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Plutarque : Vie de Périclès (chapitres 17-39)

Traduction nouvelle annotée par Marie-Paule Loicq-Berger
Chef de travaux honoraire de l’Université de Liège
Adresse : avenue Nandrin, 24 ‒ B 4130 Esneux
loicq-berger@skynet.be


[Présentation]  [1-16] [17] [18] [19] [20] [21] [22] [23] [24] [25] [26]
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N.B. La présente traduction a suivi le texte grec établi par R. Flacelière et E. Chambry pour la collection des Universités de France (Paris, « Les Belles Lettres », 1964). L'annotation est redevable, entre autres, à Ph. A. Stadter, A Commentary on Plutarch's Pericles, Univ. of North Carolina Press, 1989. En guise de synthèse, on lit toujours avec agrément et profit l'excellent Périclès de Marie Delcourt (8e éd. Paris, 1939).

 

L'homme d'État aux affaires étrangères :

projet de congrès et efforts pacifistes (17-18)

17.

1. Les Lacédémoniens commençaient à s'irriter de l'accroissement d'Athènes. Périclès voulut exalter davantage encore l'orgueil du peuple et le faire prétendre à de grands desseins. Il rédige un décret appelant tous les Grecs où qu'ils fussent installés en Europe ou en Asie, toute cité, grande ou petite, à envoyer des députés en congrès à Athènes : il s'agissait de conférer sur les temples grecs incendiés par les barbares, sur les sacrifices que l'on devait aux dieux en suite des prières qu'on leur avait adressées pour la Grèce lors des guerres médiques ; il fallait aussi discuter de la mer : comment assurer à tous paix et navigation tranquille.

2. Dans ce but, vingt hommes de plus de cinquante ans furent dépêchés : cinq allaient convoquer les Ioniens, les Doriens d'Asie et les gens des îles jusqu'à Lesbos et Rhodes ; cinq autres gagnèrent les régions de l'Hellespont et de la Thrace jusqu'à Byzance ; cinq encore furent envoyés en Béotie, en Phocide, dans le Péloponnèse et, de là, à travers la Locride, sur le continent voisin jusqu'à l'Acarnanie et l'Ambracie.

3. Les cinq derniers devaient se rendre par l'Eubée chez les Œtéens, les gens du golfe Maliaque, les Achéens de Phthie et les Thessaliens. Tous ces délégués cherchaient à convaincre les peuples de venir participer aux délibérations sur la paix et sur la communauté d'intérêts de la Grèce.

4. Seulement, rien ne se fit, les cités ne se rassemblèrent pas ‒ les Lacédémoniens faisaient, dit-on, une sourde opposition et c'est dans le Péloponnèse tout d'abord que la tentative fut repoussée. J'ai exposé ceci pour bien montrer l'intelligence de Périclès et sa grandeur d'âme.

18.

1. Dans le cadre de ses commandements militaires, sa plus haute réputation venait de la sécurité qu'il garantissait à ses armées : il ne livrait pas de son plein gré de combat par trop indécis et périlleux, il n'enviait pas et n'imitait pas les hommes admirés comme de grands stratèges parce qu'ils s'étaient tirés d'affaire grâce à une chance manifeste. Et de répéter à ses concitoyens qu'ils seraient à jamais immortels dans la mesure où cela dépendait de lui ...

2. Tolmidès, fils de Tolmaios, qui avait naguère remporté des succès et était particulièrement honoré en raison de ses faits d'armes, se préparait fort mal à propos à se jeter sur la Béotie ; il avait convaincu les meilleurs et les plus ambitieux des hommes en âge de servir ‒ un millier, en plus du reste de l'armée ‒ de faire campagne avec lui en volontaires. Périclès s'en avise, s'efforce de le retenir par ses conseils et tient au sein de l'assemblée du peuple ce propos mémorable que si Tolmidès n'obéit pas à Périclès, il ne fera en tout cas pas mal d'attendre l'avis du conseiller le plus sage, le temps.

3. Ce propos fut sur l'heure médiocrement apprécié, mais quelques jours plus tard on annonça que Tolmidès, défait lors du combat de Coronée, était mort, et morts aussi nombre de citoyens d'élite : cela gagna à Périclès la considération et l'approbation qui s'attachent à un homme réfléchi et plein de sollicitude pour ses concitoyens.

 

Expéditions diverses (19-20)

19.

1. La plus appréciée de ses expéditions militaires, celle de Chersonèse, fut salvatrice pour les Grecs installés là-bas. Car non seulement il y renforça les villes par un apport d'hommes vigoureux ‒ il y amena mille colons athéniens ‒ mais de surcroît il ceignit l'isthme de défenses et de murailles allant d'une mer à l'autre : c'était se remparer contre les descentes des Thraces répandus autour de la Chersonèse et se verrouiller contre une guerre continuelle, pénible, dont était constamment la proie un pays infiltré par des voisinages barbares et rempli de brigandages frontaliers et internes.

2. Périclès fut d'autre part admiré et célébré à l'envi à l'étranger pour son expédition navale autour du Péloponnèse. Ayant embarqué à Pègai en Mégaride, avec cent trières, non seulement il dévasta une grande partie de la côte, comme l'avait fait précédemment Tolmidès, mais, progressant loin de la mer avec les hoplites de son escadre, il fit se concentrer à l'abri de leurs murailles les populations qui, en général, craignaient son attaque ; quant aux Sicyoniens de Némée, qui lui résistaient et lui livraient combat, il les mit en fuite à toute force et érigea un trophée.

3. Ayant embarqué sur ses trières des soldats pris en Achaïe, pays ami, il se transporta avec sa flotte sur le continent d'en face ; remontant l'Acheloüs, il parcourut l'Acarnanie, enferma dans leurs murs les gens d'Œniades, rasant la terre et dévastant tout, puis il rentra à Athènes : il s'était montré redoutable aux ennemis en même temps que solide et actif pour ses concitoyens. Nul accident, en effet, fût-il fortuit, n'était arrivé au corps expéditionnaire.

20.

1. Ensuite Périclès fit voile vers le Pont-Euxin, avec une grande flotte splendidement équipée. Avec les cités grecques, il négocia ce qu'elles demandaient et il se comporta avec humanité, tandis qu'aux peuples barbares des alentours, à leurs rois et à leurs dynastes, il fit voir l'étendue de sa puissance, la tranquillité et l'audace avec lesquelles Athènes naviguait où elle voulait, tenant sous son empire la mer tout entière. Aux gens de Sinope, il laissa treize vaisseaux avec Lamachos et des soldats armés contre le tyran Timèsiléos.

2. Une fois ce dernier expulsé, avec ses partisans, Périclès décréta que six cents volontaires athéniens cingleraient vers Sinope pour y cohabiter avec les indigènes, après s'être réparti les maisons et les terres que détenaient antérieurement les tyrans.

3. Pour le reste, Périclès ne cédait pas aux impulsions de ses concitoyens, loin de tomber d'accord avec eux qui, conscients de l'étendue de leur force et de leur chance, s'exaltaient jusqu'à vouloir s'en prendre à nouveau à l'Égypte et remuer les provinces maritimes du gouvernement du Roi.

3. Déjà, à Athènes, beaucoup de gens s'étaient pris pour la Sicile de cette passion mauvaise et fatale que firent flamber plus tard les orateurs partisans d'Alcibiade. Pour certains même, l'Étrurie et Carthage étaient un rêve non dépourvu d'espérance, vu la grandeur de leur souveraineté d'alors et le cours heureux de leurs affaires.

 

Prodromes de la guerre du Péloponnèse (21-23)

21.

1. Mais Périclès refrénait cet appétit d'équipées extérieures et coupait court à leurs ambitions affairistes. Il consacrait surtout ses forces à garder et à sécuriser ses possessions ; jugeant que c'était un gros travail que de refouler les Lacédémoniens, il s'appliquait tout entier à leur résister sourdement, ainsi qu'il le montra souvent, et entre autres lors des événements de la guerre sacrée.

2. Étant montées jusqu'à Delphes, les troupes lacédémoniennes avaient rendu aux Delphiens le sanctuaire que tenaient les Phocidiens ; sitôt les Lacédémoniens partis, Périclès y mena une armée et réintroduisit les Phocidiens.

3. Or les Lacédémoniens avaient fait graver au front du loup de bronze la priorité consultative que leur avaient donnée les Delphiens ; Périclès obtint lui aussi cette priorité pour les Athéniens et la fit marquer sur le côté droit du même loup.

22.

1. Qu'il eût raison de contenir en Grèce la puissance d'Athènes, c'est ce dont les faits témoignèrent pour lui. Il y eut d'abord la défection des Eubéens, contre lesquels il se porta avec une forte armée. Aussitôt après, on annonça l'entrée en guerre des Mégariens et la présence aux frontières de l'Attique d'une armée péloponnésienne commandée par Pleistônax, roi des Lacédémoniens.

2. Derechef, Périclès se transporta promptement de l'Eubée sur la direction de la guerre en Attique, mais n'osa pas en venir aux mains avec les hoplites, nombreux et exercés, qui le provoquaient. En revanche, voyant Pleistônax, qui était très jeune, se faire conseiller surtout par Cléandridas ‒ un homme que les éphores, eu égard à l'âge du jeune roi, lui avaient dépêché comme garde et comme auxiliaire ‒, Périclès fit de ce côté une secrète approche ; avec de l'argent, il corrompit rapidement le conseiller et le persuada de retirer d'Attique ses Péloponnésiens.

3. Une fois l'armée partie et dispersée dans les cités respectives, les Lacédémoniens, furieux, mirent leur roi à l'amende ; comme celui-ci n'avait pas de quoi en acquitter l'énorme montant, il s'éloigna de Lacédémone, tandis que Cléandridas, en fuite, était condamné à mort.

4. Ce dernier était le père de Gylippe, qui combattit victorieusement les Athéniens en Sicile. La nature, semble-t-il, avait mis en lui, telle une maladie congénitale, l'amour de l'argent ‒ Gylippe en fut lui-même atteint et honteusement chassé de Sparte, après de brillants services : c'est ce que nous avons montré dans la Vie de Lysandre.

23.

1. Lorsqu'il rendit compte de son commandement militaire, Périclès inscrivit une dépense de dix talents, consentie « par nécessité ». Le peuple l'accepta sans faire la moindre difficulté ni mettre en question son secret.

2. Certains (au nombre desquels le philosophe Théophraste) ont néanmoins rapporté que, chaque année, dix talents s'acheminaient vers Sparte par les soins de Périclès : à force de soigner tous les gens au pouvoir, il écartait la guerre, en achetant non la paix mais le temps durant lequel il allait se préparer tranquillement à engager la guerre dans de meilleures conditions.

3. Se retournant derechef contre les rebelles, avec cinquante vaisseaux et cinq mille hoplites, il passa en Eubée où il ravagea les villes.

4. De Chalcis, il expulsa les Hippobotes, citoyens particulièrement riches et réputés ; à Hestiée, il établit des Athéniens après avoir chassé tous les gens du pays ‒ ce furent les seuls qu'il traita sans pitié, parce qu'ils avaient exécuté les hommes d'un navire athénien qu'ils avaient capturé.

 

Aspasie (24)

24.

1. S'ensuivit une trêve de trente ans entre Athéniens et Lacédémoniens. Périclès décrète ensuite l'expédition navale contre les Samiens, tirant prétexte de ce qu'ils n'obtempéraient pas alors qu'on leur enjoignait d'arrêter la guerre contre Milet.

2. Comme c'est pour complaire à Aspasie, semble-t-il, que Périclès a mené cette action contre les Samiens, voici peut-être une excellente occasion de s'interroger sur cette femme : de quel art, de quelle puissance considérable disposait-elle pour avoir mis la main sur les chefs de file du monde politique et avoir fourni aux philosophes un discours en sa faveur, qui ne fut ni médiocre, ni négligeable ?

3. Elle était originaire de Milet et fille d'Axiochos : là-dessus, tout le monde est d'accord. On prétend d'autre part que, rivalisant avec une certaine Thargèlia, une Ionienne d'autrefois, elle s'en prit aux hommes les plus puissants.

4. Cette Thargèlia, remarquablement belle et chez qui la grâce s'alliait à l'adresse, avait vécu avec énormément de Grecs, mais attiré du côté du Grand Roi tous ceux qui la fréquentèrent ‒ et par ces gens-là, qui étaient extrêmement puissants et importants, elle semait dans les cités des ferments de médisme.

5. Quant à Aspasie, certains disent qu'elle fut l'objet des empressements de Périclès parce qu'il appréciait sa sagesse et sa tête politique ; effectivement, Socrate la fréquentait quelquefois avec ses amis, et ses familiers à elle lui amenaient leurs femmes pour être ses auditrices ‒ encore qu'elle se prêtât à une activité dépourvue d'élégance et de dignité : elle formait de jeunes courtisanes.

6. D'autre part, Eschine assure que Lysiclès, le marchand de moutons, un homme sans naissance et naturellement commun, devint le premier des Athéniens pour s'être mis avec Aspasie après la mort de Périclès.

7. Dans le Ménexène de Platon, même si le début est écrit avec humour, il y a en tout cas un notable trait d'histoire : c'est que cette femme-là passait pour discuter d'art oratoire avec nombre d'Athéniens qu'elle rencontrait. Il semble néanmoins que l'affection de Périclès pour Aspasie fut plutôt de l'amour.

8. Car il avait, lui, une femme. Celle-ci lui était apparentée et avait d'abord été mariée à Hipponicos, dont elle avait eu Callias le riche ; avec Périclès, elle eut Xanthippe et Paralos. Par la suite, la vie en commun ne leur agréant plus, Périclès la maria de son plein gré à quelqu'un d'autre, tandis que lui-même prenait Aspasie, qu'il chérit singulièrement.

9. Chaque jour, dit-on, à son départ de chez lui et à son retour de l'agora, il la saluait en l'embrassant tendrement. Dans les comédies, Aspasie est appelée « nouvelle Omphale » et « Déjanire » et encore « Héra ». Cratinos la dit sans détour « courtisane » dans ces vers :

la Débauche enfante pour Cronos Héraspasie,
la courtisane aux yeux de chienne.

10. Périclès eut d'elle, semble-t-il, le bâtard à propos duquel Eupolis, dans ses Dèmes, lui fait poser cette question :

Et mon bâtard, est-il en vie ?

à quoi il fait répondre par Myronidès :

Assurément, et il serait depuis longtemps un homme,
si le vice de la catin ne lui faisait horreur...

11. Aspasie fut, dit-on, tellement renommée et illustre que Cyrus, celui qui guerroya contre le Roi pour la souveraineté de la Perse, dénomma « Aspasie » la plus aimée de ses courtisanes, précédemment appelée Miltô.

12. Celle-là était d'ascendance phocéenne et fille d'Hermotimos ; une fois que Cyrus eut succombé au combat, elle fut conduite au Roi, chez qui elle détint un immense pouvoir. ‒ Comme ces traits me revenaient en mémoire au fil de ma relation, c'eût été peut-être manquer d'humanité que de les supprimer et de les laisser de côté.

 

Expédition de Samos (25-28)

25.

1. La guerre contre les Samiens, on accuse Périclès de l'avoir décrétée, principalement dans l'intérêt des Milésiens, à la demande d'Aspasie. Aussi bien Athènes et Milet se faisaient-elles la guerre à propos de Priène et les Samiens l'emportaient-ils ; Athènes leur enjoignant d'arrêter les hostilités, les Samiens n'obéissent pas.

2. Périclès prit donc la mer, abattit l'oligarchie en place à Samos, prit en otages cinquante notables et autant d'enfants et les expédia à Lemnos. Chaque otage lui offrait pourtant, dit-on, un talent sur sa propre tête, et les gens qui ne voulaient pas qu'une démocratie soit instaurée dans leur cité lui en offraient beaucoup plus encore.

3. De surcroît, le Perse Pissouthnès, qui avait une certaine sympathie pour les Samiens, intercéda pour la ville et envoya à Périclès dix mille statères d'or, que ce dernier néanmoins n'accepta pas ; il en usa à sa guise avec les Samiens, leur imposa une démocratie et rentra à Athènes.

4. Ils se rebellèrent aussitôt (car Pissouthnès avait furtivement soustrait leurs otages) et ils se préparèrent totalement à la guerre. Derechef Périclès reprit donc la mer afin de les réduire car, loin de s'abandonner au repos non plus qu'à l'effroi, ils étaient ardemment décidés à reprendre pour leur compte l'empire de la mer.

5. D'une violente bataille en mer, livrée au large de l'île qu'on nomme Tragiai, Périclès sortit brillamment vainqueur : avec quarante-quatre navires, il en détruisit soixante-dix, dont vingt étaient des transports de troupes.

26.

1. Fort de sa victoire, Périclès engage une poursuite, se rend maître du port et assiège Samos, dont les combattants osaient pourtant encore faire quelques sorties et engager de rudes combats devant leurs murs. Dès lors qu'une seconde flotte, plus importante, fut arrivée d'Athènes, les Samiens se trouvèrent complètement bloqués ; Périclès mit alors à la voile avec soixante trières en direction de la mer extérieure. D'après la plupart des historiens, des navires phéniciens se portaient au secours des Samiens. Périclès voulait les rencontrer et les combattre le plus loin possible. Mais d'après Stésimbrote, il se dirigeait vers Chypre ‒ ce qui paraît invraisemblable.

2. Quel qu'ait été son raisonnement, il semble s'être trompé. En effet, une fois qu'il fut en mer, Mélissos, fils d'Ithagénès (un philosophe qui était à l'époque général de Samos), plein de mépris pour l'insignifiance de la flotte adverse et l'inexpérience de ses généraux, persuada ses concitoyens d'attaquer les Athéniens.

3. On se bat, les Samiens l'emportent, enlèvent beaucoup d'hommes à l'ennemi, lui détruisent nombre de vaisseaux et, maîtres de la mer, disposent du coup de toutes les ressources nécessaires à la guerre qui leur manquaient auparavant. Au dire d'Aristote, Périclès avait déjà été défait sur mer par Mélissos antérieurement.

4. Cherchant une violente revanche, les Samiens marquèrent au front de leurs prisonniers athéniens une chouette ‒ car les Athéniens les avaient marqués, eux, d'une samienne. La samienne est un bateau à la proue relevée en forme de groin, assez creux et ventru, en sorte de pouvoir porter lourd et voguer rapidement. On l'a appelé ainsi parce qu'il a fait sa première apparition à Samos, équipé par le tyran Polycrate. C'est à ces marques, dit-on, que fait aussi allusion le vers d'Aristophane :

Ce peuple de Samos, comme il abonde en signes !

27.

1. Apprenant la défaite de son armée, Périclès allait rapidement la secourir. Mélissos s'étant disposé contre lui en ordre de bataille, Périclès le défait, le met en fuite et enferme aussitôt l'ennemi dans ses murs : il veut l'emporter et prendre la ville en y mettant le prix et le temps plutôt qu'en imposant à ses concitoyens blessures et périls.

2. Mais c'était toute une affaire que de contenir les Athéniens exaspérés du retard et brûlant de se battre ; il divise en huit l'ensemble de ses effectifs et fait tirer au sort : à celui qui avait tiré la fève blanche, il offrait bon temps et loisir, tandis que les autres trimaient.

3. Voilà pourquoi, dit-on, les gens qui se donnent du bon temps appellent cela « jour blanc » ‒ c'est d'après la fève blanche. Éphore dit, plein d'admiration pour cette nouveauté, que Périclès utilisa des machines de siège et qu'il avait avec lui l'ingénieur Artémon, lequel, boiteux et transporté en litière sur les travaux à surveiller, était surnommé « l'homme à la litière ».

4. Trait que réfute Héraclide du Pont, en invoquant les poèmes d'Anacréon où « l'homme à la litière », Artémon, est cité bien des générations avant la guerre de Troie et les faits évoqués ici. Le poète affirme qu'Artémon était quelqu'un de mœurs relâchées qui, craintif et mou, s'effrayant de tout, restait la plupart du temps chez lui ; deux serviteurs tenaient au-dessus de sa tête un bouclier d'airain, de manière que rien ne lui tombe dessus et, s'il était obligé de sortir, il était transporté dans un petit lit à ras de sol ‒ et voilà pourquoi il fut appelé « l'homme à la litière ».

28.

1. Le neuvième mois, les Samiens capitulèrent. Périclès abattit leurs remparts, confisqua leurs navires et leur imposa de lourdes indemnités, qu'ils réglèrent en partie sur-le-champ ; pour le reste, ils convinrent, en donnant des otages, de s'en acquitter dans un délai fixé.

2. Douris de Samos dramatise tout ceci, accusant les Athéniens et Périclès d'une grande cruauté que n'ont signalée ni Thucydide, ni Éphore, ni Aristote ; il n'est pas non plus véridique lorsqu'il prétend que Périclès fit descendre sur la place du marché de Milet les triérarques et les équipages des Samiens, les fit lier à des planches durant dix jours et, alors qu'ils étaient déjà en piteux état, ordonna de les supprimer en leur brisant la tête à coups de bûches puis de jeter leurs corps sans sépulture.

3. Même là où n'intervient chez lui nulle passion particulière, Douris n'a pas l'habitude de contraindre son récit à la vérité ‒ et ici, il a bien l'air d'avoir davantage encore exagéré les malheurs de sa patrie, pour calomnier les Athéniens.

4. Une fois qu'il eut abattu Samos et qu'il fut de retour à Athènes, Périclès fit de glorieuses funérailles aux morts de la guerre et, comme il est d'usage, prononça sur leurs tombes un discours qui lui valut l'admiration.

5. Quand il descendit de la tribune, les femmes lui tendaient généralement la main et lui donnaient couronnes et bandelettes comme à un athlète vainqueur ; Elpinice, en revanche, lui dit en l'approchant :

6. « Ce sont là, Périclès, d'admirables exploits, dignes de couronnes ! tu nous as fait perdre quantité de bons citoyens, non pour combattre Phéniciens ou Mèdes, ainsi qu'a fait mon frère Cimon, mais en renversant une cité alliée qui est de notre race ».

7. Voilà ce que dit Elpinice ; et Périclès, souriant, de lui citer tranquillement, dit-on, le vers d'Archiloque :

À ton âge, tu ne devrais pas te parfumer, ma vieille...

D'après Ion, Périclès conçut un énorme, un étonnant orgueil pour avoir assuré la déconfiture des Samiens : alors qu'il avait fallu dix ans à Agamemnon pour prendre une ville barbare, c'est en neuf mois qu'il avait, lui, soumis les premiers et les plus puissants des Ioniens !

8. Et ce n'était point là une appréciation injustifiée : en fait, cette guerre avait présenté beaucoup d'incertitude et fait courir un grand péril, s'il est vrai que, comme dit Thucydide, il s'en était fallu de très peu que Samos n'enlevât aux Athéniens l'empire de la mer.

 

La guerre du Péloponnèse

Origine et responsabilité (29-31,1)

29.

1. Après cela, alors que commençait à bouillonner la guerre du Péloponnèse, Périclès convainquit le peuple d'envoyer du secours aux gens de Corcyre assaillis par les Corinthiens et de s'attacher cette île rendue puissante par sa force navale dans la mesure où les Péloponnésiens ne s'en étaient pas encore pris à elle. Le peuple vota le secours et Périclès dépêcha Lacédémonios, fils de Cimon, avec dix navires seulement, comme par dérision : car il y avait beaucoup de sympathie et d'amitié dans la famille de Cimon à l'endroit des Lacédémoniens.

2. Dès lors, si Lacédémonios n'accomplissait durant son commandement nul exploit remarquable, il serait davantage encore accusé de laconisme : Périclès ne lui donne donc que peu de vaisseaux et l'expédie contre son gré ‒ dans l'ensemble, il ne cessait de rabaisser les fils de Cimon, sous prétexte que, de par leurs noms, ils n'étaient pas de race pure, mais étaient des gens d'ailleurs, des étrangers : l'un s'appelait Lacédémonios, un autre Thessalos, un autre Éléios, et tous semblaient bien être les fils d'une Arcadienne.

3. Périclès est donc critiqué pour n'avoir fourni, avec ces dix trières, qu'un mince secours aux Corcyréens demandeurs, tout en offrant aux adversaires un grand prétexte de mécontentement. Il envoie derechef à Corcyre d'autres trières, en plus grand nombre, lesquelles arrivèrent après le combat.

4. Aux Corinthiens, dépités, et qui se font à Lacédémone les accusateurs des Athéniens, se joignent les Mégariens qui reprochent aux Athéniens de leur interdire tous les marchés et tous les ports dont ils sont maîtres et de les en éloigner à l'encontre du droit public et des serments passés entre Grecs.

5. Quant aux Éginètes, qui se jugeaient maltraités et objets de violence, ils adressèrent aux Lacédémoniens de secrètes supplications, car ils n'osaient accuser ouvertement les Athéniens.

6. À ce moment, Potidée, cité sujette d'Athènes mais colonie de Corinthe, fait défection et se voit assiégée, ce qui allait hâter la guerre.

7. Des ambassades, néanmoins, sont envoyées à Athènes et Archidamos, le roi des Lacédémoniens, arrive à faire oublier la plupart des griefs et apaise les alliés ; la guerre ne serait pas survenue, semble-t-il, du fait, en tout cas, des autres reproches adressés aux Athéniens, si ces derniers s'étaient laissés convaincre d'abolir le décret relatif à Mégare et de se réconcilier avec elle.

8. Raison pourquoi Périclès porta seul la responsabilité de la guerre, car il avait marqué une très forte opposition à ce projet et avait excité le peuple à s'en tenir à son ressentiment contre les Mégariens.

30.

1. Une ambassade en charge de ces problèmes arriva, dit-on, de Lacédémone à Athènes ; Périclès produit une loi interdisant de supprimer la tablette sur laquelle le décret se trouvait inscrit, et l'un des ambassadeurs, Polyclès, de dire : « Eh ! ne la supprime pas, la tablette, mais retourne-la ! pas de loi qui interdise cela ! ». Le mot eut beau paraître ingénieux, Périclès ne céda pas pour autant.

2. Il y avait donc en lui, semble-t-il, une haine particulière contre les Mégariens, mais la raison d'État qu'il invoqua ouvertement à leur encontre, c'est qu'ils avaient dépecé à leur profit le territoire sacré ; il rédigea un décret prescrivant de dépêcher un héraut à Mégare et d'envoyer le même aux Lacédémoniens pour accuser les Mégariens.

3. Ce décret de Périclès comportait une justification bien réfléchie et empreinte d'humanité. Or le héraut envoyé, Anthémocritos, périt, crut-on, par la faute des Mégariens, contre lesquels Charinos décréta une haine sans trêve ni négociation ; que tout Mégarien entrant en Attique soit puni de mort ; que les généraux, lorsqu'ils prêtent le serment patriotique, jurent d'envahir deux fois par an la Mégaride ; et qu'Anthémocrite soit enterré près des portes de Thria ‒ aujourd'hui appelées Dipylon.

4. Les Mégariens nient le meurtre d'Anthémocrite et rejettent sur Aspasie et Périclès les causes du conflit, citant ces vers bien connus et populaires des Acharniens :

Des jeunes gens allant à Mégare, éméchés par le cottabe,
enlèvent Simaitha la catin ;
du coup, les Mégariens, excités comme des coqs,
raflent à leur tour deux catins d'Aspasie.

31.

1. Il n'est donc pas facile de savoir comment la guerre a commencé ; mais tout le monde reporte sur Périclès la responsabilité du fait que le décret ne fut pas abrogé. Sauf que, pour les uns, c'est par grandeur d'âme, avec l'idée d'agir au mieux, que Périclès tenait bon : il voyait dans l'injonction des Spartiates une mise à l'épreuve de sa capacité de compromis et dans la concession qu'on leur ferait un aveu de faiblesse. Pour d'autres, c'est plutôt par une sorte de présomption et par désir de vaincre, pour démontrer sa force, qu'il défia les Lacédémoniens.

 

La « chasse aux sorcières » (31,2-33,3)

2. Mais la pire de toutes les raisons ‒ et elle a pour elle quantité de témoins ‒, est à peu près celle-ci. Le sculpteur Phidias était, comme on l'a dit, chargé d'exécuter la statue d'Athéna. Devenu l'ami de Périclès et tout-puissant auprès de lui, il était jalousé et avait personnellement des ennemis ; d'autres le mirent à l'épreuve pour savoir quelle sorte de juge le peuple serait pour Périclès. Ils installent sur l'agora, après l'avoir circonvenu, l'un des assistants de Phidias, un certain Ménon, qui, tel un suppliant, requiert l'impunité s'il dénonce et accuse ce dernier.

3. Le peuple accéda à la requête de cet homme et une poursuite fut décidée à l'assemblée sans que des vols fussent prouvés, car Phidias, sur avis de Périclès, avait dès le début immédiatement plaqué l'or sur la statue et l'en avait enveloppée de manière qu'il fût parfaitement possible de le reprendre et d'en contrôler le poids ‒ ce que, précisément, Périclès ordonna aux accusateurs de faire. Le renom de ses œuvres valait quand même à Phidias de l'envie, surtout parce qu'en représentant sur le bouclier d'Athéna le combat des Amazones, il avait façonné à peu près sa propre figure ‒ celle d'un vieillard chauve soulevant une pierre des deux mains ‒ et y avait ajouté une superbe image de Périclès combattant contre une Amazone.

4. Le geste de la main, qui brandit une lance devant les yeux de Périclès, est ingénieusement exécuté, comme s'il voulait dissimuler la ressemblance qui apparaît néanmoins de profil

5. Jeté en prison, Phidias y mourut de maladie ‒ mais au dire de certains, il y fut empoisonné par les ennemis de Périclès, qui avaient tramé une accusation calomnieuse à son encontre. À Ménon, le dénonciateur de Phidias, le peuple accorda, sur proposition de Glaucon, une exemption d'impôts et enjoignit aux stratèges de pourvoir à la sécurité de l'individu.

32.

1. Vers cette époque, on fit à Aspasie un procès d'impiété, sur requête du poète comique Hermippe, qui l'accusait de surcroît de recevoir des femmes libres qui fréquentaient chez elle dans le même but que Périclès.

2. Diopeithès, quant à lui, rédigea un décret prescrivant que feraient l'objet d'une poursuite judiciaire les gens qui ne croyaient pas aux dieux ou qui enseignaient des doctrines relatives aux phénomènes célestes : c'était se rabattre sur Périclès à travers la suspicion attachée à Anaxagore.

3. Le peuple accepte et admet ces calomnies ; aussi Dracontidès rédige-t-il un décret qui entre dès lors en vigueur, prescrivant que les comptes des sommes gérées par Périclès seraient déposés chez les prytanes et que les juges siégeraient sur l'Acropole en prenant leur jeton de vote sur l'autel.

4. Mais Hagnon retira ce point du décret et prescrivit que le jugement serait rendu par quinze cents juges, soit que l'on veuille qualifier la poursuite pour vol et concussion, soit pour préjudice d'État.

5. Périclès obtint que les poursuites soient détournées d'Aspasie, à force, dit Eschine, de verser des larmes pour elle pendant le procès ; mais rempli d'appréhension pour Anaxagore, il l'envoya hors ville.

6. Comme il s'était heurté au peuple à propos de Phidias et redoutait le tribunal, il alluma la guerre qu'on sentait poindre et couver, en espérant dissiper les reproches et atténuer l'envie ‒ c'est que, dans les grandes affaires et les dangers qui attendaient la ville, elle s'en remettrait à lui seul en raison de sa valeur et de son autorité. Tels furent donc les motifs pour lesquels, dit-on, il ne laissa pas le peuple céder aux Lacédémoniens ; mais la vérité demeure impénétrable.

33.

1. Les Lacédémoniens, pressentant qu'une fois Périclès renversé, ils trouveraient les Athéniens plus malléables sous tous rapports, leur enjoignirent d'éloigner les gens souillés par le sacrilège commis sur la personne de Cylon, auquel était attachée l'ascendance maternelle de Périclès, comme le rapporte Thucydide.

2. Mais la tentative tourna tout au rebours de l'intention des mandants : au lieu de susciter soupçons et calomnies, Périclès y gagna encore plus de confiance et d'honneur auprès de ses concitoyens, vu que leurs ennemis paraissaient haïr et redouter cet homme au plus haut point.

3. Voilà pourquoi, dès avant qu'Archidamos envahît l'Attique avec les Péloponnésiens, Périclès donna aux Athéniens une assurance : si ce roi, tout en pillant partout, épargnait ses biens à lui (que ce fût en raison de leur lien d'hospitalité à tous deux ou pour fournir à ses ennemis prétexte à calomnie), il offrirait à la cité ses terrains et ses fermes.

 

Invasion spartiate et opposition interne (33,4-34,4)

4. Avec une grande armée conduite par Archidamos, les Lacédémoniens et leurs alliés envahissent donc l'Attique. Dévastant le pays, ils progressèrent jusqu'à Acharnes et y installèrent leur camp, sûrs que les Athéniens ne le supporteraient pas mais que, mus par la colère et l'orgueil, ils engageraient le combat contre eux.

5. Périclès pour sa part estimait risqué, face à soixante mille hoplites péloponnésiens et béotiens ‒ car tel était le nombre des premiers envahisseurs ‒, de livrer un combat pour l'existence même de la ville ; ceux qui voulaient se battre et supportaient mal la situation, il les apaisait en disant que si des arbres coupés et abattus repoussent vite, en revanche des hommes, une fois détruits, il n'est pas facile d'en retrouver.

6. Il ne convoquait pas le peuple à l'assemblée, redoutant d'être obligé d'aller à l'encontre de son propre avis : quand le vent s'abat sur la mer, un pilote de navire se sert de son art pour disposer toutes choses au mieux et tendre les câbles, en laissant de côté larmes et requêtes de passagers effrayés et atteints du mal de mer ; c'est ainsi que Périclès, après avoir fermé la ville et tout disposé pour sa sécurité en organisant des gardes, se fondait sur ses propres calculs, sans se soucier des criailleurs et des mécontents.

7. Nombre d'amis l'assaillaient pourtant de requêtes et nombre d'opposants, de menaces et d'accusations ; pour lui faire honte, des chœurs entonnaient chansons et brocards, insultant son commandement sous prétexte qu'il était couard et abandonnait aux ennemis les affaires de l'État.

8. Déjà Cléon s'attaquait à lui ; exploitant la colère des citoyens contre Périclès, il faisait son chemin de meneur populaire, comme le montrent ces anapestes du poète Hermippe :

Roi des satyres, pourquoi donc ne veux-tu pas
brandir la lance ? Sans doute tiens-tu,
au sujet de la guerre, de terribles propos,
mais ton âme, par-dessous, est celle d'un Télès.
Aiguise-t-on sur la pierre dure
le tranchant de l'épée, tu grinces des dents,
mordu par le bouillant Cléon.

34.

1. Seulement, Périclès ne s'émut de rien de ce genre ; supportant dans le calme et le silence le discrédit et la haine, il dépêcha une flotte de cent navires contre le Péloponnèse mais, sans embarquer lui-même, il demeura chez lui pour tenir en main toute la ville jusqu'à ce que les Péloponnésiens se fussent éloignés.

2. Ménageant la foule qui ne cessait de s'impatienter contre la guerre, il la reprit en mains avec des distributions d'argent et décréta des envois de colons ; ayant chassé tous les Éginètes, il distribua le territoire de leur île aux Athéniens après tirage au sort.

3. Il y avait d'autre part quelque consolation dans ce que souffrait l'ennemi. Ceux qui naviguaient autour du Péloponnèse avaient dévasté une grande partie de la région, des villages et d'assez grandes villes, et Périclès lui-même, pénétrant par terre dans la Mégaride, la ruina complètement.

4. Par quoi l'on voyait bien que, tout en faisant sur terre beaucoup de mal aux Athéniens, les ennemis en subissaient de leur part beaucoup sur mer ; et ils n'auraient pas autant tiré la guerre en longueur mais l'auraient vite abandonnée, comme Périclès l'avait déclaré au début, si quelque divinité n'avait fait obstacle aux calculs des hommes.

 

La peste et la disgrâce (34,5-35)

5. C'est à présent le fléau de la peste qui, en premier lieu, s'abattit sur la ville et dévora la population dans la force de l'âge. Malmenés corps et âmes par le fléau, ils s'aigrirent tout à fait contre Périclès et, comme des malades que le délire rend injustes à l'endroit de leur médecin ou de leur père, ils entreprirent de lui faire du mal ; ils se laissèrent persuader par ses ennemis que c'est la concentration en ville de la multitude rurale qui provoque la maladie ‒ entassés tous ensemble dans de petites maisons et des baraques étouffantes, quantité de gens sont contraints de mener une existence casanière et oisive au lieu de la vie saine qu'ils menaient auparavant au grand air : et le responsable de cette situation, c'est bien celui qui, en vue de la guerre, a déversé la masse rurale dans leurs murs, sans employer à rien un si grand nombre d'hommes mais en les laissant, enfermés comme des bestiaux, contracter l'infection les uns des autres, sans leur offrir la moindre occasion de changer de place et de respirer.

35.

1. Voulant remédier à cela et infliger quelque dommage à l'ennemi, Périclès chargea cent cinquante navires et, y ayant fait monter bon nombre d'hoplites et de cavaliers d'élite, il se préparait à prendre la mer : avec de pareilles forces, il insufflait un grand espoir à ses concitoyens et une crainte non moindre à ses ennemis.

2. Alors que les vaisseaux étaient déjà chargés et Périclès monté sur sa trière, il y eut une éclipse de soleil et il se produisit une obscurité qui frappa tout le monde comme un grand signe. Périclès, voyant son pilote terrifié et embarrassé, lui mit sa chlamyde devant les yeux telle un voile et lui demanda s'il trouvait là quelque chose de terrible ou le signe de quelque chose de terrible. « Non », dit le pilote. ‒ « En quoi donc, repartit Périclès, ceci diffère-t-il de cela, sauf que ce qui a provoqué l'obscurcissement est plus grand que ma chlamyde ? » ‒ c'est en tout cas ce qui se dit dans les écoles des philosophes.

3. Périclès prit donc la mer, mais sans rien réaliser, semble-t-il, qui fût à la hauteur de ses préparatifs ; il assiégea Épidaure la sainte, qui lui avait donné l'espoir d'une capture à quoi il échoua à cause de la peste. Car une fois survenue, la maladie contamina non seulement les soldats mais même tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, s'étaient mêlés à la troupe. Suite à cela, comme les Athéniens étaient mal disposés à son égard, il entreprit de les apaiser et de les encourager.

4. Mais il ne dissipa cependant pas leur colère et ne changea point leurs dispositions ; finalement, brandissant leurs votes contre lui et devenus les maîtres, ils le relevèrent de son commandement et lui infligèrent une amende ‒ quinze talents d'après ceux qui donnent le chiffre le plus bas, cinquante d'après le chiffre le plus haut.

5. Selon Idoménée, c'est Cléon qui s'inscrivit comme accusateur dans ce procès, mais selon Théophraste, c'est Simmias ; quant à Héraclide du Pont, il cite Lacratidas.

 

Deuils et dissensions familiales (36)

36.

1. Or les difficultés d'ordre public de Périclès allaient cesser rapidement : en lui portant ce coup, tel un dard, le peuple avait apaisé sa colère contre lui. En revanche, ses affaires domestiques étaient mal en point : il avait perdu lors de la peste nombre de ses familiers, et son privé était depuis longtemps perturbé par la dissension.

2. En effet, l'aîné de ses fils légitimes, Xanthippos, était de nature dépensière et il était marié à une femme jeune et aimant le luxe (elle était fille de Tisandre et petite-fille d'Épilycos) ; Xanthippos supportait difficilement la rigueur de son père qui le subsidiait de manière mesquine et par petites doses.

3. Il envoya donc chercher de l'argent chez un de ses amis, comme si c'était Périclès qui l'en priait.

4. L'ami, plus tard, réclame son bien ; Périclès lui fit un procès, le jeune Xanthippos, furieux de cette affaire, commence à déblatérer contre son père : d'abord il tourne en dérision les entretiens et les conversations qu'avait Périclès avec les sophistes.

5. Un lutteur du pentathle avait involontairement frappé d'un javelot Épitimos de Pharsale et l'avait tué : et Périclès de passer une journée entière avec Protagoras, à se demander si c'est le javelot, ou plutôt son lanceur ou bien les organisateurs des jeux qui doivent, en stricte logique, être tenus pour responsables de l'accident.

6. De surcroît, c'est par Xanthippos lui-même, au dire de Stésimbrote, qu'aurait été répandue dans le public la calomnie relative à sa femme et à Périclès ; d'où le différend entre le père et le fils, qui demeura tout à fait incurable jusqu'à la mort de Xanthippos, atteint de la peste.

7. À cette époque, Périclès perdit aussi sa sœur et la plupart de ceux, parents et amis, qui étaient le plus utiles à sa carrière politique.

8. Il ne recula pourtant pas et, sous les coups du malheur, n'abdiqua pas sa fierté et sa grandeur d'âme ; on ne le vit pas pleurer ni se lamenter sur la tombe d'un de ses proches, jusqu'à ce qu'il perdît aussi le seul survivant de ses fils légitimes, Paralos.

9. Abattu par cette mort, il essayait pourtant, fidèle à son habitude, de la supporter fermement et de conserver sa grandeur d'âme ; mais en apportant au mort une couronne, il fut, à sa vue, vaincu par la douleur au point d'éclater en sanglots et de verser force larmes, lui qui, de toute sa vie, n'avait jamais rien fait de tel.

 

Bref retour sur scène et mort du grand homme (37-38)

37.

1. Pour continuer la guerre, la ville met à l'épreuve les autres chefs militaires et meneurs civils ; aucun ne semblait faire le poids ni jouir d'une autorité qui fût une garantie pour un commandement d'une pareille importance. On regrette alors Périclès, on le rappelle à la tribune et au quartier général des stratèges ; tout découragé qu'il était, et confiné chez lui en raison de son deuil, il se laissa convaincre par Alcibiade et ses autres amis d'aller de l'avant.

2. Quand le peuple se fut excusé de son ingratitude envers lui, il se remit derechef aux affaires et, nommé stratège, il réclama la suppression de la loi relative aux bâtards, qu'il avait lui-même introduite antérieurement : ceci, afin que le défaut de descendance ne fasse pas complètement disparaître son nom et sa race.

3. Les dispositions de cette loi étaient les suivantes. Bien des années plus tôt, alors qu'il était à l'apogée de sa carrière politique et avait, comme on l'a dit, des fils légitimes, Périclès avait rédigé une loi stipulant que seuls étaient Athéniens ceux qui étaient de père et de mère athéniens.

4. Quand le roi d'Égypte avait envoyé en présent au peuple quarante mille médimnes de blé et qu'il avait fallu les répartir entre les citoyens, nombre de procès avaient été, du fait de cette loi, intentés aux bâtards qui jusque là n'attiraient pas l'attention et restaient inaperçus ; et beaucoup de gens s'étaient même heurtés à des dénonciations calomnieuses. Un peu moins de cinq mille personnes convaincues de bâtardise furent alors vendues comme esclaves, tandis que ceux qui conservaient le droit de cité et étaient jugés Athéniens furent, après examen, au nombre de quatorze mille quarante.

5. C'est réellement chose terrible que cette loi dont la rigueur s'était exercée contre tant de gens ait été abolie par son promoteur lui-même. Mais le malheur qui atteignait Périclès dans sa maison, comme s'il était puni de son dédain et de son orgueil, fléchit les Athéniens ; ils estimèrent qu'il subissait la colère des dieux, que sa demande était bien humaine et ils consentirent à inscrire le bâtard parmi les gens de sa phratrie en lui donnant son nom.

6. C'est celui-ci qui, plus tard, combattit les Péloponnésiens lors de la bataille navale des Arginuses et que le peuple exécuta ensuite avec ses collègues stratèges.

38.

1. C'est alors, semble-t-il, que Périclès contracta la peste, sans que l'attaque fût aiguë ni intense, comme chez d'autres : c'était une maladie languissante en quelque sorte, qui se traînait en longueur au gré de divers revirements, s'emparant lentement de son corps et abattant sournoisement sa force d'âme.

2. Théophraste, dans ses Éthiques, se demande si, confrontés aux destinées, les caractères changent et si, ébranlés par les souffrances du corps, ils s'éloignent de la vertu. Il relate que Périclès malade montra à un ami qui le visitait une amulette que les femmes lui avaient attachée au cou : il se jugeait très mal en point puisqu'il supportait cette niaiserie...

3. Alors qu'il était proche de sa fin, l'élite de ses concitoyens et ses amis survivants, assis autour de lui, discouraient de sa vertu et de la puissance considérable qui avait été sienne ; ils refaisaient la mesure de ses hauts faits et du grand nombre de ses trophées ‒ il y en avait neuf, qu'il avait élevés en l'honneur de la ville lors de ses commandements et de ses victoires.

4. C'était là ce dont ils s'entretenaient les uns les autres dans la pensée que lui ne les comprenait plus et était privé de ses facultés. Or, il se trouvait qu'il avait prêté attention à tout ; et de dire, prenant la parole au milieu d'eux : « Je m'étonne que vous fassiez éloge et mémoire de ces choses qui, venant du hasard, sont communes et sont déjà arrivées à beaucoup de généraux, tandis que vous ne citez pas ce qu'il y a, pour moi, de plus beau et de plus grand : c'est qu'aucun Athénien n'a revêtu de manteau noir à cause de moi ».

 

Périclès jugé par ses concitoyens et par Plutarque (39)

39.

1. Assurément, cet homme-là est admirable : non seulement pour la modération et la douceur qu'il conserva jusqu'au bout, confronté à beaucoup d'affaires et à de grandes haines ‒ mais aussi pour sa grandeur d'âme : il estimait que la meilleure de ses qualités était de ne s'être abandonné ni à la jalousie ni à l'emportement, malgré toute sa puissance, et de n'avoir jamais traité un ennemi comme un adversaire implacable.

2. Et son surnom d'Olympien, à la fois puéril et imposant, une seule chose, me semble-t-il, le rend irréprochable et adéquat : on qualifie d'olympien un caractère bienveillant, une vie pure et sans tache au cœur du pouvoir ‒ ainsi jugeons-nous la race des dieux, qui commande et régit naturellement le monde, responsable du bien, innocente du mal. Nous ne suivons pas ici les poètes qui nous tourmentent avec leurs opinions d'ignorants et se laissent prendre à leurs propres affabulations : l'endroit où habitent les dieux est, disent-ils, un séjour stable et fixe, exempt de vents et de nuages, baigné en tout temps d'un air serein et doux, éclairé de manière égale d'une lumière très pure ; tel est le séjour qui, à leurs yeux, convient le mieux aux bienheureux immortels. Or ils représentent néanmoins les dieux comme remplis de trouble, de malveillance, de colère et d'autres passions malséantes même à des hommes sensés.

3. Mais voilà qui semblera peut-être relever d'un ouvrage tout différent. ‒ Quant à Périclès, les événements devaient rapidement faire sentir aux Athéniens sa valeur et leur inspirer un regret manifeste. Aussi bien les gens à qui, de son vivant, pesait sa puissance, parce qu'elle leur faisait ombrage, tâtèrent-ils, une fois qu'il eût disparu, d'autres orateurs et d'autres chefs populaires : et de tomber d'accord que la nature n'avait jamais fait de caractère plus mesuré dans l'orgueil et plus noble dans la douceur.

4. Cette force, qui avait suscité des jalousies, qu'on avait naguère qualifiée de monarchie et de tyrannie, apparut alors à l'évidence comme la protection salvatrice de la cité : la corruption excessive et la masse du vice qui sous-tendaient les affaires, en les affaiblissant et en les réduisant, Périclès les avait fait disparaître et les avait empêchées de devenir incurables à force de laxisme.

 


Notes

guerres médiques (17, 1) : Tel est le nom, traditionnel mais impropre, des deux guerres victorieusement soutenues par la Grèce contre l'empire perse dans le premier quart du Ve siècle a. C. et qui devaient marquer d'une forte et durable empreinte la mémoire de l'Hellade. Déclenchée par la révolte de l'Ionie (grecque mais soumise à la Perse) contre le roi Darius Ier, la première guerre « médique » amena en Grèce même l'armée asiatique qui fut défaite à quarante kilomètres d'Athènes, à Marathon (490). Une seconde expédition, non moins redoutable, fut conduite par Xerxès qui, ayant fait ponter l'Hellespont (détroit des Dardanelles), traversa la Thrace, la Macédoine, la Thessalie pour s'abattre sur l'Attique. L'héroïque résistance des trois cents Spartiates de Léonidas en Grèce centrale (combat des Thermopyles, en 480) n'ayant pu arrêter l'avancée perse, les Athéniens, conseillés par Thémistocle, abandonnèrent leur cité pour faire livrer par leur flotte à Salamine une bataille décisive. Contraint à une retraite désastreuse, Xerxès devait perdre l'année suivante les restes de son armée de terre et de sa flotte (479 : victoires grecques de Platée en Béotie et de Mycale en Asie Mineure). Sur la bataille de Salamine et la retraite perse, cf. Plutarque, Vie de Thémistocle, 12-16, dans la traduction annotée que nous avons donnée sur la  BCS.

Œtéens (17, 3) : Habitants de la région montagneuse de l'Œta, en Grèce centrale, aux confins de la Doride et de la Locride, non loin du golfe Maliaque ; le mont Œta était célèbre pour avoir accueilli Héraclès avant son suicide sur un bûcher.

Tolmidès, fils de Tolmaios (18, 2) : Ce personnage a déjà été cité supra, 16, 3.

Coronée (18, 3) : Fidèle à sa politique démocratique, Athènes avait expédié un corps expéditionnaire en Béotie, où l'aristocratie au pouvoir remporta à Coronée (447) une victoire qui permit au pays de s'affranchir d'Athènes. Cf. Thucydide, I, 113.

Chersonèse (19, 1) : Sur cette région, cf. la présentation générale.

trophée (19, 2) : Après une bataille, les vainqueurs érigeaient sur une hauteur avoisinante un mât (à l'origine un tronc d'arbre) auquel ils suspendaient des armes prises aux vaincus, avec une inscription rappelant le fait d'armes. Cet usage, attesté très anciennement en Grèce (sauf à Sparte, semble-t-il), est d'origine religieuse : c'était un ex-voto dédié au dieu qui a mis l'ennemi « en déroute » (theos tropaios).  Plus tard, on jettera en tas le monceau des armes ennemies et, dans le cas d'une victoire navale, on y ajoute des proues de navires, que l'on consacre à Poséidon. À partir du IVe siècle a.C., le trophée devient un monument durable, fût-il de modèle réduit, en pierre ou en bronze, monument qui tendra à s'amplifier aux époques hellénistique et romaine et prendra une grande importance artistique et symbolique.

Œniades (19, 3) : Située en Acarnanie, entre Leucade et l'Étolie, cette place maritime fut attaquée en 453 par Périclès, qui ne put s'en emparer (Thucydide, I, 111, 2). Les ruines de l'antique cité d'Œniades (murailles, théâtre, loges de navires) se voient aujourd'hui à Tríkardo Kástro.

Sinope (20, 1) : Cette ville de Paphlagonie, grand centre commercial sur la côte méridionale du Pont-Euxin, était la plus ancienne, la plus florissante et la plus dynamique des colonies grecques de cette région. Lors de son ambitieuse expédition navale, Périclès y laissa une garnison aux ordres de Lamachos, le stratège qui, en 415, commandera avec Alcibiade et Nicias l'expédition de Sicile ; les Athéniens renversèrent alors le gouvernement tyrannique de Sinope et y installèrent des clérouques.

Égypte (20, 3) : Ces ambitions impérialistes qui visent « à nouveau » l'Égypte restent dans la ligne de celles qui, à deux reprises, avaient poussé les Athéniens à s'allier, pour leur malheur, à des princes révoltés contre le roi de Perse : en 459, au Libyen Inaros, maître de la Libye voisine de l'Égypte, qui avait soulevé la plus grande partie de ce pays contre Artaxerxès et appelé en renfort les Athéniens. Ceux-ci, alors occupés à Chypre, firent voile vers l'Égypte avec 200 navires et remontèrent le Nil jusqu'à Memphis où ils furent arrêtés (Thucydide, I, 104) ; enfermés dans une île du delta occidental du Nil, ils en furent délogés par les Perses après un siège de dix-huit mois. Pour Athènes, c'était un désastre, avec de lourdes pertes navales ; Inaros, quant à lui, avait été livré aux Perses par trahison et crucifié. Son associé Amyrtaios, insoumis et réfugié dans les marais de Mariotis (Thucydide, I, 109-110), continua la lutte et, en 450, obtint d'Athènes l'envoi de soixante vaisseaux sous le commandement de Cimon (Thucydide, I, 112, 3 ; Plutarque, Cimon, 18, 5-6). Cette entreprise, vouée à l'échec mais qui obligeait le Roi à intervenir, aurait décidé Thémistocle au suicide (Plutarque, Thémistocle, 31, 4-5).

Phocidiens (21, 2) : La Phocide, en Grèce centrale, s'étend autour du mont Parnasse et communique vers l'Est avec la Béotie, au Sud, avec le golfe de Corinthe. L'importance de la région est liée au sanctuaire de Delphes, dont la surveillance et l'administration sont confiées à une amphictionie (littéralement association de « peuples voisins ») dont les Phocidiens sont membres. Delphes, indépendante des autres cités phocidiennes et sous régime oligarchique, était favorable à Sparte. Au milieu du Ve siècle, des conflits opposent les Phocidiens, démocrates, aux Lacédémoniens. En 449-447 éclate la seconde « guerre sacrée » : les Lacédémoniens, s'étant rendus maîtres du sanctuaire delphique, l'avaient remis aux Delphiens, mais après leur départ, les Athéniens s'en emparèrent à leur tour et le rendirent aux Phocidiens, leurs alliés (Thucydide, I, 112, 5).

loup de bronze (21, 3) : Il s'agissait d'un ex-voto offert à Apollon par les Delphiens (Pausanias, X, 14, 7), que Plutarque a dû voir personnellement et sur lequel Lacédémoniens et Athéniens avaient chacun fait graver un décret de promantie -- littéralement « priorité consultative », c'est-à-dire droit officiellement accordé à un individu, à une collectivité, une cité ou même un peuple, de consulter l'oracle avant tous les autres. Octroyé à deux parties à la fois, le privilège semble problématique...

Pleistônax (22, 1) : Fils de Pausanias, l'illustre vainqueur de Platées.

Cléandridas (22, 2) : Père de Gylippe, comme le rappelle la suite du texte (22, 4).

éphores (22, 2) : Les cinq éphores (littéralement « surveillants ») élus annuellement dans l'Assemblée (ἀπέλλα) représentent la plus haute et très redoutable autorité de Sparte. Ayant en charge la politique extérieure et toute l'organisation civique, les éphores disposent de prérogatives étendues dans les domaines militaire et diplomatique, juridique, policier, financier, et leurs moyens d'action sont quasiment illimités.

amende (22, 3) : D'après Éphore, cette amende aurait été de 15 talents (Jacoby, FGH, 70 F 193), soit 90.000 drachmes. Thucydide ne cite pas de chiffre mais croit que la retraite de Pleistônax et sa disgrâce auprès de ses compatriotes sont imputables à sa vénalité (II, 21, 1 ; V, 16).

Vie de Lysandre (22, 4) : Plutarque, Vie de Lysandre, 16 ; cf. Id., Vie de Nicias, 28, 2. Sur Gylippe, voir Plutarque, Vie d'Alcibiade, 23, 2.

« par nécessité » (23, 1) : Aristophane, Nuées, 859 met ironiquement cette expression dans la bouche du bonhomme Strepsiade, qui avoue avoir perdu ses souliers « par nécessité ».

Théophraste (23, 2) : Il s'agit du philosophe Théophraste (c. 370 - c. 265), originaire d'Érèse (Lesbos), disciple, ami et collaborateur d'Aristote avant d'être son successeur au Lycée. Esprit encyclopédique, homme d'enseignement et de recherche, Théophraste avait consacré de  nombreuses publications à l'étude de la logique, de l'éthique, de la rhétorique, des sciences naturelles -- et de l'histoire, domaine où son témoignage s'avère généralement des plus sérieux. Son ouvrage demeuré le plus célèbre est assurément le petit livre des Caractères, unique en son genre dans la littérature gréco-latine et dont j'ai proposé une traduction annotée dans la BCS ainsi qu'une lecture commentée dans les FEC, 4 (2002).

Eubée (23, 3) : Cette expédition répressive en Eubée, avec déplacements des populations de Chalcis et d'Hestiée (infra, 23, 4), date de 446. Cf. Thucydide, I, 114, 3.

Thargèlia (24, 4) : Cette Milésienne de la première moitié du Ve s. avait, semble-t-il, contracté quatorze unions (Athénée, XIII, 608 f).

médisme (24, 4) : Très marqués par les guerres « médiques » (cf. supra, note à 17, 1) du début du Ve siècle, les Grecs ont créé les termes médiser (μηδίζειν), médisme (μηδισμός) pour dénoncer l'attitude ou la mentalité collaborationniste de milieux ou d'individus favorables aux Perses -- parce que séduits, par exemple, par l'organisation et la prospérité de l'empire achéménide. Des formations lexicales analogues s'appliquaient aux relations des Athéniens avec Sparte : laconiser (λακωνίζειν) « être partisan ou imitateur des Laconiens [Lacédémoniens] », laconisme (λακωνισμός) « imitation du style de vie laconien », s'agissant particulièrement de leur concision verbale -- le terme français laconisme n'a retenu que cet aspect des choses.

Aspasie (24, 5) : Le rayonnement intellectuel et mondain du « salon » d'Aspasie a inspiré quelques peintres antiquisants ; entre autres Michel II Corneille, auteur (1699) d'une Aspasie au milieu des philosophes de la Grèce aujourd'hui au Musée national du Château et des Trianons de Versailles, et Nicolas André Monsiaux (1754-1837), auteur d'une Aspasie s'entretenant avec les hommes illustres d'Athènes, aujourd'hui au Musée des Beaux-Arts de Chambéry. Une scène analogue est illustrée par F. Giani dans son dessin L'educazione d'Alcibiade (1805) représentant, à la droite d'Aspasie, trois grandes figures de l'époque : Périclès casqué, travaillant auprès de sa conseillère, Socrate, Alcibiade. Sur ces différentes oeuvres, on verra la rubrique Iconographie de la présentation générale.

Eschine (24, 6) : Il s'agit du disciple de Socrate (cité encore infra, 32, 5), auteur d'un dialogue intitulé Aspasie, où cette dernière engageait un échange dialectique avec Xénophon et sa femme (Cicéron, De inventione, I, 51). Le personnage de Lysiclès, marchand de moutons, est cité par Aristophane (Cavaliers, 132 et 765) et Thucydide signale son action militaire et sa mort en Carie en 428/27 (Thucydide, III, 19, 1).

Ménexène (24, 7) : Platon, o.l., 235 e ; 236 b.

agréant (24, 8) : Périclès avait légalement divorcé d'avec sa première femme ‒ dont il arrangea, avec son consentement (c'est Plutarque qui le dit...) le remariage ‒, mais lui-même ne put jamais épouser Aspasie, qui était Milésienne. Un citoyen athénien ne pouvait en effet épouser qu'une concitoyenne, ou à la rigueur prendre femme dans l'une des rares cités avec lesquelles Athènes avait conclu un traité d'epigamia : et ce n'était pas le cas de Milet. Le fils qu'Aspasie donna à Périclès, et qui prit le nom de son père, était donc un bâtard, légitimé avec difficulté.

Omphale, Déjanire, Héra (24, 9) : Ces deux héroïnes, liées à la légende d'Héraclès, firent l'une et l'autre le malheur du héros qu'elles aimaient. Omphale, en l'humiliant : reine de Lydie, fille d'un roi dont Héraclès fut l'esclave, Omphale s'était éprise de cet « esclave » et, selon une version du mythe, en avait fait son jouet. Déjanire, en causant la mort du héros : cette fille du roi de Calydon, avait épousé Héraclès avec qui elle quitta son pays ; en chemin, le couple rencontra le centaure Nessos, qu'Héraclès fut contraint de tuer, tandis que Déjanire recevait du monstre mourant un prétendu philtre d'amour. Plus tard, délaissée et jalouse, Déjanire imprégna la tunique d'Héraclès de la drogue de Nessos, qui se révéla un poison corrosif ; atrocement brûlé, le héros se suicida en montant sur un bûcher dressé sur le mont Œta, tandis que Déjanire se tuait. -- Héra, fille de Cronos, donc soeur et épouse de Zeus, apparaît constamment irritée par les infidélités du roi des dieux et des hommes. Jalouse et violente, Héra exerce ses vengeances contre les amantes de Zeus et leur descendance. Ainsi sa colère poursuit-elle, parmi beaucoup d'autres héros et héroïnes, Héraclès, à qui elle impose les « douze travaux » et le Troyen Pâris qui, pour avoir refusé à la déesse le prix de la beauté, allait s'éprendre d'Hélène de Sparte et déclencher finalement la guerre de Troie.

vers (24, 9) : Parodiques d'une pseudo-théogonie où Cronos et Débauche sont donnés comme parents d'Héra-Aspasie, ces vers sont tirés des Chirons de Cratinos ; cf. supra, 3, 5.

yeux de chienne (24, 9) : Cette épithète homérique (κυνῶπις) qualifiant plusieurs déesses et héroïnes (Héra, Hélène, Aphrodite, les ùErynies) est bien en situation ici puisqu'elle s'applique à Aspasie-Héra, femme de « l'Olympien » Périclès -- tel était en effet le surnom donné au grand homme (cf. infra, 39, 2).

Dèmes (24, 10) : Sur Eupolis, cf. supra, 3, 7. Le bâtard (légitimé) est Périclès le Jeune, qui sera l'un des stratèges vainqueurs des Spartiates aux Arginuses en 406 et ensuite exécutés (cf. infra, 37, 6).

Myronidès (24, 10) : La lecture de ce nom, fourni par un seul manuscrit, ne fait pas l'unanimité ; s'agirait-il du commandant athénien mentionné plus haut (cf. la note à 16, 3) ? Quoi qu'il en soit, ce doit être un personnage figurant dans la pièce d'Eupolis (cf. la note à 3, 7). Ce bref passage constitue la seule allusion antique à l'ascendance maternelle de Périclès le Jeune ; celui-ci est est normalement appelé « bâtard » (νόθος) par Périclès lui-même, dont Aspasie n'est pas l'épouse légitime (cf. la note à 24, 8). Mais la réplique de Myronidès est singulièrement haineuse, puisque le fils « retardé » d'Aspasie s'indignerait du « vice » de sa mère.

Cyrus (24, 11) : Il s'agit de Cyrus le Jeune, fils cadet de Darius II et de Parysatis, à qui son père avait confié le commandement de l'Asie Mineure (408/7) et qui apporta son soutien financier à Sparte en lutte contre Athènes. Dans l'intention de détrôner son frère Artaxerxès Mnémon, il leva secrètement des armées de mercenaires grecs et, en 401, conduisit au départ de Sardes une expédition à laquelle participait Xénophon, homme de guerre et reporter. S'étant avancé jusqu'à l'Euphrate, Cyrus affronta les troupes royales non loin de Babylone, à Cunaxa, où la victoire resta aux troupes grecques, mais où lui-même fut tué. Coupés de leurs bases, les Grecs (les Dix Mille) furent contraints à une retraite dramatique, que Xénophon a longuement narrée dans son Anabase (Ἀνάβασις, littéralement « montée, expédition montant de la mer vers l'intérieur du pays », titre qui ne s'applique en fait qu'au premier livre, soit l'expédition de Sardes à Cunaxa, et non au voyage de retour en partie dirigé par Xénophon lui-même).

Miltô (24, 11) : Cette Aspasie de Phocée qui, maîtresse de Cyrus, était appelée « la Sage et Belle » (Xénophon, Anabase, I, 10, 2), tomba ensuite aux mains d'Artaxerxès et de Darius et finit ses jours comme prêtresse de Diane à Ecbatane (Plutarque, Artaxerxès, 32).

Priène (25, 1) : En Carie, à l'embouchure du Méandre, face à Milet, laquelle disputait à Samos, sa rivale, le contrôle de Priène.

pas qu'une démocratie  (25, 2) : Athènes pratique à l'époque, on le sait, une politique générale de  démocratisation des régimes. Périclès veut abattre l'oligarchie en place à Samos (cf. infra28, 2), de même qu'il a renversé, en Eubée, les Hippobotes (« éleveurs de chevaux ») de Chalcis, oligarques favorables à Sparte, et dépossédé les citoyens d'Hestiée, cité très fertile du Nord de l'île, au profit de colons (clérouques) athéniens (cf. supra, 23, 4).

Pissouthnès (25, 3) : Fils d'Hystaspe et satrape de Sardes. Thucydide relate les mêmes faits, avec quelques variantes (I, 115, 4-5), sans toutefois mentionner la tentative de corruption du Perse auprès de Périclès. ‒ Pour rappel, en monnaie d'argent, celle dont disposent les otages samiens, 1 talent vaut 3000 statères, donc 100 talents (puisqu'il y a 100 otages) représentent 300.000 statères. D'autre part, le Perse offre, lui, 10.000 statères d'or, comptant sans doute sur l'effet psychologique de l'or. Mais si l'on admet qu'à l'époque de Phidias, le rapport entre argent et or est de 1 à 14, la somme offerte par Pissouthnès représente 140.000 statères d'argent, soit moins de la moitié de la somme proposée par les Samiens. L'offre perse semble donc fallacieuse et l'on comprend le refus opposé par Périclès.

Tragiai (25, 5) : Cette petite île des Sporades face à Milet, au S. de Samos, vit en 440 la victoire de Périclès sur la flotte samienne ; ces chiffres sont ceux de Thucydide, I, 116, 1.

mer extérieure (26, 1) : C'est-à-dire au-delà de la « mer intérieure » qu'est l'Égée, pour cingler en direction de la Carie.

Mélissos (26, 2) : Mélissos de Samos est un philosophe présocratique appartenant, comme Parménide, à l'école d'Élée ; à ce titre Plutarque le qualifie de physicien (Thémistocle, 2, 5), nom donné aux penseurs grecs qui, jusqu'au milieu du Ve siècle, s'étaient attachés à définir la réalité profonde, le principe qui produit et fait évoluer les choses, soit la φύσις. Ce personnage illustre singulièrement le cas, fréquent à cette époque, d'un citoyen voué à la fois à la spéculation philosophique et au service politique : il apparaît ici dans le rôle de l'amiral qui, en 441/40, affronta victorieusement la flotte athénienne et tint la mer sous contrôle durant deux semaines, « faisant entrer et sortir de Samos tout ce qu'il voulait » (Thucydide, I, 117, 1). La présente allusion à une « victoire » antérieure de Mélissos, signalée par Aristote (sans doute dans sa Constitution des Samiens, inspirée de sources locales, donc suspectes d'une présentation tendancieuse des faits) vise peut-être la bataille navale de Tragiai (cf. supra, 25, 5), que les Athéniens remportèrent sans réussir toutefois à empêcher le retour d'une partie de la flotte samienne vers ses bases.

marquèrent au front (26, 4) : Une pratique analogue est encore attestée à l'issue de l'expédition de Sicile, les Syracusains ayant alors marqué d'un cheval le front de leurs prisonniers athéniens (Plutarque, Nicias, 29, 2).

Polycrate (26, 4) : « N'étaient les tyrans qui régnèrent à Syracuse, aucun autre tyran hellénique ne mérite d'être comparé à Polycrate au point de vue de la magnificence » (Hérodote, III, 125). S'étant par la force emparé du pouvoir à Samos (c. 535), Polycrate est au nombre des chefs d'État « illégaux » qui, aux VIIe-VIe siècles, exercèrent une influence politique et culturelle considérable dans plusieurs régions du monde grec. L'homme à qui tout réussissait (εὐτυχέων τὰ πάντα, dit Hérodote, III, 40 et 43), dota l'île d'une flotte très puissante, lui assurant une prospérité commerciale et économique qui égale alors son rayonnement artistique : Polycrate attire à sa cour les poètes lyriques Anacréon et Ibycos tandis que, bâtisseur, il fait ériger des monuments de prestige, tel le fameux temple d'Héra, et procéder à de grands travaux d'utilité publique. Provisoirement alliée au roi d'ùEgypte Amasis, la thalassocratie samienne porte ombrage à Sparte et à Corinthe, et Polycrate sera finalement éliminé par un satrape perse, qui le fait crucifier en 522.

Artémon (27, 3) : Ce personnage, originaire de Clazomènes, est présenté comme inventeur de machines de siège par Diodore, XII, 28.

Héraclide du Pont (27, 4) : Disciple de Platon et condisciple d'Aristote à l'Académie, Héraclide assuma la direction temporaire de l'École durant le troisième voyage de Platon en Sicile ainsi que, ultérieurement, à l'époque qui suivit la mort de Speusippe, successeur du Maître. Les fragments conservés des œuvres d'Héraclide font entrevoir la variété de ses curiosités encyclopédiques.

Douris (28, 2): L'historien Douris de Samos est l'une des sources volontiers utilisées par Plutarque, qui remarque à plusieurs reprises sa propension à « dramatiser » (ἐπιτραγῳδεῖ) et le fait qu'il fournit des éléments étrangers à d'autres historiens sérieux (cf. Alcibiade, 32, 2).

triérarques (28, 2) : Le triérarque est le commandant de la trière, vaisseau de guerre à trois rangs de rames, portant 200 hommes d'équipage. À Athènes, les triérarques, désignés par les stratèges (cf. note à 16, 3) doivent assurer l'équipement, le commandement et la maintenance des trières, charge onéreuse, comptée au nombre des liturgies, services publics imposés aux citoyens fortunés. Les triérarques samiens représentent une classe de notables riches et influents, donc suspects de tendances oligarchiques -- cela expliquerait le traitement cruel que, d'après Douris, leur aurait réservé Périclès, déterminé à imposer à Samos le régime démocratique.

bandelettes (28, 5) : Ces bandelettes ou rubans de laine rouge sont offertes, avec des couronnes, aux vainqueurs -- athlètes, auxquels Périclès se voit ici assimilé, ou généraux rentrant de la guerre. C'est paré de cette façon, dans une intention provocante, qu'Alcibiade ivre se présente au fameux banquet d'Agathon (Platon, Banquet, 212 e). Mais on voit la même marque de distinction décernée, durant la guerre du Péloponnèse, au Spartiate Brasidas, redoutable adversaire d'Athènes qu'il combattit brillamment en Macédoine : c'est ainsi, avec couronnes et rubans, que les Chalcidiens de Sciônè, tributaires révoltés, l'accueillent en libérateur en 423 (Thucydide, IV, 121, 1).

Elpinice (28, 5): Sur ce personnage, cf. infra, 10, 5-6.

Archiloque (28, 7) : Cf. supra, note à 2, 1.

Ion (28, 7) : Cf. supra, note à 5, 3.

comme dit Thucydide (28, 8) : Plutarque cite effectivement l'expression de Thucydide, VIII, 76, 4.

Corcyre (29, 1) : Cf., dans la présentation générale, le bref exposé sur le cadre historique.

Arcadienne (29, 2) : Même information dans Cimon (16, 1)où Plutarque indique sa source, Stésimbrote de Thasos ; Lacédémonios et Éléios, des jumeaux, étaient fils d'une Péloponnésienne de Cleitor (Arcadie septentrionale).

Mégariens (29, 4) : Cf., dans la présentation générale, le bref exposé sur le cadre historique.

Éginètes (29, 5) : Bien que dorienne, l'île d'Égine, en face du Pirée, était membre de la ligue de Délos. Les Éginètes, affirmant ne pas jouir de l'indépendance qui leur avait théoriquement été garantie mais n'osant pas, dit Thucydide (I, 67, 2), envoyer ostensiblement une ambassade à Sparte pour y porter leurs doléances, poussaient sourdement à la guerre. La riposte athénienne n'allait pas tarder (cf. infra, 34, 2) : expulsion massive des insulaires et distribution de leurs terres à des colons (clérouques) athéniens (Thucydide, II, 27, 1).

Potidée (29, 6) : À la base de la presqu'île occidentale de la Chalcidique, Potidée est une colonie de Corinthe, devenue tributaire d'Athènes dans le cadre de la Ligue délienne. À l'instigation de Corinthe, alliée de Sparte, Potidée se révolta en 432 contre Athènes, qui y fit une expédition punitive. C'était le prélude de l'affreuse guerre du Péloponnèse qui allait ruiner à jamais l'empire athénien ; en 431 et en 430, les expéditions terrestres des Spartiates dévasteront l'Attique, tandis que la flotte athénienne ravagera les côtes du Péloponnèse.

tablette sur laquelle le décret (30, 1) : Contrairement à la loi (νόμος), qui est générale et permanente, le décret (ψήφισμα) n'a qu'une valeur particulière et temporaire ; à l'exception de décrets importants, gravés sur des stèles de bronze ou de pierre (et ce fut quelquefois le cas pour ceux de Périclès) (cf. note à 8, 7), ces textes sont normalement inscrits sur une tablette (πινάκιον) de bois peinte en blanc, laquelle, une fois le décret jugé obsolète, peut être effacée ou, comme ici, retournée sur l'autre face.

territoire sacré (30, 2) : C'est le territoire d'Éleusis, dont les Mégariens auraient fait une exploitation illégitime (Thucydide, I, 139, 2). Fertile mais interdit de culture parce qu'il était consacré aux déesses éleusiniennes, ce territoire sacré (ἱερὰ ὀργάς) fut plus d'une fois convoité, ainsi que l'attestent des sources littéraires et épigraphiques, par Sparte et par Mégare, bien que la violation de l'interdit protégeant les domaines consacrés fût sévèrement sanctionnée.

Anthémocritos (30, 3) : À ce héraut assassiné en mission, au mépris de son immunité diplomatique, les Athéniens dressèrent une statue qu'avait vue l'orateur Isée (IVe siècle a. C.) et qu'au IIe siècle de notre ère mentionne encore, sur la voie sacrée reliant Athènes à Eleusis, le voyageur Pausanias (I, 36, 3).

CharinosThria (30, 3) : Plutarque cite textuellement le décret de Charinos avant d'y ajouter lui-même une glose topographique. ‒ Thria est un dème au N.-O. d'Athènes, en direction d'Éleusis.

Acharniens (30, 4) : Vers d'Aristophane, Acharniens, 526.

cottabe (30, 4) : Jeu pratiqué lors d'un symposion, consistant à projeter, après avoir bu, le reste de liquide laissé dans la coupe jusqu'à un but, plat ou vase, appelé κότταβος. Susceptible de quelques variantes, cet usage était surtout un exercice d'adresse et d'élégance, et un signal amoureux : on lançait le liquide en le dédiant à une personne aimée. Textes et peintures de vases nous ont transmis le souvenir et l'image de ce jeu très prisé. -- Cette anecdote de la courtisane enlevée n'est qu'une invention piquante d'Aristophane, et les vers du Comique ne sont cités ici par les ennemis de Périclès et d'Aspasie qu'en pure dérision.

dissimuler (31, 4) : La figure de guerrier combattant une Amazone offrait sans doute une ressemblance avec celle de Périclès quand on la regardait de profil, mais non de face.

Hermippe (32, 1) : Poète comique antérieur à Aristophane, dont nous sont parvenus une dizaine de titres et une petite centaine de fragments ; Plutarque cite plus loin (infra, 33, 8) de piquants anapestes d'Hermippe, évoquant les menées du démagogue Cléon contre Périclès.

Diopeithès (32, 2) : Devin, donc opposé comme son confrère Lampon (cf. supra, 6, 2) au rationalisme d'Anaxagore. Il semble bien que Plutarque ait eu directement connaissance du texte de ce décret.

prytanes (32, 3) : Pour constituer le Conseil d'État (βουλή), à Athènes, chacune des dix tribus (cf. note à 37,5) tire chaque année au sort cinquante citoyens. Ainsi le Conseil compte cinq cents membres qui ont, entre autres attributions, à recevoir les comptes des magistrats sortants. Mais le travail s'effectue pratiquement dans une commission de cinquante prytanes, qui sont les élus de chaque tribu fonctionnant à tour de rôle. À la tête de ce comité restreint un président (épistate des prytanes) est désigné journellement.

jeton de vote sur l'autel (32, 3) : Les juges auront à déposer leurs jetons de vote sur le grand autel d'Athéna, érigé sur l'Acropole à l'Est de l'Érechthéion et qui constitue le point d'arrivée de la procession des Panathénées (cf. note à 13, 11). Cette mise en scène conférait évidemment au vote une solennité religieuse toute particulière.

Hagnon (32, 4) : En charge d'une stratégie en 440 durant l'expédition de Samos (Thucydide, I, 117, 2) et de plusieurs autres ultérieurement, Hagnon était le père de l'oligarque Théramène, qui sera l'un des Trente tyrans, et d'après Lysias (Contre Érathosthène, 65), était lui-même de cette tendance. Néanmoins ce personnage joua en l'occurrence un rôle modérateur : au décret d'inspiration oligarchique proposé par Dracontidès (sans doute celui-là même qui sera aussi au nombre des Trente) qui voulait déférer Périclès pour concussion devant un tribunal extraordinaire susceptible de prononcer une peine de mort, Hagnon apporta un amendement qui visait à normaliser la procédure en remettant l'affaire aux mains du tribunal populaire de l'Héliée ; les 1500 héliastes déclarèrent Périclès coupable mais ne lui infligèrent qu'une amende, dont le montant est discuté.

dit Eschine (32, 5) : Cf. supra, 24, 6.

Cylon (33, 1) : Plutarque reprend ici les termes mêmes du récit de Thucydide (I, 126-127). La mère de Périclès appartenait en effet à la famille des Alcméonides, auteurs du meurtre perpétré sur Cylon. Cette vieille histoire (fin VIIe siècle) était célèbre : vainqueur olympique, Cylon ambitionnait de devenir tyran d'Athènes ; démasqué, contraint de se réfugier sur l'Acropole, il avait accepté de s'en retirer, avec ses partisans, après qu'un archonte Alcméonide leur eût garanti la vie sauve. Promesse trahie, car Cylon et les siens avaient finalement été massacrés.

béotiens (33, 5) : Athènes est désormais en lutte ouverte avec la Béotie (cf. la présentation générale), alliée de Sparte, qu'elle fournit en cavalerie (Thucydide, II, 9 et 12, 5). Le chiffre de 60. 000 hoplites avancé ici par Plutarque est peut-être exagéré ; Thucydide signale simplement (II, 10, 2) que chacun des États alliés des Lacédémoniens avait envoyé à Archidamos les deux tiers de ses effectifs.

Cléon (33, 8) : Ce riche tanneur, démagogue violent et belliciste, fut pratiquement le maître d'Athènes durant les sept années qui suivirent la mort de Périclès (429). Il a été détesté d'Aristophane, qui le caricature dans Les Cavaliers, et de Thucydide, qui méprise sa vulgarité, sa suffisance, et lui prête un long discours (427) réclamant férocement la mort des Mytiléniens révoltés (Thucydide, III, 37-40). Le haut fait de la carrière militaire de Cléon fut le blocus de Sphactérie, petite île en face de Pylos de Messénie, où il réussit à enfermer et à capturer une garnison lacédémonienne. Fort de ce succès, il obtint le commandement des forces athéniennes dépêchées en Thrace pour y combattre le Spartiate Brasidas ; l'affrontement eut lieu à Amphipolis, où Cléon trouva la mort (422).

anapestes (33, 8) : Sur Hermippe, cf. supra, 32, 1. Le texte altéré et le sens discuté des trois derniers vers font difficulté.

satyres (33, 8) : Ces êtres bestiaux, à l'origine mi-hommes, mi-animaux (cheval ou bouc), appartenaient au cortège de Dionysos ; ivrognes et lubriques, ils faisaient traditionnellement figure de poltrons comme, sans doute, le Télès mentionné ici mais inconnu par ailleurs. Le titre de « Roi des satyres » est évidemment celui de Dionysos, mais les ennemis de Périclès en affublent ce dernier par dérision, visant à travers ces créatures méprisables les partisans et collaborateurs du grand homme. Le titre de « Roi des satyres » est évidemment celui de Dionysos, mais les ennemis de Périclès en affublent ce dernier par dérision, visant à travers ces créatures méprisables les partisans et collaborateurs du grand homme.

 distributions d'argent (34, 2) : Cf. supra, 9, 1 et la note.

Éginètes (34, 2) : Cf. supra, 29, 5 et la note.

éclipse (35, 2) : Comme l'indique la fin de la phrase, Plutarque ne garantit pas l'authenticité du fait. Thucydide (II, 28) signale une éclipse survenue, il est vrai, un an plus tôt, lors de l'expulsion des Éginètes (431).

Idoménée (35, 5) : Cf. supra, 10, 7.

Héraclide (35, 5) : Cf. supra, 27, 4.

subsidiait (36, 2) : Cf. supra, 16, 5.

pentathle (36, 5) : On dénomme ainsi le concours athlétique disputé aux grands Jeux, notamment à Olympie, réunissant cinq exercices : saut, lancement du javelot et du disque, course à pied, lutte. Celle-ci constituait la dernière épreuve et n'y étaient admis que les concurrents non éliminés aux épreuves précédentes (Xénophon, Helléniques, VII, 4, 29).

Protagoras (36, 5) : Ce célèbre sophiste, originaire d'Abdère (Thrace), dialecticien redoutable et professeur ambulant à hauts honoraires, est mis en scène par Platon dans le dialogue qui porte son nom. Une source du IVe siècle a.C., Héraclide du Pont, affirme (Diogène Laërce, X, 50) que Protagoras aurait rédigé la constitution de Thourioi, cité fondée par Périclès en 444/3 (cf. 11, 5 et la note). Sceptique et critique, Protagoras aurait été accusé d'impiété, condamné et contraint de quitter Athènes d'après une tradition (Diogène Laërce, IX, 51) que réfute le témoignage de Platon (Ménon, 91 e). -- En l'occurrence, le débat de Périclès et de Protagoras allait au-delà des arguties sophistiques, car il avait une réelle portée juridique : le meurtre involontaire (φόνος ἀκούσιος), à Athènes, n'était pas jugé par l'Aréopage, organe aristocratique et désuet, dépouillé de ses attributions majeures en 462/1, mais par un tribunal d'éphèbes siégeant au sanctuaire de Pallas Athéna (Palladion), qui pouvait condamner au bannissement temporaire sans confiscation de biens. Si l'homicide avoué était légitime ou excusable (φόνος δικαῖος), ce qui était le cas lorsque la victime avait été tuée, comme ici, en luttant lors des jeux, l'affaire était remise à un autre tribunal d'éphèbes siégeant près du temple d'Apollon Delphinios (Delphinion). Un autre tribunal enfin, présidé par l'archonte roi, jugeait les accusations de meurtre contre les objets inanimés et les animaux (Aristote, Constitution d'Athènes, 57, 3).

Paralos (36, 8) : Cette scène a inspiré les toiles du peintre François Nicolas Chifflart (1825-1901), Périclès au lit de mort de son fils (cf. le dossier Iconographie dans la présentation générale).

médimnes (37, 4) : Le médimne est une mesure de capacité utilisée exclusivement pour les solides ou denrées sèches (μέτρα ξηρά) et estimée, pour Athènes, à 51, 84 litres. Ce substantiel présent représente donc 2.073.600 litres de blé. Le donateur est sans doute un prince égyptien révolté contre le Grand Roi vers le milieu du Ve s. (cf. note à 20, 3).  -- Quant à la loi fameuse de Périclès (451) évoquée ici et destinée à enrayer l'afflux des étrangers, elle requérait, pour l'octroi de la citoyenneté athénienne, la double ascendance, paternelle et maternelle. Elle aurait abouti à faire exclure environ 5000 « bâtards », dès lors vendus comme esclaves, et confirmer 14040 citoyens ; ces chiffres de Plutarque reproduisent à peu près ceux de Philochore, atthidographe (chroniqueur ayant relaté l'histoire de l'Attique) du IVe-IIIe siècle. La loi en question parut d'abord démocratique -- les familles aristocratiques étaient volontiers cosmopolites par leurs alliances --, mais elle devait se révéler cruelle pour Périclès lui-même une vingtaine d'années plus tard, puisque son fils né d'Aspasie, un bâtard, ne fut légitimé qu'à titre exceptionnel, après que la peste eût enlevé au grand homme ses deux fils légitimes. Cf. supra, 24, 8 et la note).

phratrie (37, 5) : L'organisation administrative de l'Attique, complexe, s'est faite au départ de la famille isolée (οἰκία).  Plusieurs familles apparentées descendant du même ancêtre éponyme forment une phratrie ; plusieurs phratries constituent un dème (cf. 3, 7 et la note), circonscription territoriale urbaine ou rurale représentant l'unité administrative de base et possédant un registre où sont inscrits les citoyens. L'ensemble des dèmes se répartit en 30 trittyes, lesquelles se distribuent à leur tour en 10 tribus (φυλαί), nombre fixé par Clisthène à la fin du VIe siècle ; l'ensemble des tribus, enfin, constitue la cité (πόλις). L'inscription de Périclès le Jeune, un bâtard, dans la phratrie, donc dans le dème, de son père constituait une exception motivée par les circonstances mais lui conférait la citoyenneté.

Arginuses (37, 6) : Petites îles entre Mytilène de Lesbos et la côte éolienne, au large desquelles une grande bataille opposa en 406 les flottes lacédémonienne et athénienne ; cette dernière en sortit victorieuse mais les stratèges athéniens, au nombre desquels se trouvait Périclès le Jeune, furent ensuite condamnés à mort pour n'avoir pas recueilli les combattants naufragés.

Théophraste dans ses Éthiques (38, 2). On sait le respect marqué par Plutarque à Théophraste, « homme d'écoute et d'histoire s'il en est parmi les philosophes » (Vie d'Alcibiade, 10, 4) ; l'oeuvre de Théophraste dans le domaine de l'éthique, à laquelle il est fait ici référence, ne nous est parvenue qu'à travers des fragments ; sur cet auteur, cf. supra la note à 23, 2.

trophées (38, 3) : Le nombre de trophées (cf. 19, 2 et la note) attribués à Périclès est impressionnant mais non invraisemblable. Plutarque signale volontiers ces monuments commémoratifs. Dans sa Vie de Thémistocle, 3, 4, il note que le trophée élevé par Miltiade, l'héroïque artisan de la victoire remportée sur les Perses à Marathon (490), empêchait le jeune Thémistocle de dormir. Dans la Vie d'Alcibiade, 27, 6), le biographe expose comment Alcibiade, décidé à rentrer avec panache à Athènes, met en déroute une flotte lacédémonienne, exploit qui lui fait élever un trophée.

manteau noir (38, 4) : C'est une tenue de deuil. Les assistants à un cortège d'obsèques qui, après l'exposition du défunt (πρόθεσις), emporte ce dernier de chez lui (ἐκφορά) vers le lieu de sa sépulture, vont pendant trois jours porter le deuil ; d'après quelques textes, comme celui-ci, c'est le noir (ainsi Euripide, Alceste, 215-217 ; Xénophon, Helléniques, I, 7, 8), mais dans certaines cités, la loi autorise le blanc et les représentations des vases affichent d'autres couleurs. La formule lapidaire de Plutarque insiste en tout cas sur le fait que Périclès agonisant refuse d'entendre louer son action militaire et rappelle qu'il a été avant tout soucieux de la sécurité de ses concitoyens et de la vie de ses soldats (cf. supra, 18, 1).


[Autres traductions françaises: sur la BCS / sur la Toile]


[Déposé sur la Toile le 22 octobre 2008]

Bibliotheca Classica Selecta - UCL (FLTR)