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Suétone (généralités)

Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)


  Suétone, Jules César, 76

 LXXVI. Son orgueil. Son despotisme

(1) L'emportent néanmoins dans la balance des actions et des paroles qui prouvent chez lui l'abus de la toute-puissance et qui semblent justifier sa mort.

(2) Non content d'accepter des honneurs excessifs, comme le consulat répété, la dictature et la censure des moeurs à perpétuité, sans compter le prénom d'imperator, le surnom de Père de la patrie, une statue parmi celles des rois, une estrade dans l'orchestre, il souffrit encore qu'on lui en décernât qui dépassent la mesure des grandeurs humaines. Il eut un siège d'or au sénat et dans son tribunal; il eut, dans la procession du cirque, un char et un brancard sacré; il eut des temples et des autels, et des statues auprès de celles des dieux; comme eux il eut un lit de parade; il eut un flamine; il eut des luperques, et enfin le privilège de donner son nom à un mois de l'année. Il n'est pas de magistrature qu'il ne reçût selon son caprice, et qu'il ne donnât de même.

(3) Consul pour la troisième fois et pour la quatrième, il n'en prit que le titre, se contenta d'exercer la dictature qu'on lui avait décernée avec ses consulats, et ces deux années-là, il désigna deux consuls suppléants pour les trois derniers mois. Dans l'intervalle il n'assembla les comices que pour l'élection des tribuns et des édiles du peuple; il établit des préfets propréteurs, pour administrer, en son absence, les affaires de la ville.

(4) Un des consuls étant mort subitement la veille des calendes de janvier, il revêtit de cette magistrature vacante, pour le peu d'heures qui restaient, le premier qui la demanda.

(5) C'est avec le même mépris des usages consacrés qu'il attribua des magistratures pour plusieurs années, qu'il accorda les insignes consulaires à dix anciens préteurs, qu'il fit entrer au sénat des gens qu'il avait gratifiés du droit de cité et même quelques Gaulois à demi barbares;

(6) qu'il donna l'intendance de la monnaie et des revenus publics à des esclaves de sa maison;

(7) qu'il abandonna le soin et le commandement des trois légions laissées par lui dans Alexandrie, à Rufion, fils d'un de ses affranchis, et l'un de ses mignons.

(1) Praegrauant tamen cetera facta dictaque eius, ut et abusus dominatione et iure caesus existimetur.

(2) Non enim honores modo nimios recepit: continuum consulatum, perpetuam dictaturam praefecturamque morum, insuper praenomen Imperatoris, cognomen Patris patriae, statuam inter reges, suggestum in orchestra; sed et ampliora etiam humano fastigio decerni sibi passus est: sedem auream in curia et pro tribunali, tensam et ferculum circensi pompa, templa, aras, simulacra iuxta deos, puluinar, flaminem, lupercos, appellationem mensis e suo nomine; ac nullos non honores ad libidinem cepit et dedit.

(3) Tertium et quartum consulatum titulo tenus gessit contentus dictaturae potestate decretae cum consulatibus simul atque utroque anno binos consules substituit sibi in ternos nouissimos menses, ita ut medio tempore comitia nulla habuerit praeter tribunorum et aedilium plebis praefectosque pro praetoribus constituerit, qui apsente se res urbanas administrarent.

(4) Pridie autem Kalendas Ianuarias repentina consulis morte cessantem honorem in paucas horas petenti dedit.

(5) Eadem licentia spreto patrio more magistratus in pluris annos ordinauit, decem praetoriis uiris consularia ornamenta tribuit, ciuitate donatos et quosdam e semibarbaris Gallorum recepit in curiam.

(6) Praeterea monetae publicisque uectigalibus peculiares seruos praeposuit.

(7) Trium legionum, quas Alexandreae relinquebat, curam et imperium Rufioni liberti sui filio exoleto suo demandauit.


Commentaire

Consulat : César a exercé un premier consulat en 59 (cf. ci-dessus, ch. 19-20), un deuxième en 48 ; il est de nouveau consul en 46, 45 et 44. On se souvient qu'une ancienne loi, remise en honneur par Sylla (cf. ci-dessus, ch. 24), exigeait un intervalle de 10 ans entre l'exercice de deux consulats ; à la fin de la République, ces règles, auxquelles les Romains n'ont jamais été très fidèles, ne sont plus du tout respectées : César, non content d'exercer le consulat trois années de suite, est parfois consul en même temps que dictateur.

Dictature : le nombre et la durée des dictatures de César sont l'objet de controverses. Il a été nommé dictateur pour la première fois à la fin de l'année 49, pendant le siège de Marseille (Guerre civile, II, 21, 5). De retour à Rome, il tient des comices et prend une série de mesures résumées dans Guerre civile, III, 1, puis abdique après onze jours et part pour Brindes, à la poursuite de Pompée. Après sa victoire de Pharsale, il est nommé une nouvelle fois dictateur (octobre 48), pour un an selon Plutarque (César, 51, 1) et Dion Cassius (42, 20, 3), pour une durée indéterminée, selon certains auteurs modernes. Au printemps 46, après sa victoire de Thapsus, il est nommé dictateur pour dix ans ; au début de l'année 44, il devient dictator perpetuus (pour la date précise, voir M. Pucci Ben Zeev, When was the title « Distator perpetuus » given to Caesar ? dans L'antiquité classique, 65, 1996, p.251-253).

Censure des mœurs : en latin, praefectura morum. Dion Cassius (43, 14, 4) précise qu'en 46, César a reçu pour trois ans le titre d' « épistate (préfet) des mœurs de chacun, parce que le titre de 'censeur' ne paraissait pas digne de lui »; le même Dion (44, 5, 3) note qu'en 45, César est devenu « censeur unique (ils étaient normalement deux) et à vie ». Sur cette curieuse « magistrature », cf. F. De Martino, Storia della costituzione romana, t.3, 2e éd., Naples, 1973, p.243.

Imperator : titre honorifique conféré au général vainqueur et qui peut donc lui être attribué plusieurs fois ; voir, par exemple, l'inscription en l'honneur de Pompée: Cn.Pompeio Cn.f. / Magno / imper.iter (H. Dessau, Inscriptiones latinae selectae, Berlin, 1892, n°876). César, comme l'explique Dion Cassius (43, 44, 2-5), reçoit cette dignité à vie et même à titre héréditaire. En fait les inscriptions et les monnaies semblent indiquer que César n'a guère fait usage de ce privilège dans sa titulature. Mais, sous l'empire, le titre d'« imperator » apparaît normalement en tête de la désignation officielle du princeps ; voir, par exemple, Dessau, Inscriptiones latinae selectae, n°98 : Imp.Caesar divi Iuli f.Augustus / pontifex maximus cos XII / tribunic.potest. XIX imp.XIIII… (la seconde apparition du titre imp. indique qu'Auguste a été proclamé imperator, c.à.d. général vainqueur, quatorze fois).

Père (pater) de la patrie : César semble plutôt avoir reçu le titre - équivalent - de parens patriae (cf. ci-dessous, ch.85, 2 et Dessau, Inscriptiones latinae selectae, n°72). Auguste reçoit le titre de pater patriae en 2 p.C. (Res gestae divi Augusti, § 35) et presque tous ses successeurs le porteront (une exception notable : Tibère). Sur le sens de ce titre, voir M. Meslin, L'homme romain. Des origines au Ier siècle de notre ère, Bruxelles, 1985, p.118-122.

Statue : les statues des rois se trouvaient au Capitole.

Estrade dans l'orchestre : cf. ch. 39.

Procession : qui précède les jeux du cirque, où figurent les images des dieux traînées sur un char (tensa) ou portées sur un brancard (ferculum).

Temples : Plutarque (César, 57, 4) note qu'une fois les guerres civiles terminées, on éleva un temple à la Clémence de César ; Dion Cassius (44, 6, 4) parle d'un temple élevé la Clémence de Jupiter Iulius.

Statues auprès des dieux : Dion Cassius (44, 4, 4) relève, parmi les honneurs excessifs accordés à César, l'érection de statues dans tous les temples de Rome et des cités de l'Empire.

Lit de parade : pulvinar. Lit sur lequel on couchait les dieux pour les faire figurer à un festin (lectisterne) ou dans une procession.

Flamine : cf. ch.1. C'est Marc Antoine qui, à Rome, joue le rôle de flamine de César (cf. Cicéron, Phil., II, 110) ; d'autres flamines du dictateur sont attestés en Italie.

Luperques : il existait à Rome deux confréries - de 12 membres chacune ? - chargées de célébrer les Lupercalia, fête en l'honneur de Faunus (sur cette fête du monde sauvage, cf. G. Dumézil, La religion romaine archaïque, Paris, 1966, p. 340-344) ; sous le règne de César, on crée une troisième confrérie, les Luperci Iuliani.

Mois de l'année : le cinquième mois de l'année (qui, à l'origine, commençait en mars), Quintilis, est rebaptisé Julius (d'où, Juillet).

Consul pour la 3e/4e fois : en 46 et 45.

Consuls suppléants : en 46, César quitte Rome à l'automne pour la seconde campagne d'Espagne mais il ne désigne pas de consuls suppléants ; Suétone confond sans doute avec ce qui s'est passé à la fin de l'année 47 où deux consuls sont nommés quand César part pour l'Afrique (cf. Dion Cassius, 42, 55, 4). En 45, César est consul unique jusqu'au 1er octobre : à cette date, il abdique et est remplacé par Q. Fabius Maximus et C. Trebonius (Dion Cassius, 43, 46, 2).

Préfets propréteurs : en 46, César n'a pas organisé d'élections pour 45, sauf pour les tribuns et les édiles de la plèbe ; mais avant son départ pour l'Espagne, il a nommé un collège de dix « représentants », avec le titre de « préfets propréteurs », qui gouverneront Rome avec le magister equitum (le maître de cavalerie, adjoint du dictateur), Lépide.

Un des consuls : il s'agit de Q . Fabius Maximus, nommé consul le 1er octobre 45, mort le 31 décembre, et remplacé pour une demi-journée par C. Caninius Rebilus. Les plaisanteries à ce propos n'ont pas manqué : « Nous avons un consul si vigilant qu'il n'a pas fermé l'œil de tout son consulat », écrit Cicéron (ad Fam., 7, 30, 1). Voir une autre de ses plaisanteries rapportée par Plutarque, César, 58, 2-3.

Pour plusieurs années : à la fin de l'année 45, César avait programmé une vaste offensive contre les Daces et les Parthes, qui aurait dû débuter l'année suivante (cf. ci-dessus, ch.44). Au début de 44, prévoyant que la guerre allait durer longtemps, il fait désigner les magistrats pour les trois années à venir (Dion Cassius, 43, 51, 2-3).

Insignes consulaires : privilèges liés à la qualité d'ancien consul (dans la titulature, les préséances…).

Gratifiés de droit de cité… : Dion Cassius (43, 47, 3) dit la même chose, que César a grossi le Sénat jusqu'à y admettre 900 membres, sans trop se soucier de la qualité de ceux qu'il faisait entrer à la Curie.

Intendance de la monnaie : sur les questions délicates que soulève l'organisation des frappes monétaires à Rome, cf. H. Zehnacker, Moneta. Recherches sur l'organisation et l'art des émissions monétaires de la République romaine (289-31 av. J.-C.), t. I, Rome, 1973, p.59-89 (en particulier, p.87-88).

Revenus publics : provenant des propriétés de l'État (terres publiques, mines, salines, ports…) La perception de ces recettes était généralement affermée aux publicains et César aurait introduit ses propres esclaves dans cette administration.

Trois légions : à l'été 47, ayant réglé les affaires d'Égypte, César quitte le pays pour l'Asie où Pharnace est entré en guerre contre ses voisins (cf. ci-dessus, ch.35). Il emmène avec lui la sixième légion et en laisse trois sur place.

Rufion : personnage peu connu, qui était sans doute autre chose qu'un « mignon » de César ; cf. M. Gelzer, Caesar. Der Politiker und Staatsmann, Munich, 1943, p.274 : « Zum Schutze der neuen Ordnung liess er drei Legionen im Lande, und zwar unter dem Befehl eines gewiss zuverlässigen Offiziers, Rufio, der aber der Sohn eines Freigelassenen war ».


[18 avril 2006]