Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 51b-70aN

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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CONSTANTIN LE GRAND - DOSSIERS de lecture - D05

Ans 308-338 de l'Incarnation

 

E. Quelques autres événements en rapport avec l’Église À l'époque de Constantin

 


 

 

Plan

 

1. Donner Rome en héritage - La Donation de Constantin (II, p. 57)

2. L’Invention de la Sainte-Croix (II, p. 53 et surtout p. 58-61)

3. Le pape Sylvestre et le dragon (II, p. 61-62)

4. Les ordonnances du pape Sylvestre (II, p. 62 et p. 67-68)

5. Miracles en matière de conversions : la chrétienne Faramonde et les nouveau-nés de Gapoda (II, p. 62-63)

6. La mort et la tombe du pape Sylvestre (II, p. 67-68)

7. Le pape Marc - ses ordonnances - son ensevelissement (II, p. 68-69)

8. Le pape Jules Ier (II, p. 69)

 


 

 

Les observations générales qui précèdent ont essayé de situer dans un contexte plus large l’ensemble des événements rapportés par Jean d’Outremeuse. On sait que les historiens modernes ne croient pas à l’histoire d’une guérison miraculeuse de Constantin qui aurait entraîné sa conversion immédiate au christianisme et son baptême au début de son règne. Pour eux, Constantin s’est fait baptiser à la fin de sa vie, sur son lit de mort, ce qui n’avait rien d’extraordinaire à cette époque, le baptême étant censé effacer tous les péchés commis pendant la vie. On a vu aussi qu’il était difficile de déterminer avec précision quel type exact de chrétien pouvait être celui qui, au départ, fut, comme sa mère, un adepte du dieu Soleil.

Examinons maintenant d'autres passages du Myreur, concernant les rapports entre Constantin et l'Église, pour analyser de plus près la vision de Jean d’Outremeuse et tenter de retrouver, dans la mesure du possible, les modèles qui ont pu le guider.

 

1. Donner Rome en héritage - La Donation de Constantin (II, p. 57)

On ne peut évidemment pas faire l’impasse sur la célèbre Donation de Constantin, que Jean présente en II, p. 57 :

[Constantin donne Rome en héritage à saint Sylvestre et aux autres papes] Quand l’empereur Constantin fut revenu dans son palais de Rome, il convoqua le pape Sylvestre et ses cardinaux. Et là, en leur présence, il donna la ville de Rome en héritage à Dieu, à l’Église, à saint Sylvestre et à tous ses successeurs. Il dit que sa volonté était que Rome leur appartienne pour toujours, sans révocation possible. C’est ainsi que la ville de Rome fut léguée à l’Église.

Il s’agit en fait – la chose est aujourd’hui indiscutable – d’un faux de l’époque carolingienne, dans lequel « Constantin concédait à l’Église une puissance souveraine supérieure à celle de l’Empire, accompagnée de tous les insignes de cette puissance. Lui étaient donnés le palais du Latran, la ville de Rome, les provinces d’Italie et de l’Occident. Le pape recevait aussi la primatie sur les patriarcats d’Orient » (A. Boureau, dans La légende dorée, p. 1087). Les papes s'en serviront à plusieurs reprises pour justifier leurs prétentions politiques et territoriales. Cfr dans Wikipédia l'article Donation de Constantin, chez Jean-Marie Hannick, l'article Lorenzo Valla, ou encore B. Lançon et T. Moreau, Constantin, un Auguste chrétien, Paris, 2012, p. 174-176.

 

2. L’Invention de la Sainte-Croix (II, p. 53 et surtout II, p. 58-61)

Le chroniqueur liégeois attache beaucoup d’importance à l’invention de la Sainte-Croix, dont Hélène, mère de Constantin, est la protagoniste. Il avait déjà évoqué la question des bois de la Croix dans le Tome I, à deux reprises (cfr Introduction à I, p. 401-415). Il va y revenir ici, d'abord sous la forme de deux mentions servant d'annonce en II, 53 ; puis dans un long récit (II, p. 58-61). La version de Jacques de Voragine (Légende dorée, ch. 64, L’invention de la sainte Croix, p. 363-372, éd. A. Boureau, avec les notes des p. 1227-1239) est beaucoup plus détaillée que celle de Jean. Elle est d’ailleurs un peu différente aussi.

Pour des informations complémentaires sur le sujet, on renverra à la synthèse de B. Lançon et T. Moreau, Constantin : un Auguste chrétien, Paris, 2012 [255 p.] p. 176-181 (Nouvelles biographies historiques) ainsi qu'à deux ouvrages récents : d'une part celui de St. Borgehammar, How the Holy Cross Was Found : From Event to Medieval Legend with an Appendix of Texts, Stockholm, 1991, 326 p. (Bibliotheca Theologiae Practicae, 47), dont c’est la thèse de doctorat présentée à l’Université d’Uppsala, et d'autre part celui de J.W. Drijvers, Helena Augusta. The Mother of Constantine the Great and the Legend of Her Finding of the True Cross, Leyde, Brill, 1992 [Réimpr. 1995], 217 p. (Brill Studies in Intellectual History, 27) : « La première partie du livre se propose de déterminer les grands événements de la vie d'Hélène sur base de sources historiques valables (notamment ses résidences à Trèves et à Rome ; sa conversion ; sa position à la cour de Constantin). La seconde partie traite des légendes concernant la découverte de la Vraie-Croix à Jérusalem par Hélène. Fait et fiction, qui sont si souvent confondus dans la littérature secondaire, sont ici soigneusement distingués. Sont examinés l'origine, le développement et la fonction des légendes de la découverte de la Vraie-Croix, qui se sont développées aux IVe et Ve siècles : la légende d'Hélène, la légende (syriaque) de Protonike, et la légende de Judas Cyriacus » (présentation d’éditeur).

 

3. Le pape Sylvestre et le dragon (II, p. 61-62)

Il a été question d'un dragon dans le Dossier 03, dans la présentation des anciens Actus Sylvestri, racontant l'altercatio en douze parties opposant douze rabbins au pape Sylvestre et démontrant la supériorité de la religion chrétienne sur la religion juive. La dernière confrontation faisait intervenir un taureau féroce et monstrueux que le rabbin Zambri tue en prononçant à son oreille le nom secret du dieu juif et que Sylvestre – réalisation plus prodigieuse encore – ressuscite au nom de Jésus. Quelques jours après la séance, Sylvestre intervient contre un autre monstre, un dragon cette fois qui semait la terreur dans la ville de Rome et que Sylvestre enferme sous terre.

L'altercatio n'apparaît pas dans Ly Myreur en tant que bloc constitué, mais on y retrouve certains éléments isolés, « déstructurés » en quelque sorte. C'est précisément le cas du motif de l'affrontement entre Sylvestre et le dragon. Ce dernier a eu beaucoup de succès dans la tradition. On le retrouve par exemple, avec des variations plus ou moins significatives, chez Vincent de Beauvais (XIV, 53), dans la Chronique de Martin (p. 415, l. 45-48, éd. Weiland) et Jacques de Voragine (Légende dorée, ch. 12, Saint Sylvestre, p. 96-97).

Le texte de Jean qui se présente comme suit :

[Myreur, II, p. 61-62] [Saint Sylvestre capture le dragon tueur des Romains, ce qui amène de nombreux baptêmes]. Cette année-là [322], saint Sylvestre, le pape de Rome captura un dragon qui venait tous les jours à Rome et y tuait bien six mille hommes de son venin. Cela amena la plus grande partie de la ville à se faire baptiser. Sylvestre maîtrisa le dragon par le signe de la croix et le fit descendre dans la terre à une profondeur de cent cinquante marches et l’enferma là, derrière des portes de bronze. Il ne pourra en sortir qu’au jour du jugement..

permet de penser que le chroniqueur liégeois ait pris comme modèle la Chronique de Martin qui disait :

Postquam vero beatus Silvester a drachonis pestilencia Romam liberavit, maxima pars Urbis baptizata fuit. Cotidie enim dracho 6 milia hominum flatu suo interficiebat. Ad quem sanctus Silvester per 150 gradus cum presbiteris descendens, facta oracione et signo crucis, ipsum ligatum ereis portis conclusit et usque ad diem iudicii seris obfirmavit.

Mais après que le bienheureux Sylvestre eut libéré Rome de la peste du dragon, la plus grande partie de la ville fut baptisée. Chaque jour le dragon tuait de son souffle six mille hommes. Saint Sylvestre, avec ses prêtres, descendit 150 marches pour le rencontrer, pria, fit un signe de croix, le lia et l'enferma jusqu'au jour du jugement derrière les verrous de portes d'airain.

Le récit de Jacques de Voragine est beaucoup plus détaillé, mais le nombre de victimes est ridiculement bas : « le dragon qui vit dans cette fosse a tué de son souffle plus  de 300 hommes en tout » (p. 97, éd. A. Boureau).

Faut-il préciser que ce dragon, qui apparaît souvent dans les vies de Saints, est le symbole du diable ?

Un dernier détail pour terminer. Une variante intéressante se rencontre dans le pseudo-Bède, Sermo de inventione Sanctae Crucis. Opera, Colonia, 1612, t. VII. col. 365. Dans cette version, ce n’est pas saint Sylvestre, mais Constantin lui-même qui tue le dragon, et c’est le venin de ce dragon qui a rendu Constantin malade de la lèpre. Mais nous n'avons pas réussi à retrouver ce texte, indiqué par A. Graf (Roma nella memoria e nelle immaginazioni del Medio Evo, Turin, 1882, p. 439, n. 76).

 

4. Les ordonnances du pape Sylvestre (II, p. 62 et II, p. 67-68)

Les ordonnances du pape Sylvestre signalées par Jean sont au nombre de cinq et sont présentées à deux endroits différents du Myreur : les trois premières en II, p. 62, dans le récit des événements de l'an 322 de l’Incarnation, année qui vit l’affrontement de Sylvestre avec le dragon ; les deux autres nettement plus loin, en II, p. 68, après la mention du décès du pape en l’an 334 de l’Incarnation. Ce faisant, Jean s'est nettement inspiré de Martin : même nombre d'ordonnances, même ordre, même description, et même division en deux blocs : les trois premières font partie des notices sur le pape Sylvestre (p. 415, éd. Weiland), les deux dernières, de celles concernant l'empereur Constantin, nettement plus loin dans l'oeuvre (p. 451, éd. Weiland).

Pour les trois premières, Jean suit simplement Martin, son modèle, avec quelques adaptations, comme l’omission de la raison de la mesure. Voici le texte du chroniqueur polonais (p. 415, éd. Weiland) :

 Hic Silvester constituit, ut nullus laicus crimen clerico audeat inferre, et constituit, ut diaconi dalmaticis uterentur. Item hic constituit, ut sacrificium altaris non in serico neque in panno tincto celebretur, nisi tantum in lineo ex terra procreato, sicut corpus Domini nostri Ihesu Christi in syndone linea sepultum est.

et celui du Myreur (II, p. 62) :

[Ordonnances papales] Cette année-là, le pape interdit à tout laïc d’accuser un clerc dans une affaire criminelle. Il ordonna aussi que les diacres revêtent des dalmatiques et qu’on ne célèbre pas le sacrement de l’eucharistie dans de la soie ou dans un tissu autre que du lin qui n’ait jamais été utilisé précédemment.

Les deux autres ordonnances (sur les deux chœurs et sur la matière des autels), mentionnées plus loin que les premières, se trouvent dans le Myreur (II, p. 68) :

[Ordonnances papales - Les psaumes chantés en chœur - Les autels en pierre] Sous ce pape, deux saints, des hommes sages, Flavien et Dioscore, décidèrent de réciter les psaumes à l’église, par deux chœurs, ce qu’ils firent confirmer par le pape Sylvestre.

Ce pape ordonna aussi de faire, dans toutes les églises qu’on construisait, les autels en pierre (on les faisait alors en bois) et de n’autoriser personne, sauf le pape, à célébrer sur des autels de bois. Il le faisait par respect, parce que l’apôtre saint Pierre et les papes ses successeurs avaient célébré sur des autels de bois.

On trouve par ailleurs chez Martin à la même p. 451 de l'éd. Weiland, mais à deux endroits différents :

Flavianus et Diodorus viri sancti instituerunt in ecclesia, ut chori in duas partes divisi psalmos alternatim cantarent [...] Et cum idem pontifex statuerit in ecclesiis ubique haberi altaria lapidea, in predicta ecclesia [la Basilique Saint-Pierre] non erexit altare lapideum, sed ligneum ante habitum stabilivit. Est etenim altare in quo beatus Petrus et alii sui successores usque ad tempora Silvestri celebrasse dicuntur, etc.

 En ce qui concerne l’ordonnance sur la matière des autels, le texte de Martin est plus détaillé et plus clair que celui de Jean. On a l’impression que Jean a suivi sur ce point une autre source que Martin.

 

5. Miracles en matière de conversions : la chrétienne Faramonde et les nouveau-nés de Gapoda (II, p. 62-63)

On vient de voir que pour le dragon et les ordonnances, Jean était assez proche de Martin. On pourrait supposer qu’il en est de même dans le récit des conversions miraculeuses qui, chez les deux auteurs, suivent ces motifs de près. Mais, comme va le montrer la comparaison attentive de Jean avec Martin, il n’en est rien.

Après avoir mentionné la légende de Sylvestre et du dragon, puis les trois ordonnances pontificales, Martin (Chronique, p. 416, sur le pape Sylvestre), signale : Hiis (sic) temporibus multe gentes in Christum crediderunt (« À cette époque, beaucoup de nations crurent dans le Christ »). Puis il donne deux exemples, qu’il vaut la peine de transcrire : Gens Yberorum per quandam mulierem christianam ab eis captam conversa est. Similiter in India per duos pueros christianos Christus annunciatur (« Les gens d’Hibérie se convertirent grâce à une chrétienne qu’ils avaient capturée. De même, en Inde, deux enfants chrétiens annoncent le Christ »). Avec ces quelques mots, Martin résume manifestement deux histoires.

Mais les récits plutôt détaillés qui apparaissent chez Jean ne correspondent guère au résumé de Martin. Les localisations ne sont pas les mêmes (l’Hibérie [= l’Espagne] et l’Inde chez Martin, l’Hébrie et la Judée chez Jean). En outre, dans le second cas, on est surpris de ne pas rencontrer dans le résumé de Martin l’élément important que constitue l’annonce du Christ faite par les deux enfants à la naissance (Des II enfans qui parlont quant ilh nasquirent).

Comment Jean a-t-il travaillé ? Raconte-t-il le même récit que celui que Martin avait sous les yeux et qu’il avait fortement résumé ? Est-il possible de retrouver la source de Martin ?

En ce qui concerne le premier pays converti, la tradition manuscrite de Martin hésite : l’éditeur a retenu Yberorum (« les Hibères »), mais un manuscrit donne Hebreorum et un autre Gedal Hebreorum civitas (« Les Hébreux »). Cela n’aide guère. Ce qui aide davantage, c’est que les deux récits figurent avec des détails dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais (XIV, 96 et 97), qui les a extraits du dixième livre de l’Histoire ecclésiastique de Rufin (ca 345 - ca 411). Il y est question d’une part de deux enfants chrétiens, prisonniers in India ulteriore, dont l’un, Frumentius, convertit les Indiens, et d’autre part d’une chrétienne captive qui convertit les Hiberi. Le chapitre 96 est intitulé : de Frumentio et Edesio pueris in India ulteriore captivatis (« De Frumentius et d’Édésius, des enfants captifs en Inde ultérieure »), et le chapitre 97 : de conversione Indorum per Frumentium et Hiberorum per quandam captivam (« De la conversion des Indiens par Frumentius et des Hibères par une captive »). Voici un résumé des deux chapitres de Vincent de Beauvais.

*

À l’époque de Constantin, deux jeunes gens accompagnent, en tant que disciples, un philosophe de Tyr, Métrapius, qui entreprend un voyage d’exploration en Inde. Leur bateau tombe sur un groupe de barbares qui tuent le philosophe et tous les occupants. Les jeunes gens, épargnés, sont conduits devant le roi du pays, qui les prend à son service. L’un, Édésius, devient son échanson ; l’autre, Frumentius, reçoit du roi la gestion des affaires royales. Ils sont ainsi honorés et aimés par le roi.

À sa mort, le roi confie le royaume à son fils encore enfant et à son épouse comme régente. Celle-ci demande à Frumentius de l’aider à gérer les affaires. Devenu très puissant et inspiré par Dieu, il part à la recherche de chrétiens parmi les négociants romains et leur suggère de construire un peu partout des petits bâtiments où ils pourraient se rassembler pour accomplir les rites de la religion romaine. Il les aide de diverses manières, espérant susciter la naissance de nouveaux chrétiens.

Lorsque le jeune roi est en état de régner, les deux étrangers repartent, Édésius à Tyr pour y retrouver ses proches, Frumentius à Alexandrie car il nourrit le projet de reprendre le travail d’apostolat commencé. Il va en parler à l’évêque de l’endroit, qui marque son accord, l’ordonne prêtre et le renvoie d’où il vient. Lorsque plus tard, l’évêque vient visiter l’Inde, il est impressionné par le travail d’évangélisation réalisé par Frumentius, aidé par Édésius, revenu lui aussi comme prêtre.

Voilà pour le premier cas d’évangélisation chez Vincent de Beauvais, l’Inde, qu’en est-il du second ?

À la même époque, les Hibères sont convertis par une chrétienne qui était captive chez eux. C’était l’habitude, chez ce peuple, quand un petit enfant tombe malade, que sa mère aille visiter les maisons voisines à la recherche d’un éventuel remède. Il arriva qu’une maman finisse par arriver chez la prisonnière, qui guérit l’enfant par une simple prière. Mieux encore. La captive guérit de la même manière la reine de l’endroit également malade. Alors le roi qui venait chaque jour errer tout seul dans des endroits très obscurs dit : « S’il est vraiment dieu ce Christ dont cette captive a parlé à mon épouse, qu’il me délivre de ces ténèbres et je le vénérerai, moi et tous mes sujets. » Et cela se passe ainsi. En fait, lorsqu’on construit une nouvelle église, il arrive qu’on ne parvienne pas à dresser une colonne. La captive y réussira par sa seule prière.

Si, pour l’histoire du dragon et les ordonnances pontificales, Jean a certainement consulté Martin, en ce qui concerne les deux récits de conversions, il l’a peut-être fait, mais il ne s’est pas contenté du chroniqueur d’Opava. Comme on sait que Vincent de Beauvais figure parmi ses sources, on peut toutefois supposer qu’il a eu connaissance des deux textes que nous avons résumés.

En tout cas, en ce qui concerne le pays concerné, il s’agit à l’origine (chez Rufin, correctement repris à la fois par Vincent de Beauvais et par Martin d’Opava) de l’Hibérie (c’est-à-dire de l’Espagne) et de l’Inde.

En ce qui concerne par contre le contenu, ce que Jean raconte des deux enfants est tout à fait particulier. Ni chez Vincent de Beauvais ni chez Martin d’ailleurs, il n’est question de deux enfants parlant à la naissance pour annoncer le Christ. Peut-être Jean a-t-il réécrit à sa manière le récit original, dont il s’est inspiré de très loin.

Curieuse précision aussi chez Jean à propos de la femme captive : elle se serait appelée Faramonde. Le nom est manifestement forgé sur celui de Pharamond ou Faramond, nom qui fut donné durant le Moyen Âge et l'Ancien Régime au premier roi des Francs et ancêtre des Mérovingiens. Ly Myreur en parle d’ailleurs à plusieurs reprises plus loin dans le tome II (p. 89, 100, 101, 104, 105, 143). Jean a l’habitude de nommer les personnages qu’il fait intervenir et de leur donner un nom, semblable à un nom existant, ou fabriqué sur lui.

C’est d’ailleurs le cas de la mère des deux jumeaux qui parlent à la naissance et qu’il appelle Gapoda. Il a aussi inventé (en I, p. 102) un duc de Bourgogne du nom de Gapola qu’il a fait mourir assez vite et qui avait une sœur appelée Drepola (I, p. 104). Il a également inventé un Gapoza, un officier de Néron qui assassine Granus et qui sera pendu presque immédiatement sur l’ordre de l’empereur (I, p. 458). Curieuses précisions aussi, chez le même Jean, concernant les deux enfants : ce sont des jumeaux  (« une même portée »). Ce sont des détails de ce genre qui sont censés « faire vrai » !

 

6. La mort et la tombe du pape Sylvestre (II, p. 67-68)

En II, p. 67-68, Jean d'Outremeuse note:

[Mort du pape saint Sylvestre] En l’an 334, le 13 décembre, le pape saint Sylvestre mourut à Rome : il fut enseveli près du palais de l’empereur Octavien, en un lieu-dit « à la Tête », puis il fut transféré en l’église appelée Conventicula, dans le diocèse de Modène en Lombardie.

On peut s’interroger sur la valeur des informations de Jean d’Outremeuse concernant le lieu d'ensevelissement de Sylvestre. En effet, selon le Liber Pontificalis (p. 72, éd. Mommsen), ce pape fut enseveli, comme beaucoup d’autres, in coemeterio Priscillae via Salaria. Dans la suite, deux églises romaines lui furent successivement consacrées : la première et la plus importante est San Silvestro in Capite sur la Piazza San Silvestro ; l’autre plus tardive, San Silvestro al Quirinale, s’élève sur le Quirinal. Elle doit sa dénomination in capite à « la tradition selon laquelle une partie de la tête de saint Jean-Baptiste, relique conservée à Constantinople, fut ramenée à Rome par des moines grecs à la fin du XIIe siècle et conservée dans une église à proximité avant d'être transférée dans la chapelle de la basilique où elle est aujourd'hui visible » dans une chapelle à gauche de l’entrée (Wikipédia).

La mystérieuse lumière aperçue, selon Jean (II, p. 69), sur sa tombe le 31 décembre 338 n’est signalée ni dans le Liber Pontificalis,  ni dans la Chronique de Martin, ni dans les Actus Sylvestri, qui rapportent sa mort ainsi : inter diuina colloquia spiritum caelo reddidit : aetheriasque lucidissimas mansiones angelicis deportatus officiis sine fine possessurus intrauit. Jacques de Voragine, à la fin de son chapitre sur Sylvestre, écrit simplement (dans la seconde édition de la Légende dorée d’ailleurs) qu’après avoir fait ses dernières recommandations à ses clercs, « il s’endormit heureusement dans le Seigneur, vers l’an du Seigneur 330 ». Aucune allusion à cette miraculeuse clarté nocturne et à la fête des anges.

 

7. Le pape Marc - ses ordonnances - son ensevelissement (II, p. 68-69)

Le pape Marc, qui succède à Sylvestre, ne régna que peu de temps. Il est simplement mentionné par Jean en II, p. 68-69, pour deux de ses ordonnances, l’une sur le pallium que devait porter le cardinal d’Ostie, l’autre sur l’obligation de chanter le credo à la messe. La première ordonnance est mentionnée dans le Liber Pontificalis (p. 73, éd. Mommsen) et dans la Chronique de Martin (p. 416, éd. Weiland), mais l’obligation de chanter le credo à la messe ne figure que chez le chroniqueur d’Opava.

Quant à l’endroit de son ensevelissement, Jean, en parlant de l’église Saint-Pierre de Rome, suit Martin. Selon le Liber pontificalis (p. 73, éd. Mommsen), Marc repose dans une basilique qu’il avait fait construire sur la via Ardiatina.

Jean le fait régner « pendant deux ans, neuf mois et vingt-quatre jours », une durée un peu différente de celle que lui attribue Martin (annis 2, mensibus 8, diebus 20), lequel suivait strictement le Liber Pontificalis. En fait, dans l'Histoire, Marc succède à Sylvestre le 18 janvier 336 pour un pontificat d'à peine huit mois puisqu'il meurt le 7 octobre de la même année 336.

 

8. Le pape Jules Ier (II, p. 69)

Première mention du pape Jules I, dont le règne dura dans l'Histoire du 6 février 337 au 12 avril 352 de notre ère et qui jouera un rôle important auprès des successeurs de Constantin dans le conflit entre l'arianisme et l'orthodoxie. On le retrouvera encore plus loin (II, p. 74), mais Jean d'Outremeuse ne met guère son rôle en évidence.

Les questions de chronologie semblent l'intéresser davantage, et particulièrement la durée exacte du règne de ce pape, quand on voit ici l'acharnement avec lequel il a noté et transmis les chiffres qui figuraient chez les autres auteurs : Jules « occupa le siège pendant treize ans, cinq mois et vingt jours selon Damase, onze ans, deux mois et huit jours selon Martin, seize ans et quatre mois selon Jérôme et Prosper, avec une vacance de siège de vingt-cinq jours ». Jean a pour la chronologie une véritable obsession.

Dans ce contexte, Il est assez piquant d'observer que le chroniqueur liégeois n'a pas retenu les données du Liber pontificalis (p. 75, éd. Mommsen), à savoir 15 ans, 2 mois, 6 jours, une durée qui correspond aux dates retenues par les Modernes pour le pontificat de Jules Ier. Une autre durée de règne circulait encore dans l'Antiquité : celle du Catalogue Libérien (15 ans, 1 mois, 11 jours).

 

9. Les papes 

Terminons par quelques informations sur les principaux papes auxquels eut affaire Constantin pendant son règne qui dura de 306 à 337 de notre ère. Le chroniqueur liégeois évoque ainsi (à contrôler) :

·         Marcel Ier (308-309), à plusieurs reprises mais toujours en rapport avec Maxence

·         Eusèbe  (épisodique, 309), mentionné II, 52 et 53

·         Miltiade (311-314), mentionné II, 53 et II, 54

·         Sylvestre (le principal, 314-335), mentionné II, 54, 55, 56, 57, 58, 61, 62, 63, 67, 68, 69, 76, 77, 78, 81, 85

·         Marc (épisodique, 336, ) mentionné II, p. 68

·         Jules Ier (337-352, mais Constantin l’a-t-il connu dans l’histoire ?), mentionné II, p. 69

Son successeur sera Libère.

 


[Texte II, p. 51-70] [Liste des dossiers] [[D01, D02, D03, D04, D06 et D07] [Texte II, p. 70-79]