Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 117b-128a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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Ce fichier contient trois parties :

Myreur, p. 117b-121a (A. Suite des Guerres Puniques - Autour d'Hannibal

Myreur, p. 121b-125a (B. Toujours les Guerres Puniques)

Myreur, p. 125b-128a (C. La Gaule face à Rome, qui étend sa domination - Varia)

 


 

A. Suite des Guerres Puniques - Autour d'Hannibal [Myreur, p. 117b-121a]

 

Ans 336-338 de la transmigration = 253-251 a.C.n.

 

Introduction [sommaire] [texte]

Les passages qui vont suivre sont pour l'essentiel consacrés à Hannibal, c'est-à-dire à la deuxième Guerre Punique (218 à 202 avant notre ère), mais très vite Jean « brouille les cartes » de l'histoire authentique.

Citons quelques points. D'abord la notice sur Pyrrhus et les Tarentins. La Guerre de Pyrrhus, le roi d'Épire qui a traversé (281 avant notre ère) le canal d'Otrante pour secourir les Tarentins menacés par Rome, se déroule en Italie et en Sicile entre 280 et 275 avant notre ère, soit entre la difficile victoire d'Héraclée « à la Pyrrhus » sur les Romains et la défaite de Bénévent, qui oblige Pyrrhus à repasser la mer. Cette guerre est donc bien antérieure à la première Guerre Punique qui commence en 264 avant notre ère.

Ensuite les données du Myreur concernant le siège de Rome par Hannibal et son écrasante victoire aux portes de la cité. Si elles concernent bien la deuxième Guerre Punique, elles sont assez éloignées de la réalité historique. Historiquement, Hannibal, après avoir franchi les Alpes avec ses éléphants (un épisode célèbre qui n'est même pas évoqué dans le Myreur), a connu dans sa descente vers le sud d'éclatants succès au détriment des Romains : au Tessin, à la Trébie, au lac Trasimène et surtout à Cannes (en Apulie), où le Carthaginois a anéanti une armée romaine de 80.000 hommes. Militairement, il tient Rome à sa merci, mais n'ose pas (ou ne veut pas) marcher sur la ville, espérant se rallier d'abord les peuples d'Italie (ce qui ne se produisit pas). Il s'installe à Capoue où il s'enlise (« les délices de Capoue »). Jean lui fait mettre le siège devant Rome et envisage des combats violents et une impressionnante victoire à l'extérieur de la ville.

À un certain moment de son récit (p. 118), à propos précisément de cette victoire d'Hannibal, Jean invoque la garantie d'Orose à l'appui d'un détail : le chef carthaginois victorieux aurait envoyé à Carthage trois boisseaux et demi d'anneaux d'or arrachés aux doigts des nobles Romains tués. Ce détail figure bien chez Orose (IV, 16, 5), à peu près dans les mêmes termes, mais après la victoire d'Hannibal à Cannes. Jean cite encore Orose, un peu plus loin (p. 120), à propos du découragement qui saisit alors les plus hautes autorités de Rome. Ce sont des traits qui figurent bien dans la tradition romaine. Mais l'exactitude de ces deux citations n'autorise pas à conclure que le récit du siège de Rome et de la bataille autour de la ville repose sur Orose. Il ne repose pas non plus d'ailleurs sur Tite-Live. Il est même en contradiction flagrante avec toute la tradition historique romaine, pour qui Hannibal, après son écrasante victoire de Cannes, a renoncé à attaquer la ville de Rome. Toute cette partie du récit est donc inventée, tout comme est inventée l'histoire de la manoeuvre conçue par Hannibal avec l'aide de son fils Arisès, un personnage, fictif lui aussi.

Tous ces développements donnent l'impression d'une épopée reconstruite sur des éléments d'histoire. En d'autres termes, on se trouve dans la veine épico-légendaire qui traverse l'ensemble du Myreur. Parfois l'« épopée » chemine à côté des données historiques ; dans d'autres cas, elle utilise ces dernières dans un récit original.

Le récit du combat comporte des notes épiques assez claires, comme lorsqu'il est question de tailler et de tuer les ennemis oussi legirement com chu fussent berbis. Dans des passages comme si assemblont leurs oust li uns contre les altres, ou là furent abatus mains homs hauls et bas, des spécialistes des gestes médiévales retrouveraient peut-être des traces d'alexandrins. En d'autres termes, on n'est plus devant une chronique en prose mais devant un morceau d'épopée en vers qui serait dérimée. Mais tout cela devrait être étudié en profondeur.

Quelques mots sur le rôle des Romains en Afrique. Pour affaiblir leur ennemi, les Romains ont effectivement porté la guerre, tantôt en Espagne, tantôt en Afrique. Mais les opérations sur le sol africain selon Jean, qui mettent en scène un consul romain, Marcus Atilius Régulus, tantôt en position de force, tantôt prisonnier des Carthaginois, se déroulent pendant la première Guerre Punique. En évoquant des serpents censés pulluler dans la région, le chroniqueur semble avoir conservé des traces évanescentes de l'épisode (présent dans des sources classiques mais probablement légendaire) du combat de Régulus contre un serpent géant (cfr Toile). Quant aux opérations romaines en Afrique pendant la deuxième Guerre Punique, elles furent pour l'essentiel menées par le jeune Scipion et furent généralement victorieuses. C'est ce même Scipion qui, plus tôt à Rome, immédiatement après la défaite de Cannes, avait lutté contre le découragement romain et redonné du moral à la cité.

Quant au Métellus, cité par le chroniqueur liégeois, s'il s'agit bien de Lucius Caecilius Metellus, il fut effectivement consul, deux fois même, mais pendant la première Guerre Punique. L'histoire du consul romain Marcellus et celle de Métellus appartiennent elles aussi à la première Guerre Punique.

Ainsi donc, dans les notices analysées ici et censées concerner la période d'Hannibal, c'est-à-dire la deuxième Guerre, on trouve à la fois des événements antérieurs aux Guerres Puniques, des événements de la première Guerre Punique et des événements de la deuxième, ceux-ci d'ailleurs fort incomplets et inexacts. Tout cela est livré au lecteur dans un désordre complet et avec une approximation telle qu'on ne peut accepter comme historique la vision de Jean, qu'il s'agisse de la chronologie ou du contenu. Mais il serait trop long - et probablement inutile - de passer en revue chacune de ces notices, pour tenter de voir à quel événement historique précis elle pourrait correspondre ou renvoyer.

On n'insistera pas sur le fait que le chroniqueur, dans son récit des Guerres Puniques, passe à côté d'anecdotes intéressantes qui font partie intégrante du légendaire classique de Rome.

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Sommaire

Les Carthaginois, qui ont défait sur mer les Romains de Marcellus, font le siège de Rome, aidés par des Siciliens, qui ont rassemblé des forces considérables (336-338 de la transmigration = 253-251 a.C.n.)

Les Romains en armes sortent pour combattre Hannibal hors de la cité, mais Hannibal, grâce à sa stratégie, après une bataille acharnée qui fit de nombreux morts de part et d'autre, défait les Romains qui s'enfuient, à l'exception de Métellus - Hannibal envoie à Carthage un butin impressionnant (338 de la transmigration = 251 a.C.n.)

Les Tarentins et leur allié Pyrrhus, roi de Grèce, sont défaits par les Romains (336 de la transmigration = 251 a.C.n.)

* Les Tarentins s'allient ensuite à Hannibal, mais les Romains contre-attaquent en Sicile et défont sévèrement Hannibal, qui réussit à s'enfuir

Les Romains d'Atilius s'emparent de Carthage et de toute une région où abondent les serpents - Les Carthaginois, n'ayant pu faire la paix, contre-attaquent, l'emportent et emprisonnent Régulus à Carthage - Aemilius et Fulvius, sur la route de Rome à Carthage, rencontrent Hannibal qui les défait et s'empare de leurs navires

Hannibal, après sa victoire écrasante aux portes de la cité néglige de s'emparer de Rome pourtant affaiblie, tandis que Scipion l'Africain s'oppose au défaitisme et ramène des habitants dans la ville

 

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Les Carthaginois, qui ont défait sur mer les Romains de Marcellus, font le siège de Rome, aidés par des Siciliens qui ont rassemblé des forces considérables (336-338 de la transmigration = 253-251 a.C.n.)

 

[p. 117] Romans desconfis sor mere] Item, l'an IIIc et XXXVI, oit grant batalhe sor mere entres les Romans et les Affricans ; et là furent les Romans desconfis et mors, et là gagnarent cheaux de Cartage sour les Romans nonantes neis plaines et cargiés de vitalhes et d'avoir ; et conduisoit à chest fois les Romans I prinche qui astoit nomeis Marcellus. Chis escapat, car ilh s'enfuit.

[p. 117] [Les Romains défaits sur mer] En l'an 336 [253 a.C.n.], un grand combat naval opposa Romains et Africains. Les Romains furent défaits et périrent ; les Carthaginois prirent aux Romains quatre-vingt-dix navires lourdement chargés de vivres et de richesses. À la tête des Romains, cette fois, se trouvait un prince nommé Marcellus. Il parvint à s'échapper en prenant la fuite.

[Hanibal assege Romme] A chest fois commandat ly roy Hanibal de Cartage à aleir vers Romme et pour destruire ; et ses barons fisent son commant et vinrent à Romme, et l'asegarent à LXm hommes. Quant cheaux de Zesile sorent que Hanibal, leur saingnour avoit assegiet la citeit de Romme, si s'asemblont et vinrent à Romme en l'ayuwe le roy Hanibal bien à Cm hommes et plus, à pi et et à cheval.

[Hannibal assiège Rome] Alors le roi Hannibal de Carthage ordonna (à son armée) de se rendre à Rome pour la détruire. Obéissant à ses ordres, ses barons vinrent assiéger la ville, avec soixante mille hommes. Quand les Siciliens surent que leur seigneur Hannibal avait assiégé la ville de Rome, ils se rassemblèrent et se rendirent à Rome pour lui porter aide. Ils étaient plus de cent mille, fantassins et cavaliers.

 

Les Romains en armes sortent pour combattre Hannibal hors de la cité, mais Hannibal, grâce à sa stratégie, après une bataille acharnée qui fit de nombreux morts de part et d'autre, défait les Romains qui s'enfuient à l'exception de Métellus - Hannibal envoie à Carthage un butin impressionnant (338 de la transmigration = 251 a.C.n.)

 

[p. 117] Quant cheaux de Romme veirent chu, si assemblont et ordinont leurs oust, et yssirent fours de la citeit tous rengiés ; et astoit bien des Romans IIIc milhe pitons et XLm chevaliers à chevals et pluseurs altres nobles gens ; et fut celle batalhe en mois de may l'an IIIc XXXVIII. Quant ly roy Hanibal aparchut si grant peuple des Romans qui venoient enssi rengiés, si s'avisat et fist armeir toutes ses gens ; si en fist entreir Cm en unc bosquet, et les LXm fist traire avant vers les Romans tous rengiés, et les fist conduire son fis Arises, et [p. 118] ly commandat que, oussitost que ilh astoient adjosteis aux Romans, que ilh fuissent et tournassent les dos por les Romans à desroteir, et ilh les venroit tantost sorcorrir à tout les Cm hommes qui astoient en bosquet sour l'afaire. A cest parolles soy partit ly roy Hanibal de son fis, et entrat en bosquet, et son fis soy acontat aux Romans et les Romans à li, qui pou le dobtont, car ilh avoit pou de gens envers eaux.

[p. 117] Quand les Romains virent cela, ils rassemblèrent et rangèrent leurs armées, puis sortirent de la cité en ordre de bataille. Ils étaient trois cent mille fantassins, quarante mille cavaliers avec leur monture, et de nombreux autres notables. La bataille se déroula en mai 338 [251 a.C.n.]. Quand le roi Hannibal aperçut les Romains arrivant en foule et rangés en bataille, il réfléchit et fit armer tous ses hommes. Il en fit entrer cent mille dans un bosquet et en disposa quarante mille bien rangés en direction des Romains. Il mit à leur tête son fils Arisès, à qui il [p. 118] donna l'ordre de s'enfuir et de tourner le dos dès qu'ils seraient au contact des Romains. C'était pour les dérouter ; il viendrait aussitôt les secourir avec les cent mille hommes placés en embuscade. Sur ce, Hannibal quitta son fils et pénétra dans le bois, tandis que son fils affronta les Romains. Ceux-ci n'avaient pas très peur, car Arisès n'avait que peu d'hommes avec lui.

Si assemblont leurs oust li uns contre les altres ; là furent abatus mains homs hauls et bas de ambdois parties ; mains li pieur tournat sour les Affricans, car ilh en fut grandement ochis ; et fussent tous mors, quant Arises, qui les guyoit, lassat cheioir sa banire et soy mist al fuir, et ses gens apres luy. Et quant les Romans veirent la disconfiture, si les cachont les alqueis ; mains la plus grant partie soy retrahit vers les trefs aux Affricans pour eaux à derobeir, et là soy departirent les Romans en divers parchons pour gangnier.

Les deux armées se rangèrent en face l'une de l'autre. Beaucoup de guerriers, de haute et de basse naissance, furent abattus dans les deux camps, surtout chez les Africains, qui comptèrent beaucoup de tués. Ils seraient tous morts, si leur chef Arisès n'avait pas laissé tomber son étendard et ne s'était pas mis à fuir, suivi des hommes qui lui restaient. Voyant les Carthaginois défaits, certains Romains les pourchassent, mais la plupart se dirigent vers les tentes des Africains pour les piller. Ils se partagent en plusieurs groupes pour faire du profit.

Mains enssi qu'ilh astoient à la gangne, adont est venus li roy Hanibal à Cm hommes, issant de bosquet, et se vat ferir luy et ses gens aux Romans, et les commenchat à descopeir et ochire, oussi legirement com chu fussent berbis, et à mult grant planteit, car oncques nus des Romans ne soy defendit, fours seulement unc noble prinche qui fut nomeis Meltellus. Chis soy defendit et ochist le cheval le roy Hanibal, et ochist oussi grant planteit d'Affricans ; mains chu ne ly valut riens, car ilh fut là ochis de la main le roy Hanibal. Et furent là les Romans desconfis et mors ; et fut la somme des mors des Romans IIc mille hommes à pi et et XXXm à chevauls.

Les Romains étaient occupés au pillage lorsque le roi Hannibal les attaqua, sortant du bois avec ses cent mille hommes. Les Carthaginois se mirent à tailler et à tuer les ennemis, aussi facilement que des brebis et en très grand nombre. Aucun Romain ne se défendit vraiment, à l'exception d'un prince nommé Métellus, qui tua le cheval du roi Hannibal ainsi que beaucoup d'Africains. Mais cela ne lui servit à rien, car lui aussi fut tué de la main du roi Hannibal. Les Romains furent défaits et périrent. Le nombre de morts dans leurs rangs s'éleva à deux cent mille fantassins et trente mille cavaliers.

[Mervelhe] Enssi que Orosius tesmongne, li roy Hanibal envoiat en Cartage, sa citeit, trois muys et demy de aneals d'or que ilh fist osteir fours des dois des chevaliers et des nobles barons romans qui là furent mors.

[Merveille] Au témoignage d'Orose [IV, 16, 5, cfr Introduction], le roi Hannibal envoya à Carthage, sa cité, trois tonneaux et demi d'anneaux d'or, qu'il avait fait ôter des doigts des cavaliers et des nobles barons morts dans cette bataille.

 

Les Tarentins et leur allié Pyrrhus, roi de Grèce, sont défaits par les Romains (336 de la transmigration = 253 a.C.n.)

 

[p. 118] [Des Tarentins et de roy Piere de Gresche] En cest temps, assavoir l'an IIIc et XXXVI, devant chest grant batalhe des Romans et de roy Hanibal où les Romans furent desconfis, enssi com nos avons dit, ly roy de Tarente soy oppoisat contre les Romans.

[p. 118] [Les Tarentins et le roi Pyrrhus de Grèce] En ce temps-là, c'est-à-dire en 336 [253 a.C.n.], avant la grande bataille entre les Romains et le roi Hannibal, que nous avons racontée et qui vit la défaite des Romains, le roi de Tarente s'était opposé aux Romains.

 Les Tarentins, assavoir le peuple de Tarente, soy prendoient mult pres de résisteir les Romans ; car ilh ochioient les messagiers et les copoient leurs barbes et les langues, et les crevoient les yeux, et fasoient en tout manere despit aux Romans qu'ilh poioient. Si ont fait alianche à Piere, le roy de Gresche, qui vient awec [p. 119] eaux en Ytaile à grant gens, assavoir à IIIc milhes hommes à piet et à VIIm à chevals, et XX olyphans qui furent les premiers qui fussent oncques dechà mere ameneis, ne que ons y awist veyut.

 Les Tarentins, c'est-à-dire le peuple de Tarente, étaient très près d'attaquer les Romains : ils tuaient leurs messagers, leur coupaient la barbe et la langue, leur crevaient les yeux et infligeaient aux Romains tous les dommages possibles. Ils s'allièrent à Pyrrhus, le roi de Grèce, qui les rejoignit [p. 119] en Italie avec une grande armée, c'est-à-dire trois cent mille fantassins, sept mille chevaliers et vingt éléphants. Ce furent les premiers éléphants qui furent jamais amenés de ce côté de la mer, ou qu'on y ait vus.

[Grant batalhe] Et là fut commenchié batalhe tres-terrible contre les Romans, qui durat de matin jusques à vespres ; si furent en la fien les Grigois et les Tarentins desconfis, et cheaux des Grigois qui porent escappeir en ralarent meschamment en leur pays.

[Grande bataille] Là éclata une terrible bataille contre les Romains, qui dura du matin jusqu'au soir. Finalement les Grecs et les Tarentins furent vaincus, et ceux des Grecs qui purent s'échapper s'en retournèrent très éprouvés dans leur pays.

 

Les Tarentins s'allient ensuite à Hannibal, mais les Romains contre-attaquent en Sicile et défont sévèrement Hannibal, qui réussit à s'enfuir

 

 [p. 119] Adont s'avisarent les Tarentins et eslurent XII barons, et les envoiarent en Affrique faire alianche al roy Hanihal, car ilh avoient entendut que lidit roy voloit vengier la mort de son pere que les Romans avoient ochis ; et en teile manere fut-ilh fait ; dont ilh avient maintes dures batalhes et maintes despis et damages mult grans aux Romans, car les altres ne soy reposarent mie, enssi com vos oreis.

 [p. 119] Alors les Tarentins réfléchirent et désignèrent douze barons qu'ils envoyèrent en Afrique pour conclure une alliance avec Hannibal, car ils avaient appris qu'il voulait venger son père, tué par les Romains. L'accord fut conclu. Cela valut aux Romains maintes dures batailles, beaucoup de souffrances et de grands dommages, car les ennemis ne s'arrêtèrent pas de leur nuire, comme vous l'entendrez.

Et tout chu ne fut mie fais si en secreis, que ilh ne le fuist lassiés savoir aux Romans, qui tantost assemblarent grans oust et soy misent sour mere, en disant qu'ilh ayment mies assalhir les Affricans que estre assalhis par eaux.

Tout cela ne se fit pas assez secrètement et parvint à la connaissance des Romains, qui rassemblèrent immédiatement une grande armée et prirent la mer, disant qu'ils préféraient attaquer les Carthaginois qu'être attaqués par eux.

Et d'altre part Hanibal venoit par mere à tres-grans gens et XXX olyphans ; si est venus en la terre de Zesile, où son peire fut ochis par les Romans, et les dois consules de Romme, qui furent nomeis Gue et Gay, le sorent ; se le corurent sus.

Par ailleurs, Hannibal arrivait par la mer avec une armée très importante et trente éléphants. Il débarqua en Sicile, où son père avait été tué par les Romains. Les deux consuls de Rome, nommés Cneius et Gaius (?), informés de son arrivée, coururent l'affronter.

[Hanibal desconfis par les Romans] Si fut disconfis ly roy Hanibal, et si perdit ses neis, en queiles ilh astoit venus, et tant d'hommes mors que luy-meisme à paine en pot fuir. En teile manere furent les Affricans mors et peris ; et li roy escapat, qui en l'autre an apres rasemblat gran gens et revient par mere ; mains les Romans, qui avoient leurs despies par tout pays, le savoient bien.

[Hannibal défait par les Romains] Hannibal fut battu. Il perdit les navires qui l'avaient amené ; beaucoup de ses hommes furent tués, et lui-même eut beaucoup de peine pour s'enfuir. Ainsi moururent et périrent les Africains. Le roi, qui en avait réchappé, rassembla l'année suivante un grand nombre d'hommes et revint par la mer. Mais les Romains, qui avaient des espions partout, le savaient.

 

Les Romains d'Atilius s'emparent de Carthage et de toute une région où abondent les serpents - Les Carthaginois, n'ayant pu faire la paix, contre-attaquent, l'emportent et emprisonnent Régulus à Carthage - Aemilius et Fulvius, sur la route de Rome à Carthage, rencontrent Hannibal qui les défait et s'empare de leurs navires

 

 [p. 119] [De Atilius Regule] Si astoit adont consules Atilius Regulus ; chis montat sour mere à grant gens, et s'en allat vers Affrique, et passat sy bien qu'ilh n'encontrat mie le roy Hanibal ne ses gens. Si vient devant Cartage, sy l'assalhit fortement ; et elle estoit wide de gens por unc teile oust à sostenir ne contresteir ; finablement, ilh le gangnat et conquist.

 [p. 119] [Atilius Régulus] Le consul de l'époque était Atilius Régulus. Il prit la mer avec une grande armée et se dirigea vers l'Afrique. Il réussit à ne rencontrer ni le roi Hannibal ni ses hommes. Arrivé à Carthage, il l'assiégea vigoureusement. La ville manquait de soldats capables de résister et d'affronter une telle armée. Finalement, Régulus fut vainqueur et s'empara de la ville.

Et se conquist par le royalme d'Affrique IIIIxx et IIII citeis ; et si ochist III roys awec leurs gens, dont ilh en estoit grant multitude. Et conquist tout le pays jusques à flu qui at nom Baginda, où ilh [p. 120] avoit des serpens de cent et XX piés de long ; si en ochisent pluseurs, car ilh avoient jà bien devoreit IIIc hommes de ses gens ; se fist le cure de l'onc aporteir à Romme.

Dans le royaume d'Afrique, il conquit quatre-vingt-quatre cités, tuant trois rois et un grand nombre de leurs sujets. Il s'empara de tout le pays jusqu'au fleuve Bagrada, où vivaient [p. 120] des serpents de cent vingt pieds de long. Les hommes de Régulus tuèrent beaucoup de ces serpents, qui avaient déjà dévoré plus de trois cent d'entre eux. Régulus prit soin d'en ramener un à Rome.

Mains, enssi que Atilius Regule faisoit enssi, cheaux de Cartage vorent faire pais à ly, et ilh le refusat. Adont ilh soy trahirent de unc costeit, et s'avisarent qu'ilh les courroient sus, car ilh avoient gens asseis ; et vinrent à li et l'assalhirent. Et se orent adont victoir por eaux, car les Romans furent abatus et ochis, et Atilius, leur consule, pris et mis en prison à Cartage.

Tandis qu'Atilius Régulus agissait ainsi, les Carthaginois voulurent faire la paix avec lui, mais il refusa. Ils se retirèrent alors et décidèrent de l'affronter, car ils disposaient d'assez d'hommes. Ils vinrent l'attaquer et l'emportèrent. Les Romains furent battus et tués, Atilius, leur consul, capturé et emprisonné à Carthage.

Et, quant Emulius le soit, qui astoit son compangnon consule, ilh fut mult corochiés ; si assemblat grans oust, et apellat awec luy Fulvius, qui avoit esteit consule l'an devant ; se s'en allat à IIIc naves plaines de gens d'armes en Affrique.

Quand Aemilius, son collègue consul, l'apprit, il fut très en colère. Il rassembla une grande armée et appela à ses côtés Fulvius, un consul de l'année précédente. Ils partirent pour l'Afrique avec trois cents navires pleins d'hommes armés.

[Les Romans desconfis sor mere] Enssi qu'ilh vinrent sor mere, si avient qu'ilh encontrarent le roy Hanibal, qui avoit oiit novelle de la perde qu'ilh avoit recheut en son regne, qui avoit grant multitude de gens. Et là se sont assembleis, et soy combatirent sour mere, qui asseis durat ; mains en la fin furent les Romans desconfis et mors, et là conquestarent les barons de Cartage sour les Romans XC naves plaines et chargiés de vitalhes et d'avoir.

[Les Romains battus sur mer] Tandis qu'ils arrivaient par mer, ils rencontrèrent le roi Hannibal, qui avait appris les pertes subies dans son royaume et disposait de beaucoup d'hommes. Ils se rencontrèrent sur mer et livrèrent un combat qui dura fort longtemps. Finalement les Romains furent battus et périrent. Les barons de Carthage prirent aux Romains quatre-vingt-dix navires chargés de vivres et de richesses.

 

Hannibal, après sa victoire écrasante aux portes de la cité, néglige de s'emparer de Rome pourtant affaiblie, tandis que Scipion l'Africain s'oppose au défaitisme et ramène des habitants dans la ville (338 de la transmigration = 251 a.C.n.)

 

[p. 120] [Hanibal avec ses oust devers Romme] Adont commandat Hanibal à ses oust del aleir devers Romme, enssi que dit est chi-desus ; et quant ilh oit desconfis les Romans devant Romme, apres la batalhe, li roy Hanibal soy retrahit arriere tout ardant le pays dont ilh fut pou saige ; car, enssi qui racompt Orosius, les Romans furent à chest fois si desconfis et abatus, folleis, mors et ochis, qu'ilh ne furent oncques en nulle batalhe si meneis à la fin de leur poioir, car ilh astoient ochis li fleur et les plus nobles de Romme, tant enssi com je vos ay dit desus.

[p. 120] [Hannibal et ses armées devant Rome] Alors Hannibal ordonna à ses armées de marcher sur Rome, comme on l'a dit ci-dessus (p. 117). Après la bataille et la défaite romaine devant Rome, le roi Hannibal se retira, en incendiant tout le pays. C'était peu sage ; car, comme le raconte Orose [V, 16, 6ss], les Romains étaient à ce moment-là, découragés, abattus, écrasés, morts et tués, comme jamais en aucune autre bataille. Ils étaient arrivés au bout de leur puissance, car la fleur de Rome et les plus nobles des Romains avaient été tués, comme je l'ai dit ci-dessus (p. 118).

Et, par especial, ilh astoient mult mors des prinches, consules et senateurs de Romme, si com Luciens, Emuliens, Paulins, Publiciens, Tarrentiens, Varro et Meltellus, qui tous avoient esteit consules de Romme ; porquen se Hanibal fust aleis apres la victoir vers Romme, ilh n'eust troveit nulle obstacle qu'ilh ne l'euwist conquestée.

Étaient morts notamment beaucoup de princes, consuls et sénateurs de Rome, comme Lucius, Aemilius, Paulus, Publicius, Térentius, Varron et Métellus, qui tous avaient été consuls de Rome. C'est pourquoi si Hannibal, après sa victoire, avait marché sur la ville, il n'aurait rencontré aucune résistance qui l'aurait empêché d'en faire la conquête.

[De Scipio l’Affrican] Et furent à chest fois si despereis les Romans, que ly remanant vot fuir fours de la citeit à l'autre costeit des anemis, si ne fust Scipio l'Affrican, qui astoit tribunyen de Romme, et alcons chevaliers, qui par coroche et à l'espée les rastraindirent si fort qu'ilh [p. 121] n’osarent fours yssir.

[Scipion l’Africain] À ce moment-là, les Romains étaient si désespérés que les rescapés voulaient sortir de la cité pour passer du côté des ennemis. (Ils l'auraient fait) si Scipion l'Africain, tribun de Rome, et quelques chevaliers ne les avaient retenus par leur colère et leurs épées, au point qu'ils [p. 121] n'osèrent pas sortir.

Et finablement ilh fut acordeit à Romme que tous les vendus aux chevaliers publement por argent, et tous larons murdreurs et quelconques pecheurs ou mailsfaiteurs, qui astoient pour leurs meffais de Romme banis, li tribunyens les absolit tous, et les fist frans, mains qu’ilh venissent à Romme habiteir, et seroient tous quittes des debtes qu'ilh devoient. Adont en revient bien jusques à VIm hommes.

Finalement à Rome, un accord leva les condamnations et affranchit tous ceux qui s'étaient vendus officiellement aux chevaliers pour de l'argent, tous les voleurs, les meurtriers, ou les malfaiteurs en général, qui avaient été bannis de Rome pour leurs méfaits, à la condition qu'ils viennent habiter Rome : ils seraient tous quittes de leurs dettes. Alors au moins cinq mille hommes revinrent dans la ville.

Ensiment que je dis fut Rome afflit ; si nos en tairons atant et revenrons à nostre matere. Si vos disons que, quant ilh avient alcons mal à une persone, ilh y vient volentier une altre.

 Rome fut bien éprouvée comme je l'ai dit. Mais nous abandonnerons ce sujet pour revenir à notre matière. Nous vous dirons aussi que quand un malheur arrive à quelqu'un, souvent un autre vient s'y ajouter.

 


 

B. Toujours les Guerres Puniques [Myreur, p. 121b-125a]

 

Ans 339-343 de la transmigration = 250-246 a.C.n.

 

Introduction

Le récit de ce qui est censé être l'histoire d'Hannibal et de la deuxième Guerre Punique continue, avec un grand désordre chronologique et des approximations diverses.

Nous avons parlé précédemment des grandes victoires d'Hannibal après son entrée en Italie par les Alpes et dit ce qu'il fallait penser du prétendu siège de Rome par Hannibal. Nous n'y reviendrons pas. Nous ne ferons pas non plus de commentaires détaillés sur les notices de la présente section, nous bornant à préciser quelques éléments qui concernent toujours la deuxième Guerre Punique.

La première remarque à faire porte sur l'organisation de la matière par Jean. Les pages précédentes (p. 117ss) traitaient avec bien des détails d'un siège de Rome par Hannibal et de violents combats autour de la ville. Elles signalaient aussi qu'Hannibal, malgré ses victoires, avait renoncé à son projet et s'était retiré. Très curieusement, dans l'édition A. Borgnet, que ce soit dû à un problème de tradition manuscrite (note de Borgnet, p. 123, n. 3) ou à un changement de source dans le chef de Jean, le récit des p. 121ss ramène le lecteur en arrière, sans que cela soit dit explicitement. On voit ici Hannibal en Espagne aux prises avec Sagonte, une ville alliée de Rome, dont il s'empare. C'est un épisode historique, daté de 218 avant notre ère. Bien sûr, le nom de la ville n'apparaît pas, mais le refus carthaginois de recevoir une ambassade romaine ne laisse place à aucun doute. Cette précision suggère même la source suivie : Orose (IV, 14, 1-2), que le chroniqueur liégeois continue à utiliser un certain temps, sans toujours bien la comprendre.

Quelques précisions sur les rapports entre Jean d'Outremeuse et Orose

Après la victoire de Sagonte, Hannibal décide de partir (retournat, dit Jean) pour l'Italie. Il traverse les montangnes à grant labeur et par forche de batalhe, et arrive dans la plaine du Pô (tant que ilh vient aux plains de Ytalie). Le texte d'Orose, qui sert ici de source (directe ou indirecte), mentionne plus correctement que le Carthaginois a dû, pour passer d'Espagne en Italie du nord, franchir d'abord les Pyrénées, puis les Alpes.

Viennent ensuite, clairement chez Orose, beaucoup moins clairement chez Jean, la rencontre près de Pavie, sur le Tessin (le fleuve Ticino, orthographié Citine par Jean et considéré par lui comme une ville), simple escarmouche de cavalerie pour les Modernes, puis la première bataille majeure sur le sol italien, près de la ville de Plaisance (Piacenza), sur la Trébie. Elles eurent lieu toutes les deux en décembre 218 avant notre ère et les consuls du moment sont effectivement Cornélius Scipion et Sempronius Longus. Mais chez Orose, presque tous les Romains présents sur le Tessin furent massacrés ; le vieux Scipion lui-même, grièvement blessé, n'échappa que de justesse, sauvé de la mort par son fils Scipion, celui qui, par la suite, selon Orose (IV, 14, 6), mérita le surnom d'Africain. On est très loin de la version du chroniqueur : Hanibal s'enfuit et perdit bien XLm hommes. En ce qui concerne la Trébie, qui fut un désastre total pour Sempronius, l'autre consul revenu en hâte de Sicile, Jean a mieux transcrit sa source. Il note, comme Orose, que Sempronius fut un des rares survivants, mais ne parle pas d'une blessure d'Hannibal.

Ces combats rapprochaient Hannibal de Rome mais, pour y arriver, le Carthaginois devait encore franchir les Apennins et descendre vers l'Étrurie. Cette étape (début du printemps 217 avant notre ère), Orose (IV, 14, 8) la signale en insistant, davantage que Jean, sur les difficultés du passage : froid, neige, perte d'éléphants et de bêtes de somme, morts d'hommes. Mais le chroniqueur gonfle les conséquences : il fait mourir tous les oliphans et les jumens.

Une fois en Étrurie, il restera encore à Hannibal une dernière bataille à gagner pour s'ouvrir la route de Rome. C'est celle du lac Trasimène, le 21 juin 217 avant notre ère, livrée contre un nouveau consul Caius Flaminius. Jean suit toujours Orose (IV, 15, 2-6) qu'il résume sans bien le comprendre. N'entrons pas dans une comparaison détaillée. Notons simplement que Jean a conservé le chiffre des morts et des prisonniers, sans toutefois signaler la mort du consul, ni un événement passé dans la tradition historiographique romaine, qu'avait enregistré Orose et qui aurait dû intéresser le chroniqueur liégeois : « les combattants firent preuve d'une ardeur si violente qu'ils ne se rendirent absolument pas compte d'un fort tremblement de terre » (trad. M.-P. Arnaud-Lindet), très dévastateur qui éclata à ce moment.

Pas traces chez Jean de la bataille de Cannes, qui, s'ajoutant au désastre du lac Trasimène, mit, pour ainsi dire, Rome à genoux. C'est, rappelons-le, après la bataille de Cannes qu'Orose (IV, 16, 5) faisait état des « trois boisseaux d'anneaux d'or » arrachés aux mains des Romains morts au combat, un détail repris par Jean.

En ce qui concerne les circonstances et les raisons du retrait d'Hannibal, Tite-Live (XXIII, 1, 10) note très sobrement : « Quant au siège de la ville, Hannibal y renonça, à la vue de ces murailles qu'il lui eût été trop difficile d'emporter d'assaut » et Orose (IV, 16, 4) ne dit guère davantage : « Sans aucun doute, ce jour aurait été le dernier pour l'état romain si Hannibal avait cherché à pénétrer dans Rome immédiatement après la victoire ». Une tradition historiographique ancienne a toutefois enregistré le motif d'Hannibal campant à une lieue et demie de Rome, venant caracoler sur son cheval sous les murs de Rome, à la Porte Colline et lançant un javelot sur la cité. Les paragraphes correspondants de Jean vont beaucoup plus loin avec les détails qu'il donne sur l'agitation des femmes et la harangue d'un « proconsul Silvius », inconnu des listes des magistrats romains du moment. Tout cela n'a guère de rapport avec l'Histoire authentique.

Quelques observations maintenant sur la suite de la guerre et particulièrement sur les opérations extérieures. Dans l'Histoire, les victoires de Scipion en Espagne, en Sicile, puis en Afrique, s'ajoutant aux pressions exercées sur Carthage par le roi numide Massinissa, ont fini par mettre la ville aux abois. Elle doit rappeler Hannibal qui s'attardait en Italie sans réels succès. Celui-ci, rentré en Afrique, fut écrasé par Scipion à Zama en 202 avant notre ère, ce qui mit fin à la seconde Guerre Punique et permit le retour à Rome de Régulus et des prisonniers romains. Pour obtenir la paix, Carthage accepta des conditions extrêmement sévères qui lui interdirent dans les faits de reprendre la guerre. C'en fut désormais fini des activités militaires d'Hannibal. Il restera pourtant quelques années à Carthage, où il sera élu suffète en 197 avant notre ère, mais les Romains l'obligèrent à se retirer. Il s'exila auprès de différents rois orientaux, sans cesse poursuivi par la haine des Romains, et, pour ne pas tomber dans leurs mains, s'empoisonna en 187 avant notre ère. Comme on le verra, Jean ne présente pas la suite de cette manière.

Pour ce qui est du rôle des Gaulois dans ces sections du Myreur, on ne trouve pas dans l'Histoire la trace d'importantes forces gauloises, qui, à l'époque d'Hannibal, seraient venues ravager les environs de Rome pour être finalement défaites « en dépit de leur renom de puissance invincible ». L'événement est daté par le chroniqueur du consulat de Sempronius et de Valérius. Un Tiberius Sempronius Longus a bien été consul de Rome en 218 avant notre ère tout au début donc de la seconde Guerre Punique, mais il avait comme collègue P. Cornélius Scipion et ne semble pas lié aux guerres contre les Gaulois. Mais compte tenu des « fantaisies approximatives » de notre chroniqueur, nous n'avons pas eu le courage ni la patience d'approfondir ce point. Peut-être faut-il y voir une réminiscence du sac de Rome par les Gaulois en 396 avant notre ère ? Ou une occasion pour Jean de rappeler la puissance gauloise. En tout cas, la tentative d'un Hannibal qui, après la défaite de Zama, repart dévaster la Gaule avant d'être mis en fuite par le duc de Gaule Cambéracion n'a pas le moindre fondement historique. Une chose toutefois est certaine, nous l'avons déjà constatée et elle apparaîtra encore plus loin d'une manière très claire : le chroniqueur entend introduire les Gaulois d'une manière assez systématique dans les opérations militaires contre les Romains et leur faire jouer un rôle déterminant.

Quant à la troisième référence à Orose dans cette section (p. 121), celle qui caractéristise les Gaulois comme un peuple particulièrement fourbe et cruel, hardi et entreprenant, toujours victorieux encore que plus courageux au début qu'à la fin du combat, nous ne l'avons pas retrouvée dans l'oeuvre d'Orose.

L'histoire des prisonniers romains qu'Hannibal, en manque d'argent, aurait voulu vendre aux Grecs, ne figure pas dans la tradition historiographique romaine. Ce que l'on sait par contre, c'est qu'Hannibal, après ses victoires en Italie, libérait généralement sans rançon les prisonniers appartenant aux nations alliées de Rome pour ne retenir que ceux d'origine romaine. Il espérait ainsi détacher de Rome ses alliés qui lui fournissaient des troupes (Liv., XXII, 58, 2). La suite de ce passage de Tite-Live raconte en détail qu'après ses toutes dernières victoires, Hannibal n'avait pas seulement libéré les prisonniers des alliés de Rome mais qu'il avait proposé à Rome de racheter les prisonniers romains. Cela avait donné lieu à de longs et difficiles débats, mais Rome avait finalement refusé (Liv., XXII, 58-61). Orose ne parle pas de cette offre d'Hannibal rejetée par les Romains.

Le consule Flamyne (p. 122, 124) qui intervient dans cette section, est Titus Quinctius Flamininus, consul de Rome en 198 avant notre ère. La victoire de Scipion l'Africain à Zama en 202 avant notre ère a mis fin à la deuxième Guerre Punique, mais Rome n'est pas pour autant en paix. Les opérations militaires continuent en Orient où Flamininus est célèbre pour ses opérations en Grèce et particulièrement en Macédoine, où il remporte sur le roi Philippe V Antigonide une victoire décisive à Cynocéphales (197 avant notre ère). Le récit de sa rencontre avec une colonne de prisonniers romains qu'il libère est de la fantaisie.

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Sommaire

Tandis qu'une inondation dévaste tout à Rome et que les Gaulois font des ravages à l'extérieur de la ville, les Romains les défont aux portes de Rome, en dépit de leur renom de puissance invincible (339 de la transmigration = 250 a.C.n.)

Après sa précédente victoire devant Rome, Hannibal incendie tous les territoires amis des Romains et dévaste notamment une ville d'Espagne - Avec des forces nombreuses, il gagne ensuite l'Italie, où il connaît des défaites et des succès avant d'arriver à Rome (339-340 [?] de la transmigration = 250-[249?] a.C.n.)

Hannibal finit par renoncer à poursuivre le siège de Rome, suite à l'action du proconsul Silvius, aidé par une pluie et une tempête qui furent considérées comme d'origine divine (341 de la transmigration = 248 a.C.n.)

Entre-temps, Scipion l'Africain s'empare en Espagne de Carthagène et d'un riche butin, puis passe en Afrique - À Carthage, il vainc Hannibal revenu de Rome et ramène à Rome Régulus et des prisonniers (340-341 de la transmigration = 249-248 a.C.n.)

Pour reconstruire Carthage, Hannibal vend à des Grecs des prisonniers Italiens, mais ceux-ci sont libérés par le consul Flamininus rentrant de Macédoine, ce qui accroît le désir de vengeance d'Hannibal (342-343 de la transmigration = 247-246 a.C.n.)

Hannibal repart pour dévaster la Gaule en passant par l'Espagne, mais il est attaqué et mis en fuite en piteux état par le duc Cambéracion (343 de la transmigration = 246 a.C.n.)

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Tandis qu'une inondation dévaste tout à Rome et que les Gaulois font des ravages à l'extérieur de la ville, les Romains les défont aux portes de Rome, en dépit de leur renom de puissance invincible (339 de la transmigration = 250 a.C.n.)

 

[p. 121] [Grande ploive à Romme] Apres sachiés que ilh avint à Rome une sodaine destruction, sor l'an tantost apres, assavoir l'an IIIc et XXXIX ; car dedens III jours plovit une si grant ploive que Tyberis, la riviere de Romme, fut si grant qu'elIe redondoit par tout Romme, en wastant Romme vilainement, et tous les edifisces qui astoient ens es palus de Romme degettat et abatit. Si astoient adont consules de Romme Lucaius Catulien et Auliens Maule.

[p. 121] [Grande pluie à Rome] Sachez que l'année suivante, c'est-à-dire en l'an 339 [250 a.C.n.], Rome fut soudainement dévastée. Durant trois jours la pluie tomba, si abondante que le Tibre, la rivière de Rome, gonfla tellement qu'elle inonda entièrement la ville, en la dévastant affreusement. Elle détruisit et renversa tous les édifices situés dans la zone marécageuse de Rome. Étaient consuls de Rome à l'époque Lutatius Catulus et Aelius Manlius.

Item, en cest an meismes, les Gallyens ardirent Romme tout chu qu'ilh avoient fours de leurs murs ; si astoient consules fais noveal Simpronii et Valerien. Et adont les Romans issirent fours de Romme tous rengiés, et se soy combatirent à eaux ; et furent les Gallyens desconfis, dont chu fut grant mervelhe ; car, sicom dit Orosius, les Gallyens astoient les plus felles et crueux qui fussent en toutes les nations de monde, et les plus hardis et entreprendans, combatans et victorieux. Et chu astoit à commenchement de la batalhe ; mains vers la fin si astoit leur virtus plus petit que le virtu des femmes.

Cette même année, les Gaulois incendièrent tout ce que Rome avait à l'extérieur de ses murs. Les nouveaux consuls étaient Sempronius et Valerius. Alors les Romains rangés en bataille sortirent de Rome et combattirent les Gaulois, qui furent défaits, ce qui était très étonnant ; car, comme le dit Orose, les Gaulois constituaient les nations les plus fourbes et les plus cruelles du monde, étaient les combattants les plus audacieux et les plus entreprenants, toujours victorieux. C'était ainsi au commencement du combat ; mais vers la fin, leur courage était moindre que celui des femmes.

 

Après sa précédente victoire devant Rome, Hannibal incendie tous les territoires amis des Romains et dévaste notamment une ville d'Espagne - Avec des forces nombreuses, il gagne ensuite l'Italie, où il connaît des défaites et des succès avant d'arriver à Rome (339-340 [?] de la transmigration = 250-249 [?] a.C.n.)

 

[p. 121] [De Hanibal] De Hanibal et de ses fais vos dirons en partie. Quant ilh soy fut partis de Romme apres la grant batalhe, ilh s'en ralat tout ardant le pays partout sor cheax qui avoient esteit en l'aide des Romans, et qui astoient leur bien vuelhans.

[p. 121] [Hannibal] Nous vous parlerons de quelques-uns des hauts faits d'Hannibal. Quand il s'éloigna de Rome après la grande bataille, il s'en retourna en incendiant partout le territoire de ceux qui avaient aidé les Romains et qui leur étaient favorables.

[D’Espaine] Si vinrent en Espaine, où ilh fisent grant haire florentissine une citeit dont ly peuple estoit amis aux Romans, et l'assegont ; et y fisent tant qu'ilh l'ont affammée crueusement, prise et desertée, ne les [p. 122] abbassateurs, que cheaux de la citeit li envoiarent, ilh ne les vot oncques veir ne escuteir.

[L'Espagne] Les Carthaginois arrivèrent en Espagne où ils firent grand tort à une cité très florissante [Sagonte], dont la population était favorable aux Romains. Ils l'assiégèrent, l'affamèrent cruellement, la conquirent et la dévastèrent. Jamais Hannibal ne voulut ni voir ni écouter les envoyés [p. 122] des habitants de la cité.

[Hanibal en Ytale] Apres, al temps que Cornelhiies Cypion et Simpronii astoient consules de Romme, retournat Hanibal et ses gens vers Romme, et est passeis les montangnes à grant labeur et par forche de batalhe, et tant que ilh vient aux plains de Ytalie. Si astoit son oust de Cm hommes à piet et XXm à chevals.

[Hannibal en Italie] Par la suite, sous le consulat des Romains Cornélius Scipion et Sempronius Longus, Hannibal avec ses armées repartit vers Rome. Traversant les montagnes [Pyrénées et Alpes] au prix de grands efforts et de batailles, il parvint aux plaines de l'Italie. Son armée comptait cent mille fantassins et vingt mille cavaliers [cfr Orose, IV, 14, 5].

Adont le consule Cypion Corneliiens, qui astoit I valhan prinche, et ses gens qui astoient awec li, les corit sus droit à la citeit de Citine, et al commenchement ilh les navrat griefement et les desconfist ; et Hanibal s'enfuit et perdit bien XLm hommes.

Alors le consul Cornélius Scipion, un prince valeureux, les affronta directement dans la cité de Tessin avec les troupes dont il disposait, et, dès l'abord, il leur porta des coups cruels et les défit. Hannibal s'enfuit et perdit au moins quarante mille hommes.

[Symproniiens desconfis à Treberie] Adont Symproniiens, le consule de Romme, qui astoit en Zesile à grant gens, entendit la novelle que son compangnon Cipion s'astoit combatus et avoit obtenuit la victoir, est partis de Zesile et revient à Treberie, le flu de Plaisanche, et se soy combatit à Hanibal ; si fut desconfis et toutes ses gens mors, et à paine pot-ilh tot seul escappeir.

[Sempronius défait à la Trébie] Alors Sempronius, le consul de Rome, qui se trouvait en Sicile avec beaucoup de troupes, apprit que son collègue Scipion s'était battu et avait remporté la victoire. Il quitta la Sicile et revint vers la Trébie, le fleuve baignant Plaisance. Il se battit contre Hannibal, mais fut vaincu et tous ses hommes périrent ; lui seul put s'échapper à grand peine.

Apres Hanibal, en procedant avant vers Tusquayne, passat le mont Dapine où tant de nyve chait que, por le grant froit qui fist, tous les oliphans et les jumens sont mors.

Ensuite, Hannibal, en progressant vers la Toscane, traversa les Apennins, où la neige tomba si abondante que tous les éléphants et les juments périrent, à cause du grand froid.

Et la vient assavoir à Hanibal que li consule astoit en unc casteal là pres. Si soy hastat del assegier ; mains quant ly consule Flamynens veit chu, si issit fours à lieu de Peruse, et enssi est aleis sa voie ; et Hanibal at pris le casteal, et crueusement ochis XXVm Romans, et VIm en at pris.

Là Hannibal apprit que le consul se trouvait dans un château voisin. Il se hâta de l'assiéger, mais quand Flaminius vit cela, il sortit de Pérouse et poursuivit sa route. Hannibal s'empara du château, tua sauvagement vingt-cinq mille Romains et en captura six mille [bataille du lac Trasimène].

 

Hannibal finit par renoncer à poursuivre le siège de Rome, suite à l'action du proconsul Silvius, aidé par une pluie et une tempête qui furent considérées comme d'origine divine (341 de la transmigration = 248 a.C.n.)

 

[p. 122] [Hannibal assege Romme] Sour l'an IIIc et XLI, revient Hanibal en Campaine en Ytaile, à trois myl pres de Romme, et assegat la citeit de Romme. Quant les senateurs et li peuple de Romme veirent chu, si sont de hisdeur et de pawour teilement ferus de desperanche qu'ilh ne soy puelent aydier, et les femmes en pignacles, - ch'est el sommiteit des palais, - se sont corues, portant awec elles pires à grant planteit, et d'estre apparelhiés de jecteir les pieres des murs sour leurs anemis.

[p. 122] [Hannibal assiège Rome] En l'an 341 [248 a.C.n.], Hannibal revint en Italie, en Campanie, à trois milles pas, près de Rome ; il fit le siège de la cité. Quand les sénateurs et le peuple de Rome virent cela, horrifiés et affolés, ils furent frappés d'un tel désespoir qu'ils ne purent apporter de l'aide, tandis que les femmes coururent sur les pinacles ‒ c'est-à-dire les toits des palais ‒, portant des pierres en grande quantité, prêtes à les jeter du haut des murs sur leurs ennemis.

Adont Hanibal vient avant atout son oust jusqu'à la citeit, en lieu c'on dist à la porte de Coline ; mains quant Silvius, le proconsule, le veit, se dest aux Romans : « Ne soyés point enbahis, ains prendeis cuer en vous et hardileche, et ysseis de là fours awec moy combattre nos anemis ; fortune nous aiderat. » Tant les sermonnat qu'ilhs yssirent fours [p. 123] à grant gens que Silvius emenat.

Hannibal s'avança alors avec son armée jusqu'à la cité, au lieu-dit de la Porte Colline ; mais quand le proconsul Silvius le vit, il dit aux Romains : « Ne soyez pas abattus, mais puisez en vous courage et hardiesse, et sortez avec moi pour combattre nos ennemis ; la fortune nous aidera ». Il les persuada et réussit à les faire sortir [p. 123] et à les emmener derrière lui.

Et enssi qu'ilh yssoient de la citeit tant de ploive et de grisel mixteit chaiit sour eaux, que li assemblée fut teilement perturbée que à paine porent ralleir en la vilhe ; mains li temps pasieble revient, et les Romans une altre fois disposeis à la batalhe fussent venus ; mains ilh vient là une tempeste de violenche qui chaiit là, si qu'ilh covient les ambdois parties renfuir vers leurs tentes.

Tandis qu'ils sortaient de la cité, une pluie mêlée de grêle tomba sur eux, si abondante qu'elle jeta le trouble dans leurs rangs et qu'ils ne purent rentrer que difficilement en ville. Une fois le temps redevenu serein, les Romains étaient à nouveau disposés à se battre, lorsque s'abattit une tempête tellement violente que les deux camps durent fuir encore vers leurs tentes.

Adont vat Hanibal aperchivoir que à conquerre la citeit de Romme n'astoit mie en la forche d'hommes, mains en la divine miseration, si retourneroit et lairoit la citeit en pais, mains s'ilh en trovoit les gens ilh s'en vengeroit en tous cas ; enssi retournat ariere.

Hannibal va alors s'apercevoir que la conquête de Rome ne dépendait pas des forces humaines, mais de la miséricorde divine. Il s'en retournerait et laisserait la cité en paix ; mais s'il retrouvait des Romains, il se vengerait d'eux en tout cas. Ainsi fit-il marche arrière.

 

Entre-temps, Scipion l'Africain s'empare en Espagne de Carthagène et d'un riche butin, puis passe en Afrique - À Carthage, il vainc Hannibal revenu de Rome et ramène à Rome Régulus et des prisonniers (340-341 de la transmigration = 249-248 a.C.n.)

 

[p. 123] [Scypio en Espaine] Enssi com ches choises avenoient, Scypio li Affricans, consule de Romme VIII mois devant, s'avisat et s'en alat à grans oust demetant que Hanibal astoit en Ytaile, et chevalchat tant qu'ilh vient en Espaine. Et de promeir fait la Nove Cartage qui astoit à Hanibal ilh conquestat, en laqueile tous les tressoirs d'or et d'argent por les soldéez des chevaliers largement à payer le temps future at-ilh troveit ; et trovat oussi en cel citeit Magoine, le frere Hanibal ; se le prist et l'envoiat à Romme.

[p. 123] [Scipion en Espagne] Entre-temps, Scipion l'Africain, devenu consul de Rome huit mois plus tôt, décida de partir avec une grande armée, malgré la présence d'Hannibal en Italie. Il chevaucha jusqu'en Espagne, où il s'empara d'abord de Carthagène, qui appartenait à Hannibal. Il y trouva tous les trésors d'or et d'argent propres à payer largement dans le futur les soldes des chevaliers. Il trouva aussi dans cette cité Magon, le frère d'Hannibal. Il se saisit de lui et l'envoya à Rome.

[Apres en Affrique] Scipion, apres les victoirs d'Espaine, passat en Affrique où ilh conquist mult de batalhes, entres lesqueiles ilh soy combattit à roy de Pennoir qui avoit XLm hommes, qui furent tous ochis par Scipion et ses gens. Et quant ilh oit tout depeupleit et dewasteit les pays, li peuple de Cartage mandat le fait à Hanibal, en suppliant à luy qu'ilh revenist por sorcorir le pays.

[Plus tard en Afrique] Après ses victoires en Espagne, Scipion passa en Afrique, où il remporta beaucoup de batailles. Il combattit notamment contre le roi des Carthaginois (Bo), et avec ses troupes il tua quarante mille hommes. Et quand Scipion eut dépeuplé et dévasté tout le pays, le peuple de Carthage fit savoir ce qui se passait à Hannibal, en le suppliant de rentrer au pays pour lui porter secours.

[Hanibal relenquit Ytale] Quant Hanibal entendit le fait, se plorat fortement et relenquist Ytale et s'en ralat vers son pays ; et tous les chevaliers romans qu'ilh avoit pris com prisonirs, qui ne le voirent suire, ochist-ilh.

[Hannibal abandonne l'Italie] Quand Hannibal apprit cela, il fut très attristé, quitta l'Italie et retourna dans son pays. Il tua tous les chevaliers romains qu'il avait faits prisonniers et qui ne voulaient pas le suivre.

[Batalhe] Et revient en Cartage, à chu point que les Cartagiens traitioient de pais à faire à Scypion qu'ilh les traitiast plus amyablement ; mains Scypion n'y voloit entendre. Quant Hanibal vient là, ilh corut sus Scipion et ses gens et cheaux de Cartage awec ; mains Scypion oit la victoir, et les desconfist mult laidement, et Hanibal s'enfuit awec IIII chevaliers, et Scypion ardit tout Cartage, et enportat l'or et l'argent et les joweals et tout [p. 124] l'avoir.

[Bataille] Scipion arriva à Carthage au moment où les Carthaginois, désireux d'être traités avec plus de bienveillance, envisageaient la paix avec Scipion ; mais Scipion ne voulait rien entendre. Arrivé sur place, Hannibal, avec ses hommes et ceux de Carthage, fonça sur Scipion, qui remporta la victoire et battit les Carthaginois d'une façon cinglante. Hannibal s'enfuit avec quatre chevaliers et Scipion brûla toute la cité de Carthage, emportant or, argent, joyaux et [p. 124] richesses.

Et y trovat en prison Tulius Regulus, le consule de Romme, qui avoit, sicom j'ay dit desus, esteit pris en Cartage ; et se en ramena awec XXllc prisonnirs de Cartage.

Dans une prison, il trouva Atilius Régulus, le consul de Rome, fait prisonnier à Carthage, comme je l'ai dit plus haut (p. 119). Il le ramena de Carthage avec deux mille deux cents captifs.

 Ches victoirs oit Scypion, qui astoit uns jouenes hons en l'eaige de XXVII ans, et revient à Romme atant, où ons l'at fortement fiestoiet et fait grant honnour.

Scipion remporta ces victoires, quand il était un homme jeune, âgé de vingt-sept ans et, lors de son retour à Rome, il fut grandement fêté et honoré.

 

Pour reconstruire Carthage, Hannibal vend à des Grecs des prisonniers Italiens, mais ceux-ci sont libérés par le consul Flamininus rentrant de Macédoine, ce qui accroît le désir de vengeance d'Hannibal (342-343 de la transmigration = 247-246 a.C.n.)

 

[p. 124] [Hanibal revient en Cartage] Hanibal fuit sa voie, tant que Scypion fut yssus de son pays ; puis revient, et trovat Cartage arse et destruite et desrobée, et tout son pays gasteit. Si s'avisat qu'ilh avoit en unc fors casteal sour mere XIIIIc prisonnirs qu'ilh avoit amyneit d'Ytaile, mains ilh les yroit vendre en Greche, et de chu qu'ilh les venderoit ilh referoit faire Cartage ; car altrement n'avoit point d'argent ne nuls jowals, car les Romans l'avoient tout desrobeit et pilhiet ; enssi disoit Hanibal.

[p. 124] [Hannibal revint à Carthage] Hannibal s'enfuit jusqu'à ce que Scipion soit sorti de son pays. Alors il revint, découvrit Carthage brûlée, détruite, pillée, et tout son pays dévasté. Il s'avisa qu'il détenait dans un château-fort au bord de la mer quatorze cents prisonniers qu'il avait ramenés d'Italie. Il décida d'aller les vendre en Grèce et de faire reconstruire Carthage avec le produit de cette vente. Car il n'avait plus ni argent ni joyaux, les Romains ayant tout dérobé et pillé. C'est ce que disait Hannibal.

[Des Ytaliiens prisonnirs] Et enssi fut-ilh fais, car ilh vendit les Ytaliiens aux Grigois. Mains tout enssi que ons les emmenoit en Greche, ilh encontrarent le consule Flamyne qui venoit de Machidoyne, où ilh avoit oyut mult de batalhes, et toudis avoit desconfis les Machidoniens ; si avoient fait pais à luy, et astoient remis en tregut com devant.

[Les Italiens prisonniers] Et c'est ce qu'il fit. Il vendit en effet les Italiens aux Grecs. Mais, tandis qu'ils étaient emmenés en Grèce, ils rencontrèrent le consul Flamininus, venant de Macédoine où il avait mené de nombreuses batailles toujours victorieuses contre les Macédoniens, qui avaient fait la paix et étaient retombés sous la sujétion romaine, comme antérieurement.

Si revenoit vers Romme par mere ; si encontrat les Grigois qui condusoient les prisonnirs achateis, qui avoient leurs chiefs et leur grognons raseis, les cheveals tous jus, en signe de servitude ; et astoient loyés li uns à l'autre enssi par cople com ilh dewissent conduire I cherue. Adont Flamyne corut sus les Grigois et les ochist tous, si regangnat les prisonnirs qu'ilh ramenat awec li à Romme.

Flamininus revenait à Rome par mer. Il rencontra les Grecs, emmenant les prisonniers romains qu'ils avaient achetés. Ces hommes avaient la tête et la barbe rasées, les cheveux coupés, en signe de servitude. Ils étaient attachés l'un à l'autre, par paire, comme s'ils devaient tirer une charrue. Alors, Flamininus fonça sur les Grecs, les tua tous et récupéra les prisonniers qu'il ramena avec lui à Rome (cfr p. 179).

ltem, l'an IIIc et XLIII, fut racompteit à Hanibal comment, l'année devant, les prisonnirs qu'ilh avoit vendut aux Grigois astoient delivreis, et les Grigois mors et ochis par le consule qui venoit de Machidoine ; dont Hanibal, quant ilh l'oiit, en fut mult corochiés, et dest qu'ilh yrat en Europ en alcon costeit faire damaige en despit des Romans, car contre les Romans ne voloit plus aleir, car Dieu astoit por eaux.

En l'an 343 [246 a.C.n.], on raconta à Hannibal que, l'année précédente, les prisonniers qu'il avait vendus aux Grecs avaient été délivrés et que les Grecs avaient été tués par le consul qui rentrait de Macédoine. Cela irrita beaucoup Hannibal qui déclara qu'il irait quelque part en Europe y causer des dommages, pour nuire aux Romains. Car il ne voulait plus marcher contre les Romains, qui avaient Dieu avec eux.

 

Hannibal repart pour dévaster la Gaule, en passant par l'Espagne, mais il est attaqué et mis en fuite en piteux état par le duc Cambéracion (343 de la transmigration = 246 a.C.n.)

 

[p. 124] [Hanibal en Espaine et en Galle] Adont assemblat ses oust l'an deseurdit, et montat sor mere ; mains li tempeste les getat en Espaine. Si assemblat là encors gens aux citeit qui haioient les Romans, et soy mist au chemyn tout ardant et destruiant queile part que ilh venoit, et li vient en volenteit que ilh arderoit jusqu'en Galle.

[p. 124] [Hannibal en Espagne et en Gaule] Alors il rassembla ses armées, et prit la mer ; mais la tempête les jeta en Espagne. Là, il rassembla encore des gens dans les cités qui haïssaient les Romains et se mit en route, brûlant et détruisant tout partout sur son passage ; il conçut même le projet de tout incendier jusqu'en Gaule.

[De dus Camberacions] Chu fut nonchiet à duc [p. 125] Camberacion. Quant li dus l'entendit, si assemblat ses hommes par son pays, et fist tant qu'ilh en oit bien XLm tant seulement ; et puis vint al encontre de Hanibal, et le corut sus mult valhamment ; et tant fisent les Gallyens et Sycambiens car ilh astoient fortgens et bons guerrioirs et hardis qu'ilh desconfirent Hanibal, et li ochirent ses gens, et li crevarent I oelt, et li coparent unc pongne à cobattre ; si s'en refuit vers son pays meschamment.

[Le duc Cambéracion] On annonça cela au duc [p. 125] Cambéracion. Quand celui-ci l'apprit, il rassembla ses troupes à travers son pays et parvint à réunir environ quarante mille hommes. Il se porta alors à la rencontre d'Hannibal et fonça vaillamment sur lui. Les Gaulois et les Sicambres réussirent ils étaient forts, des guerriers excellents et hardis à vaincre Hannibal et à tuer ses gens. Ils lui crevèrent un oeil et lui coupèrent un poignet au combat. Hannibal s'enfuit, mal en point, vers son pays.

 


 

C. LA GAULE FACE à ROME, QUI éTEND SA DOMINATION - VARIA [Myreur, p. 125b-128a]

 

Ans 343-393 de la transmigration = 246-196 a.C.n.

 

Introduction

Les notices suivantes se concentrent sur la Gaule et les Gaulois. D'abord on apprend, sur un plan général, que les Gaulois accroissent leur puissance et s'opposent à Rome, ensuite, sur un plan plus particulier, que le duc Cambéracion, qui venait (p. 125) de repousser l'invasion d'Hannibal, envahit l'Italie avant d'être vaincu à Pavie par Scipion et enfin que la Gaule devient tributaire des Romains, « comme le reste de l'Europe », précise le chroniqueur. Le duc de Gaule, Cambacérion, est un personnage fictif, comme le sont d'ailleurs les ducs de Gaule qui l'ont précédé, ainsi que l'« invasion » gauloise, que P. Cornélius Scipion aurait stoppée dans le nord de l'Italie. Bref Jean, quand il écrit que la Gaule, comme le reste de l'Europe, devient tributaire des Romains, ne réalise manifestement pas qu'à l'époque des Guerres Puniques, les Romains ne s'intéressaient vraiment qu'aux seuls Gaulois de la Gaule Cisalpine, c'est-à-dire ceux du nord de l'Italie. Par ailleurs, Jean fantasme lorsqu'il décrit une Rome dépeuplée, proposant des avantages substantiels à tout qui accepterait de s'y installer ? Et que ce sont surtout des Gaulois qui souhaitent l'habiter, au grand déplaisir de leurs dirigeants ? Mais ici encore il serait trop difficile et trop long d'ouvrir un commentaire historique détaillé sur chacune des notices du chroniqueur.

D'autant que Jean aborde la question de la troisième Guerre Punique. Elle commence plus d'un demi-siècle après la défaitre carthaginoise de Zama (-202). Voulue par les Romains (cfr le célèbre Delenda est Carthago, ressassé à l'envi par Caton l'Ancien et dont Jean ne parle pas), elle ne dura que trois ans (de 149 à 146 avant notre ère), se déroula en Afrique et se termina par le siège et la destruction totale de Carthage, qui fut rasée jusqu'au sol. On répandit même du sel sur son territoire, pour le rendre stérile. Le héros de cette troisième Guerre Punique fut Scipion (Cornelius Scipio Aemilianus), à ne pas confondre avec Scipion l'Africain, le vainqueur de Zama (Cornelius Scipio Africanus).

L'Orient est également présent dans les notices : Antiochus en Syrie, les Ptolémées en Égypte, Attale à Pergame. C'est conforme à l'histoire. Après les Guerres Puniques les Romains vont de plus en plus s'investir dans ces régions : on a parlé plus haut des conquêtes de Flamininus en Macédoine. En Occident, le chroniqueur continue à s'intéresser aux pays entrés depuis quelque temps dans son champ de vision, comme le Danemark et la Hongrie. Et sur ce point, il est amusant d'apprendre que Cologne, colonie romaine portant depuis 50 a.C.n. le nom d'Agrippine, la femme de l'empereur Claude (cfr p. 450), doit son existence lointaine à un Hongrois, du nom d'Agrippa !

 

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Sommaire

Hannibal est refoulé à Carthage, les Sicambres montent en puissance tandis que Rome se repeuple, au grand déplaisir des Gaulois, qui cherchent à guerroyer contre les Romains (343 de la transmigration = 246 a.C.n.)

Digressions diverses : Succession en Égypte - Soumission de la Bourgogne au duc de Gaule - Jésus, fils de Syrac, auteur de l'Ecclésiaste - Successions au Danemark et en Hongrie (345-357 de la transmigration = 244-232 a.C.n.)

Après avoir défait les Romains, les Gaulois/Sicambres de Cambéracion envahissent l'Italie mais sont vaincus par Scipion à Pavie (360-363 de la transmigration = 229-226 a.C.n.)

La Gaule, comme le reste de l'Europe, devient tributaire des Romains (365 de la transmigration = 224 a.C.n.)

Divers : successions en Syrie (Antiochus) et en Égypte (Ptolémée IV) - Fondation de la future Cologne par le Hongrois Agrippa (368-375 de la transmigration - 221-214 a.C.n.)

Conquêtes romaines en Afrique (Carthage) et en Sicile (Syracuse et Zancle) - Antiochus de Syrie conquiert la Judée et vainc Ptolémée d'Égypte - Bretanges, duc de Gaule, fonde la Petite Bretagne (378-388 de la transmigration = 211-201 a.C.n.)

Les Romains, alliés à Attale et à Ptolémée, remportent une bataille contre les Africains, assiègent et détruisent à nouveau Carthage, puis soumettent l'Afrique au tribut des Romains - Successsions au Danemark et en Égypte (389-393 de la transmigration = 200-196 a.C.n.)

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Hannibal est refoulé à Carthage, les Sicambres montent en puissance tandis que Rome se repeuple, au grand déplaisir des Gaulois, qui cherchent à guerroyer contre les Romains (343 de la transmigration = 246 a.C.n.)

 

[p. 125] Apres chu que les Sycambiens orent conquesteit les Affricans et leur avoir, ilh devinrent plus orgulheux asseis que ilhs n'astoieot devant ; encor dont astoient-ilh orguilheux par-devant fortement, encor le furent-ilh plus por la grant proieche qu'ilh avoient là fait, que nuls de leurs voisiens ne poioient dureir por eaux ; et conqueroient tout entour eaux, et fesoient cascuns estre subgis à eaux.

[p. 125] Après avoir vaincu les Africains et s'être emparés de leurs richesses, les Sicambres devinrent encore beaucoup plus orgueilleux qu'ils ne l'étaient précédemment. Ils l'étaient déjà énormément, ils le devinrent plus encore après le grand exploit qu'ils avaient accompli, si bien qu'aucun de leurs voisins ne pouvait leur résister. Ils conquéraient tout autour d'eux, et mettaient tous les peuples sous leur sujétion.

[Romme repuplée] En cest an meismes fisent les Romans savoir à toutes nations de l'ysle de Europ que quiconques venroit habiteir à Romme ilh seroit quitte de tous servage et de tout iniquiteit ; et chu faisoient-ilh por repupleir de gens leur citeit. Por chesty franchise y alerent demoreir mult grant peuple ; maiement de pays de Galle en allat à plus grant fuison que de nul altre pays, dont li dus en fut corochiés ; si commenchat fort à guerroier les Romans.

[Rome repeuplée] En cette même année, les Romains firent savoir à toutes les nations d'Europe que quiconque viendrait habiter à Rome serait exempté de toute servitude et injustice ; ils agissaient ainsi pour repeupler leur pays. Pour bénéficier de cette franchise, une population très nombreuse vint s'y installer. De Gaule surtout, plus que de tout autre pays, des gens arrivèrent très nombreux, ce qui irrita très fort le duc de Gaule, qui se mit activement à guerroyer contre les Romains.

Et les Romans le lassont asseis longement convenir, portant qu'ilh le dobtoient luy et ses gens por leur grant firteit, car nuls ne poioit dureir à eaux ; et d'altre costeit les Romans n'avoient mie grant cure ne grant poioir de gueroier à eaux, chu leur sembloit.

Les Romains les laissèrent longtemps faire, parce qu'ils redoutaient la férocité du duc et de ses troupes. Personne en effet ne pouvait leur résister. D'un autre côté, les Romains n'avaient ni grande envie ni grand pouvoir de leur faire la guerre.

 

Digressions diverses : Succession en Égypte (Ptolémée III) - Soumission de la Bourgogne au duc de Gaule - Jésus, fils de Syrach, auteur de l'Ecclésiaste - Successions au Danemark et en Hongrie (345-357 de la transmigration = 244-232 a.C.n.)

 

[p. 125] Item, l'an IIIc et XLV, morut Pholomes, roy d'Egypte ; si fut fais roy apres luy son frere Yrcanus, qui fut apelleis ly thirs Pholomes, liqueis regnat XXVIII ans.

[p. 125] En l'an 345 [244 a.C.n.] mourut Ptolémée, roi d'Égypte ; après lui son frère Hyrcanus, qui fut appelé Ptolémée III, fut désigné roi et régna vingt-huit ans.

Item, l'an IIIc et XLVIII, oit grant batalhe entre le duc Ebrok de Borgongne et Cambracion le duc de Galle, laqueile durat de matin enssi qu'à prime jusques à heure de vespre ; mains li dus Ebrok fut mors et ses gens desconfis, et gangnat li dus de Galle tout le pays de Burgongne, et le mist en sa subjection dedont en avant.

En l'an 348 [241 a.C.n.], une grande bataille éclata entre le duc Ébroch de Bourgogne et le duc Cambéracion de Gaule. Elle dura depuis le matin, à la première heure, jusqu'au soir. Le duc Ébroch mourut et ses troupes furent défaites. Le duc de Gaule s'empara de toute la Bourgogne qu'il mit désormais sous sa sujétion.

[Jhesus Syrac] Item, l'an IIIc LII, fut neis Jhesus, le fis Syrach, I poetes, liqueis fut li plus saige juys qui fust en monde à son temps ; et fist une libre de sapienche que ons nome Ecclesiasticus.

[Jésus Syrac] En l'an 352 [237 a.C.n.] naquit Jésus, le fils de Syrach, un poète, qui fut le Juif le plus sage de son époque. Il écrivit un livre de sagesse qu'on appelle l'Ecclésiaste.

Item, l'an IIIc LVII, morut li secon roy de Danemarche Ogen, qui avoit regneit XX ans, car son pere Gaffa, li promier roy, morut l'an IIIc XXXVII.

En l'an 357 [232 a.C.n.] mourut le second roi de Danemark, Ogens, qui avait régné vingt ans, car son père Gaffa, le premier roi, était mort en 337.

[Li promier amachour de Hongrie] Apres Ogen fut roy son anneis fis Ogen, qui regnat [p. 126] XXXV ans, et son altre fis qui fut nomeis Agrippa, chis fut amachour de Hongrie, et en fut ly promier.

[Le premier amachour de Hongrie] Le roi Ogen eut pour successeur son fils aîné, nommé également Ogens, qui régna [p. 126] trente-cinq ans ; son autre fils, dénommé Agrippa, fut le premier amachour de Hongrie.

 

Après avoir défait les Romains, les Gaulois/Sicambres de Cambéracion envahissent l'Italie mais sont vaincus par Scipion à Pavie (360-363 de la transmigration = 229-226 a.C.n.)

 

[p. 126] Item, l'an IIIc et LX, oit grant batalhe entre les Romans et les Gallyens, qui durat longement ; et par fine forche orent les Gallyens victoir, et furent les Romans desconfis, qui avoient bien IIII hommes encontre unc.

 [p. 126] En l'an 360 [229 a.C.n.], une bataille importante, de longue durée, opposa Romains et Gaulois. Les Gaulois, vu leurs forces, vainquirent les Romains, qui disposaient d'environ quatre fois plus de soldats.

[Sycambiens desconfis devant Pavie] Item, l'an IIIc LXII, entrat li dus Camberacion à LXm homme en Romenie, si conquestat pluseurs citeis, car cascons soy rendoit à luy com à leur saingnour, et destruioit le pays en teile manere par l'espasse de une an. Et adont les Romans assemblont leurs gens al somme de IIc milhe hommes, et assalhirent les Sycambiens de Galle devant Pavie, où ilh les troverent, et là furent les Sycambiens desconfis. Si en fut bien mors XLm et plus, et fut li dus pris et les plus hals barons jusques à Vlm ; et les altres s'enfuirent com gens desconfis.

[Sicambres défaits devant Pavie] En l'an 362 [227 a.C.n.], le duc Cambéracion entra avec soixante mille hommes dans le territoire des Romains ; il conquit de nombreuses cités, qui toutes se rendaient à lui comme à leur seigneur. Il dévasta ainsi le pays durant un an. Alors les Romains rassemblèrent leurs troupes, au nombre de deux cent mille hommes, et attaquèrent les Sicambres de Gaule où ils les trouvèrent, devant Pavie ; les Sicambres, défaits, perdirent au moins quarante mille hommes. Le duc et quelque six mille de ses plus nobles barons furent capturés ; les autres, vaincus, s'enfuirent.

Et deveis savoir que Scypion guyoit les Romans en chesti batalhe enssi com prinche et consule. En teile manere furent desconfis les Sycambiens de Galle qui longement avoient esteis si fiers et si orgulheux que nuls ne poioit dureir por eaux ; et fut cel batalhe en novembre l'an IIlc et LXIII.

Vous devez savoir que Scipion, en tant que prince et consul, commandait les Romains lors de cette bataille. Ainsi furent défaits les Sicambres de Gaule, qui avaient été longtemps fiers et orgueilleux au point que personne ne pouvait leur résister ; cette bataille eut lieu en novembre de l'an 363 [226 a.C.n.].

 

La Gaule, comme le reste de l'Europe, devient tributaire des Romains (365 de la transmigration = 224 a.C.n.)

 

[p. 126] [Accord des Romans à dus Camberacion] Quant les Romans orent desconfit la batalhe, enssi com dit est, ilhs en ralont à Romme, et misent le duc et ses gens en prisons; et furent enssi en prisons par l'espasse de II ans ; et apres les Il ans, les Romans fisent I acorde en teile manere que dedont en avant li duc de Galle et ses heures apres luy tenroient le pays de Galle des Romans en tregut, et qu'ilh renderoient cascon an por casconne personne de pays I denier d'argent. Enssi fut fermeis ly acors, et li dus fours de prison et ses gens ; et en ralat en son pays.

[p. 126] [Accord des Romains avec le duc Cambéracion] Quand les Romains eurent remporté la bataille, comme cela a été dit, ils rentrèrent à Rome et gardèrent le duc et ses gens en prison durant deux ans. Après ces deux années, les Romains conclurent un accord, stipulant que dorénavant le duc de Gaule et ses héritiers après lui tiendraient leur pays des Romains à qui ils devraient le tribut : chaque année ils leur paieraient un denier d'argent par habitant. Tel fut l'accord conclu. Le duc, avec ses hommes, sortit alors de prison et rentra en son pays.

A cel temps furent les Romans saingnours et soverains maistres de tout Europ, car ilh n'y avoit nul nation que ilh ne rendist tregut à eaux.

À ce moment-là, les Romains devinrent les seigneurs et les souverains maîtres de toute l'Europe, car toutes les nations leur payaient un tribut.

 

Divers : successions en Syrie (Antiochus) et en en Égypte (Ptolémée IV) - Fondation de la future Cologne par le Hongrois Agrippa (368-375 de la transmigration = 221-214 a.C.n.)

 

[p. 126] Item, l'an IIIc LXVIII, morut Sileucius li roy de Surie ; si fut roy apres luy son fis Anthiocus.

[p. 126] En l'an 368 [221 a.C.n.] mourut Séleucus, le roi de Syrie ; son fils Antiochus lui succéda comme roi.

Item, l'an IIIc LXXII, morut le IIIe roy Pholomes d'Egypte ; si regnat apres luy son fis Jason XXI an, et fut nomeis Pholomes li quars.

En l'an 372 [217 a.C.n.] mourut Ptolémée, le troisième roi d'Égypte ; son fils Jason lui succéda et régna pendant vingt et un ans. Il fut appelé Ptolémée IV.

[Agrippa c’est Colongne] Sor l'an IIIc et LXXV, fondat li promirs amachours de Hongrie une citeit en Allemangne qu'ilh nommat Agrippa solonc son nom, qui fuit puis apellée Colongne, enssi com vos oreis.

[Agrippa, c’est Cologne] En l'an 375 [214 a.C.n.], le premier amachour de Hongrie fonda une cité en Allemagne, qu'il nomma Agrippa, d'après son nom ; elle fut ensuite appelée Cologne, comme vous l'apprendrez (p. 450, avec Agrippine comme nom).

 

Conquêtes romaines en Afrique (Carthage) et en Sicile (Syracuse et Zancle) - Antiochus de Syrie conquiert la Judée et bat Ptolémée d'Égypte - Bretanges, duc de Gaule, fonde la Petite Bretagne (378-388 de la transmigration = 211-201 a.C.n.)

 

A cel temps, s'avisarent les Romans qui avoient asseis de gens en leur empire, pour vengier le honte que cheaux [p. 127] de Cartage les avoient faite ; si assemblarent grant gens ; si entrarent en la royalme de Cartage à IIc milhe hommes, et conquisent pluseurs grans pays.

À cette époque, les Romains, dont l'empire était très peuplé, décidèrent de se venger du déshonneur que leur avaient infligé les Carthaginois [p. 127]. Après avoir rassemblé de nombreuses troupes, ils pénétrèrent dans le royaume de Carthage avec deux cent mille hommes et conquirent de nombreux et vastes territoires.

Item, l'an IIIc et LXXVIII, conquisent les Romans la citeit de Seracuse et la citeit de Caple, et tout la terre de Zesile, et les misent en leur subjection.

En l'an 378 [211 a.C.n.], les Romains conquirent la cité de Syracuse, celle de Zancle, et tout le territoire de la Sicile, et les mirent sous leur sujétion.

En cel an conquist ly roy Anthiocus de Surie tout la terre de Judée, et si oit grant batalhe contre Pholomes, le roy d'Egypte, en laqueile Anthiocus oit victoir.

Cette même année, le roi Antiochus de Syrie conquit toute la Judée ; il mena une grande bataille contre Ptolémée, le roi d'Égypte, et remporta la victoire.

Item, l'an IIIc IIIIxx et VI, morut li dus de Galle Camberacion ; si regnat apres luy son fis Bretanges X ans.

En l'an 386 [203 a.C.n.] mourut le duc de Gaule Cambéracion ; son fils Bretanges régna après lui, durant dix ans.

[Bretangne] Item, l'an IIIc IIIIxx et VIII, fondat li dus de Galle pluseurs citeis sor unc brach de mere, et y mist gens habiteir, et le nomat solonc son nom le pays de Bretangne, et les gens Brutons. Cest Brutangne est la petit Brutangne, car la grant Brutangue que Broncus fondat, dont Artus fuit puis roy, qui maintenant est nomée Engleterre ; mains li altre Brutangne que li dus de Galle fondat, enssi que dit est, siet sour mere en parties de Galle en Europ.

[Bretagne] En l'an 388 [201 a.C.n.], le duc de Gaule fonda plusieurs cités sur un bras de mer, et y envoya des gens pour les peupler. Il nomma le pays 'Bretagne', et les habitants 'Bretons', d'après son nom. C'est la Petite Bretagne, car la Grande Bretagne, fondée par Broncus, et dont Arthur fut roi par la suite, est appelée maintenant Angleterre ; mais l'autre Bretagne, fondée par le duc de Gaule comme on l'a dit, est située en Europe, sur la mer, dans une partie de la Gaule.

 

Les Romains, alliés à Attale et à Ptolémée, remportent une bataille contre les Africains, assiègent et détruisent à nouveau Carthage, puis soumettent l'Afrique au tribut des Romains - Successions au Danemark et en Égypte (389-393 de la transmigration = 200-196 a.C.n.)

 

[p. 127] [Les Romans en Egypte et en Asie] Item, l'an IIIc IIIIxx et IX, passarent mere les Romans et commencharent à conquerre en Egypte et en Asie ; mains quant ly roy d'Asie le soit, qui astoit nomeis Attalus, si mandat des triwes aux Romans, et dedens les triwes ilh s'acordat et fist alianche à eaux, et Pholomes s'acordat à eaux, et en allont essemble en Affrique ; si commencharent tout à destruire et à ardre.

[p. 127] [Les Romains en Égypte et en Asie] En l'an 389 [200 a.C.n.], les Romains traversèrent la mer et commencèrent à faire des conquêtes en Égypte et en Asie. Mais quand le roi d'Asie, dénommé Attale, l'apprit, il demanda des trêves aux Romains, et durant ces trêves, s'accorda avec eux et conclut des alliances. Ptolémée aussi s'allia à eux. Ils se rendirent ensemble en Afrique, où ils commencèrent à tout détruire et tout incendier.

Mains quant les Affricans le seurent, si assemblarent les gens et soy combatirent aux Romans ; mains les Romans orent victoir ; si furent les Affricans desconfis et s'enfuirent cheaux qui porent escappeir. Et là fut bien ochis IIm chevaliers et des altres à cheval XXm et des pitons Cm. Adont fut vengiet li grant outraige que li roy Hanibal avoit fait aux Romans, enssi que dit est, jasoiche que ly consule Scipion l'ewist asseis et mies vengeit par-devant.

Quand les Africains apprirent cela, ils rassemblèrent des troupes et combattirent les Romains ; mais ces derniers remportèrent la victoire : les Africains furent défaits et ceux qui purent s'échapper prirent la fuite. Dans ce combat périrent au moins deux mille chevaliers, vingt mille autres cavaliers et cent mille fantassins. Ainsi fut vengé le grand outrage infligé aux Romains par le roi Hannibal, comme cela a été dit, même si le consul Scipion l'avait précédemment très bien vengé.

[Cartage destruite] Apres cest batalhe et cest desconfiture, chevalcharent les Romans avant, et assegarent la citeit de Cartage qui est la principal citeit d'Affrique, et le prisent, puis le destruirent toute, et si astoit novellement refaite ; et al derain cheaux de Cartage awec tous cheaux d'Affrique fisent pais aux Romans, et paiarent tregut à eaux dedont en avant, et tinrent leur pays des Romans par grant long temps.

[Destruction de Carthage] Après cette bataille et cette défaite, les Romains continuèrent à s'avancer en chevauchant et assiégèrent la cité de Carthage, la principale ville d'Afrique. Ils s'en emparèrent, puis la détruisirent entièrement, car elle avait été reconstruite. Finalement les habitants de Carthage et tous les Africains firent la paix avec les Romains, leur payant dorénavant un tribut ; le pays resta longtemps soumis aux Romains.

Apres toutes ches choises, les Romans soy [p. 128] partirent, et donarent congiet lez rois d’Asie et d'Egypte, et revinrent à Romme.

Après tous ces événements, les Romains s'en allèrent, [p. 128] donnèrent congé aux rois d'Asie et d'Égypte, et revinrent à Rome.

Item, l'an IIIc XCII, morut Ogens, le thier roy de Danemarche ; si fut roy apres luy son fis Negel, lyqueis regnat XVI ans.

En l'an 392 [197 a.C.n.] mourut Ogens, le troisième roi de Danemark ; son fils Négel lui succéda sur le trône et régna seize ans.

Item, l'an IIIc XCIII, morut li quars Pholomes ; si fut apres roy son fis Accopa, qui regnat XVIII ans. Chis fut li Ve Pholomes : chis roy Pholomes reconquist la terre de Judée alencontre Anthiocus ; mains li roy Anthiocus le reconquist en I brief temps encontre Pholomes.

En l'an 393 [196 a.C.n.] mourut Ptolémée IV [Philopator]. Son fils Accopa lui succéda et régna dix-huit ans, sous le nom de Ptolémée V [Épiphane]. Il reconquit la terre de Judée sur le roi Antiochus ; mais très peu de temps après, Antiochus la reprit à Ptolémée.

 

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