Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 297b-307a - Ans 613-620

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023)

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LES MÉROVINGIENS - L'EMPIRE - LA PAPAUTÉ - L'ÉVÊCHÉ DE TONGRES - DIVERS

Ans 613-620

 

A. Vers ans 613-614 = Myreur II, p. 297b-299a : Empire byzantin : Héraclius et Phocas - Monde franc : Dagobert Ier (mariages, mauvais comportement) - Geste imaginaire d'un roi Clovis en Orient

 

B. Ans 615-620 = Myreur, II, p. 299b-304a : Monde franc : Dagobert Ier (ses méfaits, sa mort, sa sépulture à Saint-Denis, ses successeurs) - Évêché de Tongres : saint Amand (sa vie, ses prêches, ses miracles, sa mort) - Papauté : papes Dieudonné et Boniface

 

C. Vers 620 = Myreur, II, p. 304b-307a : Saint Remacle (origine, carrière) - Monde franc : présentation rapide des Pépins - Divers : les célébrités (saints et savants de l'époque)


A. Vers ans 613-614 = Myreur II, p. 297b-299a

Empire romain d'Orient : Héraclius bat Phocas et devient empereur de Rome (Constantinople) - Rois francs : Dagobert Ier, ayant répudié sa femme pour épouser une nonne, devient un despote malfaisant - Geste imaginaire d'un roi Clovis dans le royaume de Pentexoir (son combat contre le roi local, sa mort des mains de la reine, débat sur la noblesse des combattants)


Héraclius et Phocas

[II, p. 297b] [Eracle desconfist l’emperere Foques et conquist Romme] En cel an issit Fouques de Romme, en mois d'octembre le XXVIIIe jour, ly emperere à grant gens ; si oit batalhe contre le jovene Eracle et contre ses gens qui avoient assegiet Romme, si com dit est.

[II, p. 297b] [Héraclius vainquit l’empereur Phocas et conquit Rome] En cette année [vers 613], le 18 octobre, l'empereur Phocas et de nombreuses troupes sortirent de Rome ; ils se battirent contre le jeune Héraclius et ses gens qui avaient assiégé Rome, comme on l'a dit (cfr II, p. 294).

[Eracle le LXIe emperere de Romme] Mains Foques awec ses Romans [fut] desconfis, et conquestat Eracle la citeit, si fut coroneis à emperere LXIe, et regnat XXIX et XXIII jours ; et, tantoist qu'ilh fut coroneis, ilh fist prendre Fouque qu'ilh tenoit en prison, et le fist ardre en unc feu et awec ly XVII senateurs qui avoient esteit contraires à Eracle.

[Héraclius, 61e empereur de Rome] Mais Phocas et ses Romains furent défaits et Héraclius conquit la ville. Il fut couronné 61e empereur et régna vingt-neuf ans et vingt-trois jours. Aussitôt couronné, il fit saisir Phocas qu'il détenait en prison et le fit brûler sur un bucher, en même temps que dix-sept sénateurs qui s'étaient opposés à lui (pour la suite, cfr II, p. 307)

 

 

Dagobert despote malfaisant

Bibliographie choisie sur le roi Dagobert

 

Textes

*Chronique dite de Frédégaire, Chronique des temps mérovingiens, 47-79 passim, p. 131-183, éd. Devillers-Meyers (VIIe siècle)

* Liber Historiae Francorum (La Geste des rois des Francs), 41-43, p. 140-149, éd. Lebecq (vers 727)

Gesta Dagoberti I regis Francorum, éd. Krusch,  (M.G.H., Script. rer. Merov., 2), Hanovre, 1888, p. 396-425, éd. Krusch (cfr trad. française de Fr. Guizot, Collection des Mémoires, Paris, II, 1823).  Nouvelle traduction : Chroniques du temps du roi Dagobert, Clermont-Ferrand, 2010, 168 p. (écrit avant 835)

* Aimoin, de gestis Francorum, IV, 8-24 passim, p. 121-135, éd. Bouquet-Delisle (composé avant 1004)

* Sigebert de Gembloux, Chronica (commencée après 1083, publiée en 1105 et continuée jusqu’en 1111), p. 322-324 passim, éd. Bethmann (M.G.H.)

* Vincent de Beauvais (début du XIIIe siècle), Speculum historiale, XXIII, 35, not. p. 323,  qui traite des événements de l’année 629 de notre ère

* Hélinand de Froimont (début du XIIIe également, en 1211-1223), Chronicon, P.L., t. 212, col. 775

* Jacques de Voragine, La Légende dorée (milieu du XIIIe) ch. 149, Saint Denis et ses compagnons, p. 841-849 pour le texte, p. 1418-1421 pour les notes, éd. A. Boureau, La Pléiade, 2004).

Grandes chroniques de France, Tome II, livre V, ch. 1-20 passim, p. 91-189, éd. Viard. C’est une source particulièrement importante.

 

Travaux

* Laurent Theys, Dagobert, un roi pour un peuple, Paris, 1982, 184 p. (réimpression, Paris, CNRS, 2014, 184 p. (Biblio, 162)

 

[II, p. 297] [Dangobert roy esposat une nonain pour sa femme] Item, l'an VIc XIIII enamat Dangoubert, ly roy de Franche, une nonain qui oit nom Naucrat, si le prist et l'esposat sicom sa femme, et donnat congier sa femme Gematrix, de laqueile ilh avoit II fis, Cloveis et Sygibers. Se avient que, oussitoist que ilh oit chu faite, ilh changat tout de manere et de coraige, et devienet [II, p. 298] unc mal tyrans ; si commenchat al destruire les englieses et desrobeir par toute, et le tient tant qu'ilh viscat, et mist grant pestilenche et tribulation en Franche.

[II, p. 297] [Le roi Dagobert (Ier) prit une nonne pour épouse] En l'an 614, le roi de Francie Dagobert (Ier) s'éprit d'une nonne appelée Nanthilde ; il la prit et l'épousa, répudiant sa femme Gomatrude, de qui il avait deux fils, Clovis (II) et Sigebert (III). Aussitôt après cela, Dagobert changea de comportement et de mentalité, devenant [II, p. 298] un méchant despote : il se mit à détruire les églises et à les dépouiller complètement, et ce, jusqu'à sa mort, causant en Francie grande peste et grands tourments.

Les expéditions imaginaires d'un roi Clovis fictif

[Coment li noble roy Cloveis fut ochis par trahison] En cel an entrat ly roy Cloveis, qui estoit oultre mere, en la royalme de Pentexoir, se le commenchat mult à conquiere. Adont assemblat ly roy Hercules de Pentexoir grant gens, si le corut sus ; mains riens ne poioit dureir contre Cloveis, car ilh coupoit hommes et chevals en dois tronchons, et faisoit teile essart que ons ne l'oissoit approchier. Ilh ochist les VI fis le roy Hercules, et furent les paiiens desconfis, si fuirent en la citeit de Nysse qui estoit mult fort.

[Le noble roi Clovis fut tué par trahison] Cette année-là, le roi Clovis, qui était outre-mer, dans le royaume de Pentexoir, se mit à y faire de nombreuses conquêtes. Alors, Hercule, roi de Pentexoir, rassembla un grand nombre de gens et l'attaqua. Mais rien ne pouvait résister à Clovis, car il coupait en deux hommes et chevaux, et faisait tant de ravage qu'on n'osait l'approcher. Il tua les six fils du roi Hercule, et les païens, vaincus, s'enfuirent dans la cité de Nysse, très fortifiée.

[Cloveis assegat la citeit où il fut ochis] Adont assegat ly roy Cloveis la citeit ; mains ly roy Hercules, qui estoit uns fors agoians, mandat al roy Cloveis que, s'ilh estoit gentis hons asseis por combattre à luy, se fesissent unc champ corps à corps, affin que ses gens moynes ne fussent plus folleez, et liqueis qui seroit vencus chis fust ochis sens respit. A chu respondit Cloveis qu'ilh savoit bien sa gentilheche, mains ilh ne savoit la gentilheche le roy Hercules, porquen ilh ne saroit respondre à sa demandie ; mains tant en oisoit-ilh bien dire que ilh estoit de plus noble sancg de monde, car ilh estoit fis à frere le roy de Franche, et yssus del anchiens sang le roy Priant de Troie et puis de Romme.

[Clovis assiégea la cité où il fut tué] Alors Clovis assiégea la cité. Mais le roi Hercule, qui était un puissant géant, proposa au roi Clovis, s'il était homme assez noble pour combattre avec lui, de le rencontrer en champ clos pour un corps à corps afin que ses gens ne soient pas mis à mal (?). Le vaincu serait tué, sans attendre. À cela Clovis répondit qu'il connaissait sa propre valeur, mais ignorait celle du roi Hercule, raison pour laquelle il ne pourrait répondre à sa demande. Toutefois il osa dire qu'il était issu du sang le plus noble du monde, étant le fils du frère du roi de Francie, et descendant d'un sang très ancien, celui du roi Priam de Troie, puis de Rome.

Quant ly roy Hercules entendit chu, si mandat al roy Cloveis triwes et respit d'aleir de l'unc à l'autre VIII jours, et chis ly otriat. Dedens cel terme, vint ly roy Cloveis en la citeit de Nysse unc jour à privée maisnie, et commencharent à parleir comment ly champs se poroit faire entre eaux. Mains ly roy Hercules, qui ne tendoit fours que à trahison, dest que ly roy Cloveis n'estoit pointe souffissans asseis pour faire l'estour encontre luy, car ilh et ses successeurs estoient yssus de Cam, le anneis fis Noé, qui promiers avoient esteis roys et oit des roys en sa lignie, et que nulle des altres lignie n'estoit comparable à la lignie de Cam qui estoit anneis, et de cuy les promirs roys estoient yssus, et qui par sa nobleche avoit oyut en sa part Aisie, qui estoit la motié de la terre, et ses dois freres n'avoient oyut que l'autre motié, assavoir : Sem Affrique, et Japhet Europe. Et fut en la partie de Cam fondée la plus noble royalme de monde, chu fut Babylone.

En entendant cela, le roi Hercule demanda au roi Clovis une trêve et un répit de huit jours avant leur rencontre, et Clovis fut d'accord. Pendant ce délai, le roi Clovis se rendit un jour dans la cité de Nysse avec sa suite personnelle, et les deux hommes commencèrent à parler de la manière dont le combat pourrait se faire. Le roi Hercule, qui ne cherchait qu'à trahir, dit que le roi Clovis n'était pas assez noble pour combattre contre lui. C'est que lui, Hercule, et ses successeurs étaient issus de Cam, le fils aîné de Noé, qui avait été le premier roi et avait des rois dans sa descendance. Aucune autre lignée n'était comparable à celle de Cam, qui était l'aîné, de qui étaient issus les premiers rois et qui, vu sa noblesse, avait reçu en partage l'Asie, c'est-à-dire la moitié de la terre. Ses deux frères n'avaient eu que l'autre moité, Sem ayant obtenu l'Afrique et Japhet l'Europe. Et c'est dans la part de Cam que fut fondé le royaume le plus noble du monde, celui de Babylone.

A chu respondit Cloveis que des trois fis Noé avoit esteit Sem ly soverains, et à cheli n'avoient les altres nule comparation ; mains tant com de Cam et de Japhet estoit [II, p. 299] Japhet ly miedre, et de cheli ilh estoit yssus, car la lignie Cam fut maldite, porquen nulle bonteit n'en doit eistre à son lignie donnée.

À cela Clovis répondit que des trois fils de Noé, Sem avait été le principal, que les autres ne lui étaient nullement comparables, mais que, de Cam et de Japhet, [II, p. 299] Japhet était le meilleur. Et c'était de sa lignée que Clovis était issu. Celle de Cam fut maudite, raison pour laquelle aucune qualité ne doit être attribuée à sa lignée.

Grant batalhe entre Cloveis et Hercules] Quant Hercules entendit chu, ilh fut mult corochiés, si salhit sus et prist unc cutel com unc trahitre, si voult ferir Cloveis ; mains ly roy guencist, prist son espée, se le ferit teilement sour le chief que ilh le coupat en dois parties. Puis corut sus ches Sarasins qui l'assalhoient, si en ochist mult ; mains ses hommes furent tous ochis, et ly-meismes fut reculeis en une saule.

[Grande bataille entre Clovis et Hercule] Quand Hercule entendit cela, il fut très courroucé. Il bondit en avant, prit un couteau comme un traître et voulut frapper Clovis ; mais celui-ci l'évita, saisit son épée et porta sur la tête d'Hercule un coup si fort qu'il la coupa en deux. Puis il affronta les Sarrasins qui l'assaillaient et en tua beaucoup ; mais ses hommes furent tous tués et lui-même fut repoussé dans une salle.

[Exona ochist Cloveis] Mains, enssi qu'ilh devoit entreir en la saule et ilh voult fermeir la porte, li vient par derier Exona la royne, qui volentier prendist vangement de cheli qui ly avoit ochis ses VI fis ; se le ferit par derier sour le tieste, de unc posteal de bois que elle trovat là, sy roidement que ly roy Cloveis chaiit à terre tous escarnis ; puis le referit encors la royne trois grans coups l'unc apres l'autre, et tant que elle l'ochist là-meismes. Enssi fut mors ly roy Cloveis del main d'on femme, par le default de chu que ilh soy fioit trop en trahitour, quant ilh estoit là venus sens armes sour les triwes qu'ilh avoit aux paiiens, qui ne tinent nulle covent.

[Exona tua Clovis] Mais alors qu'il devait entrer dans la salle et voulait fermer la porte, la reine Exona arriva sur lui par derrière et prit plaisir à se venger de celui qui avait tué ses six fils. Avec une pièce de bois qu'elle trouva sur place, elle frappa Clovis sur la tête par derrière, si rudement que le roi tomba à terre tout perdu (?). Après cela, la reine lui asséna encore trois grands coups d'affilée et le tua sur place. Ainsi le roi Clovis mourut de la main d'une femme, pour avoir trop fait confiance à un traître, puisqu'il était venu là sans armes, pendant les trêves conclues avec les païens, qui ne respectent aucun accord.

Apres yssirent fours les Sarasins, si corurent sus les cristiens qui furent tous desconfis, car ilh ne soirent qu'ilh les estoit advenus et ratendoient leur sangnour. Apres chu, fut ly corps le roy Cloveis mis en unc vasseal de metal et saieleis, et fut mis sour unc comble de leur temple por sa proieche, car ilh disoient que teile hons ne devoit mie estre mangniés de vermyns del terre.

Ensuite, les Sarrasins sortirent, attaquèrent les chrétiens, qui furent tous vaincus, car ils ne savaient pas ce qui était arrivé et attendaient leur seigneur. Après cela, le corps du roi Clovis fut placé dans un cercueil de métal hermétiquement fermé, et déposé au sommet de leur temple, vu sa prouesse, car ils disaient qu'un homme de cette valeur ne devait pas être mangé par la vermine de la terre.

Et portant que chis debas fut pris por le bonteit des dois roys, et que ilh voloient savoir liqueis estoit miedre, je l'awis chi deviseit ; mains je l'ay altre fois dit chi deseur, où j'ay parleit des enfans Noé : là poreis troveir des trois lignies liqueile fut li plus noble.

Et c'est parce que ce débat portait sur la noblesse des deux rois, qui voulaient savoir lequel était le meilleur, que je l'ai raconté ici ; mais j'en ai parlé une autre fois plus haut (cfr I, p. 5-6), quand j'ai évoqué les enfants de Noé. Vous pourrez trouver là quelle était la plus noble des trois lignées.


 B. Ans 615-620 = Myreur II, p. 299b-304a

Saint Amand, évêque de Tongres, prêche et voyage, accomplissant divers miracles (notamment le cas du futur saint Bavon) - Les papes Dieudonné Ier (615-618 n.è.) et Boniface V (619-625 n.è.) - Dagobert Ier : ses méfaits, sa guerre contre son prévôt Franco, sa mort des mains de ce dernier, sa sépulture, le salut de son âme et la dédicace de l'église Saint-Denis - Saint Amand (derniers miracles et mort) - Succession de Dagobert : son fils aîné, Clovis II ou Louis, est couronné roi de Francie ; son cadet, Sigebert III, roi d'Austrasie - Boniface : décisions papales - Saint Amand, derniers miracles et mort

 

Pour quelques informations de type bibliographique sur saint Amand, cfr supra

Saint Amand, évêque de Tongres, prêchant en voyage, et accomplissant divers miracles (not. le cas du futur saint Bavon)

[II, p. 299b] [De sains Amans de Tongre] Item, l'an VIc et XV prechoit sains Amans, evesque de Tongre, la parolle de Dieu parmy l'isle de Canalans, et demorat là I pou awec des moynes en une religion, puis s'en alat en Wascone où ilh anonchoit unc jour le sainte Ewangeile.

 [II, p. 299b] [Saint Amand de Tongres] En l'an 615, l'évêque de Tongres, saint Amand, prêchait la parole de Dieu dans l'île de Calloo (cfr II, p. 293). Il y demeura quelque temps dans un couvent avec des moines, puis s'en alla en Vasconie, où il annonça le saint Évangile.

[Myracle] Si avient que I garchon, qui oit nom Momylogus, fist ses moqueries de sains proidhons ; mains là vient uns malignes espirs, qui le garchon prist et le demembrat mult crueusement, si qu'ilh morut devant le peuple mult miserablement.

[Miracle] Un jour, un garçon, appelé Momylogus, se moqua du saint homme, mais survint un mauvais esprit qui le saisit et le démembra très cruellement, au point qu'il mourut misérablement en présence du peuple.

[Sains Amans convertit le murdreur - De sans Bawon] Apres vient sains Amans à passant parmy Hesbay, où ilh trovat unc mourdreur qui deroboit le chemyn. Si wot ochire sains Amans ; mains Dieu y demonstrat myracle, [II, p. 300] car sains Amans le convertit, et l'emmynat awec ly, se le fist rechure à Gant ; et avoit nom Bawon, qui menat dedont en avant mult sainte vie, et c'est sains Bawon de Gand.

[Saint Amand convertit le meurtrier - Saint Bavon] Ensuite saint Amand vint à passer par la Hesbaye, où il rencontra un meurtrier, qui dévalisait les gens en chemin. Il voulut tuer saint Amand, mais Dieu se manifesta par un miracle, [II, p. 300] car saint Amand le convertit, l'emmena avec lui et le fit accueillir à Gand. Cet homme avait pour nom Bavon et mena dorénavant une très sainte vie. Il s'agit de saint Bavon de Gand (sur sa mort, cfr II, p. 321)

[Mervelhe de sains Amans] Apres, vient sains Amans à Paris, et priat al roy Dangoubert que ilh ly vosist donneir lieu où ilh posist fondeir une maison de religion, en laqueile ilh voloit habiteir. Et ly roy ly otriat, et li dest qu'ilh presist lieu partout son rengne à son plaisier. Et sains Amans commenchat à habiteir en une lieu qui estoit pres de Mymolion. Et ly evesque de Ozidien en oit grant envie sour luy proidhons, et dest qu'ilh le feroit morir. Si appellat II sorgans et les dest qu'ilh alassent à sains Amans, et li fesissent entendant que li lieu qu'ilh avoit pris n'estoit mie souffissant por luy, « et li faites entendant que vos le condureis en unc desiert lieu, se l'ochiés là et jetteis le corps de li où jamais n'en soit oiit novelles. » Adont vinrent les II sorgans où sains Amans estoit, qui jà savoit, par le revelation de Sains-Esperit, le pensée d'eaux et de l'evesque ; mains ilh desiroit si fort à rechivoir martyr, que ilh les fist grant fieste et soy assentit del faire leur volenteit, et les suyt jusques à une montangne où les sourgans le devoient mettre à mort ; mains Dieu les espirat en bien, et vinrent al proidhons et li priarent merchi et absolution de leurs meffais. Et li sains hons les absolit. 

[Prodige de saint Amand] Par après, saint Amand se rendit à Paris, et pria le roi Dagobert d'accepter de lui donner un endroit où fonder une maison religieuse, où il voudrait habiter. Le roi le lui accorda et lui dit de s'installer à son bon plaisir n'importe où dans son royaume. Saint Amand choisit un endroit situé près de Mymolion. Mais l'évêque d'Uzès devint très envieux de ce sage et dit qu'il le ferait mourir. Il appela deux serviteurs et leur dit d'aller trouver saint Amand, et de lui faire entendre que le lieu qu'il avait choisi n'était pas suffisamment bien pour lui. « Faites-lui entendre que vous le conduirez dans un endroit désert, et là vous le tuerez et vous y jetterez son corps, dont on n'entendra jamais plus parler ». Alors les deux serviteurs se rendirent là où se trouvait saint Amand. Celui-ci, grâce à une révélation du Saint-Esprit, connaissait déjà leur intention et celle de l'évêque ; mais comme il désirait très fortement mourir en martyre, il leur fit grande fête et consentit à ce qu'ils demandaient. Il les suivit jusqu'à la montagne où les serviteurs devaient le mettre à mort. Mais Dieu poussa ceux-ci à bien faire : ils vinrent vers le sage, le priant de leur pardonner et de leur donner l'absolution de leurs méfaits. Et le saint homme la leur donna.

Mymolion : une ville dans le texte de Jean, alors que dans son modèle (Hériger, Gesta, p. 180), Mumolus est le nom de l'évêque d'une ville Ozido (Mumolus Ozidinis urbis episcopus), qui serait, selon B. Krusch, l'actuelle Uzès, dans le département français du Gard. Hériger d'ailleurs ne raconte pas tout à fait la même histoire. Si on se reporte à la Vita Amandi episcopi I, ch. 23 (M.G.H., Script. Rer. Mer., V, 3, éd. Krusch) p. 445-446, on lit qu'un Mommolus quidam Ozidinsis urbis s'y opposait fortement parce qu'il avait demandé le même endroit au roi. Dans l'édition M.G.H. de la Vita Amandi, le roi auquel s'adresse saint Amand est Childéric, mais on trouve Chilpéric dans la tradition manuscrite, et un autre texte (de Bernard Gui, le célèbre inquisiteur dominicain, mort en 1331) parle de Childebert. Manifestement, l'anecdote peut s'accrocher à différents personnages..

[Ly avoigle fut garis del aighe sains Amans] En cel an s'en rallat sains Amans en Franche, se vient à Laon et alat hosteleir en la maison l'evesque ; si avient que quant sains Amans lavat ses mains por seioir à tauble, ly evesque prist l'aighe qui estoit demorée en bachien et le mist en une vasel d'argent, sicom chis qui avoit grant fianche en ceste aighe. Si avient que uns hons qui estoit avoigle vient là, et li evesque ly frotat sour ses yeux de celle aighe où sains Amans avoit laveit ses mains, et tantoist ilh reveit clerement.

[L'aveugle fut guéri par l'eau de saint Amand] Cette même année, saint Amand retourna en Francie, arriva à Laon et alla loger dans la maison de l'évêque. Un jour que saint Amand se lavait les mains avant de se mettre à table, l'évêque prit l'eau restée dans le bassin et la mit dans un vase d'argent, comme s'il avait grande confiance dans cette eau. Un aveugle vint à passer par là ; l'évêque lui frotta les yeux avec l'eau dans laquelle saint Amand s'était lavé les mains, et aussitôt l'aveugle revit distinctement.

Les papes Dieudonné Ier (615-618 n.è.) et Boniface V (619-625 n.è.)

[Li pape garist unc messiaux] Item, l'an VIc et XVI en mois de junne, estoit li pape de Romme Dieudoneit à la porte de son palais, se ly vient devant ly unc lepreux en demandant absolution. Et li pape par humiliteit le baisat en la bouche, et puis l'absolit. Et chis fut tantoist saneis de sa maladie de sains Laisdre.

[Le pape guérit un lépreux] En l'an 616, en juin, le pape de Rome Dieudonné (cfr II, p. 294) se trouvait à la porte de son palais. Un lépreux se présenta à lui en demandant de l'absoudre. Le pape par humilité le baisa sur la bouche et puis lui donna l'absolution. Le lépreux fut aussitôt guéri de la maladie de saint Ladre.

[Bonifache ly LXXIIe pape de Romme] En cel an le XXIII jour d'awoust, morut li pape Dieudonneit deseurdit, et, apres son deches, par le discorde de dois cardinals vacat li siege VI mois et XIII jours ; puis fut consacreis à pape Bonifache, ly Ve de ce nom, qui fut de la nation de Champangne, de la citeit Nycopolie, liqueis tient le siege [II, p. 301] V ans et XIII jours, et selonc Martin ilh le tient X ans.

[Boniface, 72e pape de Rome] Cette année-là, le treize août, le pape Dieudonné, mentionné ci-dessus, mourut ; après son décès, le siège resta vacant durant six mois et treize jours, suite à une discorde entre deux cardinaux. Fut ensuite couronné pape, Boniface, cinquième du nom, qui était originaire de Naples en Campanie. Il occupa le siège [II, p. 301] cinq ans et treize jours, dix ans, selon Martin (cfr aussi II, p. 303 sur Boniface)

  Dagobert Ier : ses méfaits, sa guerre contre son prévôt, sa mort, sa sépulture, le salut de son âme

[Des grans mals le roy Dangobers] Item, l'an VIc et XVII vient ly roy Dangobers à Potiers, si le commenchat vilainnement à degasteir et desrobeir l'engliese, et faire de pies qu'ilh pot, si com ilh avoit faite depuis celle heure qu'ilh estoit despartis de sa promier femme. A cesti fois fist-ilh dependre et oisteir les portes delle engliese Sains-Hylaire qui estoient de fin coevre, et les wot faire meneir à Paris ; si les fist mettre en mere por venir por Sayne, si chaiit en mere li une des porte, si fut perdue et ne fut onques retrovée, et li altre fut menée à Paris.

[Les grands méfaits du roi Dagobert] En l'an 617, le roi Dagobert vint à Poitiers, où il se mit à dévaster et à dévaliser honteusement les églises, à faire le plus de mal possible, comme depuis le moment où il s'était séparé de sa première femme. Cette fois-ci, il fit dépendre et enlever les portes de l'église Saint-Hilaire, qui étaient en cuivre fin, et  voulut les emporter à Paris. Il les fit embarquer pour les amener par la Seine. L'une d'elles, tombée à l'eau, se perdit et ne fut jamais retrouvée ; l'autre fut transportée à Paris.

Le motif des portes d'église dérobées, présent chez Aimoin, V, 21, p. 128 et dans les Chroniques de Saint-Denis, V, ch. 11, p. 140-141, n'apparaît pas explicitement dans les Gesta Dagoberti, qui contiennent toutefois la mention générale d'une dévastation d'églises due à Dagobert.

En cel an muet grant discorde entre le roy Dangobert et Franco, li prevoste de Franche, portant que Franco voloit que Dangobert fust reclus en son palais, sicom roy tyrans plains de malvaisteit qui destrusoit les englieses. Et ly roy ne le voloit nient faire, si commenchat grant gerre ; mains cheaux de Paris soy trahirent awec le prevoste et enchaçarent le roy, qui s'enfuit à Soison.

Cette année-là [617], une grande discorde opposa le roi Dagobert et Franco, le prévôt de Francie. Franco voulait que Dagobert soit reclus dans son palais, comme roi tyrannique, plein de méchanceté et destructeur d'églises. Le roi, qui ne voulait nullement se plier à ce traitement, engagea une grande guerre ; mais les habitants de Paris s'allièrent au prévôt et chassèrent le roi qui s'enfuit à Soissons.

[Dangobert fut desconfis et mors par son prevoste de Franche, Franco] Atant assemblat ly prevost ses gens, si assegat Soison ; mains ly roy Dangobert issit fours contre ly, si orent batalhe ensemble ; mains ly roy fut desconfis, et de ses gens ochis XIm hommes, et fu ly roy pris et meneis à Paris par forche et enfermeis, enssi com dit est, enssi com jadis fut li roy Celdris. Mains ly roy Dangobert rechut teile duelhe, que ilh morut dedens IIII mois là apres, assavoir l'an VIc et XVIII, en mois de jule. Quant ly roy Dangobert fut mors, si fut ensevelis en l'engliese Sains-Denis deleis Paris, qu'ilh avoit fondeit si com dit est, et fut tout sa vie escripte sour la tombe de son sepulture.

[Dagobert fut défait et mis à mort par son prévôt de Francie, Franco] Alors le prévôt rassembla ses gens et assiégea Soissons. Le roi Dagobert sortit et livra bataille. Il fut vaincu et onze mille de ses hommes furent tués. Quant à lui, il fut attrapé, emmené de force à Paris et enfermé, a-t-on dit, comme l'avait été jadis le roi Childéric. Dagobert en fut tellement affecté qu'il mourut dans les quatre mois qui suivirent, à savoir en juillet 618. Il fut enseveli dans l'église Saint-Denis, près de Paris, église qu'il avait fondée, comme on l'a dit (cfr II, p. 286-287), et toute sa vie fut décrite/présentée sur son monument funéraire.

Childéric : Allusion au sort de Childéric Ier, fils de Mérovée, roi des Francs, à l'inconduite notoire, banni de Francie pendant un certain temps et qui retrouvera finalement son trône (cfr II, p. 121ss), après avoir accepté d'être contrôlé par un prévôt. La comparaison n'est toutefois pas valable pour tous les détails de l'histoire de ces deux rois. Quoi qu'il en soit, l'allusion à la fonction de prévôt est fort intéressante. L'histoire ne connaît toutefois pas un prévôt (ou maire du palais) de Dagobert du nom de Franco. Dans les chroniques, les conseillers directs de Dagobert sont Arnoul, l'évêque de Metz, Pépin Ier, maire du palais d'Austrasie (?), Aega, maire du palais de Neustrie.

Sur le monument funéraire :  cfr  L. Theis, Dagobert, p. 95 : « Soucieux d'honorer les meilleurs de ses prédécesseurs, il (=  saint Louis) fit construire vers 1250, pour Dagobert, le flamboyant mausolée qui existe encore aujourd'hui pour l'essentiel et qui, représentant en bas relief les scènes du salut de Dagobert, montre à qui veut le voir comment un roi gagne le paradis ». Plus de détails sur Wikipédia.

[Sains Amans veit comment l’arme Dangobert fut tourmentée des diables] Mains ilh fut monstreit al evesque de Tongre, sains Amans, une vision teile que ly arme Dangobert estoit mult travelhié des malignes esperis, por les deplaintes de pluseurs sains que ilh faisaient à Dieu de li, de chu qu'ilh avoit destruite et desrobeit leurs englieses.

[Saint Amand vit l’âme de Dagobert tourmentée par des diables] L'évêque de Tongres, saint Amand, eut une vision lui montrant l'âme de Dagobert très tourmentée par de mauvais esprits, suite aux plaintes que de nombreux saints adressaient à Dieu à son sujet, parce qu'il avait détruit et dévalisé leurs églises.

 [Dangobert fut salveis al proier sains Denis] Mains al derain ilh fut delivreis des paines d'enfier, à la proier sains Denis qui priat à Dieu qu'ilh awist de son fondateur merchi. Chu que je dis et diray est pointe en la pariete de l'engliese Sains-Denis en Franche, devant le grant alteit où giest ly roy Dangobert ; deseur luy est cist hystoire portraite de noble oevre, et enssi ilh contient dedens les croniques de Sains-Denis.

[Dagobert fut sauvé grâce à la prière de saint Denis] Mais finalement Dagobert fut délivré des peines de l'enfer, suite à la prière de saint Denis, qui demanda à Dieu d'avoir pitié de son fondateur. Ce que je dis et dirai est peint sur le mur de l'église Saint-Denis, en Francie, devant le grand autel où gît le roi Dagobert ; son histoire y est représentée dans cette peinture célèbre ; elle est également racontée dans les Chroniques de Saint-Denis.

Vision de l'âme de Dagobert :  On verra le texte très détaillé des Grandes Chroniques, V, ch. 19, p. 181-184, éd. Viard, 1922. Le fait qu'un vivant aperçoive l’âme d’un mort en difficulté n'est pas rare dans la littérature médiévale. Pour un récit très voisin de celui qui nous occupe, B. Krusch dans son édition de la Gesta Dagoberti, p. 421, n. 6, renvoie au cas du roi Théodoric de Ravenne, tiré du livre IV des Dialogi  de Grégoire le Grand  (M.G.H., Scriptores, 3, Scriptores rerum Langobardicarum et Italicarum saec. VI-IX,  Band 1, Hanovre, 1878), aux pages intitulées Ex Gregorii Magni Dialogorum libris, p. 524ss. Le texte qui nous concerne se trouve § 31, p. 540.

On songera aussi à l'évêque Genès, aveugle, entendant les paroles qui avaient été échangées autour de l'âme du méchant Ébroïn emportée aux enfers (II, p. 345).

La dédicace de Saint-Denis et le lépreux

[Comment Dieu dedicasat l’engliese Sains-Denis à Paris] Vos saveis comment nos avons deviseit par-desus que ly roy Dangobert de Franche fondat [II, p. 302] l'engliese Sains-Denis ; et quant ons le duit dedicassier, solonc les pointures et les hystoires deldit engliese Sains-Denis, ly roy assemblat unc concilhe de pluseurs evesques et abbeis, et leurs priat qu'ilh vosissent dedicasier son engliese ; lesqueis evesques et abbeis lendemain le promisent, et cest nuit ilh alarent à leurs hosteis.

[Comment Dieu dédicaça l’église Saint-Denis à Paris] Vous savez que nous avons raconté ci-dessus que le roi Dagobert de Francie avait fondé [II, p. 302] l'église Saint-Denis. Selon les peintures et les histoires de la dite église, quand on dut la dédicacer, le roi réunit une assemblée de plusieurs évêques et abbés et les pria d'accepter de dédicacer son église. Les évêques et abbés promirent la chose pour le lendemain et, la nuit venue, regagnèrent leurs hôtels.

Et à la nuit, quant ons cloiit l'engliese, ilh démorat là ens unc lepreux qui s'obliat en orisons, et tant que les gardes ne le veirent mie ; et quant ilh vient à méenuit, Jhesu-Crist awec ses angeles, archangeles, trones, potesteis, apostles, et sa court de paradis awec li et sains Denis, desquendit en l'engliese à gran clarteit divine. Et quant ly lepreux veit celle clarteit, si fut mult enbahis.

Lorsqu'on ferma l'église pour la nuit, un lépreux resta à l'intérieur et se perdit tellement en prières que les gardes ne le virent pas. À minuit, Jésus, avec ses anges, archanges, trônes, puissances, apôtres, sa cour du paradis et saint Denis, descendit dans l'église baignant dans une grande clarté divine. Quand le lépreux vit cette clarté, il fut tout étourdi.

Adont vient Jhesu-Crist qui aloit par l'engliese, et le benissoit, et le dedicassoit, et les crois de sa propre main faisoit en murs tout entour le mostier. Et quant ilh vient devant le lepreux, ilh l'apellat et li dest : « Viens chà, amis, et si entens chu que je toy diray : tu t'en yras demain al roy Dangobert, et ly diras que ilh ne fache mie dedicasier celle engliese, car elle este dedicasié par Jhesu-Crist, enssi com tu as veyut. » Quant ly lepreux oiit chu, si en oit grant ammiration, si respondit en genos flichant et dest : « Beas sires, ilh ne moy croirat nient ; ne je ne oseroie à ly teile chouse raporteir, ne venir en sa presenche, portant que je suy lepreux et l'ay esteit longtemps. »

Alors Jésus-Christ arriva, allant et venant dans l'église ; il la bénissait, la dédicaçait, faisait de sa propre main des croix sur les murs tout autour du bâtiment. Quand il arriva devant le lépreux, il l'appela et dit : « Viens ici, mon ami, et écoute ce que je vais te dire : tu iras demain auprès du roi Dagobert, et tu lui diras de ne pas dédicacer cette église, car elle l'a déjà été par Jésus-Christ, comme tu l'as vu ». Quand le lépreux entendit cela, il fut grandement étonné et répondit en fléchissant les genoux : « Beau Seigneur, il ne me croira pas ; et je n'oserais pas lui rapporter une telle chose, ni me trouver en sa présence, parce que je suis lépreux et cela depuis longtemps. »

 [Jhesu-Crist mondat le lepreux al dicause sains Denis] Quant Jhesu-Crist oiit chu, se le prent par le chief et li oistat tout la maladie de messelerie, et le crasse del leprositeit toute plainement ilh jetat à unc pileir de mostier tout parfaite, et demorat là enssi com ilh fust pointe et encors yeste ; et li lepreux fut tout sains et cureis. Et li dest Jhesu-Crist : « Par cesti signe seras-tu creyus al roy. » Atant soy partit Jhesu-Crist awec sa compangnie et sa clarteit.

[Jésus-Christ guérit le lépreux lors de la dédicace de Saint-Denis] Quand Jésus-Christ entendit cela, il saisit le lépreux par la tête, lui enleva complètement sa maladie et jeta les sales traces de sa lèpre sur un pilier de l'église entièrement achevé. Elles restèrent là comme si elles y avaient été peintes, et elles y sont encore. Le lépreux se retrouva sain et guéri, et Jésus-Christ lui dit : « Grâce à ce signe, le roi te croira. » Alors Jésus-Christ s'en alla avec ses compagnons dans la lumière.

Et ly lepreux s'en alat lendemain al roy, et ly dest tout chu qu'ilh devoit dire parfaitement ; mains ilh ne le wot mie croire, si oit grant ammiration de ses dis que ilh disoit. Adont li lepreux emmynat le roy à l'engliese, et li monstrat comment ilh estoit cureis de la lepre ; et choisit ly roy sa fachon lepreux à pileir pointe, et le signe de la crois entours les murs de l'englise. Et enssi a-t-il apelleis les prelairs, et les altres qui la connissanche de cel lepreux avoient, et disoient qu'ilh avoit longtemps esteit lepreux. Adont le creit le roy. Et chu fut le jour le sains Mathier l'apostle, et tous les ans à cel jour este la [II, p. 303] dicause celebrée en l'engliese Sains-Denis en Franche ; ne onques altrement ne fut dedicausié. Et enssi ilh est escripte es hystoires deldit engliese. 

Le lendemain, le lépreux se rendit chez le roi et lui répéta parfaitement tout ce qu'il devait dire ; mais Dagobert, très étonné, ne voulut pas le croire. Alors le lépreux l'emmena à l'église et lui montra comment il avait été guéri. Le roi remarqua les marques de lèpre peintes sur le pilier, et les signes de croix sur les murs de l'église. Il appela aussi les prélats et les autres personnes qui connaissaient ce lépreux : toud disaient qu'il avait été malade longtemps. Alors le roi le crut. Cela se passa le jour de la fête de l'apôtre saint Matthieu, et chaque année on célèbre [II, p. 303]ce jour-là la fête de la dédicace de l'église Saint-Denis en Francie. Elle ne fut jamais dédicacée autrement. C'est ce qui est écrit dans les histoires de cette église.

Succession de Dagobert : son fils aîné, Clovis II ou Louis, est couronné roi de Francie ; son cadet, Sigebert III, roi d'Austrasie

 [Cloveis ou Lowis li XV roy franchois - Sygibers roy d’Austrie] Apres la mort le roy de Franche Dangobert fut coroneis à roy XVe son anneis fis, qui oit nom Cloveis ou Lowis, liqueis regnat XVI ans. Et ly altres fis, qui oit nom Sygibers, fut roy d'Austrie et regnat mult saintement, car ilh fut valhans hons et bons catholique, et fist mult de biens à sainte Engliese, sicom vos oreis chi apres.

[Clovis ou Louis, 15e roi de Francie - Sigebert, roi d'Austrasie] Après la mort du roi de Francie Dagobert, fut couronné XVe roi de Francie son fils aîné Clovis (II) ou Louis, qui régna durant seize ans. Son autre fils, nommé Sigebert (III), fut roi d'Austrasie et régna très saintement, car il était vaillant et bon catholique. Il fit beaucoup de bien à la Sainte-Église, comme vous l'entendrez ci-après (cfr II, p. 305, p. 310-311, p. 314-315, p. 318).

Boniface : décisions papales

[Status papales] Item, l'an VIc et XIX ordinat li pape Bonifache que nus hons ne fust par violenche trais fours de l'engliese, por queileconques cause gue che fust, s'ilh ne l'avoit dont perpetreit en l'engliese meisme où ilh seroit fuys. Et ordinat lidit pape que nus hons, qui fust ordineis acolites tant seulement, n'atouchast aux reliques des sains martyrs, jusques à tant qu'ilh seroit subdyaques.

[Décisions papales] En l'an 619 le pape Boniface (cfr II, p. 300) décréta que personne ne devait être traîné de force hors d'une église, pour n'importe quelle raison, s'il n'avait pas perpétré son méfait en l'église même où il se serait réfugié. Ledit pape décréta aussi qu'aucun homme, ordonné seulement comme acolyte, ne pouvait pas toucher les reliques des saints martyrs, avant d'être sous-diacre.

Saint Amand : derniers miracles et mort

[Amans, l’evesque de Tongre, fist veir I avoigles] En cel an meismes vient en la citeit de Beawaux l'evesque de Tongre sains Amans, si alat herbegier à la maison d'on femme qui ne veioit got, se li demandat la cause porquoy elle estoit avoigle, et celle li respondit qu'elle ne le savoit. Et sains Amans li dest : « Femme, tu as perdut la clarteit de tes yeux, portant que tu crois et adores les arbres et les dyables que ons soloit adoreir en chis paiis ; et, se tu creiois en Dieu, tu rarois la lumiere. » Quant celle l'entendit, se li dest que elle voloit croire en Dieu et prendre baptemme ; se le fist, et adont fist tous les arbres qu'elle adoroit coupeir, et tantost reluminat.

[Amand, l’évêque de Tongres, rendit la vue à une aveugle] Cette même année, dans la cité de Beauvais, l'évêque de Tongres, saint Amand, alla loger dans la maison d'une femme qui ne voyait goutte, et lui demanda pourquoi elle était aveugle ; elle lui répondit qu'elle l'ignorait. Et saint Amand lui dit : « Femme, tu as perdu la vue, parce que tu crois et adores les arbres et les diables, qu'on adorait d'habitude dans ce pays ; si tu croyais en Dieu, tu retrouverais la lumière. » Quand elle l'eut entendu, elle lui dit qu'elle voulait croire en Dieu et recevoir le baptême ; c'est ce qu'elle fit. Elle fit ensuite couper tous les arbres qu'elle adorait, et aussitôt elle retrouva la vue.

Apres s'en vient sains Amans droit à Elnone une engliese qu'ilh avoit devant fondeit, et soy mist awec les moynes, et dest que de laens ne soy voloit jamais departir, s'ilh ne voloit aleir en la vilhe meismes.

Après, saint Amand se rendit directement à Elnone [à Saint-Amand-les-Eaux], une église qu'il avait fondée précédemment. Il s'y joignit aux moines, disant qu'il ne voulait plus jamais quitter cet endroit, même pour aller dans la ville.

[Sains Amans demostrat myracle de vin] Et avoit en la vilhe unc preistre qui fut nommeis Enbrodus, qui vient une jour à sains Amans, et wot avoir absolution de mult de chouses. Et sains Amans li donnat absolution, et ly cargat en nom de penitanche que ilh vosist donneir de son vin, dont ilh avoit asseis, à l'abbie pour donneir à V moynes qui estoient malaides des freres de laens. Mains chis hons jurat grant seryment qu'en sa maison n'avoit pointe de vin. Si avient que ilh retournat apres en sa maison, si estoit son celier tous widiés de vin, et que XLIII grandes cowes de vin, qui estoient le matinée iIIuc, estoient envanuis ; et awec chu, de la grant coroche qu'ilh oit, li prist une grant maladie de [II, p. 304] paralisie.

[Saint Amand fit un miracle avec du vin] Il y avait dans la ville un prêtre, nommé Enbrodus, qui vint un jour trouver saint Amand. Il voulait avoir l'absolution pour un grand nombre de péchés. Saint Amand la lui donna et comme pénitence il lui ordonna d'accepter de donner de son vin, qu'il avait en abondance, à l'abbaye, à l'intention de cinq moines malades, frères de cet abbaye. L'homme fit un serment solennel, jurant qu'il n'y avait pas de vin dans sa maison. Quand il retourna chez lui, son cellier était vide et quarante-trois grandes cuves de vin, qui étaient là le matin, avaient disparu. Suite au grand courroux qu'il en éprouva, il contracta une grave maladie, la [II, p. 304] paralysie.

Adont veit-ilh bien que ilh avoit esteit inobediens, et demandat de son fourfait penanche. Adont le menat sains Amans dedens l'abbie, et ly monstrat tous ses vins que Dieu avoit là envoiet par divine oevre ; et puis fist trois soupes de pain en chi vin, si les donnat aldit homme, et ilh les prist de bon cuer, si fut tantoist garis de sa maladie.

Il vit bien qu'il avait désobéi et demanda à faire pénitence pour sa faute. Alors saint Amand le mena dans l'abbaye et lui montra tous ses vins que Dieu y avait fait parvenir par une opération divine. Il fit trois mélanges de pain et de ce vin et les donna à cet homme qui les prit volontiers et fut aussitôt guéri.

[Sains Amans mourut] Mult d'altres myracles demonstrat Dieu por l'amour de sains Amans, desqueis nos ne ferons nule mention, et ne viscat dedens ladit abbie que XIII mois, et trespassat de cel siecle le XXVI jour de mois d'octembre l'an VIc et XX. Quant sains Amans fut trespasseis, ilh fut ensevelis en l'abbie deseurdit, et puis, por les grans myracles que Dieu faisoit por ly, ly pape le canonizat noblement. Et nom-ons ladit abbie à jourd'huy, où sains Amans fut ensevelis, l'abbie Sains-Amans en Poevre.

[Mort de saint Amand] Dieu, pour l'amour de saint Amand, se manifesta par nombre d'autres miracles, dont nous ne ferons aucune mention. Saint Amand ne vécut que treize mois dans cette abbaye. Il quitta ce siècle le 26 octobre de l'an 620. Après son trépas il fut enseveli dans l'abbaye mentionnée ci-dessus ; ensuite, vu les grands miracles que Dieu faisait par lui, le pape le canonisa solennellement. Aujourd'hui l'abbaye où saint Amand fut enseveli, est appelée abbaye de Saint-Amand-en-Pévèle.


 C. Vers 620 = Myreur II, p. 304b-307

Saint Remacle

Successions diverses : à Louvain, en Hongrie, à Paris (mort de Franco, remplacé par Symbolus) - Personnalités importantes dans l'Europe de l'époque : Bède, Isidore, Éloi, Remacle, etc.

Les Pépins : présentation rapide - première mention des fils de Pépin II (Drogon et Grimoald, avec Plectrude) et Charles Martel (avec Alpaïde)

Saint Remacle, 27e évêque de Tongres : Origine - Formation - Carrière - saint Éloi - Évêque de Noyon - Conseiller du roi Clovis II de Paris - Évêque de Tongres-Maastricht

 [II, p. 304b] [Remacle li XXVIIe evesque de Tongre] Apres chu fut esluis evesque de Tongre XXVIIe uns sains hons qui fut nommeis Remacle, et c'este sains Remacle ; et portant que mult de gens ne sevent mie cuy ilh fut, se le dirons briefement.

 [II, p. 304b] [Remacle, 27e évêque de Tongres] Ensuite [vers 620], un saint homme qui se nommait Remacle fut élu vingt-septième évêque de Tongres. Il s'agit de saint Remacle. Et comme beaucoup de gens ne savent pas qui il fut, nous vous le dirons brièvement.

Promirs deveis savoir que sains Remacle fut neis à Besenchon, et fut le fis d'on valhant chevalier qui oit nom Albutiien, et sa mere fut nommée Matrine. Et sachiés que sains Remacle fut de sanc gentis et de sainte vie, car sa mere fut la filhe Remacle, le conte de Savoie, et estoit sains Remacle de tres-riches gens de rentes mondaines.

D'abord, vous devez savoir que saint Remacle naquit à Besançon ; il était le fils d'un vaillant chevalier nommé Albutien ; sa mère s'appelait Matrine. Sachez aussi que saint Remacle était païen à l'origine mais menait une vie sainte. Sa mère étant la fille du comte Remacle de Savoie, il était issu de gens très riches de rentes séculières.

[Remacle fut mis deleis sains Eloy] Chis sains Remacle fut mis mult jovenes deleis l'evesque de Besenchon, qui oit nom Suppliciiens qui promirs l'instruit en la clergerie ; et puis fut envoiés à sains Eloy, evesque de Noion, qui mult benignement le rechuit. Et là mynat sains Remacle sainte vie longtemps en faisant grandes abstinenches.

[Remacle fut placé près de saint Éloi] Saint Remacle fut placé très jeune auprès de l'évêque de Besançon, nommé Sulpice, qui fut le premier à l'instruire en clergie. Il fut ensuite envoyé à saint Éloi, évêque de Noyon, qui le reçut avec grande bienveillance. Là, il mena longtemps une sainte vie, pratiquant de longues abstinences.

[Remacle oit la cure del evesqueit de Noion] Et le mist sains Eloy en une abbie qu'ilh avoit edifiiet en sadit citeit, en laqueile sains Remacle menat sainte vie, en voilant toutes les nuit, en disant ses orisons et en faisant mult d'abstinenches, que sains Eloy, qui le veit si parfais, ly cargat tout la cure de son evesqueit, et commenchat à porsuir le palais royal le roy de Franche, de cuy conselhe ilh estoit.

[Remacle obtint la charge de l'évêché de Noyon] Saint Éloi le plaça dans une abbaye qu'il avait édifiée dans la dite cité, où saint Remacle mena une vie sainte, veillant toutes les nuits, disant ses prières et pratiquant beaucoup d'abstinences, [si bien] que saint Éloi, le voyant si parfait, lui confia toute la charge de son évêché, et lui, Éloi, se mit à fréquenter assidûment le palais du roi de Francie, faisant partie de son conseil.

Mains ly fayme soy espandit teilement de la grant sanctiteit sains Remacle, que ly roy de Franche Ludovis ou Cloveis en oiit parleir. Et li fut dit en son palais à Paris, que ly roy ne devroit por riens plus attendre que ilh n'awist unc teile homme tousjours en sa presenche que sains Remacle [II, p. 305] estoit, car sa royalme en seroit mult presiés, quant ilh seroit governeis par le conselhe d'on si sains hons.

La réputation de sainteté de saint Remacle se répandit tellement que le roi de Francie, Louis ou Clovis (II), en entendit parler. En son palais à Paris, on lui dit qu'il ne devrait absolument plus attendre pour disposer de la présence continue d'un homme de la valeur de [II, p. 305] saint Remacle : en effet, son royaume serait grandement valorisé quand il serait  gouverné selon les avis d'un si saint homme.

[Remacle fut fais maistre del roy de Paris] Adont fut mandeis et ameneis sains Remacle à Paris, et fut tous maistre del roy II ans. Puis avient que sains Amans morut, sicom dit est, porquen tout li peuple de Treit, et clers et lays, alerent al roy Sigibert d'Austrie et ly dessent que sains Amans estoit mors ; dont ly roy plorat, car ilh l'avoit baptisiet quant ilh respondit amen. Et dest ly peuple al roy qu'ilh leur welhe donneir uns altre pastre, et ly roy les demandat : « Lequeile de ma court vos plaist à avoir ? » Ilhs respondirent qu'ilh avoit en la court le roy Cloveis, son frere, uns mult proidhons de grant nom et de sainte vie qui estoit nommeis Remacle, si leur vosist donneir.

[Remacle fut nommé conseiller du roi de Paris] Saint Remacle fut alors convoqué et amené à Paris, où pendant deux ans il fut dans tous les domaines un conseiller du roi. Puis saint Amand mourut, comme on l'a dit (II, p. 304), ce qui poussa tous les gens de Maastricht, clercs et laïcs, à se rendre chez le roi Sigebert (III) d'Austrasie pour lui annoncer cette mort. Le roi pleura Amand, qui l'avait baptisé, lorsqu'il répondit amen (cfr II, p. 291-292). Le peuple demanda alors au roi de bien vouloir lui attribuer un autre pasteur. Le roi leur dit : « Qui de ma cour vous plairait-il d'avoir ? » Ils répondirent qu'ils aimeraient que le roi leur donne pour évêque un sage de grand renom et de sainte vie, nommé Remacle, qui était à la cour de son frère Clovis (II).

[Remacle fut fait evesque de Tongre] Adont les donnat et ottriat ly roy volentirs, et mandat à son frere le roy de Franche, que ilh envoiet Remacle à Treit, car ilh ly avoit donneit l'evesqueit de Tongre. Et li roy Cloveis li envoiat à grant gens. Enssi fut sains Remacle evesque de Tongre, et fut oisteis Landualdus li archepreistre, qui le siege avoit governeit IX ans desous sains Amans. Et sains Remacle tient le siege VII ans, puis s'enpartit, sicom vos oreis chi-apres.

[Remacle fut nommé évêque de Tongres] Sigebert accepta volontiers et demanda à son frère, le roi de Francie, d'envoyer à Maastricht Remacle, à qui il avait donné l'évêché de Tongres. Le roi Clovis (II) l'y envoya, accompagné de nombreuses personnes. Saint Remacle devint ainsi évêque de Tongres et Landoald, l'archiprêtre qui avait dirigé le siège durant onze ans sous saint Amand, fut déplacé (cfr II, p. 293). Saint Remacle occupa ce siège pendant sept ans, puis s'en alla, comme vous l'entendrez ci-après (cfr II, p. 317).

Successions diverses, dont la mort de Franco, prévôt de Francie, remplacé par Symbolus

[De conte de Lovay] En cel an en mois de novembre morut Ector, le conte de Lovay, qui estoit ly oncle le roy de Franche Cloveis et le roy Sigibert d'Austrie ; si regnat apres son fis Dangobert XIII ans. Nos ne parlerons mie des contes de Flandre ne de Lovay plainnement, car nos n'en avons mie la matere plainnement ; mains chu que nos en avons vos demonstrerons tout fois que nos y venrons.

[Le comte de Louvain] Cette année-là [vers 620], en novembre, mourut Hector, comte de Louvain ; c'était l'oncle du roi Clovis de Francie et du roi Sigebert d'Austrasie. Son fils Dagobert lui succéda pendant treize ans. Nous ne parlerons pas en détail des comtes de Flandre et de Louvain, car nous ne connaissons pas complètement le sujet ; mais chaque fois que nous l'aborderons, nous vous expliquerons ce que nous en savons.

[Du roy de Hongrie] En cel an morut ly roy Paris de Hongrie, si regnat apres luy son fis Julin XXXVIII ans.

[Le roi de Hongrie] En cette année, mourut Paris, le roi de Hongrie ; son fils Julien régna après lui trente-huit ans.

En cel an morut Franco ly prevoste de Franche, si fut esluys apres luy son fis Symbolus, liqueis regnat XV ans.

Cette année-là [630] mourut Franco, le prévôt de Francie ; son fils Symbolus fut élu après lui, et régna durant quinze ans.

Personnalités importantes dans l'Europe de l'époque

 [L’an VIc et XX regnoient mult de sains en Europ] A cel temps regnoient et estoient en grant auctoriteit pluseurs sains proidhons, assavoir : Beda, li venerable preistre, qui à cel temps faisoit ses croniques et ses nobles sermons ; sains Eloy, evesque de Noion ; sains Suppliciien, evesque de Besenchon ; sains Remacle, evesque de Tongre ; sains Audoniens ; sains Remars ; sains Ysidoirs, archevesque de Sibile ; sains Landelin, qui fondat Lobbes et Alne ; sains Guilheme et sains Halen, de [II, p. 306] Ceyle ; sains Maldegars et sainte Waltrud, sa femme, de Mons ; sainte Aldegunde, de Malboge, la sorour sainte Oude, d'Amain, femme à prince Boggis d'Acquitaine ; sains Tron en Hesbay qui encors estoit jovene ; sains Josse, de Bretangne ; sains Jeneus, evesque de Ruain ; sains Albers, evesque de Cambray ; sains Richier et sains Philibers, abbeis de Pontier ; sains Fursiens, qui de Hollande vint en Franche ; sainte Gertrud de Nyvelle et pluseurs altres glorieux sains qui moy sont ignorans, qui trop long seroient al racompteir.

[En l’an 620 beaucoup de saints vivaient en Europe] À cette époque, vivaient de nombreux personnages, sages et saints, jouissant d'une grande autorité, à savoir : Bède, le vénérable prêtre, qui  composa alors ses chroniques et ses célèbres sermons ; saint Éloi, évêque de Noyon ; saint Sulpice, évêque de Besançon ; saint Remacle, évêque de Tongres ; saint Ouen ; saint Remars (?) ; saint Isidore, archevêque de Séville ; saint Landelin, qui fonda Lobbes et Aulne ; saint Ghislain et saint Hadelin de [II, p. 306] Celles ; saint Madelgaire et sa femme sainte Waudru de Mons ; sainte Aldegonde de Maubeuge, la soeur de sainte Ode d'Amay, l'épouse du prince Boggis d'Aquitaine ; saint Trond, en Hesbaye, qui était encore jeune ; saint Josse de Bretagne ; saint Ouen, évêque de Rouen ; saint Albert, évêque de Cambrai ; saint Richir et saint Philibert, abbés de Pontier ; saint Fursy, qui vint de Hollande en Francie ; sainte Gertrude de Nivelles et beaucoup d'autres saints glorieux, qui ne me sont pas connus et qu'il serait trop long d'en parler.

Les Pépins : présentation rapide - première mention des fils de Pépin II (Drogon et Grimoald avec Plectrude) et Charles Martel (avec Alpaïde)

 [Des III Pipin, et porquoy ilh sont nommeis Pipin] A cel temps esoient de conselhe especial le roy Sigibers d'Austrie sains Remacle awec Pipin, le duc de Campangne. Et puisque nos avons parleit de nom de Pipin, si est raisons que nos disons dont chis nom vient.

[Les trois Pépins, et pourquoi ils sont appelés ainsi] À cette époque-là [vers 620] faisaient partie du conseil du roi Sigebert II d'Austrasie saint Remacle et Pépin Ier, duc de Champagne. Et puisque nous avons cité le nom de Pépin, c'est une bonne raison de vous dire d'où il vient.

Vos saveis que Cilperis, ly roy de Franche, oit I fis qui fut nommeis Clotaire, qui fut roy de Franche, qui oit de sa femme Bertrud une filhe qui oit à nom Blitilde, laqueile oit à marit Aubers de Poitiers, le senateur de Romme, desqueis ilh issit Herchenoldins, c'este à dire Arnus, et Boggis qui fut maris à sainte Oude ; et fut leur fis sains Arnus l'evesque de Mes : chis sains Arnus estoit enssi de conselhe le roy Sigibert, et fut peire à Ansegis, le marit sainte Bege d'Andenne. Si l'oit de sa femme Doda la filhe le roy Eswaldiens de la Petit Bretangne et soreur à sains Josse.

 Chilpéric (I), roi de Neustrie, eut un fils, nommé Clotaire (II), également roi de Neustrie. Celui-ci eut de sa femme Bertrude une fille appelée Blitilde, qui épousa Ansbert de Poitiers, sénateur de Rome (cfr II, p. 322 et II, p. 450). Ce couple donna naissance à Erchinoald, c'est-à-dire Arnould, et à Boggis, le mari de sainte Ode (cfr II, p. 322, p. 353-354, p. 432). Leur fils, saint Arnould, évêque de Metz, faisait aussi partie du conseil du roi Sigebert II. Il était le père d'Anségisel (mari de sainte Begge d'Andenne) qu'il eut de sa femme Doda, fille d'Eswaldien, roi de la Petite-Bretagne et soeur de saint Josse.

Anségisel : ce personnage (à la graphie variable : Ansegise, Ansegisel, Ansegisèle) apparaîtra à plusieurs reprises dans le Myreur : cfr II, p. 306 (ici) , p. 322, p. 324, p. 329, p. 340 et p. 451. Nous avons retenu la forme Anségisel. Comme Jean le précisera dans une des notices qui suivent, cet Anségisel était le père de Pépin II de Herstal (dit Pépin le Gros), et donc le grand-père de Charles Martel.

 Et sainte Beche fut filhe le duc Pipin de Campangne, dont ilh [est] fait deseur mention et qui fut oncle de Pipin de Mes, c'on dist maintenant maire, qui fut peire à sainte Gertrud qui fondat Nyvelle, et Grimoart son frere.

Sainte Begge, quant à elle, était la fille du duc Pépin de Champagne mentionné ci-dessus [Pépin Ier], l'oncle du Pépin de Metz, qu'on appelle maintenant le maire du palais [Pépin II]. Pépin Ier de Champagne fut aussi le père de sainte Gertrude, fondatrice de Nivelles et de Grimoald, son frère.

Voir, sur tout ce passage, les notes de Borgnet ad locum et ce que Jean raconte plus loin (II, p. 322) sur cette famille. On observera toutefois quelques différences dans les noms.

[Le gros Pipin] De cheli Ansegis et sainte Beche issit ly gros Pipin, [II, p. 307] peire à Karle Martel de sa concubine Alpays et peire à Drogh et Grimoart legittime de Plectris, sa femme, sicom vos oreis chi-apres.

[Pépin le Gros] Anségisel et sainte Begge donnèrent naissance à Pépin [II] le Gros (de Herstal), [II, p. 307] père de Charles Martel, que lui donna sa concubine Alpaïde (II, p. 350). Pépin II fut aussi le père de Drogon et Grimoald, les fils légitimes de son épouse Plectrude, comme vous l'entendrez ci-après (II, p. 347).

Chis promier Pipin, le pere sainte Beghe, fut nommeis enssi Pipin portant que sa mere Begada, femme al duc Gelfris de Campangne, lequeis ons nommat duc de Campangne, portant qu'ilh governoit la terre desous le roy, laisat ladit Begada, tant qu'elle estoit enchainte, chaioir à sa chair nue en son sain V grains d'on pomme de granaite, et aportat ly enfes, quant ilh nasquit, en son visaige V grains roiges et de teile fachon que les grains de la pomme estoient ; et portant ilh fut nommeis Pipin. Et oit chis Pipin unc frere qui fut nommeis Georc, qui oit I fis qui fut nommeis Pipin ; mains chu fut portant que Pipin le levat des fons, si portat son nom.

Le premier Pépin, le père de sainte Begge, fut ainsi nommé parce que sa mère Begada, épouse du duc Gelfris de Champagne ‒ il reçut ce titre parce qu'il gouvernait la terre de Champagne, dépendant du roi ‒, quand elle était enceinte, laissa tomber sur son sein, sur sa chair nue, cinq pépins d'une pomme de grenade. Quand l'enfant naquit, il portait sur son visage cinq grains rouges, semblables à ceux que portait la pomme ; c'est pourquoi il fut appelé Pépin. Ce Pépin eut un frère, nommé Georges, qui eut un fils appelé Pépin ; c'est parce que Pépin le tint sur les fonts baptismaux qu'il porta ce nom.

La trilogie des Pépins en très bref : Pépin Ier, le Vieux, ou l'Ancien, ou de Landen, duc de Champagne, noble austrasien à qui Clotaire II confie la charge d'éduquer et de conseiller l'éducation de son fils aîné, le futur roi Dagobert ; il sera pendant quelque temps maire du palais d'Austrasie (mort en 640 n.è.) - Pépin II, le Gros, ou de Metz, ou de Herstal, maire du palais d'Austrasie, puis de la Neustrie, princeps des Francs, père de Charles Martel (mort en 714 n.è.) - Pépin III, le Bref, fils de Charles Martel et père de Charlemagne, maire du palais de Neustrie-Bourgogne, roi des Francs (mort en 768 n.è.). 


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