Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 392b-401a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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PilaTe et Judas - NOCES DE CANA - MARIE-MAdeleine - La famille d'Hérode
Jean-Baptiste et Jésus, baptêmes dans le Jourdain, Godosa
 (Myreur, p. 392b-401a]

Ans 25-31

 

Introduction  [sommaire] [texte]

La biographie de Judas et de Pilate continue. Les aspects oedipiens de la légende de Judas apparaissent clairement dans ce passage : il tue son père (Ruben) et épouse sa mère (Cyboréa). Ils relèvent de la légende médiévale, attestée au moins à partir du XIIe siècle. Quant à l'intégration de Judas parmi les disciples de Jésus, elle est conforme au récit évangélique, où évidemment Cyboréa ne joue aucune rôle. Le poste de trésorier qu'il occupe dans le groupe des disciples est également mentionné dans les évangiles.

La notice sur l'empoisonnement de Drusus en l'an 26 de l'Incarnation doit être corrigée (p. 394). Le chroniqueur confond deux Drusus, Drusus le Vieux, qui est le frère de Tibère, et Drusus le Jeune, qui en est le fils. Le frère de Tibère est mort en 9 avant notre ère des suites de blessures occasionnées par une chute de cheval. C'est le Drusus, fils de Tibère, mort en 23 avant notre ère, qui aurait été empoisonné par son épouse.

Sur l'épisode des Noces de Cana, où Jean considère que le marié est Jean l'Évangéliste, et la mariée Marie-Madeleine, la pécheresse, on trouvera plus de détails dans notre article des Folia Electronica Classica (t. 28, 2014) intitulé La Marie-Madeleine de Jean d'Outremeuse. Une figure évangélique vue par un chroniqueur liégeois du XIVe siècle. Une brève notice y est consacrée au nom de l'échanson, Archedeclin.

Il avait déjà été question de Jean-Baptiste plus haut, de l'annonce de sa conception (p. 335), des paroles de louanges qu'il adresse dans le ventre de sa mère au moment de la Visitation, de sa naissance et de l'austérité de sa vie (p. 340-341). Le présent fichier aborde avec assez bien de détails la question de sa mission au Jourdain, des baptêmes qu'il y dispense, de ses relations avec Hérode Antipas, de sa mort et de ses reliques. Même si les problèmes d'historicité ne sont pas au centre de nos commentaires, il vaut la peine de mentionner ici que Flavius Josèphe, en termes très explicites dans ses Antiquités judaïques (XVIII, 5, 2, §§ 116-119), évoque les prêches et les baptêmes de purification et de pardon que Jean dispensait, signale que les activités de celui-ci, aux yeux du pouvoir, pouvaient apparaître suffisamment subversives et dangereuses pour provoquer l'emprisonnement et la mort de Jean. On y lit notamment : « (§ 118) Des gens s'étaient rassemblés autour de lui, car ils étaient très exaltés en l'entendant parler. Hérode craignait qu'une telle faculté de persuader ne suscitât une révolte, la foule semblant prête à suivre en tout les conseils de cet homme. Il aima donc mieux s'emparer de lui avant que quelque trouble se fût produit à son sujet, que d'avoir à se repentir plus tard, si un mouvement avait lieu, de s'être exposé aux dangers. (§ 119) À cause de ces soupçons d'Hérode, Jean fut envoyé dans la fortresse de Machaero où il fut tué. » Ce texte met clairement en évidence les raisons politiques qui provoquèrent la mort de Jean-Baptiste. Flavius ne fait pas intervenir dans cette mort la question d'Hérodiade qu'il connaît par ailleurs très bien (cfr ci-dessous).

Dans le récit du chroniqueur par contre, les problèmes conjugaux des tétrarques Hérode Philippe et Hérode Antipas, fils d'Hérode le Grand, sont finalement responsables de la mort de Jean-Baptiste. Hérode Antipas avait enlevé et épousé Hérodiade la femme de son frère, ce qui était contraire à la loi juive (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XVIII, 5, 4, § 136). Jean-Baptiste le lui aurait vivement reproché et en serait mort. L'épisode est raconté par Marc, VI, 14-29, Matthieu, XIV, 1-12 et Luc, III, 19-20 et IX, 7-9. Mais les évangélistes ne donnent pas le nom de la fille d'Hérodiade, nommée Alexandrine par Jean et Salomé par Flavius-Josèphe. Hérodiade avait eu cette fille d'un mariage précédent. Les évangélistes ne disent rien non plus de sa mort horrible et de celle de sa mère. Selon le XVIe Sermon de saint Augustin et un texte apocryphe, la Lettre d'Hérode à Pilate, Salomé serait morte en traversant un lac gelé : la glace se serait brisée, elle serait tombée à l'eau mais la glace se serait refermée autour de son cou, laissant apparaître sa tête comme posée sur un plateau d'argent (cfr Wikipédia ; Wikipédia, s.v° Salomé, fille d'Hérodiade ; J.-Ch. Petitfils, Dictionnaire amoureux de Jésus, s.v° Hérodiade et Salomé).

Le personnage de Godosa, la Flamande, devenue sainte Christine l'Admirable, ne manque pas d'intérêt. On se trouve devant un nouvel exemple du goût manifesté par notre chroniqueur pour les « saints locaux ». Cette Christine est manifestement sainte Christine dite l'Admirable, la mystique du couvent de Saint-Trond, dont on célèbre la fête le 24 juillet et que le Martyrologue romain présente comme suit : Au monastère Sainte-Catherine de Saint-Trond, dans le Brabant, vers 1224, la bienheureuse vierge Christine, surnommée l’Admirable, parce qu’en elle, tantôt affligée dans son corps, tantôt ravie en esprit, le Seigneur a accompli des merveilles. Au mépris de toute chronologie, Jean la présente comme une des premières femmes à avoir reçu, au Jourdain même, le baptême de la main du Christ en même temps qu'une mission : rentrer dans son pays, y construire un ermitage et y prêcher la loi chrétienne. Toujours selon Jean, cet ermitage, appelé d'abord « la maison de l'Écluse », fut dans la suite transformé en une « abbaye de nonnes, qui existe encore sur le port de la mer d’Angleterre ». Il est difficile de savoir si le chroniqueur liégeois vise le monastère Sainte-Catherine de Saint-Trond, dans le Brabant, où elle mourut vers 1224, pour reprendre les termes du Martyrologue romain. On se rappellera (p. 357) que le semeur rencontré par la Sainte-Famille dans sa fuite vers l'Égypte est devenu saint Amand, vénéré à Rocamadour, et que, toujours en Égypte, mais cette fois chez le brigand Dismas, l'enfant malade depuis sa naissance et guéri lorsque Marie lui donne le sein est devenu saint Sauveur (p. 361). Plus loin, dans le récit de la Dernière Cène (p. 405), Jésus, recommandant à ses disciples l'humilité, leur présente comme modèle un enfant qui est devenu saint Martial de Limoges. Et il ne faut pas oublier (p. 307) saint Servais, évêque de Tongres, présenté comme un parent très proche de la Vierge Marie et donc de Jésus ? On valorise tous ces saints en reculant leurs origines très loin dans le passé et en les mettant en rapport plus ou moins direct avec Jésus. Dans la tradition historiographique romaine antique, une manière de mettre en valeur un personnage ou une institution était d'en faire remonter l'origine à Romulus ; on parlait alors de « romulisation ».

L'histoire fort agitée des restes de Jean-Baptiste constitue un beau morceau d'anthologie illustrant l'importance accordée par le moyen âge aux reliques. Jean d'Outremeuse s'inspire ici de plusieurs développements de Jacques de Voragine et de sa Légende dorée, notamment au chapitre 81, p. 442-443 (Saint Jean-Baptiste) et au chapitre 121, p. 712-716 (La Décollation de saint Jean-Baptiste) dans l'édition d'A. Boureau (Pléiade, 2004). La découverte en août 2010, sur l'île bulgare de Sveti Ivan, en mer Noire, d'un petit sarcophage de marbre contenant une dent, une phalange et la face antérieure d'un crâne attribuées à Saint Jean-Baptiste a relancé le sujet dans la presse. L'auteur d'un article du Figaro (25-06-2012) consacré à la découverte bulgare se terminait par le paragraphe suivant : « Le choix par les personnes souhaitant admirer les reliques de Saint Jean-Baptiste se complexifie. En effet, ils devront désormais choisir, outre la Bulgarie, entre l'Allemagne, l'Inde, la Turquie ou encore la France. Ces quatre derniers détiennent respectivement l'étoffe qui aurait été utilisée pour envelopper sa tête après sa décapitation (Aachen), une partie de sa main (Calcutta), son bras et sa tête (Istanbul), ainsi… qu'une autre tête (Amiens). Sans oublier la tête qui se trouverait à Damas, en Syrie. » Trois têtes pour un seul homme, c'est beaucoup !

Jean termine sa présentation par les mots : « Nous donnerons les dates exactes de tous ces faits, quand nous y arriverons », écrit-il. En fait, il ne reviendra sur le sujet qu'à propos des reliques à Neumoustier, près de Huy (Myreur, IV, 327 et 457), et à propos de la tête du saint à Amiens (Myreur, IV, 591).

 

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Sommaire

* Judas, chambellan de Pilate et nouvel Oedipe - Judas apprend la vérité sur ses origines et devint disciple de Jésus - Drusus, frère de Tibère, meurt empoisonné (25-26)

Jésus aux noces de Jean et Marie-Madeleine - Jean devient disciple de Jésus et délaisse Marie-Madeleine (27)

Hérode Antipas de Galilée et Jean-Baptiste : Hérode Antipas enlève Hérodiade à son frère (28) - Début de mission, portrait et renom de Jean-Baptiste - Succession à Anvers (29)

Histoire de Godosa et baptêmes dans le Jourdain : Godosa de Flandre rencontre Jean-Baptiste et Jésus - Baptêmes de Jésus, Jean-Baptiste et autres - Baptême et mission de Godosa/Christine - Jésus et Jean-Baptiste se séparent (30)

Mort de Jean-Baptiste : Jean-Baptiste à la cour d'Hérode Antipas, en Galilée - Hérodiade obtient la mort de Jean-Baptiste (31)

Les restes et les reliques de Jean-Baptiste (dates diverses)

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Judas, chambellan de Pilate et nouvel Oedipe - Judas apprend la vérité sur ses origines et devint disciple de Jésus - Drusus, frère de Tibère, meurt empoisonné (25-26)

[p. 392] [L’an XXV - De Pylate et Judas] A cel temps, assavoir l'an XXV, prist à Pylate une grant maladie qui mult le travelhoit. Si avient unc jour, en septembre, que Pylate astoit monteis aux fenestres de son palais ; si regardat vers le jardin Ruben, le peire Judas ; mains nuls ne savait que chu fust son peire, ne Judas meismes. En cel jardin veit Pylate unc pomier qui portoit des mult belles pommes, desqueiles ilh prist Pylate mult grant desier. Et vient à Judas et li dest : « Judas, va-t'en en cel jardin et m'apporte de ches pommes por mangier, ou je moray. »

[p. 392] [An 25 - Pilate et Judas] En ce temps-là, c’est-à-dire en l’an 25, Pilate attrapa une maladie grave qui le faisait beaucoup souffrir. Un jour de septembre, il était monté par hasard aux fenêtres de son palais et regardait du côté du jardin de Ruben, père de Judas. Mais tous, y compris Judas lui-même, ignoraient qu'il était son père. Dans ce jardin, Pilate vit un pommier lourdement chargé de pommes magnifiques qui lui firent très envie. Il vint à Judas et lui demanda : « Judas, va dans ce jardin et rapporte-moi de ces pommes à manger, sinon j'en mourrai ».

[Judas ochist Ruben son peire] Et quant Judas entendit chu, si s'en alat en jardin et prist des pommes ; mains Ruben vient là, à cuy ly jardin astoit, si soy commenchat à corochier à Judas, et tant que Judas soy mancholiat et prist une pire, si en ferit Ruben, qui astoit [p. 393] son peire, par teile vertut sour son tiest que ilh l'ochist. Atant soy partit Judas, se laisat son peire mors, qui là demorat enssi jusqu'à vespre que ilh fut troveis mors ; si quidarent les alcuns que ilh fust mors subitement.

[Judas tue Ruben son père] À cette demande, Judas alla cueillir des pommes dans le jardin ; mais Ruben, le propriétaire du lieu, arriva et se mit en colère contre Judas au point que celui-ci se vexa, saisit une pierre et frappa [p. 393] son père Ruben à la tête avec une telle force qu’il le tua. Puis Judas s’en alla, abandonnant sur place son père mort, qui resta là jusqu’au soir, jusqu'à ce qu'on le retrouve. Certains crurent qu'il était mort subitement.

[Judas prist sa mere à femme] En cel an meismes, s'avisat Pylate de Cyborea, la femme Ruben, qui astoit mult riche ; et Judas l'avoit bien servit, si seiroit bien raison que Judas en vausist mies de son bon serviche. Adont fist espouser Pylate Judas, son chamberlan, Cyborea, la femme Ruben, qui astoit sa mere et l'avoit porteit en ses flans. Et le fist saingnour de tous les biens qui avoient esteit Ruben son peire. Adont ne sçavoit riens Judas que cel sa mere, ne que Ruben awist esteit son peire ; et jut awec sa mere, enssi com les hommes ont à constummes del gesir awec leur femmes espouseez, par l'espauses de trois mois.

[Judas épouse sa mère] Cette même année, Pilate songea que Cyboréa, la veuve de Ruben, était très riche. Il estima raisonnable que Judas, qui l’avait si bien servi, puisse en retirer des avantages. Il la donna en mariage à son chambellan Judas. En fait Cyboréa, veuve de Ruben, était la mère de Judas qu'elle avait porté dans ses flancs. Judas devint ainsi propriétaire de tous les biens de Ruben, son père. Judas ignorait tout à fait que Cyboréa était sa mère et Ruben son père. Il coucha donc avec sa mère, comme les hommes couchent normalement avec la femme qu’ils ont épousée, et cela dura trois mois.

[p. 393] [L’an XXVI - Judas cognuit qu’ilh avoit esposeit sa mere] Puis avint que unc jour, qui astoit unc mardis, et astoit en mois d'avrilh, l'an del incarnation XXVI, gisoit Judas awec sa femme ; et adont revient en sovenanche à Cyborea des doleurs qu'elle avoit oyut, si commenchat fort à ploreir. Et quant Judas veit chu, se ly demandat porquoy elle ploroit. Et cel ly racomptat comment son enfant avoit esteit jetteit en mere, et tout chu que j'ay chi-devant longtemps racompteit, et apres comment elle avoit troveit son baron mort ; « et por chu pleur-je. Et encors plus, dest-elle, portant que ons m'at à vos donnée contre ma volenteit. »

[p. 393] [An 26 - Judas apprend qu’il a épousé sa mère] Un jour, un mardi du mois d’avril de l’an 26 de l’incarnation, Judas était au lit avec sa femme. Un jour, Cyboréa en vint à se remémorer les malheurs qu’elle avait connus et elle se mit à pleurer abondamment. Quand Judas s'en aperçut, il lui demanda la raison de ses pleurs. Elle lui raconta alors comment son enfant avait été jeté sur la mer et tout ce que j’ai longuement raconté plus haut (p. 353-354). Elle dit aussi comment elle avait trouvé le cadavre de son époux. « C’est pourquoi je pleure, dit-elle, et plus encore parce qu’on m’a donnée à vous contre ma volonté. »

Enssi que Cyborea parloit, pensat Judas unc pou que les ensengnes, teiles et queiles que elle ly avoit nommeit, avoit-ons troveit entour luy en bateal, quant ilh arivat el isle de Scarioth, enssi com dit est. Et parmy toutes ches chouses ilh veit bien que chu astoit sa mere que ilh avoit esposeit, et que chu astoit son peire que ilh avoit ochis. Adont confessat Judas à sa mere cuy ilh astoit ; de cuy Cyborea oit grant duelh en son cuer plus com devant.

Suite à ces paroles de Cyboréa, Judas réfléchit. Il songea aux signes de reconnaissance qu’elle lui avait décrits et qu'on avait trouvés près de lui dans le bateau à son arrivée dans l’île d’Iscariote, comme raconté plus haut (p. 354-355). Tous ces éléments lui firent comprendre qu’il avait épousé sa mère et tué son père. Alors il révéla à sa mère qui il était. De cette révélation, Cyboréa éprouva en son coeur un chagrin plus grand encore qu'auparavant.

[Judas devient disciple de Jhesus] Quant Cyborea veit et soit tout chu que son fis avoit fait, se li dest en plorant que ilh s'en alaist awec Jhesus li prophete, qui prechoit la loy por espanir les pechiés. Adont devint Judas disciple à Jhesu-Crist, qui adont aloit par terre awec ses apostles. Chis Judas ne laisat mie toutes ses malvais manieres, car ilh avoit une burse, où ilh mettoit et embloit l'argen et les doniers que ilh devoit douneir aux poevres. Enssi fut Judas disciple à Jhesu-Crist, et puis le traihit, enssi com vos oreis chi-apres.

[Judas devient disciple de Jésus] Une fois informée de tout ce que son fils avait fait, Cyboréa lui dit en pleurant de s'en aller avec le prophète Jésus qui prêchait la loi pour expier les péchés. C'est ainsi que Judas devint disciple de Jésus, qui parcourait alors le pays avec ses apôtres. Judas ne renonça toutefois pas à ses mauvaises habitudes, parce qu'il avait une bourse, où il conservait l’argent et les deniers à distribuer aux pauvres. Ainsi Judas devint disciple de Jésus. Et plus tard il le trahit, comme vous l’apprendrez ci-après (p. 403-404).

[p. 394] En l'an deseurdit, XXVIe jour de mois d'octembre, fist l'emperere Tyberius Cesar, prinche de Romme, unc sien frere qui oit nom Drusus ; mains ilh fut cel an à Romme envynemeis.

[p. 394] La même année, le 26 octobre, l’empereur Tibère César nomma son frère Drusus prince de Rome, mais celui-ci fut empoisonné cette même année dans la ville.

 Jésus aux noces de Jean et Marie-Madeleine - Jean devient disciple de Jésus et délaisse Marie-Madeleine (27)

[p. 394] [L’an XXVII] Item, l'an del incarnation XXVII, le VIe jour de jenvier, s'en alat Jhesu-Crist de costeit la mere de Galilée awec ses disciples. Si avient que I juys nunchat à saint Pire que ilh avoit asseis pres de là une esnoiches, qui astoient de paraige leur prophete. Adont vient saint Pire à Jhesu-Crist, et li dest : « Sire, je toy prie que nos alons mangnier aux noiches des queiles Archedeclinlhiers, car Johan, ton cusien, li fis Marie Salomé, prent la femme. » Et Jhesu-Crist ly otriat tantoist mult volentiers.

[p. 394] [An 27] L’an 27 de l’incarnation, le 6 janvier, Jésus s'en alla avec ses disciples du côté de la mer de Galilée. Un jour, un Juif vint annoncer à saint Pierre que, non loin de là, on célébrait des noces, et que cela se passait chez des parents de leur prophète. Alors saint Pierre dit à Jésus : « Seigneur, je t’en prie, allons manger aux noces dont l’échanson est Archedeclin, car c'est ton cousin Jean, le fils de Marie Salomé, qui se marie ». Tout de suite Jésus-Christ accepta très volontiers cette idée.

[Jhesus alat aux noches] Adont y vient Jhesu-Crist et Marie, sa mere, awec ses apostles ‒ chu qu'ilh en avoit, car ilh ne les avoit mie encor tous ‒ aux noiches dedit Archedeclin. Mains quant Johans li mariés le soit, si vient encontre luy à mult belle compangnie et ly fist grant fieste en remerchissant del honneur qu'ilh li faisoit.

[Jésus se rend aux noces] Ainsi donc Jésus, avec Marie sa mère et ses apôtres ‒ ceux qu’il avait alors, car il ne les avait pas encore tous ‒ se rendit aux noces du dit Archedeclin. Quand Jean, l'épousé, apprit cette arrivée, il vint à sa rencontre en très belle compagnie, lui faisant grande fête et le remerciant de l’honneur qu’il lui faisait.

[Jhesu-Crist fist d’aighe vin aux noiches] A ches noiches avient que ly vin y falit ; de quoy ly botelhiers Archedeclin fut mult enbahis, et le dest tout en hault : « Ilhs n'ont point de vin. » Quant Nostre-Damme l'entendit, se vint à son fis et li dest : « Beaux fis, je toy prie et requiere que tu weulhe demonstreir ychi de ta poissanche, car ilhs doient mies valoir de ta venue à leur besongne. » Adont fist emplir Jhesus tous les jusces d'aighe, puis les sengnat, et ilh devint mult fors et bon vin. Puis dest Jhesus aux servans : « Prendeis cely vin, se le porteis à Archedeclin et le serveis aux taubles. » Et ilhs le fisent enssi ; mains cascon s'en mervelhat, et meismes Archedeclin, et disoient que oncques n'avoient buyt si bon vin. Et fut ly botelhier mult blameit que ilh ne servit al promier de chely vin. Adont racomptarent les servans le myracle comment ilh astoit venus de Jhesu-Crist, le bon prophete.

[Jésus-Christ change l’eau en vin aux noces] Au cours des noces, le vin vint à manquer. Cela étonna beaucoup l’échanson Archedeclin qui dit à voix haute : « Ils n’ont point de vin ». Quand Notre-Dame entendit cela, elle s’approcha de son fils et lui dit : « Beau fils, je te prie et te demande de montrer ici ta puissance, car ils doivent tirer des avantages de ta venue. » Jésus fit alors remplir d’eau toutes les cruches ; puis il les bénit et l’eau se transforma en très bon vin. Ensuite Jésus dit aux serviteurs : « Prenez ce vin, portez-le à Archedeclin et servez-le aux tables. » C’est ce qu’ils firent. Chacun, et Archedeclin lui-même, s’en émerveilla. Ils disaient n’avoir jamais bu d’aussi bon vin. On blâma fort l’échanson de ne pas l’avoir servi en premier lieu. Alors les serviteurs racontèrent que le miracle était dû à Jésus-Christ, le bon prophète.

[p. 394] [Johan ewangeliste fut apostle] Quant saint Johans les entendit, qui astoit li mariés, si corut vers Jhesu-Crist, et li criat merchi ; et s'en alat awec li, se ne jut mie awec sa femme, qui astoit la plus belle que ons sawist par nuls paiis veioir. Et chu fut Marie Magdelene, qui oit si grant despit de chu que son marit l'avoit enssi relenquit, qu'elle fut tant corochie que de cuer et de volenteit [p. 395] elle convoitat tous les septes pechiés morteils.

[p. 394] [Jean l’évangéliste devient apôtre] Quand saint Jean, qui était le marié, les entendit, il courut vers Jésus-Christ et le remercia. Puis il partit avec lui. Il ne coucha pas avec sa femme, qui était la plus belle que l’on pût voir dans aucun pays. C'était Marie-Madeleine. Elle fut si dépitée et irritée d’avoir été ainsi délaissée par son mari que, en son cœur et sa volonté, [p. 395] elle voulut commettre les sept péchés mortels.

Hérode Antipas de Galilée et Jean-Baptiste : Hérode Antipas enlève Hérodiade à son frère (28) - Début de mission, portrait et renom de Jean-Baptiste - Succession à Anvers (29)

[p. 395] [L’an XXVIII - De Philippe et Antypas roys] Item, l'an XXVIII, en mois de june, soy departit Herode Antypas por aleir à Romme. Si passat par la terre Philippe, son frere, le roy de Judée, qui li fist grant fieste. Mains Herode fist tant que Herodias, la femme Philippe, li promist et donnat son amour ; et Herode li oit en convent que, tantost qu'ilh revenroit de Romme, ilh le prenderoit à femme. Enssi soy partit Herode et vint à Romme. Enssi com Herode astoit à Romme, avient que sa femme Dogmada, qui astoit la filhe le roy de Damas, qui oit nom Arethe, entendit les convenanches que son maris avoit fait à la femme de son frere, se dest puisque son maris le voloit enssi laissier, ilh valoit mies que elle le laisast devant. Enssi ne voult pas Dogmata atendre la revenue de Herode, son marit ; ains s'en alat à Damas à son pere le roy Arethe.

[p. 395] [An 28 - Les rois Philippe et Antipas] En juin de l’an 28, Hérode Antipas se mit en route pour Rome. Il passa par le territoire de son frère Philippe, roi de Judée, qui lui fit grande fête. Mais Hérode Antipas fit tant et si bien qu'Hérodiade, l'épouse de Philippe, lui promit et lui accorda son amour. Hérode Antipas convint avec elle que dès son retour de Rome, il l’épouserait. Puis il s'en alla. Pendant le séjour d'Hérode Antipas à Rome, sa femme Dogmada (= Phasaélis), fille du roi Arétas de Damas (= Arétas IV de Pétra), apprit les accords passés par son mari Hérode avec Hérodiade, l'épouse de son frère Philippe. Celle-ci estima préférable, puisque son mari voulait la quitter, de le quitter la première. Aussi ne voulut-elle pas attendre son retour : elle partit pour Damas rejoindre son père le roi Arétas.

[Herode tollit à son frere Philippe sa femme] Item, en cel an revient Herode Antypas de Romme ; si passat par la terre Philippe son frere, et emynat awec ly Herodias.

[Hérode enlève l'épouse de son frère Philippe] Cette même année, à son retour de Rome, Hérode Antipas repassa par le pays de son frère Philippe et emmena avec lui Hérodiade.

[De linaige Herodias] Celle Herodias fut la filhe Aristouble, frere à dit Philippe Herode et Herode Antypas ; chis Aristouble oit à femme la filhe Salomé son antain, de laqueile celle Herodias issit et Herode Agrippe son frere. Celle Herodias avoit esteit promier mariet à unc sien oncle, qui fut fis de vies Herode qui fut nomeis Herode le prevoir ; car li vies Herode l'avoit oyut de la filhe Symon le prevoir, et quant chis Herode le prevoir fut mors, Herodias sa femme reprist le roy Philippe deseurdit. Et chu fut cel Herodias par cuy sains Johans-Baptiste fut mis en prison et decolleis, enssi com chi apres serat demonstreit.

[La famille d’Hérodiade] Cette Hérodiade était la fille d’Aristobule, frère de Philippe Hérode et d’Hérode Antipas. Cet Aristobule avait épousé Salomé, la fille de sa tante. De leur union étaient issus Hérodiade et son frère Hérode Agrippa. Hérodiade avait d’abord été mariée à l'un de ses oncles, un fils du vieil Hérode, appelé Hérode le prêtre ; car le vieil Hérode l'avait eu de la fille de Simon le prêtre. Après la mort d'Hérode le prêtre, sa femme Hérodiade épousa le roi Philippe cité plus haut. C’est à cause de cette Hérodiade que Jean-Baptiste fut mis en prison et décapité, comme cela sera démontré ci-après.

[p. 395] [L’an XXIX - Saint Johan-Baptiste commenchat à prechier] Item, l'an del incarnation XXIX, envoiat Dieu son esperit à Saint-Johans, le fis Zacharias, en desert où ilh habitoit, et li revelat que ilh alast preschier le salut des gens par terre.

[p. 395] [An 29 - Début de la prédication de Saint Jean-Baptiste] En l’an 29 de l’incarnation, Dieu envoya son esprit à saint Jean, fils de Zacharie, dans le désert où il habitait. Il lui révéla qu’il devait aller prêcher le salut des hommes sur la terre.

Et astoit Johans vestus d'onne haire, qui astoit faite de polhe de chamot, et avoit une chainture sur les rains, qui astoit de cure de berbis atout le poilhe. Et vivoit saint Johans mult saintement, car ilh ne mangnoit que de une manere de rachines ; et bevoit de l'aighe qui plovoit des nues, plus sovent que aultre aighe. Cel vie mynoit mesire saint Johan, pour conquere le regne de chiel et l'amour Jhesu-Crist qu'ilh atendoit por salveir le peuple d'Ysrael.

Jean portait un vêtement fait de poils de chameau et avait sur les reins une ceinture faite d'une peau de mouton. Saint Jean vivait très saintement, car il se contentait de ne manger qu'une espèce de racines et de boire plus souvent de l’eau qui tombait du ciel que celle d'une autre source. Messire saint Jean menait cette vie afin de gagner le royaume des cieux et l’amour de Jésus-Christ qu’il attendait comme sauveur du peuple d’Israël.

[Saint Johan vint vers le flus Jordain] Adont soy partit saint Johans de deseirt où ilh astoit, et se vint vers le [p. 396] flus Jordain, où ilh trovat XII pieres, qui là astoient mises anchienement en la ramembranche de chu que les XII linaiges des fils Israel passarent là jadit à pies seich.Entour le flus Jordain et solonc la mere de Galylée commenchat saint Johans à preschier, de laqueile terre de Galilée Herode Antypas astoit prinche, qui mult amoit sains Johans.

[Saint Jean se rend au fleuve Jourdain] Alors saint Jean quitta le désert où il se trouvait et arriva au [p. 396] Jourdain. Il y trouva les douze pierres placées là dans les temps anciens en souvenir des douze tribus d’Israël qui traversèrent jadis le fleuve à pieds secs, à cet endroit. Saint Jean commença à prêcher aux alentours du Jourdain et au bord de la mer de Galilée. La Galilée avait pour prince Hérode Antipas, qui aimait beaucoup saint Jean.

[p. 396] Item, en cel an, morut Brus, ly promier prinche d'Anwerpe, qui avoit regneit XVII ans. Et apres luy y regnat son fis Yborus XLII ans. A cuy temps furent fondeez pluseurs citeis et vilhes que les gens, qui là venoient demoreir, faisoient faire.

[p. 396] Cette année-là [29] mourut Brus, le premier prince d’Anvers, qui régna dix-sept ans. Son fils Yborus lui succéda et régna quarante-sept ans. À cette époque furent fondées plusieurs cités et villes, construites par des gens qui venaient habiter cette contrée.

Histoire de Godosa et baptêmes dans le Jourdain : Godosa de Flandre rencontre Jean-Baptiste et Jésus - Baptêmes de Jésus, Jean-Baptiste et autres - Baptême et mission de Godosa/Christine - Jésus et Jean-Baptiste se séparent (30)

[p. 396] [L’an XXX] A cel temps avoit en Flandre une femme qui astoit nommée Godoza, qui astoit asseis jovene. A cel femme fut avis que sa loy ne valait I poys, et que ly Dieu où ons devoit croire aloit par la terre de Judée preschant la foid que ons devoit croire. Quant cel pensée fut venue à cel femme, elle fist tant qu'elle passat mere, et vint en Judée droit sor l'an del incarnation XXX. Et alat tant par la terre de Judée, qu'elle trovat saint Johans-Baptiste qui preschoit la foid par Galylée solonc le flus Jordain. Et quant elle veit saint Johans, elle quidat avoir troveit Jhesu-Crist, et l'apellat com son saingnour ; mains sains Johans ly dest qu'ilh n'astoit pais Jhesu-Crist, ains astoit unc de ses disciples, mains Jhesu-Crist astoit asseis pres d'eaux, car ilh ly avoit mandeit novellement que ilh seroit anchois III jours deleis luy.

[p. 396] [An 30] En ce temps-là vivait en Flandre une femme nommée Godosa, qui était assez jeune. Elle s’avisa que sa religion ne valait pas un pois et que le Dieu en qui l'on devait croire était en train de parcourir la Judée, prêchant la foi dans laquelle il fallait croire. Quand cette idée lui fut venue, Godosa prit la mer et arriva en Judée exactement en l’an 30 de l’Incarnation. Elle parcourut le pays jusqu'au moment où elle découvrit saint Jean-Baptiste, qui prêchait la foi en Galilée au bord du Jourdain. Quand elle le vit, elle crut avoir trouvé Jésus-Christ et l’appela son seigneur. Alors saint Jean lui dit qu’il n’était pas Jésus-Christ, mais seulement un de ses disciples, et que Jésus-Christ était très proche d’eux, car il lui avait fait récemment savoir qu’il serait auprès de lui avant trois jours.

[De Godoza qui puis fut nommee Cristina] Enssi com sains Johans et Godoza astoient en Galylée, en I casteal qui est nommeis Salvis, enqueile Melchisedech, li priestre et roy cuy Dieu amat tant, fut neeis, vint Jhesu-Crist. Et quant sains Johans le veit, ilh le monstrat à Godoza qui li criat merchi, et li dest : « Sire, je croie en toy ; si toy prie que te moy monstre la loy que je doy tenir depart toy qui es mon Dieu et mon sires. » mAdont le prist par la main Jhesu-Crist, et l'enmynat à flu Jordain, et puis apellat saint Johans-Baptiste.

[De Godosa, appelée ensuite Christine] Tandis que saint Jean et Godosa étaient en Galilée, en un castel appelé Salvis (Salem), où naquit Melchisédech, le roi prêtre si attaché à Dieu, Jésus-Christ arriva. Quand saint Jean le vit, il le montra à Godosa, qui implora sa pitié en disant : « Seigneur je crois en toi ; je te prie de me montrer la loi que je dois tenir de toi, mon Dieu et mon seigneur. » Alors Jésus-Christ la prit par la main, l’emmena jusqu’au Jourdain, puis il appela saint Jean-Baptiste.

[p. 396] [Johans-Baptiste baptisat Jhesu-Crist et Jhesus saint Johans] Atant vint là uns angle, qui aportat à Jhesu-Crist feu et cremme. Et nostre sires le prist et le mist en flu Jordain, et le sengnat de sa main diestre. Apres chu Jhesu-Crist soy devestit, et se soy fist en flus Jordain baptizier. Et le baptizat sains Johans-Baptiste, et partant fut-ilh dedont en avant appelleis sains Johans-Baptiste. Apres chu Jhesu-Crist baptizat saint Johans-Baptiste. Apres soy baptizarent là ypluseurs des disciples et des aultres, portant que Jhesu-Crist astoit baptiziet, qui astoit leur maistre.

[p. 396] [Jean-Baptiste baptise Jésus-Christ, et Jésus baptise saint Jean] Alors un ange arriva, apportant à Jésus du feu et de l’huile. Notre-Seigneur prit celle-ci et la versa dans le Jourdain, qu'il bénit de la main droite. Après cela, Jésus se dévêtit et se fit baptiser dans le Jourdain par saint Jean qui fut pour cela appelé dorénavant saint Jean-Baptiste. Puis Jésus baptisa saint Jean-Baptiste. Ensuite un grand nombre de gens, parmi les disciples et d’autres personnes se firent baptiser, parce que Jésus-Christ avait été baptisé, lui qui était leur maître.

[Cristine fut baptiziet de Jhesu-Crist] Adont dest Jhesu-Crist à Godoza, qui là astoit venue de la terre de Flandre, que cel baptemme astoit ly fondement de la loy que ilh preschoit, et qu'elle le presist, [p. 397] et puis soy metist sour la mere, et, queile part que la mere le getast, fesist là son habitation en laqueile elle se metist, et le servist là et y anunchast sa loy. Apres chu baptizat Jhesu-Crist Godoza ; mains Jhesus li changet son nom, se l'apellat Cristina, et c'est sainte Cristine, dont ons fait la fieste le XXIIIIe jour de mois de julet.

[Christine est baptisée par Jésus-Christ] Alors Jésus-Christ dit à Godosa, venue de la terre de Flandre, que ce baptême était le fondement de la loi qu’il prêchait. Qu’elle le reçoive, [p. 397], qu’elle reprenne la mer, et quel que soit l'endroit où la mer la dépose, qu'elle y fasse sa demeure et s'y installe pour le servir et annoncer sa loi. Après quoi, Jésus-Christ baptisa Godosa. Il changea toutefois son nom et l’appela Cristina. Elle est devenue sainte Christine et on célèbre sa fête le 24 juillet.

[L’Escluse] Apres chu vint et montat celle Cristine sour mere, et arivat en Flandre dont elle astoit venue. Et chu fut la volenteit de Jhesu-Crist. Et fist faire uns heremitage en drois lieu où elle arivat sor le rivaige en mere meisme ; et le nomat-ons dedont en avant le maison l'Escluse. Et là preschoit-elle la foid Jhesu-Crist. Longtemps apres fut fait de cel heremitaige une abbie de nounes, qui encors y est sour le port de la mere d'Engleterre.

[L’Écluse] Cette Christine prit la mer et arriva en Flandre d’où elle était partie. Telle était la volonté de Jésus-Christ. Elle fit construire un ermitage, à l’endroit exact où elle était arrivée, au bord même de la mer, ermitage qu’on appela depuis lors la maison de l’Écluse. Elle y prêcha la foi en Jésus-Christ. Longtemps après, on fit de cet ermitage une abbaye de nonnes, qui existe encore sur le port de la mer d’Angleterre.

[p. 397] [De Jhesus et Johans-Baptiste] Apres chu s'en ralat Nostre-Saingnour Jhesu-Crist awec ses disciples, et d'altre costeit s'en allat sains Johans-Baptiste, preschant et baptizant les gens, Juys et Sarazins, tant que ch'astoit mervelhe.

[p. 397] [Jésus et Jean-Baptiste] Après cela, Notre-Seigneur Jésus-Christ repartit avec ses disciples. Saint Jean-Baptiste s’en alla d’un autre côté, prêchant et baptisant les gens, Juifs et Païens, en si grand nombre que l'on s'en émerveillait.

[Jhesus junat XL jour et portant le junent les cristiens] Et quant Jhesu-Crist fut baptiziet, ilh s'en alat awec ses disciples en unc desert qui siet entre Jherusalem et Jherico, et en cel deseirt ilh junat XL jours tous acomplis. En la ramembranche de celle june, fut en Sainte-Engliese estaublie à juneir tous les ans le XLe devant Pasque.

[Jésus jeûne 40 jours, d'où le jeûne des chrétiens] Après son baptême, Jésus s’en alla avec ses disciples dans un désert situé entre Jérusalem et Jéricho, où il jeûna durant quarante jours complets. C’est en souvenir de ce jeûne que la Sainte Église établit l’usage de jeûner chaque année durant quarante jours avant Pâques.

Mort de Jean-Baptiste : Jean-Baptiste à la cour d'Hérode Antipas, en Galilée - Hérodiade obtient la mort de Jean-Baptiste (31)

[p. 397] [L’an XXXI. Saint Johans-Baptiste reprit Herode del femme de son frere Philippe] Item, l'an del incarnation XXXI, en mois de may le XVe jour, vint sains Johans-Baptiste à Herode Antypas, qui prinche astoit de Galilée, et le mult reprist honteusement de chu qu'ilh faisoit si grant desloialteit à son frere quant ilh ly avoit tollut sa femme, luy vivant, et le tenoit contre sa volenteit ; se li priat et li conselhat que ilh ly rendist, car ilh ne le poioit nen ne le devoit tenir tant com son frere visquoit, car ch'astoit mult gran pechiet.

[p. 397] [An 31 - Saint Jean-Baptiste reproche à Hérode d’avoir pris la femme de son frère Philippe] En l’an 31 de l’incarnation, le 25 mai, saint Jean-Baptiste s'adressa à Hérode Antipas, prince de Galilée, et lui reprocha comme un acte honteux sa grande déloyauté à l’égard de son frère : alors que Philippe Hérode était toujours en vie, il lui avait pris sa femme et la gardait contre sa volonté. Il le pria et lui conseilla de la rendre : il ne pouvait ni ne devait la garder tant que son frère vivait, car c’était un très grand péché.

Et de chu le blastengat mult fortement que oncques Herodes ne s'en corochat, ains l'escutoit volentier et pasciemment, car ilh l'amoit mult portant qu'ilh savoit bien que ch'astoit unc proidhom. Par l'amonestement sains Johaus-Baptiste s'astoit Herode relaisiés de faire mult de mauls. Et faisoit enssi pluseurs biens por l'amour de luy. Et encor à chesti fois awist Herode tant creyut sains Johan que ilh awist sou frere rendut sa femme, se ne fust chu que Herodias le soit par unc sien cusin qui li dest comment sains Johans porcachoit que elle se fut enlongié de Herode, et revoiet à Philippe qui astoit son marit.

Jean-Baptiste blâma beaucoup Hérode, sans jamais toutefois provoquer son irritation. Au contraire Hérode l’écoutait volontiers et patiemment, car il l’aimait beaucoup, sachant que Jean était un homme sage. Par ses reproches, saint Jean-Baptiste avait empêché Hérode de faire beaucoup de tort. Il l'avait même poussé à accomplir plusieurs bonnes actions par amour pour lui. Cette fois encore, Hérode aurait eu tellement confiance en saint Jean qu'il aurait rendu Hérodiade à son frère, si celle-ci n’avait pas appris par un de ses cousins que saint Jean tentait de l’éloigner d’Hérode et de la renvoyer à Philippe, son mari.

Adont vient Herodias à Herode et li priat mult affectueusement que ilh voisist Johan le prophete [p. 398] ochire. De chu fut Herode mult corochiés, car ilh n'oisoit à Herodias escondire chu qu'ilh li plaisoit ; et d'aultre part ilh n'osoit saint Johan ochire, portant qu'il astoit si sains proidhom. Si respondit Herode qu'ilh ne l'ochiroit mie, car ilh n'avoit de rien deservit la mort. Adont li priat Herodias qu'ilh fust mys en prison, et Herode li dest que chu feroit-ilh bien volentiers.

Hérodiade vint alors trouver Hérode et lui demanda avec beaucoup de passion de mettre à mort [p. 398] Jean le prophète. Hérode en fut très irrité : il n’osait refuser à Hérodiade ce dont elle avait envie, et, d’autre part, il n’osait pas faire mettre à mort saint Jean, qui était un saint homme si sage. Hérode répondit qu’il ne le tuerait pas, car il n’avait nullement mérité la mort. Alors Hérodiade lui demanda de le mettre en prison. Hérode répondit qu' il y consentait volontiers.

Johan-Baptiste fut mis en prison] Enssi fut sains Johans pris et mys en prison, sens cause de raison, où ilh demorat trois mois, assavoir jusqu'à XXIX jour de mois d'awost, à laqueile journée Herode tenoit grant fieste des nobles gens de sa terre por le jour de sa nativiteit, qui astoit à chi jour.

[Jean-Baptiste est mis en prison] Ainsi, sans autre raison, saint Jean fut arrêté et mis en prison, où il resta durant trois mois, c’est-à-dire jusqu’au 29 août. À cette date Hérode offrait une grande fête aux notables de son pays, pour célébrer son anniversaire qui tombait ce jour-là.

Et quant chu vint que ons devoit mangnier, ons disnat, et puis oistat-ons les taubles, et adont commenchat grant joie par le palais, si que ly uns chantoit et li aultre dansoit. Et la filhe Herodias, que el avoit de son promier baron, vint à cel joie que ons faisoit, où ilh avoit mult de dammes et de chevaliers et d'aultres nobles gens. Celle damoiselle, qui nommée astoit Alexandrine, fut mult belle femme et si gratieux, que tout chu qu'elle fasoit mult bien li convenoit. Elle vient devant Herode et commenchat mult bien à danseir et à balleir et faire si grant melodie, que ilh plaisit mult bien à Herode et à tous les aultres qui là astoient. Et quant elle oit asseis danseit et elle s'en voloit raleir, Herode l'apellat et li dest : « Demande chu qu'ilh toy plaiste, car queile chouse que tu demanderas tu l'airas, se je en puy fineir, car tu l'as bien deservi, oussi se tu demandois la moitié de mon royalme. » Et elle respondit que elle soy conselheroit à sa mere Herodias.

Quand vint le moment de manger, on dîna, puis on enleva les tables. Alors une grande joie commença à gagner le palais : les uns chantaient, les autres dansaient. La fille qu’Hérodiade avait eue de son premier mari vint participer à la fête avec un grand nombre de dames, de chevaliers et d’autres personnes importantes. Cette demoiselle, nommée Alexandrine, était très belle et si pleine de grâce que tout ce qu’elle faisait lui réussissait à merveille. Elle vint devant Hérode et commença à danser, à sauter et à chanter si mélodieusement qu’elle plût énormément à Hérode et à tous les autres assistants. Quand elle eut fini de danser et voulut s’en aller, Hérode l’appela et lui dit : « Demande-moi ce qu’il te plaira ; tu auras ce que tu me demanderas, si je puis le faire, car tu l’as bien mérité, et cela, même si tu demandais la moitié de mon royaume ». Elle répondit qu’elle demanderait conseil à sa mère Hérodiade.

[Alexandrine demandat le chief Johan-Baptiste] Et sa mere li dest qu'elle demandast le chief saint Johans-Baptiste, et aultre chouse ne presist. Celle revint devant Herode, et dest qu'elle demandoit le chief Johans-Baptiste. Quant Herode l'entendit, si en fist mult laide chire et estrangne, car chu ne li plaisoit point, jasoiche que ilh ne vousist mie brisier chu qu'ilh avoit jureit et en convent, car ilh li fust tourneis à trop gran blame.

[Alexandrine demande la tête de Jean-Baptiste] Sa mère lui dit de demander la tête de saint Jean-Baptiste et de ne rien accepter d’autre. Elle revint devant Hérode pour dire qu’elle demandait la tête de Jean-Baptiste. Quand Hérode entendit cela, il montra un visage maussade et hostile, car cela ne lui plaisait absolument pas. Toutefois il ne voulut pas rompre son serment ni ce qui était convenu, car cela lui aurait attiré trop de blâme.

[Johan-Baptiste fut decolleis] Atant apellat Herode unc sien servan et li commandat que ilh alaist Johan-Baptiste coupeir le chief, et puis li aportast devant luy en unc plateal. Et chis fist son commandement et li presentat le chief, enssi qu'ilh l'avoit demandeit. Adont fut Herode corochiés, et prist le chief, se le donnat à Alexandrine [p. 399] en garidon de son dansaige ; et celle le portat à sa mere qui teile joie en oit, que de la grant joie elle commenchat à danseir et à balleir lée et sa filhe.

[Jean-Baptiste est décapité] Alors Hérode appela un de ses serviteurs et lui ordonna d’aller couper la tête de Jean-Baptiste et de la lui apporter sur un plateau. Celui-ci exécuta l’ordre et lui présenta la tête, comme cela lui avait été demandé. Hérode fut irrité, mais il prit la tête et la donna à Alexandrine [p. 399] pour la récompenser de sa danse. Celle-ci la porta à sa mère, qui en éprouva une telle satisfaction qu’elle commença à sauter et à danser avec sa fille, tant sa joie était grande.

[Herodias et sa filhe enragont] Mains leur joie tournat en deulh et en tristeur, car elles soy jettoient encontre la terre en houtrissant et criant com enragiés, et leurs mains mordans et magnant à grans boques et à gros morseals ; et morurent miserablement dedens IX jours, en teile maniere qu'elles ne cessont jour et nuit à menere teile vie, que nuls ne les oisat oncques reconforteir en nulle manere. Et enssi fut sains Johans decolleis.

[Hérodiade et sa fille deviennent enragées] Mais leur joie tourna à la douleur et à la tristesse, car elles se jetèrent à terre en se démenant et en criant comme des enragées, mordant leurs mains dont elles mangeaient à pleines bouches de gros morceaux. Elles moururent misérablement dans les neuf jours suivants, sans cesser jour et nuit de se comporter ainsi et sans que personne n’ose leur porter quelque secours. C’est ainsi que saint Jean fut décapité.

Les restes et les reliques de Jean-Baptiste (dates diverses)

[p. 399] [Sains Johans fut ensevelis entre Heliseus et Abdie] Adont vinrent les disciples saint Johans et prisent son corps, et l'enportarent en la citeit de Sebaste où ilh fut mult honorablement ensevelis. Et deveis savoir que sains Johans fut decolleis en Arabe, en le casteal de Macherouz ; et fut sains Johans ensevelis entre Helizeus et Abdie les prophetes, et son chief fut enterreis en Jherusalem, deleis le maison Herode.

[p. 399] [Saint Jean est enseveli entre Élisée et Abdias] Alors les disciples de saint Jean arrivèrent, qui prirent son corps et l’emportèrent dans la ville de Sébaste, où il fut enseveli avec tous les honneurs. Il faut savoir que saint Jean fut décapité en Arabie, dans la forteresse de Machéronte. Saint Jean fut enseveli entre les prophètes Élisée (cfr I, p. 45 ; I, p. 47 et II, p. 164) et Abdias, et sa tête fut enterrée à Jérusalem, près de la demeure d’Hérode.

[Des osseaz saint Johans] Et grant temps apres chu, assavoir à temps Julien li Excommugniet, avient que les Juys et les Sarasins misent le corps sains Johans fours de son sepulture ; et prisent les osseais de luy, se les espandirent avaul le plaiche où ilh gisoit, por le desplaisanche que ilh avoient des myracles que ilh faisoit et que Dieu faisoit par luy en lieu où ilh gisoit. Et quant ilh les orent enssi espandus, si leur semblat que ilhs n'astoient pais bien vengiet. Et portant ilh alerent raconquelhir tons les osseais de sains Johans et les ardirent ; et puis montarent sour une hault montangne, et enventarent toutes les cendre sique li vent les enportat. Et chu fut une altre manere de martir, car ilh astoit mors et se le tourmentoient encor.

[Des ossements de saint Jean] Longtemps après, c’est-à-dire à l’époque de Julien l’Apostat, il advint que les Juifs et les Païens retirèrent le corps de saint Jean de sa sépulture, prirent ses ossements et les répandirent autour de l’endroit où il gisait, ne supportant plus les miracles qu’il accomplissait et que Dieu faisait par son intermédiaire à l’endroit où il reposait. Mais quand ils les eurent ainsi répandus sur le sol, ils estimèrent n’être pas encore suffisamment vengés. Aussi allèrent-ils recueillir tous les ossements de saint Jean qu’ils brûlèrent. Ensuite ils montèrent sur une haute montagne et exposèrent les cendres pour que le vent les emporte. Ce fut un autre martyre : il était mort et on le tourmentait encore.

[De saint Johan-Baptiste] Et de chu fait-ons encor cascon an en I paiis de là son ramembranche à sa fieste, car ons conquelt les osseais partout où ons les truve, et les art-ons à grant joie et à grant compangnie de gens. Et deveis savoir que chu fait-ons por le remembranche que les siens osseais furent ars.

[Saint Jean-Baptiste] Et chaque année, dans un pays de cette région, on commémore ces événements lors de la fête de saint Jean-Baptiste. On recueille des ossements partout où l'on en trouve et on les brûle dans la joie devant une assistance nombreuse. On fait cela pour rappeler que les ossements de saint Jean furent brûlés.

[Des osseais saint Johan-Baptiste] A celle temps dont je parolle que les Juys conquelhirent les osseais saint Johan-Baptiste por ardre, demoroient en Jherusalem pluseurs moynes qui astoient bonnes gens et religieux. Ches moynes soy misent awec les Juys, et commencharent à rasembleir les osseais de sains Johans ; et quant ilhs les oirent tous rasembleis, si en emblarent [p. 400] pluseurs, et le remanant ilhs rendirent aux Juys, affin qu'ilhs ne voloient mie que ons s'aparchust de chu qu'ilhs en avoient pris et embleit.

[Les ossements de saint Jean-Baptiste] À l’époque dont je parle, quand les Juifs recueillirent les ossements de saint Jean-Baptiste pour les brûler, vivaient à Jérusalem plusieurs moines, des hommes bons et pieux. Ces moines s’entendirent avec les Juifs et commencèrent à rassembler les ossements de saint Jean. Quand ils les eurent tous recueillis, ils en prirent [p. 400] beaucoup et rendirent le reste aux Juifs, parce qu’ils ne voulaient pas qu’on s’aperçoive de ce qu’ils avaient pris et enlevé.

[De dois saint Johan-Baptiste] Entre les osseais que les moynes emblarent fut li dois saint Johan-Baptiste, de quoy ilh monstrat Jhesu-Crist, quant ilh dest : « Vechi l'angneal de Dieu. » Cheluy doit aportat depuis madamme sainte Tecle aux mons de Monguy, et est en l'eglise Sains-Marien.

[Le doigt de saint Jean-Baptiste] Parmi les ossements enlevés par les moines, se trouvait le doigt de saint Jean-Baptiste, qui désigna Jésus-Christ, en disant : « Voici l’Agneau de Dieu ». Madame sainte Thècle l'apporta ensuite au Mont-Cénis, et il se trouve en l’église de Saint-Jean de Maurienne.

Et astoit à chely temps evesque de Jherusalem sains Philippe. A cheluy aportarent les moynes les osseais deseurdis ; et chis sains Philippe evesque les envoiat, par Julien son dyaque, à sains Athanaise qui adont astoit evesque d'Alexandre. Apres chu, quant Athanaise fut mors, si fut Theophilus evesque d'Alixandre. Chis Theophilus levat les osseais sains Johan-Baptiste, et les mist mult honorablement en unc fietre que ilh fist faire en l'honeur de sains Johan ; et chis fietre awec lesdit reliques ilh les mist en temple Scerappe, dont les ymages que les Sarasiens adoroient avoient novellement esteit osteez par le commandement Theodoise, qui adont astoit emperere de Romme. Car tout chu que j'ay dit n'avient pais tantoist apres chu que sains Johan fut decolleis, ains avient mult longtemps apres.

À cette époque, saint Philippe était évêque de Jérusalem. C’est à lui que les moines apportèrent les ossements en question. Cet évêque les envoya par son diacre à saint Athanase, alors évêque d’Alexandrie. Ensuite, après la mort d’Athanase, Théophile devint évêque d’Alexandrie. Ce Théophile enleva les ossements de saint Jean-Baptiste et les déposa avec un très grand respect dans une châsse qu’il avait fait exécuter en l’honneur du saint. Il la plaça avec les dites reliques dans le temple de Sérapis, dont les images adorées par les païens avaient été récemment enlevées sur ordre de Théodose, alors empereur de Rome. Il faut dire que tout ce que je viens de rapporter n’arriva pas aussitôt après le décollement de saint Jean-Baptiste, mais très longtemps après.

[De chief saint Johan-Baptiste] Et longtemps apres chu, assavoir de temps le prinche Martien, avient que dois moynes vinrent d'Orient en Jherusalem en pelgrinaige, et à eaux revelat mon saingnour sains Johan-Baptiste où son chief astoit. Mains jasoiche que ches dois moynes le presissent et l'emportassent awec eaux, non porquant ilhs le perdirent, et leur fut tollue et ostée par les gens de la terre de Fenix qui le misent en unc pot dedens terre ; et fut enssi enfoit en la citeit de Emisse.

[La tête de saint Jean-Baptiste] Longtemps après, c’est-à-dire au temps du prince Martien (?), deux moines arrivèrent d’Orient en pèlerinage à Jérusalem et monseigneur saint Jean-Baptiste leur révéla où sa tête se trouvait. Mais bien que ces deux moines l’aient prise et emportée avec eux, ils la perdirent pourtant. En effet, elle avait été dérobée et emportée par des gens de Phénicie, qui la mirent dans un pot et l'enterrèrent. Elle fut ainsi enfouie dans la ville d’Émèse.

Item, longtemps apres, de temps que sains Honoreis fut evesque del citeit de Emisse, avient que sains Marceal fist là uns heremitaige, et augumentat tant, que de son heremitaige ilh fist une abbie de XII moynes awec luy, et ilh en fut abbé. A cheluy sains Marceal demonstrat sains Johan son chief, et sains Marceal le nunchat al evesque sains Honoré, liqueis y alat awec luy. Et là le prisent mult reveremment en faisant grant joie, et l'aportarent en l'egliese ; [p. 401] et fut mies en or et en argent, et puis l'envoiat en Constantinoble entres les aultres santuaires où ilh en avoit mult à temps dedont.

Longtemps après, quand saint Honoré était évêque de la ville d’Émèse, saint Marcel fonda à cet endroit un ermitage qui se développa beaucoup et devint une abbaye comptant douze moines. Il en était l’abbé. Saint Jean permit à ce saint Marcel de découvrir sa tête ; saint Marcel en fit part à l’évêque saint Honoré, qui l’accompagna. Ils la prirent très respectueusement, avec grande joie, et la portèrent dans l’église. [p. 401] La tête fut mise dans un coffre d’or et d'argent, puis envoyée à Constantinople, où il y avait alors des sanctuaires en très grand nombre.

[Ly chief saint Johan fut aporteis en Franche] Puis plaisit à Dieu et à monsaingnour sains Johans que son chief fut aporteit en Franche ; et là est-ih encor en la citeit d'Amiens en Picardie.

[La tête de saint Jean est apportée en France] Puis il plut à Dieu et à monseigneur saint Jean que la tête soit apportée en France. Elle se trouve encore dans la ville d’Amiens en Picardie.

Ors aveis oyut la vraie matiere comment saint Johan-Baptiste fut decolleis et par queile ocquison. Et vos avons dit tout en orde comment ses osseais et son chief furent porteis de unc lieu en l'autre, jasoiche que chu ne fut mie tout à unc temps ; mains nos l'avons dit à une fois por miez entendre. Et encors en parlerons des propres dautes quant chu avient chi-apres, quant nos parvenrons à droit temps quant chu avient. Mains je lairay chu esteir, et veulhe revenir à ma droit matiere.

Vous avez entendu la vraie version, racontant comment et dans quelles circonstances saint Jean-Baptiste fut décapité. Nous vous avons raconté dans l’ordre que ses ossements et sa tête furent transportés d’un endroit à l’autre. Tout cela ne s’est pas fait en une fois, mais nous avons rassemblé ces événements pour en faciliter la compréhension. Plus loin, nous donnerons les dates exactes de tous ces faits, quand nous y arriverons. Mais je vais en rester là, pour en revenir à mon sujet.

 

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