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Suétone (généralités)
Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)
XXIV. Il oblige Crassus et Pompée à demander le consulat dans son intérêt. Sa conduite coupable en Gaule.
(1)
Mais
Lucius
Domitius, qui
aspirait
au consulat,
s'étant vanté publiquement
d'accomplir comme consul ce qu'il n'avait pu faire
comme préteur, et de priver
César de son
commandement,
celui-ci fit venir Crassus et Pompée
à Lucques,
ville de sa province, et les décida à
briguer un second
consulat,
pour en écarter Domitius, et il obtint
grâce à leur double intervention que
son commandement soit
prorogé pour cinq ans. (2) Rassuré de
ce côté, il ajouta d'autres
légions à celles qu'il avait
reçues
de la république,
et il les entretint à
ses frais. Il
en forma même,
dans la Gaule Transalpine, une dernière,
à laquelle il fit prendre le nom gaulois
d'Alauda,
qu'il sut former à la discipline des
Romains, qu'il arma et habilla comme eux, et que,
dans la suite, il gratifia tout entière du
droit
de cité. (3) Il ne laissa
désormais aucune occasion de faire la
guerre, fût-ce une guerre injuste et
périlleuse: il attaqua indistinctement et
les peuples alliés et les nations ennemies
ou sauvages.
À tel point que
sa conduite fit prendre, un jour, au sénat
la résolution d'envoyer des commissaires
dans les Gaules, pour informer sur l'état de
cette province; quelques
sénateurs
proposèrent même de le livrer aux
ennemis. Mais le succès de ses entreprises
lui fit, au contraire, décerner de
solennelles actions
de grâces,
plus longues et plus fréquentes qu'à
aucun autre avant lui. (1)
Sed cum Lucius Domitius consulatus candidatus palam
minaretur consulem se effecturum quod praetor
nequisset adempturumque ei exercitus, Crassum
Pompeiumque in urbem prouinciae suae Lucam
extractos conpulit, ut detrudendi Domitii causa
consulatum alterum peterent, perfecitque per
utrumque, ut in quinquennium sibi imperium
prorogaretur. (2)
Qua fiducia ad legiones, quas a re publica
acceperat, alias priuato sumptu addidit, unam etiam
ex Transalpinis conscriptam, uocabulo quoque
Gallico (Alauda enim appellabatur), quam disciplina
cultuque Romano institutam et ornatam postea
uniuersam ciuitate donauit. (3)
Nec deinde ulla belli occasione, ne iniusti quidem
ac periculosi abstinuit, tam foederatis quam
infestis ac feris gentibus ultro lacessitis, adeo
ut senatus quondam legatos ad explorandum statum
Galliarum mittendos decreuerit ac nonnulli dedendum
eum hostibus censuerint. Sed prospere decedentibus
rebus et saepius et plurium quam quisquam umquam
dierum supplicationes impetrauit.
CommentaireQui aspirait au consulat : nous sommes en l'an 56 ; préteur en 58, Domitius pouvait prétendre au consulat pour l'année 55, respectant la règle du biennium (intervalle de deux ans) exigé entre l'édilité, la préture et le consulat par la lex Villia annalis de 180.
Priver César de son commandement : il fallait donc que l'imperium de cinq ans conféré à César par la lex Vatinia (cf. ch.22, 2) soit arrivé à son terme, mais cet imperium finissait-il en 55 ou en 54? La question a suscité d'interminables discussions : essai de solution (le quinquennium aurait en réalité une durée de quatre ans) et résumé commode des principales thèses défendues sur ce sujet dans H. Gesche, Die quinquennale Dauer und der Endtermin der gallischen Imperien Caesars, dans Chiron, 3, 1973, p.179-220.
Lucques : en Gaule cisalpine. Les accords de Lucques datent du printemps 56. César, qui se sent menacé par les projets de Domitius et par l'opposition qui se manifeste à Rome à son égard, convainc ses deux comparses de briguer le consulat pour l'an 55. Il est convenu qu'après leur consulat, Crassus et Pompée recevront un commandement en province pour cinq ans - ce que ne dit pas Suétone -, et que l'imperium de César en Gaule sera prolongé d'autant.
Un second consulat : Pompée et Crassus avaient déjà accédé à cette magistrature en 70 ; ils pouvaient donc être réélus sans difficulté pour 55, une ancienne loi, remise en vigueur par Sylla, exigeant un délai de dix ans entre deux consulats.
Prorogé pour cinq ans : prorogation accordée par une loi Licinia Pompeia, du nom des deux consuls, Crassus et Pompée, votée au printemps 55. Cf. G. Rotondi, Leges publicae populi romani, p.404-405.
Reçues de la République : cf. ch.22. César avait reçu trois légions en vertu de la lex Vatinia, auxquelles on en avait ajouté une quatrième, justifiée par l'extension de son imperium à la Gaule transalpine. Ces VIIe, VIIIe, IXe et Xe légions sont les unités de vétérans dont parle César au début de la Guerre des Gaules (I, 24). Mais, très rapidement, César a renforcé ses effectifs. Il enrôle deux ou trois légions dès 58, puis deux autres encore en 57. On est donc passé de quatre à huit, ou neuf légions dès le début de la guerre. Cf. M. Rambaud, L'ordre de bataille de l'armée des Gaules d'après les « Commentaires » de César, dans Autour de César, Lyon, 1987, p.189-221 (tableau récapitulatif p.199).
À ses frais : jusqu'en 56. Après les accords de Lucques, César demande et obtient du Sénat que celui-ci paie la solde des nouvelles troupes qu'il a engagées. Cf. J. Carcopino, Histoire romaine, II. La république romaine de 133 à 44 avant J.-C., II, César, 4e éd., Paris, 1950, p.780-781.
Alauda : alouette. Ce terme n'apparaît pas sous la plume de César. Il s'agirait d'un surnom donné plus tard à des cohortes d'auxiliaires gaulois enrôlées à la fin de la guerre des Gaules et qui formeront, au début de la guerre civile, la cinquième légion Gallica (cf. M. Rambaud, op.cit., p.190-191).
Droit de cité : en principe, les légions n'étaient accessibles qu'aux citoyens romains, les étrangers formant des troupes auxiliaires. César a donc dû accorder la civitas à ses « alouettes » pour en faire la Ve legio Gallica. Cf. H.M.D. Parker, The Roman Legions, Oxford, 1928, p.57.
Commissaires : Suétone est le seul à parler de ce projet du Sénat d'envoyer des inspecteurs en Gaule.
Quelques sénateurs : il s'agit en fait de Caton. En 55, César avait attaqué et vaincu des Germains (Usipètes et Tenctères) alors qu'il avait convenu d'une trêve avec eux ; César prétendait que les barbares avaient eux-mêmes profité de la suspension des combats pour attaquer son avant-garde de cavaliers (Guerre des Gaules, IV, 4-15). Plutarque (César, 22, 1-4) raconte que, lorsque la victoire du proconsul fut annoncée à Rome, le Sénat décréta des fêtes et des sacrifices pour célébrer l'événement, tandis que Caton demandait qu'on livre César aux ennemis pour avoir violé la convention qui le liait à ceux-ci.
Actions de grâces : en latin, supplicationes. Il s'agit de prières publiques, de processions et de sacrifices adressés aux dieux pour les remercier. En 57, le Sénat décrète quinze jours de « supplications » (Guerre des Gaules, II, 35, 4) ; en 52, vingt jours (Guerre des Gaules, VII, 90, 8).