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Suétone (généralités)

Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)


  Suétone, Jules César, 19

 XIX. Il est nommé consul. Premier triumvirat

(1) De ses deux compétiteurs au consulat, Lucius Lucceius et Marcus Bibulus, il s'attacha le premier, qui avait moins de crédit mais une grande fortune, à condition que celui-ci associerait le nom de César au sien dans ses largesses aux centuries.

(2) Les optimates, instruits de ce marché, dont ils craignaient les suites, et persuadés que César, avec la plus haute magistrature de l'État et un collègue tout à lui, ne mettrait pas de bornes à son audace, voulurent que Bibulus fît aux centuries les mêmes promesses, et la plupart d'entre eux se cotisèrent à cet effet. Caton lui-même avoua que, cette fois, la corruption profiterait à la république.

(3) César fut donc nommé consul avec Bibulus. Les optimates n'eurent plus d'autres ressources que d'assigner aux futurs consuls des départements sans importance, à savoir ceux des bois et des pâturages.

(4) Excité surtout par cette injure, César ne négligea aucun moyen de s'attacher Gnaeus Pompée, alors irrité lui-même contre les sénateurs de ce que, malgré ses victoires sur le roi Mithridate, ils hésitaient à ratifier ses actes. Il le réconcilia aussi avec Marcus Crassus, qui était resté son ennemi depuis les violentes querelles de leur consulat; et il conclut avec eux une alliance, en vertu de laquelle rien ne devrait se faire dans l'État de ce qui déplairait à l'un des trois.

(1) E duobus consulatus competitoribus, Lucio Lucceio Marcoque Bibulo, Lucceium sibi adiunxit, pactus ut is, quoniam inferior gratia esset pecuniaque polleret, nummos de suo communi nomine per centurias pronuntiaret.

(2) Qua cognita re optimates, quos metus ceperat nihil non ausurum eum in summo magistratu concordi et consentiente collega, auctores Bibulo fuerunt tantundem pollicendi, ac plerique pecunias contulerunt, ne Catone quidem abnuente eam largitionem e re publica fieri.

(3) Igitur cum Bibulo consul creatur. Eandem ob causam opera ab optimatibus data est, ut prouinciae futuris consulibus minimi negotii, id est siluae callesque, decernerentur.

(4) Qua maxime iniuria instinctus omnibus officiis Gnaeum Pompeium adsectatus est offensum patribus, quod Mithridate rege uicto cunctantius confirmarentur acta sua; Pompeioque Marcum Crassum reconciliauit ueterem inimicum ex consulatu, quem summa discordia simul gesserant; ac societatem cum utroque iniit, ne quid ageretur in re publica, quod displicuisset ulli e tribus.


Commentaire

L. Lucceius : on connaît deux personnages portant ce nom à l'époque où nous sommes, et il semble impossible de dire avec certitude lequel a été le rival de César lors de l'élection consulaire pour l'année 59. Cf. T.R.. Broughton, The Magistrates of the Roman Republic, III. Supplement, Atlanta, 1986, p.127-128.

Département sans importance : ce passage fait difficulté. On sait que depuis une lex Sempronia (c.à.d. de C. Gracchus) de 123, le Sénat devait désigner avant les élections les provinces qui seraient attribuées aux consuls à leur sortie de charge. Mais que veut dire Suétone lorsqu'il parle des « bois et des pâturages » (silvae callesque) ? Un passage de Tacite (Annales, IV, 27), s'il n'apporte pas de réponse à la question, pourrait peut-être nous éclairer. L'historien raconte que, sous le règne de Tibère, une révolte servile éclata en Italie du Sud et fut réprimée par le questeur Cutius Lupus, « auquel était échue la surveillance des pâturages, de tout temps réservée à la questure » (trad. Bornecque). Le Sénat aurait-il voulu décourager César dans sa candidature en lui réservant, pour provincia après le consulat, une charge digne d'un questeur ?

Pompée : a vécu de 106 à 48. On ne va pas résumer ici la carrière de ce personnage. On se bornera à quelques remarques permettant de mieux comprendre notre texte. Pompée accède au consulat assez jeune, en 70. Il a Crassus pour collègue mais les deux magistrats suprêmes ne s'entendent guère (cf. Plutarque, Pompée, 22, 3 ; Crassus, 12, 3). En 67, Pompée est chargé de réprimer la piraterie en Méditerranée : il réussit brillamment et très rapidement. En 66, on lui confie les provinces de Cilicie, Bithynie et Pont, avec mission de faire la guerre à Mithridate et c'est un nouveau succès : Mithridate finira par se suicider en 63. En 62, Pompée rentre à Rome et obtient le triomphe mais le Sénat hésite à lui donner satisfaction sur un point essentiel, la ratification de ses actes en Orient. César intervient alors et réconcilie les deux rivaux : c'est le premier triumvirat. Cf. J. Van Ooteghem, Pompée le Grand bâtisseur d'empire, Bruxelles, 1954 (Acad. royale de Belgique, Cl. des Lettres et des Sc. morales et politiques, Mémoires, t. XLIX) ; R. Seager, Pompey the Great. A Political Biography, Londres, 2002.

Alliance : en latin, societas, ce qu'on a appelé le premier triumvirat (César, Pompée, Crassus). À la différence du « second » triumvirat (Octave, Antoine, Lépide), créé officiellement par une lex Titia (nov.43), le premier n'était qu'un accord secret entre les trois hommes politiques les plus puissants du moment. Suétone place sa formation après l'élection de César au consulat mais on a de bonnes raisons de croire, avec Plutarque notamment (César, 13), que le pacte entre les trois hommes a précédé l'élection et que l'accession de César au consulat en 59 était précisément une des clauses contenue dans leur convention.

 


[18 novembre 2004]