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Métamorphoses d'Ovide : Avant-Propos - Notices - Livre XIII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Iconographie ovidienne - Page précédente - Page suivante


OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE XIII

[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2008]

 

Le  “ Jugement des armes ” (I) : Le plaidoyer d'Ajax (13, 1-122)

 

Début du plaidoyer (13, 1-62)

Le premier à plaider sa cause est Ajax, qui cherche d'emblée à déconsidérer son rival, Ulysse. Il insiste d'abord sur sa propre bravoure, l'opposant à la lâcheté d'Ulysse, qu'il qualifie de beau parleur, toujours prêt à se dérober et à agir dans l'ombre, comme ce fut le cas lors de l'incendie des vaisseaux grecs par Hector. (13, 1-20)

Ajax rappelle ensuite la supériorité de sa naissance (il descend en ligne directe de Jupiter), et sa parenté avec Achille, son cousin germain, alors qu'Ulysse a pour ancêtre le fourbe Sisyphe, rusé comme lui, puisque, pour tenter de se dérober à la guerre de Troie, il a simulé la folie, quand Palamède est venu le contraindre à s'enrôler. Ajax par contre a été le premier à s'engager. (13, 21-42)

Enfin, il accuse Ulysse d'avoir privé les Grecs de précieux concours : de celui de Philoctète, qui détenait les armes d'Hercule, indispensables à la prise de Troie, et qui fut relégué seul à Lemnos, où il passe une vie inutile, rongeant sa rancoeur contre les Grecs et surtout contre Ulysse ; et aussi de celui de Palamède, mort victime des machinations d'Ulysse, qui se vengea d'avoir été débusqué par lui. (13, 43-62)

13, 1

Consedere duces et uulgi stante corona

surgit ad hos clipei dominus septemplicis Aiax ;

utque erat impatiens irae, Sigeia toruo

litora respexit classemque in litore uultu
 

Les chefs s'assirent entourés des hommes de la troupe debout.

Ajax, le héros au bouclier aux sept peaux, se dressa devant eux.

Ne maîtrisant pas sa colère, il tourna son visage farouche

vers le rivage de Sigée et la flotte qui y mouillait, et dit
 

13, 5

intendensque manus : « agimus, pro Iuppiter  ! » inquit

« Ante rates causam, et mecum confertur Ulixes !

At non Hectoreis dubitauit cedere flammis,

quas ego sustinui, quas hac a classe fugaui.

Tutius est igitur fictis contendere uerbis,
 

en tendant les mains : « Par Jupiter, je plaide ma cause

devant nos vaisseaux, et voilà qu'on me compare à Ulysse !

Lui, devant les feux allumés par Hector, il n'hésita pas à fuir,

moi, je les ai bravés et les ai chassés loin de notre flotte.

Il est plus sûr en effet de se battre à l'aide de mensonges
 

13, 10

quam pugnare manu. Sed nec mihi dicere promptum,

nec facere est isti ; quantumque ego Marte feroci,

quantum acie ualeo, tantum ualet iste loquendo.

Nec memoranda tamen uobis mea facta, Pelasgi,

esse reor ; uidistis enim  ; sua narret Ulixes,
 

qu'une arme à la main. Mais parler n'est pas mon affaire,

et agir n'est pas la sienne ; autant je prouve ma valeur en me battant

dans l'ardeur de la mêlée, autant lui le fait en parlant.

Cependant, dois-je vous rappeler mes exploits, Pélasges,

je ne le pense pas, car vous les avez vus. Ulysse peut raconter les siens :
 

13, 15

quae sine teste gerit, quorum nox conscia sola est !

Praemia magna peto, fateor, sed demit honorem

aemulus. Aiaci non est tenuisse superbum,

sit licet hoc ingens, quicquid sperauit Ulixes.

Iste tulit pretium iam nunc temptaminis huius,
 

il les a accomplis sans témoin, seule la nuit en a connaissance !

Je revendique une grande récompense, je l'avoue, mais mon rival

lui enlève de sa valeur. Ajax ne peut tirer gloire de posséder

ce qu'Ulysse a convoité, si importante que soit cette chose.

Il a d'ores et déjà remporté un prix dans cette compétition,
 

13, 20

quod, cum uictus erit, mecum certasse feretur.


Atque ego, si uirtus in me dubitabilis esset,

nobilitate potens essem, Telamone creatus,

moenia qui forti Troiana sub Hercule cepit

litoraque intrauit Pagasaea Colcha carina.
 

car, après sa défaite, il aura la réputation de s'être mesuré à moi.


De plus, moi- même, au cas où l'on douterait de ma vaillance,

je l'emporterais par ma noblesse : car je suis né de Télamon,

qui, sous les ordres du vaillant Hercule, prit les murs de Troie

et aborda au rivage de Colchide avec le navire de Pagasa.
 

13, 25

Aeacus huic pater est, qui iura silentibus illic

reddit ubi Aeoliden saxum graue Sisyphon urget ;

Aeacon agnoscit summus prolemque fatetur

Iuppiter esse suam ; sic a Ioue tertius Aiax.

Nec tamen haec series in causam prosit, Achiui,
 

Son père est Éaque, qui rend la justice au royaume du Silence

là où un lourd bloc de pierre écrase Sisyphe, le fils d'Éole.

Le grand Jupiter a reconnu Éaque et dit qu'il est son fils ;

ainsi, Ajax est la troisième génération, à compter de Jupiter.

Et cependant, Achéens, cette ascendance ne serait pas utile,
 

13, 30

si mihi cum magno non est communis Achille ;

frater erat, fraterna peto ! Quid sanguine cretus

Sisyphio furtisque et fraude simillimus illi,

inseris Aeacidis alienae nomina gentis ?

An quod in arma prior nulloque sub indice ueni,
 

si elle ne m'était commune avec le grand Achille :

il était mon frère, je réclame l'héritage d'un frère ! Pourquoi, toi,

né de Sisyphe, ton très exact modèle en larcins et en fourberie,

mêles-tu les noms des Éacides à ceux d'une famille étrangère ?

Venu le premier, tout armé, sans être dénoncé par personne,

13, 35

arma neganda mihi ? Potiorque uidebitur illis,

ultima qui cepit detractauitque furore

militiam ficto, donec sollertior isto

et sibi inutilior timidi commenta retexit

Naupliades animi uitataque traxit ad arma ?
 

je me verrais refuser ces armes pour cela ? Le jugeront-ils plus méritant,

lui qui s'est engagé en dernier lieu et s'est soustrait à l'armée,

feignant la folie, lorsque, se montrant plus habile que lui,

et moins prudent pour lui-même, le fils de Nauplius fit éclater

sa lâche supercherie et l'entraîna aux combats qu'il esquivait ?
 

13, 40

Optima num sumat, quia sumere noluit ulla,

nos inhonorati et donis patruelibus orbi,

obtulimus quia nos ad prima pericula, simus ?


Atque utinam aut uerus furor ille, aut creditus esset,

nec comes hic Phrygias umquam uenisset ad arces
 

Lui, qui refusa de s'armer, recevrait ces armes prestigieuses,

et moi je serais privé d'honneur et spolié des présents de mon cousin,

pour m'être offert à affronter les dangers dès la première heure ?


Ah ! Si sa folie avait été réelle ou considérée comme telle,

et s'il ne nous avait pas accompagnés sous les murs phrygiens,
 

13, 45

hortator scelerum ! Non te, Poeantia proles,

expositum Lemnos nostro cum crimine haberet,

qui nunc, ut memorant, siluestribus abditus antris

saxa moues gemitu, Laertiadaeque precaris,

quae meruit ; quae, si di sunt, non uana precaris.
 

cet incitateur aux crimes ! Toi, fils de Poeas,

tu ne serais pas retenu à Lemnos, abandonné par notre faute

Maintenant, dit-on, tu vis caché dans les antres des forêts,

tes gémissements émeuvent les rochers, tu maudis le fils de Laerte

qui le mérite, malédiction qui ne sera pas vaine, si les dieux existent.
 

13, 50

Et nunc ille eadem nobis iuratus in arma,

heu ! pars una ducum, quo successore sagittae

Herculis utuntur, fractus morboque fameque

uelaturque aliturque auibus, uolucresque petendo

debita Troianis exercet spicula fatis.
 

Et aujourd'hui, ce héros, qui comme nous a juré sur ces armes,

qui fut un des chefs grecs, hélas ! possède en héritage

les flèches d'Hercule et s'en sert, brisé par la maladie et la faim :

il se vêt et se nourrit grâce aux oiseaux qu'il s'emploie à chasser

avec des flèches que le destin a réservées à la chute de Troie.
 

13, 55

Ille tamen uiuit, quia non comitauit Ulixen ;

mallet et infelix Palamedes esse relictus ;

{uiueret aut certe letum sine crimine haberet}

quem male conuicti nimium memor iste furoris

prodere rem Danaum finxit fictumque probauit
 

Il est en vie toutefois, parce qu'il n'a pas accompagné Ulysse.

L'infortuné Palamède aussi eût préféré avoir été abandonné ;

{il serait vivant ou, en tout cas, serait mort exempt d'accusation}.

Ulysse, se souvenant trop bien que sa folie avait été démasquée,

inventa que Palamède avait trahi les Danaens, et prouva
 

13, 60

crimen et ostendit, quod iam praefoderat, aurum.

Ergo aut exilio uires subduxit Achiuis,

aut nece ; sic pugnat, sic est metuendus Ulixes !
 

ce crime fictif, en montrant l'or qu'il avait enfoui au préalable.

Donc, que ce soit par l'exil ou la mort, il enleva des forces aux Achéens ;

voilà comment se bat Ulysse, voilà les moyens qui le rendent redoutable !
 

Suite du plaidoyer d'Ajax (13, 63-122)

Ajax reproche ensuite à Ulysse, en prenant Diomède à témoin, d'avoir fui un jour, en s'abstenant de secourir Nestor qui demandait son aide. Puis il évoque encore le combat singulier proposé par Hector, combat que lui Ajax soutint sans démériter, alors que les autres Grecs et notamment Ulysse se dérobaient. Rappelant qu'il a par ses faits d'armes sauvé la flotte grecque du feu troyen, il s'estime digne des armes d'Achille. (13, 63-97)

Par ailleurs, les exploits qu'Ulysse invoque à son actif sont peu éclatants, accomplis dans l'ombre et avec le concours de Diomède, qui pourrait lui aussi revendiquer les armes. Du reste, pour Ulysse, qui ne combat qu'en recourant à des ruses, les armes d'Achille seraient inutiles et dangereuses, parce que trop lourdes et trop voyantes pour un homme de l'ombre. (13, 98-122)

13, 63

Qui licet eloquio fidum quoque Nestora uincat,

haud tamen efficiet, desertum ut Nestora crimen
 

Il peut l'emporter en éloquence sur le loyal Nestor lui-même,

mais il ne me fera pas croire qu'il n'est pas coupable 
 

13, 65

esse rear nullum ; qui cum imploraret Ulixen

uulnere tardus equi fessusque senilibus annis,

proditus a socio est ; non haec mihi crimina fingi

scit bene Tydides, qui nomine saepe uocatum

corripuit trepidoque fugam exprobrauit amico.
 

d'avoir abandonné Nestor. Ralenti par la blessure de son cheval

et fatigué par son grand âge, le vieillard implorait Ulysse,

son compagnon, qui le trahit. Je n'ai pas inventé ces accusations,

le fils de Tydée le sait bien : il appela plusieurs fois par son nom

son ami qui paniquait, le blâma vivement et lui reprocha de fuir.
 

13, 70

Aspiciunt oculis superi mortalia iustis !

En eget auxilio, qui non tulit ; utque reliquit,

sic linquendus erat ; legem sibi dixerat ipse.

Conclamat socios ; adsum uideoque trementem

pallentemque metu et trepidantem morte futura.
 

Les dieux d'en haut voient d'un oeil équitable les actions des mortels !

Il a besoin d'aide, lui qui n'a pas porté aide ; comme lui l'avait fait,

il aurait dû être abandonné ; il s'était lui-même fixé cette règle.

Il appelle ses compagnons ; je me pésente et je le vois tremblant,

livide de peur et épouvanté à la perpective de sa mort prochaine.
 

13, 75

Opposui molem clipei texique iacentem

seruauique animam (minimum est hoc laudis) inertem.

Si perstas certare, locum redeamus in illum ;

redde hostem uulnusque tuum solitumque timorem

post clipeumque late et mecum contende sub illo !
 

J'interposai mon lourd bouclier et protégeai cet homme étendu,

et le sauvai (acte bien peu méritoire !), alors qu'il ne bougeait pas.

Si tu persistes à me disputer ces armes, retournons à cet endroit ;

retrouvons l'ennemi, ta blessure et ta couardise habituelle,

et, caché derrière mon bouclier, sous sa protection, rivalise avec moi !
 

13, 80

At postquam eripui, cui standi uulnera uires

non dederant, nullo tardatus uulnere fugit.


Hector adest secumque deos in proelia ducit

quaque ruit, non tu tantum terreris, Ulixe,

sed fortes etiam ; tantum trahit ille timoris.
 

Mais, lorsque je l'eus arraché au danger, lui qui n'avait pas la force,

vu ses blessures, de tenir debout, s'enfuit sans qu'elles le ralentissent.


Hector se présente, amenant comme toujours les dieux avec lui

dans les combats où il s'engage. Tu n'es pas le seul effrayé, Ulysse,

les héros courageux aussi ont peur ; tant cet homme cause d'épouvante.
 

13, 85

Hunc ego sanguineae successu caedis ouantem

eminus ingenti resupinum pondere fudi ;

hunc ego poscentem, cum quo concurreret, unus

sustinui sortemque meam uouistis, Achiui,

et uestrae ualuere preces. Si quaeritis huius
 

Tandis qu'Hector jubilait d'avoir mené à bien un massacre sanglant,

je l'étendis sur le dos en lançant de loin un roc d'un poids énorme ;

tandis que le Troyen demandait quelqu'un à qui se mesurer, je fus seul

à faire face ; votre voeu fut, Achéens, que le sort me désigne,

et vos prières furent entendues. Si vous voulez connaître l'issue
 

13, 90

fortunam pugnae, non sum superatus ab illo.

Ecce ferunt Troes ferrumque ignesque Iouemque

in Danaas classes ; ubi nunc facundus Vlixes ?

Nempe ego mille meo protexi pectore puppes,

spem uestri reditus ; date pro tot nauibus arma.
 

de ce combat, je n'ai pas été dominé par ce fameux héros.

Voici que les Troyens, soutenus par Jupiter, portent le fer et le feu

contre la flotte des Danaens ; où est maintenant ce bavard d'Ulysse ?

Bien sûr, c'est moi, qui de mon torse, ai protégé nos mille vaisseaux,

espoir de votre retour ; pour tant de navires, donnez-moi ces armes.
 

13, 95

Quodsi uera licet mihi dicere, quaeritur istis

quam mihi maior honos coniunctaque gloria nostra est,

atque Aiax armis, non Aiaci arma petuntur.


Conferat his Ithacus Rhesum inbellemque Dolona

Priamidenque Helenum rapta cum Pallade captum ;
 

Et s'il m'est permis de dire la vérité, l'honneur que je cherche à obtenir

sera plus grand pour ces armes que pour moi ; notre gloire est liée :

les armes réclament Ajax, ce n'est pas Ajax qui réclame les armes.


À cela, l'homme d'Ithaque peut évoquer Rhésus et le paisible Dolon,

 la capture du Priamide Hélénus et le vol du Palladium :
 

13, 100

luce nihil gestum, nihil est Diomede remoto.

Si semel ista datis meritis tam uilibus arma,

diuidite, et pars sit maior Diomedis in illis.

Quo tamen haec Ithaco, qui clam, qui semper inermis

rem gerit et furtis incautum decipit hostem ?
 

rien ne se fit au grand jour, rien ne se passa sans Diomède.

Si jamais vous accordez ces armes pour prix d'aussi piètres mérites,

faites-en des parts, et que celle de Diomède soit la plus importante.

Mais pourquoi donner ces armes au fils d'Ithaque qui agit dans l'ombre,

toujours sans armes, et abuse par ses ruses un ennemi sans défiance ?
 

13, 105

Ipse nitor galeae claro radiantis ab auro

insidias prodet manifestabitque latentem.

Sed neque Dulichius sub Achillis casside uertex

pondera tanta feret, nec non onerosa grauisque

Pelias hasta potest inbellibus esse lacertis,
 

Ce casque éclatant, tout rayonnant d'or étincelant,

trahirait ses pièges et manifestera sa présence qu'il dissimule.

Au reste, le crâne d'un habitant de Dulichium, sous le casque d'Achille,

ne supportera pas un poids si grand, et la lance en bois du Pélion,

pesante et lourde, n'est pas faite pour des bras impuissants.
 

13, 110

nec clipeus uasti caelatus imagine mundi

conueniet timidae nataeque ad furta sinistrae.

Debilitaturum quid te petis, inprobe, munus ?

Quod tibi si populi donauerit error Achiui,

cur spolieris erit, non cur metuaris ab hoste ;
 

De même le bouclier avec ses ciselures représentant le vaste monde

ne s'adaptera pas à ton bras gauche, hésitant et fait pour les larcins.

Pourquoi, homme pervers, réclamer un présent qui t'affaiblira ?

Si par suite d'une méprise le peuple des Achéens t'en fait cadeau,

l'ennemi aura une raison de te dépouiller plutôt que de te craindre ;
 

13, 115

et fuga, qua sola cunctos, timidissime, uincis,

tarda futura tibi est gestamina tanta trahenti.

Adde quod iste tuus, tam raro proelia passus,

integer est clipeus ; nostro, qui tela ferendo

mille patet plagis, nouus est successor habendus.
 

et la fuite, ô lâche entre tous, ton seul moyen de l'emporter sur tous,

sera bien lente, quand tu traîneras un équipement si important.

Ajoute que ton propre bouclier, si rarement exposé aux combats,

est intact ; le mien, à force d'arrêter les traits, a été percé

de mille coups, et a besoin d'un successeur nouveau.
 

13, 120

 Denique, quid uerbis opus est ? Spectemur agendo !

Arma uiri fortis medios mittantur in hostes ;

inde iubete peti et referentem ornate relatis. »
 

Bref, à quoi bon discourir ? Soyons jugés sur nos actes !

Que l'on jette les armes du vaillant héros au milieu des ennemis ;

puis ordonnez de les reprendre et gratifiez-en celui qui les ramènera. »

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NOTES

En guise d'introduction

Le « Jugement des armes »  (13, 1-398). Le récit de la mort d'Achille (12, 580-628) annonçait le sujet de la première partie du livre 13, où deux héros grecs célèbres, Ajax et Ulysse, revendiquent tour à tour l'héritage des armes d'Achille, lors d'une joute qui se terminera par l'évocation de la mort d'Ajax (13, 382-398). Ce « jugement des armes » opposant Ajax et Ulysse, était présent dans la littérature posthomérique et était devenu à Rome un sujet de prédilection pour les écoles de rhétorique, importantes dans l'éducation des jeunes Romains.

Ulysse. Célèbre héros de l'Antiquité, Ulysse est devenu selon les interprétations le symbole de l'homme habile et rusé ou celui du sage. Sa légende s'est fort développée au fil des temps. On trouvera ci-dessous quelques indications sur le personnage avant que ne commence la guerre de Troie.
    Ulysse était le fils du roi d'Ithaque, Laërte (qui descendait soit de Zeus, soit de Céphale), et il avait pour mère Anticlée (descendante d'Hercule). Une tradition postérieure à Homère raconte qu'Anticlée, avant d'épouser Laërte, aurait été aimée (ou violentée ?) par Sisyphe, le plus rusé des mortels, qui serait ainsi le vrai père d'Ulysse. Durant sa jeunesse, Ulysse aurait fait divers voyages pour servir Laërte, et participé notamment à une chasse au cours de laquelle il reçut un coup qui lui laissa une cicatrice indélébile (elle servira à son retour à Ithaque, de signe de reconnaissance). Il hérita du trône et des richesses (des troupeaux, principalement) de Laërte. Selon certaines traditions, il aurait renoncé à prétendre à la main d'Hélène et pour rassurer Tyndare, le père d'Hélène, qui redoutait l'hostilité des nombreux prétendants évincés par elle, Ulysse exigea d'eux un serment les obligeant à soutenir celui d'entre eux qui serait l'élu, en l'occurrence Ménélas. De ce serment résulta la guerre de Troie. Ulysse épousa Pénélope, cousine d'Hélène, et devint le père de Télémaque. Averti par un oracle que la guerre de Troie et son retour lui vaudraient une absence de vingt années, Ulysse simula la folie pour éviter de partir, mais fut débusqué par Palamède et, finalement, le héros partit pour Troie et se mit au service des Atrides.
    Après le rapt d'Hélène, Ulysse serait allé à Delphes avec Ménélas pour consulter l'oracle, et se serait même rendu une première fois à Troie pour tenter de récupérer Hélène. Seul ou avec d'autres, il contribua à retrouver Achille dont la participation était, selon un oracle, indispensable à la prise de Troie ; en effet Achille déguisé en fille, se cachait parmi les filles du roi de Skyros, suite à la volonté de sa mère Thétis, désireuse de lui éviter une mort prématurée devant Troie, mort qu'avaient annoncée les destins. Le rusé Ulysse se présenta à la cour sous les traits d'un marchand et étala devant les princesses des étoffes et des pièces de lingerie parmi lesquelles il avait caché des armes, qui d'emblée intéressèrent le jeune Achille, révélant ainsi sa nature guerrière et son identité réelle.

Ajax... bouclier aux sept peaux  (13, 2). Ajax le Grand, roi de Salamine, fils de Télamon, déjà mentionné en 12, 624 (à ne pas confondre avec Ajax le Locrien, fils d'Oïlée, cité en 12, 622). Omniprésent dans l'Iliade, le grand Ajax passe pour le héros le plus grand, le plus fort, le plus beau après Achille, et il est le principal guerrier assurant la défense des Grecs, principalement en face d'Hector, depuis le moment où Achille s'est retiré sous sa tente. Les Tragiques (par exemple Sophocle, Ajax) aussi ont traité ce sujet. Les exploits d'Ajax sont évoqués, souvent très succinctement, par Ovide, dans le plaidoyer qu'il lui prête. Les notes suivantes détailleront certains d'entre eux. - Dans Iliade, 7, 219-223, Homère parle déjà du bouclier aux sept peaux d'Ajax, dont s'inspire Virgile, Én., 12, 925, pour décrire le bouclier deTurnus.

Sigée (13, 3). Promontoire de Troade, au Nord-Ouest de Troie, où mouillait la flotte grecque et où fut érigé le tombeau d'Achille (11, 197, et 12, 71).

feux allumés par Hector... (13, 7-12). Parmi les combats épiques qui opposent Ajax et Hector et qui s'échelonnent tout au long des chants de l'Iliade, Ajax se signale en prenant la défense de la flotte grecque par les Troyens d'Hector (Iliade, 15, 674-746). Pour la réponse d'Ulysse, voir Mét., 13, 268-274 et 13, 352-353.

Pélasges (13, 13). Nom d'une population préhellénique, régulièrement synonyme chez Ovide de « Grecs ». Voir 7, 49 et 7, 133.

les siens (13, 14). L'allusion aux ruses d'Ulysse sera reprise et expliquée plus loin (13, 98 ; 13, 243, et 13, 342).

Télamon... Colchide... Pagasa... (13, 22-24). Télamon, roi de Salamine et père d'Ajax (7, 476), est fils d'Éaque et frère de Pélée. Il avait accompagné Héraclès lors de la première expédition contre Troie (11, 212-217 et les notes), et il avait pris part à l'expédition des Argonautes vers la Colchide, sur le navire Argo, parti du port thessalien de Pagasa. Cfr la note d'introduction générale au livre 7 et la note à 7, 1.

Éaque (13, 25). Fils de Jupiter, et devenu juge aux enfers. Voir note à 7, 472.

Sisyphe (13, 26). Fils d'Éole, passant pour le plus rusé des mortels, un des grands damnés, condamné à pousser éternellement un roc qui retombait dès qu'il arrivait au sommet d'une montagne. Voir 4, 460-466 et 10, 44. Pour discréditer Ulysse, Ajax fait allusion à une tradition selon laquelle la mère d'Ulysse, Anticlée, aurait été la maîtresse (ou la victime violée ?) de Sisyphe, avant d'épouser Laërte, ce qui faisait d'Ulysse le fils de Sisyphe (voir Hyg., Fab., 201; Virgile, Én., 6, 529).

Achille (13, 30). Un des héros les plus célèbres de l'Iliade. Il était fils de Pélée, et donc neveu de Télamon et cousin germain d'Ajax, qui trouvait dans cette parenté un argument pour revendiquer ses armes en héritage.

Éacides (13, 33). Les trois fils d'Éaque, à savoir, Télamon, Pélée, et Phocus, ainsi que leurs descendants Ajax, Achille, Néoptolème.

sans être dénoncé (13, 34). Allusion à l'artifice d'Ulysse pour se soustraire à l'expédition contre Troie (cfr la note d'introduction à Ulysse, et la note suivante). Pour la réponse d'Ulysse, voir 13, 296-305.

fils de Nauplius...  (13, 38-39). C'est Palamède. Au moment du rapt d'Hélène, Ulysse, pour éviter de participer à l'expédition contre Troie, simula la folie, semant du sel sur le sable du rivage, qu'il labourait avec un attelage. Palamède plaça le petit Télémaque devant la charrue, déjouant ainsi la ruse d'Ulysse, qui cessa de feindre pour éviter d'écraser son fils. C'est ainsi qu'Ulysse partit pour Troie et se mit au service des Atrides. Voir 13, 55-60, où Ovide évoque la mort de Palamède. Pour la réponse d'Ulysse, voir 13, 306-312.

fils de Poeas (13, 45-54). C'est Philoctète (voir 9, 231-234 et les notes). Originaire de Magnésie, en Thessalie, Philoctète participa avec sept vaisseaux à l'expédition contre Troie. Il était dépositaire des armes (arc et flèches) d'Héraclès/Hercule, qui le remercia ainsi d'avoir allumé son bûcher sur l'Oeta. Mais Philoctète ne parvint pas à Troie car il fut mordu par un serpent au cours d'une escale à Ténédos. Sa blessure incurable dégageait une odeur si infecte que les autres membres de l'expédition, sur les conseils d'Ulysse, abandonnèrent le malheureux, seul, dans l'île de Lemnos où il resta durant dix ans. Après la mort de Pâris, un fils de Priam, Hélénus le devin, fut capturé par les Grecs et leur révéla que Troie ne serait conquise qu'avec les armes détenues par Philoctète. C'est pourquoi Ulysse et Néoptolème vinrent le rechercher et le persuadèrent de (ou le contraignirent à) revenir se battre (voir par exemple l'argument du Philoctète de Sophocle). À Troie, Philoctète fut soigné et guéri, et figure parmi les rares héros qui rentrèrent heureux chez eux après la guerre.

il est en vie...  (13, 55-60). Ajax, aux vers 55-57, compare le sort de Philoctète, qui doit à sa relégation de dix ans de n'être pas mort, à celui de Palamède (13, 38-39), qui périt victime de la fourberie d'Ulysse. En effet, Ulysse conserva toujours de la rancune à l'égard de Palamède, dont il provoqua la mort : il aurait contraint un prisonnier troyen à écrire une lettre censée émaner de Priam, selon laquelle Palamède offrait au roi de Troie de trahir les Grecs, puis il aurait caché dans la tente de Palamède une somme d'argent comme preuve de sa trahison, ce qui amena l'arrestation et la lapidation du soi-disant traître. Pour la réponse d'Ulysse, voir 13, 306ss.

Il serait vivant... (13, 57). Le vers 57 est omis par certains éditeurs, dont G. Lafaye.

loyal Nestor... le fils de Tydée... (13, 61-69). Sur Nestor, voir 8, 313 et 12, 169. Le passage présenté ici rappelle un fait relaté par Homère, Iliade, 8, 78-100 : en pleine mêlée, Nestor en difficulté demande l'aide d'Ulysse, qui le laisse tomber, tandis que Diomède, le fils de Tydée, lui porte assistance. Dans l'Iliade, Diomède est le compagnon ordinaire et l'ami d'Ulysse, et non un rival comme le suggère ici Ajax.

le fils de Tydée (13, 69). Diomède.

il a besoin d'aide... (13, 71-81) Après d'innombrables scènes de combats décrites dans l'Iliade (11, 400-460), on voit Ulysse seul encerclé par des Troyens, qu'il tue en partie ; affronté à un Troyen, Sôque, qui le blesse, il réussit à le mettre à mort, mais est à nouveau menacé par un cercle de Troyens. C'est alors (Iliade, 11, 461-491) qu'il appelle au secours et est entendu par Ménélas et Ajax, lequel rétablit la situation en faisant fuir les Troyens. Le portrait élogieux d'Ulysse par Homère est fort différent de celui qu'Ovide prête à Ajax.

Hector se présente... (13, 82-90). Ce passage correspond au début du chant 7 de l' Iliade, où Hector, sur la suggestion de son frère Hélénus, propose un combat singulier aux héros grecs. Neuf d'entre eux se présentent finalement, et on remet au sort le choix de l'adversaire d'Hector, en priant le ciel que soit désigné Ajax, ou Diomède ou Agamemnon (Iliade, 7, 1-180). Ajax est effectivement désigné et un combat singulier s'engage, acharné mais resté indécis jusqu'au bout. Les adversaires se retirent chacun, de commun accord, pleins d'admiration l'un pour l'autre (Iliade, 7, 181-312).

Voici que les Troyens... (13, 91-94). Ajax revient maintenant au combat près des vaisseaux grecs, déjà mentionné en 13, 7-8, et inspiré de Iliade, 15, 674-746. Pour la réponse d'Ulysse, voir Mét., 13, 268-274.

Rhésus ... Dolon... (13, 98-99). Ces deux vers résument le contenu d'une bonne partie du chant 10 de l'Iliade. Diomède et Ulysse sont envoyés en reconnaissance pour espionner le camp troyen. Ils rencontrent le Troyen Dolon, qui, lui, est envoyé par Hector dans le camp achéen, avec la promesse d'obtenir pour prix de sa mission le char d'Achille et ses deux chevaux divins. Le Troyen, capturé par Ulysse et Diomède, leur révèle les positions des Troyens et de leurs alliés, avant de périr sous l'épée de Diomède (Iliade, 10, 271-464). - Rhésus, quant à lui, est un roi venu de Thrace, pour s'allier aux Troyens, au cours de la dernière année de la guerre. Il était célèbre pour ses chevaux blancs, rapides comme le vent, pour ses armes et son char précieux. Renseignés par Dolon sur l'endroit où campe Rhésus, Diomède et Ulysse s'y rendent en pleine nuit, le surprennent, le massacrent, lui et ses hommes, et emmènent ses chevaux. (Iliade, 10, 432-441 et 465-511). Pour la réponse d'Ulysse, voir Mét., 13, 243-252.

Helénus... Palladium... (13, 98-99). Ovide s'inspire de sources posthomériques, et notamment du Philoctète de Sophocle (voir note à 13, 45-54 : fils de Poeas). Les légendes concernant Hélénus sont variées, et Virgile notamment fait de lui l'époux d'Andromaque en Épire ; étant donné son pouvoir divinatoire, Hélénus prédit à Énée le destin qui l'attend en Italie (Én., 3, 289-462, en particulier la note à 3, 295). Un résumé basé sur Apollodore, Bibliotheca. Ep., 5, 9-10, permettra de comprendre le texte d'Ovide : Hélénus, fils de Priam et d'Hécube, voulut, après la mort de Pâris/Alexandre, épouser Hélène, qui lui préféra Déiphobe. Alors il abandonna Troie et se retira sur l'Ida. Calchas ayant affirmé aux Grecs qu'Hélénus connaissait les oracles qui protégeaient Troie, Ulysse lui tendit un piège, le fit prisonnier et apprit ainsi de lui diverses conditions indispensables à la prise de Troie, notamment l'engagement de Néoptolème, fils d'Achille, dans la guerre, ainsi que l'endroit où se trouvait le Palladium. - Le Palladium, dont la légende est née et s'est complexifiée après Homère, aurait été une statue représentant Athéna, tombée du ciel, et garantissant le salut de Troie aussi longtemps qu'elle resterait dans la ville. La légende romaine et Virgile ont beaucoup exploité cette donnée pour l'appliquer à la ville de Rome. - Quant au vol du Palladium (rapporté différemment selon les versions), Ulysse et Diomède l'auraient effectué en pénétrant de nuit dans Troie. Certaines versions attribuent un rôle plus important à Diomède qu'à Ulysse, et une certaine rivalité entre les deux héros. Pour la réponse d'Ulysse, voir Mét., 13, 335-345.

Dulichium (13, 107). Voisine d'Ithaque, cette petite île faisait partie du royaume d'Ulysse.

Pélion (13, 109). Mont de Thessalie, proche de l'Ossa. Déjà mentionné en 12, 74. Homère, Iliade, 16, 141-144, parle d'une lourde pique en bois du Pélion, qu'Achille est seul à pouvoir brandir, et qui fut offerte par le centaure Chiron à Pélée, le père du héros.

bouclier (13, 110). Ovide pense sans doute, mais sans s'attarder, à la description par Homère du bouclier d'Achille forgé par Héphaïstos à la demande de Thétis (Iliade, 18, 483-608), et à celle du bouclier d'Énée par Virgile, Én., 8, 626-731. Pour la réponse d'Ulysse, voir Mét., 13, 288-295.


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