[Extrait
de Folia Electronica Classica, 
t. 28, juillet décembre 2014]
L’Évangile selon Jean
d’Outremeuse (XIVe s.)
Autour de la Naissance du Christ (Myreur, I, p. 307-347 passim)
Texte
original et traduction française
par
Jacques Poucet
Membre
de l’Académie royale de Belgique
Professeur
émérite de l’Université de Louvain
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Comme le précise la page d’accueil, les textes du Myreur des Histors examinés dans cet article et intitulés
« Autour de la Naissance du Christ » concernent d’une part l’histoire
de Marie et de sa famille avant la naissance du Christ, et d’autre part la
Nativité et les récits en rapport avec elle. En réalité, toutes les pages de
307 à 347 de Myreur I, n’ont pas été
utilisées, ce qui nécessite quelques mots d’explication.
Jean d’Outremeuse, qui présente son oeuvre comme une chronique, l’organise
selon un procédé de type annalistique. Cette manière de faire place le
commentateur moderne qui travaille par thèmes dans une situation particulière
que nous avons déjà rencontrée dans des études précédentes, notamment sur Le Virgile de Jean d'Outremeuse (FEC, 22, 2011) et sur la Fuite de la Sainte Famille en Égypte (FEC, 28, 2014). C’est que souvent la
matière relevant d’un sujet précis n’est pas présentée dans Ly Myreur en un seul bloc mais en
diverses sections qui peuvent même être séparées les unes des autres par le
récit d’événements plus ou moins contemporains et qui n’ont rien à voir avec elle.
Dans le présent article aussi, nous devrons regrouper des membra disiecta, ce qui explique le passim du titre. Nous nous expliquerons plus longuement sur ce
point au début du premier chapitre de notre commentaire.
Quoi qu’il en soit, les passages retenus proviennent de l’édition d’Adolphe Borgnet : Ly Myreur des Histors. Chronique de Jean des Preis dit d'Outremeuse, Bruxelles, t. 1, 1864, 684 p. (Publications de la Commission Royale d'Histoire de Belgique. Collection des chroniques belges inédites. Corps des chroniques liégeoises). Le texte en a été retranscrit par nos soins, aussi fidèlement que possible, sans que nous ayons cru devoir vérifier les deux manuscrits (A et B) sur lesquels il repose. Nous avons aussi divisé la matière en neuf chapitres, en leur donnant des titres. Les voici, suivis, entre parenthèses, des pages du Myreur auxquelles ils correspondent :
      Marie avant
la Nativité
- Ch. 1. Sa parenté (notamment Élisabeth), sa naissance, sa
petite enfance (Myreur, I, p. 307-308,
329, 335-336)
- Ch. 2. Considérations
chronologiques (Myreur, I, p.
336-337)
- Ch. 3. L’Annonciation
et la virginité de Marie (Myreur, I, p.
337-339)
- Ch. 4. Les
Épousailles de Marie et de Joseph (Myreur,
I, p. 339-340)
- Ch. 5.
La Visitation et Jean Baptiste (Myreur,
I, p. 340-341)
      La Nativité
- Ch. 6.
Bethléem : recensement, naissance, miracles (Myreur, I, p. 341-344)
- Ch. 7.
Après la naissance de Jésus (Myreur,
I, p. 344-345)
- Ch. 8.
Les Rois Mages (Myreur, I, p.
345-347)
- Ch. 9.
La Présentation au Temple et le vieillard Siméon (Myreur, I, p. 347)
Ces passages sont accompagnés d’une traduction
personnelle. La présentation du texte et de la traduction respecte cette 
division. Chaque chapitre correspond à un fichier du commentaire. Ce dernier est publié en deux parties. Le commentaire
des cinq premiers chapitres se trouve ici (dans les  Folia
Electronica Classica, 28, 2014), celui des quatre derniers dans
le fascicule 30 des 
Folia
Electronica Classica 
(2015).
*
Chapitre 1
Parenté, NAISSANCE, PETITE ENFANCE
[Comm]
| 
   La generation de sains Servais De saint Johans Baptiste Des
  parens la virge Marie et de sa naschence  | 
  
   La naissance de saint Servais De saint Jean Baptiste Des parents de la vierge Marie et de sa
  naissance  | 
 
| 
   
	[p. 307, l. 1] En cel an meismes, le XIe jour de june, soy
  mariat Anne qui fut soreur à Esmarie charnel, filhe à Achar, de la lignie
  Juda, la mère Elizabeth et Eliud ; de Eliud, qui fut frere à Elizabeth,
  Emyb nasquit, et de Emyb nasquit sains Servais, qui fut evesque de
  Tongre ; le siege astoit seant à Treit sour Mouse.  | 
  
   
	(1) Le 11 juin de cette année-là (= 572) Anne se maria. C’était la
  sœur d’Émérie, fille d’Achar de la lignée de Judas. Émérie avait eu pour
  enfants Élisabeth et Éliud. D’Éliud, frère d’Élisabeth, naquit Émyb, et d’Émyb
  naquit saint Servais, qui fut évêque de Tongres, le siège étant à Maestricht.  | 
 
| 
   
	(2) Item Elisabeth, la filhe Esmarie, oit Zacharie le prestre de
  la loy à marit, dont naquit saint Johan-Baptiste en Jherusalem.  | 
  
   
	(2) Élisabeth, la fille d’Émérie, eut pour époux Zacharie,
  prêtre de la loi, d’où naquit saint Jean Baptiste à Jérusalem.  | 
 
| 
   
	(3) Et l’autre soreur ch’est sainte Anne, qui à jour deseurdit
  se mariat, et prist son promier marit Joachim, desqueis nasquit la benoite
  virgue Marie.  | 
  
   
	(3) L’autre sœur, qui 
	est sainte Anne, se maria au jour précisé ci-dessus, et eut pour premier 
	mari Joachim, d’où naquit la vierge bénie, Marie.  | 
 
| 
   (4) Et quant Joachim fut trespasseis, si soy remariat Anne à Cleophas, et Marie sa fille esposat Joseph, frere à Cleophas. De cheli Cleophas et Anne, nasquit l’autre Marie, qui fut la femme Alphei, de quoy nasquit saint Jacque le Petis et Joseph ; et sa mere fut nommee Marie-Jaqueline, portant qu’elle fut mere à sains Jaque le Petit, et fut enssi appelée Marie-Joseph. Et porchu je le devise enssi por la diversiteit des ewangelistes, car enssi est-ilh nommée en l’ewangile de la messe de Nostre-Dame : Marie Cleophe.  | 
  
   
	(4) Quand Joachim fut mort, Anne se remaria avec Cléophas, et sa
  fille Marie épousa Joseph, le frère de Cléophas. De Cléophas et Anne, naquit
  l’autre Marie, qui épousa Alphée, de qui naquirent saint Jacques le Mineur et
  Joseph ; sa mère fut nommée Marie Jacques, parce qu’elle fut la mère de Jacques
  le Mineur, mais elle fut aussi appelée Marie Joseph. Et je dis cela à cause
  des divergences entre les évangélistes, car elle est nommée Marie Cléophas dans
  l’évangile de la messe de Notre-Dame.  | 
 
| 
   
	(5) Et quant Cleophas fut deviés, si se remariat Anne à Salomé,
  de cuy naquit l’autre Marie, le femme Zebedei, le mere sains Johans
  ewangeliste et sains Jaque le Gran, qui gyst en Compostel. Et por chu est-ilh
  appelée Marie-Salomé et Marie Zebedei.  | 
  
   
	(5) Après la mort de Cléophas, Anne se remaria avec Salomé, de
  qui naquit l’autre Marie, l’épouse de Zébédée, mère de saint Jean l’Évangéliste
  et de saint Jacques le Majeur, celui qui repose à Compostelle. C’est pourquoi
  elle est appelée Marie Salomé et Marie de Zébédée.  | 
 
| 
   (6) Enssi oit sainte Anne III barons, et de cascon oit une Marie et enssi furent trois Marie, dont la promiere fut la mere Jhesu-Crist, le salveur de tout le monde et les autres vos ay dit desus. […]  | 
  
   (6) Ainsi sainte Anne eut trois maris, et de chacun elle eut une Marie. Ainsi, il y eut trois Maries, dont la première fut la mère de Jésus-Christ, le sauveur du monde entier. Des deux autres Maries, je viens de vous parler. […]  | 
 
| 
   
	La conception Nostre-Damme  | 
  
   
	La conception de Notre-Dame  | 
 
| 
   
	[p. 308,
  l. 20] (7) En cel an meismes, le VIIIe jour de decembre, engenrat
  Joachim dedens le corps de sa femme sainte Anne la benoit virge Marie, mere à
  Jhesu-Crist, sicom vos oreis.    | 
  
   
	(7) En la même année (= 574), le 8 décembre, Joachim
  engendra, dans le corps de sa femme sainte Anne, la vierge bénie, Marie, mère
  de Jésus-Christ, comme vous l’entendrez.    | 
 
| 
   
	(8) Chis
  proidhons Joachim issit de la royal lignie le roy David, qui descendit de la
  lignie Judas le fis Jacob ; et portant que pluseurs gens ne sevent mie
  dont ches lignies vinent, et que chu est à dire, si en voray I pau declareir
  par recapitulation. […]  | 
  
   
	(8) Cet 
	homme sage est issu de la lignée royale du roi David, qui descendait de la 
	lignée de Judas, fils de Jacob ; et du fait que plusieurs personnes ne 
	savent pas d’où viennent ces lignées et ce qu’il y a à en dire, je voudrais 
	vous faire un petit résumé. […]  | 
 
| 
   
	
	La
  Nascenche Nostre-Dame sainte Marie  | 
  
   
	
	La Naissance de Notre-Dame sainte Marie  | 
 
| 
   
	[p. 329, l. 2-5] (9) En cel année meisme, le VIIIe
  jour de mois de septembre, fut née la benoite virge Marie ; de laqueile
  nativiteit nos devons faire grant fieste et grant joie, car aultrement ne
  fussiens mie delivreis des grandes paines d’ynfeir. […]  | 
  
   
	(9) En
  cette même année (= 575), le 8 septembre naquit la bienheureuse Vierge
  Marie ; cette naissance, nous devons beaucoup la fêter et nous en réjouir,
  car sinon nous ne serions pas délivrés des grandes peines de l’enfer. […]  | 
 
| 
   
	De Zacharie et Elisabeth  | 
  
   
	De Zacharie et Elisabeth  | 
 
| 
   
	[p. 335,
  l .7
  (10) Item, l'an del transmigration de Babylone Vc IIIIxx et IX, le XXIIII
  jour de mois de septembre, al XXle an del coronation le roy Herode, astoit I
  hons religieux, qui astoit priestre et faisoit à cel jour oblation en temple
  de Jherusalem : si astoit nommeis Zacharie, et sa femme astoit nommée
  Elizabeth ; et astoient mult vies, car cascons avoit bien cent ans d'eaige,
  si n'avoient oncques oyut enfans, car Elizabeth astoit brehangne, se ne
  poioit fructifiier. Et ne plaisoit mie à Dieu que ilh awist enfant, jusqu'à
  tant que temps sieroit por Iy.  | 
  
   
	(10) L’an
  589 de l’exil de Babylone, le 24 septembre, la vingt et unième année après le
  couronnement du roi Hérode, un homme religieux, un prêtre, faisait ce jour-là
  une offrande dans le temple de Jérusalem ; il avait pour nom Zacharie et
  sa femme s’appelait Élisabeth ; ils étaient très vieux : en effet,
  ils avaient chacun au moins cent ans et 
  n’avaient jamais eu d’enfant parce qu’Élisabeth était stérile, et ne
  pouvait porter de fruit. Et Dieu ne voulait pas qu’il ait un enfant, jusqu’au
  temps qui serait venu pour lui.  | 
 
| 
   Zacharie en temple fist
  sacrifiche L’angle annunchat la
  conception saint Jehan-Baptiste  | 
  
   Zacharie fit un sacrifice au temple   | 
 
| 
   (11) Si
  avient enssy que Zacharie Iy priestre astoit en temple et faisoit oblation de
  incense, et veschi sains Gabriel l'angele vient et s'aparuit à Iy devant l'ateit,
  et dest en teile manere :   | 
  
   (11) Et
  il advint que le prêtre Zacharie se trouvant dans le temple en train de faire
  une offrande d’encens, voici que vint l’ange saint Gabriel qui lui apparut
  devant l’autel et lui dit ainsi :   | 
 
| 
   (12) « O
  tu, Zacharias, entens à moy. Dieu tu mande que quant tu as fineit son
  serviche, se toy retrais arrie en ton hosteit et toy cuche awec ta
  femme ; et Dieu toy donrat I teile fruit, qui de luy serat tant ameis
  que ilh vorat prendre baptemme de Iy en fluis Jordan, et se le nomme par son
  nom Johans ».  | 
  
   
	(12) « O
  toi, Zacharie, écoute-moi. Dieu te fait savoir que, après avoir fini ton
  service, tu te retires dans ta maison et couches avec ta femme ; et Dieu
  te donnera un rejeton, qu’il aimera au point qu’il voudra recevoir de lui le
  baptême dans le Jourdain et ce fils se nommera Jean. »    | 
 
| 
   
	(13) Quant
  Zacharie l'oït, se dest à Gabriel : « Comment porat chu eistre que
  tu m'as dit ? Nos summes si vilhes ambdois et si floibles, que je ne moy
  puy sourtenir, et s'ilh est enssi que j'aroy en chist eaige enfant, chu ne
  poroy-je croire. »  | 
  
   
	(13) Quand
  Zacharie entendit cela, il dit à Gabriel : « Comment ce que tu m’as
  dit pourra-t-il se faire  ? Nous sommes si vieux tous les deux et
  si faibles, que je ne puis pas me soutenir, et je ne pourrais croire qu’à cet
  âge j’aurai ainsi un enfant ».   | 
 
| 
   Zacharie devient mueis  | 
  
   Zacharie devient muet  | 
 
| 
   
	(14) Adont
  dest Ii angle à Zacharie : « Et tu en auras teile gueridon por te
  non creanche que tu ne parleras, ains seras-tu mueis jusqu'à tant que Ii
  enfes serat neis, et portant que tu ne vues croire que Dieu ait bien poioir
  de toy faire avoir enfant ; et quant Iy enfes serat circonchis et
  nommeis Johans, adont parleras-tu com devant. »  | 
  
   
	(14) Alors
  l’ange dit à Zacharie : « Et pour te punir de ton manque de foi, tu
  ne parleras plus mais tu resteras muet jusqu’à la naissance de l’enfant, et
  cela parce que tu ne veux pas croire que Dieu a le pouvoir de te rendre père.
  Tu ne retrouveras la parole que quand l’enfant sera circoncis et appelé
  Jean. »  | 
 
| 
   (15) Atant est Iy angele departis, et Zacharie fist le serviche de Dieu, puis issi de temple ; mains oussitoist que ilh issit de temple, par le volenteit de Dieu [p. 336] ilh fut mueis et laisat le parleir, de quoy Iy peuple en oit grant mervelhe ; et puis soy cuchat awec sa femme. Et adont fut engenreis sains Johans, et ne nasquit oncques plus grans de femme fours que Jhesu-Crist.  | 
  
   
	(15) Puis
  l’ange s’en alla. Zacharie accomplit le service divin, puis sortit, mais dès
  qu’il fut hors du temple, par la volonté de Dieu, il devint muet et cessa de
  parler, au grand étonnement du peuple. Puis il alla coucher avec sa femme.
  Alors saint Jean fut engendré, et jamais femme ne mit au monde un homme plus
  grand, à l’exception de Jésus-Christ.  | 
 
CHAPITRE 2
CONSIDÉRATIONS CHRONOLOGIQUES
[Comm]
| 
   Chi fine li Ve eaige de
  monde  | 
  
   Ici finit
  le cinquième âge du monde  | 
 
| 
   
	[p. 336. l. 4]
	
	(1) Item, chi fine Iy Ve eaige
  de monde, qui contient del transmigration de Babylone jusques al incarnation
  Jhesu-Crist. 
	(2) Et
  deveis savoir que ly promier eaige de monde, chu est de la formation Adam,
  nostre promier pere, jusqu'à le delueve Noé, qui contient IIm lIc et XLII
  ans. 
	Item, Iy
  secon eaige de monde est de la delueve Noé jusqu'à la nativiteit Abraham le
  patriarche, qui contient IXe et XLII ans. 
	Item, Iy
  IIIe eaige est de la nativiteit Abraham jusqu'à la coronation le roy David,
  qui contient IXc et XL ans. 
	Item, le
  IIIIe eaige est de la coronation le roy David jusques al transmigration de
  Babylone, qui contient IIIIc et IIIIxx ans.  | 
  
   
	(1) Ici
  finit le Ve âge du monde, qui va de l’exil de Babylone à l’Incarnation de
  Jésus-Christ. 
	(2) Vous
  devez savoir que le premier âge du monde, de la création d’Adam, notre
  premier père, au déluge de Noé, compte deux mille deux cent quarante-deux
  ans. 
	Le second
  âge du monde, du déluge de Noé à la naissance d’Abraham le patriarche, compte
  neuf cent quarante-deux ans. 
	Le
  troisième âge va de la naissance d’Abraham au couronnement du roi David, et
  compte neuf cent quarante ans. 
	Le
  quatrième âge va du couronnement du roi David à l’exil de Babylone et compte quatre
  cent quatre-vingts ans.  | 
 
| 
   Item, le Ve eaige est del transmigration jusques al incarnation Nostre-Salveur Jhesu-Crist, quant l'angele Gabriel annunchat à la virgue Marie le salut del Ave Maria ; Iyqueis quinte eaige est chis que nos avons chi-desus pris nos dautes derainement, qui contient Vc IIIIxx et IX ans.  | 
  
   
	Le
  cinquième âge va de l’exil à l’incarnation de notre Sauveur Jésus-Christ,
  quand l’ange Gabriel porta à la vierge Marie le salut de l’Ave Maria ; ce cinquième âge est le dernier où nous avons pris ci-dessus nos
  dates : il compte cinq cent quatre-vingt-neuf ans.  | 
 
| 
   
	(3) Lesqueis
  V eaiges montent ensemble à la somme de Vm et lIc ans 1 moins, assavoir V
  milh cent nonante et nuef, que Ii monde avoit esteit origineis et Adam
  fourmeis, enssi com dit est par-desus.  | 
  
   
	(3) Ces
  cinq âges totalisent cinq mille deux cents ans moins un, c’est-à-dire cinq
  mille cent nonante-neuf ans, depuis l’origine du monde et la création d’Adam,
  comme cela a été dit ci-dessus.  | 
 
| 
   (4) Ors est raison que nos parlons de la benoite incarnation Nostre-Saingnour Jhesu-Crist, par lequeile tous le monde fut rachateis et osteis des grandes poins d'infier.  | 
  
   (4) Maintenant nous devons parler de la bienheureuse Incarnation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui racheta et délivra le monde entier des grandes peines de l’enfer.  | 
 
| 
   De VIe eaige de monde  | 
  
   Le sixième
  âge du monde  | 
 
| 
   
	(5) Chi-apres
  s'ensiet Iy VIe eaige, qui dure jusqu'à la fin de chu monde. Chi commenche Iy
  an deltres-sainte incarnation Jhesu-Crist.  | 
  
   
	(5) Ce
  qui suit concerne le sixième âge, qui durera jusqu’à la fin de ce monde. Il
  commence l’an de la très sainte incarnation de Jésus-Christ.  | 
 
| 
   
	(6) A la gloire et
  loienge de la sainte Triniteit, de Pere, Fis et Saint-Esperit, vorons
  commenchier et deviseir le VIe eaige de monde, et le derains solonc l'Escripture,
  car ilh durerat jusqu'al fin de monde; et vos vorons declareir les dautes
  comment ilh commenchoient chi-devant, et par queile raison.  | 
  
   (6) À la gloire et à la louange de la sainte Trinité, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, nous voulons commencer à parler du sixième âge du monde, et le dernier selon l’Écriture, car il durera jusqu’à la fin du monde. Nous voulons vous en expliquer les dates, quand elles ont commencé et pourquoi.  | 
 
| 
   
	(7) Vos saveis que
  toutes les dautes des V eaiges deseurdis commenchent en mois de marche le
  XXVe jour, portant que marche astoit ly promirs mois de l'an, et portant
  enssi que Adam fut fais et fourmeis le XXVe jour de marche ; et oussi
  ilh morut à cheli jour, sour l'an del origination de monde IXc et XXX ;
  et fut à chis propre jour Abel ochis par Caym; et si ouffrit [p. 337] Melchisedech
  pain et vin, et Ysaac fut mis sour l'auteit por coupeir son chief en nom de
  sacrifiche ; et que sains Johans-Baptiste fut decolleis, et sains Pire
  l'apostIe fut mis fours del prison, et sains Jaque fut martyrisiiés, et Ii
  passion Nostre-Sires Jhesu-Crist que ilh souffrit mort en la crois por tout
  humaine lignie, et la victoire sains Mychiel contre le dyable, et que les
  enfans d'Ysrael passont mere tout à seche. Tout chu fut fait à cheli meismes
  jour XXVe de marche, en diverses années.  | 
  
   (7) Vous savez que les cinq âges mentionnés plus haut ont tous commencé en mars, le 25, parce que mars était le premier mois de l’année, et aussi parce que Adam fut créé et formé le 25 mars. Il mourut aussi ce jour-là, en l’an 930 de l’origine du monde. En ce jour aussi, Abel fut tué par Caïn, Melchisédech offrit le pain et le vin, Isaac fut placé sur l’autel pour avoir la tête coupée en guise de sacrifice, saint Jean Baptiste fut décapité, saint Pierre sortit de prison et saint Jacques fut martyrisé. Le 25 mars encore, ce fut la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui souffrit la mort sur la croix pour toute la lignée humaine, et la victoire de saint Michel contre le diable et le passage de la mer à sec par les enfants d’Israël. Tous ces événements eurent lieu ce même jour, le 25 mars, à des années différentes.  | 
 
| 
   (8) Mains encor y fut fais ly plus grans, Iy plus precieux, Iy plus benigne et Iy plus glorieux fais qui oncques fut fais à monde, car à cel propre jour, le XXVe jour de marche, vient Gabriel ly archangle aporteir à la virgue Marie le salut del Ave Maria, sicom vos oreis chi-apres, sour l'an del creation de monde Vm IIc, 1 moins, parfais, et Vm lIc imparfais.  | 
  
   (8) Mais le
  25 mars encore se produisit l’événement le plus grand, le plus précieux, le
  plus sacré et le plus glorieux de ceux qui eurent jamais lieu au monde, car
  en ce jour-là, le 25 mars, l’archange Gabriel vint apporter à la vierge Marie
  le salut de l’Ave Maria, comme vous l’entendrez ci-après, en l’an de
  la création du monde 5199 (« parfait ») et 5200 (« imparfait »).  | 
 
| 
   Des ans parfais et imparfais  | 
  
   Les années parfaites
  et imparfaites  | 
 
| 
   
	(9) Si voray faire
  entendre aux ignorans briefment la differenche entre parfait et imparfait.  | 
  
   
	(9) Je
  voudrais brièvement faire comprendre à ceux qui l’ignorent la différence
  entre « parfait » et « imparfait ».  | 
 
| 
   
	(10) Nos vos avons
  desus dit que toutes les dautes anchienement prendoient leurs commenchement à
  leur fin en mois de marche le XXVe jour ; et coroit cascon daute I an,
  sy finoit au XXlllle jour, et tout l'an qu'ilh coroit astoit an imparfait, et
  quant ilh venoit al dierain jour, ilh astoit acomplit et parfait.  | 
  
   
	(10) Nous
  vous avons dit plus haut que, dans les temps anciens, toutes les années commençaient
  à la fin mars, le 25 du mois, que chacune d’elles durait un an et se
  terminait le 24. Une année en cours représentait une année « imparfaite » ;
  quand elle arrivait au dernier jour seulement, elle était terminée et « parfaite ».  | 
 
| 
   
	(11) Et enssi vos
  dis-je que ly an Vm et IIc, I moins, finat le XXIIIIe jour de marche, et fut
  parfais ; et lendemain, le XXVe jour de marche, quant Gabriel vient,
  commenchat l'an imparfait Vm lIc, qui corit l'année tout ensuivant. Et chis
  fut Iy promier an deI incarnation. Et chu fait-ilh bon savoir et entendre por
  les debas des années parfaites et imparfaites, car ons auroit tantost
  mescompteit une an qui n'y penseroit.  | 
  
   (11) Ainsi
  je vous dis que l’an 5199, quand il se termina le 24 mars, fut alors
  « parfait », et que le lendemain, le 25 mars, à l’arrivée de
  Gabriel, commença l’année « imparfaite » 5200 qui courait sur toute
  l’année suivante. Ce fut l’an 1 de l’Incarnation. Il est bon de savoir et de
  comprendre cela pour suivre les discussions sur les années « parfaites »
  et « imparfaites », car on aurait vite fait une erreur d’un an, si
  on n’y pensait pas.  | 
 
CHAPITRE 3
L’ANNONCIATION ET LA VIRGINITÉ DE MARIE
[Comm]
| 
   L’anunciation à Nostre-Damme  | 
  
   L’annonciation à Notre-Dame  | 
 
| 
   [p. 337, l. 24] (1) En revenant à
  nostre matere, le promier an deI incarnation Nostre-Saingnour Jhesu-Crist
  imparfait, et le promier jour del an, assavoir le XXVe jour de mois de
  marche, al heure de messe solonc alcuns, desquendit Gabriel, à commandement
  de Dieu, faire l'anunciation à la benoite et glorieuse virge Marie, qui
  astoit entrée dedens son orateur, en la citeit de Nazareth, et tenoit I psaltier
  en sa main, et avoit de eaige XIIII ans et VII mois, VIII jours moins, que el
  avoit esteit née.   | 
  
   Jésus-Christ (an incomplet) et le premier jour de l’an, c’est-à-dire le 25 mars, à l’heure de la messe selon certains, l’ange Gabriel descendit, sur l’ordre de Dieu, faire une annonce à la benoîte et glorieuse vierge Marie. Celle-ci était entrée dans son oratoire, dans la cité de Nazareth et tenait un psautier en sa main. Elle était âgée de quatorze ans, sept mois moins huit jours.  | 
 
| 
   (2) Et
  là elle commenchat mult parfaitement à oreir Dieu et deproiier. Et Iy vray
  Dieu, qui l'avoit fait et fourmeit à sa volenteit et edifiié en son cuer,
  deis al commenchement de monde, com [p.
  338] celle de cuy ilh voloit faire sa mere et sa filhe, fist à cel propre
  heure el chiel ovrir.  | 
  
   (2) Et là, très pieusement, elle se mit à invoquer et à prier
  Dieu. Et le vrai Dieu, qui l’avait faite et formée selon sa volonté et conçue
  en son cœur dès le commencement du monde comme la personne dont il voulait
  faire sa mère et sa fille, fit à cette heure précise s’ouvrir le ciel.  | 
 
| 
   (3) Si
  envoiat sains Gabriel dedens le temple, qui jettat mult grant clarteit, et
  vient devant Marie, sicom dit est. Si l'apellat mult douchement et dest :
  « Dieu toy sault, Marie plaine de grasce, Dieu est awec toy. »  | 
  
   (3) Il envoya dans le temple saint Gabriel, qui répandit une très
  grande lumière et se présenta à Marie, comme cela est dit. Il l’appela très
  doucement et lui dit : « Dieu te salue, Marie, pleine de grâces,
  Dieu est avec toi. »   | 
 
| 
   De sainte Marie ce qu’elle quidoit de
  l’angle  | 
  
   Ce que
  sainte Marie croyait à propos de l’ange  | 
 
| 
   (4) Adont
  oit la benoite virge Marie grant paiour, car elle quidat, sicom alcuns
  escriptures dient, que chu fuist I enchanteur qui adont regnoit en paiis, qui
  astoit nommeis Turquins, qui, toutes les fois qu'ilh Iy plaisoit, se faisoit
  sembleir uns angele, et s'aloit sovens cuchier awec les pucelles. Se quidat
  Marie del angele que chu fuist cheli Turquins qui le vosist dechivoir, si
  demandat en conjurant de Dieu que s'ilh astoit Turquins que ilh Iy
  desist ; mains Gabriel Ii respondit qu'ilh astoit vray et certains
  messagier de Dieu.  | 
  
   (4) Alors
  la douce vierge Marie eut grand peur, car elle croyait, selon ce que disent certains
  textes, que c’était l’enchanteur, qui régnait alors dans le pays et se
  nommait Turquin. Celui-ci, toutes les fois qu’il le souhaitait, prenait
  l’apparence d’un ange et allait souvent coucher avec les pucelles. Marie crut
  que l’ange était ce Turquin qui voulait lui faire du mal, et, au nom de Dieu
  elle lui demanda, s’il était Turquin, de la laisser. Mais Gabriel lui
  répondit qu’il était vraiment et en toute certitude un messager de Dieu.   | 
 
| 
   L’angle parolle à Nostre-Damme  | 
  
   L’ange parle à Notre-Dame  | 
 
| 
   (5) Quant
  Marie oiit chu, se fut plus assegurée, car Iy angele Iy dest : « Ne
  t'enmaies nient, Marie, car Dieu est en toy desquendut, et se toy mande que
  tu as conchut unc fis toute virge ; et al enfanteir demoras virgue, et
  enssi apres l'enfantement, et sainte virge tousjours demoras, et ton fis
  sierat roy de paradis ; et ne mescrois mie chu que je dis, ains regarde
  Elizabeth, ta cusin, qui est brehangne et vielhe de cent ans, et at conchut
  de son saingnour unc mult noble enfant. »   | 
  
   (5) Quand
  Marie entendit cela, elle fut plus rassurée car l’ange lui dit :
  « Ne t’effraie pas, Marie, car Dieu est descendu en toi et te fait
  savoir que, toute vierge que tu sois, tu as conçu un fils ; qu’en
  enfantant, tu demeureras vierge ; qu’après l’accouchement aussi, vierge
  sainte tu resteras, et ton fils sera roi du paradis. Ne refuse pas de croire
  ce que je dis, mais regarde Élisabeth, ta cousine, stérile et âgée de cent
  ans : elle a pourtant conçu de son époux un très noble enfant».  | 
 
| 
   (6) Adont
  respondit sainte Marie : « Comment poroit chu eistre ? Je
  n'oie oncques cognisanche d'homme, et ay à Dieu voweit casteit, sique je moy
  mervelhe comment virge poroit enfant avoir sens atouchier à homme, ne sens
  fauseir virginiteit ne faindre. »  | 
  
   (6) Alors
  Marie répondit : « Comment cela se pourrait-il ? Je n’ai
  jamais connu l’homme, et j’ai voué à Dieu ma chasteté, si bien que je me
  demande comment une vierge pourrait avoir un enfant sans toucher un homme, ni
  sans trahir sa virginité ni feindre ».  | 
 
| 
   (7) Adont
  Iy dest Iy angele Gabriel : « Dame, Dieu at bien poioir de tot faire et
  defaire ; ilh veult de toy faire sa mere, si qu'ilh serat ton fis, et
  serat oussi ton pere, et enssi ne perderas riens de chu que tu as
  voweit ; ilh garderat mult bien ta casteit. » Et quant Marie oiit chu,
  se dest : « Ancelle je suy à Iy, si fache de moy son
  plaisier. »  | 
  
   (7) Alors l’ange Gabriel lui dit : « Dame, Dieu a bien le pouvoir de tout faire et tout défaire ; il veut faire de toi sa mère, et il sera ton fils, et sera aussi ton père, et cela sans aucunement enfreindre ton vœu : il sauvegardera très bien ta chasteté ». Et quand elle entendit cela, Marie dit : « Je suis sa servante ; qu’il fasse de moi selon son plaisir ».  | 
 
| 
   Mervelhe de Nostre-Damme Del virginiteit de
  Nostre-Damme Dieu entrat en corps Marie
  par l’orehle  | 
  
   Prodige de Notre-Dame La virginité de Notre-Dame Dieu entra en Marie par l’oreille  | 
 
| 
   (8) Atant
  s'en est ly angele aleis, et Marie demorat conchuit et engrossie de Dieu, qui
  en ses flans s'aombrit en celle heure ; et entrat Dieu en Marie par
  l'orelhe, car par l'orelhe entendit l'angele, et enssi que Ii sons de la vois
  entrat en l'orelhe, enssi entrat awec la sainte Triniteit de Pere, Fis et
  Saint-Esprit, car de chi fait ne soit riens Iy membre natureit de la virge
  Marie, ne sa fleur virginal.  | 
  
   (8) Alors
  l’ange s’en alla et Marie resta enceinte et grosse de Dieu, qui s’abrita à ce
  moment-là en ses flancs. Dieu entra en Marie par l’oreille, car c’est par
  l’oreille qu’elle entendit l’ange, et de même que le son de la voix pénétra
  dans son oreille, en même temps entra la sainte Trinité du Père, du Fils et
  du Saint-Esprit. Et de ce fait le membre naturel de la vierge et sa fleur
  virginale n’en surent rien.  | 
 
| 
   [p. 339] 
	(9) Cascons
  doit savoir que enssi que Iy soleal trespasse la voiriere qui est saine et
  entier, et resplendist sa clarteit ouItre, et puis soy retrait sens le voire
  emperier ne rompir à passeir ; enssy soy mist Dieu en corps de Marie par
  l'orelhe où elle conchuit la parolle, et resplendist dedens li et espandit sa
  vertut et clarteit de la sainte Triniteit, sens violenche faire à
  virginiteit. Et ilh soy retrahist cest al enfanteir ; ilh issit fours
  par l'orelhe où ilh astoit dedens entreis, virginiteit demorant sens rumpre
  ne casseir en nulles des parties.    | 
  
   (9) Chacun
  doit savoir que, de même que le soleil traverse une vitre propre et intacte
  la faisant resplendir de sa clarté, puis se retire sans abîmer le verre ni le
  rompre à son passage, ainsi Dieu prit place dans le corps de Marie par son
  oreille, par où elle conçut la parole. Dieu y resplendit, répandant sa vertu
  et la lumière de la Sainte Trinité, sans faire violence à sa virginité. Il
  s’en retira à l’enfantement ; il sortit par l’oreille, par où il était
  entré, la virginité subsistant sans être rompue ni brisée en aucune de ses parties.  | 
 
CHAPITRE 4
LES ÉPOUSAILLES DE DE MARIE ET DE JOSEPH
[Comm]
| 
   Ce que Dieu mandat par
  l’angle  | 
  
   Ce que Dieu transmit par
  l’ange  | 
 
| 
   (1) Item, à
  cel temps astoit la loy teile que, se une femme fust grosse d'enfant et elle
  n'awist marit, elle fust lapidée ou arse, et jà n'en posist escappeir, ne
  pour avoir ne por grandeur.   | 
  
   
	(1) À
  cette époque, la loi voulait que une femme enceinte sans mari, soit lapidée
  ou brûlée ; et elle ne pouvait y échapper, ni grâce à sa fortune ni
  grâce à sa naissance.  | 
 
| 
   
	(2) Si
  avient que tous les barons de paiis et Iy evesque de la loy astoient I jour
  aleis au temple por oreir ; adont vient une vois qui leurs dest en hauIt :
  « Sangnours, Dieu vos mande que vos donneis Marie I marit de la lignie
  dont elle est née, » et atant soy partit la vois.    | 
  
   
	(2) Un
  jour, tous les barons du pays et l’évêque de la loi, étaient allés au temple
  pour prier ; alors une voix venue d’en haut leur dit :
  « Seigneurs, Dieu vous ordonne de donner à Marie un mari de la lignée dont
  elle est issue », et ensuite la voix disparut.    | 
 
| 
   Coment Nostre-Damme fut
  mariée De marit Nostre-Damme, qui
  oit bien IIc ans  | 
  
   Comment Notre-Dame fut
  mariée Le mari de Notre-Dame avait
  bien 200 ans  | 
 
| 
   
	(3) Et Ii
  evesque at mandeit tous les barons de la terre, par le conselh de I juys qui
  astoit mult saige. Atant vinrent vies et jovenes, grant et petis, et muIt en
  y vient qui n'avoient cure del marier ; mains quant ilhs veirent la
  pucelle, se n'y avoit si gran saingnour qui ne le vosiste avoir esposeit,
  tant astoit belle et plaine de la grant grasce de Dieu.    | 
  
   (3) Et 
	l’évêque fit venir tous les barons du pays, sur le conseil d’un Juif très 
	sage. Alors vinrent des vieux et des jeunes, des grands et des petits, et 
	beaucoup vinrent qui ne se souciaient pas de mariage ; mais quand ils virent 
	la pucelle, il n’y avait si grand seigneur qui ne voulût l’épouser, tant 
	elle était belle et emplie de la grande grâce de Dieu.  | 
 
| 
   
	(4) En
  cel conrois est venus I dammoseais qui fut nommeis Joseph, qui astoit venus
  por veioir le mariage et nient por la pucelle à avoir, car ilh astoit trop
  vies, ilh avoit bien IIc ans ou plus ; chis Joseph soy mist deleis I
  pileir, portant qu'ilh se doubtoit que les gens menues ne l'abatissent à
  terre al presse.  | 
  
   
	(4) Un
  gentilhomme appelé Joseph arriva dans cette assemblée ; il était venu
  pour voir le mariage et non pour obtenir la pucelle, car il était trop
  vieux ; il avait deux cents ans ou plus ; ce Joseph se mit près
  d’un pilier, parce qu’il redoutait que les gens du peuple ne le pressent et
  ne l’abattent sur le sol.  | 
 
| 
   
	(5) MuIt
  fut Joseph escarnis et degabbeis des enfans et oussi des bachelleirs et des
  dameseais ; mains ilh n'y acontoit riens.  | 
  
   (5) Des enfants et aussi des bacheliers et des damoiseaux se moquèrent de Joseph et le ridiculisèrent ; mais il n’en tenait pas compte.  | 
 
| 
   
	(6) Quant
  tous les barons furent enssi assembleis, se dest Ii evesque : « Saingnours,
  je vos ay chi mandeit  par le
  commandement de Dieu ; si veulhiés proier à ly que ilh nos veulhe
  donneir à cognoistre qui digne est de la pucelle Marie esposeir et avoir. » 
    | 
  
   
	(6) Quand
  tous les barons furent ainsi rassemblés, l’évêque leur dit : « Seigneurs,
  je vous ai fait venir ici sur l’ordre de Dieu ; aussi veuillez le prier
  qu’il nous accorde de savoir qui est digne d’obtenir et d’épouser la pucelle
  Marie ».  | 
 
| 
   Li angle parolle à peuple de
  Marie la virge  | 
  
   L’ange
  parle au peuple de la vierge Marie  | 
 
| 
   
	(7) Atant
  ont fait leur orison, et enssi qu'ilh astoient là, si leur dest I
  angele : « Barons, Dieu vos mande par moy que cascon de vous prende
  une verge en sa main, et chis en cuy main la verge florisseroit, chis aurat
  la pucelle sens contredit. »    | 
  
   
	(7) Alors
  ils firent leurs oraisons, et tandis qu’ils étaient là, un ange leur
  dit : « Barons, par mon intermédiaire, Dieu ordonne à chacun de prendre
  en sa main une baguette, et celui dont la baguette fleurira aura la pucelle,
  sans contredit. »  | 
 
| 
   
	(8) Et
  tantoist ont pris verges en leur mains, puis se sont recuchiés en
  orisons ; et puis fist Ii evesque unc sermon, et fait cascon [p. 340]
  sa main leveir en hault awec la verge ; et Joseph, qui tenoit son
  bordon de quoy ilh s'apoioit, si le levat en hault.  | 
  
   (8) Et aussitôt ils prirent des baguettes dans leurs mains, puis se recueillirent en oraisons ; ensuite, l’évêque fit un sermon, et demanda à chacun de lever bien haut la main avec la baguette ; et Joseph, qui tenait le bâton sur lequel il s’appuyait, le leva bien haut  | 
 
| 
   Ly bordon Joseph commenchat à florir et
  fruit porteir  | 
  
   Le bâton de Joseph commença à fleurir et à
  porter un fruit   | 
 
| 
   
	(9) Là
  oit I garchon qui degaboit Joseph, et tant que Joseph en voult aleir sa
  voie ; mains tout enssi com ilh soy turnoit, commenchat son bordon à
  florir et fruit porteir, et s'asseit par-desus I blan colon, qui signifioit
  Jhesu-Crist, et la verge signifioit Marie.  | 
  
   
	(9) Il
  y avait là un garçon qui ridiculisait Joseph, si bien que celui-ci voulut
  s’en aller ; mais tandis qu’il se tournait pour partir, son bâton
  commença à fleurir et à porter fruit et une colombe blanche, qui symbolisait
  Jésus-Christ, se posa au-dessus du bâton qui symbolisait Marie.  | 
 
| 
   
	(10) Mains
  quant les Juys veirent chu, si allont apres luy et le firent retourneir, se
  Ii dessent que ilh auroit la pucelle, car Dieu le volloit.  | 
  
   (10) Mais 
	quand les Juifs virent cela, ils allèrent vers lui, le firent revenir et lui 
	dirent qu’il aurait la pucelle, car c’était la volonté de Dieu.  | 
 
| 
   (11) Adont
  ont pris la verge atout la flour, qui jettoit si grant odour que ilh sembloit
  à cascon que ilh fust en paradis. Cette verge fut presentée al evesque ;
  mains enssi com Iy evesque le monstroit à peuple, la verge salhit fours de
  ses mains et se entrat ens ès mains Marie, la benoite virge.  | 
  
   
	(11) Alors
  ils prirent la baguette avec la fleur, qui répandait une odeur si forte que
  chacun croyait être au paradis. Cette baguette fut présentée à l’évêque ;
  mais tandis que l’évêque la montrait au peuple, elle s’échappa de ses mains
  et alla se placer dans celles de Marie, la vierge bénie.  | 
 
| 
   La vierge Marie fut esposée à Joseph  | 
  
   La vierge Marie devint l’épouse de Joseph  | 
 
| 
   (12) Adont
  desquendit Ii evesque, si at esposeit là meismes Marie et Joseph. Chis Joseph
  n'astoit mie riche hons, si aloit aide quiere à ses amis por faire ses
  noches ; si demorat pres de trois mois.  | 
  
   (12) Alors 
	l’évêque descendit et, en cet endroit même, il unit Marie et Joseph dans le 
	mariage. Ce Joseph n’était pas riche, et il alla demander l’aide à ses amis 
	pour célébrer ses noces. Son absence dura près de trois mois.  | 
 
| 
   
	(13) Et
  quant ilh fut revenus, si s'aperchut que sa femme astoit enchainte ; si
  en fut mult corochiet, se Ii blamat mult durement, car ilh n'avoit oncques
  jut awec lée, puis s'en alat altre part cuchier por dormir.  | 
  
   
	(13) Et
  quand il fut revenu, il s’aperçut que sa femme était enceinte ; et il en
  fut très irrité, et la blâma très durement, car il ne s’était jamais uni à
  elle ; puis il s’en alla coucher ailleurs pour dormir.  | 
 
| 
   Li angle parlat à Joseph  | 
  
   L’ange parla à Joseph  | 
 
| 
   (14) Cette nuit vient I angele à Joseph et Iy dest : « Joseph, ne t'esmaie nient de chu que ta femme est enchainte, car chu est deI Saint-Esperit, et elle porte Dieu en ses flans ; si serat Ii enfe qu'elle porte le fis de Dieu, si sierat nommeis Jhesus, et serat sires de tout le monde. Et portant Dieu toy mande que tu garde la pucelle castement, car elle est et serat toudis virge parfaite. »  | 
  
   
	(14) Cette
  nuit un ange apparut à Joseph et lui dit : « Joseph, ne t’effraie
  pas de ce que ta femme soit enceinte, car c’est du Saint-Esprit, et elle
  porte Dieu dans ses flancs ; et l’enfant qu’elle porte sera le fils de
  Dieu ; il sera nommé Jésus, et sera souverain du monde entier. Et dès
  lors, Dieu te demande de garder chastement la pucelle, car elle est et sera
  toujours parfaitement vierge ».    | 
 
| 
   (15) Grant joie en oit Joseph, quant ilh entendit chu ; si vient à lit Marie, et Ii priat merchis de chu qu'ilh Ii avoit dit.  | 
  
   
	(15) Joseph
  en éprouva une grande joie, quand il entendit cela. Il vient au lit de Marie
  et lui demanda pardon de ce qu’il lui avait dit.    | 
 
| 
   
	(16) Et
  la damme Iy pardonnat volentiers, et Ii priat que ilh le vosist myneir veioir
  sa cusin Elizabeth, le femme Zacharias, qui ne poioit parleir, laqueile
  astoit enchainte d'enfant ; et Joseph l'y mynat.  | 
  
   
	(16) Et
  la dame lui pardonna volontiers et lui demanda de bien vouloir la mener voir
  sa cousine Élisabeth, enceinte d’un enfant ; elle était l’épouse de Zacharie
  qui ne pouvait parler ; et Joseph l’y mena.  | 
 
CHAPITRE 5
LA VISITATION ET JEAN BAPTISTE
[Comm]
| 
   Marie visentat Elisabeth De sains Johans qui parlat
  en ventre sa mère Del Magnificat  | 
  
   Marie visita Élisabeth Saint Jean parla dans le ventre de sa mère Le Magnificat  | 
 
| 
   (1) Et
  quant Marie devoit entrer en la maison Zacharie, se Ii vint Elizabeth al
  entrée al encontre de lée, et se l'acolat et Iy fist grant fieste en
  disant : « Hée Dieu! que m'est-ilh avenus grant joie et grant honneur,
  quant la mere Dieu, le roy de chi monde et de chiel, me vient veioir. »  | 
  
   (1) Et
  tandis que Marie allait entrer en la maison de Zacharie, Élisabeth vint à sa
  rencontre sur le seuil, l’embrassa et lui fit grande fête en disant :
  « Eh Dieu ! Quelle grande joie et quel grand honneur m’arrivent,
  quand la mère de Dieu, roi de ce monde et du ciel, vient me voir ».  | 
 
| 
   (2) Sains
  Johans, qui encor astoit en ventre sa mere, cognuit son Saingnour, si soy
  drechat sour ses dois piés, et puis [p. 341] s'engenulhat et jondit
  ses dois mains vers son Sangnour, et Ii priat merchi et dest : « Sires,
  bien vengniés tu qui m'as tant de vertus donneit que je me puy drecher
  chaens ; or sai-ge bien que tu es venus por tes gens salver. »  | 
  
   (2) Saint
  Jean qui était encore dans le ventre de sa mère reconnut son Seigneur, se
  dressa sur ses deux pieds, et puis s’agenouilla et joignit ses deux mains
  vers son Seigneur, lui rendit grâce et dit : « Sire, béni sois-tu
  qui m’as donné assez de forces pour pouvoir me dresser ici ; maintenant
  je sais bien que tu es venu pour sauver ton peuple. »  | 
 
| 
   (3) Et
  commenchat sains Johans à dire le Magnificat anima mea Dominum ;
  et si hault disoit tout chu que la vois en venoit fours de la bouche
  Elisabeth sa mere.  | 
  
   (3) Et
  saint Jean commença à dire le Magnificat
  anima mea Dominum ; et il disait tout cela si haut que sa voix
  sortait par la bouche de sa mère Élisabeth.  | 
 
| 
   (4) Chu fut
  en la citeit Juda, en la maison Zacharie, le promier an del incarnation
  Jhesu-Crist, le XXIIIIe jour de mois de junne.  | 
  
   (4) Cela
  se passa en la cité de Juda, dans la maison de Zacharie, la première année de
  l’Incarnation de Jésus-Christ, le 24 juin.  | 
 
| 
   Zacharie
  reparlat  | 
  
   Zacharie reparla  | 
 
| 
   (5) En
  cel propre jour fut saint Johans neis, et les parens alerent à temple por
  nunchier à Zacharie que son fis astoit neis, et Ii demandont comment ilh Iy
  plaisoit que ilh fust nommeis.  | 
  
   (5) Ce
  même jour, saint Jean naquit, et les proches allèrent au temple pour annoncer
  à Zacharie que son fils était né et lui demandèrent comment il décidait de
  l’appeler.  | 
 
| 
   (6) Et
  Zacharie, qui ne poioit parleir, escript en une tauble de chire que ilhs le
  nommassent Johans. Adont fut-ilh baptiziet solonc leur loy, et fut nommeis
  Johans ; et oussitoist qu'ilh fut circonchis, son pere Zacharias
  reparla.  | 
  
   (6) Et
  Zacharie, qui ne pouvait parler, écrivit sur une tablette de cire qu’on
  l’appelle Jean. Alors il fut baptisé selon leur loi et fut nommé Jean ;
  et aussitôt qu’il fut circoncis, son père Zacharie retrouva la parole.  | 
 
| 
   Del sainte vie
  Johan-Baptiste  | 
  
   La sainte vie de Jean-Baptiste  | 
 
| 
   (7) Chis
  sains Johans fut mult proidhons, et puis baptizat apres. Et quant sains
  Johans oit XV ans d'eaige, ilh entrat en I hermitaige por servir Dieu ;
  et ne vestoit aultre vestiment que de foins mariens et de poilhe de chamos,
  et se ne mangnat oncques de pain ne altres viandes, fours que rachines qu'ilh
  prendoit por les boscaiges.  | 
  
   (7) Ce
  saint Jean fut un homme très bon, et c’est plus tard qu’il baptisa. Quand
  saint Jean eut quinze ans, il entra dans un ermitage pour servir Dieu ;
  il ne portait rien d’autre qu’un vêtement fait d’herbes sèches et de poils de
  chameau et il ne mangeait jamais de pain ni d’autre nourriture si ce n’est
  des racines qu’il prenait en parcourant les bois.  | 
 
| 
   (8) Quant
  saint Johans fut neis, si soy partit Nostre-Damme deI maison Zacharie et
  revient en Nazareth et demorat illuc.  | 
  
   (8) Après
  la naissance de saint Jean, Notre-Dame quitta la maison de Zacharie, et
  revint à Nazareth où elle demeura.  | 
 
CHAPITRE 6
BETHLÉEM : RECENSEMENT, NAISSANCE, MIRACLES
[Comm]
| 
   Augustus fist la description
  de monde  | 
  
   Auguste fit
  le recensement du monde  | 
 
| 
   [p. 341, l.
  20]
  (1) A cel temps avient que Augustus Cesaire mandat par tout le monde à
  ses prevost et balhiers que ilhs rechussent et levassent à cascon de chief
  d'homme et de femme I denier d'argent ; et chu fasoit-ilh por savoir le
  nombre de cheauz qui astoient en sa subjection et desous sa saingnorie, et combien
  sa terre poroit valoir.  | 
  
   (1) À
  cette époque, Auguste César ordonna à tous ses prévôts et baillis à travers le 
	monde de percevoir et de prélever pour chaque tête, homme et femme, un 
	denier d’argent. Il faisait cela pour connaître le nombre de ceux
  qui étaient soumis à son autorité de seigneur, et pour savoir ce que pourrait
  valoir sa terre.  | 
 
| 
   (2) Et
  commandat que tous cheaux des casteals, des vilhes et des boch apportassent
  leurs deniers aux citeis desous lesqueiles ilhs astoient demorans.  | 
  
   (2) Et
  il ordonna que tous les habitants des places-fortes, des villes et des bourgs
  apportent leurs deniers dans les cités sous l’autorité desquelles leurs 
	habitations se trouvaient.  | 
 
| 
   (3) Chis
  deniers astoit d'argent et valoit X petis deniers cursaibles, et astoit
  dedens ches denirs enprinteit l'ymaige deI Emperere, et escript son nom tout
  altour.  | 
  
   (3) Ces
  deniers étaient d’argent et valaient dix petits deniers courants. L’image de
  l’Empereur était gravée sur ces pièces, et son nom écrit tout autour.  | 
 
| 
   Joseph et Marie s’en allont en
  Bethleem  | 
  
   Joseph et 
	Marie s'en vont à Bethléem  | 
 
| 
   (4) Se
  avient que cheaux de Nazareth et de paiis environ furent somons del paiier leur
  deniers en Bethleem, car là le devoit rechivoir Turnus, qui prinche astoit de
  chi paiis.  | 
  
   (4) Il
  se fit que les habitants de Nazareth et des régions voisines, furent invités à
  payer leurs deniers à Bethléem, car c’était là que devait les recevoir
  Turnus, le prince de ce pays.  | 
 
| 
   [p. 342] (5) Adont y alat Joseph, et se y emmynat
  sa femme Marie awec Iy. Et quant ilh vinrent alle entrée de la citeit, si est
  la benoite vierge Marie demorée desus une blanche pire, et ratendit là Joseph
  qui astoit aleis en la citeit por avoir hosteil ; mains ilh y avoit
  assemblet tant de gens que ilh ne pot hostet avoir ; si revint à la
  vierge Marie et Ii dest.  | 
  
   (5) Alors
  Joseph s’y rendit, emmenant avec lui sa femme Marie. Et quand ils arrivèrent
  à l’entrée de la cité, la douce vierge Marie resta sur une pierre blanche et
  attendit Joseph, qui était allé dans la ville pour chercher une
  auberge ; mais il y avait un tel rassemblement de gens qu’il ne trouva
  pas d’hôtellerie. Il revint annoncer la chose à Marie.  | 
 
| 
   (6) Et
  Marie respondit qu'ilh troveroit bien hosteit ; si entrarent ambdois en
  la citeit, et trovarent la filhe d'onc riche hons, à cuy Marie priat que elle
  Ii vosist presteir une anglechon en sa maison. Et elle respondit qu'elle
  n'astoit mie damme del hosteit, mains s'elle poioit, elle prieroit tant son pere
  que ilh Ii presteroit.  | 
  
   (6) Marie
  répondit qu’ils trouveraient bien à se loger. Ils entrèrent tous deux dans la
  ville, et rencontrèrent la fille d’un homme riche. Marie lui demanda de bien
  vouloir lui prêter un coin de sa maison. Elle répondit qu’elle n’était pas la
  maîtresse de maison, mais que, si elle pouvait, elle insisterait auprès de
  son père pour qu’il leur en prête un.  | 
 
| 
   (7) Atant vint la fiIhe
  à pere, et Ii priat ; mains son pere Ii dest que sa maison astoit trop
  plaine de gens, et la filhe Ii dest qu'ilh les metteroit bien en l'estauble
  des mules, et chis Ii otriat.  | 
  
   (7) La
  fille alla alors trouver son père, mais celui-ci lui répondit qu’il y avait
  déjà trop de monde dans la maison. Sa fille lui dit qu’on pourrait bien les
  mettre dans l’étable des mules, ce qu’il accepta.  | 
 
| 
   (8) Atant
  entrarent dedens Marie et Joseph, et la filhe les mettit en stauble, et leur
  fesist la pucelle volentier ayde, se elle posist ; mains elle n'avoit
  nuls mains, et touvois elle leur fist aporteir pain et vin, et de teils biens
  qu'ilh avoit al hoisteit.  | 
  
   (8) Alors
  Joseph et Marie entrèrent dans l’étable. La jeune fille les aurait volontiers
  aidés, si elle l’avait pu, mais elle n’avait pas de mains. Elle leur fit pourtant
  apporter du pain et du vin, et des mets comme il y en avait dans la demeure.  | 
 
| 
   Gran
  myracle de Nostre-Damme  | 
  
   Grand
  miracle de Notre-Dame  | 
 
| 
   (9) Et
  quant chu vient enssi que le meynuit, si descendirent en le stauble III candelabre
  de fin or, et par-desus III grans cierges alumeis, qui jettoient oussi grant
  clarteit que le soleal fait à medis.  | 
  
   (9) Et
  quand arriva ainsi le milieu de la nuit, trois candélabres d’or fin
  descendirent dans l’étable, et sur eux trois grands cierges allumés, qui
  répandaient autant de clarté que le soleil à midi.  | 
 
| 
   (10) Et
  est chu veriteit, car Ii unc des trois chirges art devant l'auteit
  Sainte-Sophie, en Constantinoble, et les dois aultres devant les dieux des
  Sarasins, à Mech ; et ardent todis nuit et jour, et ne amerissent riens,
  et remanent todis tout entiers.  | 
  
   (10) Et
  c’est la vérité, car l’un de ces cierges brûle à Constantinople, devant
  l’autel de Sainte-Sophie, et les deux autres, devant les dieux des Sarrasins,
  à La Mecque. Ils brûlent constamment, nuit et jour, ils ne diminuent en rien,
  et restent toujours intacts.   | 
 
| 
   (11) Ches
  chirges arderoient al fons de la mere, ne ons ne les poroit esteindre, tant
  sont-ilh de grant digniteit.  | 
  
   (11) Ces
  cierges brûleraient au fond de la mer, et on ne pourrait les éteindre, tant
  ils sont de grande valeur.  | 
 
| 
   De la pucelle de Bethleem Jhesus fist myracle à la
  pucelle  | 
  
   La pucelle
  de Bethléem Jésus fit
  un miracle pour la pucelle  | 
 
| 
   (12) Enssi
  com droit à meynuit, ou là entour, s'enveilhat sainte Marie, et priat à Joseph
  que ilh vosist appelleir la pucelle qui astoit filhe del hosteit ; et
  Joseph le huchat III fois. Quant celle l'entendit, si soy levat et s'en vient
  droit à Marie, se Ii dest : « Damme, de moy areis petit ayuwe, mains je
  feray chu que je poray, car je n'ay nuls mains. »  | 
  
   (12) Ainsi
  comme il était juste minuit, ou à peu près, sainte Marie s’éveilla et pria
  Joseph d’appeler la pucelle, qui était la fille de la maison ; et Joseph
  l’appela trois fois. Quand elle l’entendit, elle se leva et s’en vint
  directement près de Marie et lui dit : « Madame, je ne peux
  pas vous aider beaucoup car je n’ai pas de mains, mais je ferai ce que je
  pourrai. »  | 
 
| 
   (13) Atant
  vient acourant la pucelle devers la virgue Marie ; mains quant elle
  vient là, elle trovat l'enfant deleis la mere qui jà astoit neis, car chu fut
  ouvre divine ; et issit Iy enfe par l'orelhe, où elle avoit conchuit.
  Tout enssi com ons voit que Iy soleal passe parmy une voriere, là ilh [p.
  343] est la plus saine, tout en teile maniere soy delivrat Nostre-Damme,
  car elle demorat virgue, ne oncques ne fut violées.  | 
  
   (3) Mais
  quand elle arriva en courant près de la vierge Marie, la jeune fille trouva
  près de sa mère l’enfant déjà né. Ce fut là œuvre divine : l’enfant
  était sorti par l’oreille, là où elle l’avait conçu. Tout comme le soleil
  passe à travers une verrière en la laissant tout-à-fait intacte, Notre-Dame fut
  délivrée en restant vierge et sans être déflorée.  | 
 
| 
   (14) IIIuc
  avint gran myracle, car la pucelle, qui sens mains astoit, vout prendre
  l'enfant az dois toignons de ses bras, et Dieu Iy rendit ses dois mains.  | 
  
   (14) Il
  se produisit là un autre grand miracle. Lorsque la fille sans mains voulut
  prendre l’enfant avec les deux moignons de ses bras, Dieu lui rendit ses deux
  mains.   | 
 
| 
   Lez propheties sont acomplies  | 
  
   Les
  prophéties sont accomplies  | 
 
| 
   (15) Enssi
  nasquit Jhesus en I povre lieu, le promier an deI incarnation, le XXVe jour
  de mois de decembre, entour l'heure de meynuit.  | 
  
   (15) Ainsi
  naquit Jésus en un pauvre lieu, l’an I de l’Incarnation, le 25 décembre, aux
  environs de minuit.  | 
 
| 
   (16) Adont
  furent toutes acomplies les propheties de la nativiteit Jhesu-Crist, qui longtemps
  devant avoient esteit denunchiés par les sains prophetes.  | 
  
   (16) Alors furent accomplies les prophéties de la Nativité de Jésus-Christ, qui bien longtemps auparavant avaient été annoncées par les saints prophètes.  | 
 
| 
   
	(17) Adont
  chaiit l'ymaige que Virgile avoit faite à Romme, enssi com j'ay dit deseur,
  où ilh avoit escript que : Quant vierge enfant auroit, Que ladit ymage chairoit.  | 
  
   (17) Alors
  s’écroula la statue que Virgile avait faite à Rome, comme je l’ai dit plus haut,
  où il avait écrit que : 
	
	Quand une vierge enfant aura 
	
	Que ladit ymage chairat.  | 
 
| 
   (18) Item,
  quant Jhesus fut neis, ladit pucelle le cuchat en une creppe et l'enwolepat
  de blans drappeais. Ceste pucelle que je dis fut nommée Anestause, et c'este
  la virgue sainte Anestase, qui vient corrant à son pere, qui astoit I des
  maistres de la loy, se Ii monstrat ses mains.  | 
  
   (18) Quand
  Jésus fut né, la jeune fille en question le coucha dans une crèche, et
  l’enveloppa de linges blancs. Elle s’appelait Anastasie, – c’est la vierge
  sainte Anastasie. Elle courut près de son père, qui était un des maîtres de la
  loi, et lui montra ses mains.  | 
 
| 
   (19) Se
  Ii dest : « Qui t'at rendue novelles mains ? » Et cel
  respondit : « Pere, ly Salveur de tout le monde, qui maintenant est
  chaens neis de mere. »  | 
  
   (19) Il
  lui dit : « Qui t’a rendu de nouvelles mains ? » Et
  elle répondit : « Père, c’est le Sauveur du monde entier, qui
  est maintenant né ici de sa mère. »  | 
 
| 
   Grant myracle du père de la
  pucelle  | 
  
   Grand
  miracle du père de la pucelle  | 
 
| 
   (20) Quant
  chis entent sa filhe, se ne le voult mie croire, ains fut mult corochiés, si
  prent une espée et dest que ilh trencherat sa filhe ses mains, car elle
  faulsoit leur loy vilainement ; mains quant ilh le quidat ferir, si
  avoiglat et ne voit got, si criat à sa filhe merchi. Celle respont que jamais
  ilh ne seroit relumyneis s'ilh ne creioit en la virgue Marie, de cuy Dieu
  astoit neis.  | 
  
   (20) Quand
  le père entendit sa fille, il ne voulut pas la croire et en fut très irrité.
  Il saisit une épée en disant qu’il allait trancher les mains de sa fille, car
  elle trahissait vilainement leur loi. Mais quand il voulut la frapper, il
  devint totalement aveugle. Il cria et demanda pardon à sa fille. Celle-ci lui
  répondit qu’il ne retrouverait jamais la vue, s’il ne croyait pas en la vierge
  Marie, de qui Dieu était né.  | 
 
| 
	 
	(21) Ly
  juys dest : « Filhe Anestaise, je croy fermement que tu as tenuit à
  tes mains le soverain roy de monde, qui de la vergue est neis sens luxure et
  sens pechiet, mains en pure virginiteit. » Et tantoist qu'ilh oit chu
  dit, se revient à Iy sa lumyre.  | 
  
   (21) Le
  Juif dit alors : « Anastasie, ma fille, je crois fermement que tu as tenu
  en tes mains le souverain roi du monde, né de la vierge sans luxure et sans
  péché, en gardant sa virginité pure. » Et aussitôt qu’il eut dit ces
  paroles, la vue lui revint.  | 
 
| 
   (22) En
  l'estauble où Dieu naquit, avoit II biestes mues, I buef et une asne, qui le
  rechafoient de leur alaines, car adont fesoit mult froit, ch'astoit Iy plus
  frois temps de l'an.  | 
  
   (22) Dans
  l’étable où Dieu naquit, il y avait deux bêtes silencieuses, un bœuf et un
  âne, qui le réchauffaient de leur haleine, car il faisait froid. C’était
  alors le moment le plus froid de l’année.  | 
 
| 
   (23) Dieu
  ly soverain roy fut neis en petit estat, chu nos signifiie humiliteit.  | 
  
   (23) Dieu
  le souverain roi naquit dans un humble état, ce qui nous montre son humilité.  | 
 
| 
   Del estable
  où Dieu fut neis fut fait I englise  Del four sour quoy Dieu jut  | 
  
   L’étable où
  Dieu naquit devint une église La paille
  où Jésus fut couché   | 
 
| 
   [p. 344] (24) Et
  deveis savoir que Iy estauble où la creppe estoit fut depuis edifiiet une
  engliese en laqueile giest sains Jherome, Iy noble docteur qui enlumynat sy
  fortement sainte engliese de sa bonne doctrine ; et y gist oussi madamme
  sainte Paule et sainte Eustoche ; ches trois gisent en droit lieu où la
  creppe fut.  | 
  
   (24) Vous
  devez savoir qu’à la place de l’étable où était la crèche fut construite une
  église, où repose saint Jérôme, le noble docteur qui illustra si grandement la
  sainte église de sa bonne doctrine. Y reposent aussi sainte Paule et sainte
  Eustache. Tous trois reposent à l’endroit exact où se trouvait la crèche.  | 
 
| 
   (25) En celle engliese fut mis ly fain ou Iy four sour quoy Dieu jut quant ilh fut neis ; mains depuis le fist sainte Helene, le mere l'emperere Constentin, porteir à Romme et mettre en l'engliese Nostre-Damme le maiour.  | 
  
   (25) En
  cette église on mit la paille ou le fourrage sur lequel Dieu fut étendu à sa
  naissance ; mais ensuite sainte Hélène, la mère de l’empereur
  Constantin, la fit transporter et placer à Rome en l’église Notre-Dame la
  Grande (Sainte Marie-Majeure).  | 
 
CHAPITRE 7
APRÈS LA NAISSANCE DE JÉSUS
[Comm]
| 
   Annonce aux bergers  | 
  
   Annonce aux
  bergers  | 
 
| 
   (1) Celle
  jour que Dieu fut neis, vient I angle aux pastureals, et se leurs nunchat que
  Dieu astoit neis de virgue en Bethleem, et l'alassent adoreir.  | 
  
   (1) Le
  jour de la naissance de Dieu, un ange vint annoncer aux bergers que Dieu
  était né d’une vierge à Bethléem et leur dire d’aller l’adorer.  | 
 
| 
   (2) Adont
  est aparut I estoile deseur Bethleem la citeit, qui fist les pastureals corir
  vers Bethleem ; si troverent Jhesum droit en l'estauble, s'en furent
  mult joians.  | 
  
   (2) Alors
  apparut au-dessus de la cité de Bethléem une étoile qui fit courir les
  bergers à Bethléem ; ils trouvèrent directement Jésus dans l’étable, et s’en
  réjouirent beaucoup.  | 
 
| 
   Del circoncision Jhesu-Crist  | 
  
   La
  circoncision de Jésus-Christ  | 
 
| 
   (3) AI
  VIIIe jour fut-ilh baptisiet ou circonchis solonc le loy des Juys ; si
  vos diray comment ilhs Iy trencharent del peais de son membre naturel ;
  chu estoit la baptemme des Juys, et Dieu qui fut extrais des Juys fut
  baptisiés ou circonchis solonc leur loy.  | 
  
   (3) Au
  huitième jour, Jésus fut baptisé ou circoncis, selon la loi des Juifs. Je
  vous dirai qu'ils tranchèrent un morceau de peau de son membre
  naturel ; c’était le baptême des Juifs, et Dieu, issu de leur race, fut
  baptisé ou circoncis selon leur loi.  | 
 
| 
   (4) A
  cel citeit de Bethleem fut la joie mult grant faite por cel nativiteit, et
  disoit cascons que chu astoit Iy fis Joseph ; mains chu astoit gas.  | 
  
   (4) En
  cette cité de Bethléem, grande fut la joie à l’occasion de cette naissance,
  et chacun disait qu’il était fils de Joseph ; mais on se trompait.  | 
 
| 
   Mervehle de la Tabarite
  emeritoir  | 
  
   Prodige de
  Taberna Meritoria  | 
 
| 
   (5) Item
  doit-ons savoir que ons true en la sainte escripture que le jour quant Dieu
  fut neis avient à Romme mult grant myracle, car les riwes qui coroient là, et
  par especial la Tybre, et une fontaine que ons nom la Tabarite emeritoir, qui
  siet en [p. 345] Trans-Tyberin, devinrent oyle, et par tout le jour
  jettont grans riwes. Et enssi apparut I circle entour le soleal, al manere
  del arch celeste.  | 
  
   (5) On
  doit aussi savoir qu’on trouve dans la sainte écriture que le jour de la
  naissance de Dieu, un très grand miracle se produisit à Rome. Les rivières
  qui y coulaient, et spécialement le Tibre et une fontaine qu’on nomme la Taberna Meritoria, située dans le
  Transtévère, se changèrent en huile, coulant à flots durant tout le jour. Un
  cercle apparut aussi autour du soleil, comme un arc-en-ciel.  | 
 
| 
   (6) Item en la citeit de Jherusalem entrat à chi jour une bieste que oncques nuls hons n’avoit plus veyut, n'en ne savoit-ons dont elle venoit, ne queile bieste chu astoit : elle coroit par la citeit de Jherusalem, et disoit que Jhesus astoit neis de virgue, qui venoit tout le monde rachateir.  | 
  
   (6) Ce jour-là entra dans la cité de Jérusalem une bête que personne n’a plus jamais vue ; on ne savait pas d’où elle venait, ni de quelle bête il s’agissait ; elle courait à travers la cité de Jérusalem, et disait que Jésus était né d’une vierge et qu’il venait racheter l’univers.  | 
 
| 
   De Herode
  qui vouloit ochire l’enfant Del stoile
  flammant  | 
  
   Hérode voulait tuer l’enfant L’étoile flamboyante  | 
 
| 
   [p. 345, l. 6] (7) A cel jour astoit Iy roy Herode en Jherusalem, qui oit mult grant duelhe de chu que la bieste disoit, et jurat que ilh feroit l’enfant qui neis astoit ochire.  | 
  
   (7) Ce jour-là, le roi
  Hérode se trouvait à Jérusalem. Il fut douloureusement affecté par ce que
  disait la bête et il jura qu’il ferait tuer l’enfant qui venait de naître.  | 
 
| 
   (8) Adont regardat
  Herode vers Orient, si at veyut le stoile flammant ; si appellat I sien
  siervan, et Ii dest qu'ilh fesist les pas bien gaitier, car qui poroit
  prendre l’enfant qui astoit neis, ilh donroit à cheIi si grant terre qu'ilh
  seroit riche à tousjours, car ilh voloit l'enfant ardre et exilier.  | 
  
   (8) Alors Hérode
  regarda vers l’Orient et vit l'étoile flamboyante ; il appela un de
  ses serviteurs et lui dit de bien faire surveiller les lieux de passage. Celui
  qui capturerait le nouveau-né recevrait de lui une si grande étendue de terre
  qu’elle l’enrichirait à jamais. Il voulait anéantir l’enfant et l’écarter.  | 
 
CHAPITRE 8
LES ROIS MAGES
| 
   Melchior le roy – Jaspar – Baltasar  | 
  
   Le roi Melchior – Jaspar – Balthazar  | 
 
| 
   (1) A cel temps astoit
  roy de Tharse en Perse uns valhans hons qui astoit nommeis Melchior en
  hebreu ; chu est à dire en grigois Sarachin et en latin Damasticus.  | 
  
   (1) En ce temps-là, le
  roi de Tarse en Perse était un homme valeureux qui s’appelait Melchior en
  hébreu, c’est-à-dire Sarachin en grec et Damasticus en latin.  | 
 
| 
   (2) Si avoit I altre
  roy en Arabe qui astoit nommeis Jaspar en hebreu ; ch'est en grigois
  Malgalat et en latin Appelliens.   | 
  
   (2) En Arabie Il y avait un
  autre roi, nommé Jaspar en hébreu, Malgalat en grec et Apellius en latin.  | 
 
| 
   (3) Et avoit I aItre
  roy en la terre de Saba, chis fut nommeis en hebreu Balthasar ; chu est
  en grigois Galgalat, et en latin Amerus.  | 
  
   (3) Et en terre de Saba
  régnait un autre roi, nommé en hébreu Balthazar, en grec Galgalat, et en
  latin Amerus.  | 
 
| 
   (4) Ches trois roys
  astoient si grans clers qu'ilhs astoient nommeis devineurs, c'est ortant à
  dire com philosophe.  | 
  
   (4) Ces trois rois
  étaient si grands clercs, qu’ils étaient appelés mages, ce qui revient à dire
  philosophes.  | 
 
| 
   Les trois rois s’en vont Cassathla citeit  | 
  
   Les trois rois s’en vont  La cité de Cassath  | 
 
| 
   
	(5) Ches trois roys
  veirent l’estoile qui s'apparut en Orient, le jour que Dieu fut neis, et le
  veirent tous oussitost Iy uns com l'autre. Adont se mist cascon de ches trois
  roys al chemyn, pour aleir où Ii estoile les conduroit, car ilh disoient que
  Dieu astoit nasquis de virge qui le monde devoit rachateir ; se le
  voloient aleir adoreir à la citeit de Cassath [Calsach en B] en Ynde.  | 
  
   
	(5) Ces trois rois virent
  l’étoile apparue en Orient le jour où Dieu vint au monde ; ils la virent
  tous, l’un comme les autres, immédiatement. Tous les trois se mirent alors en
  route, pour aller où l’étoile les conduirait, car ils disaient que Dieu était
  né d’une vierge et qu’il devait racheter le monde. Ils voulaient aller
  l’adorer en la cité de Cassath, en Inde.  | 
 
| 
   
	(6) S'y soy trovarent
  ches trois roys et s’asemblarent par bonne compangnie, quant ils soy
  cognurent et oirent dit li uns à l’autre leurs opinions, et astoient tous
  d’onne opinion.  | 
  
   
	(6) C’est là que les
  trois rois se retrouvèrent. Ils se mirent ensemble, en bons compagnons,
  lorsqu’ils se furent reconnus et eurent échangé leurs vues : ils avaient
  tous la même opinion.  | 
 
| 
   
	(7) Celle citeit de
  Cassath siet à LII journéez  de
  Bethleem, et nunporquant Dieu fist à trois roys grant myracle, car ils
  vinrent à Bethleem à XIIIe journee droite ; car ilh avoient jà aleit III
  ou IIII journées, anchois qu’ils s’encontrassent à Cassath.  | 
  
   
	(7) Cette ville de
  Cassath se trouve à cinquante-deux jours de Bethléem, et cependant, Dieu fit
  pour ces trois rois un grand miracle : ils arrivèrent à Bethléem le
  treizième jour exactement. Avant de se rencontrer à Cassath, ils avaient déjà
  marché trois ou quatre jours.  | 
 
| 
   Les III roys vinrent en
  Judée Herode parolle à eaux Miracle à Herode  | 
  
   Les trois rois arrivèrent en Judée Miracle devant Hérode  | 
 
| 
   
	(8) Tant alerent ches
  trois roys que ils entrarent en Judée ; si ont troveit aux passaiges
  grans gens d’armes qui [p. 346] les prisent, et les mynarent
  devant Herode, qui leurs demandat cuy ilhs astoient et qu'ilh queroient.  | 
  
   
	(8) Les trois rois
  marchèrent jusqu’à leur arrivée en Judée. Ils rencontrèrent à la
  frontière de nombreux hommes en armes qui les arrêtèrent et les menèrent à
  Hérode, lequel leur demanda qui ils étaient et qui ils cherchaient.  | 
 
| 
   
	(9) Promier parlat
  Jaspar et dest : « Sires, nos 
  summes rois qui allons querant I jovene damoiseal, qui est neis
  novellement, qui justicherat nos et vos et tous cheaux qui sont et qui
  sieront, car ilh est roy de tout le monde. »  | 
  
   
	(9) Jaspar parla le
  premier et dit : « Sire, nous sommes des rois à la recherche d’un
  jeune damoiseau, né récemment, et qui nous jugera, nous, vous et tous ceux
  qui existent et qui existeront, car il est le roi du monde entier ».  | 
 
| 
   
	(10) Quant Herode
  entent chu se fut mult enbahis, et dest-ilh par trahison que chu ne
  poroit-ilh croire neis plus que uns cappons ne poroit del escuel où ilh
  astoit apparelhiés  por mangnier,
  salhir de la tauble à la perche chantant. Là demonstrat Dieu gran myracle,
  car Iy cappons salhit en plummes com de promier, et volat à la perche
  chantant.  | 
  
   
	(10) Quand Hérode
  entendit cela, il fut très troublé, et perfidement il dit qu’il ne pourrait
  pas plus croire à cela qu’il ne pourrait croire qu’un chapon, préparé dans
  une écuelle pour un repas, puisse sauter de la table sur son perchoir en
  chantant. Là Dieu fit un grand miracle, car le chapon sauta, paré de ses
  plumes comme avant, et vola vers son perchoir
  en chantant.  | 
 
| 
   
	(11) Adont dest Herode
  aux trois rois par grant trahison qu'ilhs alassent tant querant qu'ilh le
  trovassent, et quant ilhs l'avoient troveit se retournassent par là, et ilh
  l'iroit aoreir.    | 
  
   
	(11) Alors Hérode, dans
  sa grande fourberie, dit aux trois rois de partir à la recherche de l’enfant
  jusqu’à ce qu’ils le trouvent et, qu’une fois l’enfant trouvé, ils repassent
  chez lui. Il irait alors l’adorer.  | 
 
| 
   
	(12) Et les trois roys
  Ii oirent en convent ; puis soy partirent de luy, et soy misent al
  chemyn droit où ilh veirent l'estoile flammant, tant com ilh sont entreis en
  Bethleem.  | 
  
   
	(12) Les trois rois lui
  donnèrent leur accord ; puis ils le quittèrent et ils reprirent la route
  à l’endroit où ils virent l’étoile flamboyante, jusqu’à leur entrée dans
  Bethléem.  | 
 
| 
   
	(13) Et Ii estoile
  s'abassat, si les mynat tout droit sour la maison où Dieu astoit, puis chaiit
  Ii estoile en I puiche ; et les trois roys entrarent en la maison, si
  ont troveit Marie qui alaitoit Dieu, son enfant.  | 
  
   
	(13) Et là, l’étoile
  s’abaissa et les conduisit directement vers la maison où Dieu se trouvait,
  puis elle tomba dans un puits. Les rois entrèrent dans la maison, et
  trouvèrent Marie allaitant Dieu, son enfant.  | 
 
| 
   Les III roys offrirent à
  Jhesus leurs joweals La signifianche des III dons  | 
  
   Les trois rois offrirent leurs trésors à
  Jésus   | 
 
| 
   
	(14) Atant prist
  cascons des III roys ses joweals qu'ilh avoit aporteit, et Iy
  offrirent ; Iy anneis Melchior offrit encense, et Jaspar myrre, et
  Balthasar oir, et ilh les prist ; lesqueis trois dons ont trois grandes
  signifianches : car Iy oir signifie qu'ilh sierat roy de tout le monde,
  Iy encense signifie que ilh feroit la vielhe loy chaioir, et estaubliroit une
  novelle, et Ii mirre signifioit que ilh sieroit mors en la crois por le
  peuple à rachateir.  | 
  
   
	(14) Alors ils prirent
  chacun les présents qu’ils avaient apportés et les offrirent ; l’aîné,
  Melchior, offrit l’encens, Jaspar la myrrhe, Balthazar l’or, et Dieu les
  accepta. Ces trois présents ont trois grandes significations : car l’or
  signifie que l’enfant sera le roi de tout l’univers, l’encens signifie qu’il
  fera tomber l’ancienne loi et en établira une nouvelle, et la myrrhe veut
  dire qu’il mourra sur la croix pour racheter le peuple.  | 
 
| 
   
	(15) Item nos trovons
  en l'escripture que quant Melchior ouffrit à Dieu encense, ilh Iy semblat
  qu'ilh fust en l'eage de II ans, et ilh semblat à Balthasar qu'ilh ewist V
  ans, et ilh semblat à Jaspar qu'ilh ewist VII ans.  | 
  
   
	(15) Nous trouvons
  aussi dans un texte qu’au moment où Melchior offrit l’encens à Dieu, l’enfant lui sembla
  être âgé de deux ans ; Balthasar crut qu’il en avait cinq et il
  sembla à Jaspar qu’il en avait sept.  | 
 
| 
   Jhesus sengnat les III roys  | 
  
   Jésus bénit les trois rois  | 
 
| 
   
	(16) Apres chu se sont
  les trois roys partis, et ont pris hosteit en Bethleem meismes ; et
  quant ilhs furent al repouse se dest Melchior aux aultres :  | 
  
   
	(16) Après cela, les
  trois rois partirent, et se rendirent dans une auberge à Bethléem même. Et
  lorsqu’ils s’y reposaient, Melchior dit aux autres :  | 
 
| 
   
	(17) « Bien doit yestre
  chis enfes roy de tout le monde, car ilh est mult saige, quant nos sengnat de
  sa diestre main qui signifie qu'ilh morat en crois, et enssi qu'ilh moy semble
  ilh at bien d'eage Il ans. » Enssi demoront et se sont aleis cuchiés.  | 
  
   
	(17) « Cet enfant doit bien 
	être le roi du monde entier, car il est très sage ; quand il
  nous a bénis de sa main droite, signifiant qu’il mourrait en croix, il m’a
  semblé avoir au moins deux ans ». Ils restèrent ainsi et allèrent se
  coucher.  | 
 
| 
   Ly angle s’apparut aux III
  roys  | 
  
   Un ange apparut aux trois rois  | 
 
| 
   
	[p. 347] 
	(18) Mains quant chu vient à
  meynuit, se vient uns angle aux trois roys, qui leurs dest : 
	« Barons, Dieu vos
  mande que vous n'en raleis mie par Judée, car Herode vos ochiroit ;
  mains raleis-en par aultre voie, et Dieu vos garderat de tous
  perilhes. »  | 
  
   
	(18) Mais quand arriva
  minuit, un ange vint vers les trois rois et leur dit :   
	« Barons, Dieu vous
  fait savoir de ne pas retourner par la Judée, car Hérode vous tuerait ;
  prenez une autre route pour rentrer, et Dieu vous gardera de tous les
  périls. »  | 
 
| 
   
	(19) Quant les trois
  roys entendirent chu, ilhs se sont leveis, puis en ralont par altre voie, et
  sains Mychiel les conduisit jusques en leurs paiis.  | 
  
   
	(19 Quand les rois
  entendirent cela, ils se levèrent et s’en retournèrent par un autre chemin,
  et saint Michel les conduisit jusqu’à leur pays.  | 
 
CHAPITRE 9
PrÉsentation au temple
[Comm]
| 
   Marie presentat Jhesum à
  temple  | 
  
   Marie présenta Jésus au temple  | 
 
| 
   
	[p. 347, l. 6] 
	(1) A cel temps astoit la
  constummes, quant les dammes soy relevoient d'enfant marle, qu'elles
  portoient au temple dois colons ou turturelles, si en faisoient oblation, car
  le colon signifie humiliteit et la turturelle casteit ; sique la virgue
  Marie, quant el oit jeut XXXIX jours, si alat al XLe al temple où astoit gran
  parage.  | 
  
   
	(1) À cette époque,
  c’était la coutume, quand les femmes se relevaient de couches après la
  naissance d’un enfant mâle, d’apporter deux colombes ou tourterelles, et d’en
  faire l’offrande au temple ; car la colombe signifie l’humilité et la
  tourterelle la chasteté. Ainsi la Vierge Marie, après être restée couchée
  trente-neuf jours, alla au temple le quarantième jour, où il y avait beaucoup
  de monde.  | 
 
| 
   L’angle s’apparut à sains
  Symeon l’evesque Gran myracle de sains Symeon  | 
  
   L’ange apparut à l’évêque
  saint Siméon Grand miracle de saint Siméon  | 
 
| 
   
	(2) Adont vint I angle
  à sains Symeon, l'evesque de la loy, et Iy dest qu'iIh soy appareIhast, car
  ilh troveroit l'enfant qui astoit Ii fis de Dieu. Atant vint sains Symeon au
  temple, si at encontreit Nostre-Damme qui venoit à noble compangnie.  | 
  
   
	(2) Alors un ange vint
  vers saint Siméon, l’évêque de la loi, et lui dit de se préparer, car il
  trouverait l’enfant qui était le fils de Dieu. Alors saint Siméon se rendit
  au temple, où il rencontra Notre-Dame arrivant en noble compagnie.  | 
 
| 
   
	(3) AI entreir en
  temple fist Dieu gran myracle, car sains Symeon veit clerement, qui
  par-devant astoit si floible et si vies qu'ilh ne veioit gotes, et ne soy
  poioit sourtenir sens baston ; mains oussitoist que la virgue Marie Ii
  oit son enfant offiers, ilh le priste et l'enportat sour l'auteil enssi
  fortement com ilh fuist en l'eaige de XXX ans.  | 
  
   (3) À l’entrée du temple, Dieu fit un grand miracle, car saint Siméon se mit à voir clairement, lui qui auparavant était si faible et si vieux qu’il ne voyait rien et ne pouvait se soutenir sans bâton. Mais aussitôt que la vierge Marie lui eut présenté son enfant, il le prit et l’emporta sur l’autel avec autant de force que s’il était âgé de trente ans.  | 
 
| 
   
	(4) Sains Symeon
  portoit cheluy qui meisme le sourtenoit, car ilh portoit son saingnour qui Ii
  donnoit forche et vigeur, chu astoit son Dieu son salut qui Iy donnoit si
  grant vertu, que ilh portoit et sourtenoit cheluy qui porte et sourtient tout
  le monde.  | 
  
   
	(4) Saint Siméon
  portait celui-là même qui le soutenait, car il portait son seigneur qui lui
  donnait force et vigueur ; c’était son Dieu, son sauveur qui lui donnait
  une si grande force parce qu’il portait et soutenait celui qui porte et
  soutient tout l’univers.    | 
 
| 
   
	(5) Dieu amat mult
  sains Symeon, quant son corps laisat à luy ouffrir. En teile manere fut Dieu
  ouffert al temple par sains Symeon, qui longement l'avoit mult desinramment
  ratendut et demandeit.  | 
  
   
	(5) Dieu aima beaucoup
  saint Siméon, quand il le laissa lui présenter son corps. Dieu fut présenté
  de cette manière au temple par saint Siméon, qui l’avait longtemps attendu et
  très intensément désiré.  | 
 
Comme il a été dit plus haut, chacun de ces neuf chapitres fait l’objet
d’un commentaire spécifique.
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