Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 391b-399a - ans 687-696

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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Ans 687-696

CHARLES MARTEL ET EUDES D’AQUITAINE (ses fils légitimes et ses fils bâtards) - RAINFROI - DAGOBERT III - CLOTAIRE IV - CHILPÉRIC II - CHILDEBERT III- PAPAUTÉ (Jean VII, Sisinnius, Constantin I, Grégoire II) - EMPEREURS BYZANTINS (Justinien II, Léonce II) - SAINT HUBERT - ÉGLISE DE LIÈGE - GUIBART, ROI DE FRISE - RAIMBAUD LE GÉANT - LES SARRASINS D’ESPAGNE (en Navarre et en Francie) - SAINT COLOMBAN

Myreur, II, p. 391b-399a

 

A. Ans 687-691 = Myreur, II, p. 391b-394b : L'essentiel est consacré à l'histoire de Charles Martel, à ses guerres et à ses victoires (notamment contre Rainfroi, contre les Frisons, en Souabe, contre Eudes d'Aquitaine, à Athènes) - On est à l'époque du roi Dagobert III, qui succède à Childebert III - Il est aussi question de trois papes (Jean VII, Sisinnius et Constantin Ier) et, dans le monde byzantin, de la mort de l'empereur Tibère III et de son successeur Justinien II - Celui-ci  envoie ses salutations et des cadeaux à Charles Martel

B. Ans 692-694 = Myreur, II, p. II, p. 395b-396 : Charles Martel distribue terres et titres à ses meilleurs chevaliers (Mohelin, Arnoul, Guy Dambelit), qui construisent des châteaux - Leurs terres furent ensuite annexées à l'Église de Liège et saint Hubert fit d'eux des avoués au service de cette Église - Saint Hubert crée six clercs  pour servir à table les chanoines de Saint-Lambert - Mort de Clotaire - Son fils et successeur, Childebert, organise un concile d'évêques où Charles destitue Rigobert de Reims et Eucher d'Orléans - Retour d'Eudes, allié au roi de Compostelle et à ses Sarrasins, qui reconquiert l'Aquitaine et pénètre en Francie - Dans la bataille, les Francs sont d'abord mis à mal, mais les prouesses de Charles sauvent la mise - Eudes fait volte-face et propose son amitié à Charles qui accepte - Excellents rapports entre l'empereur Justinien II et le pape Constantin

C. An 695 = Myreur, II, p. 397 et 398a : Saint Hubert fait venir à Liège son fils Floribert - Il excommunie son frère Eudes et fait également venir à Liège les deux fils légitimes de celui-ci (Amaury et Jean Asculphin) - Contrairement à son engagement, Eudes, sur le conseil de ses deux autres fils, bâtards eux (Geoffroy et Waldon), défie à nouveau Charles Martel qui prend des dispositions défensives - Mouvements complexes sur le trône byzantin (Justinien [II], Léonce [II]) - À Rome, mort du pape Constantin et consécration de Grégoire II

D. An 696 = Myreur, II, p. 398b-399a : Saint Colomban arrive d'Irlande en Francie - Bataille entre Charles Martel et Eudes - Eudes s'enfuit en Auvergne, poursuivi par Charles qui dévaste l'Auvergne avant de retourner en Francie - Les Sarrasins d'Espagne entrent dans le royaume de Navarre - Battus par Gaufroit, roi du pays, ils gagnent la Francie où Charles les rencontre en Gascogne - Combat épique de Charles contre le géant Raimbaud - Celui-ci, après avoir donné un coup à Charles, est tué - Les Sarrasins sont défaits - Charles, revenu en Francie, est handicapé pendant un an par le coup reçu du géant - Eudes reconquiert l'Auvergne et passe en Francie, dévastant le pays et s'arrêtant à Soissons où il attend l'arrivée de Charles - À la demande de Charles, le roi Childebert intervient, combat Eudes, le vainc et retourne à Paris


Développement sur Charles Martel

Sur la vie de Charles Martel, voici, à mettre en parallèle avec la présentation de Jean d'Outremeuse, un résumé moderne, très légèrement adapté par nos soins, qu'on trouve sur un site de Wikipédia. Toutes les dates sont ici données en années p.C.n.

« Vers 715, après la mort de son mari, Pépin II, Plectrude se méfie de Charles et le fait emprisonner. Cependant, les nobles refusent de se soumettre à une femme et des révoltes apparaissent dans les provinces. Charles s’évade et rejoint l’Austrasie en révolte. Il parvient à prendre la tête des insurgés et se lance dans une guerre contre la Neustrie. Charles la gagne et devient maire du palais de la Neustrie et de l’Austrasie. Légitimiste, il met sur le trône le fils de Thierry III, Clotaire IV. En fait, c’est Charles dit Martel (il prend des décisions qui assomme comme un marteau) qui gouverne. Après la mort de Clotaire IV, Charles Martel installe son frère Chilpéric II sur le trône. »

« À partir de 720, un nouvel ennemi menace le royaume. Les musulmans envahissent la Septimanie (Languedoc actuel). Narbonne tombe. En 721, Toulouse est pillée. La même année, Chilpéric meurt. On sort Thierry IV d’un monastère pour l’introniser comme roi. En 724, Carcassonne est prise par les Sarrasins qui poursuivent leurs conquêtes. Autun tombe en 725.  En 732, des renforts musulmans arrivent, plusieurs milliers de soldats traversent les Pyrénées et rejoignent l’armée en poste à Toulouse. Ils foncent vers la ville de Bordeaux, écrasent les Francs menés par le duc d’Aquitaine Eudes et pillent la cité. Ils massacrent les habitants et se préparent à gagner Tours pour détruire le sanctuaire de Saint-Martin. Les Francs s’unissent face au danger et montent une armée menée par Charles Martel. Les Francs avancent à la rencontre des Sarrasins et, le 25 octobre 732, l’affrontement a lieu à Vouillé près de Poitiers. Très vite, les assauts des cavaliers arabes échouent et leur chef Abd-el-Rahman est tué. Les Sarrasins fuient. La victoire est totale. »

« Charles Martel est glorifié comme le sauveur de toute l’Europe chrétienne. Il en profite pour annexer l’Aquitaine indépendante et le sud de la France. Il chasse les musulmans de la Provence. Il meurt le 22 octobre 741, toujours maire du palais. Le royaume est partagé entre ses fils. » Carloman est maire du palais d'Austrasie et Pépin III le Bref, maire du palais de Neustrie. « Les rois Mérovingiens existent toujours mais n’ont plus aucun pouvoir» 

 


 

A. Ans 687-691 = Myreur, II, p. 391b-394b

 

1. Succession de trois papes : Jean VII (705-707 n.è.), Sisinnius (708 n.è.) et Constantin Ier (708-715 n.è.)

2. Aperçu généalogique conduisant à Guy de Mayence, père de Doon de Mayence

3. Léonce, patrice de Rome

4. Charles Martel poursuit Rainfroi, protégé par les évêques de Reims (Rigobert) et d'Orléans (Eucher) qui refusent de le lui livrer

5. Succession en Hongrie

6. Mort de Childebert III, auquel succède son fils Clovis Dagobert, plus connu sous le nom de Dagobert III - Childebert III avait aussi une fille, Madane, que Charles Martel épousa

7. Les Frisons attaquent l'Austrasie mais sont défaits par Charles Martel qui ramène avec lui leur roi Guibart

8. Saint Hubert enlève l’aigle d’or qui se trouvait à Maastricht et le replace sur l’église Saint-Lambert à Liège

9. Sous l'épiscopat de saint Walfrain, successeur de saint Willibrord, le roi de Frise Guibart, au moment d'être baptisé, y renonce parce qu'il serait le seul roi frison au Paradis

10. Charles Martel, en opération militaire en Souabe avec le roi Dagobert, se démet une jambe. Les Francs remportent la victoire mais Charles doit rentrer en litière à Metz

11.  Il est bientôt guéri, mais le roi Dagobert III, blessé dans la bataille, ne se soigne pas correctement et meurt au bout d'un an

12. Dagobert III avait deux fils, Clotaire et Chilpéric - Clotaire IV fut couronné roi de Francie par Charles, et régna deux ans ; Chilpéric II fut nommé comte de Paris par Charles

13. Charles Martel défait Eudes d'Aquitaine devant Cambrai

14. Il s'empare de Rainfroi en Auvergne et le tue

15. Il part ensuite pour Athènes, dont Rainfroi était le duc, en fait la conquête et y installe un duc de son lignage maternel, nommé Guy

16. L'empereur Tibère III mort, le nouvel empereur Justinien II envoie ses salutations et des cadeaux à Charles Martel

17. Charles retourne dans son pays en passant par l'Aquitaine qu'il ravage. Le duc Eudes lui oppose ses troupes, mais elles sont défaites. Eudes s'enfuit en Espagne et Charles Martel soumet à nouveau l'Aquitaine à la Francie. Puis il regagne son pays

 

1. Succession de trois papes :  Jean VII (705-707 n.è.), Sisinnius (708 n.è.) et Constantin Ier 708-715)

[II, p. 391b] [L’an VIc IIIIxx et VII] En cel an meismes VIc IIIIxx et VII, le XII jour d'avrilh, morut li pape Johan, si fut ensevelis dedens l'engliese Sains-Pire, en unc orateur qu'ilh avoit edifiiet en l'honeur de la Virge Marie, où ilh avoit faite poindre les oevres [II, p. 392] Moyses. Chis pape Johan fut mult gran clers et mult bon loquenche de parleir, et apres sa mort vacat li siege VI mois et III jours.

[II, p. 391b] [L’an 687] En cette même année 687, le douze avril, le pape Jean VII mourut et fut enseveli dans l'église Saint-Pierre, dans un oratoire qu'il avait fait édifier en l'honneur de la Vierge Marie et où il avait fait peindre les réalisations [II, p. 392] de Moïse. Ce pape Jean fut un très grand clerc et très remarquable pour son éloquence. Après sa mort, le siège resta vacant six mois et trois jours.

[Sizinnien, ly XCIIe pape] Et apres fut consacreis à pape ly cardinal Sizinniien, qui fut de la nation de Romme, le fis Cresmonde le procureur de la chambre de pape ; mains ilh fut si fort appresseis, le jour qu'ilh fut consacreis qu'ilh morut dedens XX jours là apres, et puis vacat li siege XII jours.

[Sisinnius, le 92e pape] Après lui, fut consacré pape le cardinal Sisinnius, qui était originaire de Rome, fils de Cresmonde, le procureur de la chambre du pape ; mais il fut tellement accablé le jour de son sacre qu'il mourut dans les vingt jours qui suivirent. Ensuite le siège resta vacant douze jours.

[Constantin, li XCIIIe pape] Et apres chu fut consacreis à pape de Romme Constantin ly promier de chi nom, qui fut de la nation de Surie, fis Johan le castelain de Nychaine, et tient le siege VIII ans et XV jours, et solonc Martin VII ans et XV jours.

[Constantin, le 93e pape] Et après, Constantin, le premier de ce nom, fut consacré pape de Rome. Il était originaire de Syrie, fils du châtelain de Nicée, et occupa le siège durant huit ans et quinze jours ; selon Martin, sept ans et quinze jours.

2. Aperçu généalogique conduisant à Guy de Mayence, père de Doon de Mayence

En cel an fut fais roy de Navaire Gaufrois, qui fut le frere Thibier l'emperere de Romme, car ilh avoit à femme la filhe Guyon le roy de Navaire, qui morut sens heures altre que la filhe, et sa filhe morut tantoist apres ; si avoit à nom Blanche, la filhe Blanche qui fut femme à roy Guion, et fut filhe à Constantin l'emperere de Romme et de Constantinoble ; si en oit unc fis qui fut nommeis Guys, qui puis conquestat grant terre en Allemangne et fut sires temporeis de Maienche, à cuy Doelin de Maienche fut fis.

Cette année-là [687], Gaufroit, frère de l'empereur de Rome Tibère (III), devint roi de Navarre, car il avait épousé la fille de Guy de Navarre, mort sans autre héritier que sa fille Blanche, laquelle mourut bientôt après. Cette Blanche, épouse du roi Guy, était la fille de Constantin, empereur de Rome et de Constantinople.  Le couple Gaufroit-Blanche eut un fils, nommé Guy, qui par la suite conquit beaucoup de territoires en Allemagne et fut seigneur temporel de Mayence. C'est Guy de Mayence et son fils fut Doon de Mayence.

Généalogie (un peu embrouillée) de Doon de Mayence, un personnage qui jouera plus tard un très grand rôle dans le Myreur.

L'index de Bormans fait curieusement de Blanche à la fois la femme et la fille de Guy de Navarrre. Cfr aussi II, p. 413,  II, p. 434ss, ainsi que II, p. 492-493.

3. Léonce, patrice de Rome

A cel temps estoit prefecte de Romme Lyon, le fis Geldona la soreur l'emperere de Romme.

À ce moment-là, le patrice de Rome était Léonce (cfr II, p. 397), fils de Geldona, la soeur de l'empereur de Rome (Tibère).

 4. Charles Martel poursuit Rainfroi, protégé par les évêques de Reims (Rigobert) et d'Orléans (Eucher) qui refusent de le lui livrer

[II, p. 392] En cel an en mois de novembre fut dit à Char-Martel que Ranfrois, son anemis, estoit en la citeit de Rens et avoit là esteit depuis la batalhe en Provenche où ilh avoit esteit navreis ; si estoit aquatis à Rens deleis son oncle, le archevesque Rigobert.

[II, p. 392] Cette année-là [687], au mois de novembre, Charles Martel apprit que son ennemi Rainfroi se trouvait dans la cité de Reims, où il s'était réfugié après la bataille en Provence, où il avait été blessé ; il s'y était mis à l'abri auprès de son oncle, l'archevêque Rigobert.

[De Char-Martel] Adont assemblat Char-Martel mult de chevaliers et s'en vint à Rens ; mains son parin ly archevesque ly cloiit les portes devant ly, de quoy Charmartel dest qu'ilh en varoit pies. Atant revint Charle à Paris, et Ranfrois soy partit de Rens par le dobtanche de Charle, si s'en alat à Orliens. Si fut chu dit à Char-Martel, si envoiat à l'evesque Euchaire une lettre et li mandat qu'ilh ly envoiast son annemi ; mains chis le refusat à faire, si en valut pies, sicom vos oreis chi-apres.

[Charles Martel] Alors Charles Martel rassembla un grand nombre de chevaliers et se rendit à Reims ; mais son parrain, l'archevêque, lui en ferma les portes, ce qui fit dire à Charles Martel qu'il lui revaudrait cet affront. Charles retourna à Paris et Rainfroi, par peur de Charles, quitta Reims pour se rendre à Orléans. Charles Martel l'apprit et envoya une lettre à l'évêque Eucher, lui demandant de lui renvoyer son ennemi ; mais Eucher refusa et, comme vous l'entendrez ci-après, il le paya cher (cfr II, p. 395).

5. Succession en Hongrie

[De roy Hongrie] En cel an morut Ector, ly roy de Hongrie, si fut roy apres luy Julien son fis qui regnat XXI ans.

[Le roi de Hongrie] Cette année-là, le roi de Hongrie, Hector, mourut, et Julien, son fils, lui succéda et régna pendant vingt-et-un ans.

6. Mort de  Childebert III, auquel succède son fils Clovis Dagobert, plus connu sous le nom de Dagobert III - Childebert III avait aussi une fille, Madane, que Charles Martel épousa

[Dangobert, li XIXe roy de Franche - Madane, la femme Char-Martel] En cel an morut Hildebert ly roy de Franche, qui avoit unc fis qui oit nom Loys Dangobert ; mains ons le congnuit mies por Dangobert [II, p. 393] le jovene. Et fut roy apres son peire, si regnat IIII ans. Et oit ly dit Hildebert une filhe qui oit nom Madane, que Char-Martel oit à femme.

[Dagobert, 19e roi de Francie] Cette même année [687], Childebert (III), le roi de Francie, mourut ; il avait un fils qui portait le nom de Clovis Dagobert ; mais on le connaît mieux comme Dagobert (III) [II, p. 393] le Jeune. Il succéda à son père et régna quatre ans. Ce Childebert (III) avait aussi une fille, nommée Madane, que Charles Martel épousa (cfr II, p. 401 et II, p. 448).

Madane : On voit apparaître ici une fille de Childebert III, qui est censée épouser Charles Martel. Notre chroniqueur mentionnera encore deux foix ce mariage. En II, p. 401, il ne s'agit que d'une simple mention. Le développement de II, p. 448 par contre est plus intéressant. Il montre l'intérêt que présente cette fllle royale pour souligner l'appartenance de Charles Martel à la lignée de Clovis.

Jean d'Outremeuse fera encore état plus loin  d'une seconde épouse de Charles Martel, nommée Griffaine et soeur d'Odilon de Bavière (II, p. 406). Avant de passer en revue les enfants nés de ces unions, on notera que Jean d'Outremeuse fait complètement l'impasse sur les deux épouses principales généralement attribuées à Charles Martel par des traditions historiques sûres, à savoir Rotrude et Swanahilde.

Beaucoup plus loin, en II, p. 448 à l'occasion de la mort de Charles Martel, le chroniqueur revient sur la famille de son héros, plus exactement sur ses enfants. C'est un texte assez long qui nous apprend que Madane, sa première femme, lui avait donné deux filles jumelles, devenue, l'une, Erebour, l'épouse du roi Ouri, fils d'Odilon de Bavière, et l'autre, Ermengarde, celle d'Amaury, duc d'Aquitaine. Quant à sa seconde épouse, Griffaine, elle lui avait donné trois fils (Pépin le Bref, Carloman et Griffon Martel) et une fille (Aigletine).

Quoi qu'il en soit, cette vision des choses est personnelle à Jean d'Outremeuse. Comme c'est généralement le cas chez lui, il est difficile de déterminer quels textes précis il a utilisés. Il a dû en avoir plusieurs, comme le montre le nom de Charlemagne utilisé au lieu de Carloman (en II, p. 406). Il est très difficile aussi de savoir pourquoi il omet des éléments bien attestés par les sources et considérés comme historiques (Rotrude et Swanahilde) pour introduire des données qui ne le sont pas et qu'il seul à proposer (Madane, Griffaine). Contentons-nous simplement de noter la difficulté. Ce sont des questions que nous ne pouvons pas approfondir ici.

7. Les Frisons attaquent l'Austrasie mais sont défaits par Charles Martel qui ramène avec lui leur roi Guibart

[II, p. 393] [L’an VIc IIIIxx et VIII - Char-Martel desconfist le roy de Frise] Item, l'an VIc IIIIxx et VIII vint ly roy de Frise à grant gens en Austrie, si commenchat le paiis à degasteir et ardre ; mains Char-Martel vint contre luy et le deconfist vilainnement. Atant revint Char-Martel en Franche awec le roy et ne resuyt nient les Frisons, portant que ses gens n'estoient de riens proveus.

[II, p. 393] [L’an 688 - Charles Martel défit le roi de Frise] En l'an 688, le roi de Frise vint avec de grandes troupes en Austrasie, et commença à dévaster et à incendier le pays ; mais Charles Martel marcha contre lui et l'écrasa. Alors Charles Martel revint en Francie avec le roi (Guibart), sans poursuivre les Frisons, parce que ces gens ne présentaient aucun intérêt.

8. Saint Hubert enlève l’aigle d’or qui se trouvait à Maastricht et le replace sur l’église Saint-Lambert à Liège

[II, p. 393] [Sains Hubers rewastat l’aigle d’or qui estoit à Treit, et le remist sur l’englise sains-Lambert à Liege] En cel an fist sains Hubers, li evesque de Liege, oisteir l'aigle d'oir qui estoit mise desus l'engliese Sains-Servais à Treit, que ons appelloit adont Sains-Bertremeir, et le fist remetre sus l'engliese Sains-Lambers à Liege, sicom englise cathedral de toutes les englieses del dyoceis de Liege.

[II, p. 393] [Saint Hubert enleva l’aigle d’or qui se trouvait à Maastricht, et le replaça sur l’église Saint-Lambert à Liège] Cette même année, saint Hubert, l'évêque de Liège, fit enlever l'aigle d'or qui était placé sur le toit de l'église Saint-Servais à Maastricht, appelée alors Saint-Barthélemy, et le fit replacer à Liège sur l'église Saint-Lambert, comme étant l'église cathédrale de toutes les églises du diocèse de Liège (cfr II, p. 284-285, la biographie de Jean l'Agneau).

9. Sous l'épiscopat de saint Walfrain, successeur de saint Willibrord, le roi de Frise Guibart, au moment d'être baptisé, y renonce parce qu'il serait le seul roi frison au Paradis

[II, p. 393] [Ly roy de Frise quant on le devoit baptiser ilh le renunchat] En cel an morut sains Wilhebroide li evesque d'Outreit ; si fut apres luy evesque sains Walfrain, qui commenchat fortement à prechier en la terre de Frise, où ses predicesseurs avoient longtemps prechiet. Et tant fist-ilh que ly roy Guybart wot prendre baptesme ; si furent les fons apparelhiés en une cove. Adont demandat ly roy à l'evesque en queile lieu ilh avoit plus de ses ancesseurs, ou en paradis ou en infeir ? et ly evesque respondit : « il est cleir assavoir que tous vos ancesseurs, qui estoient mal creans ne onques n'orent baptesme, sont tous en infeir. »

[II, p. 393] [Le roi de Frise, au moment où il devait être baptisé, y renonça] Cette année-là [688] mourut l'évêque d'Utrecht, saint Willibrord (cfr II, p. 361) ; son successeur, l'évêque saint Vulfran, se mit à prêcher intensément en terre de Frise, comme ses prédécesseurs l'avaient longtemps fait. Et il réussit à obtenir du roi Guibart qu'il consente à se faire baptiser. Les fonts furent aménagés dans une cuve. Alors le roi demanda à l'évêque où se trouvaient le plus grand nombre de ses prédécesseurs, au paradis ou en enfer ? Et l'évêque lui répondit : « Il est évident que tous vos ancêtres qui étaient mécréants et ne reçurent jamais le baptême, sont tous en enfer. »

[De roys Frisons] Quant ly roy oiit chu, si oistat et retrahit son piet del aighe, et dest que oussi ilh ne voloit pointe avoir baptesme ne estre cristiens, por alleir en paradis où ilh ne congnissoit nulluy ; mains ilh voloit alleir en infier, là ses amis et cheaux de sa cognissanche estoient. Et tantost ilh chaiit mors subitement, et Redach son fis, qui fut fels et crueux, fut roy apres luy : chis encachat l'evesque et le wot martirysier.

[Les rois frisons] Quand le roi entendit cela, il retira son pied de l'eau, en disant que lui non plus ne voulait pas être baptisé ni être chrétien, pour aller au paradis où il ne connaissait personne, mais qu'il voulait aller en enfer, là où se trouvaient ses amis et ses connaissances. Et il tomba mort subitement. Son fils Redach, qui fut fourbe et cruel, devint roi après lui : il pourchassa l'évêque, et voulut le martyriser.

10. Charles Martel, en opération militaire en Souabe avec le roi Dagobert, se démet une jambe - Les Francs remportent la victoire mais Charles doit rentrer en litière à Metz

[II, p. 393] [L’an VIc IIIIxx et IX – Charle soy brisat la gambe - Franchois ont la victoire] Item, l'an VIc IIIIxx et IX assemblat Char-Martel ses oust, et s'en allat en Allemangne awec le roy Dangobert, et entrat en la ducheit de Suaire et mult le gastat ; mains ly roy Gilbot les corut sus, si mescheit à Char-Martel, car son cheval chaiit desus luy de travalhe si roidement, que Char-Martel oit la jambe fours de lieu, pres qu'ilh n'oit froissiet la jambe ; si fut raporteis as tref. Et ly roy Dangobert por (sic) desconfist la batalhe et ochist le roy, et awist resuyt les desconfis ; mains ons li dest que Char-Martel s'en fasoit remeneir vers Mes sour unc bire chevacheresse, si s'en ralat apres luy.

[II, p. 393] [L’an 689 - Charles se brisa la jambe - Les Francs sont victorieux] En l'an 689, Charles Martel rassembla ses armées, partit pour l'Allemagne avec le roi Dagobert (III) et entra dans le duché de Souabe où il fit  beaucoup de dégâts ; le roi Gilbot fonça sur eux et un malheur arriva à Charles Martel. Son cheval, épuisé, tomba sur lui si lourdement qu'il eut la jambe démise, presque cassée ; on le transporta au campement. Le roi Dagobert remporta la bataille et tua le roi Gilbot. Il aurait poursuivi les vaincus ; mais on lui dit que Charles Martel se faisait ramener à Metz sur une litière portée par des chevaux (cfr II, p. 401), et il s'en retourna en le suivant.

11. Il est bientôt guéri, mais le roi Dagobert III, blessé dans la bataille, ne se soigne pas correctement et meurt au bout d'un an

[II, p. 394] [L’an VIc et XC] Sour l'an VIc et XC revinrent les Franchois à Mes, où Char-Martel fut tantoist garis ; mains ly roy Dangobert fut navreis en ledit estours, si ne pensat pas bien à sa plaie, sitoist chevalchat-ilh apres Char-Martel que la cranche ferit en la plaie, dont ilh morut quant ilh oit languit pres d'on an ; si fut ensevelis en l'engliese Sains-Estiene à Mes.

[II, p. 394] [L’an 690] En l'an 690, les Francs revinrent à Metz, où Charles Martel fut bientôt guéri. Mais le roi Dagobert III, qui avait été blessé dans cette bataille, négligea sa plaie. Il remonta aussitôt à cheval pour suivre Charles Martel si bien que sa plaie s'infecta. Il en mourut après avoir souffert près d'un an et fut enseveli dans l'église Saint-Étienne à Metz.

12. Dagobert III avait deux fils, Clotaire et Chilpéric - Clotaire IV fut couronné roi de Francie par Charles, et régna deux ans ; Chilpéric II fut nommé comte de Paris

[Lotaire, XXe roy de Franche] Chis roy avoit II fis, Lotaire et Cilpericle ; si fut Lotaire coroneis par Charle com roy de Franche, et regnat II ans, et Cilpericle fut conte de Paris.

[Clotaire, vingtième roi de Francie] Dagobert III avait deux fils, Clotaire et Chilpéric ; Clotaire fut couronné roi de Francie par Charles, et régna deux ans (cfr II, p. 395) ; et Chilpéric fut comte de Paris.

Ce Clotaire, présenté ici par Jean d'Outremeuse comme 20e roi de Francie, aurait donc été selon le chroniqueur un des deux fils de Dagobert III ; quant à l'autre fils, nommé Chipéric, il aurait été comte de Paris. Le roi Clotaire serait mort après deux ans de règne et aurait été remplacé par son fils Childebert

13. Charles Martel défait Eudes d'Aquitaine devant Cambrai

[Char-Martel desconfit Eudon] Adont vint la novelle à duc Eudon que Dangobert estoit mors et Char-Martel estoit navreis. Si assemblat ses gens et entrat en Franche, et awec ly Ranfrois. Mains Char-Martel le soit, qui n'estoit encor mie bien garis, si vient vers Franche et laissat malaide à Mes le roy Dangobert, et assemblat gens, si corit sus ses annemis devant Cambray, où ilh les trovat qu'ilh l'avoient assegiet ; mains ilh n'avoit là homme si poissans qui posist sourtenir les cops que Charle donnoit, et fut Eudon desconfis et s'enfuyt.

[Charles Martel défit Eudes] Alors le duc Eudes apprit que Dagobert était mort et que Charles Martel était blessé. Il rassembla ses troupes et pénétra en Francie, accompagné de Rainfroi. Mais Charles Martel, qui n'était pas encore bien guéri, l'apprit et se rendit en Francie, laissant à Metz le roi Dagobert malade. Il assembla ses gens, fonça sur ses ennemis qu'il trouva assiégeant Cambrai ; mais il n'y avait là aucun homme assez puissant, capable de soutenir les coups portés par Charles. Eudes fut défait et s'enfuit.

14. Il s'empare de Rainfroi en Auvergne et le tue

[L’an VIc et XCI - Char-Martel conquestat Avergne] Puis revint Charle-Martel à Paris l'an VIc XCI, si assemblat ses oust, car ons ly dest que Ranfrois estoit en la citeit d'Avergne ; si soy mist Char-Martel al chemien et vint là, si l'assegat en la citeit et seiit devant LXIII jours, puis le conquestat et se prist Ranfrois por forche, si le defrossat entres ses mains com chu fust une angneal et l'ochist. Chu fut en l'awost.

[L’an 691 - Charles Martel conquit Auvergne] Puis, en l'an 691, Charles Martel revint à Paris et rassembla ses armées, car on lui avait dit que Rainfroi se trouvait dans la cité d'Auvergne. Charles Martel se mit en route et, arrivé à destination, il assiégea Rainfroi dans la cité, pendant soixante-trois jours, puis la conquit. Il saisit Rainfroi de force, le broya entre ses mains, comme si c'était un agneau et le tua. Cela se passa en août.

15. Il part ensuite pour Athènes, dont Rainfroi était le duc, en fait la conquête et y installe un duc de son lignage maternel, nommé Guy

[Charle conquestat Athenne] Puis s'en allat Char-Martel tout droit à Athennes, dont Ranfrois estoit dus, et le conquestat, et ilh y mist unc duc de son linaige depart sa mere qui oit à nom Guy : et fut Geneline, la filhe Guyon le chevalier de Ains et de Molins, sa mere. Chis Guys, dus d'Athennes, oit puis IIII fis : Amaris, Hardreis, Albuen et Griffon, apres Griffon, le fis Char-Martel, qui fut son parins. Chis Griffon, fis le duc d'Athennes, oit à femme Beregenne, la filhe d'on chevalier qui oit nom Ysonnart et estoit sires d'Autresfuelhe ; si en fut sire apres li Griffons, son genre, et le nommat-ons Griffon d'Autrefuelhe, qui oit IIII fis : Hardreis, Berengiers, Guys et Genelhon qui puis fist la morteile trahison en Roncheval, qui fut si doloreux.

[Charles conquit Athènes] Ensuite Charles Martel partit directement pour Athènes, dont Rainfroi était le duc. Il en fit la conquête, puis y installa un duc de son lignage maternel, dénommé Guy. Sa mère était Géneline, la fille de Guy, chevalier d'Ans et de Molin (cfr II, p. 331, p. 371). Ce Guy, duc d'Athènes, eut par la suite quatre fils : Amaury, Hardreit, Alboin et Griffon, nommé d'après Griffon, le fils de Charles Martel, qui était son parrain. Ce Griffon, fils du duc d'Athènes, eut pour femme Bérengine, la fille d'un chevalier, nommé Ysonnart, seigneur de Hautefeuille ; Griffon, son gendre, en devint le seigneur, et fut nommé Griffon de Hautefeuille. Il eut quatre fils Hardreit, Bérenger, Guy et Ganelon. C'est ce Ganelon qui fit par après à Roncevaux la trahison mortelle qui fut si douloureuse (cfr II, p. 331).

16. L'empereur Tibère III mort, le nouvel empereur Justinien II envoie ses salutations et des cadeaux à Charles Martel

[Justiniain, ly LXVIIIe emperere] Apres mandat li emperere de Romme à Char-Martel salut et amisteit, et li envoiat XXX charois de vitailhe, dont [II, p. 395] Char-Martel fut mult liies et l'en remerchiat mult. Chis emperere avoit nom Justiniain, car son peire Thybiers estoit mors, et morut l'an VIc et XC le XXVII jour de mois de fevrier ; si fut coroneis apres chis Justiniain, et regnat X ans IIII mois et III jours.

[Justinien, le 68e empereur] Après cette victoire, l'empereur de Rome fit remettre à Charles Martel ses salutations et ses amitiés, en lui envoyant trente chariots de vivres. [II, p. 395] Charles Martel en fut très heureux et l'en remercia vivement. Cet empereur s'appelait Justinien (II), dont le père, Tibère (III), était mort le vingt-sept février de l'année 690. Une fois couronné, ce Justinien régna dix ans, quatre mois et trois jours.

17. Charles retourne dans son pays en passant par l'Aquitaine qu'il ravage. Le duc Eudes lui oppose ses troupes, mais elles sont défaites. Eudes s'enfuit en Espagne et Charles Martel soumet à nouveau l'Aquitaine à la Francie. Puis il regagne son pays

[Char-Martel conquestat Acquitaine] Apres retournat Char-Martel par Acquitaine et destruit mult le paiis ; mains ly dus Eudon vint contre luy et le corit sus, mains Eudon et ses gens furent desconfis. Si enfuit ly dus Eudon en Espangne, et Char-Martel conquestat Acquitaine, se les mist en la subjection de Franche, où ilh oit jà fut li temps esteit ; puis ilh retournat en Franche por ses gens à repoiseir.

[Charles Martel conquit l'Aquitaine] Ensuite, Charles Martel retourna par l'Aquitaine, causant beaucoup de destructions dans le pays ; mais le duc Eudes marcha contre lui et l'attaqua. Eudes et ses gens furent défaits. Le duc s'enfuit en Espagne et Charles Martel conquit l'Aquitaine. Il la soumit à la Francie, comme cela avait déjà été le cas longtemps ; puis il retourna en Francie, pour donner du repos à ses gens.


 

B. Ans 692-694 = Myreur, II, p. II, p. 395b-396

 

1. Charles Martel, de passage à Maastricht, distribue terres et titres à ses meilleurs chevaliers, qui deviennent comte et construisent des châteaux. Il est ainsi question de Mohelin (comté d'Alborc, près de Huy, château de Moha), de Arnoul, son frère (comté de Clermont-sur-Meuse, château de Clermont) et de Guy Dambelit (devenu marquis, terre et château de Franchimont).

2. Ces terres furent ensuite annexées à l'Église de Liège et Saint Hubert fit de ces comtes des avoués au service de cette Église

3. Saint Hubert crée aussi six clercs, bénéficiaires d'une rente, pour servir à table les chanoines de Saint-Lambert

4. Mort de Clotaire (?), roi de Francie, auquel succède son fils Childebert III

5. Childebert III organise un concile d'évêques où Charles se venge en destituant Rigobert de Reims et Eucher d'Orléans

6. Retour d'Eudes, allié au roi Galions de Compostelle et à ses Sarrasins, qui reconquiert l'Aquitaine et pénètre en Francie

7. Terrible bataille entre Charles Martel d'une part, Eudes et ses alliés de l'autre - Les Francs sont d'abord mis à mal, mais Charles fait des prouesses

8. Voyant ses troupes flancher, Eudes fait volte-face et propose son amitié à Charles Martel qui accepte - Les nouveaux alliés tuent tous les Sarrasin

9. Excellents rapports entre l'empereur Justinien II et le pape Constantin, qui a fait le voyage à Constantinople et célèbre la messe à Saint-Sophie

 

1. Charles Martel, de passage à Maastricht, distribue terres et titres à ses meilleurs chevaliers, qui deviennent comtes et construisent des châteaux

[II, p. 395b] [L’an VIc et XCII - La terre d’Abion - Mohelin ly promier conte de Moha] Item, l'an VIc XCII vient Char-Martel à Treit deleis sains Hubers l'evesque, et sourjournat là XL jours ; et quant ilh vient al departir, si donnat terre à ses melheurs chevaliers, car ilh donnat à Mohelin d'Alborc terre et paiis qui seioit asseis pres de Huy ; une conteit en fist Char-Martel, se le nommat-ons la terre d'Abion ; si en fut Mohelin ly promier conte et le nommat la conteit d'Alborc ; apres temprement ilh y fondat unc castel beal et plaisant, et l'apellat Mohal solonc son nom.

[II, p. 395b] [L’an 692 - La terre d’Abion - Mohelin premier comte de Moha] En l'an 692, Charles Martel vint à Maastricht, auprès de l'évêque saint Hubert, chez qui il séjourna quarante jours. Au moment du départ, il distribua des terres à ses meilleurs chevaliers. Ainsi il donna à Mohelin d'Alborc un territoire situé tout près de Huy ; Charles Martel en fit un comté, que l'on nomma la terre d'Abion ; le premier comte en fut Mohelin, et on appela cette terre comté d'Alborc ; bientôt après, il y fonda un château,  beau et agréable, qu'il appela Moha, d'après son nom.

Dasbourg est l'ancien nom du comté de Moha (cfr Index Bormans et les notes de Bo, ad locum et IV, p. 447 et 566)

[Arnol li promier conte de Clermont] Apres Char-Martel donnat à Ernol, le frere Mohelon, Cleremont-sour-Mouse, si en fist une conteit et y fist unc castel qu'ilh nommat Clermont.

[Arnoul, premier comte de Clermont] Après cela, Charles Martel donna à Arnoul, le frère de Mohelin, Clermont-sur-Meuse, et en fit un comté. Il y construisit un château appelé Clermont.

[Guys li promier marchis de Franchymont] Apres, ilh donnat à Guys Dambelit la terre de Gadache qui estoit unc beal paiis, car ilh avoit XXVIII vilhes, et unc castel y fist faire qu'ilh appellat Franchymont, et sy en fut ly promirs marchit, laqueile terre ons apelle maintenant Franchymont.

[Guy, premier marquis de Franchimont] Après, il donna à Guy Dambelit la terre de Gadache, qui était un beau pays, car elle comptait vingt-huit villes. Il y fit construire un château qu'il appela Franchimont. Il fut le premier marquis de cette terre qu'on appelle maintenant Franchimont.

2. Ces terres furent ensuite annexées à l'Église de Liège et Saint Hubert fit de ces comtes des avoués au service de cette Église

[Les trois conteis devant-dit devinrent hommes à l’engliese de Liege] Toutes ches trois conteis furent puisedit annexeit à l'engliese de Liege en nom del Sainte Triniteit, enssi com vos oreis chi-apres. Apres chu s'en rallat Char-Martel vers Franche. Et l'evesque sains Hubers ordinat adont que ches III conteis soient hommes à l'engliese de Liege.

[II, p. 395] [Les trois comtes cités ci-dessus devinrent des avoués de l’église de Liège] Ces trois comtés furent par la suite annexés à l'Église de Liège, au nom de la Sainte-Trinité, ainsi que vous l'apprendrez ci-après. Puis Charles Martel repartit en Francie. Et l'évêque saint Hubert ordonna alors que ces trois comtes soient des avoués  de l'Église de Liège.

 

Sur la fonction d'avoué ecclésiastique, cfr aussi II, p. 391 et l'article sur Wikipédia

3. Saint Hubert crée aussi six clercs, bénéficiaires d'une rente, pour servir à table les chanoines de Saint-Lambert

[Des clercs del table des canoynes de Sains-Lambers] Item, sains Hubers ordinat adont en l'egliese de Liege VI clers et leurs donnat rentes por vivre, affin qu'ilh servissent les canoynes de Sains-Lambers à tauble, ei le nommoit-ons les clers del tauble.

[Les clercs de la table des chanoines de Saint-Lambert] Alors saint Hubert nomma six clercs dans l'Église de Liège, et leur donna des rentes afin qu'ils servent à table les chanoines de Saint-Lambert. On les nommait les clercs de la table.

4. Mort de Clotaire, roi de Francie, auquel succède son fils Childebert III

[II, p. 395] [L’an VIc et XCIII- Hildebers ly XXIe roy franchois] Item, l'an VIc et XCIII morut Lotaire, li roy de Franche, le XXIX jour de marche ; si fut fais roy Hildebers son fis apres luy, liqueis regnat VI ans.

[II, p. 395] [L’an 693 - Childebert, vingt-et-unième roi des Francs] En l'an 693, le vingt-neuf mars, mourut Clotaire, le roi de Francie (cfr II, p. 394). Après lui Childebert (III), son fils, devint roi et régna six ans.

Ce Childebert est vraisemblablement Childebert III, roi des Francs (Neustrie, Bourgogne, Austrasie) de 695 n.è. à sa mort en 711 n.è., sous lequel Charles Martel fut maire du palais. Mais peut-on identifier avec précision  ce Clotaire ? Aucun des quatre Clotaire n'a eu un fils Childebert. En tout cas, le Clotaire, signalé plus haut (II, p. 394) comme 20e roi de Francie, a été présenté par Jean comme un des deux fils de Dagobert III ; l'autre fils, nommé Chilpéric, aurait été comte de Paris.

5. Childebert III organise un concile d'évêques où Charles se venge en destituant Rigobert de Reims et Eucher d'Orléans

[Char-Martel depoisat pluseurs evesques par le concilhe] En cel an assemblat ly roy Hildebers unc concilhe, par le [II, p. 396] conselhe Char-Martel, de tous les evesques de la royalme de Franche, à queil concilhe Char-Martel depoisat de son siege Rigobert, son parin, qui estoit archevesque de Rens, portant qu'ilh li fist cloire les portes quant Ranfrois estoit en sa citeit, sicom dit est devant, et le tondit moine à Sains-Denys, et s'ilh ne fust son parin ilh awist envoiet en exilhe. Et apres ilh envoyat en exilhe en Ybernie Euchaires, l'evesque d'Orlins.

[Charles Martel destitua plusieurs évêques lors d'un concile] Cette année-là [693], le roi Childebert III, sur le [II, p. 396] conseil de Charles Martel, rassembla un concile de tous les évêques du royaume de Francie, concile au cours duquel Charles Martel destitua de son siège son parrain Rigobert, qui était archevêque de Reims, parce qu'il lui avait fermé les portes de la cité, quand Rainfroi s'y trouvait, comme cela a été dit (cfr II, p. 392). Il le fit tondre comme moine à Saint-Denis. S'il n'avait pas été son parrain, Charles l'aurait envoyé en exil. Ensuite Charles exila en Irlande Eucher, l'évêque d'Orléans (cfr II, p. 402).

Rigobert : « Proche de Pépin de Herstal, très vite le jeune clerc s'ouvre à une grande carrière. [...] Au cours de ses fonctions d'évêque, il sacra les rois Dagobert III en 711, Chilpéric II en 715 et fut le parrain de Charles Martel. Vers 717, à la suite d'une calomnie, il fut exilé par [son filleul], qui donna son évêché à Milon de Trèves. Charles Martel le réhabilita un peu plus tard, mais [...] l'archevêque ne voulut pas reprendre sa place. [...] Il se retira et mourut ermite en 833. Son corps fut ramené à Reims dans l'église Saint-Thierry » (eklablog) Ici encore la chronologie de Jean n'est pas conforme à la nôtre.

6. Retour d'Eudes, allié au roi Galions de Compostelle et à ses Sarrasins, qui reconquiert l'Aquitaine et pénètre en Francie

[L’an VIc et XCIIII - Char-Martel desconfist encor Eudon et le roy de Compostelle] Item, l'an VIc XCIIII revint Eudon li dus d'Aquitaine, et awec li ly roy Galions de Compostelle à cuy ilh avait fait alianche, et amenoit tant de Sarasins que tout li paiis en estoit plains, et reconquestat tout Acquitaine, puis revint en Franche.

[L’an 694 - Charles Martel défit encore Eudes et le roi de Compostelle] En l'an 694, Eudes revint, accompagné du roi Galions de Compostelle, avec qui il avait fait alliance. Il amenait avec lui tant de Sarrasins que tout le pays en était rempli. Il reconquit l'intégralité de l'Aquitaine, puis revint en Francie.

7. Terrible bataille entre Charles Martel d'une part, Eudes et ses alliés de l'autre - Les Francs sont d'abord mis à mal, mais Charles fait des prouesses

[II, p. 396] [Char-Martel oit terrible batalhe à Eudon] Mains Char-Martel vient contre eaux, se les trovat en Gascongne et les corit sus, et là oit forte balalhe et dure, et perdirent les Franchois de promier ; mains quant Char-Martel veit chu, si fut tous forsanneis et se soy ferit en la presse tenant son martel à II mains, et assalt les Sarasins de teile randon qu'ilh les reculat par forche, et commenchat les rens sy fort à depechier que cascon le fuoit por sa vie salveir, et disoient que onques ne veirent teile chevalier.

[II, p. 396] [Terrible bataille entre Charles Martel et Eudes] Mais Charles Martel marcha à leur rencontre, les trouva en Gascogne et les attaqua. Là se déroula une bataille très dure, que d'abord les Francs perdirent. Mais quand il s'en aperçut, Charles Martel fut comme fou, se porta dans la mêlée en tenant son marteau à deux mains, et assaillit les Sarrasins avec tant d'impétuosité qu'il les força à reculer. Ensuite, il disloqua leurs rangs si bien que chacun le fuyait pour sauver sa vie. Tous disaient qu'ils n'avaient jamais vu pareil chevalier.

 8. Voyant ses troupes flancher, Eudes fait volte-face et passe du côté des Francs - Il propose son amitié à Charles qui accepte - Les nouveaux alliés tuent tous les Sarrasins

[La trahison Eudon] Adont reprisent les Franchois cuer, et assalhirent les Sarasins par teile manere, qu'ilh les derotarent tous et commencharent à fuiir. Quant Eudon veit chu, se soy tournat-ilh awec les Franchois : si escriat à Char-Martel que pais soit entre eaux, si seroit à tousjoursmais son amis. Et quant Char-Martel l'oiit, si l'otriat volentiers, car ilh dobtoit Eudon, tant por son grant linage com por chu qu'ilh li faisoit tant de paine. Atant soy tournarent vers les Sarasins et les ochirent tous.

[La trahison d'Eudes] Alors les Francs reprirent courage et assaillirent les Sarrasins qui furent tous dispersés et se mirent à fuir. Quand Eudes vit cela, il se mit du côté des Francs. Il demanda à Charles Martel de faire la paix, disant qu'il serait à tout jamais son ami. Quand Charles Martel l'entendit, il accepta volontiers cette proposition, car il redoutait Eudes, tant en raison de son noble lignage que des difficultés qu'il lui causait. Alors ils se tournèrent vers les Sarrasins qui furent tous tués par eux.

8. Excellents rapports entre l'empereur Justinien et le pape Constantin, qui fait le voyage à Constantinople et célèbre la messe à Saint-Sophie

[De Constantin li XCIIe pape] En cel an mandat ly emperere Justiniain à pape de Romme Constantin qu'ilh venist parleir à luy en Constantinoble, et chis y alat ; et li emperere le rechut mult benignement, car ilh estoit mult proidhons et larges en augumentant sainte Engliese et l'empire de Romme, et honnoroit mult la divine offisches ; et fist mult de loys.

[Constantin, 92e pape] Cette année-là [694], l'empereur Justinien (II) demanda au pape de Rome Constantin de venir s'entretenir avec lui à Constantinople, ce que le pape fit. L'empereur le reçut avec beaucoup de bienveillance, car c'était un homme très sage et généreux, qui développa la Sainte-Église et le pouvoir de Rome, en faisant grand honneur aux offices divins. Il publia aussi beaucoup de lois.

[De pape et de l’emperere] Adont priat ly emperere al pape que ilh vosist le dymengne tantoist apres venant, qui estoit ly XIIIIe jour de novembre, celebreir messe en l'engliese Sainte-Sophie, où ilh voloit de sa main rechivoir le sacrement de corps Nostre-Saingnour Jhesu-Crist, et vosist proier à Dieu por li et por ses pechiés.

[Le pape et l’empereur] Alors l'empereur pria le pape d'accepter de célébrer la messe, le dimanche suivant, quatorze novembre, dans l'église Sainte-Sophie, où il voulait recevoir de sa main le sacrement du corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il lui demanda aussi d'accepter de prier Dieu pour lui et ses péchés.

[Ly emperere renovelat tous les privileges de l’empire de Romme] Et enssi fut-ilh fais, et portant ly emperere renovelat tous les privileges de l'empire de Romme.

[L'empereur renouvela tous les privilèges du pouvoir de Rome] Cela se fit ainsi et, pour cela, l'empereur renouvela tous les privilèges de Rome.


 

C. An 695 = Myreur, II, p. 397 et 398a

 

1. Un roi d'Irlande et un roi d'Écosse renoncent à leurs trônes pour devenir moines à Rome

2. Saint Hubert excommunie son frère Eudes

3. Saint Hubert fait venir à Liège Floribert, son propre fils, ainsi que les deux fils légitimes d'Eudes (Amaury et Jean Asculphin)

4. Sur le conseil de ses deux autres fils, bâtards eux (Geoffroy et Waldon) et contrairement à son engagement précédent, Eudes défie à nouveaux Charles Martel qui prend des dispositions défensives

5. Fin de l'empereur Justinien II Rhinotmète, remplacé par un Léonce

6. Divers : Éclipse totale de soleil - Bède - Succession au Danemark

7. Mort du pape Constantin et consécration du pape Grégoire II

 

1. Un roi d'Irlande et un roi d'Écosse renoncent à leurs trônes pour devenir moines à Rome

[II, p. 397] [L’an VIc et XCV - Des II roys qui devinrent moynes] Sour l'an VIc XCV vinrent à Rommme Cloech et Ophians, II roys d'Engleterre qui estoient mult proidhons, et relenquirent chevalerie et leur royalmes por Dieu servir, et furent moynes en la citeit de Romme, et estoit li unc roy d'Yrlande et li altre de Scoche.

[II, p. 397] [L’an 695 - Les deux rois qui devinrent moines] En l'an 695 Cloech et Ophians, deux rois d'Angleterre, vinrent à Rome. Ils étaient des hommes très sages, renoncèrent à la chevalerie et à leurs royaumes pour servir Dieu et devinrent moines dans la cité de Rome. L'un était roi d'Irlande et l'autre, roi d'Écosse.

2. Saint Hubert excommunie son frère Eudes

[Sains Hubers excommengnat son frere Eudon] En cel an denunchat sains Hubers, evesque de Liege, son frere Eudon por excommengniet, portant qu'ilh avoit ameneit les Sarasins en Franche sour les cristiens, por la terre cristien destruire et conquere.

[Saint Hubert excommunia son frère Eudes] Cette année-là [695], saint Hubert, évêque de Liège, excommunia son frère Eudes, parce qu'il avait amené les Sarrasins en Francie contre les chrétiens, pour dévaster et conquérir la terre chrétienne.

3. Saint Hubert fait venir à  Liège Floribert, son propre fils, ainsi que les deux fils légitimes d'Eudes (Amaury et Jean Asculphin)

[Aymeir et Asculphin les fis Eudon] Et mandat ses II fis legitimes : Aymeir et Johan Asculphin, qu'ilh venissent a Liege sens avoir à leur peire participation, ou ilh les denuncheroit por excommengniés, et amenassent awec eaux Floribers, son fis. Et ilhs vinrent tous trois, et demoront deleis sains Hubers leur oncles qui les tient en grant honneur, sicom ilh afferoit bien à eaux, et mist sains Floribers son fis à Outreit deleis l'evesque.

[Amaury et Asculphin, les fils d'Eudes] Et saint Hubert demanda aux deux fils légitimes d'Eudes, Amaury et Jean Asculphin (cfr II, p. 384) de venir à Liège, sans entrer en contact avec leur père, sous peine d'être excommuniés, et d'amener avec eux son fils Floribert. Ils vinrent tous les trois. Les fils d'Eudes restèrent à Liège, près de leur oncle, qui les honora grandement, comme cela convenait à leur rang ; quant à son propre fils, saint Floribert, Hubert l'envoya à Utrecht, auprès de l'évêque.

4. Sur le conseil de ses deux autres fils, bâtards eux (Geoffroy et Waldon) et contrairement à son engagement précédent, Eudes défie à nouveau Charles Martel qui prend des dispositions défensives

Ly dus Eudon d'Aquitaine avoit II altres fis bastars, qui estoient nommeis Gaufrois et Waldons, qu'ilh avoit oyut de la filhe le roy d'Espangne, anchois que ly dus Bertran son peire fut mors, et estoient jà chevaliers fors et combatans, qui dessent à leur peire que, puisqu'ilh estoit enssi excommengniés por la gerre Char-Martel, ilh ly conselhoient qu'ilh recommenchast la guere que de noveal, et fesist aux cristiens des pies et tout le mal que ilh poioit.

Le duc Eudes d'Aquitaine avait deux autres fils bâtards (cfr II, p. 402), nommés Geoffroy et Waldon, qu'il avait eus de la fille du roi d'Espagne, avant la mort de son père Bertrand ; c'étaient déjà des chevaliers forts et aptes à combattre. Et puisque leur père était excommunié suite à sa guerre avec Charles Martel, ils lui conseillèrent de reprendre à nouveau les hostilités et de faire subir aux chrétiens les pires tourments possibles.

Adont, par le conselhe de ses dois fis bastars, envoiat ly dus Eudon diffianche à Char-Martel ; et quant ilh oiit chu, si respondit que Eudon estoit unc dyable, car ilh ne tenoit ne foid ne seriment, et dest que ilh estoit vilainnement parjureis ; mains, par le seriment qu'ilh avoit fait aux royalmes d'Austrie et de Neustrie, ilh ly donroit tant de guere, s'ilh ne moroit en la paine, que jamais n'auroit talent de plus avant à guerroier, ne que jamais n'auroit à li pais ne triwes. Adont fist-ilh garnir tout les fortereches vers Acquitaine de vitalhes et de bonnes gens.

Alors, sur le conseil de ses deux fils bâtards, le duc Eudes envoya un défi à Charles Martel. Quand il apprit cela, Charles déclara qu'Eudes était un diable, qui ne respectait ni foi ni serment et qui s'était honteusement parjuré. Cependant, conformément à son serment aux royaumes d'Austrasie et de Neustrie, il lui ferait des guerres au point que, s'il ne mourait pas à la peine, il n'aurait plus jamais l'envie de guerroyer ; jamais il n'y aurait avec lui ni paix ni trêve. Alors, il fit pourvoir de vivres et de valeureux guerriers toutes les places fortes en direction de l'Aquitaine.

5. Fin de l'empereur Justinien II Rhinotmète, remplacé par un Léonce

[L’emperere fut ochis] En cel an en awoust entrat li patris de Romme en palais l'emperere, et awec ly XII chevaliers qui de son linage estoient, et prisent l'emperere Justiniain par forche, se li couparent le neis et la lengue et le lasserent enssi là et s'enfuirent leur voie. Ilh sont des hystoires qui dient qu'ilh le menont en l'isle de Crisone et qu'ilh morut là.

[L’empereur fut tué] Cette année [695], en août, le patrice de Rome (Léonce) entra dans le palais de l'empereur, accompagné de douze chevaliers de son lignage. Ils s'emparèrent par la force de l'empereur Justinien II, lui coupèrent le nez et la langue, puis le laissèrent là dans cet état, et s'enfuirent. Certaines histoires disent qu'ils l'emmenèrent dans l'île de Cherson, et qu'il y mourut.

Il s'agit de l'empereur Justinien II Rhinotmète, dont la mutiliation est également rapportée en II, p. 405.

[Lyon, li LXIXe emperere] Et Lyon ly patris soy fist coroneir à emperere par le forche de ses amis, et fut ly secon de cel nom ; et chis Lyon est desus escript apres l'autre [II, p. 398] Justiniain emperere secon de cel nom, et chis dont nos parlons est li tiers de cel nom, sique chu ne fut mie chi-là ; ains regnat chesti XIX ans.

[Léonce, 69e empereur] Et Léonce, le patrice, se fit couronner empereur, grâce à la force de ses amis. Ce fut le second de ce nom. Ce Léonce est cité ci-dessus (cfr II, p. 392), après l'autre [II, p. 398] empereur Justinien, second de ce nom. Celui dont nous parlons ici est le troisième ; ce n'était donc pas celui-là ; mais celui-ci régna dix-neuf ans.

Divers : éclipse de soleil, Bède, succession au Danemark

En cel an, en mois d’octembre le XVII jour, defalit à heure de nonne la clarteit de soleal, si que les estoiles soie monstroient en chiel enssi cleirement com ilh fust le heure de meynuit.

Cette année-là [695], le dix-sept octobre, à l'heure de nonne, la clarté du soleil vint à manquer, et les étoiles se voyaient dans le ciel aussi clairement que s'il était minuit.

[De Beda] A cel temps exposat Beda, ly venerable preistre, mult clerement une grant quantité de la sainte escripture.

[Bède] À cette époque, Bède, le vénérable prêtre, exposa très clairement une grande partie de la sainte écriture.

[Des Dannois] En cel an morat Ector, ly XXXe roy de Dannemarche, si regnat apres luy Julien, son fis, XXXVI ans.

[Les Danois] Cette année-là mourut Hector, le trentième roi de Danemark, et son fils, Julien, lui succéda et régna durant trente-six ans.

Mort du pape Constantin remplacé par le pape Grégoire

[Grigoire li XCIIIe pape] En cel an le XIe jour de jenvier morut ly pape Constantin, si fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire à Romme, et apres son trepas vacat li siege XXV jours, et puis fut consecreis à pape Grigoire, li cardinal de Prenestre, qui fut li secon de cel nom, et fut de la nation de Surie, le fis d'on parmetier qui oit nom Johan, et tient le siege XVI ans VIII mois et XX jours.

[Grégoire, le 93e pape] En cette année [695], le onze janvier, le pape Constantin mourut. Il fut enseveli dans l'église Saint-Pierre à Rome et, après son trépas, le siège resta vacant vingt-cinq jours. Fut ensuite consacré, Grégoire, le cardinal de Préneste, qui fut le second de ce nom. Il était originaire de Syrie, fils d'un tailleur nommé Jean, et il occupa le siège durant seize ans, huit mois et vingt jours.


 

D. An 696 = Myreur, II, p. 398b-399a

 

1. Saint Colomban arrive d'Irlande en Francie

2. Bataille entre Charles Martel et Eudes - Eudes s'enfuit en Auvergne, poursuivi par Charles qui dévaste l'Auvergne avant de retourner en Francie

3. Les Sarrasins d'Espagne entrent en Navarre - Battus par Gaufroit, roi du pays, ils se dirigent vers la Francie mais Charles leur fait face en Gascogne

4. Combats épiques, notamment entre Charles et le géant Raimbaud, qui est finalement tué - Les Sarrasins sont défaits

5. Charles, revenu en Francie, est handicapé pendant un an suite à un coup du géant

6. Eudes reconquiert l'Auvergne et passe en Francie, dévastant le pays et s'arrêtant à Soissons où il attend l'arrivée de Charles

7. À la demande de Charles, le roi Childebert III intervient, combat Eudes, le vainc et retourne à Paris

 

1. Saint Colomban arrive d'Irlande en Francie

[II, p. 398b] [L’an VIc et XCVI] Item, l'an VIc XCVI vint sains Columber de Yberne en Franche.

[II, p. 398b) [L’an 696] En l'an 696, saint Colomban vint d'Irlande en Francie.

2. Bataille entre Charles Martel et Eudes - Eudes s'enfuit en Auvergne, poursuivi par Charles qui dévaste l'Auvergne avant de retourner en Francie

[Charle desconfist Eudon] En cel an assemblat ly dus Eudon ses gens, si entrat en Franche ; mains Char-Martel s'en allat à l'encontre par teile manere, qu'il le fist renfuyr jusqu'en Avergne et le suyt ; si oit batalhe à ly et là furent sens nombre de gens ochis des dois parties, mains finablement Eudon fut desconfis et s'enfuyt. Et Char-Martel gastat Avergne qui estoit à Eudon, et apres chu ilh retournat en Franche.

[Charles défit Eudes] Cette année-là [696], le duc Eudes rassembla ses troupes et pénétra en Francie ; mais Charles Martel se porta à sa rencontre et réussit à le faire fuir et à le poursuivre jusqu'en Auvergne. Il batailla contre lui. Il y eut un grand nombre de tués dans les deux camps, mais, finalement Eudes fut défait. Charles Martel dévasta l'Auvergne qui appartenait à Eudes ; après quoi il retourna en Francie.

3. Les Sarrasins d'Espagne entrent en Navarre - Battus par Gaufroit, roi du pays, ils se dirigent vers la Francie mais Charles leur fait face en Gascogne

[Char-Martel desconfit les Espangnons] En cel an entrarent les Sarasins d'Espangne en la royalme de Navaire ; si assemblat ly roy Gaufrois ses gens, et soy combattit à eaux et les desconfist, et les Sarasins qui s'enfuirent soy rassemblarent et desquendirent vers Franche. Mains Char-Martel vint contre eaux, si les trovat en Gascongne, si les corit sus à bon visaige,

[Charles Martel défit les Espagnols] Cette année-là [696], les Sarrasins d'Espagne entrèrent dans le royaume de Navarre ; le roi Gaufroit rassembla ses troupes, se battit avec eux et les vainquit. Les Sarrasins en fuite se rassemblèrent et descendirent sur la Francie. Charles Martel marcha contre eux, les rencontra en Gascogne et fonça sur eux à visage découvert.

4. Combats épiques, notamment entre Charles et le géant Raimbaud, qui est finalement tué - Les Sarrasins sont défaits

et avoient les Sarasins uns agoians entre eaux, qui tenoit XIIII piés de halt qui avoit à nom Rembauz : chis ochioit tant de cristiens que cascon le fuyoit et les fist reculeir. Mains quant Char-Martel veit chu, si fut mult corochiés, si entrat en la batalhe et commenchat à bierseir sour ches Sarasins de son martel ; si en jettat tant à terre qu'ilh les fist reculeir.

Parmi les Sarrasins, il y avait un géant, qui faisait quatorze pieds de haut et se nommait Raimbaud ; il tua tant de chrétiens que tous le fuyaient et reculaient. Quand Charles Martel vit cela, il fut très courroucé, entra dans la bataille et, avec son marteau, se mit à donner des coups aux Sarrasins ; il en terrassa tellement qu'il les fit reculer.

[Char-Martel fut abatus de l’ajoiant, et fut tantost remonteis par les Franchois] Quant Rembauz ly agoian veit chu, si vint vers li et ly donnat une teile cop de son tynal qu'ilh l'at pres defrossiet, et nonporquant ilh le jetat awec son cheval tout en unc mont. Adont, vinrent là les Franchois acorrant, qui ont [II, p. 399] Char-Martel remonteit ; mains anchois qu'ilh fust remonteis, ly ajoian ochist plus de XL Franchois.

[Charles Martel fut terrassé par le géant, et aussitôt remis en selle par les Francs] Quand Raimbaud le géant vit cela, il vint vers Charles et, de son gros bâton, il lui asséna un tel coup qu'il fut bien près de le massacrer, le jetant par terre en même temps que son cheval. Alors les Francs accoururent et remirent en selle [II, p. 399] Charles Martel ; mais avant qu'il ne soit remonté, le géant avait tué plus de quarante Francs.

[Char-Martel at ochis Rembaux, l’agoiant de XIIII piés de hault] Adont fut Char-Martel enbahis, car ilh estoit blechiés, mains ilh ne lassat mie par chu l'estour, ains entrat ens com foursenneis, en disant qu'ilh amoit miés à morir que revenir en Franche desconfis ; et commenchat les Sarasins à abatre et ochire, et eaux faire reculeir, en regardant tousjours où li gran agoiant estoit. Si regardat tant qu'ilh veit le agoyan venir vers li. Et Char-Martel prist une lanche, si court al agoian, et le ferit teilement qu'ilh ly fendit son escut et le navrat el pis, si l'abatit à terre. Et chis salt sus, mains anchois qu'ilh rawist son tynal releveit, si ly assenat Char-Martel son martel sus son hayme si fortement, qu'ilh ly at le chief espateit, et chaiit mort à terre.

[Charles Martel tua Raimbaud, le géant de quatorze pieds de haut] Charles Martel, blessé, était tout étourdi, mais il ne renonça pas pour autant au combat. Il s'y lança comme un forcené, en disant qu'il aimait mieux mourir que revenir vaincu en Francie. Il se mit à abattre et à tuer les Sarrasins, à les faire reculer, en regardant toujours où se trouvait le grand géant. Finalement il le vit venir vers lui. Il prit alors une lance, courut vers le géant et le frappa tellement qu'il fendit son écu, le blessa à la poitrine et le jeta à terre. Et celui-ci se remit debout, d'un bond, mais avant qu'il ait levé son bâton, Charles Martel lui avait asséné son marteau sur le heaume avec tant de force qu'il lui avait écrasé la tête. Le géant tomba à terre raide mort.

[Char-Martel oit la victoire] Quant les Sarasins veirent chu, si s'enfuirent tantoist com desconfis, et là en fut al fuyr tant ochis, que toute la terre en estoit coverte ; et en fut ochis des Sarasins XXXm hommes.

[Charles Martel remporta la victoire] Quand les Sarrasins virent cela, ils s'enfuirent aussitôt comme des vaincus et, au cours de la fuite, il y eut tellement de morts que toute la terre en était couverte : trente mille hommes furent tués parmi les Sarrasins.

5. Charles, revenu en Francie, est handicapé pendant un an suite à un coup du géant

Adont revint Char-Martel en Franche, et fut mult malaide del coup que ly agoian li donnat, et ne soy pot armeir dedens une an ne aleir, se chu n'estoit à dois croches ; et disoit cascon que jamais ilh ne seroit garis.

 Alors Charles Martel revint en Francie, très malade à cause du coup que lui avait donné le géant. Pendant un an, il ne put plus prendre les armes ni marcher, si ce n'est avec deux béquilles. Chacun disait qu'il ne serait jamais guéri.

Note de Bo ad. locum : « difficile de dire à laquelle des nombreuses expéditions de Charles Martel contre les Sarrasins il est [...] fait allusion » dans ces notices.

 6. Eudes reconquiert l'Auvergne et passe en Francie, dévastant le pays et s'arrêtant à Soissons où il attend l'arrivée de Charles

[Eudon reconquestat Avergne et gastat Franche] Et adont assemblat Eudon, li dus d'Aquitaine, ses hommes, et vint en Avergne où ilh reconquestat tout chu que Char-Martel avoit sour luy conquis ; puis vint en Franche où ilh fist mult de damaige, et assegat Soison portant qu'ilh se voloit là tenir contre Char-Martel.

[Eudes reconquit l'Auvergne et dévasta la Francie] Ensuite, Eudes, le duc d'Aquitaine, rassembla ses hommes et vint en Auvergne, reprenant tout ce que Charles Martel lui avait pris. De là, il passa en Francie où il causa beaucoup de dommages. Il assiégea Soissons, parce qu'il voulait se tenir là, à attendre Charles Martel.

7. À la demande de Charles, le roi Childebert III intervient, combat Eudes, le vainc et retourne à Paris

[Ly roy Hildebert soy combatit à Eudon et le rencachat] Adont vinrent les novelles à Char-Martel qui en fut mult corochiés, et vient al roy Hildebert, et li priat qu'ilh s'en alast contre Eudon, anchois que la citeit fust perie, et li roy le fist. Si soy combatit à Eudon mult gentiment, et fut Eudon desconfis, si s'enfuit mult honteusement ; et ly roy revint à Paris l'an VIc et XCVII, en mois d'awost.

[Le roi Childebert se battit contre Eudes et le prit en chasse] Quand cette nouvelle parvint à Charles Martel, il en fut très irrité. Il se présenta au roi Childebert en lui demandant de marcher contre Eudes, avant que la cité (de Soissons) ne soit perdue, ce que fit le roi. Il combattit très vaillamment Eudes, qui fut vaincu, et s'enfuit très honteusement. Childebert revint à Paris, au mois d'août de l'an 697.


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