Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 429b-434a - ans 709-715

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023)

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ÉVÉNEMENTS DIVERS IMPLIQUANT NOTAMMENT DES FONDATIONS D’ÉGLISES, DES MARIAGES, DES PAPES (GRÉGOIRE II ET III), DES PEUPLES (SARRASINS, HONGROIS,  LOMBARDS)

Myreur II, p. 429b-434a - ans 709-715

Résumé

Divers : Fondations d'églises (par Plectrude, saint Hubert et les époux Adalhard) - Mort de sainte Begge (ans 709-711)

Noces illustres et grandioses à Paris : Pépin le Bref, fils de Charles Martel, et Jean Asculphin, fils d'Eudes d'Aquitaine épousent respectivement les deux soeurs Berthe et Florentine (an 711)

Le mont Saint-Michel (an 712)

Sainte Ode de Liège, la fille du roi d'Écosse Baudris, et sainte Ode d'Amay, l'épouse du duc Boggis d'Aquitaine , toutes deux fondatrices d'églises (an 712)

Les papes Grégoire II et III - Saint Boniface - Saint Hubert relève le corps de saint Servais (ans 712-713)

Défaite des Lombards par l'empereur Théodose aidé de son fils, Léonce Samson, roi de Hongrie, à qui il cède le trône impérial (an 713)

* Divers : Jean Asculphin, roi de Hongrie, époux de Florentine, dont il a 15 fils et une fille - Orage en Syrie - Mort de Bède le Vénérable - Constantinople assiégée par les Sarrasins - Liutprand, le roi des Lombards, transfère les ossements de saint Augustin de Sardaigne à Pavie.

 

Ans 709-711 : Fondations d'églises, par Plectrude (à Écouis, à Andaginum, à Cologne), par saint Hubert (à Hamal) et par les époux Adalhard (à Maaseik, avec miracle du vin) - An 710 : Mort de sainte Begge

[II, p. 429b] [Squinache une englise] En cel an, VIIc et IX, edifiat en la vilhe de Squinache Plectris, la femme Pipin le Gros, une engliese en l'honeur de sains Pire l'apostle, en laqueile sains Silvius, son fis, qui avoit esteit frere à Droch et à Grimoart, fut ensevelis, et Anglinus qui fut abbeit de Stavelot.

[II, p. 429b] [Une église à Écouis] En cette année 709, Plectrude, la femme de Pépin le Gros, fonda une église dans la ville d'Écouis en l'honneur de l'apôtre saint Pierre, église dans laquelle saint Silvius, son fils, qui était le frère de Drogon et Grimoald, fut enseveli, ainsi qu'Anglinus, qui fut abbé de Stavelot.

[Plectris fondat chi pluseurs englieses vers Sains-Hubers en Ardenne] Et après chu, si avient que Plectris aloit par Andagion ‒ c'est le lieu où sains Hubers giest maintenant en Arden ‒ et si oroit devoltement. Adont li apparut uns angle, et li donnat une lettre escript d'or, où ilh astoit escript que Dieu li faisoit savoir qu'elle edifiast  une engliese deleis la capelle des clercs qu'elle-meismes avoit edifiet, et le fondat oussi en l'honneur de sains Pire l'apostle ; et elle le fist l'an VIIc et X, et lassat là por li parfaire sains Berangier, qui est et repoise là-meismes en une fietre où ilh fut mis.

[Plectris fonda plusieurs églises près de Saint-Hubert en Ardenne] Après cela, un jour que Plectris passait par Andaginum ‒ c'est l'endroit où se trouve maintenant Saint-Hubert en Ardenne (cfr II, p. 415) ‒ et y priait avec dévotion, un ange lui apparut et lui donna une lettre écrite en caractères d'or, où Dieu lui faisait savoir d'édifier une église près de la chapelle des clercs qu'elle avait elle-même construite ; elle la construisit aussi en l'honneur de saint Pierre l'Apôtre. Elle fit cela en 710, et quitta l'endroit pour terminer l'église de saint Bérégise, qui repose là dans la châsse où il fut placé.

[Sainte Berghe morit] En cel an morit sainte Beghe d'Andenne, qui estoit mult vielhe : si fut ensevelie en l'englise Nostre-Damme à Andenne, que lée-meismes avoit devant fondée.

[Sainte Begge mourut] Cette année-là [710] mourut sainte Begge d'Andenne, qui était très âgée. Elle fut ensevelie dans l'église Notre-Dame à Andenne, qu'elle-même avait fondée auparavant.

Sainte Begge : fille de Pépin II, femme d'Anségisel, abbesse d'Andenne, à qui Pépin confie la garde de son fils, Charles Martel (II, p. 306, p. 322, p. 329, p. 342, p. 350)

[Sains Hubers fondat l’englise de Hamale] En cel an meismes fondat sains Hubers, en la vilhe de Hamale, une engliese [II, p. 430] en l’honeur de Nostre-Damme, et le dedicasat le promier jour de mois de decembre.

[Saint Hubert fonda l’église de Hamal] Cette même année [710], saint Hubert fonda, dans la ville de Hamal, une église [II, p. 430] en l'honneur de Notre-Dame, qu'il dédicaça le premier jour du mois de décembre (cfr II, p. 391).

[Plectris morit] Item, l'an VIIc et XI fondat Plectris, en la citeit de Colongne, une engliese de unc palais qui estoit sien en l'honneur de Nostre-Damme, et mettit dedens des nonains, et y servit là ens longtemps Dieu, et quant elle trespassat elle fut là dedens ensevelis.

[Plectrude mourut] En l'an 711, Plectrude fonda, dans la cité de Cologne, dans un palais qui lui appartenait, une église en l'honneur de Notre-Dame, où elle installa des nonnes et où elle servit Dieu longtemps. À sa mort, elle y fut ensevelie.

[L’engliese de Heken] En cel an fondat li noble Adolarde et Germiara, sa femme, en leur propre hiretage que ons nommoit et nomme-t ons encor Heken, en laqueile ilh et sa femme, et ses dois filhes virges, Harlinde et Reivila, en Dieu servant, viscarent devoltement longtemps. Et estoit adont cel vilhe vesqueit de Maienche et de Outreit.

[L’église de Maaseik] Cette année-là [711], le noble Adalhard et sa femme Grimvare fondèrent une église sur une propriété qu'ils avaient reçue en héritage, lieu qu'on appelait et qu'on appelle encore Maaseik. Les époux et leurs deux filles vierges, Herlinde et Renilde, y vécurent longtemps en servant Dieu avec dévotion. Cette ville à cette époque faisait partie des évêchés de Mayence et d'Utrecht.

[De vin qui vint par myracle] Sy avint que unc jour y vinrent lesdit dois evesques, et lesdites saintes virges mult soy escusarent à eaux de chu qu'elle n'avoient point de vin por eaux et por leurs gens donneir à boire. Ilh estoit bien voire qu'ilh en avoit unc pou ; mains ilh estoit tout espès et changiet en unc gran toneal et lais, si estoient toutes honteux del metre teile vin devant eaux. Si fist Dieu là myracle ; car ly tonel fut tantost plains de bon vin, et fut ly toneal si plains, qu'ilh lanchat tantost fours por le bondeneal. A grant joie en bevirent tous ; mains ilhs n'en porent tant boire, que toudis ne fust ly toneal plains, tant qu'elles viscarent. Et là furent-elles ensevelies honorablement apres leur trespas.

[Du vin qui arriva par miracle] Un jour les deux évêques en question vinrent à Maaseik, et ces vierges saintes s'excusèrent beaucoup devant eux de n'avoir pas de vin à leur donner à boire, à eux et à leurs gens. En vérité il y en avait un peu ; mais il était très épais, conservé dans un grand tonneau affreux, et elles avaient honte de leur présenter un tel vin. Dieu fit alors un miracle : immédiatement un bon vin remplit le tonneau si pleinement qu'il jaillit aussitôt par le bouchon de la bonde. Tous se mirent à en boire avec grand plaisir. Ils ne purent toutefois pas le boire à fond car le tonneau resta toujours plein aussi longtemps qu'elles vécurent. C'est là qu'elles furent ensevelies avec honneur après leur trépas.

An 711 : Noces illustres et grandioses, célébrées à Paris, de Pépin le Bref (fils de Charles Martel) et de Jean Asculphin (fils du duc Eudes), qui épousent respectivement Berthe et Florentine, deux soeurs (cfr II, p. 414 et II, p. 428)

[II, p. 430] [Les nobles noches le pitit Pipin] En cel an en mois de may amenat Lyon Sanson, roy de Hongrie, ses dois filhes à Orlins à noble compangnie de dois empereres Esmareit et Eracle, qui estoient ayons des damoselles, l'unc depart son pere et l'autre depart sa mere (del. Bo : et les dois empereres). Si oit XII cardinals, et oit X rois dont je ne say les noms, car n'en n’ay nuls troveit en escript, et y avoit XXVI dus et L et II contes et XVc chevaliers ou barons et XXX senateurs, et des escuwiers sens nombre.

[Les noches li pitis Pipin et Sculpin qui furent les plus nobles de monde] Et Char-Martel et Pipin orent VI roys, et XXV dus, et XXXII conte ; et Johan Asculpin oit VI roy, et XII dus, et XVI contes. Et sens chu y oit sens nombre de noble chevalerie entre eaux. Si alerent quere leurs femmes à Orlins et les amenarent à Paris. [II, p. 431] Là oit grant fieste, et mult de nobles joweals donneis de toutes les parties. Ilhs furent esposeis par l'archevesque de Rains, enssicom les altres fis de roys. Ilh n'est mie mestier del tout à racompteir,  ons puet bien savoir qu'il y eut grant nobleche. Et enssi issit de eaux tels frus qui fut bien de Dieu.

[II, p. 430] [Les noces célèbres de Pépin le Bref] Cette année-là [711], au mois  de mai, Léonce Samson, roi de Hongrie, amena ses deux filles à Orléans, en la noble compagnie des deux empereurs Esmereit et Héraclée, les aïeuls des demoiselles, l'un par son père, l'autre par sa mère. Étaient présents douze cardinaux et dix rois, dont je ne connais pas les noms, n'en ayant trouvé aucun dans les textes. Il y avait aussi vingt-six ducs et cinquante-deux comtes, et quinze cents chevaliers ou barons, et trente sénateurs, ainsi que d'innombrables écuyers.

[Les noces de Pépin le Bref et d'Asculphin qui furent les plus célèbres du monde] Charles Martel et Pépin reçurent 6 rois, 25 ducs et 32 comtes ; Jean Asculphin, 6 rois, 12 ducs et 16 comtes. Et tous étaient accompagnés d'innombrables nobles chevaliers. On alla chercher leurs épouses à Orléans pour les amener à Paris. [II, p. 431]. Une grande fête fut célébrée et de tous les côtés furent offerts des joyaux précieux qui furent exposés par l'archevêque de Reims et par les autres fils des rois. Il n'est pas besoin de tout raconter en détail ; on imagine bien que se trouva là un grand nombre de personnes de la noblesse. Et c'est ainsi que de ces unions sortirent des fruits qui furent bien un cadeau de Dieu.

Sur ces mariages, cfr aussi II, p. 414 et surtout II, p. 428.

An 712 : Le Mont Saint-Michel en Normandie

[L’an VIIc et XII] Item, l'an VIIc et XII, en mois de may fut fondée l'engliese Sains-Mychiel l'archangle, que ons apelle en perilhes de mere, por l'anunchement de sains Mychiel qui III fois s'apparut à unc sains evesque, et li commandat qu'ilh fondast une engliese en l'honeur de luy, en teile maniere que cel de mont de Gargaine.

[An 712] L'an 712, au mois de mai, fut fondée l'église en l'honneur de l'archange Saint-Michel, que l'on invoque lors de périls en mer. Elle doit son existence au fait que saint Michel apparut trois fois à un saint évêque [saint Aubert] et lui ordonna de fonder une église en son honneur, sur le modèle de celle du mont Gargano.

An 712 : Sainte Ode de Liège, aveugle, fille du roi d'Écosse Baudris, et sainte Ode d'Amay, épouse du duc Boggis d'Aquitaine, toutes deux fondatrices d'églises, l'une à Liège, l'autre à Huy et dans les environs

[De sainte Oude, la filhe le roy de Scoche, qui fondat Sainte-Walbeur à Liege]  En cel an vient à Liege sainte Oude, la filhle le roy de Scoche ; si vos diray comment. Ly roy Baudris de Scoche oit une filhe qui avoit à nom Oude, qui mult estoit belle femme ; mains elle estoit née avoigle, et n'avoit onques veyut, et portoit unc simple et sains habit, et requeroit tous les corps sains, que ons li ensengnoit, en orisons por lée avoir lumier.

[Sainte Ode, fille du roi d'Écosse, fonda Sainte-Walburge à Liège] Cette année-là [712], sainte Ode, la fille du roi d'Écosse, vint à Liège. Je vais vous dire dans quelles circonstances. Le roi Baudris d'Écosse avait une fille, nommée Ode. C'était une très belle femme, mais elle était née aveugle et l'étai restée. Vêtue d'un habit simple et religieux, elle suppliait tous les saints dont on lui parlait, les priant de lui laisser voir la lumière.

Ors avint une semedis que une personne li dest, se elle requeroit de bon cuer sainte Walburg, elle ly anuncheroit son profit. Et elle l'apellat tantost, et par nuit elle li fut dit en son dormant qu'elle s'en alast en la citeit de Liege, qui seioit en Allemangne, car ilh y avoit unc corps sains à cuy Dieu avoit donneit la puissanche de lée enlumineir. Celle despertat et en rendit grasce à Dieu, et soy levat al matin, et soy partit à privée maisnie ; et Dieu les conduisit si bien qu'ilh vinrent droit à Tongre la deserte.

Alors, un samedi, quelqu'un lui dit que si elle s'adressait du fond du coeur à sainte Walburge, celle-ci lui annoncerait une bonne nouvelle. Ode l'invoqua aussitôt, et la nuit, dans son sommeil, il lui fut dit de se rendre en Allemagne, dans la cité de Liège, car il y avait là le corps d'un saint, à qui Dieu avait donné le pouvoir de lui rendre la vue. Ode se réveilla, rendit grâce à Dieu, se leva tôt le matin et partit accompagnée de quelques personnes de sa maison. Dieu les dirigea si bien qu'ils arrivèrent directement à Tongres la déserte.

[Sainte Oude veiit et fondat la capelle Sainte-Walbeur] Et passarent oultre tant, qu'ilh vinrent en lieu où la porte Sainte-Walbeur est maintenant ; et ses gens regardarent en fons del valée, si veirent la citeit de Liege, se li dessent : « Damme, metteis-vos en genols, nos veions la citeis et le lieu où ly corps sains repouse. » Et quand elle oiit chu, se le fist, et ses mains levat vers chiel et dest : « Vraie Dieu, Peire, je vos prie de cuer et de penseez parfaitement que vos demonstreis myracle à moy. » A cel parolle fut Oude enlumenée, et veit la citeit de Liege, si escriat : « Je voie parfaitement le precieux lieu dont sainte Walbeur moy fist signifianche en mon dormant ; et al ramembranche de chu je fonderay chi endroit, où ilh est avenut chu qu'elle moy nunchat, je feray chi faire une capelle en (corr. et) l'honeur de Dieu et sa Virge Mere, et de sainte Walbeur. » Et quant elle fut faite, sains Hubers le consecrat. Puis s’en allat sainte Oude à Rode religieusement habiteir, et gieste là.

[Sainte Ode vit Liège et fonda la chapelle Sainte-Walburge] Dépassant Tongres, ils arrivèrent à l'endroit où se trouve maintenant la porte Sainte-Walburge. Les compagnons d'Ode, regardant au fond de la vallée, virent la cité de Liège et lui dirent : « Madame, mettez-vous à genoux, nous voyons la cité et le lieu où repose le corps de la sainte. » En entendant cela, elle dit : « Vrai Dieu, Père, je vous prie du fond du coeur et je pense vraiment que vous vous manifesterez par un miracle en ma faveur. » Sur ces paroles, Ode retrouva la vue, vit la cité de Liège et s'écria : « Je vois parfaitement l'endroit précieux que m'a indiqué sainte Walburge pendant mon sommeil. En souvenir de cela, à l'endroit même où s'est produit ce qu'elle m'avait annoncé, je construirai une chapelle que je fonderai en l'honneur de Dieu, de la Vierge sa mère et de sainte Walburge. » Et quand la chapelle fut construite, saint Hubert la consacra. Sainte Ode alla ensuite habiter en religieuse à Rolduc, et c'est là qu'elle repose.

[II, p. 432] [Sainte Oude d’Amain fondat chi pluseurs englieses à Huy] En cel an, sainte Oude d'Amain, la femme le duc Boggis d'Aquitaine, fondat II englieses en l'honeur de sains George à Huy, assavoir l'une en Rioul et l'autre ens en forbos de Huy. Et fondat encor II englieses de sains George, l'une en la vihle de Waleve et l'autre en la terre de Warfesée.

[II, p. 432] [Sainte Ode d’Amay fonda plusieurs églises à Huy] Cette année-là [712], sainte Ode d'Amay, l'épouse du duc Boggis d'Aquitaine, fonda à Huy deux églises en l'honneur de saint Georges, l'une en Rioul et l'autre dans les faubourgs de Huy. Et de plus elle fonda deux églises dédiées à saint Georges, l'une dans la ville de Waleffe, et l'autre dans le territoire de Warfusée.

[Sainte Oude mist des canones à Amain] Et ostat de son englise de sains George en la ville de Amain les dammoiselles religieux, et y mist des canones reguleres, laqueile englise est à present apellée l'engliese Sainte-Oude.

[Sainte Ode installa des chanoines à Amay] Et elle retira de son église Saint-Georges à Amay les demoiselles religieuses et y installa des chanoines réguliers. Cette église est appelée à présent l'église Sainte-Ode.

De sainte Ode d'Amay, il a déjà été question plus haut, en II, p. 306, p. 322, p. 353-354.

Ans 712-713 : Les papes Grégoire II et III - Saint Boniface - Saint Hubert relève le corps de saint Servais

En cel an, le XXVIe jour d'octembre, morut Grigoire, li pape de Romme, et fut ensevelis en l'engliese Sains-Pire. Al [temps] de cheli pape fut fais chis evesque Bonifache, qui prechoit en Germaine, archevesque de Maienche ; mains ilh fut martyrisiet en Frise où ilh prechoit.

Cette année-là [712], le vingt-six octobre, mourut Grégoire II (cfr II, p. 424), le pape de Rome, qui fut enseveli dans l'église Saint-Pierre. Au temps de ce pape, l'évêque Boniface, qui prêcha en Germanie, fut consacré archevêque de Mayence ; mais il fut martyrisé en Frise, où il prêchait (cfr aussi II, p. 424).

[L’engliese Sains-Benoit en mont Cassin fut refaite] Al temps dedit pape Grigoire, Petronax citains de Bresse en Lombardie, par divine inspiration et l'amonestement dedit pape, ilh redifiat l'engliese Sains-Benoit en mont Cassin mult bien, qui avoit plus de C ans devant esteit destruite par les Lombars.

[Reconstruction de l’église Saint-Benoît au mont Cassin] Au temps de ce pape Grégoire II, Pétronax, citoyen de Bresse en Lombardie, suite à une inspiration divine et exhorté par ce pape, reconstruisit magnifiquement, sur le mont Cassin, l'église Saint-Benoît, qui avait été détruite par les Lombards, plus de cent ans auparavant.

Item, al temps de chis pape Grigore, fondat ly archevesque de Maienche Bonifache l'engliese de Woldense en laqueile ilh fut ensevelis apres sa mort.

De plus, à l'époque de ce pape Grégoire II, Boniface, l'archevêque de Mayence, fonda l'église de Fulda, dans laquelle il fut enseveli après sa mort.

[Grigoire pape li XCIIIIe] Item, apres la mort ledit pape vacat li siege IX jours, puis fut consacreis à pape de Romme Grigoire li thier de cel nom, et fut de la nation de Romme, le fis Marcel de la voie regial ; et tient le siege X ans VIII mois XXIIII jours.

[Grégoire, 94e pape] À la mort de ce pape Grégoire II, le siège resta vacant durant neuf jours. Ensuite, Grégoire, le troisième de ce nom, fut consacré pape à Rome ; il provenait de la région de Rome, fils de Marcel de la Via Regia. Il occupa le siège dix ans, huit mois et vingt-quatre jours.

[Sains Hubers relevat le corps sains Servais] Item, l'an VIIc et XIII, relevat sains Hubers le corps sains Servais en plus hault lieu qu'ilh n'estoit en devant.

[Saint Hubert releva le corps de saint Servais] Et en l'an 713, saint Hubert installa le corps de saint Servais dans un lieu plus prestigieux que celui qu'il occupait auparavant.

[Status papale] En cel an, ordinat li pape Grigoire qui fust adjont à la messe el secrée de sains canon : Quorum sollempnitas hodie, in conspectu maiestatis tue celebratur, domine deus noster, in toto orbe terrarum.

[Décision papale] En cette même annéele pape Grégoire (III) ordonna que soit ajoutée à la messe la secrète du saint canon : Quorum sollempnitas hodie, in conspectu maiestatis tue celebratur, domine deus noster, in toto orbe terrarum.

La secrète est « l'oraison qui termine l'offertoire de la messe » (Larousse). Elle peut se traduire : « Aujourd'hui la fête solennelle de ces saints est célébrée en présence de ta grandeur, Seigneur Dieu, dans tout l'univers ».

Ans 713-714 : Défaite des Lombards de Liutprand devant Rome par l'empereur Théodose - Le fils de celui-ci, Léonce Samson, roi de Hongrie, attaque et détruit la Lombardie et ses villes - À son retour, il est fêté par les Romains et reçoit la couronne impériale

[Lumbars sont desconfis devant Romme] En cel an, Luprandus, li roy de Lombardie, assegat Romme ; mains li emperere Esmareit issit fours et le corit sus, si oit forte batalhe à eaux et le desconfist ; si fut mors des Lumbars XVIm, et li remanant s'enfuit.

[Les Lombards sont défaits devant Rome] En cette année [713], Liutprand, le roi des Lombards, assiégea Rome. Mais l'empereur Esmereit (Théodose) sortit, l'attaqua et, après une âpre bataille, le défit. Seize mille Lombards périrent et les survivants s'enfuirent.

[L'an VIIc et XIIII - Lumbardie fut destruite] Mains quant Lyon Sanson, li roy de Hongrie, li fis l'emperere de Romme, le soit, si assemblat ses oust et vint vers Lumbardie, et destruite Pavie et Melan, et Florenche et Pise, et tant d'aultres citeis que ch'estoit mervelhe de chu qu'ilh fesoit. Et encachat le roy oultre mere ; mains ilh n'oit nient chu sitoist faite, ains li fisent de la paine et [II, p. 433] de travalhe asseis, et y mist jusqu'à mois d'avrilh l'an VIIc et XIIII.

[An 714 - La Lombardie fut détruite] Mais quand Léonce Samson, roi de Hongrie, le fils de l'empereur de Rome, apprit la chose, il rassembla ses armées et marcha vers la Lombardie. Il détruisit Pavie et Milan, Florence et Pise, et tant d'autres cités, agissant d'une façon vraiment incroyable. Il chassa le roi outre-mer, mais cela ne se fit pas tout de suite : il endura beaucoup de maux [II,p. 433] et de difficultés. Cela l'occupa jusqu'en avril 714.

 Adont s'en alat à Romme, et li pape et les cardinals et toute la clergerie de Romme alerent encontre li à procession, et li emperere et sa chevalerie enssi, et li fisent grant fieste et grant honneur de chu qu'ilh les avoit enssi vengiet des Lumbars.

Alors Léonce Samson partit pour Rome, et le pape et les cardinaux allèrent en procession à sa rencontre, de même que l'empereur et ses chevaliers, et tous lui firent grande fête et grand honneur, parce qu'il les avait ainsi vengés des Lombards.

[Lyon li LXXIe emperere] Et là assemblat unc concielh ly emperere, qui tant hardis et chevalereux et entreprendans estoit que homme qui fust en monde, et large et plantiveux ; mains ilh estoit tant douls, debonairs, humbles et benignes, que nuls ne li savoit tant meffaire qu'ilh ne li pardonnast tantost ; si regardat qu'ilh honnissoit l'empire, si soy alat en plain concilhe demettre, et coronat son fis Lyon Sanson, le VIe jour de may.

[Léonce, 71e empereur] Et là l'empereur réunit un concile. L'homme était hardi, chevaleresque et entreprenant comme personne au monde, et ouvert et généreux aussi, mais par ailleurs tellement doux, débonnaire, humble et bon qu'il était impossible de mal agir envers lui sans être aussitôt pardonné. Il réalisa qu'il n'aimait pas le pouvoir et alla s'en démettre en plein concile, donnant la couronne à son fils Léonce Samson le sixième jour de mai.

Donnant la couronne à son fils Léonce Samson : Bo ad locum note : «  Cela doit indiquer Léon l'Isaurien, qui n'était du reste pas le fils de son prédécesseur Théodose III ».

Et quant les Romans veirent chu, si ont asseis ploreit por le debonnaireteit de luy et de sa bon chevalerie ; mains ilhs furent asseis reconforteis quant Lyon Sanson restoit leur emperere, car se Theodosien estoit bons, encor estoit Lyon miedre le motié, et plus fors que nuls altre. Et enssi les dest Theodosien, et les at enconvent que enssi bien les aideroit et les conforteroit en tous cas que donques ilh remanist toudis emperere.

 Quand les Romains virent cela, ils apprécièrent très fort sa grande bonté et ses qualités chevaleresques, mais ils furent très rassurés de voir Léonce Samson rester leur empereur, car si Théodose était bon, Léonce lui était encore de moitié supérieur, et il était plus fort que quiconque. C'est ce que leur déclara Théodose, en leur promettant de les aider et de les soutenir en toutes circonstances, à condition que Léonce reste toujours empereur.

Ans 714-715 : Divers : Jean Asculphin, roi de Hongrie, époux de Florentine, dont il a 15 fils et une fille - Orage en Syrie - Mort de Bède le Vénérable - Constantinople assiégée par les Sarrasins - Liutprand, le roi des Lombards, transfère les ossements de saint Augustin de Sardaigne à Pavie

[II, p. 433b] [Johan Asculpin fut roy de Hongrie - Florentine oit XV fis et I filhe] Quant chu fut faite, li emperere Lyon, qui regnat XXIIII ans IIII mois et VI jours, ilh donnat le royalme de Hongrie, de Pannoine et de Bulgarie à Johan Asculpin, le marit de sa filhe Florentine, et le coronat à roy, si l’envoiat en sa terre por gardeir ; et ilh y alat et le gardat asseis bien, et oit de sa femme Florentine, dedens moins de XII ans, XV fis et une filhe, qui vos seront nommeis quant temps sierat.

[II, p. 433b] Jean Asculphin fut roi de Hongrie - Florentine eut quinze fils et une fille] Cela fait, l'empereur Léonce, qui avait régné vingt-quatre ans, trois mois et six jours, donna le royaume de Hongrie, de Pannonie et de Bulgarie à Jean Asculphin, le mari de sa fille Florentine (cfr II, p. 430). Il le couronna roi et l'envoya gouverner son royaume. Asculphin partit et gouverna très bien son pays. De sa femme Florentine, il eut en moins de douze ans quinze fils et une fille, dont les noms seront donnés en temps voulu.

Ce Jean Asculp(h)in est un fils ‒ inventé ‒ d'Eudes d'Aquitaine (cfr II, p. 334) dont Jean d'Outremeuse a fait un roi de Hongrie et qui, avec ce titre, joue dans le Myreur un rôle assez important (cfr notamment II, p. 525-528). Il aurait reçu ce royaume de l'empereur byzantin Léonce.

Il vaut peut-être le peine de signaler ici que la Hongrie n'est pas présente comme telle sur la scène historique à l'époque d'Eudes d'Aquitaine, ni à celle de son fils dont la multiplicité des termes servant à le désigner comme roi (Jean Willibrord, Asculphin, Aistulphe) n'est d'ailleurs pas en faveur de son historicité. Le roi de Hongrie dont parle ici Jean d'Outremeuse et ses multiples enfants, présentés comme des neveux de l'empereur Constantin V Copronyme (741-775 n.è), n'ont rien à voir avec l'Histoire. Historiquement d'ailleurs, il est difficile de parler de Hongrie lorsque, dès 896, les tribus Magyars s'installèrent dans le pays aux IXe-Xe siècles, sous la direction d'Árpád, puis de Géza. Le premier roi de Hongrie, digne de ce nom, est Étienne Ier (997-1038), qui recevra la couronne royale en l'an 1000, des mains du pape Sylvestre. Le terme "Hongrie", largement utilisé par Jean depuis sa fondation au IIIe siècle avant Jésus-Christ (!!!) par Zélo (cfr I, p. 113), est tout à fait anachronique.

Quant à la liste détaillée des seize enfants de Jean de Hongrie et de Florentine, nous n'avons pas réussi à la trouver dans Ly Myreur. Elle est toutefois évoquée plus loin en II, p. 514.

[L’an VIIc et XV - Oraige terrible] Item, l'an VIIc et XV, en mois de may, fist trois jours teile tonoir et allumeur, et si grant obscureteit oniement sens resclarchier, que nuls ne veioit l'unc l'autre ; et puis al quart jour commenchat une ploive si grant qu'ilh fist fineir l'orage, et fut chis orage en Surie où ilh fist grant damage.

[An 715 - Terrible orage] Et en l'an 715, au mois de mai, il y eut pendant trois jours tant de coups de tonnerre et d'éclairs, et une obscurité continue, sans aucune clarté, au point qu'on ne se voyait plus les uns les autres. Puis, le quatrième jour, une pluie très abondante se mit à tomber, qui mit fin à l'orage. Cela se passa en Syrie, où l'orage fit de grands dommages.

[Beda morut] En ceste an morit li venerable Beda, qui estoit nationeit d'Engleterre, et prestre et religieux del ordenne sains Benois.

[Bède mourut] En cet an 715 mourut Bède le Vénérable, originaire d'Angleterre, prêtre et religieux de l'ordre de saint Benoît.

Bède : Dans le premier livre du  Myreur, Jean d'Outremeuse fait mention de cet auteur à plusieurs reprises : cfr dans le Tome I, p. 3, p. 347-348, p. 473, p. 524 ; dans le tome II, p. 95, p. 101, p. 277, p. 305, p. 377, p. 386, p. 398 et ici, p. 433.

En cel an assegarent les Sarasins Constantinoble et y seirent III ans.

Cette année-là [715], les Sarrasins assiégèrent Constantinople durant trois ans (cfr pour la suite II, p. 435).

[Les osseas sains Augustin furent de Sardine apporteis à Pavie] Adont s'avisat Luprandus, li roy des Lombars, que les Sarasins poroient bien alleir en l'isle de Sardine, où les osseals de sains Augustin estoient, et les poroient deshonestement annichileir ; si prist des gens d'armes et alat en l'isle de Sardine, et aportat les precieux reliques [II, p. 434] des osseals sains Augustin, et les arivat à Jeneve ; et de là les at conduit à Pavie en l'engliese Sains-Pire, en chiel d'oir que ly roy avoit edifiet, et les mist là mult honorablement.

[Les ossements de saint Augustin furent apportés de Sardaigne à Pavie] Alors Liutprand, le roi des Lombards apprit que les Sarrasins pourraient bien envahir la Sardaigne, où reposaient les ossements de saint Augustin, qui pourraient malhonnêtement être mis à mal. Le roi lombard arma des gens, se rendit en Sardaigne et rapporta à Gênes les précieuses reliques, [II, p. 434] qu'étaient les ossements de saint Augustin. De là, il les amena à Pavie, dans l'église Saint-Pierre sous un baldaquin d'or que le roi avait édifié, et les y déposa avec beaucoup d'honneur.

 


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