Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 280b-289a

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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LES MÉROVINGIENS - L'EMPIRE - LES BARBARES - LA PAPAUTÉ - L'ÉVÊCHÉ DE TONGRES

Ans 598-611


 

A. Ans 598-601 = Myreur II, p. 280b-281a : Le pape Grégoire envoie saint Augustin ramener les Anglais à la foi chrétienne - Évêché de Tongres : Miracles des évêques Perpète (une femme ressuscitée) et Jean l'Agneau (Boggis, roi de Bavière)

B. An 601 = Myreur II, p. 281b-283a : Le jeune Dagobert avant son accession au trône - Le prince franc Sidrich, le couteau et les moustaches - Le courroux du roi Clotaire II - Le cerf réfugié dans une maison inaccessible à ses poursuivants - Le corps de saint Denis - L'église Saint-Denis à Paris

C. Ans 601-604 = Myreur II, p. 283b-284a : Papauté : Trois papes très différents, Grégoire Ier le Grand, Savinien et Boniface III

D. An 604 = Myreur II, p. 284b-285a : Évêché de Tongres : À l'époque de Jean l'Agneau, discussion sur l'aigle d'or comme emblème de l'église Saint-Barthélemy à Maastricht et sur la clef comme attribut de saint Servais

E. An 605 = Myreur II, p. 285b-286a : À Rome, mort de Boniface III et consécration du pape Boniface IV - À Constantinople, mort de l'empereur Maurice, tué par son successeur, l'empereur Phocas

F. Ans 605-609 = Myreur II, p. 286b-288a : Divers : Bataille entre Clotaire II et Théodoric - Mort de Clotaire II - Dagobert, 14e roi de Francie, règne pendant 13 ans - Notice sur les enfants de Clotaire II et le partage du royaume - Famine à Rome - Les livres de saint Grégoire échappent aux flammes - Primauté de l'église Saint-Pierre de Rome - Mahomet

G. Ans 610-611 = Myreur II, p. 288b-289a : Évêché de Tongres : Saint Jean l'Agneau : sa chapelle de Huy à saint Côme et saint Damien - Sa mort - Son ensevelissement et son élévation par Jean II

  


A. Ans 598-601 = Myreur II, p. 280b-281a

Le pape Grégoire (590-604 n.è.) envoie saint Augustin ramener les Anglais à la foi chrétienne - Évêché de Tongres : Miracles des évêques Perpète (607 ?-617) [une femme ressuscitée] et Jean l'Agneau [Boggis, roi de Bavière]

 

Le pape Grégoire (590-604 n.è.) envoie saint Augustin ramener les Anglais à la foi chrétienne

[II, p. 280b] [Les Englés furent reconvertis à la foid Dieu] Apres, l'an Vc et XCVIII en mois de may avint grant discorde entre le peuple d'Engleterre, car ilh y avait de cheas qui soy voloient remettre à la loy cristine, et les aultres, qui sont par-devers Chantorbie et Dorchiestre qui sont coweis, et mult d'altres qui voloient tenir la loy sarasine. Et en vient la novelle à Romme, et ly pape Grigoire y envoiat uns evesque por eaux à prechier et reconvertir à la foid Jhesu-Crist, lyqueis evesque oit nom Augustin. Chis les prechat par l'espause de II ans, anchois qu'ilh les posist convertir, et en la fin prisent baptemme de leur volenteit et de cuer entier.

[II, p. 280b] [Les Anglais furent reconvertis à la foi en Dieu] Par la suite, en l'an 598, au mois de mai, une grande discorde survint entre les habitants d'Angleterre. Certains d'entre eux voulaient revenir à la loi chrétienne, et d'autres, qui étaient munis d'une queue et installés dans les environs de Canterbury et Dorchester (cfr II, p. 257), ainsi que beaucoup d'autres voulaient conserver la loi sarrasine (cfr II, p. 145-146 et p. 196). La nouvelle en parvint à Rome, et le pape Grégoire envoya un évêque y prêcher et les reconvertir à la foi en Jésus-Christ. Cet évêque s'appelait Augustin (cfr II, p. 101 et p. 199). Il leur fit des prédications durant deux ans, avant de parvenir à les convertir et finalement ils se firent baptiser, de leur pleine volonté et de tout coeur.

Miracle de l'évêque Perpète qui resssuscite une femme à Dinant

[Sains Perpetuus resuscitat une femme à Dynant] Item, l'an Vc XCIX, le XVIe jour de mois de junne, estait une jovene femme en la vilhe de Dynant, si trahoit del aighe à I puche. Si vint là l varlet qui la dammoisel amoit par amour, et commenchat à tireir al pot dont elle trahoit son aighe, et elle tirait encontre ly, et enssi tirant par joie et par reveais, si avient que la dammoiselle chaiit en puche la tieste en bas, et hurtat sa tieste al mure de puche si fort que elle fut morte. Puis vinrent gens qui le trahirent fours de puche, et l'emportarent à l'engliese desous le fietre sains Perpetuus, en depriant le sains evesque que ilh vosist proier à Dieu por ladit damoiselle. Apres ne passat gaire, enssi com ilh estoient là en orisons, que la dammoiselle soy relevat saine et sauf de tous ses membres.

[Saint Perpète ressuscita une femme à Dinant] En l'an 599, le 16 juin, une jeune femme de Dinant puisait de l'eau dans un puits. Un jeune homme, qui aimait d'amour cette demoiselle, survint et commença à tirer sur le récipient avec lequel elle puisait son eau, et qu'elle tirait dans un sens contraire ; tandis qu'ils tiraient ainsi, gaîment et pour jouer, la demoiselle tomba la tête en bas dans le puits et mourut, sa tête ayant très fortement heurté le mur du puits. Des gens arrivèrent alors, la tirèrent du puits, et l'emportèrent dans l'église, au pied de la sépulture de saint Perpète, en suppliant le saint évêque de consentir à prier Dieu pour cette demoiselle. Et, tandis qu'ils étaient là à faire leurs oraisons, il ne se passa guère de temps avant que la demoiselle ne se relève saine et sauve, avec tous ses membres intacts.

Miracle de l'évêque Jean l'Agneau qu sauve l'âme de Boggis, roi de Bavière

[Johan Angneal convertit à prechier Bealwier] Item, l'an del Incarnation VI avient qu'en unc debat, en mois de may, fut ochis Boggis, le roy de Bealwier ; si mandat Ector, son fis, l'evesque de Tongre Johan Angneal, por celebreir la messe des exeques, et l'en priat mult humblement. Et ly evesque y alat volentier, car ilh avoit cheli paiis convertis al prechier, et acquis l'amour dedit saingnour et de peuple.

[Jean l'Agneau avait converti la Bavière par ses prêches] En l'an de l'Incarnation 600, il advint que Boggis, le roi de Bavière, fut tué au cours d'une querelle. Son fils Hector fit venir l'évêque de Tongres, Jean l'Agneau, et le pria très humblement de célébrer la messe des obsèques. Le saint évêque se rendit volontiers dans ce pays qu'il avait converti par ses prédications et où il avait acquis l'amour de son seigneur et de son peuple.

[L’arme le roy Bealwier fut salvée par Johan Angneal] Enssi com ly evesque y chevalchoit vers Bealwier, et passoit parmy unc bois que ons nommoit Crisel, si oiit si grant noise et bruit qu'il sembloit que tout li bois dewiste tempesteir, et entredois oioit une vois qui disait douchement : « Tres-sains hons, je suy perdus se tu ne moy socour, car cascon moy defolle. » Ly evesque Johan oit grant pawour, si soy muchat entres les arbres de bois, si n'aloit avant ne arrier, ne ses hommes enssi qui reclamoient Dieu por la grant hisdeur de tempeiste qui toudis enforchoit. Et li evesque soy sengnat, en regardant [II, p. 281] desous une arbre c'on nomme beolle.

[L’âme du roi de Bavière fut sauvée par Jean l'Agneau] Tandis que l'évêque chevauchait vers la Bavière et traversait un bois, nommé Crisel, un vacarme et un bruit si forts se produisirent que tout le bois semblait menacé d'une tempête. Et en même temps, l'évêque entendit une voix lui disant doucement : « Très saint homme, je suis perdu si tu ne viens pas à mon secours, car tout le monde me bafoue. » L'évêque Jean eut très peur et se cacha sous les arbres du bois, sans oser ni avancer ni reculer. Ses gens faisaient de même, adressant des appels à Dieu, suite à la terreur que leur inspirait la tempête, toujours plus forte. L'évêque se signa devant ce spectacle [II, p. 281], assis sous un bouleau.

Si veit unc jovenecel qui sonnoit I harpe, et deleis li uns altre qui sonnoit une vielle ; encors y fut ly thirs qui douchement sonnoit I flagot, si estoient vestus tous blans. Ly promier à l'evesque mult douchement parlat, et dest : « Drois evesque de Tongre, proidhons de sainte vie, lais aleir la paour, et aies fianche en Dieu et en la benoite Virge Marie, sa chire mere. Angeles astons de chiel, par cuy Dieu toy mande que celle grant noise, rude et malcortoise, chu sunt malignes espirs qui ont l'arme Boggis, le roy de Bealwier, laqueile est ou serat condampnée, se tu ne vas la messe celebreir ; portant toy vont decriant ches mals espirs, qui vuelent que li heure passe de la messe. Vas tantoist ta voie et fais chu porquen tu es mandeis, car en toy at Dieu mis le poioir de l'arme salveir, por une seule messe que tu diras por luy. »

Il vit un jouvenceau jouant de la harpe et, à côté de lui, un autre jouant de la vielle ; un troisième encore jouait doucement de la flûte. Tous étaient vêtus de blanc. Le premier parla très doucement à l'évêque et dit : « Toi qui es le véritable évêque de Tongres, un homme sage de sainte vie, oublie la peur ; aie confiance en Dieu et en la bienheureuse vierge Marie, sa mère chérie. Nous sommes des anges du ciel, par qui Dieu te fait savoir que ce grand vacarme, rude et déplacé, est le fait de mauvais esprits qui possèdent l'âme de Boggis, le roi de Bavière, une âme qui est ou sera condamnée, si tu ne vas pas célébrer la messe. Ils hurlent sur toi parce qu'ils veulent que soit passée l'heure de la messe. Poursuis ton chemin sans tarder et fais ce pourquoi tu es envoyé, car en toi Dieu a mis le pouvoir de sauver l'âme de Boggis, grâce à une seule messe que tu diras pour lui. »

Quant ly evesque entendit chu, si brochat avant vers la citeit et celebrat la messe, qui à Dieu plasit si bien que l'arme le roy fut salvée ; car ly evesque dest al roy Ector qu'ilh fesist son peuple junneir III jours, et donneir grandes almoynes. Puis soy partit ly evesque de là, si revint parmy le bois où ilh n'oiit riens de tempeste, si en merchiat Dieu. Et puis escutat, si oiit chant d'angles et d'archangles, qui l'arme de roy avoient tollue aux espirs d'ynfers, et l'emportoient en paradis, en faisant oussi grant joie celestine que ilh avoit troveit à l'autre fois duelhe infernal en chi bois, sicom dit est. Enssi fut l'arme ostée d'ynfer, et mise en paradis par Johan Angneal le sains evesque.

Quand l'évêque entendit cela, il éperonna sa monture en direction de la cité et célébra la messe, ce qui plut tellement à Dieu que l'âme du roi fut sauvée. En effet, l'évêque avait dit au roi Hector de distribuer de larges aumônes et de faire jeûner son peuple durant trois jours. L'évêque revint ensuite à travers le bois, où il n'entendit aucun signe de tempête, ce dont il remercia Dieu. Puis, il écouta et entendit chanter les anges et les archanges, qui avaient arraché aux esprits de l'enfer et emportaient  l'âme du roi au paradis. Cela provoqua une joie céleste égale à la douleur infernale vécue auparavant dans ce bois, comme on l'a dit. Ainsi Jean l'Agneau, le saint évêque, retira cette âme de l'enfer et la remit au paradis.

Sur les évêques de Tongres (Perpète et Jean l'Agneau), cfr notamment Gilles d'Orval, Gesta, I, 35, 37-39 (p. 29-30 Heller). Mais l'épisode lié à la mort de Boggis, roi de Bavière, ne figure pas chez Gilles d'Orval. Dans le Myreur, Boggis est le nom d'un fils de Childéric, duc d'Aquitaine (II, p. 321), et celui du sire de Poitiers, mari de sainte Ode (II, p. 306, p. 321 et  322 et p. 333).


 

B. An 601 = Myreur II, p. 281b-283a

Le jeune Dagobert avant son accession au trône - Le prince franc Sidrich, le couteau et les moustaches - Le courroux du roi Clotaire II  - Le cerf réfugié dans une maison inaccessible à ses poursuivants - Le corps de saint Denis - La fondation de l'église Saint-Denis à Paris

 

Dans l'histoire, Clotaire II a régné de 584 à sa mort en 629 : d'abord sur la seule Neustrie, puis sur la Bourgogne et l'Austrasie. Son fils Dagobert Ier a régné d'abord sur l'Austrasie que lui avait cédée son père en 623, puis, à la mort de celui-ci en 629, également sur la Neustrie et la Bourgogne ; lorsque mourut son frère Charibert II, en 632, l'Aquitaine s'ajouta à son domaine. Ainsi Dagobert régna de 623 à 639 et devint le roi des Francs (rex Francorum).

Sur les épisodes qui mettent en scène le jeune Dagobert avant son accession au trône, on verra J. Viard, Les Grandes Chroniques de France, tome II, Paris, 1922, p. 95-105 (Livre V, chapitres 2-4) où le personnage appelé Sidrich par Jean d'Outremeuse porte le nom de Sadragesiles. Ces épisodes figurent aussi dans la Gesta Dagoberti I regis Francorum, qui date du début IXe siècle (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum, 2, ed. B. Krusch, p. 396-425). Sans la lecture de cette Gesta Dagoberti et de la Grande Chronique, le récit de Jean d'Outremeuse est fort difficile à comprendre.

Le chroniqueur liégeois continuera l'histoire de Dagobert et ses réalisations, en II, p. 286-288, II, p. 290, II, p. 291, II, p. 292-293, II, p. 297-298, II, p. 301, II, p. 341.

 

[II, p. 281b] [Des Franchois] Sour l'an VIc et unc en mois de junne, aloit Dangobert, ly anneis fis le roy Clotaire de Franche, parmy le saule à Paris ; si avint que Sidrich, unc prinche de Franche, le blestengat fortement, ne say porquoy. Et Dangobert vint avant, se le ferit d'on cutel et le navrat mult durement. Si en fut ly roy mult corochiés, et le volt faire pendre ; mains les barons ly oistarent des mains et li firent pardonneir, de Sidrich promier et apres de roy.

[II, p. 281b] [Des Francs] En l'an 601, au mois de juin, Dagobert, le fils aîné du roi de Francie Clotaire II, marchait dans une salle du palais à Paris lorsque Sidrich, un prince franc, l'insulta gravement, on ne sait pourquoi. Dagobert alors s'avança vers lui, le frappa d'un coup de couteau et le blessa grièvement. Le roi en fut fort irrité et voulut faire pendre Dagobert ; mais les barons le lui enlevèrent des mains et obtinrent qu'il soit pardonné, par Sidrich d'abord, par le roi ensuite.

[De lieu où sains Denis fut ensevelis] En cel an s'avisat Dangobert, sy en alat cachier as bois, si eslevat unc chief  [II, p. 282] et le cachat tant, que li chief s'enfuit en une vilhe qui là seioit, que on nommoit Canelli, et entrat en une petit maison en laqueile li corps sains Denis fut jadit ensevelis. Et les chiens, qui le chief cachoient, le sewirent jusqu'à la maison, mains en la maison onques ne porent entreir ; de quoy Dangobert en oit mult grant mervelhe, et bien s'apensat en luy-meismes qu'en cel maison avoit alcon sanctuaire, si en priat Dieu merchi, si revient à Paris.

[Le lieu où saint Denis fut enseveli] Cette année-là, Dagobert eut l'idée d'aller chasser dans les bois. Il leva un cerf [II, p. 282] et le poursuivit jusqu'au moment où la bête s'enfuit dans une agglomération, située là et nommée Catulliacum. Le cerf entra dans une petite maison, dans laquelle le corps de saint Denis avait été jadis enseveli. Les chiens, qui pourchassaient le cerf, le suivirent jusqu'à la maison, mais sans jamais pouvoir y entrer. Dagobert fut très étonné de ce prodige et pensa que cette maison devait abriter un sanctuaire. Alors il demanda pardon à Dieu et revint à Paris.

[De Dangobert, le fis à roy franchois] Apres avint en cest an que Dangobert trovat dormant unc jour en unc vergier le prinche Sidrich qu'ilh avoit devant navreit, se prist unc cutel et li coupat tout le grenons, qui estoit adont ly plus grant honte qui poioit eistre faite à uns hauls prinche. Et quant ly prinche sentit sa barbe tyreir, si s'envoilat et soy corchat mult contre Dangobert, et salhit sus, si le vot ochire d'on coutel ; mains les altres chevaliers li osterent des mains, et Sidrich s'en alat al roy Clotaire, et soy plaindit à ly de chu que son fis ly avoit faite de noveal.

[Dagobert, le fils du roi franc] Un peu plus tard dans l'année,² Dagobert trouva un jour, endormi dans un verger, le prince Sidrich, qu'il avait blessé précédemment. Il prit un couteau et lui coupa intégralement les moustaches, ce qui était alors la plus grande honte qui puisse être faite à un grand prince. Quand Sidrich sentit qu'on lui rasait la barbe, il s'éveilla et se fâcha très fort contre Dagobert. Il sauta sur lui et voulut le tuer avec un couteau ; mais les autres chevaliers le lui ôtèrent des mains. Sidrich alla se plaindre au roi Clotaire du tort que son fils lui avait fait une nouvelle fois.

Quant ly roy veit chu, se dest que ons ly amenast son fis Dangobert devant luy, si l'alarent querir pluseurs chevaliers ; mains Dangobert s'enfuit, et n'arestat se vint en la maison où ly chief estoit devant fuis; et ly roy fist mult de gens aleir apres luy, et commandat qu'ilh fust ameneis ; mains chu fut tou nient, car onques ne porent entreir en la maison. Atant y alat ly roy meismes, mains ilh n'y pot entreir. Adont s'engenulhat ly roy, et fist son orison à Dieu que ilh ly donnast à entendre queile la cause estoit qui defendoit, ly et ses hommes, à entreir dedens cel maison. Adont ly dest une vois angelique que en chest petit maison gisoit ly corps sains Denys, si que nuls n'y poroit entreir por faire violenche à altruy.

Voyant cela, le roi fit amener son fils Dagobert devant lui. Plusieurs chevaliers allèrent le chercher mais Dagobert s'était enfui et, sans s'arrêter, il était arrivé à la maison où le cerf s'était réfugié. Le roi chargea beaucoup de gens de le suivre et leur ordonna de le lui amener ; mais ce fut en vain, car ils ne purent jamais entrer dans la maison. Le roi lui-même se rendit sur place, mais sans pouvoir entrer lui non plus. Alors il s'agenouilla et pria Dieu de lui expliquer ce qui les empêchait, lui et ses hommes, de le faire. Une voix angélique lui dit alors que cette petite maison abritait le corps de saint Denis et que, pour cette raison, personne ne pourrait y entrer pour faire violence à autrui.

 Et quant ly roy Clotaire entendit chu, si apellat son fis et li pardonnat tout le fourfait, et tantoist ilh entrat en la maison à sa volenteit et fist son orison ; puis soy partirent et revinrent à Paris.

Quand le roi Clotaire entendit cela, il appela son fils et lui pardonna tout ce qu'il avait fait de mal. Immédiatement après, il entra comme il le voulait dans la maison et y fit sa prière. Ensuite ils s'en allèrent et revinrent à Paris.

[Dangobert fondat l’englise Sains-Denys, et le covrit d’argent] [Li corps sains Denys fut translateit en unc fietre d’argent] Dedont en avant oit Dangobert si grant devotion à sains Denys que, oussitoist que ilh fut venus à sa terre, ilh fondat l'engliese Sains-Denys qui siet deleis Paris, et y mist [II, p. 283] noirs moynes por Dieu servir, et leurs donnat grandes possessions por eaux à vivre, et fist covrir ledit engliese d'argent, en droit lieu où li corps sains Denis devoit eistre mis, et fist le corps sains Denys translateir en unc fietre d'or et d'argent dedens cel engliese.

[Dagobert fonda l’église Saint-Denis et la couvrit d’argent] [Le corps de saint Denis fut transféré dans un sarcophage d'argent] Désormais Dagobert éprouva une si grande dévotion envers saint Denis, que, dès son retour sur ses terres, il fonda l'église Saint-Denis, située près de Paris. Il y installa [II, p. 283] des moines noirs pour servir Dieu, leur donna de grands moyens d'existence et fit couvrir d'argent la dite église, à l'endroit exact où devait être placé le corps de saint Denis (cfr une forme de répétition en II, p. 287 en l'année 606). Il l'y fit transférer dans un sarcophage d'or et d'argent


C. Ans 601-604 = Myreur II, p. 283b-284a

Papauté : trois papes très différents, saint Grégoire le Grand (590-604 n.è.), Sabinien (604-606 n.è.) et  Boniface III (607 n.è.)

 

Le pape Grégoire le Grand (590-604 n.è.)

[II, p. 283b] [Le grant procession le pape sains Grigore] En cel an ordinat li pape de Romme sains Grigore, por le cause de une grant impedimie qui adont regnoit sour le peuple des Romans, por le coroche de Dieu à refroidier, une procession faire en chantant le letanie par le citeit de Romme. Et, à le memoire de cel, fait-ons procession le jour de Sains-Mark. Et fust cest procession nommée septifourme, portant qu'elle estoit par VII parties devisée : assavoir promier s'en aloient apres les crois en promier chour tous les clers et en secon chour tous les abbeis et les moynes, en IIIe chour toutes les abbestes et leurs congregations, en IIIIe chour tous les enfans, en Ve tous les lays, en VIe totes les veves et en VIIe toutes les gens mariés.

[II, p. 283b] [La grande procession du pape saint Grégoire] En cette année [601], suite à une grande épidémie qui alors accablait les habitants de Rome, le pape saint Grégoire ordonna, pour apaiser la colère de Dieu, de faire une procession dans la ville de Rome en chantant les litanies. Et pour commémorer cela, cette procession se fit le jour de la Saint-Marc. Elle fut appelée 'septiforme', parce qu'elle était divisée en sept parties : derrière les croix qui étaient en tête, un premier choeur comprenait tous les clercs, un second tous les abbés et les moines, un troisième toutes les abbesses avec leurs congrégations, un quatrième tous les enfants, un cinquième, tous les laïcs, un sixième toutes les veuves et un septième tous les gens mariés.

[Des stations de Romme que sains Grigoire fist]  Item, l'an VIc et II le XXIIe jour de septembre, morut à Romme li pape sains Grigoire. Chis Grigoire fut en terre de mult sainte vie, et portant ilh fut nommeis angeles en terre, car en terre ilh menat vie d'angele. Ilh ordinat à son temps, dedens les englieses de Romme, les stations qui s'i font cascon jour al celebreir el remission de tout humaine lignie ; et, affin que les heresies des heretiques cessassent, ilh fist et ordinat à figureir, tant de talhe en bois ou en pire, com en ponture à coleur, les ymaiges des dyables, des tiestes et de tous membres generalment par toutes les englieses. Et chu fasoit-ilh por discipeir la rechine des heretiques, et por le vraie foid de sainte Engliese, et les prechemens que les sains proidhons faisoient, approveir et del tot ensachier.

[Des stations de Rome établies par saint Grégoire] En l'an 602, le 22 septembre, le pape saint Grégoire mourut à Rome. Ce Grégoire mena sur terre une vie très sainte, ce qui lui valut d'être appelé « ange sur terre », car sur terre il mena la vie d'un ange. De son temps, il détermina dans les églises de Rome les stations où se faisait chaque jour une célébration pour la rémission de tout le genre humain. Et pour faire cesser les hérésies, en général il fit et ordonna de faire figurer dans toutes les églises des images de diables, avec leurs têtes et leurs membres, taillées dans le bois ou la pierre, ou peintes en couleurs. Il faisait cela pour éradiquer la menace des hérétiques, faire approuver et sauvegarder totalement la vraie foi en la sainte Église et les prédications des sages.

Interprétation inexacte d'un texte de Martin d'Opava (Chronicon, p. 422, ed. Weiland) : In singulis ecclesiis Romane urbis in remissionem humani generis singulis diebus quadragesime statuit fieri staciones devocioni fidelium celebrandas. « Dans chacune des églises de Rome, pour la rémissison du genre humain, à chaque jour du carême il ordonna que soient établies des stations consacrées à la dévotion des fidèles. » Et ne antiqui erroris semen de cetero pullularet, ymaginibus demonum capita et membra fecit generaliter amputari, ut per hoc extirpata radice heretice pravitatis palma ecclesiatice veritatis plenius exaltaretur. « Et pour que la semence de l'erreur ne resurgisse de ce qui restait, il fit généralement couper la tête et les membres aux statues des démons : la racine de la perversité hérétique ayant été grâce à cela extirpée, la palme de la vérité de l'église serait davantage exaltée. » Ces dispositions n'apparaissent pas dans le Liber pontificalis.

Le pape Sabinien (604-606 n.è.)

[Savinians, ly LXVIIIe pape] Apres la mort sains Grigoire, vacat li siege unc mois et XXV jours, puis fut consacreis à pape de Romme ly LXVIIIe (Savinians] qui fut de la nation de Romme, et tient le siege une an V mois et IX jours.

[Sabinien, 68e pape] Après la mort de saint Grégoire, le siège resta vacant un mois et vingt-cinq jours, et puis le 68e pape, Sabinien, fut consacré à Rome. Il était originaire de Rome et occupa le siège pendant un an, cinq mois et neuf jours.

[Status papales del soneur les heures] Chi pape ordinat que, dedont en avant, fussent par les englieses sonnées les heures par clokes ou campannes.

[Ordonnance papale pour sonner les heures] Ce pape ordonna que dorénavant dans les églises des cloches ou des clochettes sonnent les heures.

[Sains Grigore s’apparut à son successeur pape et morut par sains Grigoire] Et soy mocquoit chi pape Savinians mult de chu que sains Grigoire avoit faite à son temps, et par especial qu'ilh avoit tant donneit aux povres des almoynes, et que ilh avoit esteit si liberaul aux povres cristiens  ; si retrahit les almons qui estoient en usaige al temps sains Grigore, et commandat qu'elle fussent subtraite.

[Saint Grégoire apparut au pape, son successeur, et provoqua sa mort] Ce pape Sabinien se moquait beaucoup de ce que saint Grégoire avait fait de son vivant, et spécialement du fait qu'il avait donné tant d'aumônes aux pauvres et avait été si généreux envers les chrétiens pauvres. Il supprima les aumônes qui étaient en usage au temps de saint Grégoire et ordonna de les récupérer.

Adont s'apparut sains Grigoire à ly, en mois de marche l'an VIc et III, en son dormant, et li dest : « Faux personne, ypocrite, porquoy as-tu retrait del donneir [II, p. 284] l'amoyne aux povres cristiens que j’avoie instaublit del donneir ? Je toy dis que d'hor en avant toy abstins de faire chu et de moqueir de moy, car tu en morois. » Enssi s'apparut trois nuit, mais onques por chu ne soy amendat li pape, anchois le publioit à cascon, en faisant ses gas de sains Grigoire, que l'amoyne ne seroit plus donnée.

 Alors saint Grégoire apparut à Sabinien dans son sommeil en mars de l'an 603, et lui dit : « Personne fausse et hypocrite, pourquoi as-tu cessé de donner [II, p. 284] l'aumône aux chrétiens pauvres, comme je l'avais établi ? Je te dis de t'abstenir dorénavant de le faire et de te moquer de moi, car tu en mourrais. »  Il lui apparut ainsi durant trois nuits, mais jamais le pape ne s'amenda. Il faisait même savoir à tout le monde, en se moquant de saint Grégoire  que l'on ne donnerait plus d'aumônes.

[L’an VIc et IIII] Adont vint sains Grigoire le quart nuit, qui fut de mois d'avrilh li XXVIIIe jour sour l'an VIc et IIII, car les trois nuit qu'ilh s'apparut ne continuoit pais, anchois avoit X jours ou XII entre dois ; et le ferit de son baston pastoral teilement, qu'ilh s’envoilat en criant si fort que toutes ses maisnies secretaires y vinrent acourant ; se le trovarent si durement navreit jusque le mort, et ilh les racomptat tout chu qu'ilh li estoit avenut, et tantost apres chu ilh morut ; si fut ensevelis, et apres vacat li siege VI jours.

[L’an 604]  Alors, saint Grégoire se présenta au cours d'une quatrième nuit. C'était le 28 avril de l'année 604, car les trois autres nuits où il était apparu ne se suivaient pas, mais étaient séparées par un intervalle de dix ou douze jours. De son bâton pastoral, il frappa tellement Sabinien que celui-ci s'éveilla et cria si fort que tous ses secrétaires accoururent près de lui. Ils le trouvèrent durement frappé, presque mort. Sabinien leur raconta ce qui lui était arrivé, et tout de suite après, il mourut. Il fut enseveli et, après lui, le siège resta vacant durant six jours.

Développement de Martin d'Opava (Chronicon, p. 422, ed. Weiland) : Hic constituit, ut hore diei per ecclesias pulsarentur. Hic cum beato Gregorio pape post mortem derogaret et maxime ipsius liberalitati, et propter hoc egenis manum adiutricem subtraheret, sanctus Gregorius ipsum ter per visum pro culpa redarguens et quarto, cum se corrigere nollet, in capite percussit, quo tactu etiam evigilans vexatus in capite expiravit.

Le pape Boniface III (607 n.è.)

[Bonifache, ly LXIXe pape] Puis fut consacreis à pape unc cardinal de la nation de Romme, qui fut nommeis Bonifache, ly thier de chi nom, liqueis tient le siege VIII mois et XXVI jours.

[Boniface, 69e pape] Puis fut consacré comme pape un cardinal originaire de Rome, nommé Boniface, troisième du nom. Il occupa le siège huit mois et 26 jours.


D. An 604 = Myreur II, p. 284b-285a

 

Évêché de Tongres : À l'époque de Jean l'Agneau, discussion sur l'aigle d'or comme emblème de l'église Saint-Barthélemy à Maastricht et sur la clef comme attribut de saint Servais

 

Les notices ci-dessous font référence à des événements de la vie de saint Servais, évoqués en II, p. 91-92 et analysés plus en profondeur dans un des dossiers de lecture, le D 11. La question de cet aigle d'or comme emblème reviendra plus tard, en II, p. 393, sous saint Hubert.

[II, p. 284b] [Del aigle que li evesque donnat à cheaux de Treit] En cel an suppliarent les canoynes de l'engliese Sains-Bertremere, en la vilhe de Treit, à l'evesque Johan Angneal, qu'ilh les vosist otroier auconne ensengne por mettre sour leur engliese, representant la cathedrale engliese del evesqueit de Tongre. Adont les demandat ly evesque queile ensengne ilh voloient avoir. Et cheaux desent que ilh avoient entre eaux dois parties, desqueiles li une voloit mettre une cleif, por le cleif que sains Pire avoit donneit à sains Servais, et ly altre voloit mettre une aigle d'or. Adont s'avisat ly evesque del myracle que jadit ly aigle avoit faite à sains Servais en la voie de Romme, si leur dest en teile manire :

[II, p. 284b] [L'aigle que l'évêque donna aux gens de Maastricht] Cette année-là [604], les chanoines de l'église Saint-Barthélemy, dans la ville de Maastricht, demandèrent à l'évêque Jean l'Agneau de bien vouloir leur attribuer, pour le placer sur leur église, un emblème qui représenterait l’église cathédrale de l’évêché de Tongres. L'évêque leur demanda quel emblème ils voulaient. Ils répondirent qu'ils se partageaient en deux groupes. L'un voulait mettre une clef, à cause de la clef que saint Pierre avait donnée à saint Servais. L'autre voulait y mettre un aigle en or. Alors l'évêque pensa au miracle que l'aigle avait jadis fait en faveur de saint Servais, lors de son retour de Rome. Et il leur parla ainsi.

[Porquoy sains Servais porte le cleif] « Beaus saingnours, je vos diray mon entention qui moy semble eistre de raison. Vos saveis, quant ly glorieux confesse sains Servais alat à Romme por deproier et oreir por sa citeit de Tongre qu'elle fust gardée des Huens qui adont regnoient en ches parties et destruoient tout, ly glorieux apostle sains Pire li donnat en sa main une cleif d'argent, laqueile nos avons encors. Et portant je vos concede que toutes les ymaiges, que d'ors en avant seront faites en l’honeur sains Servais, aient et tengnent en leur main une cleif, car sains Pire le livrat en sa main propre, et altrepart nient.

[Pourquoi saint Servais porte une clef] « Beaux seigneurs, je vais vous exposer mon idée, qui me semble raisonnable. Vous le savez, quand le glorieux confesseur saint Servais alla à Rome prier pour sa ville de Tongres et demander qu'elle soit protégée des Huns, qui régnaient alors dans ces contrées et détruisaient tout, le glorieux apôtre saint Pierre lui mit dans la main une clef d'argent, que nous possédons encore. C'est pourquoi, je permets que, sur toutes les représentations que vous ferez dorénavant en l'honneur de saint Servais, il ait et tienne en main une clef. Car c'est en sa main propre, et pas ailleurs, que saint Pierre la lui en donna.

[Le signe del cathedral engliese] Et apres vos dis que, al dessus del comble de vostre engliese, en droit signe vos mettereis une aigle d'oir ; car chu est raison, portant [II, p. 285] que quant sains Servais soy mist al retourneir de Romme, et ilh fut pris par les Gothiens qui le misent en prison, où ilh, par le plaisir de Dieu, apparut la nuit si grant clarteit et si grant fieste d'angeles et d'archangeles de paradis qui chantoient et mynoient teils desduit, que lesdit tyrans en orent grant mervelhe ; porquen lendemain, à plus chaut du jour, ilh le fisent myneir sour une grant montangne gesir al soleal por ly travelhier ; al queile soleal sains Servais, qui teile chaleur avoit pres qu'ilh ne moroit, endormit, et sudoit teilement qu'ilh sembloit que de li issit ly ris d'on fontaine.

[L'emblème de l'église cathédrale] Je vous dis ensuite de mettre sur le toit de votre église, en guise d'emblème, un aigle d'or. C'est ce qui convient, étant donné [II, p. 285] ce qui se passa lorsque saint Servais revint de Rome. En effet, il fut pris par les Goths qui le mirent dans une prison ; alors, par la volonté de Dieu, apparurent pendant la nuit une grande clarté et tant d'anges et d'archanges en fête, chantant et faisant tellement de bruit que les barbares s'en émerveillèrent. Le lendemain, au moment le plus chaud de la journée, ils firent conduire Servais sur une haute montagne où ils le couchèrent en plein soleil pour le tourmenter. La chaleur était telle que Servais fut bien près de mourir. Il tomba endormi, transpirant si fort que l'eau semblait sortir de lui comme un ruisseau d'une source.

[De sains Servais myracle] Atant envoiat Dieu unc sien angle el fourme d'aigle grant et planier, qui desus sains Servais seioit à eyles tendue contre le soleal, et li portoit ombre de l'on de ses eyles, et l'aventoit et ly donnoit vent de l'autre por ly à refroidier, lequeile myracle unc des garchon le veit, qui s'en corit à l'oust des tyrans et le nunchat à eaux. Si le vinrent veioir et le trovarent en veriteit, et orent grant paour del aigle qui astoit si grant ; mains ly aigle adont s'en partit, et sains Servais s'envoilhat. Et les tyrans desent que ilh estoit Dieu sour tous lez altres dieux, se li demandarent son benichon et puis le lassarent aleir.

[Un miracle de saint Servais] Dieu envoya alors un de ses anges, ayant l'aspect d'un grand aigle. Il se tenait au-dessus de saint Servais, le protégeant du soleil de ses ailes déployées. L'une d'elles lui faisait de l'ombre, tandis que l'autre éventait le saint et le rafraîchissait. Voyant ce miracle, un des gardiens courut avertir l'armée des barbares. Les soldats vinrent voir et constatèrent que c'était vrai. Ils eurent fort peur de cet aigle démesurément grand. Mais l'aigle s'en alla et saint Servais s'éveilla. Les barbares dirent de lui qu'il était Dieu, supérieur à tous les autres dieux. Ils lui demandèrent sa bénédiction et le laissèrent aller.

[Comment l’aigle fut mis sour l’engliese] Et portant que li aigle soy mist al desus de sains Servais, le deveis mettre al desus de vostre englise où sains Servais gieste : si serat al desus de luy, et demonstrerat que c'est la mere engliese, jusqu'à tant que ceste evesqueit aurat citeit et engliese cathedral, sicom ilh aurat, solonc la prophetie sains Monulphe jadis evesque, mon predicesseur. Adont veulh-je que ly englise cathedral le porte. » Enssi fut l'ensengne donneit à l'engliese de Treit.

[L’aigle fut placé sur l’église] Et parce que l'aigle s'était placé au-dessus de saint Servais, vous devez le mettre au-dessus de votre église, où repose le saint. Il sera au-dessus de lui et montrera ainsi que c'est l'église-mère, aussi longtemps que cet évêché aura une cité et une église cathédrale, selon la prophétie de saint Monulphe, jadis son évêque, mon prédécesseur. C'est pourquoi je veux que l'église cathédrale porte l'aigle. » C'est ainsi que fut donné son emblème à l'église de Maastricht.


E. An 605 = Myreur II, p. 285b-286a

À Rome, mort de Boniface III (607 n.è.) et consécration du pape saint Boniface IV (619-625 n.è.) - À Constantinople, mort de l'empereur Maurice (582-602 n.è.), tué par son successeur, l'empereur Phocas (602-610 n.è.)

 

À Rome, mort de Boniface III (607) et consécration du pape saint Boniface IV (619-625)

[II, p. 285b] [Bonifache, li LXXe pape] Sour l'an VIc et V, en mois de jenvier le XXIX jour, morut li pape de Romme Bonifache ; si vacat apres sa mort ly siege VII mois et XXV jours, puis fut consacreis I preistre qui oit nom Bonifache, li quars de cel nom, qui fut de la nation de Narse, de la citeit de Valeir, le fis d'on mede qui fut nommeis Johan. Et tient le siege VII ans VIII mois et XIIII jours, et solonc Martin VI ans VIII mois et XII jours.

[II, p. 285b] [Boniface, 70e pape] En l'an 605, le 29e jour du mois de janvier, mourut le pape de Rome Boniface. Après sa mort, le siège resta vacant 7 mois et 25 jours ; puis, un prêtre fut consacré à Rome, nommé Boniface, le quatrième de ce nom. C'était un Marse, originaire de la cité de Valeria, fils d'un médecin appelé Jean. Il occupa le siège pontifical durant 7 ans, 8 mois et 14 jours, et selon Martin, 6 ans, 8 mois et 12 jours.

À Constantinople, mort de l'empereur Maurice (582-602), tué par son successeur, l'empereur Phocas (602-610)

Il a déjà été question plus haut de l'empereur Maurice (II, p. 266, II, p. 275), dernier représentant de la dynastie justinienne (de Justin I le Grand, 518-527 n.è. et Justinien Ier le Grand, 527-565 n.è., à Maurice, 582-602 n.è.). Jean envisage ici sa mort et sa succession. C'est la première apparition de son successeur, Phocas, surnommé « le Tyran » et dont le « règne calamiteux » dura 8 années (602-610 n.è.). Il se place entre les empereurs de la dynastie justinienne  et les représentants de la dynastie des Héraclides (de Héraclius, 610-641 n.è., à Justinien II Rhinotmète « au nez coupé », 685-695 n.è.). On retrouvera ce Phocas en II, p. 288, p. 293, p. 294 et p. 297.

[Grant myracle de l’emperere Mauris] En cel an, anchois que ly pape morist, en mois de septembre le XXIIe jour, morit li emperere Maurisse ; si vos dirons par queile manere.

[Grand miracle de l'empereur Maurice] Cette année-là [605], avant la mort du pape, le 22e jour du mois de septembre, l'empereur Maurice mourut ; nous vous dirons de quelle manière.

Chis emperere fut bons et loials catholique, [II, p. 286] mains encordont ilh avient que al encontre de sains Grigoire, quant ilh fut pape, ilh oit debas et grant discors ; si avint que Dieu demonstrat son myracle par une homme en fourme d'on monstre, qui avoit une espée et passoit par la citeit de Romme, en disant à hault vois : « Maurisse, par ton espée toy faurat fineir, se tu ne toy recrois. » Quant les Romans entendirent chu, cascon s'enfuoit et redobtoit cesti homme plus fort que s'ilh fussent cent milh hommes armeis entreis en Romme. Et chu faisoit Dieu, car li emperere meismes fut si espawenteis, que là meismes ilh soy recreit, et priat Dieu merchi qu'ilh le vosist espargnier à cest fois.

Maurice fut un catholique bon et loyal [II, p. 286], mais cependant, quand saint Grégoire devint pape, une dispute et une grande discorde surgirent entre eux. Dieu se manifesta alors par un miracle. Un homme, ayant l'aspect d'un monstre, armé d'une épée, traversa Constantinople en criant : « Maurice, tu devras finir par ton épée, si tu ne te remets pas à croire. » Quand les habitants entendirent cela, tous s'enfuirent, redoutant plus ce personnage que cent mille hommes armés qui seraient entrés dans la ville. Dieu faisait cela, car l'empereur len personne fut si épouvanté que, à l'instant même, il se remit à croire et demanda pardon à Dieu en le priant de bien vouloir l'épargner.

[Vision fut fait à l’emperere Maurisse]. En la nuit meismes, li vint en son dormant une vois qui li dest : « Emperere, vues-tu que je toy espargne chi ou al jugement future ». A chu respondit l'emperere, quant ilh fut esvoilhiés : « Douls amans de misericorde et vraie Dieu, peire Jhesu-Crist, voulhiés moy rendre en chi siecle le gueridon de mes mauls, affin que vos m'espargniés al derain jugement. »

[Vision de l’empereur Maurice] Cette nuit même, pendant son sommeil, une voix vint lui dire : « Empereur, veux-tu être épargné ici ou lors du jugement dernier ? » À cela l'empereur répondit quand il fut éveillé : « Doux ami de miséricorde et vrai Dieu, père de Jésus-Christ, veuillez m'accorder en ce siècle, la guérison de mes maux, pour que vous m'épargniez lors du jugement dernier. »

[Focque fut fais empere le LXe] Et, chu fait, avint que li emperere s'en alat unc jour à grans oust sour les Persins, mains adont ilh defendit à ses chevaliers que ilh ne deroubassent riens dedont en avant ; porquen les chevaliers romans appellarent unc chevalier grigois, qui fut nommeis Foques, et ly desent qu'ilh l'enlisoient à emperere de Romme et ilh vosist encachier Maurisse. Et chis rechuit la digniteit, si commenchat mult Maurisse à enpechier quant ilh revint à Romme  et tant que Maurisse s'enfuit, et sa femme et ses enfans awec ly, dedens une isle de mere. Mains Foques li Grigois le siwit, et l'ochist en cel isle l'an et le jour deseurdit, et puis ilh regnat com emperere de Romme, esluys par forche del chevalerie, par l'espause de VIII ans I mois et VI jours.

[Phocas fut nommé 60e empereur] Après cela, l'empereur un jour, à la tête d'une grande armée, fit une expédition contre les Perses, au cours de laquelle il donna l'ordre à ses chevaliers de ne plus rien voler. C'est pour cette raison que les chevaliers romains firent appel à un chevalier grec nommé Phocas en déclarant qu'ils l'éliraient empereur de Rome s'il voulait bien chasser Maurice. Phocas accepta cette dignité et commença à faire beaucoup de difficultés à Maurice à son retour à Rome, si bien que Maurice s'enfuit dans une île, avec sa femme et ses enfants. Mais Phocas le Grec l'y poursuivit et l'y tua, l'année et le jour susdits [22 septembre 605]. Puis, élu de force par la chevalerie, il régna en tant qu'empereur romain pendant huit ans, un mois et six jours.

Jean l'Aumônier

A cel temps estoit en grant auctoriteit Johan ly almonirs, evesque d'Alixandre.

À cette époque Jean l'Aumônier avait grande autorité  comme évêque d'Alexandrie.

Jean l'Aumônier : Jean V d'Alexandrie ou Jean de Chypre, appelé aussi Jean le Miséricordieux, né dans la seconde moitié du VIe siècle et mort entre 616 et 621 n.è. sur l'île de Chypre, fut patriarche d'Alexandrie de 610 n.è. à sa mort


F. Ans 605-609 = Myreur II, p. 286b-288a

 

Bataille entre Clotaire II et Théodoric/Thierry - Mort de Clotaire II (629) - Dagobert Ier (623-638/639) - Notice sur les enfants de Clotaire II et le partage du royaume -  Divers : désastres naturels ; le pape Boniface IV ; les livres de saint Grégoire échappent aux flammes ; succession au Danemark ; primauté de l'église Saint-Pierre de Rome ; Mahomet, cardinal à Rome, envoyé par le pape Boniface IV pour convertir la Perse ; les expéditions en Orient de Clovis d'Austrasie ; le corps de saint Victor ; Eswald, roi de Petite Bretagne et saint Josse

 

 Clotaire II (584-629) - Théodoric/Thierry de Bourgogne - La mort de Clotaire II (629), ses enfants et le partage du royaume - Dagobert Ier (623-638/639)

Note globale sur la série de notices qui va suvre : Il est difficile d'identifier avec précision le texte à l'origine des deux premières notices. Quoi qu'il en soit, Clotaire II n'est pas le frère d'un Théodoric/Thierry, qui serait roi de Bourgogne, et, dans l'Histoire, il n'est pas mort au combat contre les Bourguigons.

Les deux notices suivantes aussi posent des problèmes d'interprétation, particulièrement celle sur les enfants de Clotaire et la part qu'ils auraient reçue du royaume. Dans l'histoire,  Clotaire II eut plusieurs fils et filles de ses différentes unions, mais deux fils seulement sont importants : d'une part Dagobert Ier, né de Bertrude, sa deuxième épouse, qui deviendra roi des Francs et d'autre part Charibert II, né de Sichide (d'abord concubine puis épouse), qui sera roi d'Aquitaine (de 629 à 632 n.è.).

Par contre, l'avant-dernière notice, sur l'intérêt de Dagobert Ier pour Saint-Denis, est plus proche de l'histoire.

[II, p. 286b] [Grant batalhe entre les Franchois] En cel an oit grant batalhe entres les dois freres : le roy Clotaire de Franche et le roy Theodrich de Borgongne, en laqueile ilh oit ochis plus de XXXm hommes, et fut ly roy Clotaire teilement navreis, que ilh en morut dedens le mois meismes ; mains nonporquant les Borgengnons furent desconfis, et les awist Dangobers, ly fis le roy, encachiés, se son pere [II, p. 287] ne fust navreis.

[II, p. 286b] [Grande bataille entre les Francs] En cette année [605] se déroula  entre les deux frères, le roi Clotaire de Francie et le roi de Bourgogne Théodoric, une grande bataille où furent tués plus de 30.000 hommes. Le roi Clotaire fut si grièvement blessé qu'il en mourut dans le mois. Les Bourguignons furent vaincus et Dagobert, le fils du roi Clotaire, les aurait poursuivis si son père [II, p. 287] n'avait pas été blessé.

[Un angle fut veyus el batalhe] En cel batalhe fut veyus uns angle, qui tenoit desus le peuple une espée toute traite ; mains ons ne soit onques queile signe chu poioit eistre.

[Un ange fut aperçu lors de la bataille] Lors de cette bataille, on aperçut un ange brandissant au-dessus des combattants une épée dégainée ; mais on ne sut jamais ce que cela pouvait signifier.

[Dangobert fut le XIIIIe roy de Franche] Quant ly roy Clotaire fut mors, si rasemblat son frere Theodrich ses hommes, et reconquist toute la terre qui est entre Sayne et Cyre/Tyre (lecture incertaine) ; mains ly roy Dangobert le reconquestat, sicom vos oreis chi apres. Dangobers fut coroneis à roy de Franche sicom anneis fis, et regnat XIII ans.

[Dagobert fut le 14e roi de Francie] Après la mort de Clotaire II, Théodoric rassembla ses hommes et reconquit tout le territoire situé entre la Seine et Cyre/Tyre (?) ; mais le roi Dagobert le lui reprit, comme vous l'apprendrez ci-après. Dagobert, en tant que fils aîné, fut couronné roi de Francie et régna durant treize ans.

Chis roy Clotaire avoit VI fis quant ilh morut : Dangobers, qui fut anneis et roy de Franche ; Clodoveus, qui fut roy d'Austrie ; Paris, qui fut roy d'Orlins; Ector, qui oit la terre de Brabant en sa parchon ; Clotaire, qui oit toute Flandre, et Hildris, qui oit la terre d'Aquitaine et ne voult altre chouse, portant qu'ilh voloit gueroier le roy Theodrich son oncle, por vengier son peire. Enssi furent asseneis tous les VI fis le roy Clotaire.

Clotaire II, quand il mourut, avait 6 fils : Dagobert, l'aîné, devint roi de Francie ; Clovis fut roi d'Austrasie ; Paris fut roi d'Orléans ; Hector reçut dans sa part la terre de Brabant ; Clotaire eut toute la Flandre ; Hildris eut la terre d'Aquitaine. Celui-ci ne voulait rien d'autre, sinon faire la guerre à son oncle Théodoric, pour venger son père. C'est ainsi que furent pourvus chacun des six fils du roi Clotaire.

[L’an VIc et VI - Ly roy Dangobert fondat l’engliese Sains-Denis deleis Paris] Si avient adont que ly roy Dangoubers assemblat à grant planteit d'ovriers sour l'an VIc et VI, et fist edifiier, en l'honeor sains Denis, une mult belle engliese asseis pres de Paris, assavoir en propre lieu où li corps sains Denis gisoit, sicom dit est. Et fist covrir li roy le mostier d'argent, et y mist des noires moynes del regle Sains-Benoit, si leurs donnat si grandes possessions et rentes hiretables, qu'ilh furent les soverains de tout l'isle de Europe. Et y mettoit-ons les roys de Franche et leurs enfans, par grant gentilheche, quant ilh trepassoient, et oussi quant ilh devenoient moynes.

[An 606 - Le roi Dagobert fonda l’église Saint-Denis près de Paris] Il arriva alors, en 606, que le roi Dagobert rassembla un grand nombre d'ouvriers et fit édifier, en l'honneur de saint Denis, une fort belle église, très près de Paris, à l'endroit exact où gisait le corps de saint Denis, comme on vient de le dire (cfr II, p. 282). Le roi fit couvrir d'argent le monastère et y installa des moines noirs de la règle de saint Benoît. Il leur donna des possessions et des rentes héréditaires en si grande quantité qu'ils devinrent les plus puissants de toute l'Europe. On plaçait là, vu leur haute noblesse, les rois de Francie et leurs enfants, quand ils mouraient ou quand ils devenaient moines.

[Borgongne fut conquis] Item, l'an VIc et VII assemblarent ly roy Dangobers et ses freres leur oust, et entrarent en Borgongne, et reconquisent tout chu que ly roy Theodrich avoit conquis. Et orent batalhe à roy Theodrich, et fut ochis Theodrich et fut tous son paiis conquis ; si oit ly roy Hildris Acquitaine, et Paris, ly roy d'Orlins, oit Borgongne.

[La Bourgogne fut conquise] En l'année 607, le roi Dagobert et ses frères rassemblèrent leurs armées, et pénétrèrent en Bourgogne. Ils récupérèrent tout ce qu'avait conquis le roi Théodoric/Thierry. Dans la bataille, ce dernier fut tué, et tout son pays fut repris. Le roi Hildris reçut l'Aquitaine, et Paris, le roi d'Orléans, eut la Bourgogne.

Divers : Désastres naturels - Les livres de saint Grégoire échappent aux flammes - Succession au Danemark - Primauté de l'église Saint-Pierre de Rome - Mahomet, cardinal à Rome - Expédition en Orient de Clovis d'Austrasie - Corps de saint Victor - Eswald, roi de Petite-Bretagne et saint Josse

[Grant jalée et grant famyne] En cel an oit en paiis d'Ytalie si grant yvier de gallée et de glache, qu'ilh durat del sains Andrier jusques apres la moyne d'avrilh l'an VIc et VIII, porquen toutes les bleis et les altres biens de terre falirent chist année. Et fut à Romme une si grant famyne, que les gens aloient morant par les rues, et cheaux, qui des bleis avoient del année devans, les vendoient si chire, que les povres gens n'en poioient avoir, se braioient tout jour devant le palais de pape.

[Grande gelée et grande famine] Cette année-là [607], en Italie l'hiver fut très rigoureux, avec des gelées et de la glace. Il dura de la Saint-André [fin novembre] jusqu'à la fin avril de 608, ce qui fait que cette année-là  les blés et les autres produits de la terre firent défaut. La famine fut si grande à Rome que les gens mouraient dans les rues et que ceux qui avaient du blé de l'année précédente le vendaient si cher que les pauvres gens ne pouvaient en avoir et hurlaient toute la journée devant le palais du pape.

[Des libres sains Grigore] Adont s'avisat ly pape Bonifache qu'ilh achateroit bleis por donneir aux povres ; si vient al tressoir Sains-Pire, mains ilh le trovat si fort amenri que c'estoit mervelhe, car li [II, p. 288] pape sains Grigoire avoit tant donneit à son temps, que ilh en estoit pou demoreis. De chu fut si grant murmure à Romme, que les Romans dessent que ilh ne savoient altre vengement prendre de sains Grigoire, que del ardre les libres qu'ilh avoit fait à son viscant. Atant furent pris tous les libres, et les devoit-ons ardre, quant Pire, ly dyaque sains Grigoire, jurat sour les saintes ewangeiles qu'ilh avoit veyut pluseurs fois, sour le tieste son maistre sains Grigoire, seoir le Saint-Esperit, quant ilh faisoit les libres qu'ilh voloient ardre. Et par cesti seriment furent les libres gardeis d'ardre.

[Les livres de saint Grégoire] Alors le pape Boniface IV eut l'idée d'acheter du blé pour le donner aux pauvres ; il alla au trésor de Saint-Pierre, mais le trouva très fortement réduit, car le [II, p. 288] pape saint Grégoire avait fait tant de dons en son temps, qu'il n'y restait que très peu de choses. Cela provoqua à Rome un tel mécontentement que les Romains déclarèrent que le seul moyen de se venger de saint Grégoire, c'était de brûler les livres qu'il avait écrits durant sa vie. Alors on rassembla tous les livres à brûler, quand Pierre, le diacre de saint Grégoire, jura, sur les saints évangiles, qu'à de nombreuses reprises il avait vu le Saint-Esprit s'asseoir sur la tête de son maître saint Grégoire, quand il les composait. Suite à ce serment, les livres  échappèrent à l'incendie.

[Des Danois] En cel an morit Ector, ly roy de Dannemarche ; si fut roy son fis Ysidoir, qui regnat XXV ans.

[Les Danois] Cette année-là [608$ mourut Hector, le roi de Danemark. Son fils Isidore lui succéda et régna durant vingt-cinq ans.

[De Sains-Pire à Romme] Item, l'an VIc et IX impetrat li pape de Romme à l'emperere Fouques que ly engliese Sains-Pire de Romme fut chief et soveraine de toutes les englieses de monde, portant que à cheli temps cheaux de Constantinoble escrisoient qu'ilh estoient soverains de toutes les altres englieses.

[Saint-Pierre à Rome] En l'an 609, le pape de Rome obtint de l'empereur Phocas que l'église Saint-Pierre de Rome devienne l'église maîtresse et souveraine de toutes les églises du monde, parce que, à cette époque, les gens de Constantinople écrivaient qu'ils avaient la suprématie sur toutes les autres églises.

[Machomes convertit les Persiens] Item, en cel an envoiat ly pape Bonifache en Persie por faire predication, et convertir le peuple à la vraie foid catholique, Machomes, qui estoit cardinal de Romme, sicom dient alcunnes hystoires. Et les altres hystoires dient qu'ilh fut d'Arabe, et fut uns enchanteur. Si vos dirons de l'une et de l'autre, en queiles ilh at pou de bien. Et chu fut chis Machomes en cuy les Sarasins croient, et dedont en avant qu'ilh appellent Mahon, et si ont grant fianche en li.

[Mahomet convertit les Perses] Cette même année [609], le pape Boniface envoya en Perse, pour y prêcher et convertir le peuple à la vraie foi catholique, Mahomet, qui était cardinal à Rome, selon ce que racontent certaines histoires. D'autres disent qu'il venait d'Arabie et que c'était un magicien. Nous vous parlerons de ces deux récits, dans lesquels il y a peu de choses vraies. Tel fut ce Machomes en qui croient les Sarrasins. Ils l'appellent depuis lors Mahomet et ont grande confiance en lui.

[La vie Machomes] Chis Machomes, chu dist li promier histoire, estoit I grant clers et convertit mult de paiis en Persie, en Arabe et altre part en pluseurs lis.

[La vie de Mahomet] Selon la première version, ce Mahomet était un grand clerc, qui convertit de nombreux pays, en Perse, en Arabie et ailleurs, en beaucoup de lieux.

Première intervention de Mahomet, sur lequel Jean d'Outremeuse, dans le Myreur, reviendra à de nombreuses reprises. On le retrouvera en effet dans le Tome II (p. 293-297, p. 329, p. 466), dans le Tome III (p. 282, p 322, p. 324, p.346, p. 354-355), dans le Tome IV (p. 55, p. 67, p. 69) et dans le Tome V (p. 349-350, p. 439). Nous nous intéresserons essentiellement aux mentions du Tome II. En ce qui concerne le fond du sujet, Jean annonce ici deux versions très différentes : Mahomet serait soit un cardinal romain, grand évangélisateur de beaucoup de pays orientaux, soit un magicien arabe. Pour la suite directe, voir II, p. 293-297

En cel an prist li roy Cloveis d'Austrie la crois por aleir oultre mere, et donnat son rengne à son frere le roy Dangobert, puis s'en alat.

Cette année-là [609], le roi Clovis d'Austrasie prit la croix pour aller outre-mer, après avoir confié son royaume à son frère, le roi Dagobert.

Notice difficile à interpréter et qui met en oeuvre ce qui a été dit plus haut sur les enfants de Clotaire II. Mais on ne connaît pas dans l'histoire un Clovis qui ait été le frère d'un Dagobert. Dagobert I avait toutefois un fils, Clovis II, mais il était le roi de Neustrie et de Bourgogne. Quoi qu'il en soit, ses conquêtes orientales seront détaillées plus loin (II, p. 294).

En cel an fut retroveis le corps sains Victoir.

Cette année aussi [609] fut retrouvé le corps de saint Victor.

[De sains Josse]  En cel an envoiat ly roy de la Petit-Bretangne qui avoit nom Eswalde, qui fut ly peire sains Josse, al roy d'Engleterre mult de beals joweais, et li envoiat salut et devient ses hons.

[Saint Josse] Cette année-là, le roi de la Petite Bretagne, nommé Eswald et père de saint Josse (cfr II, p. 306, p. 322, p. 335 et 336), envoya au roi d'Angleterre son salut et une grande quantité de joyaux. Il devint un de ses hommes liges.


 

G. Ans 610-611 = Myreur II, p. 288b-289a

Évêché de Tongres : Saint Jean l'Agneau : sa chapelle de Huy à saint Côme et saint Damien - Sa mort - Son ensevelissement et son élévation par Jean II

 

Il a été question précédemment et à plusieurs reprises de ce Jean l'Agneau : cfr II, 276-281 passim, et II, p. 284

[II, p. 288b] [De capel en castel de Huy] Item, l'an VIc et X edifiat l'evesque de Tongre Johan une capelle en castel de Huy, en l'honeur de sains Cosme et de sains Damien ; si le doyat des deymes de Tyhangne largement, et ordinat que li vestis de Tyhangne deservist ladit capelle.

[II, p. 288b] [La chapelle dans le château de Huy] En l'an 610, l'évêque de Tongres, Jean (l'Agneau), édifia une chapelle dans la fortresse de Huy, en l'honneur de saint Côme et de saint Damien. Il la dota largement avec les dîmes de Tihange et ordonna que le curé de Tihange en soit le desservant.

[De sains Johan Angneal] Item, l'an VIc et XI le XXVe jour de mois de jule, morut lidis evesque de Tongre Johans Angneal, si fut ensevelis en la capelle de [II, p. 289] castel de Huy qu'ilh avoit fondeit devant ; mains puis fut mis en I fietre en ledit castel, par uns evesque de Liege qui oit nom Johan, li secon de cel nom.

[Saint Jean l'Agneau] En l'an 611, le 25 juillet, le dit évêque de Tongres, Jean l'Agneau, mourut. Il fut enseveli dans la chapelle de la [II, p. 289] forteresse de Huy, qu'il avait fondée précédemment. Plus tard il y fut placé dans une châsse par un évêque de Liège, nommé Jean, le second de ce nom.

Chis Johan Angneal estoit de la droit nation de Huy, depart sa mere qui fut filhe à Henri, sires temporeis de Tyhangne, et oit nom Angne aux sains fons, et estoit chis Henris chevalier ; et le peire Johan l'evesque fut nommeis Johans, sires temporeis de Hermal, chevalier. Jasoiche qu'ilh mynast sa cherue, si estoit-ilh de noble sanc estrais, et avoit bien valhant plus que les IIII plus riches chevaliers qui adont fussent en paiis del evesqueit de Tongre.

Ce Jean l'Agneau provenait de la région de Huy, par sa mère, qui était la fille de Henri, seigneur temporel de Tihange. Cet Henri reçut comme nom de baptême Angne et devint chevalier. Le père de l'évêque Jean, qui s'appelait aussi Jean, était seigneur temporel de Hermalle et, lui aussi, chevalier. On voit que l'évêque Jean, même s'il menait sa charrue, provenait d'une noble lignée et était bien supérieur aux quatre chevaliers les plus riches qui vivaient alors dans le territoire de l'évêché de Tongres.

Jean : Il s'agit de Jean II d'Eppes, 66e évêque de Liège, qui fit l'exaltation des reliques de saint Jean l'Agneau, en 1230 (cfr la page Saint Jean l'Agneau sur le site <Wikihuy>).

 


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