Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 331b-341a - ans 637-653

 Édition : A. Borgnet (1869) - Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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ANS 637-653

MONDE FRANC - ROIS ET PRÉVÔTS - LES PIPINNIDES - MONDE BYZANTIN - GUERRES EN OCCIDENT ET EN ORIENT - MATIÈRE RELIGIEUSE - PAPAUTÉ

 

A. Vers 637 = Myreur, II, p. 331b-332a : Monde franc : Mise à l'écart en Neustrie de Thierry III et de son prévôt Ébroïn - le frère de Thierry, Childéric II, déjà roi d'Austrasie, devient aussi roi de Neustrie, où il se montre cruel et autoritaire - Des saints : saint Gal, saint Colomban, saint Éloi, sainte Aurélie - Guerre en Syrie (Chosroès) - Papauté : Théodore succède au bon Jean IV

 

B. Ans 638-640 = Myreur, II, p. 332b-334a : En Orient : nombreuses guerres entre les Perses (Antioche, Damas et Jérusalem) et les troupes d'Héraclius (reconquêtes partielles) - Mort d'Héraclius - Aquitaine : mort de Boggis d'Aquitaine et du prince Boggis de Poitiers - Bertrand, nouveau duc d'Aquitaine - Généalogies diverses

 

C. Ans 640-646 = Myreur, II, p. 334b-336a : Empereurs byzantins : Héraclius, Constantin, père et fils - Papauté : papes (Théodore Ier, Martin Ier, Eugène Ier), hérésies (monothélites) et miracle (avec Martin Ier) - Guerres en Occident : Les Sarrasins d'Espagne attaquent la Petite-Bretagne, puis l'Italie et Rome - Le roi Sébuste de Gothie, appelé à l'aide par les Romains, bat les Sarrasins devant Rome et puis en Espagne - Des saints : Sainte Gertrude et Nivelles - Des décès : le comte de Flandre - Eswald, roi de Petite-Bretagne, et Saint-Josse, son fils

 

D. Ans 646-653 = Myreur, II, p. 336b-341a : Monde franc :  Guerres entre Childéric II (mauvais roi de Neustrie et d'Austrasie) et le duc d'Aquitaine, Bertrand, père de saint Hubert - Excès de Childéric contre ses sujets et ses barons - Ses conquêtes de la Gascogne et de la Bretagne -  Son assassinat  - Son frère Thierry III lui succède mais le pouvoir est exercé par le prévôt Leudesius, bientôt tué et remplacé par Ébroïn, lequel s'attaque à l'Église et notamment à saint Lambert, évêque de Maastricht, exilé à Stavelot, et remplacé par un évêque intrus Pharamond, neveu d'Ébroïn - Pépin (II, ou le Gros, ou de Herstal) devenu prévôt et prince d'Austrasie entre en guerre ouverte contre Ébroïn, prévôt de Neustrie - Le roi Thierry III et Ébroïn veulent la mort de Pépin très apprécié par ailleurs

 

En matière religieuse : Outre les attaques d'Ébroïn (cfr supra), conflit à Rome entre papauté et empereur - Évocation du pape Vitalien - Sainte Begge (Andennes) - L'Église souffre des Sarrasins et des hérétiques - Influence des conflits entre Perses et Byzantins sur l'attitude de l'empereur à l'égard de la papauté

 


 

A. Vers 637 = Myreur, II, p. 331b-332a

Thierry III, roi de Neustrie, et son prévôt Ébroïn sont tondus et écartés du trône - Le frère de Thierry, Childéric II, roi d'Austrasie, devient aussi, contre l'avis de saint Lambert, roi de Neustrie, et s'y montre autoritaire et cruel - Saint Gal et saint Colomban - Saint Éloi et sainte Aurélie - Guerre en Syrie (Chosroès, Arabes ?) - Le pape Théodore succède au bon pape Jean IV

Thierry III, roi de Neustrie, et son prévôt Ébroïn sont tondus et écartés du trône

[II, p. 331b] [Ly roy Thyris et Ebroien furent tondus et fais moynes] Sour l'an VIc et XXXVII estoit Thyris roy de Franche, et Ebroien prevoste ; mains, anchois que ly roy Thyris et ly awissent regneit demy-an, soy avisarent les Franchois que ly roy Thyris estoit jovenes et nische por tenir teile sengnorie, et Ebroien estoit fels et deputaire et haioit sainte Engliese, si les tondirent ambdois ; et fut li roy Thyris moynes à Sains Denis, et Ebroien fut moyne à Lesens en Normedie.

[II, p. 331b] [Le roi Thierry III et Ébroïn furent tondus et faits moines] En l'an 637, Thierry III était roi de Francie, et Ébroïn était son prévôt ; mais le roi Thierry et son prévôt n'avaient pas régné une demi-année quand les Francs se rendirent compte d'une part que le roi Thierry était jeune et inexpérimenté pour diriger un tel domaine, et d'autre part qu'Ébroïn était fourbe, mauvais et qu'il haïssait la sainte Église. Tous les deux furent tondus : le roi devint moine à Saint-Denis, et le prévôt moine à Luxeuil en Normandie. [suite d'Ébroïn en II, p. 339ss]

Le frère de Thierry, Childéric II, déjà roi d'Austrasie, devient aussi, contre l'avis de saint Lambert, roi de Neustrie, et s'y montre autoritaire et cruel

Apres, mandarent les Franchois le roy Hilderich d'Austrie à Mes tout le fait, et qu'ilh venist prendre la saingnorie, car ilh le rechuroient à roy ; et chis s'aparelhat por venir en Franche.

Après, les Francs firent connaître l'ensemble de la situation au roi Childéric II d'Austrasie, lui disant de venir prendre la seigneurie, car ils le recevraient comme roi. Childéric se prépara à venir en Francie.

[Sains Lambers conselhat à Hilderich del remanir en Austrie] Mains quant sains Lambers, qui estoit son conselhier le soit, si vient à li à Mes, et li desconselhat mult fortement en disant : « Chiers sires, plaise-toy suffier chu que tu as, et ne welhe pont accepteir [II, p. 332] la royalme ton frere ; ains mes paine del aider que ton frere rait la possession de son rengne, car, se tu le fais aultrement, tu en vauras pies. »

[Saint Lambert conseilla à Childéric de rester en Austrasie] Mais quand saint Lambert, qui était son conseiller, le sut, il vint à Metz et lui déconseilla fortement [d'accepter] en disant : « Cher seigneur, s'il te plaît, sois satisfait de ce que tu as et refuse d'accepter [II, p. 332] le royaume de ton frère ; cela me peine de contribuer à ce que ton frère retrouve la possession de son royaume, car si tu agis autrement, tu le regretteras. »

[Hildrich d’Austrie fut rechus à roy de Franche contre son frère Thyris] A chu ne wolt onques riens entendre ly roy Hildris, anchois ilh s'en alat en Franche, si fut coroneis roy, si regnat pres de XII ans com roy de Franche awec le rengne d'Austrie.

[Childéric d'Austrasie fut reçu comme roi de Francie contre son frère Thierry] De ce conseil, le roi Childéric II ne voulut rien entendre. Il s'en alla en Francie, y fut couronné et régna près de douze ans comme roi de Francie et roi d'Austrasie.

[Ilh n’est pau bon del donneir trop d’auctoriteit al commencement de son rengne] Si fist mult de mailes et de justiche crueux et perverse, car al promier li donnarent les Franchois poioir de regneir sens le conselhe de Leudisiens, le prevoste ; si s'en repentirent temprement, car ilh fist tant de mals à cascons, grans et petis, qu'ilh fut mult haiis à son temps.

 [Il n’est pas bon d'être trop autoritaire au début de son règne] Childéric causa beaucoup de malheurs et se montra cruel et pervers en matière de justice, car au commencement, les Francs lui donnèrent le pouvoir de régner sans le conseil de Leudesius le prévôt (cfr II, p. 339). Ils s'en repentirent rapidement, car il causa à tous, grands ou petits, tant de maux  qu'il fut très haï de son temps [à suivre en II, p. 336b].

Saint Gal et saint Colomban

[II, p. 332] [De sains Gallus et Colombain] A cel temps estoit en grant auctoriteit sains Gallus, c'este sains Coque qui fut disciple à sains Columbain, et estoit abbeis en Allemmangne.

[II, p. 332] [Saint Gal et saint Colomban] À cette époque jouissait d'une grande autorité saint Gal, alias saint Coq, qui fut un disciple de saint Colomban. Il était abbé en Allemagne.

Notes de Bo ad locum : « Saint Gal, fondateur du monastère de ce nom en Suisse, est en effet un disciple de saint Colomban » et « Je ne sache pas que son nom ait jamais été traduit de la sorte, gallus en latin désignant un coq ».

Sur saint Colomban, cfr II, p. 239 ; II, p. 377 ; II, p. 398.

Guerre en Syrie

[II, p. 332] En cel an fist ly roy Godvians, li fis Cosdre de Persie, assembleir grans gens, si entrat en la terre de Surie et le commenchat à destruire vilainnement ; si oit ly dus d'Anthyoche à li batalhe et les desconfist.

[II, p. 332] Cette année-là [637 ?], le roi Godvians, le fils de Chosroès de Perse, rassembla un grande armée et pénétra en Syrie qu'il commença à dévaster affreusement. Le duc d'Antioche lui livra bataille et le défit complètement.

Note de Bo ad locum : « Le fils et le successeur de Chosroès parviz s'appelait Siroës ou Sirujch. Il s'agit sans doute ici de la conquête de la Syrie par les Arabes et non par les Perses ».

Sainte Aurélie et saint Éloi

[II, p. 332] [Sainte Aurelie parfist l’engliese Sains Eloy] A cel temps parfist sainte Aurelie, une glorieux vierge, une engliese en la citeit de Paris que sains Eloy, evesque de Noion, avait devant commenchiet à edifiier.

[II, p. 332] [Sainte Aurélie acheva l’église de Saint Éloi] À cette époque, sainte Aurélie, une vierge glorieuse, acheva dans la cité de Paris une église que saint Éloi, évêque de Noyon, avait commencé précédemment à construire.

Le pape Jean IV (640-642 n.è.) est remplacé par Théodore Ier (642-649 n.è.)

[II, p. 332] [Li pape Johan fiist mult de biens chi present] En cel an, le XXVIIIe jour du mois d'octembre, morut ly pape Johans, qui fut uns hons caritaible, qui à son temps rachatat les prisonniers cristiens qui longtemps avoient esteit en prison en Espagne, si en estoit Vm, et fist les corps des sains Anastaise et sains Vincent, et pluseurs altres martyres translateir de Hystre et de Dalmaise dedens l'engliese sains Johans ewangeliste, qui est deleis la fontaine de Latran.

[II, p. 332] [Le pape Jean fit beaucoup de bonnes choses] Cette année-là, le vingt-huit octobre, mourut le pape Jean, qui fut un homme charitable. En son temps, il racheta les cinq mille chrétiens, qui avaient longtemps été prisonniers en Espagne ; il fit aussi transférer d'Istrie et de Dalmatie les corps de saint Anastase, de saint Vincent et de beaucoup d'autres martyrs pour les placer dans l'église de saint Jean l'évangéliste, près de la fontaine de Latran.

[Theodoriiens, li LXXVIe pape de Rome] Chis pape Johans fut ly quars de chis nom, et fut ensevelis dedens I’engliese Sains-Pire à Romme, et apres sa mort vacat li siege III jours ; puis fut consacreis à pape, le promier jour de novembre, Theodoriiens , qui estoit à cel temps evesque de Jherusalem. Et tient le siege V ans, unc mois et VIII jours, et solonc Martin V ans V mois et VIII jours.

[Théodore, 76e pape de Rome] Le pape Jean, quatrième du nom, fut enseveli dans l'église Saint-Pierre de Rome. Après sa mort, le siège resta vacant trois jours ; ensuite, le premier novembre, Théodore, qui à ce moment-là était évêque de Jérusalem, fut consacré pape. Il occupa le siège cinq ans, un mois et huit jours et, selon Martin, cinq ans, cinq mois et huit jours.


 

B. Ans 638-640 = Myreur, II, p. 332b-334a

Les Perses vainqueurs à Antioche, Damas et Jérusalem - Grandes conquêtes de l'empereur Héraclius avec peu de pertes du côté des Romains, sinon la mort du duc Boggis d'Aquitaine et celle du prince Boggis de Poitiers - Mort d'Héraclius

Bertrand, nouveau duc d'Aquitaine - La lignée de ce duc Bertrand : saint Hubert, Eudes et finalement Ogier le Danois

 


À déplacer

 

Remarques sur l'image que Jean d'Outremeuse donne de la généalogie d'Eudes d'Aquitaine (II, p. 333)

 

Eudes d'Aquitaine (mort en -735 n.è.) est un personnage historique qui a joué un rôle important à l'époque de Charles Martel (né vers 688 et mort en 741 n.è.) et des invasions arabes du VIIIe siècle. Jean d'Outremeuse lui fait une grande place dans son récit mais beaucoup de ses informations ne correspondent pas à l'histoire. Une analyse détaillée étant exclue dans le contexte de cette traduction, nous ne pouvons que signaler quelques passages litigieux.

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La fantaisie de Jean d'Outremeue est évidente quand il traite de la famille d'Eudes : pure invention que son grand-père Boggis et son père Bertrand qui l'auraient précédé à la tête de l'Aquitaine. Pour les historiens modernes en effet, les prédécesseurs d'Eudes ont été un certain Félix et un certain Loup, sans aucun lien de parenté entre eux. Eudes n'avait pas pour frère saint Hubert, et ses fils, deux légitimes et deux bâtards selon Jean, sont aussi de la fiction.

D'après Jean, les fils légitimes d'Eudes sont Amaury, l’aîné, et Jean Asculphin, le cadet. Ils seraient le fruit du mariage d'Eudes avec Asculphine, la fille de l’empereur Tibère, avec lequel Eudes aurait fait alliance à Rome où il se serait rendu en l’an 685 de l’Incarnation. Cet empereur lui aurait alors donné sa fille en mariage (II, p. 384).

Ses fils bâtards s’appellent Gaufroit et Waldon. Ils apparaissent dans le récit (en II, p. 397) plus tard que les autres (en l’an 695) mais ils y jouent  un rôle important, à savoir amener Eudes à briser l’alliance qu’il venait de conclure un peu plus tôt avec Charles Martel. Comme il n'en avait pas parlé avant, Jean éprouve alors le besoin d’expliquer leur présence. Eudes, dit-il, les aurait eus « de la fille du roi d'Espagne, avant la mort de son père Bertrand ». Apparition brusque et inattendue, tardive d'ailleurs. C’est un peu comme s’ils avaient été inventés par le narrateur pour justifier le revirement de son personnage.

Sur les enfants d'Eudes, les historiens modernes proposent des informations très différentes : Eudes eut 3 fils (Hunald, Hatton et Remistan) et une fille (Lampégie). À sa mort en 735 n.è., Eudes fut remplacé par Hunald et Hatton qui règnèrent en commun.  Le second mourut toutefois l'année suivante (736 n.è.) mais son frère vécut jusqu'en 745 n.è. Remistan remplit un rôle politique secondaire. Le cas de Lampégnie ne manque pas d'intérêt. En 725 de notre ère, Eudes l'avait donnée en mariage au chef musulman de Catalogne, le berbère Munuza, qui s’était rebellé contre l’émir de Cordoue et avec qui Eudes souhaitait conclure une alliance militaire.

 


 

Les Perses vainqueurs à Antioche, Damas et Jérusalem

[II, p. 332b] Item, l'an VIc et XXXVIII, soy rasemblarent les Persiens, et vinrent assegier la [II, p. 333] citeit d'Anthyoche, et le conquisent al chief de IIII mois et X jours, si le destrurent laidement. Et puis allarent assegier la citeit de Damas ; mains li prevoste issit fours à grant gens, si les corut sus ; mains ilh fut desconfis et orent les Persiens la victoire. Si reforcharent le siege plus fort com devant, qui durat IX mois, puis le prisent l'an VIc et XXXIX en jule, par forche de assalt.

[II, p. 332b] En l'an 638, les Perses se rassemblèrent et vinrent assiéger la [II, p. 333] cité d'Antioche. Ils la conquirent après quatre mois et dix jours et la détruisirent affreusement. Ensuite ils allèrent assiéger la cité de Damas. Le prévôt sortit de la ville avec un grand nombre de gens pour les attaquer ; mais il fut défait et les Perses vainqueurs. Alors, ceux-ci renforcèrent davantage encore leur siège, qui dura neuf mois ; ils finirent par s'emparer de la cité par la violence de leur assaut en juillet de l'an 639.

[Jherusalem fut prise] En cel an, en mois d'octembre, fut la citeit de Jherusalem assegié par les Persiens. Adont envoiarent cheaux de la citeit à l'emperreur de Romme por le sorcour. Et tantoist assemblat ly emperere ses oust et passat mere, mains, anchois qu'ilh venist là, fut la citeit conquestée, et avoit ly siege dureit XI mois. Adont vient ly emperere devant la citeit, mains les Sarasins qui dedens estoient issirent fours ; là oit grant batalhe et qui durat longement, mains les Persiens furent desconfis, et leur roy mors, et awec ly XXVIm Persiens.

[Jérusalem fut prise] En cette année, au mois d'octobre, la cité de Jérusalem fut assiégée par les Perses. Alors les habitants de la cité envoyèrent demander du secours à l'empereur de Rome. Aussitôt, l'empereur rassembla ses armées, prit la mer, mais avant son arrivée sur place, la cité fut conquise après un siège de onze mois. Alors l'empereur vint devant la cité, mais les Sarrasins qui s'y trouvaient en sortirent ; une grande bataille eut lieu, qui dura longtemps, mais les Perses furent défaits, leur roi mourut, et avec lui vingt-six mille Perses.

Grandes conquêtes de l'empereur Héraclius...

[II, p. 333] [L’an VIc et XL] Item, l'an VIc et XL commenchat ly emperere Eracle grandement à conquere sour les Sarasins : ilh reconquist Antyoche et Damas, et tout chu que les Persiens avoient conquis ; puis entrat en Persie et commenchat le paiis à destruire et conquerir, mains ly roy de Catay Sydegars vient encontre luy à grant gens, por sorcorir les Persiens. Et là oit orible et fire batalhe, mains en la fin furent les Sarasins desconfis.

[II, p. 333] [L’an 640] L'an 640, l'empereur Héraclius se mit à faire de grandes conquêtes sur les Sarrasins : il reprit Antioche et Damas et tout ce que les Perses avaient conquis ; puis il entra en Perse et commença à dévaster et à conquérir le pays, mais le roi de Chine Sydegars marcha contre lui avec de grandes forces, pour secourir les Perses. Une horrible et rude bataille eut lieu, mais finalement les Sarrasins furent vaincus.

Héraclius et ses conquêtes : « Après la bataille du Yermouk, en 636, Héraclius renonça à résister aux Arabes. Les prétendues conquêtes que le chroniqueur lui attribue ici sont de pure invention » (Note de Bo). L'intervention du roi de Chine en est une preuve.

 ... avec peu de pertes romaines, sinon la mort du duc Boggis d'Aquitaine et celle du prince Boggis de Poitiers

En chesti batalhe furent ochis XIIIIm Sarasins, et les Romans ne perdirent que IIc hommes, desqueis y fut mors ly dus Boggis, d'Acquitaine, et ly prinche Boggis, sires de Potieres, maris à sainte Oude. De quoy ly emperere fut mult corochiés ; si les fist emeneir en Jherusalem, où ilh furent richement ensevelis.

Au cours de cette bataille, quatorze mille Sarrasins furent tués, et les Romains ne perdirent que deux cents hommes, parmi lesquels le duc Boggis d'Aquitaine, et le prince Boggis, seigneur de Poitiers, le mari de sainte Ode (cfr II, p. 321-322). L'empereur, vivement affligé, les fit emmener à Jérusalem, où ils furent richement ensevelis.

Mort d'Héraclius

[II, p. 332] Et adont prist à l'emperere Eracle une maladie enssi com fievres, et awec chu ilh estoit plains d'on aultre maladie c'on nom ydropisie, ch'est ayweline ; si soy mist sour mere et revient à Romme, mains ilh ne garist onques depuis, ains en morut en la fin.

[II, p. 333] Alors l'empereur fut atteint d'une maladie, une sorte de fièvre, maladie à laquelle s'en ajoutait une autre, appelée hydropisie, c'est-à-dire « maladie d'eau ». Il prit la mer et revint à Rome ; après quoi, il ne guérit jamais et finit par mourir.

Bertrand, nouveau duc d'Aquitaine

[II, p. 333] [De dus d’Aquitaine] Quant la novelle fut venue en Acquitaine que li dus estoit ochis et ly prinche awec, si en furent mult dolens ; si fut dus d'Acquitaine apres, son fis qui fut nommeis Bertrans, lyqueis regnat XXXIIII ans.

[II, p. 333] [Le duc d’Aquitaine] Quand parvint en Aquitaine la nouvelle que le duc, et avec lui le prince, avaient été tués, tous en furent très affectés. Le nouveau duc d'Aquitaine, Bertrand, était le fils du précédent : il régna trente-quatre ans.

La lignée de ce duc Bertrand : saint Hubert, Eudes et finalement Ogier le Danois

[II, p. 333] [De sains Hubers] Chis dus Bertrans oit à femme Hugberne, la soreur sainte Oude, et [II, p. 334] de chis Bertrans et sa femme issit et fut fis sains Hubers, li derains de Tongre et ly promier de Liege evesque, et fut enssi nommeis solonc le nom de sa mere deseurdite ; lyqueis sains Hubers avait jà d'eiage IIII ans et trois mois et X jours.

[II, p. 333]  [Saint Hubert] Ce duc Bertrand eut pour femme Hugberne, la sœur de sainte Ode. [II, p. 334] De leur union naquit un fils, qui deviendra saint Hubert, dernier évêque de Tongres et premier évêque de Liège. Il fut appelé Hubert d'après le nom de sa mère. (À l'époque), cet enfant avait déjà quatre ans, trois mois et dix jours.

[De linage sains Hubert et ses frères] Item, ilh issit de chis dus Bertrans, et fut son fis et frere à sains Hubers, Eudon, qui mult fut valhans chevalier ; et fut depuis dus d'Aquitaine, mains ilh n'estoit encor neeis al temps dont je parolle. Chis Eudon fut depuis peire à Aymeir, à cuy Garins fut fis, qui conquist Monglanne.

[La lignée de saint Hubert et de ses frères] De ce duc Bertrand naquit encore un fils, frère de saint Hubert, Eudes, qui fut un très vaillant chevalier. Plus tard, celui-ci fut duc d'Aquitaine mais, à l'époque dont je parle, il n'était pas encore né. Cet Eudes fut plus tard le père d'Amaury, qui eut pour fils le Garin qui conquit Monglane (cfr II, p. 486).

[De linage Ogier ly Dannois] Et encor oit Eudon unc altre fis qui oit nom Johans Wilhembrous, qui puis fut roy de Hongrie, et fut peire à la belle Beatris qui oit Gaufroit de Dannemarche, desqueis fut leur fis ly bons Dannois Ogier.

[La lignée d'Ogier le Danois] Eudes eut encore un autre fils, appelé Jean Willibrord, qui par la suite devint roi de Hongrie (II, p. 433). Il fut le père de la belle Béatrice, qui épousa Geoffroy de Danemark et dont le fils fut le bon Danois Ogier.

Autre fils d'Eudes :  Cet « autre fils » d'Eudes dont il est question ici est souvent présenté par Jean sous le nom d'Asculphin. En fait, un commentaire critique de tous les passages du Myreur faisant intervenir la généalogie d'Eudes d'Aquitaine (ses ancêtres, sa fratrie, ses enfants) serait indispensable, car la vision de Jean est très éloignée de la réalité historique. Mais cela nécessiterait un développement détaillé que nous ne pouvons pas introduire ici. 


 

C. Ans 641-646 = Myreur, II, p. 334b-336a

 

1. Divers : Décisions du pape Théodore Ier (642-649 n.è.) - Sainte Gertrude - Les empereurs Constantin III et IV - Mort de Théodore Ier et consécration du pape Martin Ier (649-655 n.è.) - Pluies abondantes à Metz - Succession en Flandre

2. Les Sarrasins, ayant la Francie en vue, attaquent d'abord la Petite-Bretagne - Eswald, roi de l'endroit, est tué - Ses fils saint Josse et Judicaël

3. Les Sarrasins attaquent ensuite l'Italie et Rome - Les Romains demandent l'aide du roi Sébuste de Gothie qui la leur accorde, puis part envahir l'Espagne, en principe pour la céder aux Romains, mais devant la traîtrise de ceux-ci, Sébuste conserve pour lui ses conquêtes

4. Divers :  Le Pape Martin Ier, victime de l'empereur hérétique Constantin - Le Pape Eugène Ier (654-657 n.è.) - Saint Josse


 

Digression sur un aspect de l'histoire de Byzance : la succession de quelques empereurs

Nous avons jugé intéressant d'évoquer rapidement ici comment se présente la succession de quelques-uns des empereurs byzantins dont il est question dans les notices suivantes. Nous nous sommes inspiré de l'ouvrage Histoire et Civilisations. La splendeur de Byzance, Barcelone, 1994, p. 70-73 passim.

« À la mort d'Héraclius en 641, son fils aîné, né de sa première épouse Eudoxie, et couronné coempereur en 613, monta sur le trône et prit le nom de Constantin III. Mais il ne régna que quelques mois. Héraclius avait un autre fils, Héraclius II (également appelé Héracléonas), né de sa deuxième femme, Martine, qui avait obtenu que son fils soit nommé Auguste en 638. Héracoléas obtint la corégence de l'Empire. Or Constantin III mourut de tuberculose trois mois après être monté sur le trône, laissant Héraclius II Héracléonas régner seul ». Une insurrection militaire éclata très vite. Héracléonas fut destitué et mutilé avec sa mère Martine.

« C'est dans ce contexte que le jeune fils de Constantin III monta sur le trône. Il régna sous le nom de Constant II Pogonate (le Barbu) de 641 jusqu'à sa mort en 668 ». [Questions militaires laissées en suspens ici]. « En matière de religion, lassé des débats interminables sur la nature du Christ, Constant II voulut les faire cesser par la loi, et promulgua un édit ordonnant la fin des débats. Le pape Martin Ier condamna cette tentative, ainsi que le monothélisme proposé par le concile du Latran (649), mais Constant II le déposa et le fit arrêter ». Il avait associé ses trois fils au pouvoir.

C'est l'un de ses fils, Constantin, qui lui succéda sous le nom de Constantin IV et qui régna de 668 à 685. [Questions militaires laissées en suspens ici]. « En ce qui concerne la politique religieuse, Constantin IV s'occupa principalement du conflit autour du monothélisme. Alors qu'il s'agissait au départ d'une solution de compromis entre le miaphysisme et l'orthodoxie, le monothélisme avait soulevé de nouveaux problèmes doctrinaux. En 680-681, l'empereur convoqua le sixième concile oecuménique (le troisième concile de Constantinople), qui ratifia l'orthodoxie des dogmes du concile de Chalcédoine pour réfuter le monothélisme : on admettait que deux natures et deux volontés coexistaient dans le Christ. Cela rétablit la paix entre Constantinople et Rome ».

« Constantin IV mourut en 685, et son fils lui succéda, Justinien II Rhinotmète qui avait alors 16 ans. Sur le plan religieux, son intervention, particulièrement malheureuse, engendra des conflits immédiats et postérieurs. En 692, Justinien II convoqua le concile de Constantinople, ou "Quinisexte", qui provoqua de graves dissensions avec l'Église romaine : le concile approuva entre autres le mariage des prêtres orientaux. La papauté refusa de le reconnaître comme un concile oecuménique, et s'opposa vivement à ses décisions. Justinien II voulut arrêter le pape, comme son prédécesseur Constant II l'avait fait. Mais l'autorité de l'empereur en Italie avait décliné, et les troupes établies à Rome et à Ravenne choisirent le camp du souverain pontife ». Des réformes sociales et agraires qu'il voulut entreprendre provoquèrent en 695 « un soulèvement, soutenu par la faction bleue de l'hippodrome et par le patriarche de Constantinople, Callinicos Ier. Le peuple proclama empereur le général isaurien Léonce, chef des troupes stationnées en Grèce. Justinien II fut déposé et pour éviter qu'il ne reprenne le pouvoir, on lui coupa le nez (d'où son surnom) et on l'exila dans la péninsule de Crimée ».

 


 

1. Divers : Décisions du pape Théodore Ier - sainte Gertrude - les empereurs Constantin III et IV - mort de Théodore Ier et consécration du pape Martin Ier (649-655) - pluies abondantes à Metz - succession en Flandre

[II, p. 334b] [Status papales] Item, l'an VIc et XLI, ordinat li pape Theodoriens que la benediction de chirge fust faite perpetuelment, en teile manere que sainte Engliese en use et despuis at useit de faire.

[II, p. 334b] [Décisions papales] En l'an 641, le pape Théodore Ier ordonna que la bénédiction de cierges se fasse toujours de la façon dont procédait la Sainte-Église. Depuis lors, la procédure n'a pas changé.

[L’an VIc et XLII - Sainte Gertrud fondat Nyvelle] Item, l'an VIc et XLII, fondat sainte Gertrud l'engliese de Nyvelle et y mist des nonnains, et en fut la promier abbesce, si usat là sa vie mult saintement.

[L’an 642 - Sainte Gertrude fonda Nivelles] En l'an 642, sainte Gertrude fonda l'église de Nivelles et y installa des nonnes ; elle en fut la première abbesse et y mena saintement sa vie.

[Constantin li LXIIIe emperere] En cel an, le XXIe jour de novembre, morut à Romme ly emperere Eracle, qui fut unc valhans hons et qui governat les Romans noblement. Apres, fut fais emperere de Romme ly LXIIIe Constantin, son fis, qui ne regnat que IIII mois et XIII jours, puis fut enpusonneit par unc sien maistre conselhier qui estoit nommeis Arobolus, si morut l'an VIc et XLIII, le IIIe jour d'avrilh.

[Constantin, 63e empereur] Cette année-là [642], le vingt-et-un novembre, mourut à Rome l'empereur Héraclius ; il fut un homme vaillant et gouverna remarquablement les Romains. Ensuite son fils Constantin devint le 63e empereur de Rome ; il ne régna que quatre mois et treize jours, puis fut empoisonné par son maître conseiller, nommé Arobolus. Il mourut le trois avril 643.

« Constantin III, fils et successeur d'Héraclius, fut empoisonné par sa belle-mère Martine » (note de Bo).

[Constantin ly LXIIIIe emperere de Romme] Chis Constantin avoit unc fis qui fut nommeis Constantin, qui estoit jovenes de XIII ans, qui fut coroneis à emperere de Romme, et fut li quars de chi nom ; si regnat XXV ans XI mois et XXVIII jours, et solonc Martin XVII ans, et I altre XVIII ans.

[Constantin, 64e empereur de Rome] Ce Constantin avait un fils, nommé lui aussi Constantin et âgé de treize ans. Il fut couronné empereur de Rome, le quatrième sous ce nom. Il régna vingt-cinq ans, onze mois et vingt-huit jours ; selon Martin, dix-sept ans, et selon un autre dix-huit.

« Le successeur de Constantin III fut son fils Constant II » (Note de Bo).

[Martin, ly LXXVIIe pape de Romme] En cel an, le XIXe jour de decembre, morut li pape de Romme Theodoriens, qui fut uns sains hons et fist le libre de penitanche. Et vacat li siege apres son decesse XIII jours ; puis fut consecreis pape li cardinal Martin, qui estoit evesque de Hostie, [II, p. 335] et fut li promier de cel nom, et fut de Tuscie de la citeit de Tudertine et tient le siege III ans II mois et VIII jours ; et Martin dist VI ans I mois et XXVIII jours.

[Martin, 77e pape de Rome] Cette année-là [642] mourut le pape de Rome Théodore Ier, qui fut un saint homme et composa le livre sur la pénitence. Après son décès, le siège fut vacant durant treize jours ; ensuite fut consacré pape le cardinal Martin, qui était évêque d'Ostie [II, p. 335] et qui fut le premier de ce nom. Il était Toscan, de la cité de Todi. Il occupa le siège trois ans, deux mois et huit jours ; Martin dit six ans, un mois et vingt-huit jours.

En cel an, en mois de julet, plovit-ilh si fort que li aighe corit par les cachies de Mes en Austrie IIII pies hault et plus.

Cette année-là au mois de juillet, il plut si fort que l'eau coulait dans les rues de Metz en Austrasie à une hauteur de plus de quatre pieds.

[De conte de Flandre] Item, l'an VIc et XLIII morut li conte de Flandre, Clotaire, qui avoit esteit li unc des freres le roy Dangobert de Franche ; si regnat apres li son fis Sigibers XV ans.

[Le comte de Flandre] En l'an 643 mourut Clotaire, le comte de Flandre, qui avait été un des frères du roi Dagobert de Francie ; après lui, son fils Sigebert régna durant quinze ans.

2. Les Sarrasins, ayant la Francie en vue, attaquent d'abord la Petite-Bretagne - Eswald, roi de l'endroit, est tué - Ses fils saint Josse et Judicaël

[II, p. 335] [L’an VIc et XLIIII - Des Espangnons le roy Sebustes] Item, l'an VIc et XLIIII assemblarent les Sarasins d'Espangne grans gens por venir en Franche ; si passarent parmy la petite Bretangne, et le commencharent à destruire. Mains ly roy Eswaldiens vient contre eaux à grant gens, si les corut sus et les desconfist ; si soy misent al fuyr, et li roy les suyt, si fist folie, car ilh fut pris et attrapeis et là meismes martyrisiet ; mains ilh fut de ses gens retroveis lendemain, si fut honorablement ensevelis. Puis fut roy son fis Judical, car sains Josse, qui estoit anneis, estoit en une heremitaige et avoit le siecle tout relenquit.

[II, p. 335] [L’an 644 - les Espagnols - le roi Sébuste] En l'an 644, les Sarrasins d'Espagne rassemblèrent de grandes forces pour venir en Francie ; ils passèrent par la Petite-Bretagne qu'ils commencèrent à dévaster (cfr II, p. 378). Mais le roi Eswald (cfr II, p. 288 et p. 306) marcha contre eux avec de nombreuses troupes, les attaqua et les vainquit. Ils se mirent alors à fuir. Le roi les suivit mais fit une folie, car il fut pris, attrapé et martyrisé sur place. Ses gens toutefois le retrouvèrent le lendemain et l'ensevelirent avec honneur. Puis son fils Judicaël lui succéda, car saint Josse, qui était l'aîné, vivait dans un ermitage et avait totalement renoncé au siècle (cfr II, p. 336)

3. Les Sarrasins attaquent ensuite l'Italie et Rome - Les Romains demandent l'aide du roi Sébuste de Gothie qui la leur accorde, puis part envahir l'Espagne, en principe pour la céder aux Romains, mais devant la traîtrise de ceux-ci, ils conservent pour eux leurs conquêtes

[II, p. 335] [L'an VIc et XLV] Adont soy rasemblarent les Sarasins, si entrarent en Ytaile où ilh destrurent le paiis et conquisent mult de citeis ; et portant que ly emperere estoit encors jovene, les Romans mandarent al roy de Gothie Sebustes que ilh les venist sorcorir. Et chis y vient à grant gens, si trovat les Sarasins devant Romme, et les corit sus l'an VIc et XLV en mois de may. Et là furent les Sarasins teilement desconfis, qu'ilh en fut ochis XLIIIm. Puis entrat ly roy Sebustes en Espangne, et y conquist mult de citeis que ilh mist en la subjection des Romans. Mains, quant ilh revient à Romme, les Romans li fausarent de son convenanche et ne le vorent pointe rechivoir com patris ; si en fut mult corochiés et les gueriat, et oussi ostat de leur subjection tout chu qu'ilh avoit conquis en Espangne.

[II, p. 335] [L'an 645] Alors les Sarrasins se rassemblèrent, pénétrèrent en Italie, où ils dévastèrent le pays et conquirent de nombreuses villes. Parce que l'empereur était encore jeune, les Romains demandèrent au roi de Gothie Sébuste (cfr II, p. 307 ; II, p. 330) de venir à leur secours. Celui-ci arriva avec de nombreuses forces, trouva les Sarrasins devant Rome et les attaqua en mai 645. Les Sarrasins subirent un tel massacre qu'ils comptèrent quarante-trois mille tués. Ensuite le roi Sébuste entra en Espagne et y conquit de nombreuses cités qu'il soumit aux Romains. Mais, quand il revint à Rome, les Romains trahirent leurs accords et ne voulurent pas le recevoir comme patrice. Il en fut très irrité, leur fit la guerre et libéra de leur soumission toutes les régions qu'il avait conquises en Espagne.

4. Divers :  Pape Martin Ier victime de l'empereur hérétique Constantin - Pape Eugène Ier (654-657) - Mort de saint Josse

[II, p. 335] [Chis qui wot ferir le pape avoiglat par myracle] En cel an meismes celebroit unc jour messe li pape Martin ; si vient là uns hons qui tenoit une espée traite, si volt le pape ochire ; mains Dieu y demonstrat myracle, car ilh perdit la lumiere de ses yeux.

[II, p. 335] [Un miracle rendit aveugle celui qui voulut frapper le pape] Un jour de cette même année, le pape Martin Ier célébrait la messe. Un homme arriva, brandissant une épée dégainée et voulut tuer le pape ; mais Dieu se manifesta par un miracle, car l'homme perdit la vue.

[Li pape condempnat les heretiques en concielh de Romme] Et chu faisoit faire l'emperere Constantin, qui decheus estoit des heresies Paulin, l'evesque de Constantinoble. Et ly pape assemblat adont à Romme unc concielhe de IIc evesques, où ilh condempnat tous les heretiques, et par especial le faux evesque Paulin, Thyriens et Sergiens et tous cheaux qui estoient de leur opinion, qui disoit qu'en Jhesu-Crist n'avoit une ne dois volenteis ou opinion.

[Le pape condamna les hérétiques au concile de Rome] Cette attaque se faisait sur ordre de l'empereur Constantin (ou Constant II, cfr plus haut), trompé par les hérésies de Paul, l'évêque de Constantinople. Le pape rassembla alors à Rome un concile de deux cents évêques, où il condamna tous les hérétiques, en particulier le faux évêque Paul, Cyrus, Sergius et ceux qui étaient de leur avis et disaient qu'en Jésus-Christ il n'y avait qu'une et non deux volontés ou opinions [ce sont les hérétiques monothélites].

[L’emperere fist morir li pape Martin en exhil] Quant l'emperere Constantin soit chu, si fist prendre le pape et [II, p. 336] meneir en exilhe en Crisone, où ilh morut al XIIIe jour qui fut le XIIe jour de mois de marche l'an deseurdit. De cesti pape Martin faite sainte Engliese la fieste le Xe jour de novembre.

[L’empereur fit mourir en exil le pape Martin] Quand l'empereur Constantin apprit cela, il fit arrêter le pape et [II, p. 336] et le fit mener en exil, en Chersonèse, où il mourut treize jours après, soit le douzième jour du mois de mars de l'an mentionné ci-dessus. De ce pape Martin, la Sainte-Église célèbre la fête le dix novembre.

[Eugenius li LXXVIIIe pape de Romme] Et vacat ly siege apres son decesse I mois et XXVII jours ; et puis fut consacreis Eugenius, li promier de cel nom, qui fut de la nation de Romme, de la region de Aventine, et tient le siege II ans I mois et trois jours ; et Martin dist II ans, VIII mois et XXII jours.

[Eugène, 78e pape de Rome] Après son décès, le siège resta vacant un mois et vingt-sept jours ; ensuite fut consacré Eugène, le premier de ce nom, qui était Romain, de la région de l'Aventin, et qui occupa le siège durant deux ans, un mois et trois jours ; Martin dit deux ans, huit mois et vingt-deux jours.

Item l'an VIc et XLVI morut sains Josse, le fis le roy de la petite Bretangne, qui en l'isle de Pontins avoit longtemps esteit heremite menant sainte vie.

En l'an 646 mourut saint Josse, le fils du roi de la Petite-Bretagne, qui avait longtemps été ermite dans l'île de Pontis où il menait une vie sainte. [Sur ce saint, cfr Wikipédia et sur cette île, cfr, en II, p. 234, l'exil et la mort du pape Silvère].

 


 

D. Ans 646-653 = Myreur, II, p. 336b-341a

 

Nombreux événements historiques concernant surtout le monde franc (un peu aussi les Perses)

 

1. Combats épiques entre Childéric II (mauvais roi d'Austrasie et de Neustrie) et Bertrand (duc d'Aquitaine, père de saint Hubert et de Eudes) - Saint Hubert pousse son père à se défendre contre les Francs - Défaite des Francs

2. Les excès de Childéric II de Francie à l'égard de ses barons et de ses sujets - Les succès de Childéric II en Gascogne et en Bretagne

3. Conflit entre la Papauté et l'empereur : Le pape Vitalien (657-672 n.è.), successeur d'Eugène Ier (654-657 n.è.), ainsi que les chrétiens, sont victimes des Sarrasins et des hérétiques (dont fait partie l'empereur Constantin)

4. Assassinat de Childéric II par le comte de Paris, Babulus, cousin du duc d'Aquitaine  - Son frère Thierry III, sorti de Saint-Denis, lui succède mais le pouvoir est exercé par le prévôt Leudesius, bientôt tué et remplacé par Ébroïn, sorti lui aussi de son abbaye. Ébroïn s'attaque à l'Église, à saint Léger et particulièrement à saint Lambert, évêque de Maastricht, exilé à Stavelot, et remplacé par un évêque intrus Pharamond, neveu d'Ébroïn

5. Divers : Perses et Sarrasins - Rapports variables entre le pape Vitalien et l'empereur

6. Pépin II, devenu prévôt et prince d'Austrasie, entre en guerre ouverte contre Ébroïn, prévôt de Neustrie - Le roi Thierry III et Ébroïn veulent la mort de Pépin, très apprécié par ailleurs - Statut des prévôts

En matière religieuse

Outre le conflit entre papauté et empereur et les attaques d'Ébroïn (cfr supra), évocation du pape Vitalien, de sainte Begge (Andennes) - L'Église souffre des Sarrasins et des hérétiques - Influence des conflits entre Perses et Byzantins sur l'attitude de l'empereur à l'égard de la papauté

 

1. Combats épiques entre Childéric II (mauvais roi d'Austrasie et de Neustrie) et Bertrand (duc d'Aquitaine, père de saint Hubert et de Eudes) - Saint Hubert pousse son père à se défendre contre les Francs - Défaite des Francs

[II, p. 336b] [Grant gerre entre le roy de Franche Hildrich et Bertran, le duc d’Acquitaine] En cest an mandat ly roy Hildrich de Franche al duc Bertran d'Acquitaine que, jasoiche que ilh fust issus de la royal lignie de Franche, si devoit-ilh tenir sa terre del roy de Franche ; et ly mandat que ilh venist releveir sa terre et faire à ly homaige. Quant Bertran entendit chu, se li remandat que jà ne tenroit plain piet de terre de Franche, si forche ne li faisoit faire, car ilh ne le devoit ne de droit ne de loy.

[II, p. 336b] [Grande guerre entre le roi de Francie Childéric II et Bertrand, le duc d’Aquitaine] Cette année-là (646), le roi Childéric de Francie fit savoir au duc Bertrand d'Aquitaine, que, bien qu'issu de la lignée royale de Francie, il devait détenir sa terre du roi de Francie. Il lui demanda de venir relever sa terre et lui rendre hommage. Quand il entendit cela, Bertrand lui fit savoir que jamais il ne détiendrait un pied de terre de Francie, s'il n'y était pas contraint de force, car ni le droit ni la loi ne le lui imposaient.

[Les Franchois furent desconfis pluseurs fois en Acquitaine] Atant assemblat li roy Hildrich ses hommes, et vient en Acquitaine la terre destruire ; mains ly dus vient encontre luy et le corut sus, et le desconfist cel fois et l'autre apres teilement, que pies en valit Franche XX ans là apres.

[Les Francs furent maintes fois défaits en Aquitaine] Alors le roi Childéric II rassembla ses hommes et se rendit en Aquitaine, pour dévaster le territoire ; mais le duc se porta à sa rencontre et l'attaqua. Il le battit cette fois-là, et une autre fois encore, à un point tel que la Francie en pâtit pendant vingt ans.

[Le roy Hildrich fist mult de mals à ses gens] Ceste desconfiture fist ly roy Hildris compareir à ses hauls barons, car ilh les commenchat mult à despletier et estre fels et crueux, et soy fist fortement haïr de tous grans et petis commonement. Adont rasemblat encor ly roy Hildrich grans gens, et s'en vat en Acquitaine et le commenchat à destruire. Et ly dus Bertran, qui estoit li miedre chevalier de monde à son temps, estoit sy enchanteis qu'ilh ne soy movoit nullement, com ilh fut mors.

[Le roi Childéric II fit beaucoup de torts à ses propres sujets] Cette déconfiture, le roi Childéric la fit payer à ses hauts barons : il se mit à les mépriser, à se montrer violent et cruel, se faisant fortement haïr par tous, grands et petits. Il rassembla encore beaucoup d'hommes et se rendit en Aquitaine qu'il commença à dévaster. Et le duc Bertrand, qui de son temps était le meilleur chevalier du monde, était comme envoûté, au point de ne pas bouger, comme s'il était mort.

[De sains Hubers] Adont vient Hubers, son fis, à ly et le reprist mult de chu qu'ilh faisoit, et ly dest : « Sires, vous resembleis le ribaut qui rostit la char, si soy prent à mangier ; rien n'acompteis à vostre paiis, quant chis faux roy vos art et gastée : chevalchiés contre luy, vostre forche croiste toudis et n'espargniés nulle riens. Ilh est en vostre paiis sens prendre congier, se le cachiés hours. » Quant li duc oit entendut Hubers, se li at dit : « Beal fis, por l'amour de toy ilh auront bien toste la joste. »

[Saint Hubert] Alors son fils Hubert vint vers lui, lui reprocha beaucoup son attitude et lui dit : « Sire, vous ressemblez au scélérat qui rôtit la viande et se met à la manger ; vous ne faites aucun cas de votre pays, au moment où ce roi fourbe l'incendie et le détruit : chevauchez contre lui, que votre force augmente toujours, et n'épargnez rien. Il est dans votre pays sans aucun droit ; poussez-le dehors. » Quand le duc eut entendu Hubert, il lui dit : « Beau fils, grâce à toi, ils auront bientôt à combattre. »

Atant fait Bertran ses gens armeir, et si s'en vat [II, p. 337] et corut sus les Franchois ; là oit maintes targes fendues, mains espires ros, mains haymes frossiés et mains hommes abatus, ochis ou navreis. Adont ly dus Bertran s'en vat par la batalhe, et ochioit gens à fuison : ilh at ochis Otton de Pirelee, si le fendit jusqu'en pis ; et puis at ochis Ebron, le conte d'Avergne. Et li roy Hildrich at ochis Griffon de Potiers, et le prevoste de Franche at ochis Engorans de Tolouz, et finablement ly roy Bertran ferit le roy Hildrich teilement amont son hayme, qu'ilh li coupat l'oreille et le jettat à terre.

Alors Bertrand fit armer ses gens et s'en alla [II, p. 337] attaquer les Francs ; là nombreux furent les boucliers fendus, nombreuses les lances rompues, nombreux les heaumes froissés et nombreux les hommes abattus, tués ou blessés. Le duc Bertrand passa à travers le champ de bataille et tua des gens à foison : il tua Othon de Pirelée, en le pourfendant jusqu'à la poitrine ; après, il tua Ebron, le comte d'Auvergne. Le roi Childéric, lui, tua Griffon de Poitiers et le prévôt de Francie (Leudesius ; cfr II, p. 322 et p. 339) tua Enguerrand de Toulouse (cfr II, p. 289). Finalement le roi Bertrand frappa le roi Childéric en haut de son heaume au point qu'il lui coupa l'oreille et le jeta à terre.

[Franchois sont desconfis] Adont furent les Franchois desconfis, car ly roy s'enfuit ; chu les desconfist. Et fut là mort des Franchois Gontrans li sires de Castiel, Renuart de Mirabel, Tybal, Angelin et Gaufroit, freres de Ghistel, Andrier le conte de Lovay, Johan ly sires de Cidion, Ermefrois de Beawaux, sires Buchart d'Orliens, Engoran de Bolongne, Symon d'Amyens et Guys de Sens, tous prinches, et bien awec XLm hommes. Et de la partie de cheaux d'Acquitaine furent mors XI prinches et XIm hommes.

[Les Francs sont vaincus] Les Francs furent défaits, car leur roi s'enfuit, ce qui les abattit. Parmi les Francs moururent Gontran, le seigneur de Castiel, Renouart de Mirabel, les frères Thibaut, Angelin et Geoffroy, frères de Ghistel, André comte de Louvain, Jean seigneur de Cidion, Hermanfroi de Beauvais, les seigneurs Bouchart d'Orléans, Enguerrand de Boulogne, Simon d'Amiens et Guy de Sens, tous princes, et avec eux au moins quarante mille hommes. Du côté des Aquitains, onze princes et onze mille hommes trouvèrent la mort.

2. Les excès de Childéric II de Francie contre ses sujets et ses barons - Ses conquêtes en  Gascogne et en Bretagne

[II, p. 337] Adont ly roy Hildrich s'en alat sorjourneir à castel de Corbaine, XV jours, por son orelh garir, et puis ilh revient à Paris ; si fut degabbeis et escarnis des femmes qui avoient perdut leurs maris ; et dissoient qu'ilh avoit faite sicom uns falis roy, qui estoit fuys en voie, et avoit ses gens lassiet ochier en la batalhe.

[II, p. 337] Alors le roi Childéric alla séjourner durant quinze jours au castel de Corbaine, pour soigner son oreille. Puis il revint à Paris, où il fut décrié et tourné en ridicule par les femmes qui avaient perdu leurs maris. Elles disaient qu'il avait agi comme un roi manquant à ses devoirs, en s'enfuyant et en laissant massacrer ses gens dans la bataille.

[Hildrich fist decapiteir XXX des nobles] De chu oit ly roy si grant despit, qu'ilh fist seriment qu'ilh en prenderoit crueux venganche, et ilh soy dest voir, car ilh fist decapiteir XXX de plus poissans de Paris, dont ons commenchat grandement à murmureir.

[Childéric fit décapiter XXX nobles] Tout cela provoqua chez le roi un si grand ressentiment qu'il fit le serment de se venger cruellement. Et il disait vrai, car il ordonna de décapiter trente des hommes les plus puissants de Paris, ce qui provoqua de grandes protestations.

[Hildrich fist battre le conte de Paris] Adont li conte de Paris qui oit nom Badulus, cusins al duc d'Acquitaine, estoit entre les hauls barons ; si parloit de la disconfiture et ablasmoit fortement le roy ; et dest que chu avoit-ilh faite. Là estoit Guys de Sains-Omeir, li camberlains le roy, qui dementit Baudelin le conte qui fut de chu corochiet ; si ferit d'on baston qu'ilh tenoit Guyon. Chis s'en plandit à roy, qui fist le conte prendre unc jour, et le fist devestir et bien battre de scorgiers (fouets] où ilh avoit des aguilhons, et puis le butat enssi hours de son palais.

[Childéric fit battre le comte de Paris] Le comte de Paris, nommé Badulus et cousin du duc d'Aquitaine, faisait partie des hauts barons. Il parlait de la défaite et blâmait fortement le roi, disant que c'était lui qui l'avait provoquée. Là se trouvait Gui de Saint-Omer, le chambellan du roi, qui contredit le comte Badulus. Celui-ci en fut très fâché et frappa Gui d'un coup de bâton. Le chambellan se plaignit au roi, qui fit un jour attraper le comte, le fit dévêtir, battre de fouets garnis d'aiguillons et jeter dans cet état hors du palais.

Adont mandat li conte ses amis lendemain, car ilh estoit des plus grans de Franche, et soy plandit à eaux ; et ses amis juront del greveir le roy quant ilh poroient. Dont ly roy soy doubtat mult, quant ilh le soit, si s'aparelhat et montat à cheval, si s'en allat vers Austrie ; et puis [II, p. 338] soy avisat, si alat à Soison, tant que chis forfait fust oblieit de la bature.

Alors, le lendemain, le comte convoqua ses amis, car il faisait partie des personnages les plus grands de Francie, et se plaignit devant eux ; ses amis jurèrent de faire tort au roi quand ils le pourraient. Quand il le sut, le roi eut très peur, s'équipa et monta à cheval, et partit pour l'Austrasie ; puis [II, p. 338] il se ravisa et alla à Soissons, pour attendre que cet épisode de la bastonnade soit oublié.

[L'an VIc et XLVII. Des victoire Hildrich] Item, l’an VIc et XLVII assemblat ly roy Hildrich grans gens, si entrat en Gascongne, sy y conquist mult de paiis et y oit des belles victoires contre ses anemis, si revient sorjourneir en palais à Duay. Et puis envoiat ses messagiers en Bretangne, et mandat aux Bretons qu'ilh soy rendissent à ly et sens attendre, ou ilh yroit sour eaux. Adont vient à luy li roy Judical, si li donnat grans presens et mist en sa main son rengne et li fist homaige, et ly roy le rechut.

[L'an 647. Des victoires de Childéric] En l'an 647, le roi Childéric rassembla de nombreuses forces, pénétra en Gascogne, où il conquit beaucoup de territoires et remporta de belles victoires contre ses ennemis. Il vint ensuite séjourner dans un palais à Douai. Puis il envoya des messagers en Bretagne et ordonna aux Bretons de se soumettre à lui sans attendre, sinon il marcherait contre eux. Alors le roi Judicaël vint vers Childéric, lui offrit de grands présents, mit son royaume en ses mains et lui rendit l'hommage qu'il accepta [suite de l'histoire deux notices plus loin].

3. Conflit entre la Papauté et l'empereur : le pape Vitalien (657-672 n.è.) qui a succédé à Eugène Ier (654-657 n.è.), ainsi que les chrétiens, sont victimes des Sarrasins et des hérétiques (dont fait partie l'empereur Constantin)

[II, p. 338] [Vitaliens, ly LXXIXe pape] En cel an le XIIe jour de junne morut Eugeine, li pape de Romme, et fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire. Apres son decesse vacat li siege I mois et III jours, et puis fut consacreis à pape de Romme Vitaliens, li LXXIXe pape, qui fut de la nation de Campangne -- si oit nom son paire Anastaise -- lyqueis tient le siege IX ans II mois et IX jours. Et Martin dist XIIII ans et VI mois, et I altre IX ans, VI mois.

[II, p. 338] [Vitalien, 79e pape] Cette année-là [647], le douze juin mourut Eugène, le pape de Rome, qui fut enseveli dans l'église Saint-Pierre. Après son décès, le siège resta vacant un mois et trois jours ; puis Vitalien fut consacré comme 79e pape de Rome ; il était originaire de Campanie et son père s'appelait Anastase. Il occupa le siège pendant neuf ans, deux mois et neuf jours. Martin dit quatorze ans et six mois, et un autre neuf ans et six mois.

[L’an VIc et XLVIII - Ly engliese at asseis à souffir par Sarasiens et par les heretiques - L’emperere faisoit ochire les cristiens et dispulhoit les englieses de Romme] Sour l'an VIc et XLVIII entrarent les Sarasins en Affrique, si destrurent sens nombre d'englieses et de citeis. Et oit adont li engliese asseis à souffrir en ches parties là ; et enssi orent asseis affaire les cristiens à Romme, car Constantin, l'emperere heretique, vient à Romme et si oistat tous les nobles joweals et aournemens qui par la citeit estoient ordineis, si les fist porteir awec ly en Sizile où ilh habitoit ; et faisoit mettre à mort tous les bons cristiens, qui à ses heresies ne sy voloient ahierdre.

[L’an 648 - L'Église eut beaucoup à souffrir des Sarrasins et des hérétiques - L’empereur faisait tuer les chrétiens et dépouillait les églises de Rome] En l'an 648, les Sarrasins pénétrèrent en Afrique et détruisirent des églises et des cités sans nombre. À cette époque, l'église eut beaucoup à souffrir dans ces régions-là. À Rome aussi, les chrétiens eurent beaucoup à supporter, car Constantin, l'empereur hérétique, vint dans la ville et enleva tous les joyaux et ornements précieux rangés dans la cité. Il les fit emporter avec lui en Sicile, où il habitait. Il faisait mettre à mort tous les bons chrétiens, qui ne voulaient pas adhérer à ses hérésies.

4. Assassinat de Childéric II par le comte de Paris, Badulus - Son frère Thierry III , sorti de Saint-Denis, lui succède mais le pouvoir est exercé par le prévôt Leudesius, bientôt tué et remplacé par Ébroïn, sorti lui aussi de son abbaye. Ébroïn s'attaque à l'Église, à saint Léger et particulièrement à saint Lambert, évêque de Maastricht, exilé à Stavelot, et remplacé par un évêque intrus Pharamond, neveu d'Ébroïn

[II, p. 338] [Ly roy Hildrich fut ochis par Badulin - L’an VIc et XLIX] - En cel an fut racompteit à roy Hildrich que Baudelin li conte de Paris, avoit mandeit grant gens, si voloit venir assegier le roy en Soison. Quant ly roy entendit chu, se dest qu'ilh s'en riroit en Austrie, si montat tantost et s'en alat à privée maisnie, enssi com ilh alast cachier al bois, et sa femme awec ly. Et quant Baudelin le soit, ilh assemblat de ses amis et vient parmy le bois où li roy devoit passeir, et le ratendit illuc, et l'ochist et sa femme awec qui estoit enchainte. Enssi prist la venganche de la vilonnie que ly roy li avoit faite, l'an VIc et XLIX en mois de jule.

[II, p. 338] [Le roi Childéric fut tué par Badulus - L’an 649] Cette année-là, on raconta au roi Childéric que Badulus, le comte de Paris, avait rassemblé de grandes forces pour aller assiéger le roi à Soissons. Quand il apprit cela, le roi se dit qu'il retournerait en Austrasie. Il prit aussitôt sa monture et, avec un petit groupe, se mit en route comme pour aller chasser dans les bois, accompagné de son épouse. Quand Badulus apprit cela, il rassembla ses amis, gagna le bois par où devait passer le roi et l'y attendit. Il le tua, lui ainsi que sa femme qui était enceinte. C'est ainsi que Badulus, en juillet 649, se vengea de l'affront du roi à son égard. [Mort de Badulus en II, p. 342.]

[Sains Lambers fut dolans del mort Hildrich] De la mort le roy Hildrich ne fut nus corochiés, por sa felonie, fours que sains Lambers qui en fut mult dolans, quant ilh le soit ; et ilh ly avoit bien blameit del prendre le rengne de son frere.

[Saint Lambert regretta la mort de Childéric] Personne ne fut fâché de la mort du roi Childéric, vu sa félonie, sauf saint Lambert, qui fut très affligé quand il l'apprit. Il l'avait pourtant bien blâmé (on s'en souvient (cfr II, p. 331) d'avoir pris le royaume de son frère.

[Thyris li XVIIIe roy de Franche, qui estoit moyne à Sains-Denis par devant] Puis ont les Franchois pris et oyut [II, p. 339] conselhe entre eaux de faire unc roy ; si sont accordeis à chu que ilh rapelleront le roy Thyris, qui estoit moynes et l'avoit esteit XII ans à Sains-Denis. Et enssi fut-ilh faite. Et fut Thyris coroneis roy de Franche le XVIIIe, et XXV ans tous acomplis ilh regnat, sicom roy d'Austrie et de Neustrie. Mains portant que ilh estoit asseis simple, se ly fut substrais la poioir que les Franchois avoient jadit donneit al roy Hildrich, son frere. Et ne soy ensongnoit de nullus songnes, fours que de son corps à honnoreir et à aisier, se chu n'estoit par le consentement de son prevoste.

[Thierry, 18e roi de Francie, après avoir auparavant été moine à Saint-Denis] Après, les Francs se consultèrent [II, p. 339] et décidèrent de nommer un roi ; ils furent d'accord pour rappeler le roi Thierry III, qui était moine à Saint-Denis depuis douze ans (cfr II, p. 331). Et cela se passa ainsi. Thierry fut couronné comme 18e roi de Francie, et il régna 25 ans accomplis comme roi d'Austrasie et de Neustrie. Mais, du fait qu'il était plutôt simple (d'esprit), il se vit retirer le pouvoir que les Francs avaient jadis attribué au roi Childéric II, son frère. Désormais, il ne devait se préoccuper, si ce n'était avec le consentement de son prévôt, de rien d'autre que de soigner son corps et de prendre du bon temps.

[Ebroien l’apostate issit de l’abbie, et fut refais prevoste] Et quant Ebroien soit que ly roy Hildrich estoit mors et que Thyris estoit refais roy, si issit de l’abbie et revient en Francie ; et fist tant par son malisce, dont ilh estoit tou plains, qu'ilh mourdrit le prevotte Leudesiens, et fist tant par dons et par promesses, qu'ilh fut remis en la prevosteit de Franche com devant.

[Ébroïn l’apostat sortit de l’abbaye et redevint prévôt] Lorsque Ébroïn apprit que le roi Childéric était mort et que Thierry III était redevenu roi, il sortit de son abbaye et revint en Francie. Et, usant de la méchanceté qui l'habitait, il finit par assassiner le prévôt Leudesius (cfr II, p. 332) et, à force de dons et de promesses, il redevint prévôt de Francie, comme auparavant.

[Ebroien travalhat mult sainte engliese] Adont fut-ilh piour que ilh n'avoit onques esteit, et travalhat plus sainte Engliese. Et promierement ilh commenchat à sains Ligiere, evesque de Huscien, car ilh le fist mettre en prison sens cause par sa grant crualteit.

[Ébroïn fit beaucoup de tort à la Sainte-Église] Alors il se montra pire qu'il n'avait jamais été et malmena davantage la Sainte-Église. En premier lieu, il s'en prit à saint Léger, évêque d'Autun, car il le fit mettre en prison, sans aucune raison, si ce n'est sa grande cruauté.

[Ebroien assemblat I conciel par lequeile ilh ochist sains Ligiere et exilhat sains Lambers, etc.] Item, l'an VIc et L ennortat à chu Ebroien le roy Thiry, qu'ilh assemblat unc concielhe des evesques et des archevesques ; et chu faisoit Ebroien, portant qu'ilh voloit prendre venganche de cheaux qui avoient esteit de conselhe le roy Hildrich.

[Ébroïn rassembla un concile à la suite duquel il mit à mort saint Léger et exila saint Lambert, etc.] En l'an 650, Ébroïn poussa le roi Thierry III à rassembler un concile d'évêques et d'archevêques. Il faisait cela parce qu'il voulait se venger de ceux qui avaient fait partie du conseil du roi Childéric.

[Sains Lambers fut envoiet en exilhe à Stavelo, et Pharamons tient le siege] Si furent pluseurs evesques envoiés en exilhe et pluseurs priveis de leurs evesqueit, entres lesqueis sains Lambers fut priveis del evesqueit de Tongre ; si s'en alat à Stavelo VII ans reclus deleis sains Remacle, qui encor vivoit et menoit là mult sainte vie. Et ly roy Thyris mist uns altre evesque en son siege, qui oit nom Pharamons, qui fut I mal trahitre, fis de la soreur Ebroien ; mains portant que ilh estoit instruis par forche et violenche en siege, ilh ne lut onques compteit ne mis en nombre des evesques de Tongre.

[Saint Lambert fut envoyé en exil à Stavelot, et Pharamond occupa le siège] Un certain nombre d'évêques furent envoyés en exil et privés de leurs évêchés. Parmi eux, saint Lambert fut écarté de l'évêché de Tongres. Il s'en alla à Stavelot, vivant reclus sept ans durant, auprès de saint Remacle, qui vivait encore et menait une sainte vie. Le roi Thierry installa sur le siège (de Tongres) un autre évêque, nommé Pharamond. C'était le fils de la soeur d'Ébroïn. Il fut un traître mauvais ; cependant parce qu'il avait été introduit par la force et la violence sur le siège épiscopal, il ne fut jamais compté au nombre des évêques de Tongres.

[Ebroien fist apres le concielhe mult de mals, ilh fist ochire sains Ligiers] Apres le concielhe commenchat Ebroien à faire tant de mals, que cascons le dobtoit ; car ilh faisoit à l'unc creveir les yeux, à l'autre coupeir la langue ou les pongnes, et faisoit tant de mals qu'ilh estoit haiis de cascons.

[Après le concile, Ébroïn fit beaucoup de mal, notamment la mise à mort de saint Léger] Après ce concile, Ébroïn se mit à faire tant de mal que chacun le redoutait. Il faisait crever les yeux de l'un, couper la langue ou les poignets de l'autre et causait tant de malheurs qu'il était détesté de tout le monde.

[L’an VIc et LI] Item, l'an VIc et LI fist Ebroien traire fours de prison sains Ligiers, puis li fist les II yeux creveir d'on chaut fier, et coupeir la langue et les lebbes de sa bouche, et puis le fist decolleir. Enssi fut li sains evesque martyrisiés.

[L’an 651] En l'an 651, Ébroïn fit sortir de prison saint Léger, lui fit crever les deux yeux avec un fer chaud,  couper la langue et les lèvres, puis le fit décapiter. C'est ainsi que le saint évêque fut martyrisé. [Pour la suite d'Ébroïn, cfr II,  p. 340]

5. Divers : Perses et Sarrasins - Rapports variables entre le pape Vitalien et l'empereur

[II, p. 340] [Les Persiens ont desconfis les Romans] En cel an entrarent les Persiens en la terre de Sizilhe, si le degastarent laidement. Et quant l'emperere Constantin le soit, si assemblat ses hommes, si oit batalhe sour mere à eaux ; mains les Romans furent desconfis, et adont vinrent les Sarasins tantost à terre, si entrarent en Greche et le commencharent à destruire.

[II, p. 340] [Les Perses ont défait les Romains] Cette année-là, les Perses pénétrèrent sur le territoire de Sicile qu'ils dévastèrent affreusement. Quand l'empereur Constantin le sut, il rassembla ses hommes et leur livra bataille sur mer. Les Romains furent battus. Alors les Sarrasins débarquèrent aussitôt, entrèrent en Grèce et se mirent à la ravager.

[Li pape ordinat les chans des Romans] Item, l'an VIc et LII ordinat li pape Vitalien les chans de musique que les Romans usent, se les mist en accors et en ordenne, et puis les envoiat par ses messagiers en Greche à l'emperere, et li mandat, solonc l'usaige qui adont estoit à Romme, comment ilh avoit chu ordineit. Et ly emperere si le rechut reveremment, car ilh estoit adont plus piteux que les altres fois, portant que les Sarasins ly gastoient son paiis, et ne les oisoit assalhir.

[Le pape mit de l'ordre dans les chants des Romains] En l'an 652, le pape Vitalien s'occupa des chants propres aux Romains, les mettant en ordre et les accordant les uns avec les autres. Ensuite, il les envoya par des messagers en Grèce, à l'empereur, en lui faisant savoir qu'il les avait arrangés selon l'usage existant à Rome. L'empereur accepta cela avec respect, se montrant cette fois plus pieux que d'autres fois, parce que les Sarrasins dévastaient son pays et qu'il n'osait pas les attaquer.

Adont renovelat et raprovat ly emperere tous les privileges de Romme, et les cargat aux messagiers, et awec chu les saintes ewangeiles, qui toutes estoient escriptes d'or et aourneez de pieres precieux, que ly emperere envoiat à l'engliese Sains-Pire à Romme, affin qu'ilh li donnast victoire. Chu raportarent les messagiers, et li emperere assemblat ses gens, si corut sus les Sarasiens valhamment ; si oit victoire, et furent les Persiens desconfis et en fut ochis XVI milhe.

Alors l'empereur renouvela et approuva tous les privilèges de Rome. Il confia aux messagers les documents correspondants, ainsi que les saints évangiles, écrits complètement en lettres d'or et ornés de pierres précieuses. L'empereur les envoya à l'église Saint-Pierre de Rome, afin d'obtenir la victoire. Les messagers, à leur retour, firent leur rapport à l'empereur. Alors celui-ci rassembla ses troupes et attaqua vaillamment les Sarrasins. Il fut victorieux, les Perses furent battus et seize mille d'entre eux furent tués.

Mains, apres chest victoire, fut l'emperere plus perverse c'onques n'avoit esteit devant, et degastat mult sainte Engliese dedont en avant, et chu qu'il prendoit aux aultres englieses et citeis ilh l'envoioit toute en Constantinoble.

Mais, après cette victoire, l'empereur se montra plus pervers qu'il ne l'avait été auparavant, et dorénavant mit gravement à mal la Sainte Église, envoyant à Constantinople tout ce qu'il prenait dans les autres églises et les cités.

6. Pépin II, devenu prince et prévôt d'Austrasie, après la mort d'Anségisel, entre en guerre ouverte avec Ébroïn, prévôt de Neustrie - Le roi Thierry III et Ébroïn veulent la mort de Pépin, très apprécié par ailleurs - Statut des prévôts

[II, p. 340] [L’an VIc et LIII - De sainte Beghe - De Pipin et Ebroien]] Sur l'an VIc et LIII morut Ansegis, ly fis sains Arnus, qui estoit prinche et prevoste d'Austrie, et estoit maris à sainte Beghe. Apres le mort Ansegis, fut esluys en le royalme d'Austrie prevoste et prinche Pipin, le fis Ansegis, et il l’acceptat.

[II, p. 340] [An 653 - Sainte Begge - Pépin et Ébroïn] En l'an 653 mourut le fils de saint Arnould, Anségisel (cfr II, p. 329) qui était prince, prévôt d'Austrasie et époux de sainte Begge. Après la mort d'Anségisel, Pépin (le Gros), son fils, fut élu prévôt et prince d'Austrasie, titre qu'il accepta.

Sur le personnage d'Anségisel, cfr II, p. 306, p. 322, p. 324, p. 329 et p. 451.

 Mains Ebroien, li prevoste de Franche, li mandat que ilh en ostast sa main et le donnat unc sien frere c'on nommoit Brodeal ; mains oussitoist qu'ilh vient à Mes, Pipin l'ochist. Adont fut Ebroien corochiés, si le rendit à son aultre frere, qui oit nom Walfoans. Mains chis ly dest qu'ilh ne l'acceptroit mie, jusqu'à tant qu'ilh l'auroit mis en pasieble possession ; car Pipin estoit unc noble chevalier, et qui plus de chevaliers avoit en son linaige que li roy de Franche.

Mais Ébroïn, le prévôt de Neustrie, lui fit dire d'abandonner cette charge et de l'attribuer à un de ses frères, nommé Brodiach (cfr II, p. 331) ; mais dès que Brodiach fut arrivé à Metz, Pépin le tua. Ébroïn fut fâché et donna alors la charge à un autre de ses frères, nommé Walfoan (cfr II, p. 331), qui lui dit qu'il ne l'accepterait que s'il pouvait l'occuper dans la paix ; car Pépin était un noble chevalier et comptait dans son lignage plus de chevaliers que le roi de Neustrie.

Brodiach et Walfoan : On a vu plus haut (cfr II, p. 331) que ces deux frères d'Ébroïn étaient des personnages inventés (des « Faux Mérovingiens »)

Adont mandat Ebroien ses amis, car à chu ne fut de riens aidiés des Franchois, et fist son assemblée à Huy. Et Ebroien estoit yssus de gran sanc, sicom j'ay desus deviseit. Ebroien soy plaindit à ses amis de Pipin qui ly avoit ochis son frere, et avoit [II, p. 341] le privosteit d'Austrie accepteit contre la volenteit de roy Thyri. Et tant dessent entre eaux les amis, qu'ilh fut conclus qu'ilh prenderoient venganche de Pipin ; sy assemblarent leurs gens et alerent contre Pipin.

Alors Ébroïn - nullement aidé dans cette affaire par les Francs - convoqua ses amis et réunit une assemblée à Huy. Ébroïn, comme je l'ai dit ci-dessus, était issu d'un sang très noble. Il se plaignit à ses amis de Pépin qui avait tué son frère et [II, p. 341] accepté la prévôté d'Austrasie contre la volonté du roi Thierry. Les amis discutèrent beaucoup entre eux pour conclure qu'ils se vengeraient de Pépin : ils rassemblèrent leurs gens et marchèrent contre Pépin.

[Pipin desconfist Ebroien] Et Pipin vient contre eaux qui les corut sus à bon visaige et si les desconfist, et fut là mors Walfaons, le frere Ebroien, qui devoit estre prevoste d'Austrie ; et oit Ebroien coupeit son neis et l'orelhe senestre et tout la fache de chi costeit, sique ons veioit ses dens tous nus dedont en avant tous les jours de sa vie.

[Pépin défit Ébroïn] Pépin marcha contre eux, les attaqua à visage découvert et les défit. Walfoan, le frère d'Ébroïn, qui devait être prévôt d'Austrasie, mourut au combat. Ébroïn eut le nez coupé, ainsi que l'oreille gauche, et tout un côté du visage au point qu'après cela, jusqu'à la fin de sa vie, ses dents apparaissaient entièrement découvertes.

 Et quant Ebroien fut revenus à Paris, si soy plaindit al roy Thyri de Pipin, et de chu prist ly roy Thyri Pipin en grant hayme, et queroient tousjours ly roy et Ebroien ocquison de ly mettre à mort.

Ébroïn, revenu à Paris, se plaignit de Pépin au roi Thierry III, qui dès lors prit Pépin en grande haine. Désormais, Ébroïn et lui cherchèrent toujours une occasion de mettre Pépin à mort. [suite d'Ébroïn, II, p. 342]

Développement : La bataille dont il vient d'être question eut lieu en 680 de notre ère dans les circonstances suivantes. Ébroïn, maire du palais de Neustrie, veut également contrôler la mairie d'Austrasie. Pépin II et les Austrasiens ne se laissent pas faire. Ils prennent les armes, mais sont battus en 680 n.è. par Ébroïn et les Neustriens à la bataille du Bois-du-Fays près de Laon (aujourd'hui Laffaux). En fait l'assassinat d'Ébroïn en 681/682 n.è. (cfr II, p. 345) va modifier le rapport des forces. Après quelques années, en 687, Pépin va lancer ses troupes contre les Neustriens, contre Berchaire, alors maire du palais et contre le roi Thierry III. C'est la bataille de Tertry (Testri-sur-Omignon, dans la Somme, en Vermandois), non loin de la frontière entre les deux regna (cfr II, p. 345-346). Cette fois, les Neustriens sont vaincus. Le roi Thierry tombe entre les mains de Pépin de Herstal. Celui-ci le prive totalement de tout pouvoir de décision et l'oblige à le suivre en Austrasie. Pépin II, désormais maître de l’ensemble du royaume, prend le titre de prince des Francs sous l’autorité fictive de Thierry III, qui mourra quelques années plus tard en 691, à l’âge de 34 ans. En Neustrie, pour diriger les affaires, Pépin a placé de ses fidèles, notamment un certain Robert, puis Grimoald, son second fils. C'est le moment où les maires du palais sont devenus beaucoup plus que de simples administrateurs, mais ils n'osent pas encore prétendre au titre de roi. C'est l’auteur du Liber Historiae Francorum (ch. 48, p. 165, trad. Lebecq, 2019) qui donne à Pépin le titre de « prince » (princeps) »

Et se alcuns demandoit comment Pipin poioit tenir cette sengnorie contre la volenteit de roy, je diroy, et este veriteit, sicom je altre fois dit, que la sengnorie tant de Franche com d'Allemangne, assavoir d'Austrie et de Neustrie, alloit de heure à heure ; mains quant ilh estoit esqueuwe à I baron depart son peire, et ilh venist unc chevalier si poissans qu'ilh posist cheli encachier, ilh le conquestoit et estoit prevoste, et ly altre le perdoit ; mains que les barons del paiis s'acordassent à chu, et altrement nient. Et ilh estoit esqueuwe à Pipin depart son peire Ansegis, et si estoit sy bien ameis des barons del paiis, que nus ne l'en posist osteir ; et sy l'avoient esluys les barons d'Austrie, auxqueis li election apartenoit.

Et si quelqu'un demandait comment Pépin pouvait détenir cette seigneurie contre la volonté du roi, je dirais, et c'est la vérité - je l'ai dit précédemment - que la seigneurie de Francie comme celle d'Allemagne, c'est-à-dire de l'Austrasie comme de la Neustrie, passait d'héritier à héritier. Mais quand elle était échue à un baron par son père et qu'arrivait un chevalier assez puissant pour le chasser, il s'en emparait et devenait son prévôt, tandis que l'autre perdait la charge. Mais il fallait pour cela que les barons du pays soient d'accord. Autrement ce n'était pas possible. En l'espèce, la seigneurie était échue à Pépin de par son père Anségisel, et les barons du pays l'aimaient tellement que personne ne pouvait la lui ôter ; et de plus il avait été élu par les barons d'Austrasie, à qui appartenait l'élection.


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