Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 307b-314a - ans 621- c. 626

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023)

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 L'EMPIRE - LA PAPAUTÉ - LES MÉROVINGIENS - L'ÉVÊCHÉ DE TONGRES - LIÈGE - SAINT-TROND

Ans 621-c. 626


 

Quelques informations générales sur saint lambert

De nombreuses pages du Myreur sont consacrées à saint Lambert. Pour les comprendre et les interpréter correctement, les travaux de Jean-Louis Kupper et de Philippe George sont particulièment intéressants. On citera notamment J.-L. Kupper, Saint Lambert : de l'histoire à la légende, dans Revue d'histoire ecclésiastique, t. 79, 1984, p. 5-49, publié également, sans les notes critiques, dans les Feuillets de la Cathédrale de Liège, t. 9 (1984), 16 p. (accessible sur la Toile). Voir aussi  J.-L. Kupper et Ph. George, Saint Lambert : de l'histoire à la légende, Bruxelles, 2006, 95 p., ainsi que Ph. George, Saint Lambert. Culte et iconographie, Liège, 1980, 116 p.

L'épisode de l'assassinat de saint Lambert, de ses causes et de ses conséquences, est un épisode majeur de sa biographie. On en trouvera une synthèse  dans le blog de Renaud Adam sur le site Donum : Un meurtre, une ville, un évêque... L'histoire de saint Lambert.

En ce qui concerne les sources littéraires anciennes, Saint Lambert a fait l'objet de plusieurs notices dans la Geste des évêques de Tongres, de Maastricht et de Liège des Monumenta Germaniae Historica. Scriptores, t. 7, sous la plume d'Anselme (II, 3-15, p. 192-198, éd. Koepke) et Scriptores, t. 27, sous la plume de Gilles d'Orval (II, 4-22, p. 38-44, éd. Heller).

En fait, différentes Vies de saint Lambert de Liège, « qui s'échelonnent de la première moitié du VIIIe siècle au milieu du XIIe, forment un copieux dossier dont on est encore loin [...] d'avoir épuisé les multiples possibilités » (J.-L. Kupper). Il ne faut pas oublier en effet les quatre Vitae Landiberti episcopi Traiectensis (la vetustissima, celle de l'évêque Étienne, celle de Sigebert de Gembloux et celle du chanoine Nicolas) publiées par B. Krusch, dans les Monumenta Germaniae Historica. Scriptores Rerum Merovingicarum, t. 6. Passiones vitaeque sanctorum aevi Merovingici, IV, Hanovre-Leipzig, 1913, p. 353-429 (accessibles sur la Toile).

La vie de Nicolas a fait l'objet d'une importante étude de R. Adam, La Vita Landiberti Leodiensis (ca 1144-1145) du chanoine Nicolas de Liège, publiée dans Le Moyen Âge, t. 111, 2005, p. 503-528 (accessible sur la Toile). Elle ne fournit pas le texte de la Vita, mais elle est très intéressante, parce que, dotée d'une riche bibliographie, elle n'aborde pas seulement la question de la biographie du saint mais passe en revue nombre d'éléments historiques, géographiques et légendaires des origines du diocèse de Liège.

Il n'est évidemment pas question pour nous de proposer ici une bibliographie détaillée du sujet, pas plus qu'il n'est question de commenter dans le détail la vision qu'en donne Jean d'Outremeuse dans son Myreur.

Sur son successeur saint Hubert, on trouvera quelques informations rapides infra, II, p. 341.


 

A. Vers ans 621-623 = Myreur II, p. 307b-308b : Empire byzantin : Héraclius vainc Chosroès - Papauté : Boniface V et Honorius Ier -  Monde franc : Saint Loup - Clovis II fait enlever et épouse la fille de Brandimont, roi des Saxons

 

B. 624-625 = Myreur II, p. 308b-312a : Saint Théodard, saint Lambert et saint Remacle

 

C. vers 6266 = Myreur II, p. 312b-314a : Origine et nom de la ville de Liège - Trond, saint Trond et la ville de Saint-Trond

 


 

A.  Ans 621-623 = Myreur II, p. 307b-308a

Empire byzantin : Les envahisseurs perses de Chosroès vaincus par l'empereur Héraclius, aidé par le Goth Sébuste - Baptême imposé aux Juifs par Héraclius - Papauté : Le pape Honorius Ier (625-638 n.è.) succède à Boniface V (619-625 n.è.) - Monde franc : Saint Loup - Clovis II fait enlever pour l'épouser la fille de Brandimont, roi des Saxons - Elle reçoit le baptême (sainte Baptême)

 

Saint Loup

[II, p. 307b] Item l'an VIc XXI, le jour de la Pentechoste celebroit sains Leux messe, archevesque de Sens ; si desquendit en son calix une pire precieux qu'ilh envoiat en Franche al roy Cloveis, qui mult noblement le mist en or awec des altres reliques dedens une engliese à Paris.

[II, p. 307b] En l'an 621, le jour de la Pentecôte, saint Loup, archevêque de Sens, célébrait la messe. Dans son calice tomba une pierre précieuse ; il l'envoya en Francie au roi Clovis II, qui la plaça solennellement, sertie d'or, avec d'autres reliques, dans une église à Paris.

Chosroès, roi des Perses - Héraclius, empereur des Romains - Sébuste, prince des Goths, venu aider les Romains

[De roy Costre - Eracle - L’an VIc et XXII] En cel an assemblat grant gens ly roy Cosdre de Persie, et commenchat à conquere sour les Romans : et promirs ilh conquist Alixandre en Egypte, et apres Cartaige en Affrique ; puis vint en Ytaile sour l'an VIc et XXII, si commenchat le pays à destruire et y conquist pluseurs citeis, puis vient à Romme ; mains li emperere Eracle le corut sus, si oit victoire et furent les Persiens desconfis, et si en fut ochis XIIm et ly remanant s'enfuit.

[Le roi Chosroès - Héraclius - An 622] Cette année-là, le roi Chosroès II de Perse rassembla de nombreuses forces et commença à conquérir des terres romaines. Il s'empara d'abord d'Alexandrie en Égypte, puis de Carthage en Afrique. Ensuite, il vint en Italie en l'an 622. Il se mit à dévaster le pays et à conquérir de nombreuses cités, puis arriva à Rome. Mais l'empereur Héraclius l'attaqua et remporta la victoire. Les Perses furent défaits ; ils eurent douze mille tués et les rescapés s'enfuirent.

Mains ilh encontrarent en leur voie Sebuste, le prinche de Gothie, qui venoit sourcorir les Romans, liqueis les corut sus, si en ochist IXm et ly roy meismes fut navreis, mains ilh repassat mere et garist ; si fist apres mult de mals, enssi com vos oreis.

Mais sur leur route, ils rencontrèrent Sébuste, le prince des Goths, qui venait au secours des Romains. Il attaqua les Perses et en tua neuf mille. Le roi en personne fut blessé, mais il reprit la mer et guérit. Sébuste causa après cela beaucoup de malheurs, comme vous l'entendrez (cfr II, p. 330 et p. 335). Pour le moment, le prince Sébuste reconquit toutes les cités qui s'étaient rendues aux Perses. 

Khosrô II (Chosroès en grec et dans la littérature historique francophone) est un empereur sassanide d'Iran ayant régné de 590 à 628 de notre ère. Il représenta un grand danger pour l'Orient byzantin.  On le retrouvera plus loin (II, p. 319-321) dans l'épisode de la prise de Jérusalem et du vol de la Sainte Croix. Mais avec la présente notice Jean d'Outremeuse n'est pas dans l'Histoire. Khosrô n'a pas dévasté l'Afrique et l'Italie. Il est resté en Orient. Héraclius toutefois, qu'on retrouvera plus loin comme adversaire de Khosrô (II, p. 319-321), a réellement existé comme empereur romain d'Orient (610-641 de notre ère).

Par contre le Sébuste qui intervient ici comme prince des Goths ne semble pas être un personnage historique, ce qui ne veut pas dire que les Goths ne sont pas historiques et n'ont pas joué un grand rôle dans l'Histoire. Quoi qu'il en soit, le Sébuste, venu ici en aide aux Romains, est présenté comme un « bon Goth », mais Jean fait allusion immédiatement aux aspects, négatifs, dus à la présence de sa famille (cfr II, p. 330 et p. 335).

Baptême imposé aux Juifs par Héraclius

Après chu fist ly emperere Eracle crier par tout son rengne que tous les Juys fussent ochis, s'ilh ne prendoient baptemme.

Ensuite, l'empereur Héraclius fit proclamer par tout son royaume que tous les Juifs seraient mis à mort, s'ils ne prenaient pas le baptême (pour la suite d'Héraclius, cfr II, p. 319)

Réalité historique que le baptême forcé des Juifs. « Au cours de la guerre byzantino-perse, il apparaît que les Juifs ont souvent accueilli favorablement les Sassanides dans les provinces conquises. Peut-être ont-ils même gouverné un temps la ville de Jérusalem après sa chute en 614. Dans tous les cas, quand il reprend le contrôle des régions orientales, Héraclius impose notamment aux Juifs le baptême forcé, tandis que des manifestations locales antisémites sont récurrentes et conduisent parfois à des massacres. La portée et l'effectivité de l'obligation de baptême continuent de faire débat, mais elles attestent de la volonté d'Héraclius d'uniformiser les convictions religieuses au sein de l'Empire » (Wikipédia <Héraclius>)

Le pape Honorius Ier (625-638 n.è.) succède à Boniface V (619-625 n.è.)

[Honorius li LXXIII pape] En cel an meisme, en mois de marche le XXIe jour, morut li pape Bonifache, et fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire. Et apres sa mort vacat li siege VII mois et XVIII jours ; puis fut consacreis à pape de Rome Honorius, li promier de cel nom, qui fut de le nation de Campangne, fis Piron le mariscal. Et tient le siege X ans IX mois et XVII jours, et Martin dist XII ans I mois [II, p. 308] et XVII jours, et I altre dist XII ans XI mois et XVII jours.

[Honorius, 73e pape] En cette année [622], le 21 mars, le pape Boniface mourut, et fut enseveli dans l'église Saint-Pierre. Après sa mort, le siège resta vacant sept mois et dix-huit jours. Puis Honorius, premier de ce nom, fut consacré pape ; il était originaire de Campanie, fils de Piron le maréchal. Il occupa le siège dix ans, neuf mois et dix-sept jours ; Martin dit douze ans, un mois [II, p. 308] et dix-sept jours, et un autre dit douze ans onze mois et dix-sept jours.

Clovis II fait enlever pour l'épouser la fille de Brandimont, roi des Saxons - Elle reçoit le baptême (sainte Baptême)

[Discors entre Franchois et Saxons] Item, l'an VIc et XXIII en mois de may, mandat ly roy de Franche Cloveis al roy Brandimont de Saxongne que ilh li vosist envoier sa filhe Erbetune, car ilh l'avoit oiit tant prisier, que ilh le voloit avoir à femme ; mains ly roy paiiens li escondit, portant que les Franchois estaient cristiens. Et quant ly roy Cloveis entendit chu, si mandat Symbolus, son prevoste, et li dest qu'ilh assemblast ses gens, et alast en Saxongne destruire le trahitre, et li amenast la pucelle Erbetune ou Batrude.

[Discorde entre Francs et Saxons] En l'an 623, au mois de mai, le roi de Francie Clovis II demanda au roi Brandimont de Saxe de bien vouloir lui envoyer sa fille Erbetune, car il avait entendu tellement d'éloges à son sujet qu'il voulait l'épouser. Mais le roi païen refusa, parce que les Francs étaient chrétiens. Quand il apprit cela, le roi Clovis convoqua son prévôt Symbolus, lui dit de rassembler ses gens, d'aller en Saxe anéantir le traître et de lui ramener la pucelle Erbetune ou Batrude.

[Coment li roy Cloveis de Franche fut marieis] Adont alat li prevoste en Saxongne, si gastat le paiis ; mains quant les hommes de paiis veirent chu, si vinrent al roy Brandimont et li desent que ilh le liveroient son corps propre à roy de Franche, se ilh ne faisoit aux Franchois pais ; car ilh en estoit que ilh n'avoit nulle poioir à eaux. Quant ly roy entendit chu, si oit paour : se prist sa filhe et le fist mult rechement aourneir, et montat à cheval, awec ly cent chevaliers sens armes, et vient contre les Franchois, se les livrat sa fillie por eistre royne de Franche. Quant Symbolus veit chu, se prist la pucelle et l'amenat en Franche mult gentiment, et pardonnat al roy son peire, son matalent à la proier de la pucelle

[Comment fut marié le roi Clovis de Francie] Alors le prévôt se rendit en Saxe et dévasta le pays. Mais en voyant cela, les habitants vinrent trouver le roi Brandimont et lui dirent qu'ils livreraient sa propre personne au roi de Francie, s'il ne faisait pas la paix avec les Francs ; car la situation était telle qu'ils ne pouvaient rien contre les envahisseurs. Quand il entendit cela, le roi eut peur. Il prit sa fille et la fit richement équiper ; puis il monta à cheval, accompagné de cent chevaliers sans armes, se porta à la rencontre des Francs et leur donna sa fille pour qu'elle soit reine de Francie. Quand il vit cela, Symbolus prit la pucelle, l'amena très noblement en Francie et, à la prière de la pucelle, pardonna au roi son père sa mauvaise attitude.

[De la royne sainte Baptemme] Enssi fut la pucelle amenée à Paris, où li roy, qui grant joie en oit, le fist baptesier. Et ly demandat comment elle voloit estre nommée, et la dammoisel respondit qu'elle avoit tousjours, depuis le jour que elle oit congnissanche, desireit à eistre cristine et avoir bapteme ; et portant que tant l'avoit desireit, elle voloit estre nommée par son propre nom : Baptemme. Et enssi fut la damme nommée et encors le nom-ons sainte Baptemme, qui garist de griefs maladies ; et fut une mult sainte damme, et encors le nom-ons sainte Baptemme.

[La reine sainte Baptême] La pucelle fut ainsi amenée à Paris où le roi, qui en éprouva une grande joie, la fit baptiser. Il lui demanda comment elle voulait être appelée. La demoiselle répondit que, depuis le moment où elle eut connaissance du christianisme, elle avait toujours désiré être chrétienne et recevoir le baptême. Parce qu'elle l'avait tant désiré, elle voulait porter comme nom celui de Baptême. On le lui donna et elle s'appelle encore sainte Baptême. Elle guérit de graves maladies. Ce fut une très sainte dame.

Cette curieuse 'sainte Baptême' est la vertueuse reine Bathilde, une esclave anglo-saxonne de la familia du maire du palais Erchinoald, lequel la présenta au jeune Clovis II et que celui-ci épousa. Elle eut pendant quelques années une grande influence dans le gouvernement du royaume neustrien (cfr 481-888, p. 252). Quelques lignes sur elle apparaissent dans les Grandes Chroniques, T. 2, livre V, § 22, p. 194-195, éd. Viard, où elle porte le nom de Bautieut. Cfr aussi II, p. 321, le site <Sainte Bathilde> sur Wikipédia et un article récent (2000) de J. Merceron, L’image de sainte Bathilde reine de France, accessible sur la Toile.


B. Ans 624-625 = Myreur II, p. 308b - 312a

Autour de l'histoire de Liège/Maastricht - SAINT THÉODARD, mais surtout SAINT LAMBERT ET SAINT REMACLE

Saint Théodard arrive à Maastricht comme disciple de saint Remacle

Saint Lambert : premières années et Landoald comme maître - généalogie et parenté - précocité - miracles - disciple de saint Remacle

Saint Remacle : renommée - rôle politique sous Sigebert III - vie parfaite - fondations d'églises - vision de saint Hadelin - canonisation - Indulgences pour la première chapelle de Liège

 

Saint Théodard arrive à Maastricht comme disciple de saint Remacle

[II, p. 308b] [L’an VIc et XXIIII] Sour l'an VIc XXIIII vient sains Thyars à Treit, et fut disciple à sains Remacle.

[II, p. 308b] [L’an 624] En l'an 624, saint Théodard vint à Maastricht et fut le disciple de saint Remacle.

Saint Lambert : premières années et Landoald comme maître - généalogie et parenté - précocité - miracles - disciple de saint Remacle

[Landoaldus li maistre sains Lambert] En cel an fut osteis sains Lambert, fis le conte Aper d'Osterne, del escolle de Ventreshoven, où ilh avoit esteit XIII ans, et avoit esteit son promier maistre Landoaldus, li archepreistre de Treit qui tient le siege del evesqueit por sains Amans, sicom dit est. Et deveis savoir que ilh fut maistre à sains Lambert les IX ans tant seulement qu'ilh tient le siege por sains Amans, et IIII ans al temps sains Remacle, assavoir jusques al [II, p. 309] temps deseurdit ; et puis le prist sains Remacle deleis luy. Si l'enfourmat mult à son temps. Et avoit sains Lambert d'eaige, quant ilh vient deleis sains Remacle , XXI an.

[Landoald, le maître de saint Lambert] Cette année-là, saint Lambert, fils du comte Aper d'Osterne, fut retiré de l'école de Wintershoven, où il était resté sept ans. Son premier maître avait été Landoald, l'archiprêtre de Maastricht, qui tint le siège de l'évêché pour saint Amand, comme cela a été dit (cfr II, p. 293). Et vous devez savoir qu'il fut le maître de saint Lambert seulement pendant les neuf ans où il tint le siège pour saint Amand, et pendant quatre ans, au temps de saint Remacle, à savoir jusqu'à [II, p. 309] la date dite ci-dessus ; et puis saint Remacle le prit près de lui. Et il l'instruisit beaucoup de son temps. Saint Lambert était âgé de vingt-et-un ans, quand il se trouvait auprès de saint Remacle.

[Del generation sains Lambert, et où ilh fut neis] Ilh sont aulcunes gens qui dient que sains Lambert fut de Treit, mains ilh fut neis en la conteit d'Osterne, qui est maintenant nommée la conteit de Louz ; mains ilh fut de Treit depart sa mere, si vos dirons comment.

[La généalogie de saint Lambert et son lieu de naissance] Certaines personnes disent que saint Lambert était de Maastricht. En fait il naquit dans le comté d'Osterne, maintenant appelé comté de Looz, mais il était de Maastricht par sa mère. Nous vous dirons comment.

Sachiés qu'ilh oit à Romme, si com j'ay dit desus, I emperere qui oit nom Maurisse, qui fut emperere devant l'emperere Fouques, liqueis avoit une filhe qui fut nommée Aperine ; ilh n'avoit plus belle dechà mere. Et à cel temps si estoit conte d'Osterne Theodrich, qui avoit uns fis qui oit nom Lambert, qui à Rome servoit l'emperere Maurisse, et en servant il enamat Aperine, et li unc l'autre enssi com jovenes gens font communnement. Et finablement Lambert l'amenat en Allemangue en la terre de son pere, se le prist à espeux. Theodrich, quant ilh morut, estoit conte d'Osterne, et apres sa mort fut Lambert, son fis, conte d'Osterne, et Aperine contesse.

Sachez qu'il y avait à Rome, comme je l'ai dit ci-dessus (II, p. 266, p. 275, p. 286, p. 294), un empereur nommé Maurice, le prédécesseur de Phocas, père d'une fille nommée Apérine ; il n'y en avait pas de plus belle de ce côté-ci de la mer. À cette époque le comte d'Osterne était Théodoric, qui avait un fils nommé Lambert ; ce Lambert servait à Rome l'empereur Maurice, et il s'éprit d'Apérine et, comme le font généralement les jeunes gens, Apérine l'aima aussi. Finalement, Lambert l'amena en Allemagne, sur la terre de son père, et l'épousa. Quand Théodoric, le comte d'Osterne,  mourut, son fils Lambert devint comte d'Osterne et Apérine fut comtesse.

[Sygelans et Hisplinde les parens sains Lambert] Si orent I fis qui fut nommeis après le nom de sa mere Aper, qui fut conte d'Osterne apres son peire. Chis Aper oit à femme Hisplinde, la filhe Sygelans qui estoit sires temporeis de Sains-Pire à Treit ; et fut I noble prinche et puissans d'avoir et d'amis, ilh estoit bien pres prochain al duc d'Arden. Chis Aper et Hisplinde orent I fis qui fut nommeis Lambert, et chu est sains Lambert, et fut neis à Ventreshoven, le chief de la conteit d'Osterne, et fut neis le XXVe jour de mois de may, le promier jour d'esteit.

[Sygelans et Hisplinde, apparentés à saint Lambert] Lambert et Apérine eurent un fils, qui fut appelé Aper, d'après le nom de sa mère, et qui succéda à son père comme comte d'Osterne. Cet Aper épousa Hisplinde, la fille de Sygelans, seigneur temporel de Saint-Pierre à Maastricht. C'était un prince noble et puissant par sa richesse et ses amis, très proche aussi du duc d'Ardenne. Aper et Hisplinde eurent un fils, nommé Lambert ‒ c'est notre saint Lambert ‒, qui naquit à Wintershoven, la cité principale du comté d'Osterne, le vingt-cinquième jour de mai, le premier jour de l'été.

[Sains Lambert parlat de trois mois] Et quant ilh oit III mois d'eaige ou pres, assavoir la vigiel del Assumption Nostre-Damme en awoust, que sa mere junnoit pain et aighe, et dest à la nouriche qui nourissoit sains Lambert, que elle li fesist une tortelet por mangier à sa junne, celle dest : volentier, et se n'en avoit cure, car tantost l’oit mis en oblit.

[Saint Lambert parla à l'âge de trois mois] Et quand il eut atteint l'âge de trois mois à peu près, c'est-à-dire la veille de l'Assomption de Notre-Dame, en août, jour où elle jeûnait au pain et à l'eau, sa mère dit à la nourrice de saint Lambert de faire une petite tourte qu'elle mangerait pendant son jeûne. La nourrice dit oui, mais n'en fit rien, car aussitôt elle l'oublia.

Et quant messe fut ditte et la damme revenoit del engliese, adont dest Lambert à sa nouriche : « Ma damme revient de messe, et tu n'as mie fait son tortelet, tu en seras asquelhue ». Quant la nouriche entendit sains Lambert, si fut si espawentée qu'elle jettat I gran cris si hault que la damme l'oiit, si corut en sa maison, car elle fut espawentée del cris, si trovat la nouriche qui soy dementoit : « Que toy faut ? dest la [II, p. 310] damme, Dieu toy garde de mal. » Et elle respondit : « Damme, riens ne moy faut, fours que vostre enfant at parleit oussi parfaitement que vos poriés faire, et se m'at somonut vostre tortel. » Adont ly dest tout chu qu'ilh avoit dit, de quoy elle oit grant mervelhe.

Et, la messe dite, quand la dame revenait de l'église, saint Lambert dit à sa nourrice : « Madame revient de la messe, et tu n'as pas fait sa tourte : tu seras punie. » Quand la nourrice entendit saint Lambert, elle fut si épouvantée qu'elle poussa un cri si fort que la dame l'entendit et courut vers sa maison, effrayée. Elle trouva la nourrice affolée : « Que te faut-il ? dit la [II, p. 310] dame, que Dieu te garde de tout mal. » Et elle répondit : « Madame, il ne me faut rien, sauf que votre enfant a parlé aussi parfaitement que vous pourriez le faire, et il m'a rappelé votre tourte. » Alors, elle lui dit tout ce qu'il avait dit, ce qui l'émerveilla beaucoup.

Sur sainte Madalberte, la nourrice de saint Lambert, dont le nom n'apparaît pas ici, cfr notamment II, p. 328 et p. 415 .

[Comment sains Lambert portat des carbons ardans sens ardre son geron] Sains Lambers fut plains de divine inspiration, ilh fut mis XIII ans à Ventreshoven al escolle où Landoaldus l'archepreistre tenoit l'escole, qui instruit sains Lambert en gramaire. Si avient que, unc jour que li temps estoit frois, que li maistre Landoaldus, portant que ses enfans avoient froit, si demandat à ses enfans liqueis yrat quere des carbons à la bressin, et die al bresseur Goudefroit que « mes escolliers engallent de froit. » Adont salt sus sains Lambers et dest que ilh yroit, et y alat. Et, quant ilh vient là, ly bresseur li dest : « Beaux fis, en quen enporteras-tu les carbons ? » Et respondit sains Lambers : « Anchois que je n'ay de feu, je les enporteray en mon geron de ma cotte. » Et dest Goudefrois par solas : « Beaux fis, vos en aureis asseis. » Adont li jette en une truvel de fier des carbons en son geron, portant qu'ilh quidat qu'ilh dewist ardre. Et sains Lambert les portat à l'escolle à son maistre et les mettit devant luy, sa cotte demorant oussi belle et entier com elle estoit devant. A grant myracle tient li maistre cesti faite.

[Comment saint Lambert porta des charbons ardents sans brûler son vêtement] Saint Lambert, grandemment influencé par Dieu, resta à Wintershoven pendant treize ans à l'école tenue par l'archiprêtre Landoald (cfr II, p. 308) qui lui enseigna la grammaire. Un jour où le temps était froid, comme les enfants avaient froid, le maître Landoald demanda qui parmi eux irait chercher des charbons à la brasserie en disant au brasseur Godefroid : « Mes écoliers gèlent de froid. » Alors saint Lambert se leva, dit qu'il irait à la brasserie et se mit en route. Quand il arriva, le brasseur lui dit : « Beau fils, dans quoi emporteras-tu les charbons ? » Et saint Lambert de répondre : « Avant qu'ils ne flambent, je les emporterai dans le pan de ma tunique. » Et Godefroid, un peu par plaisanterie, dit « Beau fils, vous en aurez beaucoup. » Alors, avec une pelle de fer, il jeta des charbons dans la tunique de l'enfant, en croyant que cela allait brûler. Mais saint Lambert les porta à son maître, à l'école, et les déposa devant lui, sa tunique demeurant aussi belle et intacte qu'auparavant. Le maître considéra ce fait comme un grand miracle.

[Del fontaine sains Lambert] Apres avient I jour que li maistre sains Lambert s'en vient en la plache Bertaire, où li conte Aper faisoit faire une engliese. Si no poioient les ouvrirs ovreir por le chaut, et si n'avoient pointe d'aighe, car ilh n'avoit là entour aighe, ne fontaine ne puche, fours que mares ; si voirent le ovrirs lassier l'ovraige por le defaut d'aighe. Quant sains Lambers veit chu, si soy mist en gennulhon et priat à Dieu que ilh vosist monstreir myracle ; puis fist une crois en terre de son doit, et tantoist alat la douche, aighe issir de terre cleire et sayne, et encors est-ilh à Ventreshoven. Les ouvrieres en ont buyt, si sont entalenteis del faire l'ovraige avant.

[La fontaine de saint Lambert] Plus tard, il arriva un jour au maître de saint Lambert de se trouver en la place Bertaire, où le comte Aper faisait construire une église. Les ouvriers ne pouvaient travailler à cause de la chaleur, et ils n'avaient pas d'eau, car les environs ne comptaient ni fontaine, ni puits, mais uniquement des mares. Quand saint Lambert vit que les ouvriers voulaient abandonner le travail à cause du manque d'eau, il s'agenouilla et pria Dieu de consentir à se manifester par un miracle. Puis, avec son doigt, il fit une croix sur le sol, et aussitôt se mit à sortir de terre une eau douce, claire et saine, une source qui se trouve encore à Wintershoven. Les ouvriers en burent et décidèrent de continuer le travail.

Saint Remacle : renommée - rôle politique sous Sigebert III - vie parfaite - fondations d'églises - vision de saint Hedelin - canonisation - Indulgences pour la première chapelle de Liège

[De sains Remacle et ses disciples] Quant sains Remacles oiit de Lambert teiles novelles dire, si le mandat, et tantost à Theodart fut compangnon, si furent ambdois ses disciples.

[Saint Remacle et ses disciples] Quand saint Remacle entendit rapporter de telles nouvelles sur saint Lambert, il le fit venir. Aussitôt Lambert devint le compagnon de Théodard et tous deux furent les disciples de saint Remacle.

Item, l'an VIc et XV, avoit sains Remacle mult de glorieux disciples, et estoit si renommeis que ons ne parloit par toute le monde, se de sa sainte vie nom que ilh menoit. Ilh estoit del tout maistre et governeurs del roy Sygibert d'Austrie, et de [II, p. 311] tout son rengne. Et fist sains Remacle tant de biens, que li racompteir n'est mie en pussanche d'homme ; et ne fut onques troveis hons à son temps, qui posist dire en nulle manere que sains Remacle li awist onques faite chouse de laqueile ilh le haiist. Sains Remacle estoit tous commons, bons, douls et favorable à cascon, et n'estoit pais arrogans del tollir ne osteir à ses gens privileges, ne franchies, ne altres chouses ; anchois en impetroit por eaux al roy Sigibert. Ilh estoit tant humble, que les orgulheux estoient por ly humbles ; aux orgulheux ilh faisoit reverenche por adouchier, les humbles ilh aplainoit et faisoit d'eaux com de ses freres. Ilh demonstroit en terre vie celestine, et par queile manere ons le devoit acquerir. Si estoit de cuer et de pensées songneux de prechier, et estoit jovenes hons de XXXIII ans : ilh estoit circonspecte en ses fais, ilh estoit tres-bons et devols en ses junnes, ilh estoit tres-grans en conselhe, ilh estoit tres-piteux, en la foid catholique ilh estoit tres-plains de cariteit, et estoit vrais et doux moyens entre les riches et les povres. Quant ilh estoit awec les povres, ilh soy comptoit por povre et leur frere, si les faisoit grans biens ; et quant ilh estoit awec les riches, en la court le roy ou altrepart, ilh estoit compteis awec les riches.

En l'an 615, saint Remacle avait beaucoup de disciples célèbres et il était si renommé que, dans le monde entier, on ne parlait que de la sainte vie qu'il menait. Il était en tout le maître et le gouverneur du roi Sigebert (III) d'Austrasie et de [II, p. 311] son royaume. Il fit tant de bonnes choses qu'il est impossible à quelqu'un de les raconter ; et jamais, de son temps, on ne put trouver un homme qui aurait pu dire que saint Remacle, un jour, de quelque manière que ce soit, lui avait fait quelque chose qui l'aurait porté à le haïr. Saint Remacle était simple, bon, doux, bienveillant pour chacun ; il n'avait pas l'arrogance d'enlever ou de retirer à ses gens des privilèges, des franchises ou autres choses ; au contraire, il en sollicitait pour eux au roi Sigebert. Il était si humble qu'à ses yeux les orgueilleux étaient humbles ; aux orgueilleux il manifestait de la considération pour les adoucir ; il flattait les humbles et les traitait comme des frères. Il vivait sur la terre une vie céleste, et il montrait de quelle manière on devait l'acquérir. De coeur et d'esprit, il était soucieux de prêcher. Ce n'était qu'un jeune homme de trente-trois ans, mais il était circonspect dans ses actes, très bon et assidu dans ses jeûnes, excellent comme conseiller, très pieux, dans la foi catholique, il était très charitable, c'était aussi un vrai et doux médiateur entre les riches et les pauvres. Quand il était avec les pauvres, il se considérait comme un pauvre et comme leur frère, leur accordant beaucoup de bienfaits ; quand il était avec les riches, à la cour du roi ou ailleurs, il était compté parmi les riches.

[Sains Remacle fondat l’englise de Jupilhe] Sains Remacle fut fondateur de mult d'abbies et d'englieses : la promier engliese que sains Remacle edifiiat fut en l'honneur de sains Amans, son predicesseur, et le fondat en la vilhe de Jupille, sor l’an deseurdit Vlc et XXV.

[Saint Remacle fonda l’église de Jupille] Saint Remacle fut le fondateur de nombreuses abbayes et églises. La première église qu'il édifia le fut en l'honneur de saint Amand, son prédécesseur, et il la fonda à Jupille, en l'an 625, mentionné ci-dessus

[Vision à sains Halen de sains Remacle] En cel an s'apparut une vision à sains Hadelin qui habitoit en Acquitaine, et ly sembloit qu'il veioit sains Remaele, son maistre, qui l'avoit là envoyet prechier ; et semblat à sains Hadelin que sains Remacle li monstroit unc lieu, et ly disoit qu'ilh edifiaste là une engliese où ilh usast sa vie saintement, et affin que li lieu ne ly fust ignorans ilh y troveroit une fontaine, qui mult li seroit albe et profitauble.

[Vision de saint Remacle par saint Hadelin] Cette année-là [625], saint Hadelin qui habitait en Aquitaine eut une vision ; il lui sembla voir saint Remacle, son maître, qui l'avait envoyé là pour prêcher. Saint Hadelin crut ainsi voir que saint Remacle lui montrait un endroit en lui disant d'y édifier une église, où il passerait sa vie saintement. Et il ajouta, pour qu'il identifie bien l'endroit, qu'il y trouverait une fontaine, très accessible et utile.

[Sains Remacle fut canonisiés à son vivant] Lendemain s'en allat sains Halen en lieu qui li estoit demonstreit, si fondat une engliese, en l'honneur de sains Remacle, par-deleis la fontaine qui par myracle estoit venue, en laqueile ilh usat sa vie, et à sa fin ilh y fut ensevelis. Enssi fut sains Remacle canonisiés à son vivant par sains Hadelin, par lequeile fut ly engliese fondée en son nom deleis la fontaine.

[Saint Remacle fut canonisé de son vivant] Le lendemain, saint Hadelin se rendit à l'endroit qui lui avait été indiqué et y fonda une église en l'honneur de saint Remacle, à côté de la fontaine qui était miraculeusement apparue. Dans cette église il passa le reste de sa vie et, à sa mort, il y fut enseveli. Ainsi saint Remacle fut canonisé de son vivant par saint Hadelin, qui fonda l'église en son nom près de la fontaine.

[Sains Remacle acquist grant indulgenche al promier capelle de Liege] En cel an sains Remacle, qui amoit le lieu et la capelle sains Cosme et sains Damien que li evesque sains Monulphe avoit fondeit en bois, et y aloit dire messe, [II, p. 312] ensi com sains Monulphe l'avoit ordineit ; si s'avisat et mandat à Romme al pape Honorius pardons et indulgenches à ladite capelle, liqueis pape li concedat qu'ilh y metist la summe des pardons, ilh l'en donnoit le auctoriteit et les confirmoit ; sique sains Remacle donnat à cascon personne qui requeroit la capelle lonch et pres, les VIII promiers jours de jule, trois ans de pardons por cascon fois, tant qu'ilh visiteroient le lieu les VIII jours durant, et toutes les fiestes et dymengnes de l'année qui le visenteroit cent jours de vrays pardons.

 [Saint Remacle obtint de grandes indulgences pour la première chapelle de Liège] Cette année-là [625], saint Remacle, qui aimait l'endroit et la chapelle de saint Côme et saint Damien, fondée dans un bois par l'évêque saint Monulphe, alla y dire la messe, [II, p. 312] comme saint Monulphe l'avait ordonné. Il décida et demanda au pape Honorius à Rome, d'attribuer pardons et indulgences à cette chapelle. Le pape lui permit d'y mettre le plus important des pardons. Il lui en donnait le pouvoir et confirmait ses décisions. Ainsi saint Remacle donna à tout qui, venant de loin ou de près, fréquenterait la chapelle pendant les huit premiers jours de juillet, trois ans de rémissions des péchés, à chaque visite ; il accorda aussi cent jours de rémissions totales lors de toutes les fêtes et les dimanches de l'année.


C. An 626 = Myreur II, p. 312b-314a

Naissance de Liège : un village se construit suite à l'afflux de pèlerins près du ruisseau Légia, origine du nom et de la ville de Liège - Trond et Saint Trond :  Trond, seigneur temporel d'une cité qui portera son nom (Saint-Trond) - il donne ses biens à l'église sur les conseils de saint Remacle - son histoire

 

 Naissance de Liège

[II, p. 312b] [L’an VIc et XXVI - Des promiers demoraiges qui furent fais à Liège] Adont ilh furent publiiés l'an VIc et XXVI ; si y aloit tant de gens à piet et à cheval, que tous les chemiens en estoient plains les VIII jours deseurdis durans, et les fiestes et dymengnes. Si y avoient fais des habitaicles, c'on nomme hayons, cheaux qui vendaient à boire et à mangier, tout contreval le riwesel qui estoit nommeit Liege, jusque Viviers où ilh soy feroit en Mouse.

[II, p. 312b] [L’an 626 - Les premières habitations faites à Liège] Ces règles furent publiées en l'an 626 et les gens qui y venaient, à pied ou à cheval, étaient si nombreux que les chemins en étaient remplis durant les huit jours mentionnés ci-dessus, et aussi pendant les fêtes et les dimanches. Les gens qui vendaient à boire et à manger avaient fait des étals, nommés hayons, tout en bas, en aval du ruisseau nommé Legia, jusqu'à Vivier, où il se jetait dans la Meuse.

[Deleis la capelle furent fais IIc maisons] En la fin fisent, tout solonc riwesel, des maison de congiet l'evesque sains Remacle, et bressoient cervoise, et vendoient vin et viandes por les pelerins, et tenoient hosteis et herbeges, et demoroient là parfaitement todis. Si ont edifiiet une belle vilhete de IIc maisons, toutes hostelires et cabarés, tout entour le riwesel jusque Mouse. Et la capelle seioit à unc bonier pres de riwesel, car elle seioit là li vilhe xhour del engliese Sains-Lambert à Liege este et encors y siet-elle ; et li riwesel passoit où ilh passe maintenant, en lieu où li Marchiet de Liege est edifiiet.

[Près de la chapelle deux cents maisons furent construites] Finalement, tout le long du ruisseau, avec l'autorisation de l'évêque saint Remacle, on construisit des maisons. On brassait de la cervoise, on vendait du vin et des aliments pour les pèlerins, on tenait des hôtels et des auberges qui restaient toujours là. On a ainsi construit un beau village de deux cents maisons, toutes des hôtelleries et des cabarets, le long du ruisseau jusqu'à la Meuse. La chapelle était à un bonnier du ruisseau ; c'est là que se trouvait le vieux choeur de l'église Saint-Lambert à Liège, où il est encore. Et le ruisseau passait là où il passe encore maintenant, à l'endroit où est édifié le Marché de Liège.

[Liege porquoy elle fut enssi nommée] Ilh y oit I bonne et petite vilhete, que li evesque et li peuple nommarent Liege, solonc le nom de riwesel qui estoit nommeis Legia. Et puis y fut faite une noble citeit qui oit nom et encor at Liege. Et la vilhete seioit tout emmy la citeit, et fut li mere de la citeit, car la citeit issit de lée. Si le nommat-ons dedont en avant Myrechoule, portant qu'elle estoit petite ; s'elle fust grant, elle fust apellée Meire, or fut-elle apellée Merechoule, qui est diminitive de mere. Et ceste vilhe est toute la paroche maintenant del Marie-Magdalene, qui le comprent toute et nient plus ; mains ilh y furent depuis edifiiés mansons pluseurs ens en larges rues, et faite des petites ruwalles, et toudis partout court li riwesel jusque Mouse.

[Pourquoi Liège fut ainsi nommée] Il y avait un bon petit village, que l'évêque et le peuple nommèrent Liège, d'après le nom du ruisseau appelé Légia. Puis fut construite une noble cité, qui eut et a encore pour nom Liège. Le petit village qui se trouvait au centre de la cité est à l'origine de la ville, un peu comme sa mère, car c'est de là qu'elle est issue. Ce village était appelé Merchoul, parce qu'il était petit. S'il avait été grand, il aurait été appelé Meire, or il fut appelé Merchoul, diminutif de mère. Cette ville forme l'actuelle paroisse de Marie-Magdeleine, qui la constitue entièrement, sans rien de plus ; mais depuis lors de nombreuses maisons y furent construites à l'intérieur, avec de larges rues et de petites ruelles, et le ruisseau coule toujours à travers tout jusqu'à la Meuse.

Saint-Trond

[Coment la vilhe de San-Tron oit chi nom] A cel temps que je dis, avoit unc jovenecheaux en Hesbay qui estoit nommeis Trons, qui estoit sires temporeis de [II, p. 313] une vilhe qui prist son nom à ly-meismes, car ilh oit et at à nom Santron.

[Comment la ville de Saint-Trond reçut ce nom] Au temps dont je vous parle vivait en Hesbaye un jeune noble qui portait le nom de Trond ; il était le seigneur temporel [II, p. 313] d'une ville, qui tira son nom de lui, car elle s'appela et s'appelle toujours Saint-Trond.

[Del grant devotion san Tron] Chis estoit proidhons et plains de cariteit, et estoit tres-riches de grandes possessions. Si oit grant volenteit del fondeir une engliese où ilh posist Dieu servir, et portant ilh deprioit tous jours à Dieu que ilh ly vosist soucorir à chu que ilh fust clers, car ilh seroit plus aible à eistre son servans.

[La grande dévotion de saint Trond] Cet homme était un sage, très charitable, très riche de grandes propriétés. Il avait l'intention bien ancrée de fonder une église dans laquelle il pourrait servir Dieu. Pour cela il priait Dieu tous les jours de vouloir l'aider à devenir clerc, car ainsi il serait plus apte à être son serviteur.

[San Tron oit vision d’angeles qui l’envoiont à sains Remacle, à Treit] Atant vient à san Tron une vision à grant consolation d'angeles, qui li desent qu'ilh s'en alast à Treit, et demontrasse à sains Remacle sa devotion, car chis ly donroit bon conselhe. Adont s'en allat san Tron vers Treit ; mains, anchois qu'ilh entrast en Treit, fust sains Remacle infourmeis par divine inspiration de sa venue et intention ; si envoiat encontre Santron ses ministres, et les commandat que ilhs l'amynassent devant luy à grant honneur, et enssi fut-ilh fait.

[Saint Trond eut la vision d’anges qui l’envoyaient à saint Remacle, à Maastricht] Alorsun jour saint Trond eut pour sa consolation une vision d'anges qui lui disaient d'aller à Maastricht pour signaler à saint Remacle sa dévotion : celui-ci lui donnerait un bon conseil. Alors saint Trond partit pour Maastricht ; mais avant qu'il ne soit entré dans la ville, saint Remacle fut informé par une inspiration divine de sa venue et de son projet. Il envoya ses serviteurs à sa rencontre et leur demanda de l'amener devant lui, en lui faisant grand honneur. Il en fut fait ainsi.

[Coment sains Remacle rechut douchement san Tron] Et quant sains Remacle veit devant ly san Tron, ilh soy levat encontre ly et se l'aplaniat mult douchement, et sains Tron soy mist en genos devant ly ; mains li douls sains Remacle le levat sus et le baisat, et l'assit deleis ly, puis li dest : « Beals fis, je say bien que vos quereis, et que vos demandeis, et que vos desireis : vos esteis si fort loiiés del amour et de cariteit de Dieu, que vos convoitiés à fondeir une engliese emmy vostre vilhe, dont vos esteis sires ; et portant que vos voleis sainte Engliese honnoreir, je welhe estre vostre sief en chi cas, por informeir en queile manere vos poreis venir à vostre intention del tout.

[Saint Remacle reçut saint Trond avec bonté] Quand saint Remacle vit saint Trond devant lui, il se leva, alla à sa rencontre et l'apaisa avec une grande bonté. Saint Trond s'agenouilla devant lui, mais le doux saint Remacle le releva, le baisa, l'assit près de lui, puis lui dit : « Beau fils, je sais bien ce que vous cherchez, demandez et désirez : vous êtes si fortement attaché à l'amour de Dieu et à la charité divine que vous souhaitez fonder une église dans votre ville, celle dont vous êtes le seigneur. Et puisque vous voulez honorer la sainte Église, je veux vous conseiller sur ce point en vous expliquant comment vous pourrez faire aboutir complètement votre projet.

[Sains Remacle conseilhat san Tron del donneir ses biens al engliese de Mes] Mains tout promier vos en yreis en la citeit de Mes, droit al engliese le glorieux protho-martyr sains Estiene, et reporteis sus en la main de capitle del engliese de Mes tous vos biens et vostres possessions teiles et queiles, et si avant que vos les aveis et teneis, et qui vos sunt esqueuwe de pere et de mere, et donneis tout à l'engliese Sains-Estiene absoluement, et vos sereis instruis de lettre et de clergerie, et puis revenreis à moy ; et adont je vos aideray de vostre engliese serat faite (à corriger en : à faire) et acomplir vostre promesse et desier. »

[Saint Remacle conseilla à saint Trond de donner ses biens à l'église de Metz] En tout premier lieu, vous irez directement à l'église du glorieux proto-martyr saint Étienne dans la cité de Metz, et vous remettrez dans les mains du chapitre de l'église toutes vos richesses et propriétés, telles qu'elles se présentent actuellement, celles que vous détenez maintenant et que vous avez reçues en héritage. Vous donnerez absolument tout à l'église Saint-Étienne, vous serez instruit dans les lettres et la clergie, puis vous reviendrez vers moi. Alors, je vous aiderai à faire votre église et à accomplir votre promesse et votre désir. »

 Enssi com je dis avient, car san Tron s'en alat à Mes en Lorenche, dont Clodulphe estoit evesque, et donnat ses biens entirement à l'engliese [II, p. 314] Sains-Estiene, et les possidont longement. Et puis, longtemps apres, ches biens revinrent à l'engliese de Liege, par une permutation d'aultres biens que li engliese de Liege avait en Lhoheraine, enssi com vos oreis chi-apres plainement.

 Cela se réalisa comme je le dis. Saint Trond se rendit à Metz, en Lorraine, dont Clodulphe était l'évêque, et il donna tous ses biens à l'église [II, p. 314] Saint-Étienne, qui les conserva longtemps. Et puis, longtemps après, ces biens revinrent à l'église de Liège, suite à une permutation avec des biens que l'église de Liège avait en Lorraine, comme vous l'entendrez en détail ci-après.

Clodulphe : fils de saint Arnould et son successeur comme évêque de Metz (cfr II, p. 451)

[De promier oit à nom Hasbach la vilhe San Tron] Et deveis savoir que al temps le peire san Tron avoit à nom la vilhe Hasbach mains elle fut nommée San-Tron apres le nom de san Tron qui en fut sires, et qui y viscat saintement et y fut ensevelis.

[D'abord la ville de Saint-Trond s'appelait Hasbach] Vous devez savoir qu'à l'époque du père de saint Trond, la ville s'appelait Hasbach, mais elle fut nommée Saint-Trond, d'après le nom de celui qui en fut le seigneur, qui y vécut saintement et qui y fut enseveli.

Quant san Tron oit donneit ses biens al engliese de Mes, sicom dit est, sains Clodulphe ly evesque de Mes le rechut reveremment et le tient deleis ly, et le instruit en clergerie mult douchement ; et puis si l'ordinat dyaque, et puis le renvoiat à sains Remacle, qui avoit lassiet l'evesqueit, si estoit abbés de Stavelo, enssicom vos oreis chi-apres.

Quand saint Trond eut donné ses biens à l'église de Metz, comme on l'a dit, saint Clodulphe, l'évêque de Metz, le reçut avec respect, le garda auprès de lui et l'instruisit en clergie avec beaucoup de bienveillance. Ensuite, il l'ordonna diacre et le renvoya à saint Remacle, qui avait quitté l'évêché et était abbé de Stavelot, comme vous l'entendrez ci-après. (Ref)

 [Sains Remacle fondat l’engliese de San-Tron] Et à sa revenue sains Remacle fist et edifiat de son propre patrimoine, et nient des biens de san Tron en ladit vilhe de San-Tron une abbie de noires moynes, en laqueile ilh mist mult de proidhommes, et si en fut san Tron soverains. Et enssi oit san Tron acomplit son intention, et menat là mult sainte vie, et apres son deches ilh fut là reveremment ensevelis.

[Saint Remacle fonda l’église de Saint-Trond] Et, à son retour, saint Remacle fit et édifia à Saint-Trond, sur son propre patrimoine et non sur les biens de la ville, une abbaye de moines noirs, où il installa beaucoup de sages, dont saint Trond fut le supérieur. Ainsi saint Trond réalisa son projet ; il mena là une vie très sainte et y fut enseveli avec respect.


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