Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 51b-70aN

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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CONSTANTIN LE GRAND - DOSSIERS de lecture - D02

Ans 308-338 de l'Incarnation

 

B. les querelles doctrinales du IVe siècle et la place de Constantin

 CHRISTIANISME - Arianisme - NICÉE - ORTHODOXIE (D02)

 


 

 

Note liminaire : L'arianisme est une énorme question qui, pour être traitée comme elle devrait l'être, nécessiterait des compétences que nous ne possédons pas.  Nous ne pouvons que recommander la synthèse qu'en donne P. Maraval, dans Le Christianisme de Constantin à la conquête arabe, 3e éd., Paris, 2006, dans les p. 313 à 348, intitulées Le débat sur les rapports du Père et du Fils : la crise arienneOn trouvera chez P. Petit (Empire romain, p. 576-581) un exposé nuancé et précis sur « La politique religieuse de Constantin », dont nous nous inspirons dans les pages suivantes. 

 

 

Plan

 

1. L'épisode du Pont Milvius en 312 et la « conversion » de Constantin

2. L'arianisme

3. Le christianisme de Constantin

4. Comment expliquer et interpréter l'investissement de Constantin dans le christianisme ?

5. L'intervention de Constantin - le Concile de Nicée (325 de notre ère ; 321 pour Jean)

6. La question arienne immédiatement après Nicée

 


 

 

Au départ, Constantin, fils d’une prêtresse de Sol Invictus, n’était pas chrétien ; pendant un certain temps il avait même persécuté le christianisme. Et pourtant, il ne deviendra pas seulement le premier empereur romain indiscutablement chrétien mais aussi pour certains un modèle d’orthodoxie. Sa place dans l’évolution du christianisme est telle qu’il nous a semblé utile de consacrer un bref exposé à cette question.

 

1. L'épisode du Pont Milvius en 312 et la « conversion » de Constantin

Comme l’écrit Claire Sotinel (Constantin, dans Dictionnaire de l'Antiquité, dir. J. Leclant, Paris, 2005, p. 558), « le dossier historiographique de la conversion de Constantin au christianisme tourne autour de l’épisode du pont Milvius, tel qu’il est rapporté par Lactance (De la mort des persécuteurs, XLIV, 11-12) et Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique, IX, 9, 9) : Constantin, la veille de la bataille [28 octobre 312 de notre ère], a vu, en songe ou dans les cieux, un signe qu’il fait inscrire le lendemain sur les armes des soldats, par lequel la victoire [sur les forces de Maxence] lui est promise ». C’est le motif célèbre du labarum (in hoc signo vinces).

« Constantin se met dès lors publiquement sous la protection du dieu des chrétiens » (ibidem). Mais conversion ne veut pas dire baptême. Contrairement à ce qu’affirmera plus tard l’hagiographie chrétienne (cfr D04), la conversion de 312 ne s’est pas concrétisée par un baptême. Dans l’Histoire, l’empereur ne fut baptisé que beaucoup plus tard, en 337, à la veille de sa mort. Un baptême tardif n’était pas rare dans le christianisme primitif ; comme il était censé effacer tous les péchés, mieux valait le différer le plus longtemps possible. En l’espèce, il posera pourtant un énorme problème parce qu’il fut administré à l’empereur par un évêque arien et que le Concile de Nicée, organisé et présidé en 325 par Constantin lui-même, avait formellement condamné l’arianisme. Arien, arianisme. Il est temps de préciser ces notions.

 

2. L'arianisme

L’arianisme est une doctrine qui fut proposée au début du IVe siècle par un prêtre d’Alexandrie du nom d’Arius (d’où son nom). C’était « une doctrine originale sur la Trinité » (P. Petit, Empire romain, Paris, 1974, p. 608). Elle sera finalement qualifiée de dissidente et considérée comme hérétique, mais il faut rappeler qu'à l'époque où elle fut avancée, l’orthodoxie n’était pas encore officiellement précisée :

« Pour lui [Arius], le Christ est subordonné à son Père, ne lui étant ni co-éternel ni consubstantiel. Contrairement à l’opinion générale sur la Trinité, qui comprend un seul Dieu en trois personnes, Arius défend une sorte de subordinationisme, l’Esprit-Saint étant créé par le Verbe (le Christ) et le Verbe étant engendré par le Père. De telles doctrines, s’opposant au sabellianisme déjà condamné (qui insistait exagérément sur l’unité divine), satisfaisaient la subtilité des dialecticiens de langue grecque et soulignaient la primauté du Père, selon une démarche monothéiste parfaitement adaptée aux tendances d’un clergé violemment hostile à tout relent polythéiste. » (P. Petit, Empire romain,  p. 608)

Pour dire les choses en très bref, Arius niait la divinité du Christ : le Christ n’était pas un Dieu comme son père.

« Arius, condamné plusieurs fois par Alexandre, évêque d'Alexandrie, et par des synodes égyptiens, n’abandonna pas. Il recruta de nouveaux partisans en Syrie et en Asie Mineure, Eusèbe de Césarée (qui le soutient non sans réserve) et surtout l’intrigant Eusèbe de Nicomédie. » (P. Petit, Empire romain, p. 608-609)

Ses thèses se répandirent rapidement, avec un succès certain, surtout en Orient, provoquant, au sein du christianisme primitif, une cassure profonde entre ses partisans et ses opposants, farouchement attachés, eux, à la divinité du Christ, présenté comme « consubstantiel au Père ». Il ne s'agissait pas là de discussions réservées à de petits cercles de théologiens ; en Orient essentiellement, ces problèmes touchaient également le peuple, qui prenait parti pour l'un ou l'autre camp ; il n'était pas rare d'ailleurs que les discussions dégénèrent en querelles violentes, voire en émeutes. Ce n'était pas seulement l'Église, mais la société qui était touchée.

La tension était telle que Constantin lui-même jugea bon d’intervenir. Il envoya d’abord des lettres à Arius et au plus farouche opposant de celui-ci, Athanase, patriarche  d’Alexandrie, puis, devant l’échec de sa tentative, il passa à la vitesse supérieure et convoqua à Nicée, en 325 de notre ère, un concile de plusieurs centaines d’évêques. On parle de 270, voire de 318. Peu importe le nombre exact, ce qu'il faut souligner, c'est qu'une pareille réunion n'avait jamais encore eu lieu. Il faut toutefois souligner que la quasi-totalité des participants venaient des églises orientales ; « comme Occidentaux, on comptait Ossius de Cordoue, un des conseillers de Constantin, Cécilien de Carthage, l’évêque de Die en Narbonnaise et deux représentants du pape Sylvestre » (P. Petit, Empire romain, p. 609). L’expression de concile « œcuménique » utilisée généralement pour le caractériser est donc à accueillir avec réserve.

Comme l’écrit A. Boureau (Légende dorée, ch. 12, Saint Sylvestre, p. 1097), « la vigueur de la réaction […] fut le fait de l’empereur plutôt que du pape qui ne jouera qu'un rôle secondaire. Ce fait aussi doit être souligné : c’est Constantin qui prit l’initiative de convoquer le concile et qui, on le verra, interviendra vigoureusement dans le débat. Essayons de comprendre ses motivations en n’oubliant pas qu’à cette époque et dans l’histoire authentique, l'empereur n’était pas encore baptisé.

 

3. Le christianisme de Constantin

En fait, depuis l’épisode du Pont Milvius, on l'a dit plus haut, Constantin était déjà chrétien : il éprouvait et témoignait une sympathie profonde pour le christianisme et ses représentants. Ses actes le prouvent à l’évidence. Sur cette question, la synthèse de Claire Sotinel (Constantin, dans Dictionnaire de l’Antiquité, 2005, p. 558-559) est éclairante.

Immédiatement après la victoire de Constantin sur Maxence, note-elle, « des évêques l’accompagnent dès son entrée à Rome, il s’abstient de monter au Capitole [pour remercier Jupiter] lors du triomphe célébré pour sa victoire, et l’inscription de l’arc de Constantin, érigé à l’initiative du Sénat et du peuple romain et célébrant une victoire remportée instinctu divinitatis, marque une rupture avec le vocabulaire religieux [précédent] ». « Tout au long de son règne, Constantin est intervenu dans les affaires des Églises et les mesures favorables aux chrétiens sont très précoces ».

Ainsi, dès 313 de notre ère, par ce qu’on a appelé l’Édit de Milan, Constantin et Licinius [son collègue à l'époque, cfr supra] établissent « la paix de l’Église » : la liberté de culte était assurée et les biens confisqués restitués. « Ces premières mesures sont complétées par ses nombreuses donations à l’Église de Rome puis, après 324, par les fondations dans les lieux saints. Sans bouleverser la législation impériale, Constantin encourage les dons et legs en faveur des Églises et confère aux clercs chrétiens les mêmes immunités que celles des prêtres des autres cultes publics. Constantin accorde aux évêques la capacité de valider des affranchissements d’esclaves devant l’Église, un privilège nouveau. La nouveauté la plus frappante est l’institution de l’audience épiscopale en 318, donnant aux évêques une autorité inédite, puisque le magistrat est obligé de renvoyer devant l’évêque tous les cas si un des plaignants l’exige ».

Non seulement Constantin est très favorable aux chrétiens et aux évêques, mais il joue même un rôle actif, proche de celui de chef de l’Église dans deux conflits religieux, l'arianisme, dont il sera beaucoup question ici, et aussi le donatisme que Jean d’Outremeuse n’évoque pas dans Ly Myreur. Pour le présenter en quelques mots, c’est un mouvement initié par Donat, un évêque de Numidie, qui refusait toute indulgence aux lapsi, c’est-à-dire aux chrétiens qui avaient renié leur foi lors de la persécution de Dioclétien et qui souhaitaient rentrer dans l’Église. La question de la sévérité ou du pardon divisait les chrétiens d’Afrique, et ces divisions provoquaient des désordres publics. Pour trancher entre les deux thèses, Constantin organise à Arles, le 1er août 314, le plus important concile jamais réuni jusqu'alors où le donatisme sera condamné officiellement. La condamnation de l'arianisme aura lieu onze ans plus tard, à Nicée, en 325, sous l'impulsion également de Constantin.

Le rôle de l'empereur apparaît donc particulièrement important dans la direction de l'Église. Dans un livre récent, Paul Veyne (Quand notre monde est devenu chrétien [312-394], Paris, 2007, p. 141-158), consacre près de vingt pages à développer le thème : Constantin « président » de l’Église. Bref, sans être baptisé, l’empereur apparaît comme un chrétien converti et convaincu. Il prend très au sérieux les choses de l’Église, on vient de le voir ; il se sent responsable, appelle les évêques ses « frères » et se considère lui-même comme l’« évêque de ceux du dehors ».

 

4. Comment expliquer et interpréter l'investissement de Constantin dans le christianisme ?

Pour schématiser, on peut dire que l’historiographie moderne propose plusieurs interprétations : l’influence d’un lobby chrétien, selon R. Turcan (Constantin en son temps. Le baptême ou la pourpre, Dijon, 2006, 320 p.), ou le résultat d’une décision toute personnelle, selon P. Veyne (Quand notre monde est devenu chrétien [312-394], Paris, 2007, 319 p.). Pour sa part, M.-Fr. Baslez (Comment notre monde est devenu chrétien, Tours, 2008, p. 179-200) tente une présentation plus nuancée, en trouvant à cet attachement profond de Constantin pour le christianisme des raisons à la fois personnelles et politiques. Le dieu des chrétiens, qui l’a aidé, est devenu son dieu à lui. Selon P. Veyne, note-t-elle, Constantin perçoit l’église comme une « religion d’avant-garde » et une force sur laquelle il peut s’appuyer ; mais on a peine à croire avec le savant français, continue-t-elle, que Constantin « veut christianiser le monde pour le sauver ». Pour M.-Fr. Baslez, si l'empereur s’investit à ce point dans les affaires de l’Église, c’est aussi pour des raisons politiques et ces dernières sont très importantes.

Il est impossible ici de traiter le sujet d’une manière autre que superficielle et il est d'ailleurs toujours difficile pour l’historien d'entrer dans les pensées intimes d’un personnage. Il semble toutefois que, dans l'opposition de l'empereur à l’arianisme et la convocation du Concile de Nicée,  le problème théologique en lui-même n'était  pas prioritaire. C'est en tout cas dans ce sens qu'oriente sa correspondance.

À supposer bien sûr qu’elles soient authentiques (comme on le croit généralement), les lettres que Constantin avait adressées aux deux adversaires, Arius et le patriarche d’Alexandrie, et qu’Eusèbe de Césarée a conservées (Eusèbe, Vie de Constantin, II, 64-67), montrent assez clairement que Constantin ne distinguait pas très bien l’importance des enjeux. « Quand j’ai considéré l’origine et le sujet de votre différend, leur écrivait-il, il m’a semblé fort léger et fort peu digne d’être agité avec tant de chaleur » (II, 68). Et un peu plus loin (II, 69), il considérait le point litigieux « comme un sujet de recherche inutile ». On comprend que F. Lenoir ait pu écrire qu’aux yeux de Constantin, l’arianisme ne représentait qu’un « point de détail insignifiant » (Comment Jésus est devenu Dieu, Paris, 2010, p. 218).

M. Le Glay de son côté notait : « Comme Dioclétien, [Constantin] était un militaire […] et un pragmatique. Il n’avait rien d’un théoricien, et ses facultés de conceptualisation paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances d’explications, les évêques qui le conseillaient ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l’orthodoxie de l’arianisme » (Histoire romaine, Paris, 1991, p. 455).

 

5. L'intervention de Constantin - le Concile de Nicée (325 de notre ère ; 321 pour Jean)

Peu compétent en matière théologique et peu intéressé par un sujet qu’il ne comprenait pas bien, pourquoi et comment Constantin intervint-il ?

Il était certes influencé par les conseillers religieux qui l’entouraient et qui étaient opposés à la nouvelle doctrine, mais ses préoccupations étaient moins doctrinales que politiques. Il estimait dangereuses les disputes et les querelles engendrées par ces discussions, parce qu'elles étaient susceptibles de menacer l’unité de l’Église et de l’Empire. Il voulait qu’elles cessent, il voulait ramener l’ordre et l’unité dans l’église et dans l’empire.

Lorsqu'il prit les choses en mains et organisa un concile, ce militaire souhaitait essentiellement obtenir de tous les évêques présents une réponse nette, décisive et, de préférence unanime, à la question : « Qui des partisans ou des adversaires d’Arius a raison ? ». Il n’agissait certainement pas en théologien averti, peut-être en chrétien, détestant voir l’Église se déchirer, mais sûrement aussi en homme d’État. Il ne supportait pas le désordre et les divisions dans l’Église, pas plus qu’il ne les supportait dans l’Empire.

Influencé au départ par les positions anti-ariennes de ses conseillers religieux et voyant lors des séances du concile que l’assemblée allait plutôt dans ce sens, Constantin jeta dans la balance tout le poids de son autorité impériale pour arracher aux évêques une condamnation des idées ariennes. Il réussit finalement à obtenir l’unanimité, en utilisant toutefois des procédés peu religieux, notamment en menaçant d’exil les opposants et en allant même jusqu’à exiler formellement les trois seuls participants qui osèrent résister jusqu’au bout. Le résultat fut net et d'une grande importance pour l'histoire du christianisme. Selon P. Petit (Empire romain, p. 609) :

« Le concile condamna nettement Arius et sa doctrine, en précisant pour la première fois la nature du dogme trinitaire : le Fils était inengendré, co-éternel au Père et de la même substance, en grec homoousios, d’où le nom d’homoousioens donné aux partisans des décisions du concile, appelés aussi les nicéens. Le Credo de Nicée modifié en 381 devint le symbole de la foi orthodoxe. »

Mais il ne faut pas oublier dans quelles conditions et de quelle manière l'empereur avait obtenu cette décision. Le savant français note que Constantin « mit la puissance de l’État au service de la nouvelle orthodoxie, envoyant en exil Arius et ses principaux partisans » et que « beaucoup d’Orientaux […] avaient souscrit au Credo nicéen par crainte de sanctions et non sans arrière-pensées ».

La condamnation des positions d’Arius avait été obtenue sur vote et sous la pression de l’autorité impériale. Mais avec quels résultats concrets ?

 

6. La question arienne immédiatement après Nicée

Si le Concile de Nicée condamna officiellement l’arianisme, il ne régla en rien la question arienne, même pas pendant les douze ans qui séparèrent Nicée (325) de la mort de Constantin (337). L’arianisme continua à se répandre, divisant les églises et leurs dirigeants, réussissant même à s’introduire au sein du palais impérial, dans le proche entourage familial de Constantin, on la le voir immédiatement.

Mais il faut dire aussi que l’attitude même de Constantin après Nicée ne fut pas toujours très claire. Certaines de ses décisions, postérieures au concile, donnèrent l’impression qu’il favorisait l’arianisme, tout cela au grand dam des partisans farouches de l’ « orthodoxie nicéenne ». Ces décisions pouvaient laisser croire qu’il hésitait entre les deux partis. P. Petit résume comme suit ce qu’il appelle les « tâtonnements » et les « repentirs » de l’empereur, lesquels, ajoute à juste titre le savant français, « avaient gravement relancé la querelle arienne » :

« Les suites du concile de Nicée furent inattendues : l’empereur tomba, peut-être grâce à l’intervention de dames de sa cour (sa sœur Constantia et sa belle-sœur Basilina), sous l’influence de prêtres et d’évêques favorables à Arius. Un second concile de Nicée, dont l’existence est discutée, réintégra dans l’Église en 327 le prêtre hérétique [i.e. Arius] et son principal représentant à la cour, Eusèbe de Nicomédie, et pour comble on destitua plusieurs évêques anti-ariens. En 328, monta sur le siège d’Alexandrie saint Athanase, vaillant combattant et défenseur intransigeant de l’orthodoxie nicéenne. [Il refusa toutes les compromissions que lui suggérait l’empereur, de plus en plus désireux de ‘dédouaner’ la doctrine d’Arius, et fut finalement exilé à Trèves en 335, après avoir été entendu et déposé par le concile de Tyr]. Finalement, [Constantin] fut baptisé en mai 337 par Eusèbe de Nicomédie. Ses tâtonnements et ses repentirs avaient gravement relancé la querelle arienne. » (P. Petit, Histoire générale de l’empire romain,  p. 580 [et p. 610 pour les parties entre crochets droits]).

Les contemporains de Constantin pouvaient donc légitimement se poser des questions sur l’évolution religieuse de leur empereur après Nicée. Elle apparaissait en tout cas inquiétante dans le chef de quelqu’un qui avait joué à Nicée le rôle d’instaurateur et de défenseur de ce qu'il faut maintenant appeler l’orthodoxie nicéenne.

*

Ni la mort d’Arius en 336, ni celle de Constantin en 337 ne calmèrent la querelle ouverte par l’arianisme. Elle continuera à diviser profondément la chrétienté. On verra que pendant quelque cinquante années, les empereurs qui succédèrent à Constantin au IVe siècle favorisèrent tantôt les nicéens tantôt les tenants de la tendance arienne, les deux groupes s’excommuniant mutuellement à coup de synodes et de conciles.

Mais revenons à Constantin, à sa mort précisément, et replaçons-nous dans l'optique des tensions doctrinales de l'époque, pour tenter de réaliser l’effet qu’a pu produire le baptême de Nicomédie administré en 337 à Constantin par l’évêque Eusèbe, dont les liens avec l’arianisme étaient bien connus. Ainsi, douze ans après Nicée, l’empereur qui avait convoqué lui-même le Concile et obtenu la condamnation de l’arianisme, se faisait baptiser par un évêque arien !

On comprend dans ces conditions le jugement que saint Jérôme, de tendance nicéenne, orthodoxe donc, a pu porter sur le baptême de Nicomédie :

Constantinus extremo vitae suae tempore ab Eusebio Nicomedensi episcopo baptizatus in Arianum dogma declinat, a quo usque in praesens tempus ecclesiarum rapinae et totius orbis est secuta discordia

Constantin, baptisé tout à la fin de sa vie par l’évêque Eusèbe de Nicomédie, sombre dans la doctrine des ariens. C’est là l’origine de l’occupation des églises et de la discorde universelle que l’on constate encore aujourd’hui (Jérôme, Chronique, a. 337, éd. et trad. B. Jeanjean et B. Lançon, 2004)

Jérôme écrivait en 380, à une époque où, on vient de le dire, l’Église, malgré la décision de Nicée, était encore profondément déchirée entre les deux courants doctrinaux.

 

Pour la suite, on verra plus loin, dans les notes de lecture des p. II, 95-104, le rôle extrêmement important joué par Théodose Ier dans la question de l'arianisme. C'est lui qui imposera par la force l'orthodoxie nicéenne, du moins dans les limites de l'empire romain de son temps.

 


[Texte II, p. 51-70] [Liste des dossiers] [D01, D03, D04, D05, D06 et D07] [Texte II, p. 70-79]