Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 360b-370a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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La sainte Famille chez Dismas et au castel d'orient - Hérode et antipater [Myreur, p. 360b-370a]

Ans 5-6

Introduction [texte]

Jean d'Outremeuse revient ici au séjour en Égypte de la Sainte Famille, d'abord chez le brigand Dismas, ensuite au Castel d’Orient où demeure Marie, la cousine d'Élisabeth. Ces épisodes, présents seulement dans les récits apocryphes, émaillés de nombreux miracles où interviennent en arrière-fond les larrons du Golgotha, ont été longuement commentés dans plusieurs articles des Folia Electronica Classica (t. 28, 2014), intitulés successivement Les larrons et la rencontre avec Dismas ; Le séjour chez Dismas et les miracles ; Le Castel d'Orient et les nouveaux miracles ; Le retour en Galilée. Signalons notamment le miracle des draps du teinturier, celui de Jésus chevauchant un rayon de soleil, la rencontre de Jésus avec Satan.

Les affaires de Judée, spécialement des intrigues à la cour d'Hérode, s'intercalent dans les histoires de la Sainte Famille. L'histoire d'Antipater, cherchant à faire empoisonner son père Hérode et n'y réussissant pas (p. 363-365), est un résumé très sec du récit de Flavius Josèphe (Guerre des Juifs, I, XXIX-XXXIII), auquel peut se reporter le lecteur intéressé. Antipater veut utiliser la femme de Phéroras, frère d'Hérode, pour empoisonner son père. Mais les exécutants sont maladroits, et c'est Phéroras qui est empoisonné. Hérode, comprenant l'intention d'Antipater, est décidé à le faire mourir. Il l'emprisonne en même temps que ses partisans.

Jean ne précise pas que, dans la condamnation à mort d'Antipater comme dans celle d'Alexandre et d'Aristobule, Hérode « associa à ses décisions les autorités romaines : le procès d'Antipater se tint en présence du gouverneur de Syrie, Varus (p. 367). Auguste fut aussitôt informé de sa condamnation pour tentative d'empoisonnement du roi (Antiquités judaïques, XVIII, 133) [...] et laissa là encore [Hérode] libre de châtier son fils comme il l'entendait (Antiquités judaïques, XVII, 182 ; p. 368). Hérode était déjà fort malade et porté mourant ; la joie d'Antipater à cette nouvelle décida son père à le faire exécuter » (M. Hadas-Lebel, Rome, Judée, Paris, 2009, p. 59).

L'état du roi s'aggrave très vite, ce qui ne diminue en rien sa cruauté. Avant de mourir d'une mort pénible sur les détails de laquelle Jean s'attarde, Hérode fait exécuter Antipater et désigne comme successeur Archélaüs, fils de Malthacé, la Samaritaine, l'aîné de ses trois fils encore en vie.

En fait Hérode avait fait plusieurs testaments, en fonction des fluctuations de ses sentiments. Le troisième, celui qui fut respecté, prévoyait les dispositions suivantes : « Archélaüs régnerait sur la Judée, la Samarie et l'Idumée ; Antipas serait tétrarque de Galilée et Pérée ; Philippe recevrait, avec le titre de tétrarque, les territoires situés au nord-est du royaume (Gaulanitide, Auranitide, Batanée, Trachonitide et Panias). En outre, Salomé, la soeur du roi, recevait trois villes (Azotos, Jamnia, Phasaelis) et 500.000 drachmes d'argent. Le couple impérial recevait également de riches présents par ce testament : Auguste, dix millions de drachmes, de la vaisselle d'or et d'argent et des étoffes précieuses, Livie, cinq millions de drachmes. Cependant les dispositions du testament devaient encore être validées par l'empereur » (M. Hadas-Lebel, Rome, Judée, Paris, 2009, p. 60).

« Archélaüs mena le deuil de son père et lui organisa des funérailles grandioses à l'Hérodion. Sa popularité dura tout au plus quelques jours. Le pays avait vécu trente-quatre ans sous une poigne de fer et maintenant l'effervescence s'éveillait, comme c'est souvent le cas après une longue tyrannie. L'affaire de l'aigle d'or, si durement réprimée pendant la maladie d'Hérode, laissait des rancunes à vif (p. 367). On savait aussi que le dernier ordre donné par le roi défunt avait été d'exécuter ses opposants réunis dans l'hippodrome de Jéricho afin que le peuple tout entier fût plongé dans un deuil profond au moment de sa mort (p. 368) ; Salomé eut la sagesse de ne pas faire suivre ces ordres » (M. Hadas-Lebel, Rome, Judée, Paris, 2009, p. 60).

Le fichier suivant (p. 371ss) est consacré au règlement difficile de l'héritage d'Hérode.

 

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Sommaire

La Sainte Famille chez Dismas, le bon larron : La rencontre - Miracles chez Dismas - Le futur saint Sauveur - Sur le chemin du retour - Miracle : Marie sauve une pucelle et son frère

Au Castel d’Orient : Arrivée de Jésus et Marie chez Élisabeth et séjour de deux ans - L'enfant Jésus se distingue par divers miracles

À la cour d'Hérode : Manoeuvre avortée d'Antipater pour empoisonner Hérode - Phéroras, le frère d'Hérode, est empoisonné (5)

* Enfance de Jésus au Castel d'Orient - Troïlus, duc de Gaule - Le miracle du teinturier (6)

* Hérode et l'affaire du poison : rôle de sa belle-soeur, veuve de Phéroras - Haine de Hérode pour Antipater (6)

* Fin du séjour de Jésus au Castel d'Orient : Dernier miracle de Jésus enfant - Rencontre avec Satan (6)

Mort d'Hérode et avènement d'Archélaüs : Hérode fait emprisonner Antipater et ses partisans, mais tombe malade - Cruauté persistante d'Hérode malgré l'aggravation de sa santé et les ultimes soins prodigués - Exécution d'Antipater et mort d'Hérode - Honneurs funèbres à Hérode et avènement d'Archélaüs (6)

 

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La Sainte Famille chez Dismas, le bon larron : La rencontre - Miracles chez Dismas - Le futur saint Sauveur - Sur le chemin du retour - Miracle : Marie sauve une pucelle et son frère (5)

 

[p. 360] [L'an V - Jhesus et Marie soy departent de Cair la citeit - Les XII larons] Item, l'an deseurdit le XIIe jour de mois de octembre, soy partit Joseph et la virge Marie, awec son enfant Jhesu-Crist, del citeit de Cayr où ilh avoit habiteit ; si entrat en son chemien où ilh allat IIII journéez, et al quatreyme journée sont-ilhs entreis en unc bosquet, où ilh avoit XII larons partans ensemble ; et gaitoit ly uns apres l'autre le chemien, si desroboient les marchans.

[p. 360] [An 5 - Jésus et Marie quittent la cité du Caire - Les douze brigands] En l’an cité ci-dessus, le 12 octobre, Joseph et la Vierge Marie avec son enfant Jésus-Christ quittèrent la cité du Caire où ils avaient séjourné. Ils prirent la route et marchèrent quatre jours. Au quatrième jour, ils entrèrent dans un bois où se tenait une bande de douze larrons, qui tour à tour faisaient le guet sur la route et dévalisaient les marchands.

[De Dismas, le bon laron] A cel jour que Nostre-Damme y passat gaitoit Dismas, ly uns de XII larons : chu fut chis qui lassat passeir Nostre-Damme à la porte de Bethleem, et qui puis fut pendus deleis Jhesu-Crist à diestre, et li priat merchi.

[Dismas, le bon larron] Le jour du passage de Notre-Dame, Dismas, un des douze larrons, était de guet : c’était lui qui avait laissé Notre-Dame passer la porte de Bethléem (p. 355), et qui plus tard fut pendu à la droite du Christ, où il lui demanda grâce.

[Joseph fut suscorus de leire Dismas] Enssi com Joseph passoit par le boscaige, ilh vient à unc ponte deleis unc flos mult parfont, et l'assalhit li leires de son agait atout unc gran cuteal. Si vint à Joseph et li dest : « Tu es leire, car tu as embleit chist enfant ; se moy diras où tu l'as pris, et moy lairas chu que tu enporte. » « Beais amis, lais-moy aleir », dest Joseph ; « je ne sçay embleir enfant, et oussi n'ay-je point d'argent. »

[Joseph est attaqué par le larron Dismas] Or donc, comme Joseph passait par le bois, il arriva à un pont sur une rivière très profonde, où le brigand aux aguets, armé d'un grand couteau, l’attaqua. Il vint à Joseph et dit : « Tu es un brigand : tu as volé cet enfant ; tu me diras où tu l’as pris, et me laisseras ce que tu portes avec toi ». – « Bel ami, laisse-moi passer, dit Joseph ; je ne suis pas capable d'enlever un enfant, et de plus je n’ai pas d’argent ».

[Jhesus delivrat Joseph de la mort] Atant vint Nostre-Damme avant, et voit Dismas, si quidat bien morir, si appellat son fis en souspirant, et dest : « Beais fis, que ratens-tu ? ne vois-tu mie que chi leire veult ochire Joseph ? » Et Jhesus respondit : « S'ilh plaist à Dieu, mon pere, ilh ne li ferait jà maul. » Quant Dismas entent l'enfant, qui astoit si jovene et qui parloit si saigement, se li priat merchi, et Dieu ly pardonnat ; atant emynat Jhesus et sa compangnie en sa maison, et li fist grant fieste, en laqueile ilh sourjournat III jours.

[Jésus délivre Joseph de la mort] Alors Notre-Dame s’avance et voit Dismas. Elle croit mourir, appelle son fils en soupirant et lui dit : « Beau fils, qu’attends-tu ? Ne vois-tu pas que ce brigand veut tuer Joseph ? ». Et Jésus répondit : « Si cela plaît à Dieu mon père, il ne lui fera pas de mal ». Quand Dismas entendit l’enfant, qui était si jeune et parlait si sagement, il lui demanda grâce et Dieu lui pardonna. Alors le brigand emmena Jésus et sa compagnie en sa maison où il lui fit grande fête. Jésus y séjourna trois jours.

[p. 360] [Del fontaine où Jhesus fut bangniet - Le promirs myracle Jhesu-Crist] Chis Dismas avoit en son jardin une fontaine ; en celle fontaine bagnat Nostre-Damme son enfant tout vestit : là fist Jhesus unc de ses promirs myracles, car li aighe qui degottoit de ly et de ses vestimens sus la terre, quant ons l'oit oisteit fours de la fontaine, devenoient fleurs de diverses manere, sicom rouses, lis, fleurs de glay, violetes et aultres diverses fleurs.

[p. 360] [La fontaine où Jésus est baigné - Le premier miracle de Jésus] Ce Dismas avait dans son jardin une fontaine ; Notre-Dame baigna son enfant tout habillé dans cette fontaine. C’est là que Jésus fit un de ses premiers miracles. En effet, quand on l’eut sorti de l’eau, les gouttes qui tombèrent de ses vêtements sur le sol devinrent des fleurs de toutes les sortes, notamment des roses, des lis, des glaïeuls, des violettes et des fleurs de diverses espèces.

[p. 361] [La mere Dismas fut garie de mesellerie] Item, chis leire Dismas avoit sa mere, qui astoit et avoit esteit longtemps messelle par l'espause de VII ans ; celle vint à la fontaine, si fut tantoist garie.

[p. 361] [La mère de Dismas est guérie de la lèpre] Ce brigand Dismas vivait avec sa mère qui avait longtemps été lépreuse, durant sept ans. Elle vint à la fontaine, et fut aussitôt guérie.

[L’ongement dont Jhesus fut oindut] Item, en chis jardin prist et colhit Nostre-Damme les fleurs et les herbes, dont el fist l'ongement de coy Marie-Magdalaine oindit les piés Nostre-Saingnour.

[L’onguent dont est oint Jésus] Dans ce jardin, Notre-Dame prit et cueillit les fleurs et les herbes dont elle fit le parfum avec lequel Marie-Madeleine baigna les pieds de Notre-Seigneur. 

[Por l’alaitement Nostre-Damme fut l’enfant Dismas garis] Item, chis Dismas avoit I enfant, qui tous jours deispuis que ilh fut neis avoit esteit esploreis, ne oncques la mere ne le pot faire taire ne mangier. Adont la benoite virge Marie demandat qu'ilh falloit chist enfant ? La mere respondit qu'elle ne savoit. Adont prist Nostre-Damme sa mamelle et alaitat l'enfant, et li enfe endormit entre ses bras mult douchement : chis enfe, solonc chu que sains Jeromme racompte, chu fut sains Salveurs

[L’enfant de Dismas guéri par l’allaitement de Marie] Ce Dismas avait un enfant, qui, chaque jour depuis sa naissance, n’avait cessé de pleurer, et sa mère n’était jamais parvenue à le faire taire ni à le faire manger. La bienheureuse Vierge Marie demanda ce qu'il lui manquait. La mère répondit qu’elle ne le savait pas. Alors Notre-Dame prit son sein et allaita l’enfant, lequel s’endormit très doucement dans ses bras : cet enfant, selon ce que raconte saint Jérôme, devint saint Sauveur.

[p. 361] [Nostre-Damme soy partit de Dismas] Quant Nostre-Damme oit demoreit trois jours en la mason Dismas, si soy partit, et entrat en son chemyn awec sa compangnie, et Dismas les conduisoit tant qu'ilh furent à salveteit ; mains al departir elle donnat à la femme Dismas la boiste al ongement, en disant : « Teneis celle boiste et le gardeis bien, encors en poreis avoir mestier. » Et elle soy dest voire, car puis ly fallit son avoir, si portat la beuste en Jherusalem, où Marie-Magdalaine l'achatat.

[p. 361] [Notre-Dame quitte Dismas] Après être restée trois jours dans la maison de Dismas, Notre-Dame la quitta et se mit en route avec les siens ; Dismas les accompagna jusqu’à ce qu’ils soient en sécurité. En partant, elle avait donné à la femme de Dismas la boîte qui contenait un onguent, en lui disant : « Prenez-la et gardez-la bien ; vous pourrez encore en avoir besoin ». Et elle disait vrai, car plus tard l’argent vint à manquer à la femme de Dismas, qui emporta cette boîte à Jérusalem, où Marie-Madeleine l’acheta.

[Les arbres soy enclinent encontre Jhesus-Crist et sa mere et florissoient - Les beistes vinent adoreir Jhesu-Crist] Parmy le boscaige s'en vont la sainte compangnie, qui astoit si plaine de nief et de jalée, que ons ne savoit où ly chemyn astoit ; nientmoins ilh n'oit endit forest arbre qu'ilh ne soy enclinast encontre Jhesu-Crist et sa mere, et florissoient enssi com chu fuist en mois d'avrilh. Et chu astoit le XIXe jour d'octembre. Et adont chantoient tous les oyseals de bois encontre la venuwe Jhesu-Crist, sicom chu fuist en mai. Et toutes les biestes savaiges de bois sont venues en genos devant le mule, qui portoit Jhesu-Crist et sa mere.

[Les arbres s’inclinent et fleurissent devant Jésus et sa mère - Les bêtes viennent adorer Jésus] La sainte compagnie marcha à travers le bois, couvert de neige et de gelée au point qu’on ne savait plus où était le chemin. Dans cette forêt pourtant, il n’y avait pas un arbre qui ne s’inclinât devant Jésus-Christ et sa mère. Ils fleurissaient comme si on était au mois d’avril. Or on était le 19 octobre. Tous les oiseaux chantaient à la venue de Jésus, comme si on était en mai. Et toutes les bêtes sauvages venaient s’agenouiller devant la mule qui portait Jésus-Christ et sa mère.

Quant li leire Dismas veit que Jhesu-Crist faisoit teiles myracles, se dest à Nostre-Damme : « Damme, balhiiés-moy chist enfant, et le moy lassiés unc pou porteir, et ilh moy pardonrat tous mes pechiés. » Atant delivrat Nostre-Damme à Dismas son enfant jusques al defours del forest, puis le rendit à la virge Marie, et soy partit d'eaux et retournat vers sa maison.

Quand le brigand Dismas vit que Jésus accomplissait de tels miracles, il dit à Notre-Dame : « Madame, confiez-moi cet enfant, et laissez-moi le porter un peu de temps ; ainsi il me pardonnera tous mes péchés. » Alors Notre-Dame laissa son enfant à Dismas jusqu’à la sortie de la forêt. Dismas le rendit ensuite à la vierge Marie, puis il les quitta et s’en retourna chez lui.

[Myracle de la pucelle] Atant s'en vat Nostre-Damme ; mains elle n'oit mie chemyneit une liewe, que elle at encontreit une pucelle qui ploroit mult tenrement, seiant desous une arbre, portant [p. 362] que uns laron, qui oit nom Ysacars, ly avoit tollut ses vestimens et ly voloit faire chu que mie ne ly plaisoit ; et ly avoit son frere empuisonneit, si qu'ilh sembloit mors. Quant Nostre-Damme veit chu, se escriat à lairon que ilh laisast la pucelle esteir ; et chis li respondit qu'ilh n'en feroit riens por lée, et que de lée meismes auroit son mantel et son mule. Adont dest Nostre-Damme : « Tu parolle follement, mains je yray parleir à chevalier qui giist desous chis arbre, savoir se ilh est mors ou vief. » Atant desquendit la virge, et benit le chevalier trois fois, puis prist le main de son enfant, se le touchat al chevalier, et ilh salhit tantoist sus, et où ilh veit le laron si court vers luy, et le ferit teilement de son espée, si qu'ilh le fendit jusqu'en la chinture.

[Miracle de la pucelle] Ensuite, Notre-Dame s’en alla. Mais elle n’avait pas cheminé une lieue quand elle rencontra une jeune fille assise sous un arbre qui pleurait doucement, parce [p. 362] qu’un brigand, nommé Ysacars, lui avait arraché ses vêtements et voulait lui faire une chose qui ne lui plaisait pas. Il avait aussi empoisonné son frère, qui semblait mort. Quand Notre-Dame vit cela, elle cria au larron de laisser la pucelle en paix, mais il répondit qu’il n’en ferait rien et qu’il lui prendrait même son manteau et sa mule. Alors Notre-Dame dit : « Tu parles comme un fou, mais j’irai parler au chevalier couché sous cet arbre, pour savoir s’il est mort ou vivant ». Alors la Vierge descendit de sa monture et bénit trois fois le chevalier, puis elle prit la main de son enfant et lui fit toucher le chevalier. Celui-ci se redressa aussitôt et, quand il vit le larron, il courut à lui et le frappa si fortement de son épée qu’il le pourfendit jusqu’à la ceinture.

 

Au Castel d’Orient : Arrivée de Jésus et Marie chez Élisabeth et séjour de deux ans - L'enfant Jésus se distingue par divers miracles

 

[p. 362] [Mervelhe en casteal d’Orient] Atant se part Nostre-Damme, et at tant alleit que le XXIle jour d'octembre, droit à none, est-elle venue à casteal d'Orient, où Elizabeth sa cusine demoroit, qui grant fieste li fist, et à grant joie l'at rechut, car chu astoit la flour de son linaige. En jardin de chi casteal n'oit arbre qui ne soit ployés et enclineis vers Jhesu-Crist ; et les biestes en lassarent toutes le mangnier, et les petis enfans laissarent tous le laitier, et les poissons de vivier et de la fontaine de vergier lassarent le noieir et vinrent gesir sour le gravier ; si en prist qui avoir en vot.

[p. 362] [Merveille au Castel d’Orient] Alors Notre-Dame reprit la route et marcha jusqu'au moment où le 22 octobre, exactement à la neuvième heure, elle arriva au Castel d’Orient où demeurait sa cousine Élisabeth. Celle-ci lui fit fête et la reçut avec grande joie, car la Vierge Marie était la fleur de son lignage. Dans le jardin du Castel, tous les arbres se plièrent et s’inclinèrent vers Jésus-Christ ; les bêtes cessèrent toutes de manger, les nourrissons de s’allaiter, et les poissons du vivier et de la fontaine du verger de nager, pour venir s’échouer sur le gravier. En prenait qui voulait.

[Des ymages qui astoient en la mahomerie] Item, saint Jerome nous racompt que en marchiet de chi casteal avoit une mahomerie que les Juys adoroient, mains toutes les ymages qui astoient là dedens soy debrisarent toutes ; là avoit I viel juys qui veit chu, se dest : « Unc Dieu doit naistre d'une virgue pucelle qui ches ymaiges doit debrisier. Si est neeis, chu moy semble bien ; je ne sçay où ilh est. »

[Des statues dans le temple païen] Saint Jérôme nous raconte que sur le marché de ce Castel, dans un temple païen où les Juifs priaient, toutes les statues qu’il abritait se brisèrent entièrement. Un vieux Juif qui se trouvait là, dit en voyant ces débris : « Un Dieu doit naître d’une vierge pucelle, qui doit briser ces statues. Qu’il soit né, cela me semble bien vrai ; mais je ne sais pas où il est ».

[Chi demorat Jhesus II ans] Quant les Juys oirent chu, si furent esperdus et dient entre eaux que chu astoit contre la venue Marie ; enssi furent-ilh en grant debat. En celle casteal demorat Nostre-Damme dois ans tous acomplis.

[Jésus y reste deux ans] Quand les Juifs l'entendirent, ils furent profondément troublés et pensèrent que l’événement était en rapport avec la venue de Marie ; ils eurent de grands débats. En ce Castel, Notre-Dame demeura deux ans entiers.

[p. 362] [L’an V - Des pochons qui furent debrisiés par Jhesus et refais] En cel meisme an, le VIle jour du mois d'octembre, avient en casteal d'Orient que les jovenes enfans alarent joweir à une fontaine qui astoit en vergier Joras, unc grant juys ; et en celle compangnie astoit Jhesus et Johans, li fis Elizabeth, qui fut nommeis Sains-Johans-Baptiste, et avoit cascon porteit awec ly unc vaseal de voile por boivre. Quant les enfans furent à la fontaine, si fist tant cascon que sa buret fut plaine ; et [p. 363] Johan-Baptiste prist le siene buret, se le reversat en la fontaine. De chu fut engramis Jacob, li fis Joras, cuy la fontaine astoit, qui astoit asseis orguilheux ; et vint à Johans, se le butat en la fontaine, et Johans, qui enfes astoit, en plorat et issit de la fontaine al mies qu'il pot.

[p. 362] [An 5 - Des pots brisés et refaits par Jésus] En cette même année, le 7 octobre, il se fit qu’au Castel d’Orient les enfants allèrent jouer près d’une fontaine, qui se trouvait dans le verger de Joras, un notable juif. Dans le groupe il y avait Jésus et Jean, le fils d’Élisabeth, qui fut appelé plus tard saint Jean-Baptiste. Chacun avait apporté avec lui un récipient de verre pour boire. Quand les enfants arrivèrent à la fontaine, tous remplirent leur récipient. Mais [p. 363] Jean-Baptiste prit le sien et le reversa dans la fontaine. Cela irrita Jacob, qui était le fils de Joras, le propriétaire de l’endroit. Il était assez orgueilleux. Il vint vers Jean et le poussa dans la fontaine. Jean, qui était un jeune enfant, se mit à pleurer et sortit de l’eau du mieux qu’il put.

Quant Jhesus veit que Jacob avoit enssi fait à son cusin, si en fut corochiés, si prist tous les pochons ou burettes aux enfans et les debrisat ; et les enfans commencharent à criier et ferir leurs mains ensemble. Adont parlat li plus jovene de tous les enfans, qui fut nommeis Judich, et dest : « Jhesus, par ma foid, chi at malvaise compangnie, et cierte jamais ne vos suirons. » De chu oit Jhesus piteit ; si appellat tous les enfans, et leurs dest : « Se vos voleis remettre les pieches de vos pochons ensemble, ilh sieront refais. » Et cheaux respondirent oilh ; et en furent mult liies et joians les enfans. Si ont mise les pieches de pochons toutes en I mont devant Jhesus, et ilh les sengnat ; si furent tantost tous entiers, et truvons en l'Escripture qu'ilh en fut par compte XIX.

Quand Jésus vit que Jacob avait ainsi traité son cousin, il en fut courroucé, prit tous les récipients des enfants et les brisa. Les enfants commencèrent alors à crier et à en venir aux mains. Alors le plus jeune, qui s’appelait Judich, prit la parole et dit : « Jésus, par ma foi, tu es de mauvaise compagnie ; assurément nous ne te suivrons jamais ». Enfin Jésus eut pitié ; il appela tous les enfants et leur dit : « Si vous voulez rassembler toutes les pièces de vos récipients, ils seront refaits ». Ils répondirent qu'ils étaient d'accord et furent très contents et se réjouirent. Ils mirent en tas tous les morceaux devant Jésus, qui les bénit ; aussitôt les vases redevinrent entiers, et nous trouvons dans l’Écriture que leur nombre était de dix-neuf.

De teils myracles faisoit Jhesus asseis en sa jovente ; se doit-ons bien avoir fianche en luy, car en nos puet-ilh faire, defaire et refaire chu qu'ilh ly plaiste. Apres chu sont tous les enfans ralleis en leurs maisons, joians et esbaudis de leurs pochons qui astoient refais.

Durant son enfance Jésus fit beaucoup de miracles de ce type. On doit avoir confiance en lui, car il peut faire, défaire et refaire en nous ce qu’il lui plaît. Après cela tous les enfants retournèrent dans leurs maisons, joyeux et réjouis que leurs pots soient réparés.

 

À la cour d'Hérode : Manoeuvre avortée d'Antipater pour empoisonner Hérode - Phéroras, le frère d'Hérode, est empoisonné

 

[p. 363] [L’an V] Sour l'an deseurdit, le XIe jour de mois de jenvier, vient Antipater à son pere Herode, et prist congier à ly ; se li dest qu'ilh voloit alleir à Romme, car ilh avoit là mult à faire, et son pere li otriat.

[p. 363] [An 5] En l’an signalé plus haut, le 11 janvier, Antipater vint trouver son père Hérode. Il prit congé de lui, disant qu’il voulait aller à Rome, où il avait beaucoup de choses à faire. Son père l’autorisa à partir.

 [De l’encanteresse] A celle temps avoit une enchanteresse en la terre de Judée, laquelle astoit d'Arabe, et savoit plus mies empuisonneir que nule aultre : à celle femme vint Antipater et li donnat tant de son argent, que celle li donnat de venyn qu'elle avoit en une boiste, qui astoit si morteil que ilh n'astoit nuls hons, se ilh en gostoit, que tantoist ne fust mors.

[La magicienne] À cette époque, en terre de Judée une magicienne, venue d’Arabie, connaissait mieux que personne l’art d’empoisonner : Antipater vint la trouver et lui offrit une forte somme d’argent pour qu'elle lui donne une partie du poison qu’elle conservait dans une boîte. C’était un poison tellement puissant que toute personne, si elle en goûtait, mourait aussitôt.

[Antipater procurat de puniere son pere] Cheli venyn que je dis emportat Antipater à la femme Ferolas, son oncle, et li priat qu'elle procuraste à chu que son pere en mangnast ; et celle respondit : « Volentiers. » Atant en alat Antipater à Romme. Et sachiés que ilh ne fisent nient si bien leur fait ne si saigement, qu'ilh ne fuissent apercheus d'unne chambrire que la femme Ferolas avoit ; se li veit donneir la boiste, et faire la proiere qu'ilh [p. 364] fist. Atant s'avisat la femme Ferolas, et vot saier se ly venyn astoit vraie ; si en mist en la viande son marit, qui tantoist que ilh en oit gosteit morit.

[Antipater entreprend de punir son père] Ce poison, Antipater le porta à la femme de son oncle Phéroras en la chargeant de le faire absorber par Hérode. Elle lui répondit qu’elle le ferait volontiers. Sur ce, Antipater partit à Rome. Sachez cependant qu’ils ne procédèrent ni bien ni très sagement, car une chambrière de l'épouse de Phéroras les aperçut. Elle vit Antipater donner la boîte et l'entendit [p. 364] faire sa requête. Alors la femme de Phéroras se décida et voulut tester l’efficacité du venin ; elle en mit dans la nourriture de son mari, qui mourut aussitôt après y avoir goûté.

 

Troïlus, duc de Gaule - Enfance de Jésus au Castel d'Orient - Le miracle du teinturier (6)

 

[p. 364] [L'an VI] Item, l’an VI del incarnation, en mois d’avrilh, le XIIIe jour, morut Franco, ly dus de Galle ; si regnat son fis apres luy, qui oit nom Trojolus, lyqueils regnat XXIX ans.

[p. 364] [An 6] En l'an six de l'incarnation, le treizième jour du mois d'avril, mourut Franco, le duc de Gaule ; son fils, qui avait pour nom Troïlus lui succéda et régna durant vingt-neuf ans.

 [De pomier que Jhesus fist croitre] Item, en cel an meismes, le IXe jour de may, qui astoit en mardit, avient que Jhesus ly enfes, awec luy Johans-Baptiste et plusieurs aultres jovenes enfans, aloient joweir ensemble aux champs. Se avient que ilh passoient parmy une rue, où ilh demoroit I tintenirs de draps qui tindoit à chi jour ; et avoit ses cuwes mises et tot apparelhiet por tindre les draps qui là gisoient, et astoit aleis en son jardin coupeir une vergelet de quoy ilh avoit mestier entour son ovraige, si astoit sa maison seule demorée. Et Jhesus vat dedens entreir awec Johans-Baptiste, si ont pris tous les draps et les ont jetteis en la choudier ; mains ly tinteniers y sourvient, qui n'en fist point de fieste, car ilh ne voloit mie jetteir tous ses draps en une choudier, car ilh les voloit tindre en diverses coleurs. Et portant ilh fut si corochiés que ilh prist I cutuel, se le lanchat vers Jhesum ; mains li cutuel ferit en unc peron de marbre, et oussitost ilh issit de peron en droit lieu où li cuteal tochat, un beal pomier vers et floris, si poissans qu'ilh awist XX ans que ons l'awist planteit.

[Le pommier que fait pousser Jésus] Cette même année, le 9 mai, qui était un mardi, l’Enfant-Jésus, accompagné de Jean-Baptiste et de plusieurs autres jeunes enfants, étaient sortis ensemble pour jouer dans les champs. Par hasard, ils passèrent par une rue, où demeurait un teinturier, occupé ce jour-là à teindre des draps. L'homme avait bien disposé ses cuves et tout préparé pour teindre les draps qui étaient entassés là ; puis il était allé dans son jardin couper une baguette dont il avait besoin pour son travail. Sa maison était restée sans surveillance. Jésus y entra avec Jean-Baptiste ; ils prirent tous les draps et les jetèrent dans le chaudron. Quand le teinturier revint, il ne fut pas content : il n’avait pas l’intention de mettre tous les draps dans un seul chaudron, car il voulait les teindre en différentes couleurs. Cela le mit tellement en colère qu’il prit un couteau et le lança sur Jésus, mais le couteau frappa un bloc de marbre, duquel sortit aussitôt, à l’endroit exact de l’impact, un beau pommier vert et fleuri, robuste comme s’il avait été planté vingt ans plus tôt.

[p. 364] [Myracle des draps de teintenier] Quant li tinleniers veit chu, si fut mult esbahis, et puis corit vers sa chaidire, si en oistat ses draps que Jhesus y avoit jetteit, qui astoient tous tiens et coloreis de diverses coloires, teiles com li tinteniers les demandoit ; si en oit grant mervelhe, si appellat ses voisiens et leur dest chu que li astoit avenus, et ilh dessent que chu faisoit Jhesus, ly fis Marie. Por cheli myracle portarent les Juys grant honneur à l'enfant, et disoient ypluseurs que ilh astoit le fis de Dieu omnipotent.

[p. 364] [Miracle des draps du teinturier] Quand le teinturier vit cela, il fut tout ébahi. Il courut à son chaudron, en retira les draps que Jésus y avait jetés et ils étaient tous teints et colorés de couleurs différentes, exactement comme il le voulait. Le teinturier, grandement émerveillé, appela ses voisins et leur expliqua ce qui était arrivé. Et ceux-ci racontèrent ce que faisait Jésus le fils de Marie. Suite à ce miracle, les Juifs rendirent beaucoup d’honneurs à l’enfant. Nombreux étaient ceux qui disaient qu’il était le fils de Dieu tout puissant.

 

Hérode et l'affaire du poison : rôle de sa belle-soeur, veuve de Phéroras - Haine de Hérode pour Antipater (6)

 

[p. 364] [L'an VI] [De Herode et de la femme Ferolas] En cel an meismes, en mois de june, avient que la femme Ferolas soy corochat à sa chambriere, et si fort que sa chambriere soy partit et alat à Herode, et li comptat de venyn comment ilh en astoit. Atant envoiat quere Herode son seroge, et li commendat [p. 365] qu'elle rendist le venyn. Et cel repondit qu'elle n'en savoit riens. Atant jurat Herode, s'elle ne le rendoit, qu'ilh le feroit ochire. De chu fut la damme mult enbahie, car el savoit bien, s'elh le rendoit ou non, elle y moroit ; se s'apensat qu'elle li diroit que el l'iroit quiere, se soy tueroit en la voie. Se li dest, puisqu'ilh li plaisoit, elle l'iroit quere, et Herode envoiat awec lée grant compangnie de gens qu'elle ne s'enfuist.

[p. 364] [An 6] [Hérode et la femme de Phéroras] En cette même année, en juin, l'épouse de Phéroras se fâcha très fort contre sa chambrière, qui aussitôt alla raconter à Hérode ce qu'elle savait du poison. Sur ce, Hérode envoya chercher sa belle-sœur et lui ordonna [p. 365] de lui remettre ce poison. Elle répondit qu'elle ne savait rien, mais Hérode jura que, si elle ne le lui rendait pas, il la ferait mettre à mort. La dame eut terriblement peur, sachant qu'elle mourrait, qu'elle rende ou non le poison. Elle imagina donc de dire à Hérode qu'elle irait le chercher mais se tuerait en chemin. Puisque il l'exigeait, lui dit-elle, elle irait chercher le poison. Hérode la fit accompagner par de nombreuses personnes, pour l'empêcher de prendre la fuite.

Atant en allat la damme, si montat sor I halt degreis en sa maison, et prent del regardeir d'avale les degreis, en pensant qu'ilh valoit mies qu'elle-meisme soy tuast, que chu que Herode le fesist morir de plus terrible mort. Si jont les pieds et salt chàs jus, si soy debrisat tous les membres ; mais cheaux qui le devoient gardeir le prisent et l'aportarent devant Herode ; se parlat et li dest en teile manere : « Sire, mon mari Ferolas, vostre frere, quant ilh duit alleir morir, ilh moy priat que je ardisse la boiste atout le venyen, en teile manere que Antipater moy l'avoit balhiet, et je ly oy en convent ; mains je ne le fis mie, ains en retieng I pou en aventure, portant que je ne savoie que ilh moy astoit à advenir. » Et quant elle oit chu dit, si trait de son sain une fiolete de voile où li venyn astoit, puis le donnat à Herode. Ches mensongnes dest la damme, portant qu'elle volloit Ferolas son marit ablameir qui mors astoit ; car ilh n'en soit oncques rien de chu qu'elle dest, ains avoit luy-meismes esteit evinemeis de cheluy venyn, si qu'ilh en morut.

La dame partit mais, une fois dans sa demeure tout en haut d'un escalier, elle se mit à regarder les marches en aval, en pensant qu'il valait mieux pour elle de se suicider plutôt que de laisser Hérode la faire mourir de la mort la plus terrible. Elle joignit alors les pieds, sauta en bas et se brisa tous les membres. Ceux qui devaient la surveiller la ramassèrent et la portèrent à Hérode. Elle lui dit : « Sire, mon mari Phéroras, votre frère, sur le point de mourir, m'a demandé de brûler le récipient avec tout le poison que m'avait remis Antipater. Je lui ai donné mon accord, mais sans le respecter. J'ai conservé un peu de poison, à tout hasard, ne sachant pas ce qui allait m'arriver. » Et après avoir dit cela, elle retira de son corsage une fiole de verre, qui contenait le poison, et la donna à Hérode. Cette dame inventait ces mensonges, en voulant accuser Phéroras, qui était mort ; ce Phéroras ne sut jamais rien de ce qu'elle prétendit, puisqu'il avait été empoisonné lui-même par ce venin et en était mort.

[p. 365] [Herode prent son fils Antipater en grant hayme] Et Herode veit coment Antipater, son fis, li procuroit sa mort, et en mult de manere esprovat sa malvaisteit ; et porchu le prist Herode en si grant hayme que ilh soy partit de Dolside, la mere Antipater, et jurat que Antipater en seroit mors.

[p. 365] [Hérode prend en haine son fils Antipater] Hérode constata comment son fils Antipater cherchait à le faire mourir et éprouva sa malveillance à maintes reprises ; c'est pourquoi il le prit en si grande haine, qu'il se sépara de Doris, la mère d'Antipater, et jura qu'il le ferait mourir.

 

Fin du séjour de Jésus au Castel d'Orient : Dernier miracle de Jésus enfant - Rencontre avec Satan (6)

 

[p. 365] [De Jhesu comment il chevalchat sur un rée de soleal] En cel an meismes, en mois de june deseurdit, astoit Jhesus aleis joweir aux champs awec Johans-Baptiste et bien cent aultres petis enfans ; se soy sont assis defours les murs de casteal d'Orient entres les arbres en unc jardin, et ly soleal luisoit beal et chaut, sicom ilh afferoit à cel temps, si jettoit ses rées grans et clers. Adont montat Jhesus sour unc arbre ramut, parmy lequeile les rées de soleal trespassoient ; atant salhit Jhesus sus le rée de soleal, et le commenchat à chevalchier en teile manere com chu fust unc marien de bois. Quant Jacob, le fis de [p. 366] prevost, veit chu, si vot enssi faire et chevalchier le rée de solea. Atant est-ilh monteit sour I arbre, et voit I rée qui deleis ly aparoit et radissoit ; si est desus salhis, mains tantoist que ilh perdit l'arbre ilh chayt à terre, et point le rée de solea ne le sourtient. De chu fut Johans-Baptiste liies, portant que devant chu l'avoit butteit en la fontaine, enssi com dit est.

[p. 365] [An 6] [Comment Jésus chevaucha un rayon de soleil] En cette même année, au mois de juin, Jésus était allé jouer dans les champs avec Jean-Baptiste et au moins cent autres petits enfants. Ils étaient assis en dehors des murs du Castel d’Orient, sous les arbres d’un jardin. Le soleil luisait, beau et chaud, comme d’habitude à cette saison, et il lançait de grands rayons lumineux. Jésus monta alors dans les branches d'un arbre que traversaient les rayons du soleil. Il sauta sur l'un d'entre eux et commença à le chevaucher, comme s’il s’était agi d’un morceau de bois. Quand Jacob, le fils du [p. 366] prévôt, vit cela, il voulut faire la même chose. Il monta sur un arbre, et quand il vit près de lui un rayon brillant, il sauta dessus. Mais dès qu’il eut quitté l’arbre, il tomba par terre, car le rayon de soleil ne le soutenait pas. Jean-Baptiste se réjouit de cette mésaventure. On se souviendra que c'était ce Jacob qui l’avait poussé dans la fontaine (p. 363).

[Jacob chayt et fust garit] A cel cheioir que Jacob fist ilh chayt sour son bras, sique ilh le brisat. Adont commenchat fortement à crier, et disoit : « Jhesus, Jhesus, por Dieu merchi ! je sçay bien que tantoist m'areis garit, se ilh vos plaist. » Atant est Jhesus descendus et prent Jacob par le main, se le lieve sus sains et haities. Quant les aultres enfans ont chu veyut, si sont alleis en casteal et ont tout chu racompteis aux Juys, et por chu l'honoront plus les Juys com devant.

[Jacob tomba et fut guéri] Lors de sa chute, Jacob tomba sur son bras et le brisa. Il se mit alors à crier très fort : « Jésus, Jésus, par Dieu, pitié ! Je sais que tu me guériras immédiatement si cela te plaît. » Alors Jésus descend, prend Jacob par la main et le relève sain et bien portant. Quand les autres enfants virent cela, ils allèrent au Castel et racontèrent tout aux Juifs. Et ces derniers, à la suite de cela, honorèrent Jésus encore davantage.

[p. 366] L’an VI] [Jhesus encontrat le dyable] Item, l'an deseurdit, le quars jour de jule, avient que Jhesus soy partit de sa mere sainte Marie, et s'en alloit. Si encontrat en sa voie le dyable Sathanas ; mains oussitoist que Jhesus le veit, se l'at bien recognut. Et ly dyable vient deleis luy, se le prist et l'emportat sour une hault montangne, et là ly monstrat-ilh le paiis tout altour et li dest : « Se tu volois croire en moy et aoreir et tenir à sangnour, je toy donroy tout chi paiis que tu vois. » – « Foux, dist Jhesus, tu es trop orgulheux ; porquoy vues-tu que je tu aoire, com je suy ton saingnour, et tu es mon sierf ? Tu es trop felons, quant tu m'as enssi tempteis, mains je croie que tu ne seis cuy je suy.»

[p. 366] [An 6] [Jésus rencontre le diable] Cette même année, le 4 juillet, Jésus quitta sa mère sainte Marie, et s’en alla. Sur son chemin, il rencontra le diable Satan. Mais aussitôt que Jésus le vit, il le reconnut parfaitement. Alors le diable s’approcha de lui, le prit et l’emporta sur une haute montagne. Puis, lui montrant le pays tout autour, lui dit : « Si tu voulais croire en moi, m’adorer et me considérer comme ton seigneur, je te donnerais tout le pays que tu vois ». – « Fou, dit Jésus, tu es trop orgueilleux, pourquoi veux-tu que je t’adore, puisque je suis ton seigneur et toi mon serviteur ? Tu es trop perfide de m'avoir tenté ainsi, mais, à mon avis, tu ne sais pas qui je suis ».

Respont ly dyable : « Je le sçay mult bien, tu es li fis Marie. » Et dest Jhesus : « Tu cognos bien ma mere, mains bien ne sceis-tu qui est mon pere fours que Dieu. » Dest Sathanas : « Ton pere est Joseph, li vies enchanteur. » Adont dest Jhesus : « Tu ne sceis que tu dis, faux glos ; je toy commande que tu m'enreporte de chesti montangne où tu m'as jà tenus XL jours, car je ay fain, se veulhe mangier. »

Le diable répondit : « Je sais très bien qui tu es. Tu es le fils de Marie ». Et Jésus lui dit : « Tu connais bien ma mère, mais tu ignores que mon père n’est autre que Dieu ». Satan dit : « Ton père est Joseph, le vieux magicien ». Alors Jésus dit : « Tu ne sais pas ce que tu dis, misérable fourbe ; je t’ordonne de m’emporter loin de cette montagne, où tu m’as déjà retenu quarante jours, car j’ai faim et je veux manger ».

Quant Sathanas entendit Jhesus, se le prist et le portat sour une altre montangne, où ilh li monstrat les pires et dist : « Se tu es li fis de Dieu, se fais que ches pires soient pain, se mangnois, si poras ton fain del tout perdre. » Adont dest Jhesus : « Sathanas, maile aies-tu, car poior n'as-tu de moy à tempteir ; ains convenrat que tu moy serve et aoire, et je te commande que tu t'en [p. 367] vois arire. »

Quand Satan entendit Jésus, il le prit et l’emporta sur une autre montagne, dont il lui montra les pierres en disant : « Si tu es le fils de Dieu, fais que ces pierres deviennent du pain, et mange-les ; ainsi ta faim pourra disparaître tout à fait. » Alors Jésus dit : « Malheur à toi, Satan, car tu n’as pas le pouvoir de me tenter ; il faudra maintenant que tu me serves et m’adores. Je t’ordonne de reculer [p. 367] et de t’en aller ».

Tantost s'en alat Sathanas, qui plus avant n'oisat demoreir, et laisat Jhesum sour la montangne ; mains les sains angeles vinrent qui le reportarent en casteal d'Orient, où sa mere astoit fortement esmaiet, portant qu'elle ne le poioit retroveir. Et quant elle le veit, si fut grandement joiante et liie, et ly fut dedont en avant defendut del issir de casteal ; se n'alat plus joweir awec lez petis enfans.

Aussitôt Satan se retira ; il n’osait rester davantage et laissa Jésus sur la montagne, mais des anges vinrent qui le ramenèrent au Castel d’Orient, où sa mère était très angoissée de ne pouvoir le retrouver. Quand elle le vit, elle fut grandement contente et heureuse. Elle lui défendit dorénavant de sortir du Castel et il n’alla plus jouer avec les petits enfants.

 

Mort d'Hérode et avènement d'Archélaüs : Hérode fait emprisonner Antipater et ses partisans, mais tombe malade - Cruauté persistante d'Hérode malgré l'aggravation de sa santé et les ultimes soins prodigués - Exécution d'Antipater et mort d'Hérode - Honneurs funèbres à Hérode et avènement d'Archélaüs (6)

 

[p. 367] [Herode appelle Antipater de trahison] [Herode chayt en grant maladie] En cel an, en septembre, revient Antipater de Romme. Quant Herode le veit, se l'apellat de si grant trahison com de sa mort procureir qui astoit son pere ; et là astoient les plus grans et saiges de sa terre, et y astoit Varrus ly I des peires de Romme, qui à cel temps astoit prinche de Surie. Là fut teilement parleit, que Antipater fut accuseit de ladit malvaisteit, et le fist Herode prendre et enmyneir en sa prison, com ons nommoit à Bericonte. Adont fist Herode prendre tous cheaux qui portoient faveur à son fil, por faire morir awec luy ; mains enssy que ons les devoit alleir querir, chaiit Herode en une maladie qui li destoublat toute sa volenteit à faire ; et oussi ilh astoit asseis vies, car ilh avoit d'eaige LXX ans ; et oussi ly duelh et les annoiez qu’ilh avoit oyut par maintes fois l'avoient grandement avilhit et afflaibit. Nuls ne poroit dire que Herode astoit grandement malaide, car ilh sembloit qu’ilh morit X ou XII fois le jour.

[p. 367] [Hérode accuse Antipater de trahison] [Hérode tombe gravement malade] Au cours de cette année, en septembre, Antipater revint de Rome. Quand Hérode le vit, en présence d'une assemblée des plus notables et des plus sages du pays, il l’accusa de haute trahison, en l'occurrence de chercher à le faire mourir, lui son père. Varus, un sénateur de Rome, prince de Syrie à l’époque, était également présent. Après de longues discussions, Antipater fut finalement accusé de cette infamie. Hérode le fit alors arrêter et emmener dans sa prison, à Bériconte, comme on l'appelait. Le roi fit aussi arrêter tous les partisans de son fils, pour les faire mourir avec lui. Mais, tandis qu’on devait aller les chercher, Hérode fut atteint d’une maladie qui entrava toute sa volonté. Il était très vieux, âgé de plus de soixante-dix ans, fortement usé et affaibli par les nombreuses souffrances et les ennuis de sa vie. On ne pourrait même pas dire qu’Hérode était gravement malade : on le croyait mort dix ou douze fois par jour.

[p. 367] [Herode fist ardre mult de son peuple] A cel temps avoit en Jherusalem dois Juys qui mult soy faisoient saiges de la loy. Quant ilhs veirent que Herode astoit si grandement malaides, ilh prisent avec eaux grant compangnie des Juys, si alarent al temple et abatirent à cordes une aygele dorée que Herode avoit mys sour le grant porte del temple en l'honeur des Romans ; et disoient qu’ilh n'y devoit pais y estre, car chu astoit contre Dieu et leur loy. Quant Herode le soit, si en prist teile coroche en luy qu'ilh obliat tout son maladie, et dest que tous cheaux de la citeit comparoient le meffait. Quant li peuple soit chu, si alèrent à luy priier merchi por Dieu qu'ilh ne comparassent aultruy meffait, mains cheaux qui avoient fait la folie le comparassent. Adont fist Herode prendre les dois maistres et tous cheaux [p. 368] qui chu avoient fait, et se les fist trestous ardre.

[p. 367] [Hérode fait brûler beaucoup de ses sujets] À cette époque, à Jérusalem, deux Juifs passaient pour de grands docteurs de la loi. Quand ils virent qu’Hérode était si gravement malade, ils emmenèrent avec eux un grand nombre de Juifs, se rendirent au Temple et abattirent avec des cordes un aigle doré qu’Hérode avait placé sur la grande porte en l’honneur des Romains. Ces Juifs disaient que cet aigle ne devait pas être là, car c’était contraire à Dieu et à leur loi. En apprenant cela, Hérode éprouva un tel courroux qu’il en oublia tout à fait sa maladie. Il dit que tous les habitants de la cité expieraient le méfait. Quand cela se sut, les gens allèrent implorer sa pitié, au nom de Dieu, pour demander que ce ne soit pas eux qui expient ce crime, mais les auteurs de cette folie. Alors Hérode fit arrêter les deux docteurs et brûler tous [p. 368] les coupables (p. 332).

[Le venganche que Dieu prist de Herode] Et quant ilh oit chu fait, si soy recuchat plus griefement malaide qu'en devant, et li prisent pluseurs maladies, car ilh avoit les fievres quartaines, et astoit si plains de rongnes que nuls ne le saroit dire, et avoit les piés et les mains si enflées que ch'astoit mervelhe ; et avoit I altre maladie qui li purissoit tout son fondement, et si avoit unc si doloreuse tousse qu'ilh sembloit, quant ilh li prendoit, que toutes les entralhes li rompissent. Teile venganche prendoit Dieu de Herode, por les malvaisteit et fellonies qu'ilh avoit faite en sa vie.

[La vengeance de Dieu sur Hérode] Après cela, il se recoucha, plus gravement malade qu’avant. Il souffrait de plusieurs maux : il avait la fièvre quarte ; il était plein de démangeaisons impossibles à décrire ; il avait les pieds et les mains très enflés ; une autre maladie lui pourrissait tout le fondement ; il avait une toux très douloureuse et, quand cela le prenait, on aurait cru que toutes ses entrailles se rompaient. Telle était la vengeance de Dieu sur Hérode pour toutes les méchancetés et les trahisons qu’il avait accomplies durant sa vie.

Quant Herode veit qu'ilh ne garisseroit mie, se mandat tous les maistres fesechiens qu'ilh savoit, et quant ilhs furent venus, ilh emplirent une cuve d'oile ne trop chaut ne trop froid, puis misent Herode par-dedens por bangnier ; mains enssi com ilh seioit en l'oyle, se li defalit ly cuer et son poioir de tout son corps, si qu'ilh ne poioit traire à ly ne piés ne mains, et si sembloit que ilh fuist mors, car ilh ne poioit le oeux ovrir, ains les avoit tous tourneis en la tieste. Et quant ses servans veirent chu, ilh commencharent à crier, car ilhs quidarent qu'ilh fust mors ; mains quant ilh oiit le cry, si ovrit ses oeux, et les regar ; et fut mys four de la cuve, et se soy fist porteir en Jerico por gesir plus paisieblement.

Quand Hérode vit qu’il ne guérissait pas, il convoqua tous les maîtres médecins qu’il connaissait. Une fois venus, ceux-ci emplirent une cuve d’huile, ni trop chaude ni trop froide, où ils placèrent Hérode pour un bain. Mais tandis qu’il était assis dans l’huile, son cœur et toute la force de son corps vinrent à défaillir, au point qu’il ne pouvait plus bouger ni pieds ni mains, et paraissait mort. Il ne pouvait plus ouvrir les yeux qu’il avait tout révulsés. À cette vue, ses serviteurs commencèrent à crier, car ils le croyaient mort. Mais lui, en entendant ce cri, ouvrit les yeux et regarda autour de lui. Il fut sorti de la cuve et il se fit transporter à Jéricho, pour y reposer plus paisiblement.

[Herode fist tous les fis hauls barons mettre en prisons] Apres chu fut dit à Herode que les Juys avoient joie de son maladie, et ratendoient le jour de sa mort por faire joie et grant fieste par toute la terre. Quant Herode oiit chu, ilh fist tous les fis des hauls barons de Judée mettre en prison en la chartre d'Ocerne, puis commandat à Salomé sa soreur que, tantoist que ilh seroit mors, elle les fesist tous decolleir ; car ilh voloit que ons fesist doeulh par tout sa terre de Judée le jour de sa mort, car ilh savoit bien que ses gens ne ploroient mie pour ly, si feroient duelh por leurs enfans et leurs amis.

[Hérode fait emprisonner tous les fils des hauts barons] Après cela, on dit à Hérode que les Juifs étaient heureux de sa maladie et qu'ils attendaient le jour de sa mort pour manifester leur joie et faire la fête dans tout le pays. À ces paroles, Hérode fit jeter tous les fils des hauts barons de Judée dans la prison d’Ocerne. Il ordonna à sa sœur Salomé de les faire tous décapiter immédiatement après sa mort, car il voulait que toute sa terre de Judée soit en deuil le jour de sa mort. Il savait bien que ses sujets ne pleureraient pas sur lui, mais feraient le deuil de leurs enfants et de leurs amis.

[p. 368] En cel an meismes, en decembre, vinrent dois messagiers de Romme en Jerico, où Herode les avoit envoyet, por savoir à August Cesar qu'ilh feroit de Antipater son fis qui le voloit empuisoneir. Ches dois messagiers dessent à Herode que ly emperere ly mandoit qu'ilh en fesist son plaisier, de luy ochire ou envoyer en exilhe.

[p. 368] En décembre de cette même année, deux messagers de Rome arrivèrent à Jéricho. Hérode les y avait envoyés pour demander à César Auguste ce qu'il devait faire de son fils Antipater, qui voulait l’empoisonner. Les deux messagers dirent à Hérode que l’empereur le laissait libre d’agir à sa guise, soit en le tuant, soit en l’exilant.

[p. 369] Quant Herode oiit chu, si fut I pou plus aise, car ilh n'amoit mie son fis. Atant demandat Herode à mangnier, et ons ly donnat une pomme, car ilh ne mangnoit riens tant volentier que pommes, et commenchat la pomme à pelleir d'on cutel. Enssi qu'ilh paroit la pomme, se li prist son gran tousse si angousseuxment qu'ilh sembloit qu'ilh dewist estindre ; si hauche le cutel et soy volt ferir parmy ses costeis, quant unc sien cusien qui le gardoit ly oistat. Adont palmat Herode de la grant angosse de chi tousse, sy que ons quidat qu'ilh fuisse mors, si soy levat le cris par le palais que ilh astoit mors.

[p. 369] À cette nouvelle, Hérode fut un peu plus à l’aise, car il n’aimait pas son fils. Il demanda alors à manger. On lui donna une pomme, car il ne mangeait rien plus volontiers que des pommes. Il commença à la peler avec un couteau. Mais tandis qu’il la préparait, sa forte toux le reprit, l'oppressant tellement qu’il semblait près de mourir. Il leva alors le couteau et voulut se l’enfoncer dans les côtes, quand un sien cousin qui le veillait le lui ôta. Hérode alors s’évanouit, oppressé par cette toux à tel point qu’on le crut mort. Et alors, à travers le palais, un cri s’éleva annonçant qu’il était mort.

[Herode fist ochire Antipater] Cheluy cry oiit Antipater en la prison où ilh astoit, si en oit grant joie. Atant appellat le gardeir del prison qui le gardoit, et li dest que ilh ly donroit tant d'avoir que jamais ne seroit povre, s'ilh le volloit laissier fours de la prison ; mains chis ne le vot point faire, et dest que par luy n'en enseroit jà, jusqu'à tant qu'ilh saroit por certain se Herode astoit mors ou nom. Tant allat celle parolle, que Herode en soit parleir ; si fut corochiés de chu que son fis faisoit joie de maul qu'ilh soffroit si gran, puis commandat Herode qu'ilh fuist amyneis devant luy, et ilh ly fist tantoist coupeir la tieste et fist porteir son corps en Hircaine ; là fut-ilh ensevelis. Apres la mort Antipater, envoiat Herode quere Archelaus, qui anneis astoit de ses trois fis qu’ilh avoit encors en vie. Et quant ilh fut venus, veiant tous les Juys, ilh le estaublit que ilh seroit roy apres sa mort ; mains ilh ly fist jureir qu'ilh ne seroit coroneis, jusqu'à tant que ilh auroit esteit à Romme releveir la terre de Augustus.

[Hérode fait tuer Antipater] Dans la prison où il se trouvait, Antipater entendit ce cri et en éprouva grande joie. Il appela son gardien et lui dit que, s’il acceptait de le laisser sortir, il lui donnerait tellement d’argent que jamais il ne connaîtrait la pauvreté. Mais celui-ci refusa, disant qu’il ne le laisserait sortir que lorsqu'il serait certain de la mort d’Hérode. Ces paroles se propagèrent et arrivèrent aux oreilles d'Hérode. Irrité de ce que son fils se réjouissait des terribles souffrances qu’il endurait, il ordonna qu’on lui amène Antipater. Il lui fit aussitôt couper la tête et transporter son corps dans la forteresse d'Hyrcanion, où il fut enseveli. Après la mort d’Antipater, Hérode envoya chercher Archélaüs, l’aîné des trois fils en vie qu’il avait encore. Et quand Archélaüs fut arrivé, Hérode, en présence de tous les Juifs, décréta qu’il serait roi après sa mort. Il lui fit toutefois jurer de ne pas se faire couronner, avant d’être allé à Rome recevoir son trône d’Auguste.

[La mors Herode] Puis ne visquat Herode que V jours apres la mort Antipater, et à VIe morit-ilh, en le XXVIIe année qu'ilh avoit esteit coroneit roy de Judée. Apres la mort Herode, Salomé sa soreur jettat fours de prisons tous les enfans des hauls barons qui Herode avoit faite enprisonneir, enssi com dit est par-desus.

[La mort d’Hérode] Hérode ne vécut plus que cinq jours après la mort d’Antipater. Il mourut le sixième jour, la vingt-septième année de son couronnement comme roi de Judée. Après la mort d’Hérode, sa sœur Salomé fit sortir de prison tous les enfants des hauts barons qu’Hérode avait fait emprisonner, comme on l'a dit plus haut (p. 368).

[p. 369] [De Archelaus roy] Adont mandat Archelaus tous ses barons, et, quant ilh furent venus, se fist mult grant duelh et grant plainte de la mort son pere Herode, puis embasmat et aournat son corps mult richement et honorablement, com corps de roy doit eistre pareis ; et puis le fist porteir en casteal Herodian, là le fist ensevelir, et fist mettre sour lui une tombe royale. Et demorat Archelaus là VII [p. 370] jours, et retient awec luy tous cheaux qui furent awec luy al corps de son pere ensevelir, à ses frais et à ses despens, tant que les VII jours duront ; teile astoit adont la constumme. Mult sagement soy mentenoit Archelaus ; si portat grant honneur à ses barons, et donnat à pluseurs povres bachelers des beaux dons ; et tant fist-ilh qu'ilh acquist l'amour de tous ses hommes.

[p. 369] [Archélaüs roi] Alors Archélaüs convoqua tous ses barons. À leur arrivée, il manifesta une grande douleur et pleura beaucoup la mort de son père Hérode. Il fit embaumer et parer très richement son corps, lui rendant beaucoup d’honneurs, comme cela convient pour la dépouille d’un roi. Il le fit transporter au château d’Hérodion (p. 272 et p. 333), l’y fit ensevelir et éleva en son honneur une tombe royale. Archélaüs demeura là sept [p. 370] jours, pendant lesquels il retint près de lui, à ses frais et à ses dépens, tous ceux qui étaient venus ensevelir à ses côtés la dépouille de son père. C'était la coutume. Archélaüs se comporta très sagement. Il honora beaucoup ses barons, offrit des dons importants à plusieurs bacheliers pauvres et, par sa façon d'agir, s'acquit l’amour de son peuple.

[Archelaus tou blan vestus com roy novel] Et apres les VII jours ilh s'en alat al temple vestus d'unne robe tout blanche, et là le rechuit son peuple à mult grant joie. Et disoit cascon : « A bien soit venus nostre sire le roy. » Atant l'ont assis sour une chayer tout dorée ; et puis leur dest qu'ilh ne voloit mie eistre clameis roy, ne estre coroneis, jusqu'à tant que Augustus Cesaire li metteroit sour son chief la coronne.

[Archélaüs nouveau roi, tout de blanc vêtu] Après les sept jours, Archélaüs, vêtu d’une robe toute blanche, se rendit au Temple où son peuple le reçut dans la liesse générale. Et chacun disait : « Bienvenue à notre sire le roi. » Puis ils l’installèrent sur une chaire toute dorée. Alors il leur dit qu’il ne voulait pas être proclamé roi ni être couronné avant qu’Auguste César ne lui ait posé la couronne sur la tête.

Item, quant ses gens li requeroient alcunne fois d'auconne chouse, ilh les otrioit mult douchement, sicom chis qui se voloit enforchire de acquere l'amour de son peuple, car ilh savoit bien qu'ilh ne poroit longement dureir, se ilh ne les detenoit à son amour ; et partant soy enpenat mult de eaux à atraire jusqu'à tant qu'ilh en fuist al deseure.

Quand ses sujets lui présentaient quelque requête, il la leur accordait avec bienveillance, comme s’il voulait s’efforcer de gagner l’amour de son peuple. Il savait bien en effet qu’il ne pourrait pas rester longtemps sur le trône, s’il ne s'attachait pas le peuple de cette façon. C’est pourquoi il se mettait tellement en peine pour s'en attirer les faveurs jusqu’à ce qu'il soit installé au sommet.

 

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