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Suétone (généralités)

Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)


  Suétone, Jules César, 20

 XX. Actes principaux et violences de son consulat

(1) En prenant possession de sa dignité, César établit, le premier, que l'on tiendrait un journal de tous les actes du sénat et du peuple, et que ce journal serait rendu public.

(2) Il fit revivre aussi l'ancien usage de se faire précéder par un huissier et suivre par des licteurs, pendant le mois où l'autre consul aurait les faisceaux.

(3) Il promulgua une loi agraire; et, comme son collègue s'y opposait, il le chassa du forum par les armes. Le lendemain, celui-ci porta ses plaintes au sénat; mais il ne se trouva personne qui osât faire un rapport sur cette violence, ou proposer de ces résolutions vigoureuses qu'on avait si souvent prises dans de moindres désordres. Bibulus, au désespoir, se retira chez lui, où il se tint caché tout le temps de son consulat, ne manifestant plus son opposition que par la voie des édits.

(4) De ce moment, César régla tout dans l'État à sa guise; si bien que des railleurs, avant de signer leurs lettres, les dataient par plaisanterie, non du consulat de César et de Bibulus, mais du consulat de Jules et de César; faisant ainsi deux consuls d'un seul, dont ils séparaient le nom et le surnom. On fit aussi courir les vers suivants:

Ce que César a fait, qui d'entre nous l'ignore?
Ce qu'a fait Bibulus, moi je le cherche encore.

(5) La plaine de Stella, consacrée par nos ancêtres, et le territoire campanien qui était resté soumis à l'impôt pour les besoins de la république, furent distribués, par son ordre et sans que le sort fût consulté, à vingt mille citoyens, pères de trois enfants ou d'un plus grand nombre.

(6) Les fermiers de l'État demandaient une réduction; César leur remit le tiers de leur fermage, et les engagea en public à ne point enchérir inconsidérément à la prochaine adjudication des impôts.

(7) Il en était ainsi du reste: tout ce que l'on convoitait, César en faisait largesse; personne n'osait s'y opposer, et quiconque l'osait se voyait en butte à ses vengeances. Caton l'ayant un jour tenté, il le fit traîner hors du sénat par un licteur, et conduire en prison. Lucius Lucullus, qui lui avait résisté avec trop de hardiesse, fut si épouvanté de ses menaces, qu'il lui demanda grâce à genoux. Cicéron, dans un plaidoyer, avait déploré le malheur des temps; le jour même, à la neuvième heure, César fit passer dans les rangs plébéiens le patricien Publius Clodius, ennemi de Cicéron, et qui, depuis longtemps, tâchait en vain d'y entrer.

(8) Voulant en finir avec ses adversaires, il suborna Vettius, à prix d'argent, pour qu'il déclarât que quelques-uns d'entre eux l'avaient engagé à tuer Pompée, et qu'amené au forum, il nommât les prétendus auteurs de ce complot: mais Vettius accusant sans preuves tantôt l'un, tantôt l'autre, la fraude fut bientôt soupçonnée; et César, désespérant du succès d'une entreprise aussi imprudente, fit, dit-on, empoisonner le dénonciateur.

(1) Inito honore primus omnium instituit, ut tam senatus quam populi diurna acta confierent et publicarentur.

(2) Antiquum etiam rettulit morem ut quo mense fasces non haberet, accensus ante eum iret, lictores pone sequerentur.

(3) Lege autem agraria promulgata obnuntiantem collegam armis foro expulit ac postero die in senatu conquestum nec quoquam reperto, qui super tali consternatione referre aut censere aliquid auderet, qualia multa saepe in leuioribus turbis decreta erant, in eam coegit desperationem, ut, quoad potestate abiret, domo abditus nihil aliud quam per edicta obnuntiaret.

(4) Vnus ex eo tempore omnia in re publica et ad arbitrium administrauit, ut nonnulli urbanorum, cum quid per iocum testandi gratia signarent, non Caesare et Bibulo, sed Iulio et Caesare consulibus actum scriberent bis eundem praeponentes nomine atque cognomine, utque uulgo mox ferrentur hi uersus: non Bibulo quiddam nuper sed Caesare factum est: nam Bibulo fieri consule nil memini.

(5) Campum Stellatem maioribus consecratum agrumque Campanum ad subsidia rei publicae uectigalem relictum diuisit extra sortem ad uiginti milibus ciuium, quibus terni pluresue liberi essent.

(6) Publicanos remissionem petentis tertia mercedum parte releuauit ac, ne in locatione nouorum uectigalium inmoderatius licerentur, propalam monuit.

(7) Cetera item, quae cuique libuissent, dilargitus est contra dicente nullo ac, si conaretur quis, absterrito. Marcum Catonem interpellantem extrahi curia per lictorem ducique in carcerem iussit. Lucio Lucullo liberius resistenti tantum calumniarum metum iniecit, ut ad genua ultro sibi accideret. Cicerone in iudicio quodam deplorante temporum statum Publium Clodium inimicum eius,frustra iam pridem a patribus ad plebem transire nitentem, eodem die horaque nona transduxit.

(8) Postremo in uniuersos diuersae factionis *** inductum praemiis, ut se de inferenda Pompeio nece sollicitatum a quibusdam profiteretur productusque pro rostris auctores ex conpacto nominaret; sed uno atque altero frustra nec sine suspicione fraudis nominatis desperans tam praecipitis consilii euentum intercepisse ueneno indicem creditur.


Commentaire

Actes du Sénat : procès-verbaux des séances du Sénat. Les acta reprenaient bien entendu les sénatus-consultes, mais aussi, semble-t-il, les rapports des magistrats, les discours des sénateurs et plus tard des empereurs, la correspondance échangée avec les magistrats en province ou avec les souverains étrangers. Tous les documents étaient-ils divulgués, ou certaines pièces, plus confidentielles, échappaient-elles à la publication ? Cette seconde hypothèse paraît plus probable. En tout cas, nous savons par Suétone (Auguste, 36) qu'Auguste interdit la publication des acta. Et Tacite (Annales, 5, 4) nous apprend que, sous Tibère, les actes étaient tenus par un homme de confiance de l'empereur. Sur la portée réelle de cette innovation de César, signalons l'opinion très réservée de P. White, Caesar and the Publication of Acta in Late Republican Rome, dans Chiron, 27, 1997, p. 73-84.

Actes du peuple : appelés indiféremment acta diurna, urbana, populi, publica. Sorte de journal destiné au public de Rome mais connu aussi en province (Tacite, Annales, 16, 22) où étaient signalés les principaux événements politiques, judiciaires ainsi que des « faits divers » jugés intéressants (d'après Pline l'Ancien, Histoire naturelle, 2, 147, par exemple, les acta diurna signalaient une pluie de briques l'année du procès de Milon, c.à.d. en 52). On ne sait pas qui était chargé de la rédaction de ces acta ni sous quelle forme concrète ils étaient publiés. Cf. B. Baldwin, The acta diurna, dans Chiron, 9, 1979, p.189-203 ; A.Lintott, Acta Antiquissima : A Week in the History of the Roman Republic, dans Papers of the British School at Rome, 54, 1986, p.213-228.

Ancien usage : remontant à la création du consulat, c.à.d., selon la tradition, à la fin du VIe siècle. Les consuls disposaient de pouvoirs strictement égaux mais les exerçaient à tour de rôle, avec une alternance mensuelle. Le consul en fonction avait des licteurs, son collègue devait se contenter d'un accensus. Puis, les deux consuls ont disposé de leurs licteurs. César reprend ces deux traditions et décide que le consul en fonction sera précédé par ses licteurs tandis que son collègue sera précédé par l'accensus et suivi par ses licteurs. Sur les problèmes que pose la collégialité des consuls, cf. F. De Martino, Storia della costituzione romana, I, 2e éd, Naples, 1972, p.413-415.

Huissier : en latin, accensus. Espèce d'appariteur qui, à la différence des licteurs, n'était pas un fonctionnaire public mais, semble-t-il, un membre de l'entourage du magistrat, probablement un affranchi.

Loi agraire : appelée parfois « première loi agraire » pour la distinguer de l'autre distribution de terre signalée un peu plus bas (§ 5) mais, selon certains historiens, il s'agirait plutôt de deux phases d'un même processus législatif. 1. César présente au Sénat un projet visant à distribuer aux vétérans de Pompée, mais aussi aux citoyens pauvres, des lots de terre provenant de l'ager publicus, c'est-à-dire de cette partie du territoire italien appartenant, par droit de conquête, au peuple romain ; tout l'ager publicus devait être distribué, sauf, semble-t-il, la Campanie. Le Sénat rejette cette proposition. 2. César présente son projet de loi au peuple, en y incluant cette fois la Campanie, et obtient un vote favorable : la lex agraria peut entrer en vigueur. Notons que la loi de César ressemble fort au projet que le tribun P. Servilius Rullus avait déposé à la fin de l'année 64 et que Cicéron combattit avec succès, prononçant quatre discours de lege agraria dont trois sont conservés. Cf. Cl. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen 264-27 avant J.-C., I. Les structures de l'Italie romaine, Paris, 1977, p.139-140 ; O. de Cazanove - Cl. Moatti, L'Italie romaine d'Hannibal à César, Paris, 1994, p.113-118.

S'y opposait : en latin, obnuntiatio, c.à.d. opposition à la tenue des comices en raison de signes défavorables (éclair, tonnerre) apparus avant la réunion. « Jove tonante, fulgurante, comitia populi habere nefas » (Cicéron, De la divination, II, 18). Dion Cassius (Histoire romaine, 38, 6, 1), lui, note que Bibulus, ayant épuisé ses autres moyens d'opposition, aurait proclamé une hiéroménie « pour tous les jours restants de l'année où le peuple n'avait pas le droit de se réunir ». Que l'on suive Suétone (obnuntiatio) ou Dion, il s'agissait donc de faire obstruction à la tenue des comices au nom des dieux. Cf. L.R. Taylor, The Dating of Major Legislation and Elections in Caesar's First Consulship, dans Historia, 17, 1968, p.173-193 (spécialement p.177-179).

Plaine de Stella : au N.-E. de Capoue ; cf. R.J.A. Talbert (éd.), Barrington Atlas of the Greek and Roman World, Princeton - Oxford, 2000, Carte 44, F3. On ne sait rien de la conquête par Rome de ce territoire, ni des raisons de sa consécration aux dieux.

Territoire campanien : Ager campanus, entre Capoue et Cumes ; cf. R.J.A. Talbert, Barrington Atlas, Carte 44, F3-4. Ce territoire a été rattaché à l'ager publicus en 211. C'est une des conséquences de la défection de Capoue en 216 et de son ralliement à Hannibal. La ville a été reprise par les Romains en 212 et durement châtiée : exécution de notables ; réduction en esclavage d'une partie de la population ; intégration de l'ager campanus à l'ager publicus, les occupants de ces terres confisquées étant désormais soumis à un impôt foncier (vectigal).

Pères de trois enfants : Rome doit lutter contre la dénatalité et accorde donc des avantages aux pères de famille « nombreuse ». Cette préoccupation est encore bien présente sous le règne d'Auguste : lex Iulia de maritandis ordinibus et de adulteriis en 18 a.C., lex Papia-Poppaea en 9 p.C. Cf. J. Le Gall - M. Le Glay, L'empire romain, I. Le Haut-Empire de la bataille d'Actium (31 av. J.-C.) à l'assassinat de Sévère Alexandre (235 ap. J.-C.), Paris, 1987, p.115. Voir aussi les lettres de Pline le Jeune à Trajan à propos du ius trium liberorum : Lettre 2. Pline remercie l'empereur qui lui a acordé ce privilège alors qu'il est sans enfant ; Lettres 94-95. Pline demande et obtient la même faveur pour son ami Suétone, également sans enfant. Cf. M. Durry (éd.), Pline le Jeune, t. IV. Lettres. Livre X - Panégyrique de Trajan, Paris, 1964.

Fermiers de l'État : publicains. Dotées d'une administration peu développée, les autorités romaines ne s'occupaient pas directement de la perception des impôts. Le travail était confié à des particuliers (qui pouvaient s'associer et former de puissantes sociétés), lesquels versaient d'avance à l'État le montant correspondant à tel impôt, dans telle région, et se remboursaient, avec des bénéfices évidemment, en collectant les sommes dues par les contribuables. La ferme des impôts était adjugée, tous les cinq ans, par les censeurs, au cours d'enchères publiques : étaient donc retenus les candidats qui offraient le meilleur prix. Les fermiers dont parle ici Suétone sont certainement ceux qui avaient obtenu la ferme des impôts d'Asie en 61. Cicéron (Ad Att., I, 17, 9) raconte que, s'étant rendu compte qu'ils avaient misé trop haut, ils réclament au Sénat une annulation du marché ; Cicéron soutient sans enthousiasme leur demande qui, finalement, échoue. Deux ans plus tard, César leur donne satisfaction. Cf. J.P.V.D. Baldson, Roman History, 65-50 B.C. : Five Problems, dans Journal of Roman Studies, p.134-141 (p.135-127 The over-bidding of the Publicani for the Asiatic tax contract in 61 B.C.).

Caton : personnage dont il a déjà été question à plusieurs reprises. L'incident évoqué ici par Suétone trouve sans doute son origine dans l'opposition de Caton à la loi agraire de César : cf. Plutarque, Caton, 33, 1.

Lucius Lucullus : consul en 74. Lucullus, qui avait lui-même combattu avec succès contre Mithridate avant l'arrivée de Pompée, s'opposait à la ratification des actes de son successeur en Orient. Cf. Plutarque, Pompée, 46, 6 ; 48, 4.

Plaidoyer : allusion à un discours - non conservé - de Cicéron pour la défense de C. Antonius, qui avait été son collègue au consulat en 63. Cicéron évoque cet incident dans son discours De domo sua, § 41.

 


[14 décembre 2004]