Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 375b-379a - Ans 676-683

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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Ans 676-683

Les empereurs byzantins (Justinien II, Léonce II, Tibère II) - La papauté (Serge et la Sainte Croix, Léon III) - Charles Martel - Pépin - Saint Hubert - Alpaïde - Les Espagnols de Sartibrans - Les Lombards

Myreur, II, p. 375b-379a

 

A. Ans 676-680 = Myreur, II, p. 375b-377a : Divers : à Constantinople, l'empereur Justinien II (guerres, hérésies), l'empereur Léonce II , un empereur de Perse qui se fait baptiser avec sa femme et des chevaliers - Succession en Lombardie - Le pape Serge et la Sainte Croix - Transfert par le pape Serge du corps du pape Léon Ier - Bède - saint Colomban - fondation de villages dans la région de Liège

B. Ans 680-682 = Myreur, II, p. 377b-378a : Tensions  entre Charles Martel, saint Hubert et Pépin à propos de l'excommunication d'Alpaïde - Pépin retire le comté de Paris à Charles Martel puis le lui rend - Alpaïde, absoute, vit recluse à Bilsen, puis à Orp - Pépin et Charles Martel défont les Espagnols du roi Sartibrans envahisseurs de la Petite Bretagne - Grand carnage et grandes pertes dans les deux camps - Charles Martel tue Sartibrans et 1400 hommes - Pépin meurt l'année suivante des suites d'une blessure reçue dans la bataille

C. An 683 = Myreur, II, p. 378b-379a : Successions impériale et papale : À Constantinople, l'empereur Tibère II succède à l'empereur Léonce II - À Rome, un certain Léon, non inscrit au catalogue des papes, succède au pape Serge - Léon III lui succède

 


 

A. Ans 676-680 = Myreur, II, p. 375b-377a

 

1. L'empereur Justinien II : soumission des Sarrasins et rencontre en Syrie avec des monothélites (allusion au concile de Constantinople)

2. Mort de Grimoald, roi des Lombards, empoisonné par son fils Rodoald, qui lui succède

3. Peste en Syrie

4. Baptêmes de Perses importants à Constantinople (l'empereur, sa femme et quarante-quatre chevaliers)

5. Le pape Serge, la Sainte Croix et le transfert par Serge du corps du pape Léon Ier

6. Mort de Justinien IIBède le Vénérable - Saint Colomban arrive d'Irlande en Bourgogne

7. L'empereur Léonce II succède à Justinien II dont le règne (selon Jean d'Outremeuse) aurait été très positif pour l'Église

8. Fondation de divers villages, dont Barvaux et Jodogne, dans la région de Liège

 

1. L'empereur Justinien II  : soumission des Sarrasins et rencontre en Syrie avec des monothélites (allusion au concile de Constantinople)

[II, p. 375b] [L’an VIc et LXXVI - L’emperere conquist sour Sarasins] Item, l'an VIc et LXXVI, assemblat li emperere Justiniain grant gens et passat mere, et entrat en la terre d'Arabe, si le destruit et gastat Damas. Mains les Sarasins s’acordarent à ly, por rendre tous les ans le tregut de milhe doniers d'oir. Puis revinrent les Romans par Bulgarie, où les Sarasins oussi soy misent aux Romans en tregut de milhe donnir d'or del rendre cascon an.

[II, p. 375b] [L’an 676 - L’empereur fit des conquêtes sur les Sarrasins] En l'an 676, l'empereur Justinien II rassembla de grandes troupes, prit la mer, pénétra en terre d'Arabie, détruisit et dévasta Damas. Mais les Sarrasins s'accordèrent avec lui pour lui payer chaque année un tribut de mille deniers d'or. Ensuite, les Romains revinrent par la Bulgarie, et là aussi les Sarrasins, soumis aux Romains, acceptèrent de leur payer chaque année un tribut de mille deniers d'or.

[Heretiques] En cel an vint li emperere en Surie, où ilh trovat une manere de gens heretiques que ons nommoit Manacholitars, qui del tout estoient del oppinion Paulin de Constantinoble deseurdit. Et encors, oultre ceste heresie, [II, p. 376] estoient teilement dechuis, qu'ilh disoient que Jhesu-Crist estoit neis de la Virge et monteis en chiel, mains ilh n'estoit pointe Dieu.

[Hérétiques] Cette même année [676], l'empereur se rendit en Syrie, où se trouvait un groupe de gens nommés Monothélites, qui partageaient en tout les idées de Paul de Constantinople, cité plus haut (cfr II, p. 335). Et de plus, outre cette hérésie, [II, p. 376] ils étaient dans l'erreur au point de dire que Jésus-Christ était né de la Vierge et était monté au ciel, mais qu'il n'était pas Dieu.

[Le conciel de IIc IIIIxx evesques] Et deveis savoir que de celle heresie furent dechuis les empereres Constantin et Eracle ; mains chis emperere Justiniain examenat tout chu, et fist en Constantinoble unc concilhe de IIc IIIIxx et IX evesques, où ilh condempnat ches gens heretiques. Et là fut declareit que Jhesu-Crist estoit vraie Dieu et vray hons, de II natures et de II volenteis.

[Le concile de 280 évêques] Vous devez savoir (cfr II, p. 335) que les empereurs Constantin et Héraclius s'égarèrent dans cette hérésie, mais que l'empereur Justinien examina toute cette question et réunit à Constantinople un concile de deux cent quatre-vingt-neuf évêques, lors duquel il condamna ces hérétiques. Et là Jésus-Christ fut déclaré vrai Dieu et vrai homme, possédant deux natures et deux volontés (cfr II, p. 362).

2. Mort de Grimoald, roi des Lombards, empoisonné par son fils Rodoald, qui lui succède

[L’an VIc et LXXVII] Item, l’an VIc [corr. de Vc] et LXXVII, en mois de may, soy fist Grymoaldus, li roy Lumbars, sayniers en bras diestre ; puis prist une arch, et commenchat à traire apres unc colon por luy à solaichier. Si avint que la vaine de son bras rompit, puis mandat les cyrurgiens ; mains, por l’enortement de son fis Rodoian qui voloit eistre roy, metirent medicine plaine de venyn sour le bras de roy, si qu'ilh morut ; si fut roy apres luy son fis.

[L’an 677] En l'an 677, au mois de mai, Grimoald, le roi des Lombards, après une saignée sur le bras droit, prit un arc et se mit à tirer sur un pigeon pour se divertir. La veine de son bras se rompit. Il fit appel à des chirurgiens mais, sur le conseil de son fils Rodoald qui voulait être roi, ils appliquèrent sur le bras du roi un remède plein de venin, si bien qu'il en mourut et que son fils lui succéda.

3. Peste en Syrie

[Mortaliteit] En cel an oit teile pestilenche de mortaliteit en la citeit de Tytin, que Tytus fondat en Surie, que les gens de la citeit soy misent par les montangnes, et lassarent tant leur citeit que les herbes cressoient parmy en fructifiant.

[Mortalité] Cette année-là, une peste mortelle frappa la ville de Tytin, fondée par Titus en Syrie. Les gens de la cité se dispersèrent dans les montagnes et abandonnèrent leur ville, au point que des herbes y poussaient partout et portaient des fruits.

 4. Baptême de Perses importants à Constantinople (l'empereur, sa femme et quarante-quatre chevaliers)

[L’an VIc et LXXVIII] Item, l'an VIc LXXVIII, vint en Constanlinoble la femme l'emperere de Persie qui estoit nommée Cesaire, et demandat à avoir baptesme, et fut baptisié, et fut l'emperere Justiniain son parins, qui li demandat s'elle voloit ralleir awec le roy son marit. Et elle respondit que non, se son maris n'estoit anchois baptisiet et XL chevaliers de ses gens awec ly.

[L’an 678] En l'an 678 arriva à Constantinople la femme de l'empereur de Perse, nommée Césaire, qui demanda à recevoir le baptême. Elle fut baptisée et son parrain fut l'empereur Justinien qui lui demanda si elle voulait retourner vivre avec le roi son mari. Elle répondit que non, à moins qu'il ne se fasse auparavant baptiser avec quarante de ses chevaliers.

[L’emperere de Persie et sa femme furent baptisiés] Et, quant son marit le soit, se vint en Constantinoble pasieblement, et amenat awec li XLIIII chevaliers qui tous furent baptisiés. Et puis en ralat ly roy en Persie en son royalme, et awec ly sa femme, si furent et remanirent bons cristiens ; mains ses gens ne le serent (sic) mie.

[L’empereur de Perse et sa femme furent baptisés] Quand son mari apprit cela, il vint pacifiquement à Constantinople, avec quarante-quatre chevaliers, qui furent tous baptisés. Après quoi, le roi retourna dans son royaume en Perse, avec sa femme. Ils furent et restèrent bons chrétiens, mais ce ne fut pas le cas de leurs sujets.

5. Le pape Serge, la Sainte Croix et le transfert par le pape Serge du corps de Léon Ier

[Del sainte crois] Item, l'an VIc et LXXIX, vint à congnissanche à pape Sergien par vision divine que en sacraire sains Pire, en une obscure lieu, avoit une coppe d'argent awec des altres joweais ; et quant li pape vint là, si le trovat et l'ovrit, si trovat dedens une pieche de la crois Jhesu-Crist seiante en or aournée de pieres precieux, laqueile fut mis en Termes là ons l'aoire tous les ans le jour del invention sainte crois.

[De la Sainte Croix] En l'an 679, le pape Serge, suite à une vision divine, apprit que dans le sanctuaire de saint Pierre, dans un lieu bien caché, il y avait une coupe d'argent et d'autres joyaux. Quand le pape s'y rendit, il la trouva, l'ouvrit, et découvrit un morceau de la Croix de Jésus-Christ, posée sur une plaque en or, ornée de pierres précieuses. Cette coupe fut placée dans les Thermes, là où on l'adore chaque année le jour de l'Invention de la Sainte Croix.

[De pape Sergien] Item, l'an VIc et IIIIxx, fist [II, p. 377] chi pape Sergien, releveir par le revelation de Dieu le corps de promier pape Lyon, et le translatat à Wincheberch Ostenfranc.

[Le pape Serge] En l'an 680, [II, p. 377] ce pape Serge, suite à une révélation divine, fit relever le corps du pape Léon Ier et le transféra à Wincheberch Ostenfranc.

6. Mort de Justinien remplacé par Léonce II -  Bède le Vénérable - Saint Colomban arrive d'Irlande en Bourgogne

[De l’emperere Justiniain] En cel an morut li emperere Justiniain, le VIe jour du mois de novembre : chis emperere fut bons et larges, et vraie catholique, et governat biens les Romans, le cuy gieste ons lyst en Pantheon à Romme ; et fist mult de loys et honorat tous jours sainte Engliese.

[L’empereur Justinien] Cette année-là [680] mourut l'empereur Justinien II, le six novembre. Cet empereur fut bon et généreux, un vrai catholique. Il gouverna bien les Romains, et on lit sa geste au Panthéon à Rome. Il édicta de nombreuses lois et honora toujours la Sainte-Église.

Toujours (cfr II, p. 362) la même image positive donnée dans le Myreur à Justinien II.  Bo note ad locum que le chroniqueur semble confondre Justinien II Rhinotmète, le dernier des Héraclides (685-695 n.è.), avec Justinien Ier le Grand (527-565 n.è).

[De venerable Beda et Columbain] A son temps et apres regnoit li venerable Beda, qui fut moyne de l'ordre Sains-Benois, en grant auctoriteit, et à son temps vint sains Columbain de Ybernie en Borgongne.

[Bède le Vénérable et Colomban] À son époque et après vivait le vénérable Bède, qui fut moine de l'ordre de Saint-Benoît et jouissait d'un grand prestige. À son époque aussi saint Colomban arriva d'Irlande en Bourgogne.

[Lyon l’emperere LXVIe] Apres la mort Justiniain fut coroneis Lyon, li secon de chi nom, qui regnat III ans et V jours.

[Léonce II, 66e empereur] Après la mort de Justinien II, Léonce, le second de ce nom, fut couronné empereur. Il régna trois ans et cinq jours.

Le successeur de Justinien II fut effectivement Léonce II, qui régna trois ans (695-698 n.è.)

7. Fondation de divers villages, dont Barvaux et Jodogne, dans la région de Liège

[Uffey - Okiers - Tohongne - Barveis - Jodongne] A cel temps fut fondée Uffex, Okiers, Thohongne et Barveais, si les fondat ly sires de Revongne ; ly advoueis de Huy fist à cel temps Jodongne.

[Ouffet, Ocquier, Tohogne, Barvaux, Jodogne] À cette époque furent fondés Ouffet, Ocquier, Tohogne et Barvaux ; c'est le seigneur de Revogne qui les fonda. À la même époque, l'avoué de Huy fonda Jodogne.


 

B. Ans 680-682 = Myreur, II, p. 377b-378a

 

1. Tension, finalement apaisée, entre Charles Martel et saint Hubert à propos de l'excommunication d'Alpaïde

2. Tension, finalement apaisée, entre Pépin et Charles Martel - La possession du comté de Paris

3. Alpaïde, définitivement absoute, vit désormais recluse à Bilsen, puis à Orp

4. Bataille victorieuse en Petite-Bretagne de Pépin et de Charles Martel contre les Espagnols du roi Sartibrans - Mort de Pépin

 

1. Tension, finalement apaisée, entre Charles Martel et saint Hubert à propos de l'excommunication d'Alpaïde

[II, p. 377b] [Char-Martel manechat sains Hubers pour sa mere] A cel temps faisoit sains Hubers, li evesque, par toutes ses englieses haltement pronunchier Alpays por excommengniez ; mains quant Char-Martel le soit, qui estoit son fis, si ne le wot soffrir et vint à Treit, si manechat sains Hubers l'evesque.

[II, p. 377b] [Charles Martel menaça saint Hubert à propos de sa mère] À cette époque [680], l'évêque saint Hubert faisait proclamer dans toutes les églises l'excommunication d'Alpaïde ; mais, quand son fils Charles Martel le sut, il ne voulut pas supporter la chose. Il se rendit à Maastricht et y menaça l'évêque.

[Comment sains Hubers soy chorochat à Char-Martel] De quoy l'evesque soy corochat, jàsoiche que ilh fust evesque et li plus debonnars que ons posist troveir en monde ; se li dest par felonie : « Tais-toy, garchon trahitre, fel, deputaire, bastars, tu toy seis trop bien retraire de sanc depart ta mere ; mains par Dieu, si je n'estoie preistre, je toy feroy detraire et derompir à II ronchiens. Tu es conte de Pari, tu es bien trahitre, car je le toy donnay. Chertes tu fais bien chu que faire doit uns awoutron, car ilh doit forfair par nature à ses amis, et tu en monstre bien l'exemple. Or garde-toy qu'ilh ne desplaist à aultruy de moy. »

[Saint Hubert se fâcha contre Charles Martel] L'évêque en fut irrité, bien qu'il fût évêque et l'homme le meilleur que l'on puisse trouver au monde. Il lui dit avec violence : « Tais-toi, garçon traître, fourbe, pervers, bâtard, tu sais trop bien que tu tiens ton sang de ta mère ; mais par Dieu, si je n'étais pas prêtre, je te ferais taire et écarteler par deux étalons. Tu es comte de Paris, tu es aussi traître, car c'est moi qui t'ai donné ce poste. Certes, tu te comportes comme doit le faire un enfant illégitime, car par nature il doit mal agir à l'égard de ses amis, et tu en es un bon exemple. Maintenant, veille bien à ne pas déplaire à un autre qu'à moi. »

[Char-Martel priat merchi à sains Hubers] Quant Char-Martel l'entendit, sy basse le tieste et voit bien qu'ilh ovoit mal fait ; et portant ilh li priat merchi tantost en disant : « Sires, merchi, j'ay trop meffait, se le weulhe amendeir à vostre volenteit. Ors le moy pardonneis et si talhiés l'amende, car je en suy vraie repentans. » Et ly evesque, à cuy ilh wot chu fortement plaire, mist tantost le coroche fours de son cuer et li pardonnat bonnement. Mains puis en furent pluseurs chevaliers mors de morteil guere por chesti fait, [II, p. 378] enssi com vos oreis chi apres.

[Charles Martel demanda pardon à saint Hubert] Quand Charles Martel entendit cela, il baissa la tête et vit bien qu'il avait mal agi ; c'est pourquoi, il demanda aussitôt pardon : « Seigneur, pardon, j'ai très mal agi et je veux m'amender, comme vous le voulez. Aussi pardonnez-moi et retirez  ma punition, car je suis vraiment repentant. » Et l'évêque, que Charles voulait fortement convaincre, chassa toute colère de son coeur et lui pardonna avec bonté. Mais suite à cela, beaucoup de chevaliers moururent dans des guerres meurtrières, [II, p. 378] ainsi que vous l'entendrez ci-après.

2. Tension, finalement apaisée, entre Pépin et Charles Martel - La possession du comté de Paris

[Pipin fut mult corochiet sor Charle por sains Hubers] Chu vint à la congnissanche de Pipin, dont ilh fut si corochiés, qu’ilh dest que del manechier le sains evesque ilh estoit trop outrageux, car de son soleir à descachier n'estoit mie digne, et par sa foid ilh le priveroit de toute honneur : et tantoist ilh li ostat la conteit de Paris que sains Hubers ly avoit jadit donneit. Mains Charle vint à sains Hubers, et en genos le priat por l'amour de Dieu del aleir à Jupilhe proier por luy à son peire, qu'ilh ly vosist lassier sa conteit. Sains Hubers y alat, et priat tant à Pipin qu'ilh ly rendit.

[Pépin fut très fâché contre Charles à propos de saint Hubert] Cette affaire une fois portée à sa connaissance, Pépin en fut si irrité et dit que menacer le saint évêque était trop outrageux, car Charles n'était pas digne de délacer sa chaussure, et il ajoutait que, en vérité, il le priverait de tout honneur. Et aussitôt Pépin ôta à Charles le comté de Paris, que lui avait jadis attribué saint Hubert. Mais Charles vint trouver saint Hubert et, à genoux, il le pria, pour l'amour de Dieu, d'aller à Jupille demander à son père de lui laisser son comté. Saint Hubert alla à Jupille et pria Pépin jusqu'à ce qu'il le lui rende.

3. Alpaïde, définitivement absoute, vit désormais recluse à Bilsen, puis à Orp

[Alpays fut absoilt de tos pechiés por sains Hubers] Adont fut acordeit que sains Hubers absolroit Alpays, tant del sentenche qu'elle avoit fait al cause de li de pechiet de fornication et de adultere, que de mal qui estoit advenus de sains Lambers, tout por l'amour Pipin ; et Alpays entreroit en l'engliese de Blise, où elle seroit recluse et espaniroit les pechiés qu'elle avoit faite.

[Alpaïde fut absoute de tous ses péchés par saint Hubert] Alors il fut conclu que saint Hubert absoudrait Alpaïde tant du jugement que lui avait valu son péché de fornication et d'adultère que du mal qui était arrivé à saint Lambert à cause de son amour pour Pépin. Alpaïde entrerait dans l'église de Bilsen, où elle serait recluse et expierait les péchés qu'elle avait commis.

[Alpays fut recluse à Blise III ans] Chu fut fait et acomplis, et y demorat III ans Alpays recluse.

[Alpaïde fut recluse à Bilsen pendant trois ans] Ce qui fut fait et accompli. Alpaïde y vécut recluse durant trois ans.

[Pipin fondat Orpes où ilh mist Alpays] Et dedens les trois ans pendans fondat Pipin, de congiet sains Hubers, à Orpes dedens son aloin une engliese delitable, en l'honeur de la virgue Marie et de sains Martin ; et mist dedens des nonnains qu'ilh prist à Nyvelle en Brabant, et mist awec Alpays, où elle servit Dieu longtemps por espanir ses pechiés.

[Pépin fonda Orp, où il installa Alpaïde] Et pendant ces trois ans, avec la permission de saint Hubert, Pépin fonda à Orp, dans son alleu, une charmante église, en l'honneur de la Vierge Marie et de saint Martin. Il y installa des nonnes qu'il fit venir de Nivelles en Brabant, et il plaça avec elles Alpaïde, qui y servit Dieu longtemps pour expier ses péchés.

[L’an VIc et IIIIxx et I] Et fut li acors fait et Alpays absolite, l'an VIc IIIIxx et I le mardi apres la Pasque florie.

[L’an 681] Et les conditions remplies, Alpaïde reçut l'absolution en l'an 681, le mardi suivant la Pâque fleurie.

4. Bataille victorieuse de Pépin et de Charles Martel en Petite-Bretagne contre les Espagnols du roi Sartibrans - Mort de Pépin

[Pipin et Char-Martel desconfirent les Espangnons en la petit Bretangne] Item, l'an VIc et IIIIxx et II, entrat ly roy d'Espangne Sartibrans en la petite Bretangne, qui estoit del royalme del Franche, et le gastat grandement, et y ochist mult de gens. Si avint que Pipin y alat à grans oust contre luy, et orent batalhe ensemble ; si perdit Pipin XIIm hommes.

[Pépin et Charles Martel défirent les Espagnols en Petite-Bretagne] En l'an 682, le roi d'Espagne, Sartibrans pénétra en Petite-Bretagne, qui faisait partie du royaume de Francie. Il y fit beaucoup de dégâts et tua un grand nombre de gens. Pépin marcha contre lui, avec une grande armée. Ils livrèrent bataille et Pépin perdit douze mille hommes.

Petite-Bretagne : Pour un épisode du même type, cfr II, p. 335. Quant au nom de Sartibrans, roi d'Espagne, il n'est connu qu'ici.

[Charle Martel ochist de son martel eldit batalhe XIIIIc hommes] Et fut ochis lidit roy depart Char-Martel, et furent ochis des Espangnons XLVIIIm hommes, et ferit Char-Martel teilement le roy, que ilh ly espatat le chief de son martel d'achier par teile manere, qu'en la fosse de la plaie butoit uns hons ses II pungnes. Ilh fut troveit en ladit batalhe XIIIIc corps parelhe à cheli, parquen ilh aparoit que Char-Martel les avoit fais et donneis. Là fut Pipin navreis ès flans, dont ilh morut dedens une an apres, car ilh ne pot onques regarir de la plaie qui li fut faite d'on espiel envinemeit.

[Dans cette bataille, Charles Martel tua 1400 hommes avec son marteau] Sartibrans fut tué par Charles Martel et quarante-huit mille Espagnols perdirent la vie. Charles Martel frappa le roi avec une telle force qu'il lui éclata la tête avec son marteau d'acier, au point qu'un homme pouvait introduire ses deux poings dans le creux de la plaie. Sur le champ de bataille, on retrouva mille quatre cents corps dans le même état, preuve que Charles Martel avait lui-même asséné les coups. Là Pépin fut blessé au flanc et en mourut l'année suivante, n'ayant pu guérir de la plaie faite avec un épieu empoisonné.

Les conséquences de cette mort seront présentées en II, p. 379.


 

C. An 683 = Myreur, II, p. 378b-379a

 

1. À Constantinople, Tibère II succède à  Léonce II

2. À Rome, un certain Léon, non inscrit au catalogue des papes, succède au pape Serge - Léon III lui succède [saint Léon III, 795-816 n.è.]

 

[II, p. 378b] [Tybiers ly LXVIIe emperere de Romme] Item, l'an VIc IIIIxx et III, le XIe jour de mois de novembre, morut Lyon, ly emperere de Romme ; si fut coroneis apres luy Tybiers ly [II, p. 379] secon de chi nom, et regnat VII ans III mois et XVI jours.

(II, p. 378b) [Tibère, 67e empereur de Rome] En l'an 683, le onze novembre, mourut Léonce II, l'empereur de Rome. Après lui fut couronné Tibère, le [II, p. 379] second de ce nom, qui régna durant sept ans, trois mois et seize jours.

Note de Bo : « Apsimarus, qui succéda à Léontius, prit en effet le nom de Tibère II, qu'avait déjà porté le successeur de Justin II » (!!).

[Li pape Sergiens morit] En cel an le XIe jour de novembre, morut Sergien ly pape de Romme, si fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire. Apres chu vacat ly siege VII jours.

[Le pape Serge mourut] En cette même année, le onze novembre, Serge, le pape de Rome, mourut, et fut enseveli en l'église Saint-Pierre. Après cela, le siège resta vacant pendant sept jours.

[Lyon li LXXXIXe pape de Romme] Si avient que, demetant que les cardinals estoient en [corr. Bo pour elle] conclave, que ly patris de Romme les fist faire contre leur volenteit à pape, Lyon le fis de sa soreur, li tier de cel nom, qui fut de la nation de Romme, fis d'on dyaque qui oit nom Colay, et tient le siege XI mois et XV jours. Mains portant qui fut fais par forche, si ne fut mie intituleis en le cathologe des papes ; mains Lyon, qui chi apres s'ensiet, chis fut intituleis li thiers Lyon.

[Léon, 89e pape de Rome] Il se fit que, pendant que les cardinaux étaient en conclave, le patrice de Rome les obligea, contre leur volonté, de nommer pape, Léon, le fils de sa soeur, le troisième de ce nom, qui était de la nation de Rome, fils d'un diacre nommé Collin. Il occupa le siège pendant onze mois et quinze jours. Mais parce qu'il avait été nommé de force, il ne fut pas inscrit dans le catalogue des papes ; c'est le Léon qui suivit qui fut inscrit comme le troisième Léon.


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