Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 51b-70aN

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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CONSTANTIN LE GRAND - DOSSIERS de lecture - D04

Ans 308-338 de l'Incarnation

 

D. La mort de Constantin et le baptême de Nicomédie

 


 

 

Plan

 

1. Résumé de la position de Jean d’Outremeuse (II, p. 69-70)

2. L’empoisonnement de Constantin et sa statue (II, p. 70)

3. Observations sur le sens et la portée de ce baptême - Arianisme et orthodoxie

4. Le baptême de Nicomédie, très gênant, devait être éliminé de la tradition

5. Le poids très lourd du motif d’un baptême de Nicomédie

6. Envisager deux baptêmes de Constantin ?

7. La rupture du lien avec Constantin le Grand : Constance ou Constantin II

8. L’utilisation discutable des garants invoqués (II, 70)

9. Trois remarques textuelles sur les notices concernant ces garants

 


 

1. Résumé de la position de Jean d’Outremeuse (Myreur, II, p. 69-70)

Le texte du chroniqueur liégeois est très clair. Selon lui, Constantin, très bel homme, excellent chevalier, vrai chrétien et attaché à la Sainte Église, mourut en Grèce, près de Nicomédie, le 16 juin de l’an 338 de l’Incarnation. Certains auteurs anciens évoquent un empoisonnement de l’empereur. On réalisa en son honneur une statue de marbre à sa taille, qui fut ramenée de Constantinople à Rome et érigée sur la place du marché, au palais du Latran. On l’y voit encore.

Vient alors l’élément le plus important pour nous, en rapport avec son baptême. Jean est formel : ceux qui attribuent à Constantin le Grand un baptême à Nicomédie sont dans le mensonge. Cette cérémonie, dont il ne conteste pas l’existence, ne concerne pas l’empereur, mais son fils qui s’appelle aussi Constantin.

Jean termine par une série de notices, dans lesquelles il évoque des témoignages anciens pour appuyer le jugement global très positif qu’il vient de porter sur le christianisme de l’empereur.

 

2. L’empoisonnement de Constantin et sa statue (Myreur, II, p. 70)

Les historiens actuels rejettent le motif de l'empoisonnement. Ils suivent la majorité des sources antiques qui attribuent la mort de l'empereur à une maladie. Selon elles, l’empereur est mort brusquement à Ancyre, près de Nicomédie effectivement (mais le 22 mai 337 et non le 16 juin 338 !), à l’époque où il préparait une campagne militaire contre les Perses. Jean fait probablement allusion à Philostorge, un historien ecclésiastique du Ve siècle de tendance arienne, qui signale effectivement (Histoire ecclésiastique, II, 4 et II, 16) que Constantin aurait été empoisonné par ses frères. Sa version sera recopiée par deux auteurs byzantins tardifs, Georges Cédrénos (Patrologia Graeca, t. 131, col. 565), à la fin du XIe siècle, et Zonaras (XIII, 4), au XIIe siècle. De toute façon, c’est une question secondaire pour nous.

Secondaire aussi pour nous est celle de la statue de marbre de Constantin. On ne sait pas avec certitude ce que le chroniqueur avait à l’esprit. La précision (une ymaige d'homme de la grandeche de Iuy) semble exclure la statue colossale de Constantin qui décorait la basilique de Maxence sur la Vélia et dont les fragments – visibles encore au Moyen Âge sur la place du Latran – sont conservés aujourd’hui dans les Musées du Capitole. Il ne peut pas s’agir non plus de la statue équestre dite de Constantin (en réalité de Marc Aurèle) qui s’élevait sur la place du Latran au Moyen Âge et qui fut transportée plus tard sur la place du Capitole : elle était en bronze. Un article entier des FEC (FEC 31-2016) lui a été consacré.

Ce qui nous intéresse davantage est la question du baptême administré à Constantin en 337.

 

3. Observations sur le sens et la portée de ce baptême - Arianisme et orthodoxie

Le motif du baptême reçu par Constantin à Nicomédie, à la fin de sa vie, des mains de l’évêque Eusèbe, est attestée par Eusèbe de Césarée (Vie de Constantin, IV, 61-66), mais aussi par Jérôme (Chronique, an 337), Sozomène (II, 34, 2), Socrate (II, 39, 4), Théodoret (I, 32, 2), Cassiodore (Histoire Tripartite, III, 12), et d’autres auteurs encore. Sa réalité historique n’est pas contestée par les historiens modernes, pas plus que ne sont contestées les positions ariennes d’Eusèbe de Nicomédie.

Ce qui peut être contesté par contre, c’est de considérer ce baptême comme une preuve indiscutable que Constantin, le grand défenseur de l’orthodoxie au concile de Nicée de 325, était « passé à l’arianisme ». Après tout, comme l’écrit Luce Pietri, dans son édition de la Vie de Constantin d'Eusèbe de Césarée (IV, 61-66), « l'intervention normale de l'évêque de la cité n'implique pas que Constantin soit devenu arien » (note 3 de la p. 531 de l’éd. des Sources Chrétiennes). C’est vrai.

Mais il faut rappeler ici que l’attitude de Constantin après Nicée n’a pas toujours été très claire. Certaines de ses décisions, postérieures au concile, traduisent de l’incohérence et pouvaient laisser croire qu’il hésitait entre les deux partis. On en a parlé longuement ailleurs (cfr Dossier D02). Les contemporains étaient dès lors en droit de se poser des questions sur l’évolution religieuse de leur empereur après Nicée. Elle pouvait en tout cas apparaître surprenante, voire inquiétante, dans le chef de quelqu’un qui avait joué à Nicée le rôle d’instaurateur et de défenseur de l’orthodoxie.

Mais le problème le plus délicat à nos yeux reste de savoir ce que pensait exactement l’empereur, en 337 à Nicomédie, de ces questions dogmatiques ? Se serait-il défini comme arien ? Ou comme nicéen ? Ou peut-être n’attachait-il guère d’importance au caractère arien ou nicéen du sacrement que le chrétien qu’il était recevait. Sa correspondance avant Nicée, évoquée dans le Dossier 02, donnait déjà l’impression qu’il considérait ces discussions théologiques comme des problèmes secondaires. Pour dire les choses clairement, personne ne saura jamais quelles étaient à cette époque-là ses croyances profondes. Elles avaient vraisemblablement beaucoup évolué entre 325 et 337.

Mais au regard de l’historiographie religieuse officielle, que reflète le jugement de Jérôme cité lui aussi dans le Dossier 02, il est fort possible que l’essentiel était ailleurs. Eusèbe de Nicomédie avait été et était toujours perçu comme un défenseur de l’arianisme. Les nicéens intransigeants devaient se sentir concernés moins par les convictions intimes de l’empereur que par l’image que donnait la simple présence à ses côtés d’Eusèbe de Nicomédie, un personnage « continuellement présenté et injurié par eux comme un vil hérétique, non seulement après sa mort en 342, mais aussi de son vivant et du vivant de Constantin » (T.D. Barnes, dans son compte rendu de M. Amerise, pour The Catholic Historical Review, 2006, p. 295).

C’est cela au fond qui leur permettait d’affirmer que le baptême administré par Eusèbe était indiscutablement arien, et que, Constantin, à Nicomédie, « était passé à l’arianisme » (in Arianum dogma declinat). À leurs yeux, ce « second » baptême passait comme le signe – et la preuve – d’une conversion à l’arianisme in articulo mortis.

 

4. Le baptême de Nicomédie, très gênant, devait être éliminé de la tradition

Bref, pareil baptême était extrêmement dangereux au regard de l’historiographie religieuse officielle. Celle-ci voulait, depuis Nicée, donner du premier empereur chrétien l’image d’un Constantinus orthodoxus. Cette image aurait été sérieusement mise à mal si s’imposait le motif d’un baptême reçu par l’empereur sur son lit de mort des mains d’un évêque arien ou en tout cas perçu comme tel, et cela quelles qu’aient été les croyances profondes de l’intéressé. Pour reprendre l’expression de M. Amerise, le baptême de Constantin à Nicomédie était un « héritage bien encombrant » (scomoda eredità), dont il fallait se débarrasser.

La question a été abordée longuement dans un article intitulé Les deux baptêmes de Constantin chez Jean d'Outremeuse et publié dans les Folia Electronica Classica (t. 35, 2018). Nous y avons expliqué comment, pour rejeter dans l’obscurité le baptême historique de Nicomédie, teinté d’arianisme, les partisans de la doctrine nicéenne imaginèrent pour Constantin, au début de son règne, un baptême, lié à une grave maladie, associé à l’apparition des saints apôtres Pierre et Paul, administré par le pape Sylvestre lui-même, conduisant à une guérison miraculeuse et impliquant une profession de foi trinitaire, bref un baptême d’une orthodoxie à toute épreuve. Ce baptême fictif, habilement construit et solidement intégré à des Actes de Sylvestre légendaires, fut  officiellement introduit, dès le VIIIe siècle, dans des documents « pontificaux » (Le Liber pontificalis et surtout des lettres officielles du pape de Rome à l’empereur byzantin). Le faux récit devenait vrai. On se trouvait désormais devant un « vrai faux ».

 

5. Le poids très lourd du motif d’un baptême de Nicomédie

Mais l’existence même d’une cérémonie de baptême à Nicomédie était trop présente dans les sources, même ecclésiastiques, pour disparaître facilement, et cela bien que les biographes anciens de Constantin aient déjà fait de nets efforts pour en estomper les aspects ariens.

Eusèbe de Césarée par exemple, qui décrivait la cérémonie en détail dans sa Vie de Constantin (IV, 61-66), n’avait pas donné en toutes lettres le nom de l’officiant, mais une sorte d’« atmosphère arienne implicite » subsistait dans le récit, atmosphère que n’avaient pas totalement dissimulée les trois auteurs grecs d’Histoires ecclésiastiques qui suivent d’assez près la Vie de Constantin, et que nous avons déjà cités plus haut, à savoir Sozomène (II, 34, 2), Socrate (II, 39, 4) et Théodoret (I, 32, 2).

Cassiodore (VIe siècle), dans son Histoire Tripartite (III, 12) qui constitue un résumé latin de ces trois Histoires ecclésiastiques, écrivait que « Constantin, tombé malade à Nicomédie à la fin de sa vie et réalisant bien le caractère incertain de son existence, avait obtenu la grâce du baptême ». Il précisait même que « l’empereur avait différé cette cérémonie jusqu’à ce moment-là, souhaitant être baptisé, comme le Christ, dans le Jourdain. » Le récit ne contenait aucune référence, implicite ou explicite, à l’arianisme, subtilement présent pourtant chez ses modèles. Bref, le motif d’un baptême administré à Constantin à Nicomédie en 337 pesait très lourd dans la tradition.

 

6. Envisager deux baptêmes de Constantin ?

Constantin aurait-il pu recevoir deux fois le baptême, une fois à Rome par le pape Sylvestre, une seconde fois, à Nicomédie par l’évêque Eusèbe ? L’idée d’un « rebaptême » a ainsi été avancée.

Le terme rebaptizatus se rencontre ainsi sous la plume d’Ekkehard d’Aura (Uragensis), à la fin de la notice sur Constantin qu’il a rédigée dans sa chronique universelle (Chronicon universale), écrite en latin vers 1100 :

Scribunt autem quidam, Constantinum imperatorem in Arrianam heresim incidisse et ab Eusebio Nicomedeiensi episcopo rebaptizatum fuit, quod aecclesiastica [sic] historia non docet, quae sub magna religione illum decessisse perhibet (Chronicon universale, p. 112, éd. G. Waitz, 1844, M.G.H., Scriptores, t. VI)

Il y en a qui écrivent que l’empereur Constantin est tombé dans l’hérésie arienne et fut rebaptisé par Eusèbe évêque de Nicomédie. Mais ce n’est pas ce qu’enseigne l’histoire eccésiastique, laquelle rapporte qu’il est mort en accord avec la « Grande Église ».

L’auteur a toutefois soin de rejeter cette thèse. Il ne croit pas en l’existence de deux baptêmes, pas plus d’ailleurs que Martin d’Opava, dans la très longue notice de sa Chronique consacrée à Constantin (p. 450, l. 38, rebaptizatum, et p. 451, l. 16, rebaptizatur).

Godefroi de Viterbe par contre, dans son Pantheon (p. 177, éd. G. Waitz, 1872), écrit entre 1187 et 1191, semble accepter sans problème l’idée d’un double baptême. Après avoir été baptisé par le pape Sylvestre (Babtizavit eum Silvester), Constantin s’est laissé « corrompre » (corrupit) et « souiller » (conmaculavit) par le « schisme » (Scismate) d’Arius, lorsqu’il a été « rebaptisé » (rebabtizans) des mains d’Eusèbe de Nicomédie. Dans l’esprit de Godefroi, Constantin a donc reçu deux fois le baptême. Ce sera également le cas, nettement plus tard, de Fazio degli Uberti. Dans son Dittamondo, écrit entre 1346 et ± 1367, ce quasi-contemporain de Jean d’Outremeuse note que Constantin Nell’acqua de la fe bis fu costui / Lavato : « fut lavé deux fois dans les eaux de la foi » (Dittamondo, l. II, c. 13, éd. R. Valentini et G. Zucchetti, 1953). Deux baptêmes ici encore. Mais pareille thèse, qui ne figure d’ailleurs que chez des auteurs tardifs, était difficile à défendre.

 

7. La rupture du lien avec Constantin le Grand : Constance ou Constantin II

Cette formule de deux baptêmes ne pouvait d’ailleurs en rien évacuer le problème que posait le baptême de Nicomédie, au regard de l’historiographie ecclésiastique officielle. On a vu qu’il était possible d’atténuer les éléments ariens de ce baptême, voire de le passer complètement sous silence. Mais il existait aussi une autre manière, simple et définitive, de réagir : conserver l’événement mais en brisant ses rapports avec Constantin, c’est-à-dire en en modifiant le bénéficiaire.

S’il faut en croire les Gesta Liberii (Patrologia Latina, t. 8, 1844, col. 1388-1393), l'opération avait commencé très tôt. Cette oeuvre, écrite en 501, contenait la mention, explicite, de la guérison de Constantin par le pape Sylvestre et donc celle, implicite, de son baptême. Mais son intérêt était aussi qu'elle envisageait le baptême de Nicomédie et qu’elle précisait que cette cérémonie ne concernait pas l’empereur Constantin, mais Constance, présenté comme petit-fils de Constantin (ce qu’il n’était pas) et comme « chrétien incomplet » (non integre christianus), arien donc (ce qu’il était). En d’autres termes, selon l’auteur des Gesta Liberii, le baptême de Nicomédie n’avait rien à voir avec Constantin. La manœuvre était claire : la cérémonie n’est pas supprimée, mais elle concerne un autre personnage que Constantin. Rappelons que le texte est daté de 501.

Beaucoup plus tard, dans sa Chronique, Martin d’Opava (p. 451, s.v° Constantinus I, éd. L. Weiland) fait état, lui aussi, des deux baptêmes. Il présente d’abord le baptême romain, mais ne fait pas l’impasse, au contraire, sur celui de Nicomédie, puisqu’il rappelle explicitement la notice de saint Jérôme, condamnant l’arianisme de Constantin. Mais c’est pour dédouaner l’empereur. Selon lui en effet, la cérémonie de Nicomédie ne concerne pas Constantin, mais son fils : Ea que mendose de premisso Constantino dicta sunt, de Constancio filio eius omnia esse vera inveniuntur (« Ce qui a été dit d’une manière mensongère du Constantin dont on vient de parler, se révèle exact, en tout, à propos de son fils, Constance »).

[En ce qui concerne le bénéficiaire du baptême, peut-être est-il utile de relever que la tradition manuscrite hésite entre Constancio et Constantino, Constance II et Constantin II étant tous les deux des fils de Constantin I] 

Quoi qu’il en soit, Jean, dans la foulée de Martin, adopte lui aussi la solution du transfert : le baptisé serait selon lui Constantin II :

[Myreur, II, p. 69] On prétend qu’à la fin de sa vie, il se fit baptiser une seconde fois. Mais il ne faut pas croire cela, car c’est absolument faux. En fait, il fit baptiser son fils Constantin qui lui succéda.

[Ici encore, vu les hésitations de la tradition manuscrite de Martin, on pourrait discuter. Dans le manuscrit de la Chronique dont il disposait, Jean a peut-être lu Constantino et non Constancio.]

Mais l’essentiel pour nous est le résultat obtenu et le procédé qui y a conduit : dans Ly Myreur, dans la Chronique de Martin et, beaucoup plus anciennement encore, dans les Gesta Liberii, le baptême de Nicomédie n’a rien à voir avec Constantin. On ne peut donc plus soupçonner l’empereur d’avoir été tenté par l’arianisme à l’extrême fin de sa vie.

En rejetant le baptême de Constantin à Nicomédie, Jean ne fait que refléter la position de l’historiographie ecclésiastique officielle, qui, depuis les Actes de Sylvestre, a imaginé que l’empereur avait été baptisé tout au début de son règne par le pape Sylvestre, qui l’avait guéri de la lèpre et converti.

 

8. L’utilisation discutable des garants invoqués (Myreur, II, 70)

Jean (car ch'est menchongne fause, II, p. 70) et Martin, sa source (sed hoc de Constantino mendose dicitur, p. 450, éd. Weiland), partisans l’un et l’autre de la thèse officielle d’un Constantinus orthodoxus, veulent manifestement éviter le motif du baptême de Constantin à Nicomédie en 337 des mains d’un évêque arien. Pour eux, cette vision des choses est pur mensonge.

Pour confirmer leur position, ils renvoient à des textes plus anciens, qu'ils utilisent en quelque sorte comme des « garants », en l’espèce saint Grégoire, saint Ambroise, Cassiodore et Isidore. Mais quand on prend la peine de contrôler les textes de ces auteurs, ce que nous avons fait dans notre article des FEC (t. 35, 2018), déjà cité plus haut, on s’aperçoit qu’ils ne prouvent absolument pas que Constantin n’a pas été baptisé à l’extrême fin de sa vie. Ce dont ils peuvent éventuellement témoigner (à l’exception toutefois d’Isidore), c’est des mérites et des qualités de Constantin. Mais c’est tout autre chose.

Ces exemples montrent d’ailleurs avec quelle légèreté Jean d’Outremeuse utilise ses garants ou ses témoins. C’est un peu pour lui de la « poudre aux yeux » qu’il jetterait à l’intention de ses lecteurs. En l’occurrence toutefois, il n’est pas le seul à devoir être mis en cause. Il a simplement repris les garants et les explicitations donnés par son modèle, en l’espèce Martin d’Opava dans sa notice sur Constantin (p. 450-451, éd. L. Weiland).

 

9. Trois remarques textuelles sur les notices concernant ces garants

La première concerne le renvoi à l’Historia Tripartita de Cassiodore (III, 12, P.L., t. 69, 1848, col. 956-958 = C.S.E.L., t. 71, 1962, p. 153-155). Martin, la source de Jean, écrit textuellement : in Historia Tripartita eius exitus atque acta bona inveniuntur, ce qui signifie : « Dans l’Historia Tripartita, on trouve [le récit de] sa mort et les bonnes choses qu’il a faites [dans sa vie] ». La traduction de Jean (II, p. 70) : « En l'hystoire Tripartita ejus exitus, c'est de son yssue, true-ons les bons fais que ilh fist » montre qu’il n’a pas très bien compris cette phrase.

La seconde remarque concerne la présence de Constantin dans le calendrier des saints grecs et la date de sa fête (21 mai). Ces informations sont reprises textuellement à la Chronique de Martin : Nam et orientalis ecclesia Constantinum cathalogo sanctorum connumerat et festum de ipso agit 21. die Maii (p. 450-551, éd. Weiland). On observera que l’Église occidentale ne considère pas Constantin comme un saint. Ne lui aurait-elle pas pardonné son baptême de Nicomédie par l’évêque Eusèbe, ses attitudes ambiguës sur le plan doctrinal entre 325 et 337, certaines de ses décisions comme les meurtres de sa seconde épouse Fausta et de son fils aîné Crispus, bien attestés historiquement (cfr P. Petit, Empire romain, p. 567) mais dont Jean d'Outremeuse ne souffle mot) ?

La troisième remarque vise l’utilisation de saint Grégoire comme garant, où les textes de Martin et de Jean diffèrent. Chez Martin, Grégoire n’est cité que pour avoir, in Registro cum loquitur cum Mauricio, appelé Constantin un homme bonae memoriae. Chez Jean (II, p. 70), la référence précise au Registrum disparaît, pour être remplacée par quelque chose de très général et de très vague. « En fait, il fit baptiser son successeur, son fils Constantin, comme le dit saint Grégoire dans ses chroniques ou ses écrits, où il parle de lui en le qualifiant d’homme de pieuse mémoire. » Saint Grégoire ne parle pas du baptême du fils de Constantin. Jean n’a pas revérifié les informations de sa source. Il les a transformées, modifiées.

 


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