[Extrait de Folia Electronica Classica, t. 28, juillet décembre 2014]

 

 

L’Évangile selon Jean d’Outremeuse (XIVe s.)

 

Autour de la Naissance du Christ (Myreur, I, p. 307-347 passim)

 

Texte original et traduction française

 

par

 

Jacques Poucet

Membre de l’Académie royale de Belgique

Professeur émérite de l’Université de Louvain

<jacques.poucet@skynet.be>

 


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Comme le précise la page d’accueil, les textes du Myreur des Histors examinés dans cet article et intitulés « Autour de la Naissance du Christ » concernent d’une part l’histoire de Marie et de sa famille avant la naissance du Christ, et d’autre part la Nativité et les récits en rapport avec elle. En réalité, toutes les pages de 307 à 347 de Myreur I, n’ont pas été utilisées, ce qui nécessite quelques mots d’explication.

Jean d’Outremeuse, qui présente son oeuvre comme une chronique, l’organise selon un procédé de type annalistique. Cette manière de faire place le commentateur moderne qui travaille par thèmes dans une situation particulière que nous avons déjà rencontrée dans des études précédentes, notamment sur Le Virgile de Jean d'Outremeuse (FEC, 22, 2011) et sur la Fuite de la Sainte Famille en Égypte (FEC, 28, 2014). C’est que souvent la matière relevant d’un sujet précis n’est pas présentée dans Ly Myreur en un seul bloc mais en diverses sections qui peuvent même être séparées les unes des autres par le récit d’événements plus ou moins contemporains et qui n’ont rien à voir avec elle. Dans le présent article aussi, nous devrons regrouper des membra disiecta, ce qui explique le passim du titre. Nous nous expliquerons plus longuement sur ce point au début du premier chapitre de notre commentaire.

Quoi qu’il en soit, les passages retenus proviennent de l’édition d’Adolphe Borgnet : Ly Myreur des Histors. Chronique de Jean des Preis dit d'Outremeuse, Bruxelles, t. 1, 1864, 684 p. (Publications de la Commission Royale d'Histoire de Belgique. Collection des chroniques belges inédites. Corps des chroniques liégeoises). Le texte en a été retranscrit par nos soins, aussi fidèlement que possible, sans que nous ayons cru devoir vérifier les deux manuscrits (A et B) sur lesquels il repose. Nous avons aussi divisé la matière en neuf chapitres, en leur donnant des titres. Les voici, suivis, entre parenthèses, des pages du Myreur auxquelles ils correspondent :

 

      Marie avant la Nativité

- Ch. 1. Sa parenté (notamment Élisabeth), sa naissance, sa petite enfance (Myreur, I, p. 307-308, 329, 335-336)

- Ch. 2. Considérations chronologiques (Myreur, I, p. 336-337)

- Ch. 3. L’Annonciation et la virginité de Marie (Myreur, I, p. 337-339)

- Ch. 4. Les Épousailles de Marie et de Joseph (Myreur, I, p. 339-340)

- Ch. 5. La Visitation et Jean Baptiste (Myreur, I, p. 340-341)

 

      La Nativité

- Ch. 6. Bethléem : recensement, naissance, miracles (Myreur, I, p. 341-344)

- Ch. 7. Après la naissance de Jésus (Myreur, I, p. 344-345)

- Ch. 8. Les Rois Mages (Myreur, I, p. 345-347)

- Ch. 9. La Présentation au Temple et le vieillard Siméon (Myreur, I, p. 347)

 

Ces passages sont accompagnés d’une traduction personnelle. La présentation du texte et de la traduction respecte cette division. Chaque chapitre correspond à un fichier du commentaire. Ce dernier est publié en deux parties. Le commentaire des cinq premiers chapitres se trouve ici (dans les Folia Electronica Classica, 28, 2014), celui des quatre derniers dans le fascicule 30 des Folia Electronica Classica (2015).

*

 

Chapitre 1
Parenté, NAISSANCE, PETITE ENFANCE

 

[Comm]

 

La generation de sains Servais

De saint Johans Baptiste

Des parens la virge Marie et de sa naschence

La naissance de saint Servais

De saint Jean Baptiste

Des parents de la vierge Marie et de sa naissance

[p. 307, l. 1] En cel an meismes, le XIe jour de june, soy mariat Anne qui fut soreur à Esmarie charnel, filhe à Achar, de la lignie Juda, la mère Elizabeth et Eliud ; de Eliud, qui fut frere à Elizabeth, Emyb nasquit, et de Emyb nasquit sains Servais, qui fut evesque de Tongre ; le siege astoit seant à Treit sour Mouse.

(1) Le 11 juin de cette année-là (= 572) Anne se maria. C’était la sœur d’Émérie, fille d’Achar de la lignée de Judas. Émérie avait eu pour enfants Élisabeth et Éliud. D’Éliud, frère d’Élisabeth, naquit Émyb, et d’Émyb naquit saint Servais, qui fut évêque de Tongres, le siège étant à Maestricht.

(2) Item Elisabeth, la filhe Esmarie, oit Zacharie le prestre de la loy à marit, dont naquit saint Johan-Baptiste en Jherusalem.

(2) Élisabeth, la fille d’Émérie, eut pour époux Zacharie, prêtre de la loi, d’où naquit saint Jean Baptiste à Jérusalem.

(3) Et l’autre soreur ch’est sainte Anne, qui à jour deseurdit se mariat, et prist son promier marit Joachim, desqueis nasquit la benoite virgue Marie.

(3) L’autre sœur, qui est sainte Anne, se maria au jour précisé ci-dessus, et eut pour premier mari Joachim, d’où naquit la vierge bénie, Marie.

(4) Et quant Joachim fut trespasseis, si soy remariat Anne à Cleophas, et Marie sa fille esposat Joseph, frere à Cleophas. De cheli Cleophas et Anne, nasquit l’autre Marie, qui fut la femme Alphei, de quoy nasquit saint Jacque le Petis et Joseph ; et sa mere fut nommee Marie-Jaqueline, portant qu’elle fut mere à sains Jaque le Petit, et fut enssi appelée Marie-Joseph. Et porchu je le devise enssi por la diversiteit des ewangelistes, car enssi est-ilh nommée en l’ewangile de la messe de Nostre-Dame : Marie Cleophe.

(4) Quand Joachim fut mort, Anne se remaria avec Cléophas, et sa fille Marie épousa Joseph, le frère de Cléophas. De Cléophas et Anne, naquit l’autre Marie, qui épousa Alphée, de qui naquirent saint Jacques le Mineur et Joseph ; sa mère fut nommée Marie Jacques, parce qu’elle fut la mère de Jacques le Mineur, mais elle fut aussi appelée Marie Joseph. Et je dis cela à cause des divergences entre les évangélistes, car elle est nommée Marie Cléophas dans l’évangile de la messe de Notre-Dame.

(5) Et quant Cleophas fut deviés, si se remariat Anne à Salomé, de cuy naquit l’autre Marie, le femme Zebedei, le mere sains Johans ewangeliste et sains Jaque le Gran, qui gyst en Compostel. Et por chu est-ilh appelée Marie-Salomé et Marie Zebedei.

(5) Après la mort de Cléophas, Anne se remaria avec Salomé, de qui naquit l’autre Marie, l’épouse de Zébédée, mère de saint Jean l’Évangéliste et de saint Jacques le Majeur, celui qui repose à Compostelle. C’est pourquoi elle est appelée Marie Salomé et Marie de Zébédée.

(6) Enssi oit sainte Anne III barons, et de cascon oit une Marie et enssi furent trois Marie, dont la promiere fut la mere Jhesu-Crist, le salveur de tout le monde et les autres vos ay dit desus. […]

(6) Ainsi sainte Anne eut trois maris, et de chacun elle eut une Marie. Ainsi, il y eut trois Maries, dont la première fut la mère de Jésus-Christ, le sauveur du monde entier. Des deux autres Maries, je viens de vous parler. […]

La conception Nostre-Damme

La conception de Notre-Dame

[p. 308, l. 20] (7) En cel an meismes, le VIIIe jour de decembre, engenrat Joachim dedens le corps de sa femme sainte Anne la benoit virge Marie, mere à Jhesu-Crist, sicom vos oreis.

(7) En la même année (= 574), le 8 décembre, Joachim engendra, dans le corps de sa femme sainte Anne, la vierge bénie, Marie, mère de Jésus-Christ, comme vous l’entendrez.

(8) Chis proidhons Joachim issit de la royal lignie le roy David, qui descendit de la lignie Judas le fis Jacob ; et portant que pluseurs gens ne sevent mie dont ches lignies vinent, et que chu est à dire, si en voray I pau declareir par recapitulation. […]

(8) Cet homme sage est issu de la lignée royale du roi David, qui descendait de la lignée de Judas, fils de Jacob ; et du fait que plusieurs personnes ne savent pas d’où viennent ces lignées et ce qu’il y a à en dire, je voudrais vous faire un petit résumé. […]

La Nascenche Nostre-Dame sainte Marie

La Naissance de Notre-Dame sainte Marie

[p. 329, l. 2-5] (9) En cel année meisme, le VIIIe jour de mois de septembre, fut née la benoite virge Marie ; de laqueile nativiteit nos devons faire grant fieste et grant joie, car aultrement ne fussiens mie delivreis des grandes paines d’ynfeir. […]

(9) En cette même année (= 575), le 8 septembre naquit la bienheureuse Vierge Marie ; cette naissance, nous devons beaucoup la fêter et nous en réjouir, car sinon nous ne serions pas délivrés des grandes peines de l’enfer. […]

De Zacharie et Elisabeth

De Zacharie et Elisabeth

[p. 335, l .7 (10) Item, l'an del transmigration de Babylone Vc IIIIxx et IX, le XXIIII jour de mois de septembre, al XXle an del coronation le roy Herode, astoit I hons religieux, qui astoit priestre et faisoit à cel jour oblation en temple de Jherusalem : si astoit nommeis Zacharie, et sa femme astoit nommée Elizabeth ; et astoient mult vies, car cascons avoit bien cent ans d'eaige, si n'avoient oncques oyut enfans, car Elizabeth astoit brehangne, se ne poioit fructifiier. Et ne plaisoit mie à Dieu que ilh awist enfant, jusqu'à tant que temps sieroit por Iy.

(10) L’an 589 de l’exil de Babylone, le 24 septembre, la vingt et unième année après le couronnement du roi Hérode, un homme religieux, un prêtre, faisait ce jour-là une offrande dans le temple de Jérusalem ; il avait pour nom Zacharie et sa femme s’appelait Élisabeth ; ils étaient très vieux : en effet, ils avaient chacun au moins cent ans et  n’avaient jamais eu d’enfant parce qu’Élisabeth était stérile, et ne pouvait porter de fruit. Et Dieu ne voulait pas qu’il ait un enfant, jusqu’au temps qui serait venu pour lui.

 

Zacharie en temple fist sacrifiche

L’angle annunchat la conception saint Jehan-Baptiste

Zacharie fit un sacrifice au temple
L’ange annonça la conception de saint Jean-Baptiste

(11) Si avient enssy que Zacharie Iy priestre astoit en temple et faisoit oblation de incense, et veschi sains Gabriel l'angele vient et s'aparuit à Iy devant l'ateit, et dest en teile manere :

(11) Et il advint que le prêtre Zacharie se trouvant dans le temple en train de faire une offrande d’encens, voici que vint l’ange saint Gabriel qui lui apparut devant l’autel et lui dit ainsi : 

(12) « O tu, Zacharias, entens à moy. Dieu tu mande que quant tu as fineit son serviche, se toy retrais arrie en ton hosteit et toy cuche awec ta femme ; et Dieu toy donrat I teile fruit, qui de luy serat tant ameis que ilh vorat prendre baptemme de Iy en fluis Jordan, et se le nomme par son nom Johans ».

(12) « O toi, Zacharie, écoute-moi. Dieu te fait savoir que, après avoir fini ton service, tu te retires dans ta maison et couches avec ta femme ; et Dieu te donnera un rejeton, qu’il aimera au point qu’il voudra recevoir de lui le baptême dans le Jourdain et ce fils se nommera Jean. »

(13) Quant Zacharie l'oït, se dest à Gabriel : « Comment porat chu eistre que tu m'as dit ? Nos summes si vilhes ambdois et si floibles, que je ne moy puy sourtenir, et s'ilh est enssi que j'aroy en chist eaige enfant, chu ne poroy-je croire. »

(13) Quand Zacharie entendit cela, il dit à Gabriel : « Comment ce que tu m’as dit pourra-t-il se faire  ? Nous sommes si vieux tous les deux et si faibles, que je ne puis pas me soutenir, et je ne pourrais croire qu’à cet âge j’aurai ainsi un enfant ».

Zacharie devient mueis

Zacharie devient muet

(14) Adont dest Ii angle à Zacharie : « Et tu en auras teile gueridon por te non creanche que tu ne parleras, ains seras-tu mueis jusqu'à tant que Ii enfes serat neis, et portant que tu ne vues croire que Dieu ait bien poioir de toy faire avoir enfant ; et quant Iy enfes serat circonchis et nommeis Johans, adont parleras-tu com devant. »

(14) Alors l’ange dit à Zacharie : « Et pour te punir de ton manque de foi, tu ne parleras plus mais tu resteras muet jusqu’à la naissance de l’enfant, et cela parce que tu ne veux pas croire que Dieu a le pouvoir de te rendre père. Tu ne retrouveras la parole que quand l’enfant sera circoncis et appelé Jean. »

(15) Atant est Iy angele departis, et Zacharie fist le serviche de Dieu, puis issi de temple ; mains oussitoist que ilh issit de temple, par le volenteit de Dieu [p. 336] ilh fut mueis et laisat le parleir, de quoy Iy peuple en oit grant mervelhe ; et puis soy cuchat awec sa femme. Et adont fut engenreis sains Johans, et ne nasquit oncques plus grans de femme fours que Jhesu-Crist.

(15) Puis l’ange s’en alla. Zacharie accomplit le service divin, puis sortit, mais dès qu’il fut hors du temple, par la volonté de Dieu, il devint muet et cessa de parler, au grand étonnement du peuple. Puis il alla coucher avec sa femme. Alors saint Jean fut engendré, et jamais femme ne mit au monde un homme plus grand, à l’exception de Jésus-Christ.

 

 

 

 

CHAPITRE 2
CONSIDÉRATIONS CHRONOLOGIQUES

[Comm]

 

Chi fine li Ve eaige de monde
Des eaiges du monde

Ici finit le cinquième âge du monde
Les âges du monde

[p. 336. l. 4] (1) Item, chi fine Iy Ve eaige de monde, qui contient del transmigration de Babylone jusques al incarnation Jhesu-Crist.

(2) Et deveis savoir que ly promier eaige de monde, chu est de la formation Adam, nostre promier pere, jusqu'à le delueve Noé, qui contient IIm lIc et XLII ans.

Item, Iy secon eaige de monde est de la delueve Noé jusqu'à la nativiteit Abraham le patriarche, qui contient IXe et XLII ans.

Item, Iy IIIe eaige est de la nativiteit Abraham jusqu'à la coronation le roy David, qui contient IXc et XL ans.

Item, le IIIIe eaige est de la coronation le roy David jusques al transmigration de Babylone, qui contient IIIIc et IIIIxx ans.

(1) Ici finit le Ve âge du monde, qui va de l’exil de Babylone à l’Incarnation de Jésus-Christ.

(2) Vous devez savoir que le premier âge du monde, de la création d’Adam, notre premier père, au déluge de Noé, compte deux mille deux cent quarante-deux ans.

Le second âge du monde, du déluge de Noé à la naissance d’Abraham le patriarche, compte neuf cent quarante-deux ans.

Le troisième âge va de la naissance d’Abraham au couronnement du roi David, et compte neuf cent quarante ans.

Le quatrième âge va du couronnement du roi David à l’exil de Babylone et compte quatre cent quatre-vingts ans.

Item, le Ve eaige est del transmigration jusques al incarnation Nostre-Salveur Jhesu-Crist, quant l'angele Gabriel annunchat à la virgue Marie le salut del Ave Maria ; Iyqueis quinte eaige est chis que nos avons chi-desus pris nos dautes derainement, qui contient Vc IIIIxx et IX ans.

Le cinquième âge va de l’exil à l’incarnation de notre Sauveur Jésus-Christ, quand l’ange Gabriel porta à la vierge Marie le salut de l’Ave Maria ; ce cinquième âge est le dernier où nous avons pris ci-dessus nos dates : il compte cinq cent quatre-vingt-neuf ans.

(3) Lesqueis V eaiges montent ensemble à la somme de Vm et lIc ans 1 moins, assavoir V milh cent nonante et nuef, que Ii monde avoit esteit origineis et Adam fourmeis, enssi com dit est par-desus.

(3) Ces cinq âges totalisent cinq mille deux cents ans moins un, c’est-à-dire cinq mille cent nonante-neuf ans, depuis l’origine du monde et la création d’Adam, comme cela a été dit ci-dessus.

(4) Ors est raison que nos parlons de la benoite incarnation Nostre-Saingnour Jhesu-Crist, par lequeile tous le monde fut rachateis et osteis des grandes poins d'infier.

(4) Maintenant nous devons parler de la bienheureuse Incarnation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui racheta et délivra le monde entier des grandes peines de l’enfer.

De VIe eaige de monde

Le sixième âge du monde

(5) Chi-apres s'ensiet Iy VIe eaige, qui dure jusqu'à la fin de chu monde. Chi commenche Iy an deltres-sainte incarnation Jhesu-Crist.

(5) Ce qui suit concerne le sixième âge, qui durera jusqu’à la fin de ce monde. Il commence l’an de la très sainte incarnation de Jésus-Christ.

(6) A la gloire et loienge de la sainte Triniteit, de Pere, Fis et Saint-Esperit, vorons commenchier et deviseir le VIe eaige de monde, et le derains solonc l'Escripture, car ilh durerat jusqu'al fin de monde; et vos vorons declareir les dautes comment ilh commenchoient chi-devant, et par queile raison.

(6) À la gloire et à la louange de la sainte Trinité, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, nous voulons commencer à parler du sixième âge du monde, et le dernier selon l’Écriture, car il durera jusqu’à la fin du monde. Nous voulons vous en expliquer les dates, quand elles ont commencé et pourquoi.

(7) Vos saveis que toutes les dautes des V eaiges deseurdis commenchent en mois de marche le XXVe jour, portant que marche astoit ly promirs mois de l'an, et portant enssi que Adam fut fais et fourmeis le XXVe jour de marche ; et oussi ilh morut à cheli jour, sour l'an del origination de monde IXc et XXX ; et fut à chis propre jour Abel ochis par Caym; et si ouffrit [p. 337] Melchisedech pain et vin, et Ysaac fut mis sour l'auteit por coupeir son chief en nom de sacrifiche ; et que sains Johans-Baptiste fut decolleis, et sains Pire l'apostIe fut mis fours del prison, et sains Jaque fut martyrisiiés, et Ii passion Nostre-Sires Jhesu-Crist que ilh souffrit mort en la crois por tout humaine lignie, et la victoire sains Mychiel contre le dyable, et que les enfans d'Ysrael passont mere tout à seche. Tout chu fut fait à cheli meismes jour XXVe de marche, en diverses années.

(7) Vous savez que les cinq âges mentionnés plus haut ont tous commencé en mars, le 25, parce que mars était le premier mois de l’année, et aussi parce que Adam fut créé et formé le 25 mars. Il mourut aussi ce jour-là, en l’an 930 de l’origine du monde. En ce jour aussi, Abel fut tué par Caïn, Melchisédech offrit le pain et le vin, Isaac fut placé sur l’autel pour avoir la tête coupée en guise de sacrifice, saint Jean Baptiste fut décapité, saint Pierre sortit de prison et saint Jacques fut martyrisé. Le 25 mars encore, ce fut la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui souffrit la mort sur la croix pour toute la lignée humaine, et la victoire de saint Michel contre le diable et le passage de la mer à sec par les enfants d’Israël. Tous ces événements eurent lieu ce même jour, le 25 mars, à des années différentes.

(8) Mains encor y fut fais ly plus grans, Iy plus precieux, Iy plus benigne et Iy plus glorieux fais qui oncques fut fais à monde, car à cel propre jour, le XXVe jour de marche, vient Gabriel ly archangle aporteir à la virgue Marie le salut del Ave Maria, sicom vos oreis chi-apres, sour l'an del creation de monde Vm IIc, 1 moins, parfais, et Vm lIc imparfais.

(8) Mais le 25 mars encore se produisit l’événement le plus grand, le plus précieux, le plus sacré et le plus glorieux de ceux qui eurent jamais lieu au monde, car en ce jour-là, le 25 mars, l’archange Gabriel vint apporter à la vierge Marie le salut de l’Ave Maria, comme vous l’entendrez ci-après, en l’an de la création du monde 5199 (« parfait ») et 5200 (« imparfait »).

Des ans parfais et imparfais

Les années parfaites et imparfaites

(9) Si voray faire entendre aux ignorans briefment la differenche entre parfait et imparfait.

(9) Je voudrais brièvement faire comprendre à ceux qui l’ignorent la différence entre « parfait » et « imparfait ».

(10) Nos vos avons desus dit que toutes les dautes anchienement prendoient leurs commenchement à leur fin en mois de marche le XXVe jour ; et coroit cascon daute I an, sy finoit au XXlllle jour, et tout l'an qu'ilh coroit astoit an imparfait, et quant ilh venoit al dierain jour, ilh astoit acomplit et parfait.

(10) Nous vous avons dit plus haut que, dans les temps anciens, toutes les années commençaient à la fin mars, le 25 du mois, que chacune d’elles durait un an et se terminait le 24. Une année en cours représentait une année « imparfaite » ; quand elle arrivait au dernier jour seulement, elle était terminée et « parfaite ».

(11) Et enssi vos dis-je que ly an Vm et IIc, I moins, finat le XXIIIIe jour de marche, et fut parfais ; et lendemain, le XXVe jour de marche, quant Gabriel vient, commenchat l'an imparfait Vm lIc, qui corit l'année tout ensuivant. Et chis fut Iy promier an deI incarnation. Et chu fait-ilh bon savoir et entendre por les debas des années parfaites et imparfaites, car ons auroit tantost mescompteit une an qui n'y penseroit.

(11) Ainsi je vous dis que l’an 5199, quand il se termina le 24 mars, fut alors « parfait », et que le lendemain, le 25 mars, à l’arrivée de Gabriel, commença l’année « imparfaite » 5200 qui courait sur toute l’année suivante. Ce fut l’an 1 de l’Incarnation. Il est bon de savoir et de comprendre cela pour suivre les discussions sur les années « parfaites » et « imparfaites », car on aurait vite fait une erreur d’un an, si on n’y pensait pas.

 

 

CHAPITRE 3
L’ANNONCIATION ET LA VIRGINITÉ DE MARIE

[Comm]

 

L’anunciation à Nostre-Damme

L’annonciation à Notre-Dame

[p. 337, l. 24] (1) En revenant à nostre matere, le promier an deI incarnation Nostre-Saingnour Jhesu-Crist imparfait, et le promier jour del an, assavoir le XXVe jour de mois de marche, al heure de messe solonc alcuns, desquendit Gabriel, à commandement de Dieu, faire l'anunciation à la benoite et glorieuse virge Marie, qui astoit entrée dedens son orateur, en la citeit de Nazareth, et tenoit I psaltier en sa main, et avoit de eaige XIIII ans et VII mois, VIII jours moins, que el avoit esteit née.

Jésus-Christ (an incomplet) et le premier jour de l’an, c’est-à-dire le 25 mars, à l’heure de la messe selon certains, l’ange Gabriel descendit, sur l’ordre de Dieu, faire une annonce à la benoîte et glorieuse vierge Marie. Celle-ci était entrée dans son oratoire, dans la cité de Nazareth et tenait un psautier en sa main. Elle était âgée de quatorze ans, sept mois moins huit jours.

(2) Et là elle commenchat mult parfaitement à oreir Dieu et deproiier. Et Iy vray Dieu, qui l'avoit fait et fourmeit à sa volenteit et edifiié en son cuer, deis al commenchement de monde, com [p. 338] celle de cuy ilh voloit faire sa mere et sa filhe, fist à cel propre heure el chiel ovrir.

(2) Et là, très pieusement, elle se mit à invoquer et à prier Dieu. Et le vrai Dieu, qui l’avait faite et formée selon sa volonté et conçue en son cœur dès le commencement du monde comme la personne dont il voulait faire sa mère et sa fille, fit à cette heure précise s’ouvrir le ciel.

(3) Si envoiat sains Gabriel dedens le temple, qui jettat mult grant clarteit, et vient devant Marie, sicom dit est. Si l'apellat mult douchement et dest : « Dieu toy sault, Marie plaine de grasce, Dieu est awec toy. »

(3) Il envoya dans le temple saint Gabriel, qui répandit une très grande lumière et se présenta à Marie, comme cela est dit. Il l’appela très doucement et lui dit : « Dieu te salue, Marie, pleine de grâces, Dieu est avec toi. »

De sainte Marie ce qu’elle quidoit de l’angle

Ce que sainte Marie croyait à propos de l’ange

(4) Adont oit la benoite virge Marie grant paiour, car elle quidat, sicom alcuns escriptures dient, que chu fuist I enchanteur qui adont regnoit en paiis, qui astoit nommeis Turquins, qui, toutes les fois qu'ilh Iy plaisoit, se faisoit sembleir uns angele, et s'aloit sovens cuchier awec les pucelles. Se quidat Marie del angele que chu fuist cheli Turquins qui le vosist dechivoir, si demandat en conjurant de Dieu que s'ilh astoit Turquins que ilh Iy desist ; mains Gabriel Ii respondit qu'ilh astoit vray et certains messagier de Dieu.

(4) Alors la douce vierge Marie eut grand peur, car elle croyait, selon ce que disent certains textes, que c’était l’enchanteur, qui régnait alors dans le pays et se nommait Turquin. Celui-ci, toutes les fois qu’il le souhaitait, prenait l’apparence d’un ange et allait souvent coucher avec les pucelles. Marie crut que l’ange était ce Turquin qui voulait lui faire du mal, et, au nom de Dieu elle lui demanda, s’il était Turquin, de la laisser. Mais Gabriel lui répondit qu’il était vraiment et en toute certitude un messager de Dieu.

L’angle parolle à Nostre-Damme

L’ange parle à Notre-Dame

(5) Quant Marie oiit chu, se fut plus assegurée, car Iy angele Iy dest : « Ne t'enmaies nient, Marie, car Dieu est en toy desquendut, et se toy mande que tu as conchut unc fis toute virge ; et al enfanteir demoras virgue, et enssi apres l'enfantement, et sainte virge tousjours demoras, et ton fis sierat roy de paradis ; et ne mescrois mie chu que je dis, ains regarde Elizabeth, ta cusin, qui est brehangne et vielhe de cent ans, et at conchut de son saingnour unc mult noble enfant. »

(5) Quand Marie entendit cela, elle fut plus rassurée car l’ange lui dit : « Ne t’effraie pas, Marie, car Dieu est descendu en toi et te fait savoir que, toute vierge que tu sois, tu as conçu un fils ; qu’en enfantant, tu demeureras vierge ; qu’après l’accouchement aussi, vierge sainte tu resteras, et ton fils sera roi du paradis. Ne refuse pas de croire ce que je dis, mais regarde Élisabeth, ta cousine, stérile et âgée de cent ans : elle a pourtant conçu de son époux un très noble enfant».

(6) Adont respondit sainte Marie : « Comment poroit chu eistre ? Je n'oie oncques cognisanche d'homme, et ay à Dieu voweit casteit, sique je moy mervelhe comment virge poroit enfant avoir sens atouchier à homme, ne sens fauseir virginiteit ne faindre. »

(6) Alors Marie répondit : « Comment cela se pourrait-il ? Je n’ai jamais connu l’homme, et j’ai voué à Dieu ma chasteté, si bien que je me demande comment une vierge pourrait avoir un enfant sans toucher un homme, ni sans trahir sa virginité ni feindre ».

(7) Adont Iy dest Iy angele Gabriel : « Dame, Dieu at bien poioir de tot faire et defaire ; ilh veult de toy faire sa mere, si qu'ilh serat ton fis, et serat oussi ton pere, et enssi ne perderas riens de chu que tu as voweit ; ilh garderat mult bien ta casteit. » Et quant Marie oiit chu, se dest : « Ancelle je suy à Iy, si fache de moy son plaisier. »

(7) Alors l’ange Gabriel lui dit : « Dame, Dieu a bien le pouvoir de tout faire et tout défaire ; il veut faire de toi sa mère, et il sera ton fils, et sera aussi ton père, et cela sans aucunement enfreindre ton vœu : il sauvegardera très bien ta chasteté ». Et quand elle entendit cela, Marie dit : « Je suis sa servante ; qu’il fasse de moi selon son plaisir ».

Mervelhe de Nostre-Damme

Del virginiteit de Nostre-Damme

Dieu entrat en corps Marie par l’orehle

Prodige de Notre-Dame

La virginité de Notre-Dame

Dieu entra en Marie par l’oreille

(8) Atant s'en est ly angele aleis, et Marie demorat conchuit et engrossie de Dieu, qui en ses flans s'aombrit en celle heure ; et entrat Dieu en Marie par l'orelhe, car par l'orelhe entendit l'angele, et enssi que Ii sons de la vois entrat en l'orelhe, enssi entrat awec la sainte Triniteit de Pere, Fis et Saint-Esprit, car de chi fait ne soit riens Iy membre natureit de la virge Marie, ne sa fleur virginal.

(8) Alors l’ange s’en alla et Marie resta enceinte et grosse de Dieu, qui s’abrita à ce moment-là en ses flancs. Dieu entra en Marie par l’oreille, car c’est par l’oreille qu’elle entendit l’ange, et de même que le son de la voix pénétra dans son oreille, en même temps entra la sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Et de ce fait le membre naturel de la vierge et sa fleur virginale n’en surent rien.

[p. 339] (9) Cascons doit savoir que enssi que Iy soleal trespasse la voiriere qui est saine et entier, et resplendist sa clarteit ouItre, et puis soy retrait sens le voire emperier ne rompir à passeir ; enssy soy mist Dieu en corps de Marie par l'orelhe où elle conchuit la parolle, et resplendist dedens li et espandit sa vertut et clarteit de la sainte Triniteit, sens violenche faire à virginiteit. Et ilh soy retrahist cest al enfanteir ; ilh issit fours par l'orelhe où ilh astoit dedens entreis, virginiteit demorant sens rumpre ne casseir en nulles des parties.

(9) Chacun doit savoir que, de même que le soleil traverse une vitre propre et intacte la faisant resplendir de sa clarté, puis se retire sans abîmer le verre ni le rompre à son passage, ainsi Dieu prit place dans le corps de Marie par son oreille, par où elle conçut la parole. Dieu y resplendit, répandant sa vertu et la lumière de la Sainte Trinité, sans faire violence à sa virginité. Il s’en retira à l’enfantement ; il sortit par l’oreille, par où il était entré, la virginité subsistant sans être rompue ni brisée en aucune de ses parties.

 

 

CHAPITRE 4
LES ÉPOUSAILLES DE DE MARIE ET DE JOSEPH

[Comm]

 

Ce que Dieu mandat par l’angle

Ce que Dieu transmit par l’ange

(1) Item, à cel temps astoit la loy teile que, se une femme fust grosse d'enfant et elle n'awist marit, elle fust lapidée ou arse, et jà n'en posist escappeir, ne pour avoir ne por grandeur.

(1) À cette époque, la loi voulait que une femme enceinte sans mari, soit lapidée ou brûlée ; et elle ne pouvait y échapper, ni grâce à sa fortune ni grâce à sa naissance.

(2) Si avient que tous les barons de paiis et Iy evesque de la loy astoient I jour aleis au temple por oreir ; adont vient une vois qui leurs dest en hauIt : « Sangnours, Dieu vos mande que vos donneis Marie I marit de la lignie dont elle est née, » et atant soy partit la vois.

(2) Un jour, tous les barons du pays et l’évêque de la loi, étaient allés au temple pour prier ; alors une voix venue d’en haut leur dit : « Seigneurs, Dieu vous ordonne de donner à Marie un mari de la lignée dont elle est issue », et ensuite la voix disparut.

Coment Nostre-Damme fut mariée

De marit Nostre-Damme, qui oit bien IIc ans

Comment Notre-Dame fut mariée

Le mari de Notre-Dame avait bien 200 ans

(3) Et Ii evesque at mandeit tous les barons de la terre, par le conselh de I juys qui astoit mult saige. Atant vinrent vies et jovenes, grant et petis, et muIt en y vient qui n'avoient cure del marier ; mains quant ilhs veirent la pucelle, se n'y avoit si gran saingnour qui ne le vosiste avoir esposeit, tant astoit belle et plaine de la grant grasce de Dieu.

(3) Et l’évêque fit venir tous les barons du pays, sur le conseil d’un Juif très sage. Alors vinrent des vieux et des jeunes, des grands et des petits, et beaucoup vinrent qui ne se souciaient pas de mariage ; mais quand ils virent la pucelle, il n’y avait si grand seigneur qui ne voulût l’épouser, tant elle était belle et emplie de la grande grâce de Dieu.

(4) En cel conrois est venus I dammoseais qui fut nommeis Joseph, qui astoit venus por veioir le mariage et nient por la pucelle à avoir, car ilh astoit trop vies, ilh avoit bien IIc ans ou plus ; chis Joseph soy mist deleis I pileir, portant qu'ilh se doubtoit que les gens menues ne l'abatissent à terre al presse.

(4) Un gentilhomme appelé Joseph arriva dans cette assemblée ; il était venu pour voir le mariage et non pour obtenir la pucelle, car il était trop vieux ; il avait deux cents ans ou plus ; ce Joseph se mit près d’un pilier, parce qu’il redoutait que les gens du peuple ne le pressent et ne l’abattent sur le sol.

(5) MuIt fut Joseph escarnis et degabbeis des enfans et oussi des bachelleirs et des dameseais ; mains ilh n'y acontoit riens.

(5) Des enfants et aussi des bacheliers et des damoiseaux se moquèrent de Joseph et le ridiculisèrent ; mais il n’en tenait pas compte.

(6) Quant tous les barons furent enssi assembleis, se dest Ii evesque : « Saingnours, je vos ay chi mandeit  par le commandement de Dieu ; si veulhiés proier à ly que ilh nos veulhe donneir à cognoistre qui digne est de la pucelle Marie esposeir et avoir. »

(6) Quand tous les barons furent ainsi rassemblés, l’évêque leur dit : « Seigneurs, je vous ai fait venir ici sur l’ordre de Dieu ; aussi veuillez le prier qu’il nous accorde de savoir qui est digne d’obtenir et d’épouser la pucelle Marie ».

Li angle parolle à peuple de Marie la virge

L’ange parle au peuple de la vierge Marie

(7) Atant ont fait leur orison, et enssi qu'ilh astoient là, si leur dest I angele : « Barons, Dieu vos mande par moy que cascon de vous prende une verge en sa main, et chis en cuy main la verge florisseroit, chis aurat la pucelle sens contredit. »

(7) Alors ils firent leurs oraisons, et tandis qu’ils étaient là, un ange leur dit : « Barons, par mon intermédiaire, Dieu ordonne à chacun de prendre en sa main une baguette, et celui dont la baguette fleurira aura la pucelle, sans contredit. »

(8) Et tantoist ont pris verges en leur mains, puis se sont recuchiés en orisons ; et puis fist Ii evesque unc sermon, et fait cascon [p. 340] sa main leveir en hault awec la verge ; et Joseph, qui tenoit son bordon de quoy ilh s'apoioit, si le levat en hault.

(8) Et aussitôt ils prirent des baguettes dans leurs mains, puis se recueillirent en oraisons ; ensuite, l’évêque fit un sermon, et demanda à chacun de lever bien haut la main avec la baguette ; et Joseph, qui tenait le bâton sur lequel il s’appuyait, le leva bien haut

Ly bordon Joseph commenchat à florir et fruit porteir

Le bâton de Joseph commença à fleurir et à porter un fruit

(9) Là oit I garchon qui degaboit Joseph, et tant que Joseph en voult aleir sa voie ; mains tout enssi com ilh soy turnoit, commenchat son bordon à florir et fruit porteir, et s'asseit par-desus I blan colon, qui signifioit Jhesu-Crist, et la verge signifioit Marie.

(9) Il y avait là un garçon qui ridiculisait Joseph, si bien que celui-ci voulut s’en aller ; mais tandis qu’il se tournait pour partir, son bâton commença à fleurir et à porter fruit et une colombe blanche, qui symbolisait Jésus-Christ, se posa au-dessus du bâton qui symbolisait Marie.

(10) Mains quant les Juys veirent chu, si allont apres luy et le firent retourneir, se Ii dessent que ilh auroit la pucelle, car Dieu le volloit.

(10) Mais quand les Juifs virent cela, ils allèrent vers lui, le firent revenir et lui dirent qu’il aurait la pucelle, car c’était la volonté de Dieu.

(11) Adont ont pris la verge atout la flour, qui jettoit si grant odour que ilh sembloit à cascon que ilh fust en paradis. Cette verge fut presentée al evesque ; mains enssi com Iy evesque le monstroit à peuple, la verge salhit fours de ses mains et se entrat ens ès mains Marie, la benoite virge.

(11) Alors ils prirent la baguette avec la fleur, qui répandait une odeur si forte que chacun croyait être au paradis. Cette baguette fut présentée à l’évêque ; mais tandis que l’évêque la montrait au peuple, elle s’échappa de ses mains et alla se placer dans celles de Marie, la vierge bénie.

La vierge Marie fut esposée à Joseph

La vierge Marie devint l’épouse de Joseph

(12) Adont desquendit Ii evesque, si at esposeit là meismes Marie et Joseph. Chis Joseph n'astoit mie riche hons, si aloit aide quiere à ses amis por faire ses noches ; si demorat pres de trois mois.

(12) Alors l’évêque descendit et, en cet endroit même, il unit Marie et Joseph dans le mariage. Ce Joseph n’était pas riche, et il alla demander l’aide à ses amis pour célébrer ses noces. Son absence dura près de trois mois.

(13) Et quant ilh fut revenus, si s'aperchut que sa femme astoit enchainte ; si en fut mult corochiet, se Ii blamat mult durement, car ilh n'avoit oncques jut awec lée, puis s'en alat altre part cuchier por dormir.

(13) Et quand il fut revenu, il s’aperçut que sa femme était enceinte ; et il en fut très irrité, et la blâma très durement, car il ne s’était jamais uni à elle ; puis il s’en alla coucher ailleurs pour dormir.

Li angle parlat à Joseph

L’ange parla à Joseph

(14) Cette nuit vient I angele à Joseph et Iy dest : « Joseph, ne t'esmaie nient de chu que ta femme est enchainte, car chu est deI Saint-Esperit, et elle porte Dieu en ses flans ; si serat Ii enfe qu'elle porte le fis de Dieu, si sierat nommeis Jhesus, et serat sires de tout le monde. Et portant Dieu toy mande que tu garde la pucelle castement, car elle est et serat toudis virge parfaite. »

(14) Cette nuit un ange apparut à Joseph et lui dit : « Joseph, ne t’effraie pas de ce que ta femme soit enceinte, car c’est du Saint-Esprit, et elle porte Dieu dans ses flancs ; et l’enfant qu’elle porte sera le fils de Dieu ; il sera nommé Jésus, et sera souverain du monde entier. Et dès lors, Dieu te demande de garder chastement la pucelle, car elle est et sera toujours parfaitement vierge ».

(15) Grant joie en oit Joseph, quant ilh entendit chu ; si vient à lit Marie, et Ii priat merchis de chu qu'ilh Ii avoit dit.

(15) Joseph en éprouva une grande joie, quand il entendit cela. Il vient au lit de Marie et lui demanda pardon de ce qu’il lui avait dit.

(16) Et la damme Iy pardonnat volentiers, et Ii priat que ilh le vosist myneir veioir sa cusin Elizabeth, le femme Zacharias, qui ne poioit parleir, laqueile astoit enchainte d'enfant ; et Joseph l'y mynat.

(16) Et la dame lui pardonna volontiers et lui demanda de bien vouloir la mener voir sa cousine Élisabeth, enceinte d’un enfant ; elle était l’épouse de Zacharie qui ne pouvait parler ; et Joseph l’y mena.

 

 


CHAPITRE 5
LA VISITATION ET JEAN BAPTISTE

[Comm]

 

Marie visentat Elisabeth

De sains Johans qui parlat en ventre sa mère

Del Magnificat

Marie visita Élisabeth

Saint Jean parla dans le ventre de sa mère

Le Magnificat

(1) Et quant Marie devoit entrer en la maison Zacharie, se Ii vint Elizabeth al entrée al encontre de lée, et se l'acolat et Iy fist grant fieste en disant : « Hée Dieu! que m'est-ilh avenus grant joie et grant honneur, quant la mere Dieu, le roy de chi monde et de chiel, me vient veioir. »

(1) Et tandis que Marie allait entrer en la maison de Zacharie, Élisabeth vint à sa rencontre sur le seuil, l’embrassa et lui fit grande fête en disant : « Eh Dieu ! Quelle grande joie et quel grand honneur m’arrivent, quand la mère de Dieu, roi de ce monde et du ciel, vient me voir ».

(2) Sains Johans, qui encor astoit en ventre sa mere, cognuit son Saingnour, si soy drechat sour ses dois piés, et puis [p. 341] s'engenulhat et jondit ses dois mains vers son Sangnour, et Ii priat merchi et dest : « Sires, bien vengniés tu qui m'as tant de vertus donneit que je me puy drecher chaens ; or sai-ge bien que tu es venus por tes gens salver. »

(2) Saint Jean qui était encore dans le ventre de sa mère reconnut son Seigneur, se dressa sur ses deux pieds, et puis s’agenouilla et joignit ses deux mains vers son Seigneur, lui rendit grâce et dit : « Sire, béni sois-tu qui m’as donné assez de forces pour pouvoir me dresser ici ; maintenant je sais bien que tu es venu pour sauver ton peuple. »

(3) Et commenchat sains Johans à dire le Magnificat anima mea Dominum ; et si hault disoit tout chu que la vois en venoit fours de la bouche Elisabeth sa mere.

(3) Et saint Jean commença à dire le Magnificat anima mea Dominum ; et il disait tout cela si haut que sa voix sortait par la bouche de sa mère Élisabeth.

(4) Chu fut en la citeit Juda, en la maison Zacharie, le promier an del incarnation Jhesu-Crist, le XXIIIIe jour de mois de junne.

(4) Cela se passa en la cité de Juda, dans la maison de Zacharie, la première année de l’Incarnation de Jésus-Christ, le 24 juin.

Zacharie reparlat

Zacharie reparla

(5) En cel propre jour fut saint Johans neis, et les parens alerent à temple por nunchier à Zacharie que son fis astoit neis, et Ii demandont comment ilh Iy plaisoit que ilh fust nommeis.

(5) Ce même jour, saint Jean naquit, et les proches allèrent au temple pour annoncer à Zacharie que son fils était né et lui demandèrent comment il décidait de l’appeler.

(6) Et Zacharie, qui ne poioit parleir, escript en une tauble de chire que ilhs le nommassent Johans. Adont fut-ilh baptiziet solonc leur loy, et fut nommeis Johans ; et oussitoist qu'ilh fut circonchis, son pere Zacharias reparla.

(6) Et Zacharie, qui ne pouvait parler, écrivit sur une tablette de cire qu’on l’appelle Jean. Alors il fut baptisé selon leur loi et fut nommé Jean ; et aussitôt qu’il fut circoncis, son père Zacharie retrouva la parole.

Del sainte vie Johan-Baptiste

La sainte vie de Jean-Baptiste

(7) Chis sains Johans fut mult proidhons, et puis baptizat apres. Et quant sains Johans oit XV ans d'eaige, ilh entrat en I hermitaige por servir Dieu ; et ne vestoit aultre vestiment que de foins mariens et de poilhe de chamos, et se ne mangnat oncques de pain ne altres viandes, fours que rachines qu'ilh prendoit por les boscaiges.

(7) Ce saint Jean fut un homme très bon, et c’est plus tard qu’il baptisa. Quand saint Jean eut quinze ans, il entra dans un ermitage pour servir Dieu ; il ne portait rien d’autre qu’un vêtement fait d’herbes sèches et de poils de chameau et il ne mangeait jamais de pain ni d’autre nourriture si ce n’est des racines qu’il prenait en parcourant les bois.

(8) Quant saint Johans fut neis, si soy partit Nostre-Damme deI maison Zacharie et revient en Nazareth et demorat illuc.

(8) Après la naissance de saint Jean, Notre-Dame quitta la maison de Zacharie, et revint à Nazareth où elle demeura.

 

 

CHAPITRE 6
BETHLÉEM : RECENSEMENT, NAISSANCE, MIRACLES

 

[Comm]

 

Augustus fist la description de monde

Auguste fit le recensement du monde

[p. 341, l. 20] (1) A cel temps avient que Augustus Cesaire mandat par tout le monde à ses prevost et balhiers que ilhs rechussent et levassent à cascon de chief d'homme et de femme I denier d'argent ; et chu fasoit-ilh por savoir le nombre de cheauz qui astoient en sa subjection et desous sa saingnorie, et combien sa terre poroit valoir.

(1) À cette époque, Auguste César ordonna à tous ses prévôts et baillis à travers le monde de percevoir et de prélever pour chaque tête, homme et femme, un denier d’argent. Il faisait cela pour connaître le nombre de ceux qui étaient soumis à son autorité de seigneur, et pour savoir ce que pourrait valoir sa terre.

(2) Et commandat que tous cheaux des casteals, des vilhes et des boch apportassent leurs deniers aux citeis desous lesqueiles ilhs astoient demorans.

(2) Et il ordonna que tous les habitants des places-fortes, des villes et des bourgs apportent leurs deniers dans les cités sous l’autorité desquelles leurs habitations se trouvaient.

(3) Chis deniers astoit d'argent et valoit X petis deniers cursaibles, et astoit dedens ches denirs enprinteit l'ymaige deI Emperere, et escript son nom tout altour.

(3) Ces deniers étaient d’argent et valaient dix petits deniers courants. L’image de l’Empereur était gravée sur ces pièces, et son nom écrit tout autour.

Joseph et Marie s’en allont en Bethleem

Joseph et Marie s'en vont à Bethléem

(4) Se avient que cheaux de Nazareth et de paiis environ furent somons del paiier leur deniers en Bethleem, car là le devoit rechivoir Turnus, qui prinche astoit de chi paiis.

(4) Il se fit que les habitants de Nazareth et des régions voisines, furent invités à payer leurs deniers à Bethléem, car c’était là que devait les recevoir Turnus, le prince de ce pays.

[p. 342] (5) Adont y alat Joseph, et se y emmynat sa femme Marie awec Iy. Et quant ilh vinrent alle entrée de la citeit, si est la benoite vierge Marie demorée desus une blanche pire, et ratendit là Joseph qui astoit aleis en la citeit por avoir hosteil ; mains ilh y avoit assemblet tant de gens que ilh ne pot hostet avoir ; si revint à la vierge Marie et Ii dest.

(5) Alors Joseph s’y rendit, emmenant avec lui sa femme Marie. Et quand ils arrivèrent à l’entrée de la cité, la douce vierge Marie resta sur une pierre blanche et attendit Joseph, qui était allé dans la ville pour chercher une auberge ; mais il y avait un tel rassemblement de gens qu’il ne trouva pas d’hôtellerie. Il revint annoncer la chose à Marie.

(6) Et Marie respondit qu'ilh troveroit bien hosteit ; si entrarent ambdois en la citeit, et trovarent la filhe d'onc riche hons, à cuy Marie priat que elle Ii vosist presteir une anglechon en sa maison. Et elle respondit qu'elle n'astoit mie damme del hosteit, mains s'elle poioit, elle prieroit tant son pere que ilh Ii presteroit.

(6) Marie répondit qu’ils trouveraient bien à se loger. Ils entrèrent tous deux dans la ville, et rencontrèrent la fille d’un homme riche. Marie lui demanda de bien vouloir lui prêter un coin de sa maison. Elle répondit qu’elle n’était pas la maîtresse de maison, mais que, si elle pouvait, elle insisterait auprès de son père pour qu’il leur en prête un.

(7) Atant vint la fiIhe à pere, et Ii priat ; mains son pere Ii dest que sa maison astoit trop plaine de gens, et la filhe Ii dest qu'ilh les metteroit bien en l'estauble des mules, et chis Ii otriat.

(7) La fille alla alors trouver son père, mais celui-ci lui répondit qu’il y avait déjà trop de monde dans la maison. Sa fille lui dit qu’on pourrait bien les mettre dans l’étable des mules, ce qu’il accepta.

(8) Atant entrarent dedens Marie et Joseph, et la filhe les mettit en stauble, et leur fesist la pucelle volentier ayde, se elle posist ; mains elle n'avoit nuls mains, et touvois elle leur fist aporteir pain et vin, et de teils biens qu'ilh avoit al hoisteit.

(8) Alors Joseph et Marie entrèrent dans l’étable. La jeune fille les aurait volontiers aidés, si elle l’avait pu, mais elle n’avait pas de mains. Elle leur fit pourtant apporter du pain et du vin, et des mets comme il y en avait dans la demeure.

Gran myracle de Nostre-Damme
Mervelhe des trois chirges

Grand miracle de Notre-Dame
Prodige des trois cierges

(9) Et quant chu vient enssi que le meynuit, si descendirent en le stauble III candelabre de fin or, et par-desus III grans cierges alumeis, qui jettoient oussi grant clarteit que le soleal fait à medis.

(9) Et quand arriva ainsi le milieu de la nuit, trois candélabres d’or fin descendirent dans l’étable, et sur eux trois grands cierges allumés, qui répandaient autant de clarté que le soleil à midi.

(10) Et est chu veriteit, car Ii unc des trois chirges art devant l'auteit Sainte-Sophie, en Constantinoble, et les dois aultres devant les dieux des Sarasins, à Mech ; et ardent todis nuit et jour, et ne amerissent riens, et remanent todis tout entiers.

(10) Et c’est la vérité, car l’un de ces cierges brûle à Constantinople, devant l’autel de Sainte-Sophie, et les deux autres, devant les dieux des Sarrasins, à La Mecque. Ils brûlent constamment, nuit et jour, ils ne diminuent en rien, et restent toujours intacts.

(11) Ches chirges arderoient al fons de la mere, ne ons ne les poroit esteindre, tant sont-ilh de grant digniteit.

(11) Ces cierges brûleraient au fond de la mer, et on ne pourrait les éteindre, tant ils sont de grande valeur.

De la pucelle de Bethleem

Jhesus fist myracle à la pucelle

La pucelle de Bethléem

Jésus fit un miracle pour la pucelle

(12) Enssi com droit à meynuit, ou là entour, s'enveilhat sainte Marie, et priat à Joseph que ilh vosist appelleir la pucelle qui astoit filhe del hosteit ; et Joseph le huchat III fois. Quant celle l'entendit, si soy levat et s'en vient droit à Marie, se Ii dest : « Damme, de moy areis petit ayuwe, mains je feray chu que je poray, car je n'ay nuls mains. »

(12) Ainsi comme il était juste minuit, ou à peu près, sainte Marie s’éveilla et pria Joseph d’appeler la pucelle, qui était la fille de la maison ; et Joseph l’appela trois fois. Quand elle l’entendit, elle se leva et s’en vint directement près de Marie et lui dit : « Madame, je ne peux pas vous aider beaucoup car je n’ai pas de mains, mais je ferai ce que je pourrai. »

(13) Atant vient acourant la pucelle devers la virgue Marie ; mains quant elle vient là, elle trovat l'enfant deleis la mere qui jà astoit neis, car chu fut ouvre divine ; et issit Iy enfe par l'orelhe, où elle avoit conchuit. Tout enssi com ons voit que Iy soleal passe parmy une voriere, là ilh [p. 343] est la plus saine, tout en teile maniere soy delivrat Nostre-Damme, car elle demorat virgue, ne oncques ne fut violées.

(3) Mais quand elle arriva en courant près de la vierge Marie, la jeune fille trouva près de sa mère l’enfant déjà né. Ce fut là œuvre divine : l’enfant était sorti par l’oreille, là où elle l’avait conçu. Tout comme le soleil passe à travers une verrière en la laissant tout-à-fait intacte, Notre-Dame fut délivrée en restant vierge et sans être déflorée.

(14) IIIuc avint gran myracle, car la pucelle, qui sens mains astoit, vout prendre l'enfant az dois toignons de ses bras, et Dieu Iy rendit ses dois mains.

(14) Il se produisit là un autre grand miracle. Lorsque la fille sans mains voulut prendre l’enfant avec les deux moignons de ses bras, Dieu lui rendit ses deux mains.

Lez propheties sont acomplies

Les prophéties sont accomplies

(15) Enssi nasquit Jhesus en I povre lieu, le promier an deI incarnation, le XXVe jour de mois de decembre, entour l'heure de meynuit.

(15) Ainsi naquit Jésus en un pauvre lieu, l’an I de l’Incarnation, le 25 décembre, aux environs de minuit.

(16) Adont furent toutes acomplies les propheties de la nativiteit Jhesu-Crist, qui longtemps devant avoient esteit denunchiés par les sains prophetes.

(16) Alors furent accomplies les prophéties de la Nativité de Jésus-Christ, qui bien longtemps auparavant avaient été annoncées par les saints prophètes.

(17) Adont chaiit l'ymaige que Virgile avoit faite à Romme, enssi com j'ay dit deseur, où ilh avoit escript que :

Quant vierge enfant auroit,

Que ladit ymage chairoit.

(17) Alors s’écroula la statue que Virgile avait faite à Rome, comme je l’ai dit plus haut, où il avait écrit que :

Quand une vierge enfant aura

Que ladit ymage chairat.

(18) Item, quant Jhesus fut neis, ladit pucelle le cuchat en une creppe et l'enwolepat de blans drappeais. Ceste pucelle que je dis fut nommée Anestause, et c'este la virgue sainte Anestase, qui vient corrant à son pere, qui astoit I des maistres de la loy, se Ii monstrat ses mains.

(18) Quand Jésus fut né, la jeune fille en question le coucha dans une crèche, et l’enveloppa de linges blancs. Elle s’appelait Anastasie, – c’est la vierge sainte Anastasie. Elle courut près de son père, qui était un des maîtres de la loi, et lui montra ses mains.

(19) Se Ii dest : « Qui t'at rendue novelles mains ? » Et cel respondit : « Pere, ly Salveur de tout le monde, qui maintenant est chaens neis de mere. »

(19) Il lui dit : « Qui t’a rendu de nouvelles mains ? » Et elle répondit : « Père, c’est le Sauveur du monde entier, qui est maintenant né ici de sa mère. »

Grant myracle du père de la pucelle

Grand miracle du père de la pucelle

(20) Quant chis entent sa filhe, se ne le voult mie croire, ains fut mult corochiés, si prent une espée et dest que ilh trencherat sa filhe ses mains, car elle faulsoit leur loy vilainement ; mains quant ilh le quidat ferir, si avoiglat et ne voit got, si criat à sa filhe merchi. Celle respont que jamais ilh ne seroit relumyneis s'ilh ne creioit en la virgue Marie, de cuy Dieu astoit neis.

(20) Quand le père entendit sa fille, il ne voulut pas la croire et en fut très irrité. Il saisit une épée en disant qu’il allait trancher les mains de sa fille, car elle trahissait vilainement leur loi. Mais quand il voulut la frapper, il devint totalement aveugle. Il cria et demanda pardon à sa fille. Celle-ci lui répondit qu’il ne retrouverait jamais la vue, s’il ne croyait pas en la vierge Marie, de qui Dieu était né.

(21) Ly juys dest : « Filhe Anestaise, je croy fermement que tu as tenuit à tes mains le soverain roy de monde, qui de la vergue est neis sens luxure et sens pechiet, mains en pure virginiteit. » Et tantoist qu'ilh oit chu dit, se revient à Iy sa lumyre.

(21) Le Juif dit alors : « Anastasie, ma fille, je crois fermement que tu as tenu en tes mains le souverain roi du monde, né de la vierge sans luxure et sans péché, en gardant sa virginité pure. » Et aussitôt qu’il eut dit ces paroles, la vue lui revint.

(22) En l'estauble où Dieu naquit, avoit II biestes mues, I buef et une asne, qui le rechafoient de leur alaines, car adont fesoit mult froit, ch'astoit Iy plus frois temps de l'an.

(22) Dans l’étable où Dieu naquit, il y avait deux bêtes silencieuses, un bœuf et un âne, qui le réchauffaient de leur haleine, car il faisait froid. C’était alors le moment le plus froid de l’année.

(23) Dieu ly soverain roy fut neis en petit estat, chu nos signifiie humiliteit.

(23) Dieu le souverain roi naquit dans un humble état, ce qui nous montre son humilité.

Del estable où Dieu fut neis fut fait I englise

 Del four sour quoy Dieu jut

L’étable où Dieu naquit devint une église

La paille où Jésus fut couché

[p. 344] (24) Et deveis savoir que Iy estauble où la creppe estoit fut depuis edifiiet une engliese en laqueile giest sains Jherome, Iy noble docteur qui enlumynat sy fortement sainte engliese de sa bonne doctrine ; et y gist oussi madamme sainte Paule et sainte Eustoche ; ches trois gisent en droit lieu où la creppe fut.

(24) Vous devez savoir qu’à la place de l’étable où était la crèche fut construite une église, où repose saint Jérôme, le noble docteur qui illustra si grandement la sainte église de sa bonne doctrine. Y reposent aussi sainte Paule et sainte Eustache. Tous trois reposent à l’endroit exact où se trouvait la crèche.

(25) En celle engliese fut mis ly fain ou Iy four sour quoy Dieu jut quant ilh fut neis ; mains depuis le fist sainte Helene, le mere l'emperere Constentin, porteir à Romme et mettre en l'engliese Nostre-Damme le maiour.

(25) En cette église on mit la paille ou le fourrage sur lequel Dieu fut étendu à sa naissance ; mais ensuite sainte Hélène, la mère de l’empereur Constantin, la fit transporter et placer à Rome en l’église Notre-Dame la Grande (Sainte Marie-Majeure). 

 

 

CHAPITRE 7
APRÈS LA NAISSANCE DE JÉSUS

[Comm]

 

Annonce aux bergers

Annonce aux bergers

(1) Celle jour que Dieu fut neis, vient I angle aux pastureals, et se leurs nunchat que Dieu astoit neis de virgue en Bethleem, et l'alassent adoreir.

(1) Le jour de la naissance de Dieu, un ange vint annoncer aux bergers que Dieu était né d’une vierge à Bethléem et leur dire d’aller l’adorer.

(2) Adont est aparut I estoile deseur Bethleem la citeit, qui fist les pastureals corir vers Bethleem ; si troverent Jhesum droit en l'estauble, s'en furent mult joians.

(2) Alors apparut au-dessus de la cité de Bethléem une étoile qui fit courir les bergers à Bethléem ; ils trouvèrent directement Jésus dans l’étable, et s’en réjouirent beaucoup.

Del circoncision Jhesu-Crist

La circoncision de Jésus-Christ

(3) AI VIIIe jour fut-ilh baptisiet ou circonchis solonc le loy des Juys ; si vos diray comment ilhs Iy trencharent del peais de son membre naturel ; chu estoit la baptemme des Juys, et Dieu qui fut extrais des Juys fut baptisiés ou circonchis solonc leur loy.

(3) Au huitième jour, Jésus fut baptisé ou circoncis, selon la loi des Juifs. Je vous dirai qu'ils tranchèrent un morceau de peau de son membre naturel ; c’était le baptême des Juifs, et Dieu, issu de leur race, fut baptisé ou circoncis selon leur loi.

(4) A cel citeit de Bethleem fut la joie mult grant faite por cel nativiteit, et disoit cascons que chu astoit Iy fis Joseph ; mains chu astoit gas.

(4) En cette cité de Bethléem, grande fut la joie à l’occasion de cette naissance, et chacun disait qu’il était fils de Joseph ; mais on se trompait.

Mervehle de la Tabarite emeritoir

Prodige de Taberna Meritoria

(5) Item doit-ons savoir que ons true en la sainte escripture que le jour quant Dieu fut neis avient à Romme mult grant myracle, car les riwes qui coroient là, et par especial la Tybre, et une fontaine que ons nom la Tabarite emeritoir, qui siet en [p. 345] Trans-Tyberin, devinrent oyle, et par tout le jour jettont grans riwes. Et enssi apparut I circle entour le soleal, al manere del arch celeste.

(5) On doit aussi savoir qu’on trouve dans la sainte écriture que le jour de la naissance de Dieu, un très grand miracle se produisit à Rome. Les rivières qui y coulaient, et spécialement le Tibre et une fontaine qu’on nomme la Taberna Meritoria, située dans le Transtévère, se changèrent en huile, coulant à flots durant tout le jour. Un cercle apparut aussi autour du soleil, comme un arc-en-ciel.

(6) Item en la citeit de Jherusalem entrat à chi jour une bieste que oncques nuls hons n’avoit plus veyut, n'en ne savoit-ons dont elle venoit, ne queile bieste chu astoit : elle coroit par la citeit de Jherusalem, et disoit que Jhesus astoit neis de virgue, qui venoit tout le monde rachateir.

(6) Ce jour-là entra dans la cité de Jérusalem une bête que personne n’a plus jamais vue ; on ne savait pas d’où elle venait, ni de quelle bête il s’agissait ; elle courait à travers la cité de Jérusalem, et disait que Jésus était né d’une vierge et qu’il venait racheter l’univers.

De Herode qui vouloit ochire l’enfant

Del stoile flammant

Hérode voulait tuer l’enfant

L’étoile flamboyante

[p. 345, l. 6] (7) A cel jour astoit Iy roy Herode en Jherusalem, qui oit mult grant duelhe de chu que la bieste disoit, et jurat que ilh feroit l’enfant qui neis astoit ochire.

(7) Ce jour-là, le roi Hérode se trouvait à Jérusalem. Il fut douloureusement affecté par ce que disait la bête et il jura qu’il ferait tuer l’enfant qui venait de naître.

(8) Adont regardat Herode vers Orient, si at veyut le stoile flammant ; si appellat I sien siervan, et Ii dest qu'ilh fesist les pas bien gaitier, car qui poroit prendre l’enfant qui astoit neis, ilh donroit à cheIi si grant terre qu'ilh seroit riche à tousjours, car ilh voloit l'enfant ardre et exilier.

(8) Alors Hérode regarda vers l’Orient et vit l'étoile flamboyante ; il appela un de ses serviteurs et lui dit de bien faire surveiller les lieux de passage. Celui qui capturerait le nouveau-né recevrait de lui une si grande étendue de terre qu’elle l’enrichirait à jamais. Il voulait anéantir l’enfant et l’écarter.

 

 

CHAPITRE 8
LES ROIS MAGES

[Comm]

 

Melchior le roy Jaspar Baltasar

Le roi Melchior – Jaspar – Balthazar

(1) A cel temps astoit roy de Tharse en Perse uns valhans hons qui astoit nommeis Melchior en hebreu ; chu est à dire en grigois Sarachin et en latin Damasticus.

(1) En ce temps-là, le roi de Tarse en Perse était un homme valeureux qui s’appelait Melchior en hébreu, c’est-à-dire Sarachin en grec et Damasticus en latin.

(2) Si avoit I altre roy en Arabe qui astoit nommeis Jaspar en hebreu ; ch'est en grigois Malgalat et en latin Appelliens.

(2) En Arabie Il y avait un autre roi, nommé Jaspar en hébreu, Malgalat en grec et Apellius en latin.

(3) Et avoit I aItre roy en la terre de Saba, chis fut nommeis en hebreu Balthasar ; chu est en grigois Galgalat, et en latin Amerus.

(3) Et en terre de Saba régnait un autre roi, nommé en hébreu Balthazar, en grec Galgalat, et en latin Amerus.

(4) Ches trois roys astoient si grans clers qu'ilhs astoient nommeis devineurs, c'est ortant à dire com philosophe.

(4) Ces trois rois étaient si grands clercs, qu’ils étaient appelés mages, ce qui revient à dire philosophes.

Les trois rois s’en vont

Cassathla citeit

Les trois rois s’en vont

La cité de Cassath

(5) Ches trois roys veirent l’estoile qui s'apparut en Orient, le jour que Dieu fut neis, et le veirent tous oussitost Iy uns com l'autre. Adont se mist cascon de ches trois roys al chemyn, pour aleir où Ii estoile les conduroit, car ilh disoient que Dieu astoit nasquis de virge qui le monde devoit rachateir ; se le voloient aleir adoreir à la citeit de Cassath [Calsach en B] en Ynde.

(5) Ces trois rois virent l’étoile apparue en Orient le jour où Dieu vint au monde ; ils la virent tous, l’un comme les autres, immédiatement. Tous les trois se mirent alors en route, pour aller où l’étoile les conduirait, car ils disaient que Dieu était né d’une vierge et qu’il devait racheter le monde. Ils voulaient aller l’adorer en la cité de Cassath, en Inde.

(6) S'y soy trovarent ches trois roys et s’asemblarent par bonne compangnie, quant ils soy cognurent et oirent dit li uns à l’autre leurs opinions, et astoient tous d’onne opinion.

(6) C’est là que les trois rois se retrouvèrent. Ils se mirent ensemble, en bons compagnons, lorsqu’ils se furent reconnus et eurent échangé leurs vues : ils avaient tous la même opinion.

(7) Celle citeit de Cassath siet à LII journéez  de Bethleem, et nunporquant Dieu fist à trois roys grant myracle, car ils vinrent à Bethleem à XIIIe journee droite ; car ilh avoient jà aleit III ou IIII journées, anchois qu’ils s’encontrassent à Cassath.

(7) Cette ville de Cassath se trouve à cinquante-deux jours de Bethléem, et cependant, Dieu fit pour ces trois rois un grand miracle : ils arrivèrent à Bethléem le treizième jour exactement. Avant de se rencontrer à Cassath, ils avaient déjà marché trois ou quatre jours.

Les III roys vinrent en Judée

Herode parolle à eaux

Miracle à Herode

Les trois rois arrivèrent en Judée
Hérode leur parle

Miracle devant Hérode

(8) Tant alerent ches trois roys que ils entrarent en Judée ; si ont troveit aux passaiges grans gens d’armes qui [p. 346] les prisent, et les mynarent devant Herode, qui leurs demandat cuy ilhs astoient et qu'ilh queroient.

(8) Les trois rois marchèrent jusqu’à leur arrivée en Judée. Ils rencontrèrent à la frontière de nombreux hommes en armes qui les arrêtèrent et les menèrent à Hérode, lequel leur demanda qui ils étaient et qui ils cherchaient.

(9) Promier parlat Jaspar et dest : « Sires, nos  summes rois qui allons querant I jovene damoiseal, qui est neis novellement, qui justicherat nos et vos et tous cheaux qui sont et qui sieront, car ilh est roy de tout le monde. »

(9) Jaspar parla le premier et dit : « Sire, nous sommes des rois à la recherche d’un jeune damoiseau, né récemment, et qui nous jugera, nous, vous et tous ceux qui existent et qui existeront, car il est le roi du monde entier ».

(10) Quant Herode entent chu se fut mult enbahis, et dest-ilh par trahison que chu ne poroit-ilh croire neis plus que uns cappons ne poroit del escuel où ilh astoit apparelhiés  por mangnier, salhir de la tauble à la perche chantant. Là demonstrat Dieu gran myracle, car Iy cappons salhit en plummes com de promier, et volat à la perche chantant.

(10) Quand Hérode entendit cela, il fut très troublé, et perfidement il dit qu’il ne pourrait pas plus croire à cela qu’il ne pourrait croire qu’un chapon, préparé dans une écuelle pour un repas, puisse sauter de la table sur son perchoir en chantant. Là Dieu fit un grand miracle, car le chapon sauta, paré de ses plumes comme avant, et vola vers son perchoir en chantant.

(11) Adont dest Herode aux trois rois par grant trahison qu'ilhs alassent tant querant qu'ilh le trovassent, et quant ilhs l'avoient troveit se retournassent par là, et ilh l'iroit aoreir.

(11) Alors Hérode, dans sa grande fourberie, dit aux trois rois de partir à la recherche de l’enfant jusqu’à ce qu’ils le trouvent et, qu’une fois l’enfant trouvé, ils repassent chez lui. Il irait alors l’adorer.

(12) Et les trois roys Ii oirent en convent ; puis soy partirent de luy, et soy misent al chemyn droit où ilh veirent l'estoile flammant, tant com ilh sont entreis en Bethleem.

(12) Les trois rois lui donnèrent leur accord ; puis ils le quittèrent et ils reprirent la route à l’endroit où ils virent l’étoile flamboyante, jusqu’à leur entrée dans Bethléem.

(13) Et Ii estoile s'abassat, si les mynat tout droit sour la maison où Dieu astoit, puis chaiit Ii estoile en I puiche ; et les trois roys entrarent en la maison, si ont troveit Marie qui alaitoit Dieu, son enfant.

(13) Et là, l’étoile s’abaissa et les conduisit directement vers la maison où Dieu se trouvait, puis elle tomba dans un puits. Les rois entrèrent dans la maison, et trouvèrent Marie allaitant Dieu, son enfant.

Les III roys offrirent à Jhesus leurs joweals

La signifianche des III dons

Les trois rois offrirent leurs trésors à Jésus
La signification des trois présents

(14) Atant prist cascons des III roys ses joweals qu'ilh avoit aporteit, et Iy offrirent ; Iy anneis Melchior offrit encense, et Jaspar myrre, et Balthasar oir, et ilh les prist ; lesqueis trois dons ont trois grandes signifianches : car Iy oir signifie qu'ilh sierat roy de tout le monde, Iy encense signifie que ilh feroit la vielhe loy chaioir, et estaubliroit une novelle, et Ii mirre signifioit que ilh sieroit mors en la crois por le peuple à rachateir.

(14) Alors ils prirent chacun les présents qu’ils avaient apportés et les offrirent ; l’aîné, Melchior, offrit l’encens, Jaspar la myrrhe, Balthazar l’or, et Dieu les accepta. Ces trois présents ont trois grandes significations : car l’or signifie que l’enfant sera le roi de tout l’univers, l’encens signifie qu’il fera tomber l’ancienne loi et en établira une nouvelle, et la myrrhe veut dire qu’il mourra sur la croix pour racheter le peuple.

(15) Item nos trovons en l'escripture que quant Melchior ouffrit à Dieu encense, ilh Iy semblat qu'ilh fust en l'eage de II ans, et ilh semblat à Balthasar qu'ilh ewist V ans, et ilh semblat à Jaspar qu'ilh ewist VII ans.

(15) Nous trouvons aussi dans un texte qu’au moment où Melchior offrit l’encens à Dieu, l’enfant lui sembla être âgé de deux ans ; Balthasar crut qu’il en avait cinq et il sembla à Jaspar qu’il en avait sept.

Jhesus sengnat les III roys

Jésus bénit les trois rois

(16) Apres chu se sont les trois roys partis, et ont pris hosteit en Bethleem meismes ; et quant ilhs furent al repouse se dest Melchior aux aultres :

(16) Après cela, les trois rois partirent, et se rendirent dans une auberge à Bethléem même. Et lorsqu’ils s’y reposaient, Melchior dit aux autres :

(17) « Bien doit yestre chis enfes roy de tout le monde, car ilh est mult saige, quant nos sengnat de sa diestre main qui signifie qu'ilh morat en crois, et enssi qu'ilh moy semble ilh at bien d'eage Il ans. » Enssi demoront et se sont aleis cuchiés.

(17) « Cet enfant doit bien être le roi du monde entier, car il est très sage ; quand il nous a bénis de sa main droite, signifiant qu’il mourrait en croix, il m’a semblé avoir au moins deux ans ». Ils restèrent ainsi et allèrent se coucher.

Ly angle s’apparut aux III roys

Un ange apparut aux trois rois

[p. 347] (18) Mains quant chu vient à meynuit, se vient uns angle aux trois roys, qui leurs dest :

« Barons, Dieu vos mande que vous n'en raleis mie par Judée, car Herode vos ochiroit ; mains raleis-en par aultre voie, et Dieu vos garderat de tous perilhes. »

(18) Mais quand arriva minuit, un ange vint vers les trois rois et leur dit :

« Barons, Dieu vous fait savoir de ne pas retourner par la Judée, car Hérode vous tuerait ; prenez une autre route pour rentrer, et Dieu vous gardera de tous les périls. »

(19) Quant les trois roys entendirent chu, ilhs se sont leveis, puis en ralont par altre voie, et sains Mychiel les conduisit jusques en leurs paiis.

(19 Quand les rois entendirent cela, ils se levèrent et s’en retournèrent par un autre chemin, et saint Michel les conduisit jusqu’à leur pays.

 

 

CHAPITRE 9
PrÉsentation au temple

 

[Comm]

 

Marie presentat Jhesum à temple

Marie présenta Jésus au temple

[p. 347, l. 6] (1) A cel temps astoit la constummes, quant les dammes soy relevoient d'enfant marle, qu'elles portoient au temple dois colons ou turturelles, si en faisoient oblation, car le colon signifie humiliteit et la turturelle casteit ; sique la virgue Marie, quant el oit jeut XXXIX jours, si alat al XLe al temple où astoit gran parage.

(1) À cette époque, c’était la coutume, quand les femmes se relevaient de couches après la naissance d’un enfant mâle, d’apporter deux colombes ou tourterelles, et d’en faire l’offrande au temple ; car la colombe signifie l’humilité et la tourterelle la chasteté. Ainsi la Vierge Marie, après être restée couchée trente-neuf jours, alla au temple le quarantième jour, où il y avait beaucoup de monde.

L’angle s’apparut à sains Symeon l’evesque

Gran myracle de sains Symeon

L’ange apparut à l’évêque saint Siméon

Grand miracle de saint Siméon

(2) Adont vint I angle à sains Symeon, l'evesque de la loy, et Iy dest qu'iIh soy appareIhast, car ilh troveroit l'enfant qui astoit Ii fis de Dieu. Atant vint sains Symeon au temple, si at encontreit Nostre-Damme qui venoit à noble compangnie.

(2) Alors un ange vint vers saint Siméon, l’évêque de la loi, et lui dit de se préparer, car il trouverait l’enfant qui était le fils de Dieu. Alors saint Siméon se rendit au temple, où il rencontra Notre-Dame arrivant en noble compagnie.

(3) AI entreir en temple fist Dieu gran myracle, car sains Symeon veit clerement, qui par-devant astoit si floible et si vies qu'ilh ne veioit gotes, et ne soy poioit sourtenir sens baston ; mains oussitoist que la virgue Marie Ii oit son enfant offiers, ilh le priste et l'enportat sour l'auteil enssi fortement com ilh fuist en l'eaige de XXX ans.

(3) À l’entrée du temple, Dieu fit un grand miracle, car saint Siméon se mit à voir clairement, lui qui auparavant était si faible et si vieux qu’il ne voyait rien et ne pouvait se soutenir sans bâton. Mais aussitôt que la vierge Marie lui eut présenté son enfant, il le prit et l’emporta sur l’autel avec autant de force que s’il était âgé de trente ans.

(4) Sains Symeon portoit cheluy qui meisme le sourtenoit, car ilh portoit son saingnour qui Ii donnoit forche et vigeur, chu astoit son Dieu son salut qui Iy donnoit si grant vertu, que ilh portoit et sourtenoit cheluy qui porte et sourtient tout le monde.

(4) Saint Siméon portait celui-là même qui le soutenait, car il portait son seigneur qui lui donnait force et vigueur ; c’était son Dieu, son sauveur qui lui donnait une si grande force parce qu’il portait et soutenait celui qui porte et soutient tout l’univers.

(5) Dieu amat mult sains Symeon, quant son corps laisat à luy ouffrir. En teile manere fut Dieu ouffert al temple par sains Symeon, qui longement l'avoit mult desinramment ratendut et demandeit.

(5) Dieu aima beaucoup saint Siméon, quand il le laissa lui présenter son corps. Dieu fut présenté de cette manière au temple par saint Siméon, qui l’avait longtemps attendu et très intensément désiré.

 

Comme il a été dit plus haut, chacun de ces neuf chapitres fait l’objet d’un commentaire spécifique. Le commentaire des cinq premiers chapitres se trouve ici (dans les Folia Electronica Classica, 28, 2014), celui des quatre derniers dans le fascicule 30 des Folia Electronica Classica (2015).

 

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