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Suétone (généralités)

Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)


  Suétone, Jules César, 75

 LXXV. Sa clémence et sa modération

(1) Mais c'est surtout pendant la guerre civile et après ses victoires qu'il fit admirer sa modération et sa clémence.

(2) Pompée avait dit qu'il tiendrait pour ennemis ceux qui ne défendraient pas la république; César répliqua qu'il regarderait comme amis les indifférents et les neutres.

(3) D'autre part il autorisa tous ceux à qui il avait donné des grades sur recommandation de Pompée, à passer dans l'armée de son rival.

(4) Au siège d'Ilerda, il s'était établi entre les deux armées des relations amicales, à la faveur des négociations entamées par les chefs pour la reddition de cette place. Afranius et Petreius, abandonnant tout à coup ce projet, firent massacrer ceux des soldats de César qui se trouvèrent dans leur camp; mais cet acte de perfidie envers lui ne put le déterminer à user de représailles.

(5) À la bataille de Pharsale, il cria "qu'on épargnât les citoyens," et il n'y eut pas un soldat à qui il ne permît de sauver, dans le parti contraire, celui qu'il voudrait.

(6) On ne voit pas non plus qu'aucun de ses ennemis ait péri autrement que sur le champ de bataille, excepté Afranius, Faustus et le jeune Lucius César; encore ne croit-on pas qu'ils aient été tués par ses ordres. Et cependant les deux premiers s'étaient armés contre lui, après en avoir obtenu leur pardon; et le troisième avait fait cruellement périr, par le fer et par le feu, les esclaves et les affranchis de son bienfaiteur, et avait égorgé jusqu'aux bêtes achetées par César pour les spectacles de Rome.

(7) Enfin, dans les derniers temps, César permit à tous ceux à qui il n'avait pas encore pardonné, de revenir en Italie, et d'y exercer des magistratures et des commandements. Il releva même les statues de Lucius Sylla et de Pompée, que le peuple avait abattues. Apprenait-il qu'on méditait contre lui quelque projet sinistre ou qu'on le critiquait, il aimait mieux contenir les coupables que de les punir.

(8) Ainsi, ayant découvert des conspirations et des assemblées nocturnes, il se borna, pour toute vengeance, à déclarer, par un édit, qu'il était au courant. À ceux qui le critiquaient avec aigreur, il se contentait de donner en pleine assemblée le conseil de ne pas continuer. Il souffrit même, sans se plaindre, qu'Aulus Caecina déchirât sa réputation dans un libelle des plus injurieux, et Pitholaüs dans un poème des plus diffamatoires.

(1) Moderationem uero clementiamque cum in administratione tum in uictoria belli ciuilis admirabilem exhibuit.

(2) Denuntiante Pompeio pro hostibus se habiturum qui rei publicae defuissent, ipse medios et neutrius partis suorum sibi numero futuros pronuntiauit.

(3) Quibus autem ex commendatione Pompei ordines dederat, potestatem transeundi ad eum omnibus fecit.

(4) Motis apud Ilerdam deditionis condicionibus, cum, assiduo inter utrasque partes usu atque commercio, Afranius et Petreius deprehensos intra castra Iulianos subita paenitentia interfecissent, admissam in se perfidiam non sustinuit imitari.

(5) Acie Pharsalica proclamauit, ut ciuibus parceretur, deincepsque nemini non suorum quem uellet unum partis aduersae seruare concessit.

(6) Nec ulli perisse nisi in proelio reperientur, exceptis dum taxat Afranio et Fausto et Lucio Caesare iuuene; ac ne hos quidem uoluntate ipsius interemptos putant, quorum tamen et priores post impetratam ueniam rebellauerant et Caesar libertis seruisque eius ferro et igni crudelem in modum enectis bestias quoque ad munus populi comparatas contrucidauerat.

(7) Denique tempore extremo etiam quibus nondum ignouerat, cunctis in Italiam redire permisit magistratusque et imperia capere; sed et statuas Luci Sullae atque Pompei a plebe disiectas reposuit; ac si qua posthac aut cogitarentur grauius aduersus se aut dicerentur, inhibere maluit quam uindicare.

(8) Itaque et detectas coniurationes conuentusque nocturnos non ultra arguit, quam ut edicto ostenderet esse sibi notas, et acerbe loquentibus satis habuit pro contione denuntiare ne perseuerarent, Aulique Caecinae criminosissimo libro et Pitholai carminibus maledicentissimis laceratam existimationem suam ciuili animo tulit.


Commentaire

Clémence : César aime à souligner la bonté dont il a fait preuve envers les vaincus. Voir, par exemple, une lettre de mars 49 à Oppius et Cornelius Balbus, après la prise de Corfinium : « Je suivrai vos conseils volontiers, et d'autant plus volontiers que spontanément j'avais décidé de montrer la plus grande douceur possible et de m'appliquer à remettre Pompée bien avec moi. Essayons, si par ce moyen nous pouvons rallier tous les cœurs et assurer la durée à notre victoire… Suivons donc cette nouvelle méthode, d'affermir notre victoire par l'humanité et la générosité. » Cicéron, ad Att., IX, 7c (trad. J. Bayet). Voir M.B. Dowling, Clemency & Cruelty in the Roman World, Ann Arbor, 2006.

Pompée avait dit: cf. Guerre civile, I, 33, 2.

Ilerda : l'actuelle Lerida, en Catalogne. Le siège de cette ville se situe pendant la première campagne d'Espagne (49) ; cf. ci-dessus, ch.34.

Massacrer : César lui-même (Guerre civile, I, 76, 4) donne de cette affaire une version plus nuancée.

Épargner les citoyens : il eût été difficile pour les troupes de César, à Pharsale, de respecter cette consigne, les légions de Pompée étant évidemment composées de citoyens. Dans sa harangue précédant la bataille, César dit que, jusque là, il s'est toujours efforcé d'épargner ses soldats et ceux de la République (Guerre civile, III, 90, 2).

Afranius : fait prisonnier après la bataille de Thapsus, de même que Faustus Sylla. L'un et l'autre ont été exécutés, sur ordre de César selon Dion Cassius (43, 12, 2), par des soldats excités selon l'auteur du Bellum Africanum (95, 1, 3).

Lucius César : cousin éloigné du dictateur qui, contrairement à son père, s'est rallié à Pompée (Guerre civile, I, 8, 2). Capturé après la bataille de Thapsus, il aurait reçu le pardon de son vainqueur (Bellum Africanum, 89,4), mais Dion Cassius (43, 12, 3) affirme le contraire.

Exercer des magistratures : Brutus et Cassius, par exemple, sont nommé préteurs pour l'année 44 (Plutarque, César, 57, 5).

Statues de Sylla et de Pompée : renversées à l'annonce de la victoire de César à Pharsale selon Dion Cassius (42, 18, 2).

Aulus Caecina : fils du Caecina que Cicéron avait défendu en 69 dans un discours qui nous est parvenu. Le Caecina dont il est question ici intervient à plusieurs reprises dans la correspondance de Cicéron (voir, en particulier, les lettres ad Familiares, VI, 5-7). Caecina appartenait à une famille d'origine étrusque. Orateur réputé, auteur d'un ouvrage sur la divination, c'est un partisan de Pompée, qui s'est battu contre César mais qui, au témoignage de Cicéron, essaie maintenant de rentrer dans les bonnes grâces du dictateur.

Pitholaus : personnage difficile à identifier. Pourrait être l'esclave affranchi dont parle Suétone (De grammaticis et rhetoribus, § 27) mais qu'il appelle L.Voltacilius Plutus : cf R.A. Kaster, Studies on the Text of Suetonius De Grammaticis et Rhetoribus, Atlanta, 1992, p. 120-124.


[5 avril 2006]