Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 51b-70aN

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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CONSTANTIN LE GRAND - DOSSIERS de lecture (D01)

Ans 308-338 de l'Incarnation

 

A. La prise de pouvoir par Constantin (D01)

 


 

Plan

 

1. La version de Jean d'Outremeuse (années de l'Incarnation)

2. La réalité de l’Histoire (années de notre ère)


 

 

1. La version de Jean d'Outremeuse (années de l'Incarnation)

La dernière notice du fichier précédent (II, p. 51, in fine) faisait intervenir un certain Maxence, qui portait le titre d’empereur et qui avait fait décapiter le pape Marcel. C'est au début du présent fichier que Jean d’Outremeuse le présente. Cela l'amène à remonter jusqu’à la fin du règne commun de Dioclétien et de Maximien, plus précisément à l'époque (II, p. 49) du violent combat – fictif, rappelons-le – que les deux Augustes avaient livré contre les Tongrois, les Gaulois de Porus et leurs alliés. L'affaire s’était mal terminée pour les Romains. Dioclétien avait perdu une main dans la mêlée tandis que son co-empereur, Maximien, avait été blessé. Les Romains étaient alors rentrés à Rome (302 de l’Incarnation). Pour l’année suivante, Jean signalait des opérations militaires du seul Maximien contre les Alamans : les Romains, d’abord vaincus, l’avaient ensuite emporté et étaient rentrés victorieux à Rome (II, p. 51).

Dans le présent fichier (en II, p. 52), Jean livre ce qu’il pense être la suite des événements. On est en juillet 306 de l’Incarnation. Dioclétien qui ne peut plus combattre avec une main perdue est à Milan. Maximien est en opérations en Gaule, cette fois contre les Sicambres. L’affaire tourne mal : Maximien est tué au combat ; les Romains, battus, sont mis en fuite et rentrent à Rome, où ils ne trouvent aucun empereur.

À ce moment (307 de l’Incarnation), Dioclétien, resté à Milan comme on l'a dit, avait renoncé à l’empire et choisi comme successeur Constantin. Mais quand les Romains, battus en Gaule, rentrent à Rome sans leur chef, ils ne connaissent pas cet élément nouveau. « S’ils l’avaient su, écrit Jean, ils se seraient fort réjouis, car ils préféraient Constantin à n’importe qui d’autre. En effet, par le sang, le lignage et les prouesses, il était le plus puissant et d’ailleurs le principal de tous les sénateurs. En fait, ils élurent deux empereurs : Galère et Maxence, son frère, les enfants de l’empereur Maximien mort en Gaule. » (II, p. 52) Toujours selon Jean, la première mesure prise par ce Maxence fut « de transformer en étables certaines églises de Rome et d’installer des chrétiens pour les garder ». Le pape Marcel ayant protesté, il l’avait décapité (II, p. 52).

Constantin revint très vite à Rome pour régler les affaires et s’installer au pouvoir. Jean parle d’un combat entre lui et les deux autres empereurs, qui sont défaits. Maxence s’enfuit à Alexandrie où il sévit contre les chrétiens, faisant « martyriser sainte Catherine et beaucoup d’autres fils de la Sainte-Église ». De son côté, Galère, que Constantin a accepté, reçoit la charge de l’Asie et de l’Orient (II, p. 52). Il est explicitement dit que Constantin deviendra le seul empereur pendant trente ans. Le lecteur peut supposer – mais cela n’est pas exprimé explicitement – que puisque Galère reçoit l’Orient, c’est Constantin qui se chargera de l’Occident.

Telle est la version donnée par Jean d’Outremeuse de l’accession au pouvoir de Constantin. Elle est très loin de la réalité historique.

 

2. La réalité de l’Histoire (années de notre ère)

Voici en bref comment, dans l’Histoire cette fois, le système mis au point par Dioclétien et appelé Tétrarchie va évoluer grâce à Constantin pour donner naissance à un empire qui n’aura plus qu’un seul chef, Constantin.

Conformément à ce qui avait été prévu entre eux, Dioclétien et Maximien, les deux Augustes, abdiquent ensemble en mai 305 de notre ère, laissant le pouvoir à leurs deux Césars qui deviennent à ce moment-là Augustes, Galère en Orient et Constance Chlore en Occident. Ces derniers se choisissent à leur tour deux Césars, respectivement, Maximin Daïa et Sévère. On retrouve une forme de Tétrarchie.

Mais la mort naturelle, en 306 de notre ère, de Constance Chlore, le nouvel Auguste d’Occident, vient tout bouleverser. Elle amène l’armée de Bretagne à proclamer empereur le fils du défunt, Constantin précisément, un choix sur lequel, à Rome, les prétoriens marquent leur désaccord. Ils nomment empereur Maxence, fils de Maximien, tandis que Sévère, le nouveau César d’Occident, est assassiné. Pour compliquer les choses, l’année suivante, en 307 de notre ère, Maximien, en principe retraité puisqu’il avait abdiqué avec Dioclétien deux ans plus tôt, décide de reprendre du service.

En 308 de notre ère, Galère, l’Auguste légitime d’Orient, prend l’initiative d’organiser une rencontre à Carnuntum, une ville de la Pannonie, pour résoudre le problème de la succession et tenter de mettre au point ce qu’on a parfois appelé une « Deuxième Tétrarchie ». Que proposait-il ? Pour l’Orient, on pouvait, selon lui, appliquer les décisions primitives : lui-même, Galère, comme Auguste et Maximin Daïa comme César. Pour l’Occident, Galère optait pour une solution simple : Constantin, déjà désigné, et un nouveau venu comme César. Il porte le nom de Licinius.

Cette répartition ne plut ni à Maximien, l’ancien empereur qui avait repris du service, ni à son fils Maxence, celui que les prétoriens de Rome avaient proclamé empereur. Sans compter qu’un nouveau prétendant était apparu en Afrique, Domitius Alexander. Très haut fonctionnaire en poste à Carthage, il voulait lui aussi jouer sa carte dans la crise. Bref, avec Galère, Maximin Daïa, Maximien, Maxence, Constantin, Licinius, Domitius Afer, on était passé de quatre à sept empereurs.

Il fallut du temps pour que tous les « compétiteurs » aient quitté le terrain. Nous reprendrons ‒ avec quelques additions personnelles ‒ le résumé de M. Le Glay (Histoire romaine, p. 455) : « Des décès, le plus souvent provoqués, clarifièrent la situation : le premier, Maximien mourut en 310, suivi par Domitius Alexander, puis par Galère. En 312, la victoire dite du Pont Milvius dont Jean parlera, en II, p. 57, notons-le permit à Constantin d’éliminer Maxence, et celle d’Andrinople dont Jean ne parlera pas en 323 donna à Licinius le succès contre Maximin Daïa. Mais ce n’est qu’en 324 que Constantin put se débarrasser de Licinius que le Myreur ne mentionne pas rétablissant ainsi, et enfin, l’unité de l’empire à son profit ».

On conçoit que Jean d’Outremeuse n’ait pas compris ou n’ait pas tenté de présenter à son lecteur une situation aussi complexe. La version qu'il donne est plus simple, mais, comme c’est souvent le cas chez lui, bien peu conforme à la réalité historique.

*

Quoi qu'il en soit, une fois Constantin seul maître de l'Empire en 324, il se fera largement aider, mais par des membres de sa famille. Ses fils devinrent tour à tour des Césars et, envoyés dans les provinces, ils y faisaient leur expérience. En 335 de notre ère, trois de ses fils, ainsi que deux de ses demi-neveux, reçurent même des territoires à administrer. Oserait-on dire que la direction de l'Empire romain était presque devenue une affaire de famille et que l'empereur suivait une politique dynastique ?

 


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