de la ville et blessé, le roi danois Thomas songe à lever le siège lorsqu'arrivent enfin les troupes romaines. Une bataille terrible s'engage, qui voit la défaite des Romains et des Hongrois. Lors d'un combat épique, Clodas est durement frappé par Commode, mais Thomas intervient et tue l'empereur romain. Thomas, resté maître du terrain, jure de s'emparer de Targont, où le roi Alexandre est toujours réfugié. On suppose que les Romains rescapés sont rentrés chez eux. En tout cas, à Rome, Commode doit être remplacé, par Helvius Pertinax d'abord, par Septime Sévère ensuite.
Tels sont les éléments essentiels du récit dans le présent fichier. La suite sera traitée dans le fichier suivant. Reste à dire un mot du Commode historique et de ses sucesseurs.
Commode et ses successeurs
On a suffisamment parlé, dans l'introduction du fichier précédent, de Marc Aurèle et de son épouse Faustine la Jeune (Faustina minor). Commode est leur fils. Des rumeurs toutefois avaient circulé à Rome sur cette filiation. On y a fait allusion. Ces rumeurs disaient que Commode ne serait pas le fils de Marc Aurèle mais celui de Faustine et d'un de ses amants, peut-être un gladiateur. On sait que sa mère est décrite par les sources romaines (à lire toutefois avec précaution) comme infidèle à son mari, le trompant sans vergogne avec des marins, des acteurs de pantomimes et des gladiateurs. Quoi qu'il en soit, lorsque Marc Aurèle meurt en 180 de notre ère, le trône revient à Commode.
Il y eut bien sous le règne de cet empereur quelques opérations militaires de second ordre en Bretagne, à la frontière du Danube et en Mauritanie, opérations auxquelles il ne participa pas personnellement. Faut-il préciser dans ces conditions que l'expédition de Commode en Hongrie, imaginée dans Ly Myreur pour répondre à un appel à l'aide lancé par le roi de ce pays n'a rien d'historique ? De Commode, l'Histoire a essentiellement retenu des détails concernant sa politique intérieure : l'emprise de ses favoris, sa conduite en matière religieuse (il se prenait pour un dieu), son despotisme, ses cruautés.
Il n'est pas mort sur un champ de bataille, mais étranglé par des conjurés en 192 de notre ère. Sa disparition ouvre d'ailleurs une crise de succession, un peu comparable à celle qui suivit la mort de Néron et où s'étaient succédé en une seule année Galba, Othon, Vitellius et finalement Vespasien. On utilise parfois, d'une manière quelque peu inexacte, l'expression « deuxième année des quatre empereurs » pour désigner l'intervalle de temps séparant la mort de Commode (192) de l'installation solide au pouvoir de Septime Sévère (194 de notre ère). En clair, après la mort de Commode, l'empire romain a connu quatre empereurs Helvius Pertinax, Didius Iulianus, Pescennius Niger et finalement Septime Sévère, le seul qui va durer (jusqu'en 211 de notre ère).
Jean (ou sa source) n'a manifestement pas conscience de ce qui s'est passé, quand il évoque la nomination par le Sénat de deux empereurs gouvernant en commun, Pertinax et Sévère. Il semble croire, comme plus haut avec Marc Aurèle et Lucius Verus, que le système impérial est devenu collégial. On appréciera aussi la mention, comme pour les papes, de la durée de vacance du siège (deux mois entre Commode et Pertinax !). Le chroniqueur donne aussi un chiffre inexact à propos du règne de Pertinax : il n'a pas régné six mois, mais quatre-vingt-sept jours. De Septime Sévère, le fondateur d'une nouvelle dynastie (celle des Sévères), il sera davantage question dans l'introduction du fichier suivant.
Les papes
Les papes qui interviennent ici sont Sother (166-175 de notre ère, mais 165-177 selon Jean d'Outremeuse) et Éleuthère (175-189 de notre ère, mais 177-194 selon Jean). Le premier, Sother, a déjà été mentionné précédemment (p. 564-565), à propos de ses ordonnances sur les nonnes. Il l'est ici (p. 569-570) pour les hérésies qui ont marqué son pontificat, et en particulier l'hérésie montaniste.
Les informations de Jean sur son successeur Éleuthère sont distribuées sur deux passages éloignés de quelque dix pages : p. 569, dans la présente section, et p. 579, dans la suivante, qui signale son décès et précise qu'il fut martyrisé et enterré près de la tombe de saint Pierre (deux informations « classiques » quand il s'agit de papes). Ici (p. 569), après avoir qualifié le nouveau pape de mult proidhons, Jean s'attarde à un événement majeur de son pontificat, à savoir l'évangélisation de l'Écosse et l'organisation d'un clergé nouveau sur le modèle de l'ancien. Une tâche immense qui fut remplie par deux religieux (Frigaine [Fugane, selon Martin] et Damien), envoyés sur place en réponse à une demande adressée au pape par le roi du pays Lucius.
Martin (p. 412, éd. Weiland) donne beaucoup d'informations sur Éleuthère, non reprises d'ailleurs par Jean, mais il évoque lui aussi le travail d'évangélisation mené par ce pape. Avec toutefois une différence importante. Chez Martin, il n'est pas question d'Écosse, mais simplement de Britannia, et le roi qui écrit au pape est « Lucius, roi de Bretagne » (Lucius rex Britannicus) : Hic (le pape) accepit epistulam a Lucio, Britannico rege, ut christianus efficeretur per eius mandatum « [Éleuthère] reçut une lettre de Lucius, roi de Bretagne, pour devenir chrétien, sur son ordre ». C'est exactement la formule utilisée par le rédacteur de la notice du Liber Pontificalis, beaucoup moins détaillée par ailleurs que celle de Martin. Ainsi par exemple, elle ne contient pas les noms des deux apôtres évangélisateurs.
Pas question donc d'Écosse, mais simplement de Bretagne. C'est également le cas dans d'autres sources anciennes. Ainsi Bède le Vénérable, dans son Histoire de l'Église en Angleterre (Historia Ecclesiastica gentis Anglorum) achevée vers 731, avait écrit : « En ce temps-là, Éleuthère, un saint homme devint pape de l'Église de Rome. Lucius, roi des Bretons, lui adressa une lettre lui exprimant son désir de devenir chrétien par son canal. Il obtint une réponse favorable à sa pieuse requête et les Bretons conservèrent intégralement et sans tache la foi qu'ils avaient reçue. Ils connurent une période de paix et de tranquillité jusqu'à l'avènement de l'empereur Dioclétien » (IV, 71, trad. P. Delaveau, Paris, 1995). Bède non plus ne donne pas les noms des apôtres envoyés par le pape. Bref, dans ces sources (y compris Martin), Lucius est toujours roi de Bretagne et non roi d'Écosse, et il y est question de l'évangélisation de la Bretagne et non de l'Écosse.
Comme si Jean avait eu conscience d'un problème, il précise, il est vrai, à propos du personnage, que ce « Lucius, roi d'Écosse devint plus tard roi de Bretagne (roy de Scoche qui puis fut roy de Bretangne (p. 570). Manifestement, Jean porte une part de responsabilité dans l'introduction de l'Écosse dans son récit. Pourquoi a-t-il parlé d'Écosse ?
Nous nous bornerons à tracer quelques pistes dans une affaire apparemment complexe. Jean avait déjà envisagé plus haut (p. 462-463) la conversion, pour ainsi dire totale, de la Grande-Bretagne. En effet, le roi du pays avait d'abord fait emprisonner l'évangélisateur ‒ Luc l'Évangéliste ‒ mais, après la guérison de son épouse par ce dernier, il s'était converti et avait pris le nom de Luc comme nom de baptême. Ce fut même, comme le précise Jean, « le premier roi chrétien du monde. Il réussit [...] à faire qu'en l'espace de cinq mois, il ne se trouvât plus dans toute la Grande-Bretagne une seule personne, ayant une autre croyance que la foi en Jésus-Christ . La Grande-Bretagne était déjà christianisée depuis un certain temps. Restait l'Écosse, une Écosse qui, dans la geste de Valentin et de Thomas, était païenne. Qu'on songe à l'Écossais Yrchois, le prétendant d'Hédéa, évincé pour des raisons religieuses par le roi Simon de Bretagne, père de la jeune fille, qui était, lui, chrétien. Nous n'en dirons pas plus.
A. Guerre entre Bretagne et Écosse - Valentin et Thomas - Diffusion du Christianisme - Guerres de Marc Aurèle - Papes Sother et Éleuthère et divers [Myreur, p. 566b-571a]
Ans 172-179
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Une guerre éclate entre le roi Simon de Bretagne et le roi païen Yrchois d'Écosse, prétendant évincé d'Hédéa, fille chrétienne de Simon - Simon est tué, les Bretons défaits se replient avec Hédéa dans Londres assiégée par les Écossais (172)
[p. 566] [Grant batalhe entre le roy de Bretagne et de Scoche] Item, l'an CLXXII, en mois de may, oit une grant batalhe entre le roy Symon de la Grant-Bretangne, que ons nom à present Engleterre, de une part, et le roy Yrchois de Scoche, d'altre part. |
[p. 566] [Grande bataille entre le roi de Bretagne et le roi d'Écosse] En l'an 172, au mois de mai, une grande bataille opposa le roi Simon de Grande-Bretagne, qui se nomme maintenant Angleterre, d'une part, et le roi Yrchois d'Écosse, d'autre part. |
Et vos diray por queile raison la guerre vient entre eaux : ly roy Symon avoit une belle filhe, qui fut nommée Hedea, que ly roy de Scoche voloit avoir à femme ; mains la dammoiselle ne s'y voloit mie accordeir. Portant commenchat la guerre, qui mult costat ; car la damoiselle estoit cristine, et ly roy de Scoche estoit paiens. |
Je vous dirai la cause de la guerre qui survint entre eux. Le roi Simon avait une fille très belle, nommée Hédéa, que le roi d'Écosse souhaitait épouser ; mais la demoiselle ne voulait pas donner son accord, car elle était chrétienne et le roi d'Écosse était païen. C'est pourquoi éclata une guerre qui fut très ruineuse. |
En cest batalhe, qui se fist tout promierement, fut ly bon roy Symon ochis et ses gens desconfite ; et les fuans [p. 567] s'enfermarent en la citeit de Londre, où la damoselle Edea estoit, qui demenoit grant duelhe. Adont fut la citeit assegié des Escochois mult fortement. |
Dans la bataille, qui eut lieu aussitôt, le bon roi Simon fut tué et ses troupes furent vaincues. Les fuyards [p. 567] s'enfermèrent dans la cité de Londres, où se trouvait la demoiselle qui menait grand deuil. La ville fut alors très fortement assiégée par les Écossais. |
Le chevalier Valentin, prince de Danemark, arrivé par mer à Londres et informé de la situation, propose son aide à Hédéa contre le roi d'Écosse - Baptisé, il épouse Hédéa, vainc les Écossais, dont il tue le roi, et devient roi de Grande-Bretagne (172-173)
[p. 567] [De Valentin, le fis le roy de Dannemarche] A cel temps, avoit uns roy en Dannemarche qui avoit unc fis qui fut nomeis Valentiens, qui astoit ly myedre chevalier qui oncques awist esteit depuis le temps Julius-Cesar ; car ons truve, es croniques de Dannemarche, que ilh coupoit unc homme tout armeis jusqu'en cheval à unc seul coulpe. Et estoit grans de XIIII piés. |
[p. 567] [Valentin, le fils du roi de Danemark] À cette époque, régnait au Danemark un roi, qui avait un fils appelé Valentin. Ce Valentin était le meilleur chevalier qui ait jamais existé depuis le temps de Jules César. On lit en effet, dans les chroniques du Danemark, que d'un seul coup il pourfendait jusqu'au cheval un homme en armes. Il était haut de quatorze pieds. |
Chis Valentien s'avisat en cel an et montat sour mere en unc bateal, et s'en allat nagant awec unc seul escuwier et tant que la mere le jettat par le volenteit de Dieu à port de Londre. Et là ly fut compteit, par unc sarasin que ilh encontrat, coment ly roy de Scoche avoit assegiet la citeit de Londre, et voloit avoir la pucelle à femme contre sa volenteit, et ossi comment ilh avoit ochis son peire en batalhe. Adont demandat Valentien se la dammoiselle estoit la filh de roy de la Grant-Bretangne. Chis respondit : « Oilh, et est la terre del tout à lée. » Quant Valentin entendit chu, si fut convoiteux de avoir la terre en sa parchon ; se en allat vers la citeit, et fist tant al portier que la pucelle vint à ly parleir sus la porte. Adont ly dest Valentien : « Ma dammoiselle, j'ay entendut que ly roy de Scoche vos fait tres-grant desplasier, et vos at vostre peire ochis, et puis vos at enfermeit, si vos wet avoir à femme contre vostre volenteit ; mains je suy venus chi por vos deffendre, se chu estre vostre plaisier, car je vos quide mult bien delivreir de vos anemis. » |
Ce Valentin décida cette année-là de prendre la mer sur un bateau. Accompagné d'un seul écuyer, il navigua jusqu'à ce que, par la volonté de Dieu, la mer le fasse aborder dans le port de Londres. Là, il rencontra un païen et apprit par lui que le roi d'Écosse assiégeait la cité de Londres et voulait épouser la pucelle contre sa volonté et aussi qu'il avait tué son père dans la bataille. Alors Valentin demanda si la demoiselle était la fille du roi de Grande-Bretagne. Celui-ci lui répondit : « Oui, et c'est elle qui possède tout ce territoire. » Quand Valentin entendit cela, il désira vivement posséder cette terre dans sa part [de territoire]. Il se dirigea vers la ville et obtint du portier que la pucelle vienne lui parler sur le pas de la porte. Valentin lui dit alors : « Mademoiselle, j'ai appris que le roi d'Écosse vous cause beaucoup d'ennuis, qu'il a tué votre père, qu'il vous a enfermée et veut vous épouser contre votre volonté. Je suis venu ici pour vous défendre, si cela vous agrée, car je crois beaucoup pouvoir vous délivrer de vos ennemis. » |
[Coment Valentin convoitat la filhe le roy de Bretangne d’avoir à femme] Quant les barons qui estoient de conselhe la dammoiselle entendirent chu, se ly demandarent : « Amis, qui esteis-vos, et de queile pays ? Bien sembleis vos bon chevalier et poisans. » Respondit Valentin : « Je suy ly fis le roy de Dannemarche, et suy nommeis Valentin. Se m'en aloy joweir par mere, et m'at chi jetteit ly vens ; et m'at racopteit uns hons l'aventure de la dammoiselle de chi paiis ; se moy presente à lée ; s'elle moy wet rechivoir, je suy preste de lée y à aidier. » |
[Valentin désire avoir pour femme la fille du roi de Bretagne] Quand les barons qui étaient les conseillers de la demoiselle entendirent cela, ils lui demandèrent : « Ami, qui êtes-vous et quel est votre pays ? Vous paraissez être un chevalier bon et puissant. » Valentin répondit : « Je suis le fils du roi de Danemark, et je m'appelle Valentin. J'avais pris la mer pour me distraire, quand le vent m'a jeté ici ; un homme m'a raconté les malheurs de la demoiselle de ce pays ; je me présente à elle ; si elle veut me recevoir, je suis prêt à l'aider. » |
Et quant les barons entendirent chu, sy dessent entre eaux que leur dammoiselle seroit bien mariée à chis prinche, mains qu'ilh creyst en Dieu, car ilh estoit de tresgrant sanc, et estoit bons chevalier et beaux. |
Quand les barons entendirent cela, ils se dirent entre eux que ce serait une bonne chose pour leur demoiselle d'être mariée à ce prince, pourvu qu'il crût en Dieu, car il était de sang très noble, beau et excellent chevalier. |
Adont fut Valentien appelleit, et ly ont dit : « Monsangnour, se vos estiés cristiens, sicom nous summes, nos prenderins volentiers vostre aiide, et vos donriens nostre [p. 568] dammoiselle à femme, et sieriés roy de chi pays, puis le defenderiés com vostre regne. » |
Alors on appela Valentin et on lui dit : « Monseigneur, si vous étiez chrétien, comme nous, nous accepterions volontiers votre aide et nous vous donnerions notre [p. 568] demoiselle pour épouse, vous seriez le roi de ce pays, et puis vous le défendriez comme votre royaume. » |
Quant Valentien entendit chu, se dest tout en riant : « Saingnours, ovreis le porte et moy lassiés entreir dedens ma citeit, car puisque je en puy estre sires por le cause que vos dit, dont est-elle myene, car j'ay creyut en Jhesu-Crist, ilh at passeis VII ans ; mains oncques plus ne l'oisay diere, et portant me soy partis de Dannemarche que je ne poioy plus demoreir entres les paiiens qui ne croient en Jhesu-Crist. » |
Quand Valentin entendit cela il dit tout souriant : « Seigneurs, ouvrez la porte et laissez-moi entrer dans ma cité. Je puis en être le seigneur, et je vous dis qu'elle est à moi ; en effet, depuis sept ans déjà, je crois en Jésus-Christ. Je n'ai jamais osé le dire, mais c'est pour cela que je suis parti du Danemark : je ne pouvais plus rester parmi les païens qui ne croient pas en Jésus-Christ. » |
[Valentin fut baptisiés, et esposat la filhe de roy] Quant les barons entendirent chu, si ovrirent les portes, et ilh entrat ens mult douchement. Adont fut-ilh baptiziés, mains ilh ne changat mie son nom ; et puis esposat la filhe de roy, Edea, qui bien s'y accordat, portant qu'ilh estoit cristiens, et beals et bons et de royal lignie. Enssi furent faites les noiches. Adont avoit ly siege dureis presque une an. |
[Valentin est baptisé et épouse la fille du roi] Quand les barons entendirent cela, ils ouvrirent les portes, et il pénétra à l'intérieur très posément. Alors il fut baptisé sans changer de nom. Ensuite il épousa la fille du roi, Hédéa, qui s'en accommoda très bien, parce qu'il était chrétien, et beau et bon, et de lignée royale. Ainsi furent célébrées ces noces. À ce moment-là, le siège durait depuis près d'un an. |
[CLXXIII] Et à quart jour apres les noiches, assavoir l'an CLXXIII, le XIIIIe jour de may, issit Valentin awec ses gens tous armeis. Et estoit ly roy armeis des armes de la Grant-Bretangne. Quant ly roy de Scoche veit les Bretons issir fours tous rengiés, se fist ses gens armeir et rengier ; mains ilh soy mervelhat grandement dont venoit chis hons, qui si gran estoit et avoit pris les armes de chi pays. |
[An 173] Et quatre jours après les noces, c'est-à-dire le 14 mai en l'an 173, Valentin sortit de la ville avec tous ses hommes armés. Le roi portait les armes de la Grande-Bretagne. Quand le roi d'Écosse vit sortir les Bretons en ordre de bataille, il fit armer et ranger ses troupes ; mais il fut très étonné, se demandant d'où venait cet homme, qui était de si grande taille et avait pris les armes de ce pays. |
[Valentin ochist le roy de Scoche et desconfist ses gens] Adont corut sus ly uns l'autre, et là oit grant batalhe ; mains les Bretons ne perdirent que bien pau de gens, car Valentin estoit en la grant presse, qui fendoit les Escochois en dois jusques aux chevals. De ches coupes furent les Escochois mult esbahis, et leur roy estoit mult esmayés qu'ilh ne fust desconfis. Tant ferit et frappat Valentin, que ilh abatit l'estandart des Escochois ; et se ochis le roy et ses III fils et mult d'altres nobles : enssi furent desconfis le Escochois, et s'enfuirent. Et les barons en ralont en la citeit de Londre à grant joie, en disant que à bonne heure vienet Valentin en Bretangne, que enssi les avoit vengiet de leurs annemis |
[Valentin tua le roi d'Écosse et défit ses troupes] Alors ils se précipitèrent l'un sur l'autre et il y eut une grande bataille ; mais les Bretons ne perdirent que très peu d'hommes, car Valentin mettait une grande pression, pourfendant les Écossais en deux, jusqu'à leurs chevaux. Ces coups épouvantèrent fort les Écossais et leur roi eut très peur d'être vaincu. Valentin tapa et frappa si fort qu'il abattit l'étendard des Écossais, tua leur roi, ses trois fils et beaucoup d'autres nobles seigneurs ; ainsi les Écossais furent défaits et s'enfuirent. Les barons, très joyeux, rentrèrent à Londres, disant que Valentin était venu en Bretagne au bon moment, les avait vengés de leurs ennemis. |
Mains la damme Edea fist son noveal saingnour grant fieste oultre mesure. Enssi fut Valentin, ly fis le roy de Dannemarche, roy de la Grant-Bretangne ; et regnat longtemps et fut mult proidhons et loial ; si amat tousjours sainte Engliese, et tout chu qu'ilh devoit ameir par raison. |
La dame Hédéa fit grande fête à son nouveau seigneur, au-delà de toute mesure. Ainsi, Valentin, fils du roi de Danemark, devint roi de Grande-Bretagne. Il régna longtemps et se montra sage et loyal. Il aima toujours la Sainte-Église et tout ce qu'il devait raisonnablement aimer. |
Progression du christianisme et divers : Épidémie mortelle à Rome - Constructions d'églises à Cologne, à Langres - Naissance d'un fils André en Angleterre chez le roi Valentin et Hédéa - Pluies désastreuses, engendrant vie chère et mortalité dans l'empire romain - Fortes gelées en Germanie - Le roi Valentin consacre une église à saint Paul à Londres (173-176) - Navit construit des églises à Mayence et à Metz - Le pape Sother meurt martyrisé, au temps des hérétiques Prisca et Maximille - Sous le pape Éleuthère, le roi Lucius d'Écosse et ses sujets reçoivent le baptême (177)
[Mortaliteit à Romme] En cel an, oit à Romme grant mortaliteit, car les gens chaioient mors par les [p. 569] rues, enssi com ilhs fussent pasmeis. Et durat de mois de may jusques en decembre. De ceste mortaliteit morut bien XLm hommes. |
[Mortalité à Rome] Cette année-là, Rome connut une forte mortalité, car les gens tombaient morts dans [p. 569] les rues, comme évanouis. Et cela dura de mai jusqu'en décembre. Cette épidémie mortelle provoqua la mort d'au moins quarante mille hommes. |
[De Navitus, evesque de Tongre] Item, l'an CLXXIIII, en mois de junne, edifiat Navitus, li evesque de Tongre, une engliese, à Colongne, en l'honeur de sainte Cecile. |
[Navit, évêque de Tongres] En l'an 174, au mois de juin, l'évêque de Tongres, Navit, construisit à Cologne une église en l'honneur de sainte Cécile. |
[De Johans dus de Borgongne] Item, en cel an, en mois de marche, edifiat Johans, dus de Borgongne, une engliese en l'honeur de sains Johans ewangeliste, en la citeit de Lengres. |
[Jean de Bourgogne] Cette même année, en mars, Jean, duc de Bourgogne, édifia dans la cité de Langres une église en l'honneur de saint Jean l'Évangéliste. |
[CLXXV] L'an CLXXV, oit ly roy Valentin de la Grant-Bretangne de sa femme Edea I fis, qui fut nommeis Andrier, qui puis fut bon chevalier. |
[175] En l'an 175, le roi Valentin de Grande-Bretagne eut de sa femme Hédéa un fils, appelé André, qui devint plus tard un bon chevalier. |
[Gran plovaige] En cel an, en mois d'avrilh, commenchat unc si gran plovaige, qui durat XXXVI jours sens aresteir ; et chu fut tant seulement en Ytaile et en l'empire de Romme. De cest ploive furent les terres sy detempreeis, que tous les biens furent noiiés et perdus. |
[Grandes pluies] En cette année, au mois d'avril, une pluie très abondante commença à tomber sans arrêt durant trente-six jours. Cela se passa seulement en Italie et dans l'empire de Rome. Suite à cette pluie, les terres furent détrempées au point que tous les biens furent noyés et perdus. |
[Chire temps] Si fut ly bleis sy chire que unc pain, que ons soloit devant vendre unc denier, ons le vendoit dois souls. Et par chest default mangnarent asseis de gens del chaire sens pain ; car ons donnoit adont asseis de chaire por pou d'argent, et les aultres gens magnoient rachines cuites en aighes et fructes. De cheaux, qui furent enssi nouris de teile manere, en morit tant que mervelhe car ilhs estoient tous enfleis de famyne. |
[Époque de vie chère] Le blé devint si cher qu'un pain, vendu d'habitude deux sous, se vendait un denier. Et à cause de cette pénurie, des gens s'alimentaient de viande sans pain, car on leur donnait beaucoup de viande contre un peu d'argent (?), tandis que les autres gens mangeaient des racines cuites à l'eau et des fruits. Ceux qui se nourrissaient ainsi moururent en nombre incroyable, car ils étaient tous enflés à cause de la famine. |
[Grant galée] Item, cel an, le Ve jour de mois d'octembre, commenchat une grant jalée es parties d'Allemangne que ons nommoit adont Germaine, qui fut sy resde, que toutes les aighes grant et petites furent engallées, foursmis celles qui ne puelent engaleir. Et durat jusques à IXe jour d'avril l'an CLXXVI. |
[Grande gelée] Cette année-là, le 5 octobre, une grande période de gel sévit dans les régions d'Allemagne qu'on appelait alors Germanie. Le froid était si rude que toutes les étendues d'eaux, petites ou grandes, furent prises par la glace, à l'exception de celles qui ne peuvent geler. Et cela se prolongea jusqu'au 9 avril 176. |
Item, cel an, edifiat Valentin, roy de la Grant-Bretangne, une mult belle englise, que ilh fist consecreir en l'honeur de sains Poul, en la citeit de Londre. |
Cette année-là, Valentin, roi de Grande-Bretagne, construisit une très belle église, qu'il fit consacrer en l'honneur de saint Paul, dans la cité de Londres. |
[p. 569] [CLXXVII - De sains Navitus, evesque de Tongre] Item, l'an CLXXVII, le secon jour de may, commenchat sains Navitus, evesque de Tongre, à edifiier une engliese en la citeit de Maienche, en l'honeur de sains Clement. Et en chist année meismes commenchat une altre en la citeit de Mes, en l'honeur de sains Materne. |
[p. 569] [An 177 - saint Navit, évêque de Tongres] En l'an 177, le 2 mai, saint Navit, l'évêque de Tongres, fit construire une église dans la cité de Mayence, en l'honneur de saint Clément. Et la même année, il en commença une autre dans la ville de Metz, en l'honneur de saint Materne. |
[Sother, le pape, morut par martyr] Item, en cel an meismes, en mois de fevrier le XXe jour, morut Sother, ly pape de Romme ; si fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire. |
[Le pape Sother meurt martyr] En cette même année, le 20 février, mourut Sother, le pape de Rome. Il fut enseveli en l'église Saint-Pierre. |
[Des heretiques cathafrigiens et de leurs heresiies] Al temps de cheli pape Sother furent le cathafrigiiens heretiques, une gens qui furent neis en Frise, le provinche là ilhs prisent leur nom. Cheaux disoient que ly Sains-Espir ne [p. 570] fut oncques donneis aux apostles, fours que à Prisca et Maximille [et Montanie, B ms], qui sortenoient chis heresie. Chi pape Sother fut martirisiet. |
[Les hérétiques cathaphrygiens et leurs doctrines] Au temps du pape Sother vécurent les hérétiques cataphrygiens (= Montanistes), des gens nés en Phrygie, la province qui leur donna leur nom. Ils disaient que le Saint-Esprit ne fut [p. 570] jamais donné aux apôtres, mais seulement à Prisca et Maximille [et Montan], qui soutenaient cette hérésie. Ce pape Sother fut martyrisé. |
[De Eleutherius, le XIIIIe pape] Apres sa mort vacat ly sige XXII jours, et puis apres, le XIIIIe jour de marche, fut consacreis à pape de Romme Eleutherius, qui fut de la nation de Greche, de Nycopal la vilhe ; et oit son peire à nom Habondan. Lyqueis Eleutherius tienet le siege XVI ans, VII mois et XII jours, et fut mult proidhons. |
[Éleuthère, quatorzième pape] Après la mort de Sother, le siège papal resta vacant durant vingt-deux jours, et, ensuite, le 14 mars, Éleuthère, un Grec originaire de la ville de Nicopolis fut consacré pape de Rome ; son père se nommait Habondius. Éleuthère occupa le siège pontifical seize ans, sept mois et douze jours. C'était un homme très sage. |
[Luciien, roy de Scoche, et son peuple furent cristiens à chi pape Eleutherius] La promier année de sa pontification mandat Luciien, le roy de Scoche qui puis fut roy de Bretangne, à pape qu'ilh voloit prendre baptesme à son mandement. Dont ly pape en rendit grasce à Dieu, et y envoiat II religieux hommes, Frigaine et Damyain, qui le roy baptisarent et son peuple. Ilh avoit adont en Escoche XII evesques des ydolles que ons apelle flamines, entres lesqueiles avoit trois archeflamynes ; mains les sains religieux deseurdis, de mandement apostolique, là ilh avoit des flamynes ilhs ordinont des evesques, et là ilh avoit des archiflamynes ilhs fisent des archevesques. Et enssi l'avoient les apostles fermeit, et par leurs decreis ordineit. |
[Le roi d'Écosse Lucius et son peuple deviennent chrétiens sous Éleuthère] La première année du pontificat d'Éleuthère, Lucius, roi d'Écosse, qui fut par la suite roi de Bretagne, fit savoir au pape que, à son commandement, il recevrait le baptême. Le pape rendit grâce à Dieu pour cette demande et envoya (en Écosse) deux religieux, Fugaine et Damien, qui baptisèrent le roi et son peuple. Il y avait alors en Écosse douze évêques, appelés flamines, au service des idoles ; trois d'entre eux étaient des archiflamines. Les saints religieux cités ci-dessus, sur ordre apostolique, ordonnèrent des évêques à la place des flamines, et nommèrent des archevêques à la place des archiflamines. C'est ainsi que les apôtres l'avaient établi et ordonné par décret. |
Affaires romaines : L'empereur Marcus (Marc Aurèle) vainc les Alamans qui refusaient de s'acquitter du tribut - Avènement du comte de Louvain, Leganos, gendre d'Anténor, duc de Gaule - L'empereur Marc Aurèle mate les Aquitains rebelles - Rentré à Rome, il exempte officiellement du tribut toute la chevalerie (177-179)
[II, p. 570] [CLXXVIII] Sour l'an CLXXVIII, en mois de may, mandat ly emperere Marcus son tregut aux Allemans, qui mie ne l'avoient paiiet en ceste année ; se ly revoiarent dire les Allemans que ilhs n'en paieroient point, car ilhs estoient desquendus de oussi franche lignie que cheaux de Galle estoient, qui estoient quittes de leur tregut. |
[II, p. 570] [An 178] En l'an 178, au mois de mai, l'empereur Marcus réclama aux Alamans son tribut, qu'ils n'avaient pas payé cette année-là. Les Alamans lui firent savoir qu'ils ne le paieraient pas, car ils étaient les descendants d'une lignée aussi libre que les habitants de Gaule, lesquels étaient exemptés de tribut. |
[L’emperere Marcus s’en alat contre les Allemans l’emperere oit la victoire] Quant ly emperere entendit chu, se assemblat ses gens et vienet en Allemangne, et oit batalhe aux Allemans en mois de novembre, l'an deseurdit. Et y furent bien ochis XIIIm hommes, desqueis la plus grant partie furent Allemans. Et alcuns diient que ilh fut ochis des Romans XIIIm. Et encordont furent les Allemans desconfis, et perdirent bien XXm hommes. Et avoient awec eaux le duc de Bealwier, de Saxone, de Frize, Holande et Zelande. Apres cest batalhe soy racordarent les Allemans à l'emperere en paiant leur tregut ; mains ilhs furent plus serf que devant. Apres chu s'en ralat l'emperere à Romme. |
[L'empereur Marcus (Marc Aurèle) marche contre les Alamans et remporte la victoire] Quand l'empereur entendit cela, il rassembla ses troupes et se rendit en Allemagne, où il combattit contre les Alamans, au mois de novembre de l'année en question. Au moins treize mille hommes furent tués, dont la plupart étaient Alamans. Certains disent que treize mille Romains furent tués. Et pourtant les Alamans furent défaits et perdirent au moins vingt mille hommes. Ils avaient avec eux les ducs de Bavière, de Saxe, de Frise, de Hollande et de Zélande. Après cette bataille, les Alamans se réconcilèrent avec l'empereur en payant leur tribut, mais ils furent plus asservis encore que par le passé. |
[De Leganos, conte de Lovay] En cel an, [p. 571] morut Jonadas, ly conte de Lovay ; si fut conte apres luy Leganos, son fis, qui regnat IX ans. Chis oit à femme la filhe Anthenoir le duc de Galle, qui oit nom Alexandrine et fut mult belle damme. |
[Leganos, le comte de Louvain] Cette année-là, [p. 571] mourut Jonadas, le comte de Louvain. Son fils Leganos lui succéda et régna neuf ans. Il épousa la fille d'Anténor, duc de Gaule, qui se nommait Alexandrine et était une très belle dame. |
[L’emperere Marcus desconfit cheaux d’Aquitaine] Item, l'an CLXXIX, furent rebelles à l’emperere de Romme ly duc d'Aquitaine et ses gens ; mains ly emperere Marcus vient en leur pays et les desconfist ; si ochist le duc Andoras, puis en fist duc de son fis, qui oit nom Anthone. |
[L'empereur Marcus défait les Aquitains] En l'an 179, le duc d'Aquitaine et ses sujets se rebellèrent contre l'empereur de Rome ; mais l'empereur Marcus (Marc Aurèle) se rendit dans leur pays et les défit ; il tua le duc Andoras, puis désigna comme duc son fils, dénommé Antoine. |
Et quant l'emperere fut revenus à Romme, ilh dest à ses chevaliers : « Barons, vos m'aveis loyalment servit ors et altrefois ; et portant que je veulh que toudis vos soiiés volentrues, je vos feray grant bonteit, car je vos feray sy frans que vos, ne vos successeurs apres vos, ne paieront jamais tregut à l'emperere de Romme. » Adont fist aporteir ly emperere Marcus tout les lettres et cartres des tregus de sa chevalrie de Romme ; puis apelat tous les senateurs et les aultres juges, et les ardit toutes en leur presenches emmy Romme, et les clamat tous quittes ; et en prist en tesmongnaige tous cheaux qui furent là presens. Et tantoist la chevalrie en fist faire chartre, lesqueiles furent saileez de dois empereres et des senateurs ; et furent miese en la garde de pape en tresorier Sains-Pire. |
Quand l'empereur fut revenu à Rome, il dit à ses chevaliers : « Barons, vous m'avez loyalement servi, maintenant et autrefois ; et parce que je vous veux toujours bien disposés, je ferai preuve d'une grande bonté, car je vous affranchirai et ni vous ni vos descendants ne paierez jamais de tribut à l'empereur de Rome. » Ensuite, l'empereur Marcus fit apporter toutes les lettres et chartres des tributs de sa chevalerie de Rome. Puis, après avoir appelé tous les sénateurs et les autres juges, il brûla tous les documents en leur présence, au centre de Rome, et déclara que tous étaient quittes (du tribut), tout cela en prenant à témoins toute l'assistance. Et aussitôt la chevalerie fit rédiger des chartres, que scellèrent les deux empereurs et les sénateurs. On les confia à la garde du pape, dans le trésor de Saint-Pierre (cfr Myreur, II, p. 6). |
B. Commode et ses successeurs - Retour aux affaires de Bretagne, d'Écosse, de Gaule, de Danemark et de Hongrie - Thomas - Clodas - Franco - Anténor - Alexandre - Navit [Myreur, p. 571b-579a]
Ans 180-193
* Naissance d'Origène, un très grand clerc, victime d'envieux - Mort d'Aurelius [Lucius Verus] (189)
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Le château englouti de Valentin (180) - Mort de Marc Aurèle et avènement de Commode à Rome comme dix-neuvième empereur - Mort de Valentin en Grande-Bretagne, à qui succède son très jeune fils Thomas, chevalier exceptionnel (181) - Thomas, parce que chrétien, est refusé comme gendre par le roi de Cornouailles - Malgré son jeune âge, il lui déclare la guerre et triomphe de ses adversaires, forçant le roi à se replier dans la cité de Gadasis - Aliénor, la fille du roi s'éprend en secret de Thomas, dont elle a entendu l'éloge par les vaincus (180-182)
[p. 571] [De roy Valentin de Bretangne] Item, l'an CLXXX, en mois de may, commenchat ly roy Valentien de la Grant-Bretangne à edifier unc casteal mult beal ; mains quant ilh fut tout fais jusques al covrir, et ilh se levat une matinée, se veit que son chasteal astoit tout entreis en terre jusques à comble ; si oit de chu teile pawour qu'ilh fist tout emplir de pire et de terre la fosse qui estoit grant. Et alcuns ly faisoient entendant que ch'estoit l’entrée d'infeir. |
[p. 571b] [Le roi Valentin de Bretagne] En l'an 180, au mois de mai, le roi Valentin de Grande-Bretagne commença à édifier un très beau château ; mais quand ce château fut sous toit, le roi se leva un matin et vit que le bâtiment s'était enfoncé dans la terre jusqu'au toit ; il en fut si effrayé qu'il fit entièrement remplir de pierres et de terre la fosse, qui était immense. Certains lui laissaient entendre que c'était l'entrée de l'enfer. |
[De Comodus, le XIXe empereire] En l'an CLXXXI, le promier jour de Junne, morut l'emperere Marcus Anthonius Verus. Et apres sa mort vacat ly siege VIII jours, et puis fut fais emperere Commodus, son anneis fis, qui regnat XIII ans II mois et VI jours. |
[Commode, dix-neuvième empereur] En l'an 181, le premier jour de juin, l'empereur Marcus Antonius Verus [Marc Aurèle] mourut. Après sa mort, le trône resta vacant huit jours ; Commode, son fils aîné, fut désigné ensuite comme empereur et il régna treize ans deux mois et six jours. |
En cel an morut Valentin, ly roy de Bretangne ; si fut roy apres luy Luciiens, ly roy de Scoche, et regnat X ans, tant que Thomas, ly fis le roy, qui estoit jovenes fut en eaige ; et puis le fut lydis Thomas, et regnat com roy XXX ans. Chis fut bon chevalier et convoiteux de ensauchier la loy cristiene. |
Cette année-là mourut Valentin, roi de Bretagne. Lucius, roi d'Écosse, lui succéda durant dix ans, jusqu'à ce que soit en âge de régner Thomas, le fils du roi, qui était un jeune enfant. Finalement Thomas devint roi et régna trente ans. Il fut bon chevalier, très désireux d'étendre la loi chrétienne. |
[De roy de Bretangne et Cornualhe] En cel an fut dit à roy Thomas que ly roy de Cornualhe [p. 572] avoit la plus belle dammoiselle à filhe qui fuist en monde, qui avoit nom Alienoir. Adont mandat ly roy Thomas à roy de Cornualhe Sadaris, que ilh ly envoiast sa filhe, et le feroit royne de Bretangne et seroit sa femme. |
[Le roi de Bretagne et le roi de Cornouailles] En cette année-là, on rapporta au roi Thomas que le roi de Cornouailles [p. 572] avait pour fille la plus belle demoiselle du monde, nommée Aliénor. Le roi Thomas demanda alors au roi de Cornouailles Sadaris, de lui envoyer sa fille, disant qu'il la ferait reine de Bretagne et l'épouserait. |
Quant Sadaris entendit chu, se respondit aux messagiers se ly roy Thomas voloit renoier sa loy que ilh tenoit, ilh ly donroit sa filhe, et altrement ilh ne l'aroit jà. Adont revinrent les messagiers à roy Thomas, sy ont troveit le roy en son palais, se ly ont compteit chu que lydis roy Sadaris mandoit. Et quant ly roy Thomas entendit à messagier chu que Sadaris dit avoit, pour chu se dest : « Par ma foid mult moy tient li vilhars Sadaris à foul ou à legier, qui moy weult faire renoyer cheluy qui tout at creeit ; et par la foid que je ay à Jhesu-Crist, ou ilh morat, ou je moray se ilh ne croit en Jhesu-Crist. » |
Quand Sadaris apprit cela, il répondit aux messagers qu'il donnerait sa fille au roi Thomas s'il voulait renier la loi qu'il observait, sinon, qu'il ne la lui donnerait jamais. Alors les messagers du roi Thomas revinrent, le trouvèrent dans son palais et lui rapportèrent le message du roi Sadaris. Et quand le roi Thomas entendit de la bouche du messager la réponse de Sadaris, il dit : « Par ma foi, le vieux Sadaris me considère comme fou ou faible, en voulant me faire renier celui qui a tout créé. Par la foi que j'ai en Jésus-Christ, soit il mourra, soit je mourrai, s'il ne croit pas en Jésus-Christ. » |
[Guerre entre le roy de Bretangne et le roy de Cornualhe] Adont assemblat ses gens ly roy Thomas et en allat en la royalme de Cornualhe, l'an CLXXXII ; puis commenchat la terre à gasteir et à ardre. Et quant ly roy Sadaris soit la novelle, sy mandat ses gens, se vint encontre Iuy si orent ensemble grant batalhe. En cel batalhe se prova mult bien ly jovene roy Thomas, car ilh estoit bon chevalier ; se n'encontroit homme qu'ilh ne l'abatist à terre, vief ou mort ; ilh s'aquittoit si valhamment, que cascon le fuoit et ne l'oisoit aprochier. |
[Guerre entre le roi de Bretagne et le roi de Cornouailles] Alors le roi Thomas rassembla ses gens et partit pour le royaume de Cornouailles, en l'an 182. Il se mit à dévaster et à incendier le territoire. Quand le roi Sadaris apprit la nouvelle, il convoqua ses troupes et marcha contre lui ; ils s'opposèrent dans une grande bataille. Au combat, le jeune roi Thomas se montra vaillant, car il était bon chevalier. Il terrassait celui qu'il rencontrait, vivant ou mort, et se battait avec tant d'ardeur que chacun le fuyait, n'osant l'approcher. |
[Bretons ont la victoire] A cest fois furent desconfis cheaux de Cornualhe, et s'enfuirent en leur citeit. Adont demandat Alienoir la pucelle à unc des Sarasiens comment les cristiens s'avoient porteis contre leurs gens ? Et chis ly dest : « Mult bien, car nos estons tous desconfis. Ilh ont unc roy qui est jovene et n'at mie X ans, mains ilh est tant fors que ch'est grant mervelhe, car ilh at plus de forche que II chevaliers, et est pres de X piés de hault ; se ilh estoit porfourmeis, chu seroit ly plus beais chevalier qui oncques fust. » |
[Les Bretons sont victorieux] Cette fois, les gens de Cornouailles furent vaincus et se réfugièrent dans leur cité. Alors la jeune Aliénor demanda à un des païens comment les chrétiens s'étaient comportés contre leurs gens. Et il lui dit : « Très bien, car nous sommes complètement vaincus. Ils ont un jeune roi, qui n'a pas dix ans, mais est prodigieusement vigoureux, ayant plus de force que deux chevaliers, et compte plus de dix pieds de haut ; s'il était adulte, il serait le plus beau chevalier qui ait jamais existé. » |
Tant prysat ly sarasin Thomas que la dammoiselle l'enamat sy fort que elle ne puet dureir ; mains elle n'en fist nulle semblant. Chis Thomas, chu est bien voire, n'avoit pais X ans d'eiage à chi temps, mains la forche que ilh avoit ly vienet par beneichon qu'ilh oit à sa nassenche des esperis [p. 573] invisibles, qui ly otriarent que de X ans ilh auroit la forche de II chevaliers, et seroit ly plus beais de monde à son temps. Adont asseghat ly roy Thomas la citeit de Gadasis, en laqueile ly roy Sadaris estoit awec sa filhe et ses gens apres la batalhe ; et fut en mois de septembre, et durat ly siege XXV mois. |
Le païen fit de Thomas un tel éloge que la demoiselle en fut éprise, de façon irrésistible ; mais elle ne le laissa nullement paraître. Ce Thomas, c'est bien vrai, n'avait pas à ce moment-là dix ans, mais détenait sa force grâce à la bénédiction que lui avaient donnée à sa naissance des esprits [p. 573] invisibles, qui lui avaient promis d'avoir, dès ses dix ans, la force de deux chevaliers et d'être le plus beau chevalier du monde. Par la suite, le roi Thomas assiégea la cité de Gadasis où le roi Sadaris s'était retiré avec sa fille et ses troupes, après la bataille ; cela se passa en septembre et le siège dura vingt-cinq mois. |
Hector devient duc de Gaule et son frère Anténor comte de Flandre - Irénée devient archevêque de Lyon (183) - En Grande-Bretagne, Thomas conquiert Gadasis en Cornouailles, tue le roi païen du pays, épouse sa fille Aliénor, impose le baptême à toute la population, sous peine de mort en cas de refus, et devient roi de Cornouailles - Il construit des églises (184-186) - Thomas l'emporte aussi sur le roi d'Hibernie (Irlande) qui l'a défié et annexe l'Hibernie - Succession à Louvain - Rome frappée par la foudre (187)
[p. 573] [De duc de Galle et conte de Flandre] Item, l'an CLXXXIII, en mois de may, morut Antenoir, ly duc de Galle et conte de Flandre. Et apres sa mort fut dus de Galle son anneis fis, qui oit nom Ector, et regnat V ans ; et son aultre fis, qui oit nom Anthenoir, fut conte de Flandre et regnat XVIII ans. |
[p. 573] [Le duc de Gaule et comte de Flandre] En outre, en l'an 183, en mai, mourut Anténor, duc de Gaule et comte de Flandre. Après sa mort, son fils aîné, qui portait le nom d'Hector, devint duc de Gaule et régna cinq ans ; son autre fils, Anténor, devint comte de Flandre et régna dix-huit ans. |
En cest an, fut fais archevesques de Lyon unc gran clers de grand auctoriteit, qui oit nom Hyreneus. |
Cette année-là, un grand savant, qui avait grande autorité devint archevêque de Lyon ; il s'appelait Irénée. |
[Coment ly roi Thomas de Bretangne fist baptisier le peuple de Cornualhe] Item, l'an CIIIIxx et IIII, fut prise la citeit de Gadasis en Cornualhe par le roy Thomas, et fut tout le mahomerie qui là estoit destruite, et ly roy Sadaris ochis, car ilh ne vot oncques croire en Jhesu-Crist. Adont prist ly roy Thomas la pucelle à femme, mains ilh le fist anchois baptizier ; si fut nomée Marie de Cornualhe. Apres, ly roy Thomas fist baptizier tout le peuple de la royalme de Cornualhe, et qui ne vot prendre baptemme ilh le fist tantoist mettre à mort ; et adont soy fist ly roy Thomas coroneir com roy de Cornualhe. |
[Comment le roi Thomas de Bretagne fit baptiser le peuple de Cornouailles] En l'an 184, fut conquise la cité Gadasis de Cornouailles par le roi Thomas, et toute l'idolâtrie qui y régnait fut réduite à néant, le roi Sadaris fut tué, car il ne voulut jamais croire en Jésus-Christ. Le roi Thomas, quant à lui, prit pour femme la jeune fille, qu'il fit baptiser au préalable ; elle porta le nom de Marie de Cornouailles. Après cela, le roi Thomas fit baptiser toute la population de son royaume et celui qui refusait le baptême, il le faisait aussitôt mettre à mort. Ensuite le roi Thomas se fit couronner comme roi de Cornouailles. |
[CLXXXV] Et apres ly roy edifiat en ladit citeit une engliese en l'honeur de la Triniteit, de la Virgue Marie, des XII apostles et des IIII ewangelistes. Et fut cest engliese fait l'an CIIIIxx et V. |
[An 185] Ensuite, le roi édifia dans cette cité une église en l'honneur de la Trinité, de la Vierge Marie, des douze apôtres et des quatre évangélistes. Cette église fut construite en l'an 185. |
Item, ledit an commenchat à edifiier lidit roy Thomas en ladit citeit une engliese de nonan que ilh apellat Mont-Jolie cest engliese fut consecrée en l'honeur de sains Jaque le Gran, sour l'an CIIIIxx et VI, en mois de may. |
Cette même année le dit roi Thomas commença à construire dans cette cité une église de nonnes qu'il appela Mont-Jolie, église qui fut consacrée en l'honneur de saint Jacques-le-Majeur, en l'an 186, au mois de mai. |
[Batalhe entre le roy de Cornualhe et ly dus de Ybernie] En cesti an defiat ly dus de Ybernie le roy Thomas, portant qu'iIh avoit esteit fis al roy Valentin. De chesti defianche ne fut mie ly roy Thomas esmaiez ; ains assemblat ses hommes de ses dois royalmes, sy entrat en la terre de Ybernie, sy oit batalhe à ly et le desconfist, le XVIIIe jour d'avrilh sour l'an CIIIIxx et VII, et fist paix ly dus et mettit sa terre en la subjection de roy Thomas. |
[Bataille entre le roi de Cornouailles et le duc d'Hibernie] Cette année-là, le duc d'Hibernie (= Irlande) défia le roi Thomas, parce qu'il était le fils du roi Valentin. Le roi Thomas ne s'inquiéta pas de cette provocation. Il rassembla les forces de ses deux royaumes, pénétra en terre d'Hibernie et y livra une bataille qu'il remporta le 18 avril de l'an 187. Le duc fit la paix et plaça son pays sous la sujétion du roi Thomas. |
[De conte de Lovay] Item, en cel an, en mois d'octembre, morut Leganos, ly conte de Lovay ; si fut conte apres luy son fis, qui oit nom Ector, qui regnat XVII ans. |
[Le comte de Louvain] Cette année-là, au mois d'octobre, mourut Leganos, le comte de Louvain ; son fils, qui se nommait Hector lui succéda et régna dix-sept ans. |
En cel an, en mois d'octembre le XIXe jour, chaiit unc gran effoudre sour le Capitol de Romme ; [p. 574] sy ardit tout et pluseurs mansons awec. |
En cette même année, le 19 octobre, la foudre frappa durement le Capitole de Rome ; [p. 574] il fut complètement brûlé, ainsi qu'un grand nombre de maisons. |
Après la mort de son père Hector, rivalité entre Franco, duc de Gaule , et son oncle Anténor, comte de Flandre - Franco s'allie au comte de Louvain Hector, qui devient son beau-père - Succession au Danemark - Malgré une tentative de conciliation, guerre devant Lutèce entre Franco qui l'emporte et capture Anténor - Finalement, la paix est conclue entre Gaulois et Flamands (189)
[p. 574] [De duc de Galle - CLXXXVIII] Item, l'an CIIIIxx et VIII, en mois de jule, morut Ector, ly dus de Galle ; sy fut Franco son fis apres duc, et regnat VIII ans. Chis dus Ector, qui mors estoit, avoit dois freres ly plus anneis estoit nommeis Clodas. Chis estoit uns des bons chevalier de monde, et devoit estre par droit, sycom anneis heures, apres son peire Anthenoir, duc de Galle ; mains ilh le refusat, car ilh ne voloit avoir nulle terre à justichier, ains voloit estre chevalier erans, et par tos paiis quere les aventures et les proieche d'armes. Et portant que Clodas le refusat, se le fut Ector, sycom ly plus anneis d'eaux III apres Clodas. Et ly thiers, qui oit nom Anthenoir, chis estoit conte de Flandre. Enssi fut Ector dus de Galle ; et apres luy le fut Franco, enssi com dit est. Je vos ay chu enssi deviseit, portant que je vuelhe mies enfourmeir et plus entendaiblement dire chu qui chi-apres s'ensiiet. |
[p. 574] [Le duc de Gaule - An 188] En l'an 188, au mois de juillet, mourut Hector, le duc de Gaule ; son fils Franco lui succéda comme duc, et régna huit ans. Ce duc Hector, qui était mort, avait deux frères. L'aîné s'appelait Clodas. Il était un bon chevalier, parmi les chevaliers du monde, et devait, de droit, en tant qu'aîné, devenir duc de Gaule, après son père Anténor. Mais il refusa l'héritage, ne voulant pas de territoire où rendre la justice, mais être chevalier errant et chercher dans tous les pays aventures et hauts faits d'armes. Vu le refus de Clodas, Hector devint duc, étant l'aîné des trois après Clodas. Le troisième fils, nommé Anténor, était comte de Flandre. Donc Hector devint duc de Gaule ; après lui, ce fut Franco, comme cela a été dit. Je vous ai raconté les choses ainsi, parce que je veux mieux informer et expliquer d'une manière plus compréhensible ce qui va suivre. |
[Guerre entre le dus de Galle et son oncle, le conte de Flandre] Quant ly dus Franco fut fais dus de Galle, son oncle, qui estoit conte de Flandre, le defiat et ly mandat que ilh reportast sus sa terre où ilh l'ochiroit, car ilh ne devoit mie estre dus, et ly vot proveir par teile raison com vos oreis. |
[Guerre entre le duc de Gaule et son oncle, le comte de Flandre] Quand le duc Franco devint duc de Gaule, son oncle, le comte de Flandre, le provoqua, lui disant qu'il devait lui rendre sa terre, sinon il le tuerait, car il ne devait pas être duc. Et il voulait le lui prouver pour la raison suivante. |
Chis conte Anthenoir dest que Ector, ly peire Franco, n'avoit mie esteit drois dus de Galle, car Clodas, leur anneit frere, le devoit eistre, lyqueis l'avoit refuseit, sique ilh estoit apres venue à Ector, sycom plus anneit apres, non pais hiretaibblement, mains tant seulement son visquant, et apres sa vie la terre devoit venir à luy Anthenoir, car ilh devoit aleir de l'unc frere à l'autre, non pais de frere aux enfans car, quant Clodas l'oit refuseit, ilh chaiit à Ector, non pais as enfans Clodas, qui jà estoit mariés. |
Ce comte Anténor dit qu'Hector, père de Franco, n'avait pas été de droit duc de Gaule. En effet Clodas, leur frère aîné, qui aurait dû l'être, avait refusé le titre, qui échut ainsi à Hector, frère cadet d'Anténor. Toutefois ce n'était pas à titre de propriété perpétuelle, mais seulement de son vivant et, à sa mort, la terre devait lui revenir à lui, Anténor. En effet, elle devait passer d'un frère à l'autre, et non aux enfants de frère. Ainsi, Clodas l'ayant refusée, la terre échut à Hector, et non aux enfants de Clodas, qui étaient déjà mariés. |
Quant Franco entendit chu, se mandat à son oncle Anthenoir que ilh tenroit, tant com ilh poroit dureir, la terre qui ly estoit esqueue par droit succession de son peire. Quant Anthenoir entendit chu, si assemblat ses gens por aleir en Galle sour son naveur ; et d'aultre part ly dus Franco mandat ses gens, entres lesqueiles ilh manda Ector, le conte de Lovay, que ilh le venist aidier encontre son oncle Anthenoir, et ilh prenderoit à femme Gada, sa filhe. |
Quand Franco entendit cela, il fit savoir à son oncle Anténor qu'il détiendrait, tant qu'il vivrait, la terre qui lui venait de son père par droit de succession. Quand Anténor entendit cela, il rassembla ses troupes pour aller en Gaule, attaquer son neveu. De son côté, le duc Franco convoqua ses gens, parmi lesquels se trouvait Hector, le comte de Louvain, qu'il appela à l'aide contre son oncle Anténor, ajoutant qu'il prendrait pour épouse sa fille Gada. |
[Ly dus de Galle oit la victoire, et furent les Flamens desconfis et ly conte pris] Quant ly conte Ector entendit chu, ilh mandat ses gens et vient en Galle à gran gens ; et sy amenat awec ly sa filhe. Et quant ilh vint à Lutesse, se dest al duc Franco en teile manere : « Sires dus, vos [p. 575] m’aveis mandeis, et chu que vos m'aveis mandeis je suy prest delle acomplir ; je vos ay ameneit ma filhe Gada et oussi tous mes oust ; or prendeis ma filhe com vostre femme, et puis aray melheur ocquison de vos à aidier. » Quant Franco l'entendit, sy dest : « Volentiers, je ne demande aultre chouse que la damoiselle à avoir et oussi le vostre aiide. » Adont le prist à femme et l'esposat solonc leur loy ; si fut là grant fieste faite. |
[Le duc de Gaule est victorieux, les Flamands défaits, et le comte arrêté] Quand Hector, le comte (de Louvain) entendit cela, il convoqua ses hommes et se rendit en Gaule avec une troupe nombreuse ; il amenait avec lui sa fille. Arrivé à Lutèce, il parla au duc Franco en ces termes : « Seigneur duc, [p. 575] vous m'avez convoqué, et ce que vous m'avez demandé, je suis prêt à le faire ; je vous ai amené ma fille Gada, ainsi que toutes mes troupes ; maintenant épousez ma fille, et j'aurai encore une meilleure raison de vous aider. » Quand Franco l'entendit, il dit : « Volontiers, je ne demande qu'à épouser la demoiselle, et obtenir votre aide. » Alors il épousa Gada selon leur loi ; et on célébra là une grande fête. |
[De roy de Dannemarche] En cel an, en mois de decembre, morut ly roy de Dannemarche Andromas, qui avoit regneit XLV ans, qui fut ly XVIe. Et apres le fut son fis Jonadas, car son anneis fis Valentin, qui avoit leur loy relenquie et avoit esteit roy de la Grant Bretangne et oncle à Thomas, le roy d'Engleterre, estoit mors. Chis roy Jonadas regnat XXXI ans. |
[Le roi de Danemark] En décembre de cette année-là mourut le roi de Danemark Andromas. Il avait régné quarante-cinq ans, et avait été le seizième roi. Son fils Jonadas lui succéda, car son fils aîné Valentin était mort, lui qui avait abandonné leur loi et avait été roi de Grande-Bretagne et oncle de Thomas, le roi d'Angleterre. Jonadas régna trente et un ans. |
Item, l'an CLXXXlX, en mois de marce, entrat ly conte de Flandre Anthenoir en pays de Galle ; et quant Franco son neveur le soit, se ly mandat par le conte de Lovay et par le conte Agilfus d'Avergne que ilh vosist issir de sa terre, sens ly à forfaire, et ly laisast sa terre possideir pasieblement, com son peire avoit fait s'ilh ly plaisoit chu faire ilh en seroit joians, car ilh le voloit ameir, servir et honoreir en toutes besongnes et encontre tous saingnours com son oncle, et veroit volentier bon amour entre eaux ; et se chu ne voloit faire, dont ilh metist journée de batalhe, et ilh yroit contre luy. Enssi fut fait ly message ; mains onques ly conte Anthenoir n'en fut se plus fels non, car ilh quidoit que son neveur awist paour. |
En l'an 189, au mois de mars, le comte de Flandre Anténor entra en Gaule. Quand son neveu Franco l'apprit, il lui fit savoir, par le comte de Louvain et par le comte Agilfus d'Auvergne, qu'il consente à sortir de son pays, sans lui faire de tort, et qu'il le laisse disposer en paix de sa terre, comme l'avait fait son père. S'il consentait à agir ainsi, il s'en féliciterait, car son désir était de l'aimer, le servir et l'honorer dans tous ses besoins et contre tous les seigneurs, comme on traite son oncle. Il aimerait que règne entre eux une vraie affection. Par contre, s'il n'était pas d'accord, qu'il fixe un jour pour une bataille, et lui, Franco, se battrait contre lui. Tel fut le message transmis. Mais le comte Anténor n'en fut que plus hostile, persuadé que son neveu avait peur. |
Et adont fut mise la journée de batalhe à unc mois. Dedens chely terme s'aparelherent mult bien les dois parties, puis vinrent ensemble à jour nomeis devant la citeit de Lutesse. Là oit grant batalhe, en laqueile ilh fut mors sens nombre de gens ; mains en la fin furent les Flamens desconfis, et fut pris par forche ly conte Anthenoir et mys en prison à Lutesse. |
La bataille fut fixée un mois plus tard. Entre-temps, les deux parties se préparèrent fort bien. Puis, au jour dit, elles se rencontrèrent devant Lutèce. Là se déroula une grande bataille, au cours de laquelle périrent des hommes en grand nombre. Mais à la fin les Flamands furent vaincus et le comte Anténor, capturé, fut emprisonné à Lutèce. |
Mains tantoist fut faite la paix entre eaux ; et le fisent les hauls barons, car ly valhans duc Franco ne haioit mie son oncle, ains desiroit avoir à luy paix et amour ; et ly conte estoit en prison, se desiroit defours issir. Et sachiés que chis accors fut teis, que cascunne partie sourtient les damaiges que ilh avoit oyut ; et apres furent bons amis. Et quant ilhs furent acordeis, en ralat ly conte Anthenoir à Bruge, et se le reconduisit ly dus Franco et tous cheaux qui estoient awec ly, contes et prinches et ses hauls barons. Et là fut faite mult grant fieste,[p. 576] et furent les Flamens mult joians de la paix, car ilh avoient envis gerre. |
Cependant ils firent immédiatement la paix. Elle fut l'oeuvre des hauts barons. En effet, le vaillant duc Franco ne haïssait pas son oncle, mais désirait avoir avec lui une relation de paix et d'affection. De son côté, le comte, en prison, désirait en sortir. L'accord fut conclu, stipulant que chaque partie supportât les dommages subis. Après quoi, ils furent bons amis. L'accord conclu, le comte Anténor s'en retourna à Bruges, et le duc Franco le reconduisit ainsi que tous ses alliés, comtes, princes et hauts barons. On célébra une grande fête [p. 576]. Les Flamands furent très contents de la paix, car ils faisaient la guerre à contre-coeur. |
Naissance d'Origène, un très grand clerc, victime d'envieux - Mort d'Aurelius [Lucius Verus] (189)
[p. 576] [CLXXXIX. Origines fut neis, qui tant escript] En cel an, en mois d'octembre, le XIXe jour, fut neis Origenes, qui puis fut clers de grant auctoriteit et ly plus reverens qui fuist à son temps reinans. Chis Origenes fist à son temps mult de beais libres, desqueiles les alcuns furent condampneis, enssi com nos dirons chi-apres plainement ; car ches libres, qui enssi furent condampneis, furent fais par aultres clers apres la mort Origenes, par envie por faire à Origenes blasmes. Si dessent que Origenes les avoit enssi fait, portant qu'ilh estoit et avoit esteit sy presiet, et chu fut apres sa mort que les clers le dessent. |
[p. 576] [An 189. Naissance d'Origène, un écrivain prolifique] Le 19 octobre de cette année-là naquit Origène, qui fut plus tard un clerc de grande autorité et le plus respectable de ses contemporains. Cet Origène composa en son temps beaucoup de beaux livres, dont certains furent condamnés, comme nous le dirons ci-dessous en détail (Myreur, II, p. 10, 11, 14, 15, 21, 25, 113). En fait, les livres condamnés furent écrits après la mort d'Origène, par des clercs envieux, désireux de jeter le blâme sur lui, en les disant composés par Origène, parce qu'il était et avait été très apprécié, et c'est après sa mort que les clercs dirent cela. |
[L’emperere Aurelius morut] Item, l'an CLXXXIX, en mois de may, morut l'emperere Aurelius Lutius Commodus, qui longtemps avoit esteit malaide, enssi que j'ay chi-devant fait mention. |
[Mort de l'empereur Aurelius (Lucius Verus)] En l'an 189 aussi, au mois de mai, mourut l'empereur Aurelius Lucius Commodus [Lucius Verus], qui avait longtemps été malade, comme je l'ai mentionné ci-dessus (p. 566). |
Thomas de Bretagne, désireux de christianiser le Danemark, s'allie à des chevaliers chrétiens, dont Clodas le chevalier errant, qui se fait baptiser (189-190) - Thomas et ses alliés débarquent en Hongrie et saccagent le pays - Après une bataille sanglante remportée par les Bretons, le roi hongrois Alexandre demande l'aide de Commode à Rome, tandis que la cité hongroise de Targont subit un siège de quinze mois (193) - L'empereur Commode embarque vers la Hongrie - Romains et Hongrois sont finalement vaincus et, dans un combat épique entre Clodas et Commode, l'empereur est tué par Thomas de Bretagne (193)
Item, cel an, en mois de julle, prist motion à roy Thomas de la Grant Bretangne d'aleir en Dannemarche à grant gens, por veioir s'ilh poroit le paiis mettre à la loy Jhesu-Crist et son oncle convertir. Se mandat mult de chevaliers de Borgongne et d'altre part là ons creoit Jhesu-Crist. A cel temps estoit en Bretangne [en Borgogne, manuscrit B] uns de valhans chevaliers de monde, et chis estoit Clodas, ly Galois, oncle à Franco le duc de Galle, et frere à Anthenoir le conte de Flandre. |
Cette année-là, en juillet [an 189], le roi Thomas de Grande-Bretagne fit mouvement vers le Danemark, avec un grand nombre de gens, pour voir s'il pourrait soumettre le pays à la loi de Jésus-Christ et convertir son oncle. Il fit appel à de nombreux chevaliers de Bourgogne, et d'autres endroits où l'on croyait en Jésus-Christ. À l'époque, se trouvait en Bretagne [en Bourgogne dans le manuscrit B], un des chevaliers les plus vaillants du monde, Clodas le Gaulois, oncle du duc de Gaule Franco, et frère d'Anténor, comte de Flandre. |
[Clodas fut baptisiés] Chis Clodas regnoit par tous paiis où ilh savoit aventures. Quant ilh entendit les novelles, se ly prist en motion de croire en Dieu, et apres aleir aidier le roy Thomas, qui estoit oussi ly uns des bons chevalier de monde. Atant soy fist baptisier ; mains ilh ne vot oncques avoir autre nom que le sien, car ilh fut tousjour nomeis Clodas. |
[Clodas fut baptisé] Ce Clodas parcourait tous les pays, où il savait pouvoir vivre des aventures. Quand il apprit la nouvelle, il fut poussé à croire en Dieu et à aider le roi Thomas, lui aussi un des meilleurs chevaliers au monde. Il se fit alors baptiser, mais sans vouloir changer de nom : il fut toujours appelé Clodas. |
Quant Clodas fut baptisiés, se ly livrat ly dus Ector Vc hommes d'armes, por aidier le roy Thomas de Bretangne ; puis s'achemynat Clodas, et alat tant par mere et par terre, que ilh vint awec ses hommes à Londre, le XVIe jour de mois de junet l'an C et XC. Quant Clodas fut venus à Londre, et ly roy le veit, et ilh soit cuy ilh estoit, se ly fist mult grant fieste et ly portat mult grant honneur, car ilh avoit asseis oiit parleir de sa proieche, si [p. 577] qu’ilh fut mult lies que ilh l'avoit en son aiide. |
Quand Clodas fut baptisé, le duc Hector lui fournit cinq cents hommes d'armes, pour aider le roi Thomas de Bretagne. Il se mit alors en route, voyageant sur mer et sur terre, jusqu'à ce qu'il atteigne Londres avec ses hommes, le 16 juin de l'an 190. Quand Clodas fut arrivé à Londres, le roi Thomas le vit et apprit qui il était ; alors il lui fit très grande fête et lui manifesta beaucoup d'honneurs : il avait beaucoup entendu parler de ses prouesses et [p. 577] il fut très heureux d'avoir son aide. |
Et quant tous les oust furent assembleis, sy sont monteis sour mere et ont tant nagiet que ilhs sont ariveis en Hongrie. Quant ly roy Thomas veit qu'ilh estoit en Hongrie, sy en fut mult lies ; si sont issus de leurs nefs, et sont entreis en la terre à feu et à flamme. Et les gens s'enfuirent en la citeit de Targont, où ly roy estoit adoncques, et ly dessent la novelle comment ly roy de Bretangne estoit entreis en son paiis. |
Quand toutes les armées furent rassemblées, ils prirent la mer et naviguèrent jusqu'en Hongrie. Le roi Thomas, dès qu'il le vit arriver, fut très content. Les envahisseurs quittèrent leurs bateaux et pénétrèrent dans le pays, le mettant mis à feu et à sang. Les gens s'enfuirent vers la ville de Targont, où se trouvait alors leur roi, à qui ils apprirent que le roi de Bretagne envahissait son pays. |
[Batalhe entre le roy de Bretangne et le roy de Hongrie] Quant ly roy de Hongrie entendit chu, sy en fut mult esmaiés ; si assemblat ses gens et vint contre les Bretons à grant gens, et les corut sus le IXe jour de fevrier l'an C et XCIII. |
[Bataille entre le roi de Bretagne et le roi de Hongrie] En entendant cela, le roi de Hongrie fut très inquiet. Il rassembla un grand nombre d'hommes et marcha avec eux contre les Bretons. Il les attaqua le 9 février de l'an 193. |
[C et XCIII - Hongrois furent desconfis] Cest batalhe fut grant et peruelheuse ; et en orent les Hongrois de melheur, et furent les Bretons reculleis, et jà fussent-ilh desconfis, quant ly roy Thomas et Clodas entrarent en la batalhe, qui par leur forches recularent les Hongrois plus de unc bonier ; et jettoient tout en unc mont cheaux qu'ilh encontroient, et tant fisent que les Hongrois furent desconfis. |
[An 193 - Défaite des Hongrois] Cette bataille fut terrible et pleine de périls. Les Hongrois eurent le dessus et les Bretons furent repoussés. Ils étaient presque défaits quand le roi Thomas et Clodas s'engagèrent dans la bataille et, grâce à leurs forces, firent reculer les Hongrois de plus d'un bonnier. Ils entassaient sur un monticule ceux qu'ils rencontraient, et parvinrent à vaincre les Hongrois. |
[Le roy hongrois alat queire sourcour à l’emperere de Romme, qui li aidat] Adont quidat bien ly roy Alixandre avoir perdut son paiis ; si s'en alat fuant par les champs, et dest que ilh yroit à Romme à l'emperere Comodus querir sourcour. Enssi s'en allat ly roy vers Romme. Et ly roy Thomas asseghat la citeit qui bien estoit fermée ; si durat le siege XV mois. |
[Le roi hongrois demande de l'aide à l'empereur de Rome, qui la lui accorde] Alors le roi Alexandre crut bien avoir perdu son pays. Fuyant à travers champs, il déclara qu'il irait demander du secours à Rome à l'empereur Commode. Il partit ainsi pour Rome. Le roi Thomas assiégeait la cité, qui était bien fortifiée ; le siège dura quinze mois. |
[p. 577] Et ly roy de Hongrie, qui mult estoit esmaiés, chevalchat tant qu'ilh vint à Romme ; se trovat là l'emperere Commodus, se ly chaiit à ses piés et li dest : « Tres excellens sires, se vos ne moy soucoreis, je ay perdut mon rengne, car les cristiens de la Grant Bretangne sont entreis en mon paiis et ont ars mes vilhes, et ay oyut batalhe à eaux où j'ay perdut VIIm hommes, et se suy desconfis ; et encordont ilhs fussent à promier desconfis, quant leur roy, et uns aultre cristiens qui portoit une crois d'or sor une escut de synable, vinrent en la batalhe ; et par eaux dois furent mes hommes desconfis. Car chu sont les II plus fors et poissans de cuy je oy onques parleir : ilhs abatoient mes hommes, enssi com chu fussent brebis. » |
[p. 577] Le roi de Hongrie, très inquiet, chevaucha jusqu'à Rome. Il y trouva l'empereur Commode, tomba à ses pieds et dit : « Très excellent Seigneur, si vous ne me secourez pas, mon royaume est perdu, car les chrétiens de Grande-Bretagne ont envahi mon pays et incendié mes villes. Je leur ai livré une bataille, dans laquelle j'ai perdu sept mille hommes et dont je suis sorti vaincu. Dans un premier temps toutefois, ils étaient les perdants, mais leur roi et un autre chrétien qui portait une croix d'or sur un écu de sinople sont entrés dans la bataille ; et c'est par ces deux chevaliers que mes hommes furent vaincus. Tous deux sont les plus forts et les plus puissants, dont j'ai jamais entendu parler : ils abattaient mes gens comme s'ils étaient des moutons. » |
Quant l'emperere entendit chu, se dest : « Sire roy, je vos aideray, car chu est drois. » Adont mandat ses hommes l'emperere, et montat sour mere, et naghat tant qu'ilh vint en Hongrie, où ly roy Thomas faisoit sovent assalhir la citeit ; mains ilh n'y pot oncques riens gangnier. Apres le fist une aultre fois assaillir en mois d'octembre, et une altre fois en [p. 578] mois de jenvier l'an C et XCIII, et I altre fois en fevrier, mains ilh n'y pot oncques riens forfaire ; anchois ilh y perdit mult de ses hommes, et ly-meismes ilh y fut navreis, mains ilh fut tantoist garis. |
Quand l'empereur entendit cela, il dit : « Seigneur roi, je vous aiderai car c'est une cause juste. » Alors l'empereur convoqua ses hommes, prit la mer et navigua jusqu'en Hongrie, où le roi Thomas lançait souvent des attaques contre la cité, mais sans aucun succès. Plus tard, il tenta d'autres assauts, l'un au mois d'octobre, un autre encore au mois [p. 578] de janvier de l'an 193, puis un autre en février, mais il ne put jamais (leur) faire le moindre mal. Au contraire, il perdit beaucoup de ses hommes et lui-même fut blessé, mais très vite guéri. |
Adont s'avisat ly roy Thomas qu'ilh soy departeroit de la citeit, car ilh n'y poloit riens gangnier ; se fist detendre ses trefs, et s'en partit l'an deseurdit en mois de may. Et enssi com ly roy et ses gens en aloient, atant vint devant luy unc chevalier qui ly dest : « Monsaingaour, faites vos hommes armeir, car l'emperere de Romme vint chi contre vos à grans gens, et mult vos manache. » Quant ly roy entendit chu, si fut mult lies, et dest que l'emperere ou luy morat anchois la vesprée, se ilh le puet veioir. |
Alors le roi Thomas décida de quitter la ville, car il ne pouvait aucunement l'emporter. Il fit démonter ses tentes et quitta les lieux en mai de l'an cité ci-dessus. Et tandis que le roi et ses gens s'en allaient, vint au devant de lui un chevalier qui lui dit : « Monseigneur, faites armer vos hommes, car l'empereur de Rome arrive ici avec une forte armée. C'est une grande menace pour vous. » Quand le roi entendit cela, il s'en réjouit et déclara qu'avant la tombée de la nuit soit lui, soit l'empereur serait mort. |
Atant at fait ses gens armeir, et livrat sa baniere à Clodas le Galois. Si ont tant alleit qu'ilh ont encontreit les Romans sus le rivaige qui se venoient isnelement. |
Alors il fit armer ses gens et confia son étendard à Clodas le Gaulois. Ils marchèrent jusqu'à leur rencontre sur le rivage avec les Romains qui arrivaient rapidement. |
[Les Bretons orent victoir contre Romans et Hongrois, et oirent le milhour] Quant les uns veirent les altres, ilhs se sont sus corus. Et là fut la batalhe grant et orible de l'onne partie et de l'autre ; mains les cristiens en orent taudis la meillour, car Thomas et Clodas faisaient tant de fais d'armes que ilhs fendoient I homme en dois motiés jusqu'en braier, et legierement jusqu'en la potrine, et adont les semblait qu'ilhs avoient faiseit [mis pour fauseit, selon Bo]. |
[Les Bretons remportent la victoire contre les Romains et les Hongrois, et prennent l'avantage] Dès qu'ils s'aperçurent, ils se précipitèrent les uns sur les autres. Ce fut une grande bataille, terrible pour les deux parties ; mais les chrétiens eurent toujours l'avantage, car Thomas et Clodas accomplissaient tant d'exploits qu'ils pourfendaient un homme en deux jusqu'à la ceinture ou jusqu'à la poitrine, si le coup était faible, et dans ce cas ils pensaient avoir échoué. |
Quant l'emperere Commodus veit enssi ochire ses Romans, sy brochat avant et vint à Clodas, qui portait la baniere ; se l'at sy bien asseneit, que ilh ly fendit son hayme et son habier, et le navrat en chief. Quant ly roy Thomas, qui estoit tou pres, le veit, sy en fut mult corochiés ; si ferit par mult grant ahir l'emperere, sy que ilh ly trenchat toutes ses armes et ly fist l'espée entreir jusqu'en la selle de destrier. De cel coup furent les Romans enbahis, et soy misent al fuir com desconfis. Enssi fut la batalhe outrée et les Romans vilainement desconfis, l'an deseurdit le XXlllle jour d'awoust. |
Quand l'empereur Commode vit ainsi abattre ses Romains, il piqua en avant et arriva près de Clodas qui portait l'étendard ; il le frappa si fort qu'il fendit son heaume et sa cotte de maille, et le blessa à la tête. Quand le roi Thomas, qui était près de là, le vit, il s'emporta violemment ; il frappa l'empereur avec tant de haine, qu'il trancha toute son armure et enfonça son épée jusqu'à la selle de son destrier. Suite à ce coup, les Romains furent terrifiés et se mirent à fuir comme des vaincus. Ainsi s'acheva la bataille et les Romains furent vilainement défaits, en l'an précité [= 193], le 24 août. |
Helvius Pertinax et (Septime) Sévère succèdent à Commode comme vingtième empereur - Thomas jure de s'emparer de Targont où s'est réfugié le roi hongrois Alexandre - Marcel succède à Navit comme évêque de Tongres (193)
[p. 578] [De XXe emperere Elyus et Severus] Adont revinrent les Romans à Romme, qui furent escappeis ; et quant les senateurs seurent que l'y emperere estait mors, sy fisent emperere de son fis Elyus Pertinax et awec luy Severus. Mains Elyus ne regnat que VI mois, et Severus regnat XVIII ans V mois et X jours ; et fut ly sige de l'empire vacant II mois. Et quant l'emperere Elyus fut coroneis, sy fut mult [p. 579] fels et outrageux. |
[p. 578] [Helvius (Pertinax) et (Septime) Sévère, comme vingtième empereur] Alors les Romains rescapés revinrent à Rome. Quand les sénateurs apprirent la mort de Commode, ils nommèrent empereur son fils Helvius Pertinax et avec lui (Septime) Sévère. Helvius ne régna que six mois ; (Septime) Sévère, lui, régna dix-huit ans, cinq mois et et dix jours ; le siège impérial resta vacant deux mois. Dès qu'il fut couronné, l'empereur Helvius se révéla être très [p. 579] fourbe et violent. |
Et quant ly roy Thomas veit que les Romans estoient desconfis, sy fut mult lies, et retournat devant la citeit qu'il avoit altrefois assegiet ; se jurat que jamais ne s'en partiroit, sy l'aroit prise. Adont estoit ly roy Alixandre dedens rentreis, qui estoit mult esmaiés. |
Quand le roi Thomas vit que les Romains étaient vaincus, il s'en réjouit beaucoup, retourna dans la cité qu'il venait d'assiéger (= Targont) et jura qu'il n'en repartirait pas avant de l'avoir conquise. À ce moment-là, le roi Alexandre, qui était très effrayé, était rentré dans la cité. |
[De IIIe evesque de Tongre, Marcel] En cel an, en mois de decembre, morut Navitus, ly secon evesque de Tongre, si fut ensevelis en l'engliese Nostre-Damme de Tongre. Et apres luy fut eslus et consecreis evesque uns mult proidhons, qui oit nom Marcel et fut fis de prinche de Nammut, de la filhe le conte d'Arche, que ons apelle maintenant Dynant, liqueis tient le siege VIII ans. |
[Marcel, troisième évêque de Tongres] Cette année-là, en décembre, mourut Navit, le second évêque de Tongres, qui fut enseveli dans l'église Notre-Dame de Tongres. Après lui fut élu et consacré évêque un homme très sage, nommé Marcel, fils du prince de Namur et de la fille du comte d'Arche, qu'on appelle maintenant Dinant. Ce Marcel occupa le siège épiscopal durant huit ans. |
[Suite]
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