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Plutarque : Vie de Thémistocle, 1-22

traduction nouvelle annotée  par Marie-Paule Loicq-Berger

<loicq-berger@skynet.be>


Introduction - Contenu de la Vie
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N.B. La présente traduction a suivi le texte grec établi par E. Flacelière, E. Chambry et M. Juneaux pour la collection des Universités de France (Paris, Les Belles Lettres, 1961). Pour l'annotation, on a également consulté le commentaire de F.J. Frost, Plutarch's Themistocles, Princeton University Press, 1980.


I. L'Athénien (1-22)

Famille et formation (1-2)

1

(1) La naissance de Thémistocle était trop obscure pour assurer son renom : son père Nicoclès, inscrit au dème  de Phréarrhes et dans la tribu Léontis, n'appartenait pas aux gens en vue à Athènes et, par sa mère, Thémistocle était, dit-on, un bâtard : Je suis Habrotonon, Thrace de naissance, mais c'est moi qui, pour les Grecs, ai fait le grand Thémistocle.

(2) Phanias écrit pourtant que la mère de Thémistocle n'était pas Thrace, mais Carienne  ; qu'elle ne se nommait pas Habrotonon mais bien Euterpe. Et Néanthe ajoute même que sa ville était Halicarnasse de Carie.

(3) Les bâtards se regroupaient au Cynosarge, un gymnase hors ville dédié à Héraclès, vu que ce dernier n'était pas non plus de naissance pure parmi les dieux, étant marqué de bâtardise par sa mère, une mortelle. Thémistocle tâchait de convaincre certains jeunes gens bien nés de descendre s'entraîner avec lui au Cynosarge  ; il y parvient, et de supprimer ainsi malignement, semble-t-il, la démarcation entre bâtards et gens bien nés.

(4) Évidemment, il appartenait quand même à la famille des Lycomides, car il réaménagea et fit décorer de peintures le sanctuaire des mystères de Phlyées, propriété des Lycomides, qui avait été incendié par les barbares -- c'est ce que rapporte Simonide.

2

(1) De l'avis général, tout enfant encore, il était plein de fougue, naturellement intelligent, porté de préférence aux grandes entreprises et à la politique. Une fois arrivé aux temps de pause et de loisir à l'issue des leçons, il ne jouait ni ne paressait comme la plupart des enfants, mais on le trouvait en train de s'exercer à des discours qu'il composait pour lui-même.

(2) Ces discours consistaient à présenter l'accusation ou bien la défense de l'un des enfants. Aussi le professeur avait-il coutume de lui dire : « Toi, mon garçon, tu ne seras pas petit, mais grand de toute façon, que ce soit en bien ou en mal  ! »

(3) Il est des études qui visent à former le caractère ou concourent au plaisir ou à un agrément libéral : à celles-là, Thémistocle s'appliquait timidement et sans goût. En revanche, les études qui sont censées stimuler l'intelligence ou l'action, il les aimait manifestement d'une passion au-dessus de son âge -- c'est qu'il se fiait à sa nature.

(4) Aussi fut-il par la suite raillé au cours d'entretiens qualifiés de « libéraux et cultivés » par des gens qui avaient l'air bien élevés ; il était alors contraint de se défendre assez rudement, en disant qu'il ne savait sans doute pas accorder une lyre ni manier une cithare mais que, s'il prenait en charge une petite ville sans renom, il saurait la rendre grande et célèbre.

(5) Lorsque Stésimbrote prétend que Thémistocle fut l'auditeur d'Anaxagore et le disciple de Mélissos le physicien, il n'est pas en prise correcte avec les époques : c'est à Périclès (beaucoup plus jeune que Thémistocle) occupé à assiéger Samos que s'opposait Mélissos, et Anaxagore était leur contemporain.

(6) Mieux vaudrait prêter attention à ceux qui disent que Thémistocle fut disciple de Mnésiphilos de Phréarrhes, lequel n'était pas un rhéteur ni un de ces philosophes appelés physiciens, mais faisait profession de la « sagesse » d'alors -- à savoir l'adresse politique et l'intelligence active, que Mnésiphilos sauvegardait comme doctrine héritée de Solon. À ce legs, les générations suivantes mêlèrent l'éloquence judiciaire et, détournant la doctrine de l'action, l'appliquèrent aux discours : ils furent alors désignés du nom de sophistes.

(7) Voilà l'homme que fréquentait Thémistocle alors qu'il s'occupait déjà de politique. Dans les premiers élans de sa jeunesse, il était inconstant et instable, se contentant de suivre la nature en soi, ce qui, sans raisonnement ni éducation, provoque à double sens de grands revirements de conduite et dégénère souvent vers le pire : ainsi en convenait-il lui-même plus tard, en affirmant que les poulains les plus emportés deviennent les meilleurs chevaux une fois qu'ils ont reçu l'éducation et le dressage convenables.

(8) D'aucuns forgent des racontars qu'ils rattachent aux traits ci-dessus : reniement de Thémistocle par son père, suicide de sa mère devenue folle de chagrin à cause du déshonneur de son fils, tout cela a bien l'air mensonger. Il en est qui disent au contraire que, pour le détourner des affaires publiques, son père lui faisait voir en bord de mer les vieilles trières rejetées et regardées avec dédain : la masse, disait-il, en use pareillement avec les chefs populaires une fois qu'ils sont devenus inutiles.

 

Caractère, programme politique (3-5)

3

(1) Rapidement, néanmoins, les affaires de la cité paraissent avoir attiré Thémistocle, bien que tout jeune encore, dominé qu'il était par un appétit de gloire. Aussi convoita-t-il d'emblée la première place, en résistant hardiment à l'animosité des gens puissants en première ligne dans la cité -- surtout à l'hostilité d'Aristide, fils de Lysimaque, qui marchait toujours sur une voie opposée à la sienne.

(2) La haine de Thémistocle contre Aristide débuta, paraît-il, de façon absolument puérile : tous deux étaient épris du beau Stésiléos originaire de Céos, comme le relate Ariston le philosophe. Ils ne cessaient dès lors d'afficher leur dissension jusque dans les affaires publiques.

(3) Néanmoins, c'est la dissemblance de leurs vies et de leurs caractères qui semble avoir accru leur différend. Aristide était naturellement doux et de caractère parfait, ne faisant pas de politique pour l'agrément ni pour la gloire, mais en partant du point de vue le meilleur, avec sûreté et équité ; il était souvent contraint de s'opposer à Thémistocle et de freiner l'ambition de celui-ci, lequel remuait le peuple pour quantité de projets et proposait de grandes nouveautés.

(4) Thémistocle était, dit-on, singulièrement porté vers la gloire et, par ambition, épris de grandes actions : aussi, jeune encore, après la bataille de Marathon contre les barbares et l'exploit tant célébré de Miltiade, on le voyait couramment replié dans ses pensées, voué la nuit à l'insomnie, se dérobant aux habituels repas arrosés et disant aux questionneurs surpris de son changement de vie que le trophée de Miltiade ne le laissait pas dormir.

(5) En général, les Athéniens pensaient que la défaite des barbares à Marathon représentait le terme de la guerre ; Thémistocle, pour sa part, croyait que c'était le début de luttes plus importantes, pour lesquelles, en prévision de l'avenir, il ne cessait de s'entraîner lui-même et d'exercer la cité dans l'intérêt de la Grèce entière.

4

(1) Les Athéniens avaient coutume de se partager le revenu des mines d'argent du Laurion ; Thémistocle, tout d'abord, osa seul se présenter devant le peuple pour dire qu'il fallait arrêter ce partage et, avec ces sommes, équiper des trières en vue de la guerre contre les Éginètes. Cette guerre atteignait alors son point culminant et les insulaires avaient la haute main sur la mer, vu l'importance de leur flotte.

(2) C'est ainsi que Thémistocle parvint à convaincre plus aisément -- et non en brandissant le nom de Darios ou des Perses : ces gens-là étaient loin et la perspective de leur retour ne suscitait qu'une crainte assez vague. Mais Thémistocle sut opportunément mettre à profit comme incitant à ses préparatifs la colère et l'envie que nourrissaient ses concitoyens contre les Éginètes.

(3) Avec le revenu des mines furent équipées cent trières, dont les Athéniens disposèrent également pour la guerre navale contre Xerxès.

(4) À partir de là, Thémistocle poussa peu à peu la ville à descendre vers la mer : comme infanterie, disait-il, vous n'êtes même pas à égalité avec vos voisins, mais avec une force navale vous pourrez repousser les barbares et être maîtres de la Grèce. Ainsi, de solides fantassins, Thémistocle fit, comme le dit Platon, des matelots et des gens de mer, s'attirant du coup ce reproche : « Pour avoir enlevé à ses concitoyens la lance et le bouclier, Thémistocle a expédié le peuple athénien au banc et à la rame ».

(5) Voilà ce qu'il réalisa une fois qu'il eût maîtrisé Miltiade, son contradicteur, ainsi que le relate Stésimbrote. A-t-il, ce faisant, dégradé ou non la rigueur et la pureté des moeurs politiques, la question est à examiner plutôt d'un point philosophique. Mais que le salut des Grecs, à l'époque, leur soit arrivé de la mer, et que ces fameuses trières aient servi à redresser la cité athénienne, c'est Xerxès, entre autres, qui en a témoigné.

(6) Alors que la puissance de son infanterie demeurait intacte, après la défaite de ses vaisseaux, Xerxès prit la fuite, ne s'estimant plus à égalité, et il laissa derrière lui Mardonios pour faire obstacle à la poursuite des Grecs, me semble-t-il, davantage que pour les asservir.

5

(1) D'aucuns prétendent que Thémistocle était un homme serré en affaires, en raison de sa libéralité : c'est qu'il avait besoin d'immenses ressources, aimant offrir des sacrifices et assumant brillamment les dépenses pour ses hôtes. D'autres au contraire lui reprochent sa grande mesquinerie et sa parcimonie : par exemple, il serait allé jusqu'à vendre les vivres qu'on lui envoyait.

(2) Quand Diphilidès, l'éleveur de chevaux, sollicité par lui, lui refusa un poulain, il le menaça de faire promptement de sa maison un cheval de bois, insinuant qu'il allait tracasser son homme avec des plaintes émanant de la parentèle de celui-ci et avec des procès à soutenir contre des familiers.

(3) Thémistocle a surpassé tout le monde en ambition. Encore jeune et obscur, il fit pression sur Épiclès, un cithariste d'Hermionè bien coté à Athènes, pour qu'il vienne s'exercer chez lui (il ambitionnait de voir quantité de gens rechercher sa maison et fréquenter chez lui).

(4) Étant allé à Olympie, il prétendait rivaliser avec Cimon en matière de repas, de tentes et, en général, de splendeur et d'apparat, ce qui ne plaisait pas aux Grecs. Car pour Cimon, jeune et de grande maison, on croyait devoir excuser ce genre de choses ; mais Thémistocle, lui, qui n'était pas encore connu, paraissait vouloir se hausser sans en avoir les moyens ni le mérite et se faisait taxer de vantardise.

(5) Étant chorège, il fut vainqueur au concours tragique -- concours qui suscitait déjà, à l'époque, beaucoup de brigue et d'ambition -- et fit ériger une plaque de victoire avec une inscription du genre : « Thémistocle de Phréarrhes était chorège ; Phrynichos, auteur de la pièce ; Adeimantos, archonte ».

(6) Néanmoins, il s'accordait avec la plupart des gens, à la fois parce qu'il avait en mémoire le nom de chaque citoyen, et aussi parce qu'il se montrait juge intègre en matière de contrats. Ainsi dit-il un jour à Simonide de Céos qui requérait de lui, alors qu'il était stratège, un acte illégal : « Il ne serait pas bon poète celui qui chanterait contre la mesure, pas plus que je ne serais, moi, un magistrat correct en accordant une faveur contraire à la loi ».

(7) Il raillait encore Simonide en disant que c'était manquer de jugeote que d'insulter les Corinthiens, habitants d'une grande ville, tout en faisant faire des portraits de lui-même, qui était d'apparence si vilaine. Pour accroître son pouvoir tout en plaisant au peuple, Thémistocle abattit finalement l'opposition et éloigna Aristide après l'avoir fait ostraciser.

 

Approche de l'offensive perse : précautions et dissensions (6-7)

6

(1) Tandis que le Mède descend sur l'Hellade, les Athéniens discutent du choix d'un général ; la plupart d'entre eux, frappés d'effroi devant le péril, s'écartent délibérément, dit-on, d'une telle fonction. En revanche Épicydès, fils d'Euphèmidès, chef populaire au verbe redoutable mais de tempérament mou et vénal, convoitait la charge et allait vraisemblablement l'emporter lors du vote.

(2) Thémistocle, redoutant que les affaires ne se dégradent complètement si le commandement devait échoir à cet homme-là, acheta, en y mettant le prix fort, l'ambition d'Épicydès.

(3) On vante encore l'intervention de Thémistocle à propos du traducteur adjoint aux gens envoyés par le Roi pour demander la terre et l'eau.

(4) Il fit appréhender et décréter la mort de cet interprète parce qu'il avait osé prêter la langue grecque aux injonctions des barbares. Citons aussi son rôle dans l'affaire d'Arthmios de Zéléia : à la demande de Thémistocle, les Athéniens inscrivirent cet homme, avec ses enfants et sa descendance, sur les listes de citoyens dégradés, parce qu'il avait introduit chez les Grecs l'or des Mèdes.

(5) Mais le plus grand de tous ses mérites est d'avoir mis un terme aux guerres entre Grecs et d'avoir réconcilié les cités entre elles en les convainquant de reporter à plus tard leurs différends, en raison de la guerre : ce pourquoi, dit-on, l'Arcadien Cheiléos lutta de toutes ses forces à ses côtés.

7

(1) À peine Thémistocle était-il en charge du commandement qu'il s'employait à embarquer les citoyens sur les trières en s'efforçant de les convaincre d'abandonner la ville et d'affronter le barbare sur mer le plus loin possible de la Grèce.

(2) Mais beaucoup de gens résistaient ; alors il amena une forte armée à Tempè, avec les Lacédémoniens, afin de mettre là-bas hors de danger la Thessalie qui, à l'époque, ne paraissait pas encore favorable aux Mèdes ; mais quand les troupes se furent repliées sans le moindre engagement, les Thessaliens se rallièrent au Roi, et toute la région jusqu'à la Béotie de prendre le même parti. Les Athéniens, dès lors, s'intéressèrent davantage au projet maritime de Thémistocle et envoyèrent celui-ci avec des navires à l'Artémision pour garder le détroit.

(3) Là, les Grecs invitent Eurybiade et les Lacédémoniens à prendre le commandement, cependant que les Athéniens (ils surpassaient par le nombre de leurs vaisseaux tous les autres mis ensemble) estiment indigne d'eux d'en suivre d'autres. Conscient du danger, Thémistocle céda spontanément le commandement à Eurybiade ; il s'efforçait de calmer les Athéniens avec une promesse : s'ils étaient vaillants à la guerre, il amènerait par la suite les Grecs à leur obéir volontairement.

(4) Voilà pourquoi Thémistocle semble bien avoir été le principal artisan du salut de la Grèce et avoir magistralement propulsé les Athéniens vers la gloire, eux qui ont surpassé leurs ennemis en courage et leurs alliés, en prudence.

(5) Quand la flotte barbare parvint aux Aphètes, Eurybiade fut épouvanté par la masse des navires qui l'affrontaient. Informé que deux cents autres vaisseaux contournaient Skiathos, il voulait se replier au plus vite vers l'intérieur de la Grèce, s'attacher au Péloponnèse et faire protéger ses bateaux par l'infanterie -- c'est qu'il croyait la puissance maritime du Roi absolument invincible. Les Eubéens pour leur part, redoutant que les Grecs ne les abandonnent, essayaient de traiter secrètement avec Thémistocle, à qui ils envoyèrent Pélagon avec de fortes sommes.

(6) Thémistocle les accepta, d'après Hérodote, et en fit don à Eurybiade. Son plus rude opposant, parmi ses concitoyens, était Architélès, triérarque du vaisseau sacré, qui s'apprêtait à mettre à la voile sans argent pour la solde de ses marins ; or ceux-ci, que Thémistocle s'appliquait à dresser davantage encore contre leur capitaine, vinrent tous ensemble au pas de course lui rafler son dîner !

(7) Alors qu'Architélès était découragé et furieux de cet incident, Thémistocle lui fit porter dans un panier un repas de pains et de viandes sous lesquels il avait mis un talent d'argent ; il l'invitait à dîner immédiatement et à ne se préoccuper de ses hommes que demain. Sinon, il lui reprocherait, lui, devant tout le monde d'avoir accepté de l'argent de l'ennemi. Voilà en fait ce que raconte Phanias de Lesbos.

 

Bataille navale de l'Artémision (8-9)

8

(1) Les batailles engagées à l'époque contre les vaisseaux barbares dans les détroits n'eurent sans doute pas une importance déterminante dans l'ensemble, mais elles constituèrent une expérience extrêmement utile pour les Grecs ; instruits par les faits, ceux-ci s'aguerrirent contre les dangers : ni le nombre de vaisseaux, ni leurs ornements et la splendeur de leurs emblèmes, ni des hurlements d'intimidation ou des hymnes barbares n'ont rien de redoutable pour des hommes qui savent en venir aux mains et osent se battre ! On doit mépriser les bravades de ce genre, s'engager au corps à corps et s'impliquer dans la lutte jusqu'au bout.

(2) Pindare semble en avoir eu assez clairement conscience quand, sur la bataille de l'Artémision, il dit : « C'est là que les fils d'Athènes ont jeté la brillante assise de la liberté », car vraiment, le début de la victoire, c'est l'audace.

(3) L'Artémision est un promontoire d'Eubée qui s'étend au Nord au-delà d'Hestiaia, et auquel fait exactement face Olizon, dans la région qui fut jadis aux mains de Philoctète.

(4) Ce promontoire abrite un temple peu important d'Artémis « Orientale » ; des arbres ont poussé tout autour et on y a fiché en cercle des stèles de pierre blanche (cette pierre, frottée de la main, prend la couleur et la senteur du safran).

(5) Sur l'une de ces stèles a été inscrite l'élégie que voici :

« Les hommes de toutes races sortis de la terre d'Asie,
ici, sur cette mer, ce sont les fils d'Athènes qui les ont combattus et domptés,
et qui, à la vierge Artémis, ont consacré ces sépultures lorsqu'a péri l'armée des Mèdes ».

(6) On montre un endroit de la côte qui a livré, au milieu d'un grand amas de sable, une poussière venue des profondeurs, cendrée et noirâtre comme brûlée d'un feu : c'est là, paraît-il, qu'on a brûlé les épaves et les morts.

9

(1) On reçut par les messagers envoyés à l'Artémision des nouvelles des Thermopyles : Léonidas est mort et Xerxès tient les passes terrestres. On se replie alors vers l'intérieur de la Grèce, les Athéniens s'étant placés derrière tout le monde, fort glorieux des hauts faits réalisés par leur valeur.

(2) Thémistocle longe par mer la région ; là où il voyait des lieux de débarquement et de refuge propices pour l'ennemi, il faisait graver des inscriptions bien visibles sur les pierres trouvées au hasard ou encore dressées par ses soins aux mouillages et aux points d'eau. Dans ces inscriptions, il adjurait les Ioniens de se ranger si possible aux côtés des Athéniens, qui sont leurs ancêtres et s'exposent dangereusement pour les délivrer ; sinon, qu'ils maltraitent et désorganisent les barbares au cours des affrontements. Il espérait ainsi, soit faire passer les Ioniens dans son camp, soit perturber les barbares devenus de plus en plus soupçonneux.

(3) De son côté, Xerxès descendait à travers la Doride en direction de la Phocide ; il brûle les villes des Phocidiens sans que les Grecs les secourent, alors que pourtant les Athéniens demandent à ceux-ci de se porter à la rencontre du Roi en Béotie afin de couvrir l'Attique, comme eux-mêmes les avaient assistés sur mer à l'Artémision.

(4) Personne ne les écoute. On veut se jeter dans le Péloponnèse et s'y retrancher, rassembler toutes les forces à l'arrière de l'Isthme et y construire un rempart transversal d'une mer à l'autre. La fureur devant cette trahison, en même temps que le découragement et la honte, saisissent les Athéniens ainsi abandonnés.

(5) Aussi bien ne songeaient-ils pas à se battre contre tant de milliers d'hommes ; l'unique nécessité, présentement, était de se tenir fortement aux vaisseaux en abandonnant la ville, ce que la plupart des gens trouvaient difficile à admettre : ils estimaient n'avoir nul besoin de victoire et ne voulaient rien savoir d'un salut, si l'on devait abandonner les sanctuaires des dieux et les monuments ancestraux.

 

Evacuation d'Athènes (10-11)

10

(1) Thémistocle, alors, ne parvenant pas à attirer à lui le populaire avec des raisonnements humains, essaya de lui opposer signes divins et oracles (de même qu'au cours d'une tragédie, on fait monter une machine). Il prit pour un signe le fait que le serpent semblait ces jours-là n'être plus visible dans l'enclos sacré.

(2) Les prêtres découvrent intactes les offrandes de choix qui lui sont quotidiennement présentées et proclament (Thémistocle leur avait passé le mot !) que la déesse a abandonné la cité et montre au peuple le chemin de la mer.

(3) De surcroît, il s'efforçait de se concilier le peuple en utilisant l'oracle : il ne s'agissait, disait-il, d'aucun rempart autre que les vaisseaux ; voilà bien pourquoi le dieu appelait Salamine « divine », et non « terrible » ni « infortunée » : c'est qu'elle serait pour les Grecs synonyme d'un grand succès.

(4) L'avis de Thémistocle l'emporta. Il rédige un décret aux termes duquel la ville est confiée à Athéna « protectrice d'Athènes », tous les hommes en âge de service embarquent sur les trières, et chacun sauve comme il le peut enfants, femmes et esclaves.

(5) Le décret une fois ratifié, l'immense majorité des Athéniens firent transporter rejetons et femmes à Trézène, où les gens les accueillirent très généreusement : ils s'engagèrent par décret à les nourrir aux frais de l'État, en donnant à chacun deux oboles, à laisser les enfants prendre des fruits partout, et de surcroît à payer pour eux le salaire des professeurs. C'est Nicagoras qui rédigea ce décret.

(6) Comme le Trésor public était déficient à Athènes, c'est l'Aréopage qui, d'après Aristote, fournit huit drachmes à chacun des engagés, contribuant ainsi très largement à faire le plein à bord des trières. D'après Cleidèmos, en revanche, c'est un stratagème de Thémistocle qui obtint encore ce résultat.

(7) Alors que les Athéniens descendaient au Pirée, la tête de la Gorgone disparut, prétend ce auteur, de la statue de la déesse ; Thémistocle feint de la chercher, explore tout et découvre, cachée dans les bagages, une forte somme d'argent qui, apportée sous les yeux du public, permit de ravitailler ceux qui embarquaient dans les vaisseaux.

(8) Le spectacle de la cité qui levait l'ancre était lamentable pour les uns, prodigieux d'audace pour les autres : des citoyens envoyaient ailleurs leurs rejetons, cependant qu'eux-mêmes, inflexibles face aux gémissements, aux larmes et aux embrassements de leurs parents, faisaient la traversée vers l'île.

(9) Ceux des citoyens qu'on avait abandonnés en raison de leur grand âge faisaient néanmoins grand pitié ; il y avait même une sorte de tendresse émouvante chez les animaux domestiques et de compagnie, qui couraient avec des hurlements plaintifs à côté de leurs maîtres nourriciers qui s'embarquaient.

(10) On mentionne parmi eux le chien de Xanthippe, père de Périclès, qui, ne supportant pas de rester seul, loin de son maître, se jeta à la mer, nagea le long de la trière et vint échouer à Salamine où, épuisé, il mourut tout aussitôt. C'est, dit-on, le tombeau de ce chien que le lieu-dit Cynossèma, encore montré aujourd'hui.

11

(1) Voilà assurément de grands traits de Thémistocle, et en voici encore un : il constate que ses concitoyens regrettent Aristide et craignent que, sous l'emprise de la colère, celui-ci ne se rallie au barbare et ne ruine la position de la Grèce -- car, avant la guerre, il avait été renversé par le parti de Thémistocle et ostracisé. Thémistocle propose alors un décret autorisant ceux qui s'étaient momentanément exilés à revenir, à agir et à parler au mieux des intérêts de la Grèce, de concert avec les autres citoyens.

(2) Grâce à l'influence de Sparte, Eurybiade exerçait pour sa part le commandement de la flotte, mais il était mou face au danger, voulait lever l'ancre et voguer vers l'Isthme où était précisément rassemblée l'infanterie péloponnésienne. Thémistocle entendait s'y opposer, et c'est alors qu'il tint, dit-on, ces propos mémorables.

(3) Aussi bien Eurybiade lui avait-il dit : « Thémistocle, dans les concours, on frappe de baguettes ceux qui devancent le départ ». « Oui, répondit-il, mais on ne couronne pas ceux qui restent en arrière ! ». Comme l'autre levait son bâton pour l'en frapper, Thémistocle de dire : « Frappe, mais écoute ! ».

(4) Surpris de sa douceur, Eurybiade l'invite à parler, et Thémistocle le ramène ainsi au sujet.

(5) Quelqu'un dit qu'un homme sans cité serait assez mal venu pour apprendre à des gens qui en ont une à abandonner et à trahir leur patrie... À quoi Thémistocle de rétorquer : « Soit, nous avons abandonné nos maisons et nos remparts, jugeant qu'il était indigne de nous laisser asservir au nom d'objets inanimés. Mais notre cité est encore la plus grande des villes grecques et nos deux cents trières sont présentement toutes prêtes à vous porter secours pour autant que vous veuillez être sauvés grâce à elles. En revanche, si vous partez en nous trahissant une deuxième fois, tout Grec apprendra immédiatement que les Athéniens possèdent encore une cité libre et un territoire aussi bon que celui qu'ils ont perdu ». À ces mots de Thémistocle, Eurybiade se mit à réfléchir et à craindre que les Athéniens ne se retirent en les abandonnant.

(6) Le chef des Érétriens essaie de lui opposer quelque chose ; alors Thémistocle : « Vraiment, est-ce bien à vous de parler de guerre, vous qui, comme les calmars, avez un glaive sans avoir de coeur  ? ! »

 

Bataille navale de Salamine et retraite perse (12-16)

12

(1) D'après certains, au moment où Thémistocle discourait ainsi du haut du pont de son bateau, on vit une chouette voler à droite des navires et venir se poser sur les cordages de la hune ; c'est principalement pour cette raison que les Grecs suivirent son avis et se préparèrent à combattre sur mer.

(2) Quand la flotte ennemie, se portant vers l'Attique, au Phalère, eut dissimulé les rivages alentour, quand on vit le Roi en personne descendu au bord de mer, avec son infanterie en rangs serrés, ses forces se trouvant ainsi rassemblées, les discours de Thémistocle s'effacèrent du souvenir des Grecs. Derechef les Péloponnésiens lorgnèrent du côté de l'Isthme, furieux si quelqu'un faisait une autre suggestion ; ils décident de se replier la nuit suivante et donnent consigne aux pilotes d'avoir à lever l'ancre.

(3) À ce moment précis, supportant mal que les Grecs fassent fi de l'avantage que constitue leur position dans les détroits pour aller se disloquer ville par ville, Thémistocle méditait et tramait l'affaire de Sikinnos.

(4) Quoique Perse de naissance et prisonnier de guerre, ce Sikinnos avait des sympathies pour Thémistocle et il était devenu le précepteur de ses enfants. C'est cet homme que Thémistocle envoie secrètement à Xerxès, en lui enjoignant de dire ceci : « Choisissant de servir les intérêts du Roi, le général des Athéniens, Thémistocle, est le premier à lui annoncer que les Grecs essaient de s'échapper. Il le prie instamment de ne pas les laisser fuir mais, alors même qu'ils sont désorganisés et sans infanterie, de les attaquer et d'anéantir leurs forces navales ».

(5) Xerxès accueillit ce discours comme s'il avait été dicté par la sympathie, s'en réjouit et fit aussitôt donner consigne aux commandants de sa flotte de faire tranquillement le plein des équipages, dans l'ensemble, mais de gagner le large avec deux cents trières pour encercler le détroit et de ceinturer les îles en sorte qu'aucun ennemi ne s'en échappe.

(6) Ce qui se fait. Aristide, fils de Lysimaque, est le premier à le remarquer et se rend à la tente de Thémistocle -- dont il n'est pas l'ami puisque, comme on l'a dit, il avait précisément été ostracisé à cause de lui. Thémistocle vient pourtant au-devant de lui, et Aristide l'informe de leur encerclement.

(7) Conscient, d'une manière générale, de l'éminence morale de cet homme, et admirant en l'occurrence sa présente démarche, Thémistocle lui explique le coup monté avec Sikinnos et le conjure de l'aider à reprendre les Grecs en mains (car c'est à lui, Aristide, qu'ils font surtout confiance) et à leur insuffler le courage de se battre sur mer dans les détroits.

(8) Aristide félicite Thémistocle et va trouver les autres généraux et triérarques pour les inciter au combat. Pourtant, ceux-ci se méfiaient encore ; or voilà qu'apparut, en transfuge, une trière de Ténédos que commandait Panaitios : elle annonce l'encerclement. Alors, contraints par la nécessité, les Grecs s'élancèrent avec ardeur au-devant du danger.

13

(1) Au lever du jour, Xerxès s'installa sur une éminence pour surveiller sa flotte et sa position tactique. C'était, au dire de Phanodème, au-dessus du temple d'Héraclès, là où l'île n'est coupée de l'Attique que par une passe étroite ; en revanche, pour Akestodôros, c'était à la frontière de la Mégaride, au-dessus des « Cornes ». Le Roi, installé sur un siège d'or, avait fait venir quantité de scribes dont la tâche était de consigner le déroulement de la bataille.

(2) Alors que Thémistocle procédait à un sacrifice près du vaisseau amiral, furent amenés trois prisonniers de guerre de très belle apparence, magnifiquement vêtus et parés d'ornements d'or. On disait que c'étaient les fils de Sandakè, la soeur du Roi, et d'Artaÿctès.

(3) Le devin Euphrantidès les vit au moment où, du feu consumant les offrandes sacrées, jaillissait une grande flamme claire, où de surcroît, tel un signe, vint de la droite un éternuement ; tendant à Thémistocle la main droite, le devin l'invita à consacrer ces jeunes gens à Dionysos Ômestès et à les sacrifier tous, en suppliant le dieu : c'est ainsi que les Grecs obtiendraient salut et victoire.

(4) Thémistocle fut épouvanté par l'énormité de ce terrible oracle. Mais la plupart des gens (c'est ainsi d'habitude dans les combats importants et dans les affaires difficiles) espéraient tirer leur salut de l'absurde plutôt que du raisonnable ; d'une seule voix, ils invoquaient le dieu et, amenant les prisonniers à l'autel, ils contraignirent Thémistocle à accomplir le sacrifice comme l'avait ordonné le devin.

(5) Voilà ce qu'en a dit en fait Phanias de Lesbos, un philosophe compétent aussi en littérature historique.

14

(1) Sur l'importance de la flotte barbare, le poète Eschyle, qui devait bien le savoir et l'affirme avec assurance, dit ceci dans sa tragédie des Perses : « Xerxès conduisait, je le sais, une flotte de mille vaisseaux, plus ses navires de vitesse de pointe, deux cent sept : en voilà le compte ».

(2) Chez les Attiques, le contingent était de cent quatre-vingts trières, chacune avait dix-huit combattants de pont, dont quatre étaient des archers et le reste, des hoplites.

(3) Le coup d'oeil de Thémistocle ne fut pas moins bon, semble-t-il, pour décider du moment que du lieu. Il n'eut garde de jeter ses trières proues en avant contre celles des barbares en devançant l'heure habituellement propice, laquelle amène toujours fort vent de mer et houle à travers les détroits : ce qui ne gênait pas les bateaux grecs, peu profonds et assez bas ; tandis qu'en s'abattant sur les vaisseaux barbares aux poupes relevées, haut pontés et lourds à la manoeuvre, ce vent les faisait virer et les présentait de flanc aux Grecs, qui les attaquaient promptement, attentifs à observer Thémistocle parce qu'il voyait parfaitement la manoeuvre nécessaire. C'est donc contre lui que se porta l'amiral de Xerxès, Ariaménès, avec un grand vaisseau d'où il lançait flèches et javelots comme d'un rempart. Cet Ariaménès était un homme de valeur, et de loin le plus fort et le plus juste des frères du Roi.

(4) C'est celui-là que repèrent Ameinias de Décélie et Soclès de Pallènè, qui naviguaient ensemble ; affrontés proue contre proue, les bateaux se heurtent et s'accrochent par leurs éperons de bronze. Ariaménès veut monter à l'abordage dans la trière des Grecs, mais ceux-ci tiennent bon, le frappent de leurs lances et le précipitent à la mer. Artémise reconnut son corps, ballotté avec les autres épaves et le fit rapporter à Xerxès.

15

(1) À ce moment du combat, une grande lumière irradia, dit-on, du côté d'Éleusis ; bruit et rumeur remplissent la plaine de Thria jusqu'à la mer, comme si quantité d'hommes rassemblés faisaient cortège à Iacchos, l'initiateur des mystères. Se dégageant du côté de cette masse criante, un nuage, peu à peu, parut s'élever de la terre puis se retourner et recouvrir les trières.

(2) D'autres crurent voir des fantômes et des figures d'hommes armés en provenance d'Égine, qui levaient les mains devant les trières grecques. On conjectura que c'étaient les Éacides, que des prières avaient appelés au secours avant la bataille.

(3) Lycomédès, un triérarque athénien, fut le premier à capturer un vaisseau ; il en coupa les insignes sur tout le pourtour et les consacra à Apollon Porte-laurier à Phlyées.

(4) Quant aux autres, leur nombre égalait celui des barbares qui se portaient à tour de rôle dans le détroit, y tombaient les uns sur les autres mais résistèrent pourtant jusqu'au soir ; les Grecs les mirent alors en fuite, remportant, comme dit Simonide, cette splendide victoire partout célébrée, plus brillante qu'aucun exploit sur mer jamais réalisé par Grecs et barbares : grâce, assurément, à la vaillance et à l'ardeur de tous les marins, mais grâce aussi à l'adresse avisée de Thémistocle.

16

(1) Après le combat naval, Xerxès, exaspéré par son échec, voulait entreprendre d'amener, au moyen de jetées, son infanterie contre les Grecs à Salamine, après avoir obstrué le détroit en son milieu.

(2) Pour mettre Aristide à l'épreuve, Thémistocle préconisait alors (du moins le feignait-il) de faire voile vers l'Hellespont et de détruire le pont « pour capturer, disait-il, l'Asie en Europe ».

(3) Mais Aristide le prit mal et dit : « Nous avons présentement combattu un barbare qui se prélassait ; mais si nous le verrouillons en Grèce et arrêtons de force, en lui faisant peur, un homme à la tête d'une pareille puissance, il ne va plus, assis sous un dais d'or, contempler tranquillement le combat ! Vu le danger, il va tout oser, être lui-même présent à tout ; il redressera les négligences et prendra dans l'ensemble de meilleures décisions.

(4) Nous ne devons donc pas, Thémistocle, détruire le pont existant mais, si possible, en aménager un autre et rejeter un peu vite cet homme-là hors d'Europe. » -- « Soit, dit Thémistocle, si telle est la solution qui vous semble la plus profitable, c'est le moment d'examiner tous ensemble les moyens de lui faire au plus vite quitter la Grèce ».

(5) Comme cette idée semblait bonne, Thémistocle dépêcha l'un des eunuques royaux du nom d'Arnakès, qu'il avait repéré parmi les prisonniers de guerre, en lui enjoignant d'expliquer au Roi que les Grecs ont décidé -- grâce à leur flotte, c'est eux qui sont les maîtres -- de faire voile vers l'Hellespont jusqu'au pont de bateaux et de le détruire ; pourtant, dans l'intérêt du Roi, Thémistocle lui conseille de regagner ses propres eaux et de repasser en Asie, le temps que lui-même cause quelques retards aux alliés et suscite des délais à leur poursuite.

(6) En entendant cela, le barbare est assailli de craintes et se met à organiser rapidement la retraite. La prudence de Thémistocle et d'Aristide devait être mise à l'épreuve avec Mardonios, puisque les Perses qui se battirent à Platées avec une infime partie des forces de Xerxès mirent en danger toutes celles des Grecs.

 

Grandeur, sagesse et humour de Thémistocle (17-18)

17

(1) De toutes les cités, c'est celle des Éginètes qui, d'après Hérodote, fut la plus vaillante au combat ; mais c'est à Thémistocle que tous décernèrent le premier prix, bien que de mauvais gré, car on le jalousait.

(2) Aussi bien, quand les généraux, retirés à l'Isthme, prirent leur jeton de vote sur l'autel, chacun se proclama lui-même le premier en vaillance, et Thémistocle, le second après lui !

(3) De leur côté, les Lacédémoniens firent venir à Sparte Eurybiade et lui accordèrent le prix de la vaillance, tandis qu'ils donnaient à Thémistocle celui de la sagesse -- c'était à chaque fois une couronne d'olivier. Ils firent aussi présent à Thémistocle du meilleur des chars de la ville, et un cortège de trois cents jeunes gens l'escorta jusqu'aux frontières.

(4) Lors des Jeux olympiques suivants, une fois Thémistocle entré dans le stade, les assistants ne prêtèrent aucune attention, dit-on, aux athlètes mais, toute la journée, n'eurent d'yeux que pour lui ; ils le montraient aux étrangers, l'admiraient et l'applaudissaient au point que lui-même, tout joyeux, reconnaissait avec ses amis qu'il recueillait le fruit des efforts qu'il avait consentis pour la Grèce.

18

(1) C'est qu'il était par nature extrêmement porté aux honneurs, s'il faut en juger par les traits dont on a conservé le souvenir. Choisi par sa cité comme amiral, il ne traitait aucune affaire privée ou publique au coup par coup, mais reportait toutes celles qui se présentaient jusqu'au jour où il allait mettre à la voile : ainsi avait-il l'intention de paraître grand et immensément puissant, à force de faire quantité de choses à la fois et de fréquenter des gens de toute sorte.

(2) Observant les morts échoués au bord de la mer, il en vit qui portaient des bracelets d'or et des anneaux ; tout en passant lui-même son chemin, il les montra à un ami qui le suivait : « Prends pour toi, dit-il, car toi, tu n'es pas Thémistocle ! »

(3) À un jeune beau, Antiphatès, qui avait jadis fait le dédaigneux avec lui mais, impressionné par sa gloire, se montrait par la suite plein de sollicitude : « Jeune homme, dit-il, c'est un peu tard... mais nous avons tous deux acquis du bon sens en même temps ! »

(4) Les Athéniens, disait-il, ne l'honoraient et ne l'admiraient pas pour lui-même mais, en cas de danger, ils accouraient comme des gens battus par la tempête s'abritent sous un platane, quitte à l'effeuiller et à l'élaguer une fois le beau temps revenu.

(5) Et quand l'homme de Sériphos lui dit que ce n'était pas par lui-même mais grâce à sa cité qu'il avait acquis son renom, Thémistocle de répondre : « Tu dis vrai, mais pas plus que je ne serais devenu célère si j'étais de Sériphos, toi, pas davantage, si tu étais d'Athènes ! »

(6) Un autre, l'un des stratèges, qui estimait avoir fait acte utile pour la cité, s'en pavanait devant Thémistocle, en mettant en parallèle ses propres actions et celles de Thémistocle ; et ce dernier de répondre : « Le lendemain du jour de fête cherchait querelle à ce dernier : « Toi, dit-il, tu es rempli d'occupations, tu es fatigant, tandis qu'avec moi tout le monde jouit bien à l'aise de ce qui a été préparé » ; à quoi le jour de fête rétorqua : « Tu dis vrai ; seulement, si je n'avais pas eu lieu, toi, tu n'existerais pas ! » -- « De même avec moi, dit Thémistocle : si je n'avais pas existé à l'époque, où en seriez-vous aujourd'hui, vous autres ? »

(7) De son fils, qui se jouait de sa mère et, à travers elle, de son père aussi, Thémistocle disait par plaisanterie : « Ce gaillard est le plus puissant des Grecs : car ce sont les Athéniens qui dirigent les Grecs, moi-même qui dirige les Athéniens mais suis dirigé par sa mère, et lui qui la dirige, elle ! »

(8) Thémistocle entendait être original en toutes choses : mettant en vente un terrain, il enjoignait au crieur public de proclamer qu'il avait même un bon voisin...

(9) Des prétendants demandent sa fille en mariage ; il choisit l'homme convenable plutôt que le riche, en disant qu'il cherche plutôt un homme dépourvu d'argent que de l'argent dépourvu d'homme ! Voilà donc quel genre d'homme il était dans ses reparties.

 

Les débuts de l'impérialisme maritime d'Athènes (19-21,2)

19

(1) Après ces hauts faits, il se met tout de suite à reconstruire et à fortifier la ville ; comme le relate Théopompe, il achète les éphores pour ne pas être contré par eux (mais la très grande majorité des historiens disent qu'il les dupa).

(2) Il vint à Sparte en s'étant fait inscrire au titre d'ambassadeur. Comme les Spartiates reprochaient aux Athéniens de fortifier leur ville, Polyarchos fut dépêché tout exprès d'Égine pour en accuser Thémistocle ; lui niait et invitait les Lacédémoniens à envoyer à Athènes leurs observateurs. C'est qu'il voulait tirer parti de ce retard : à la fois gagner du temps pour la construction des remparts et mettre aux mains des Athéniens les délégués spartiates en contrepartie de sa propre personne.

(3) C'est effectivement ce qui arriva ; quand ils connurent la vérité, les Lacédémoniens ne lui infligèrent nul dommage mais, bien que secrètement furieux, ils le renvoyèrent. Après cela, il aménagea le Pirée, parce qu'il avait repéré l'excellente qualité de ses ports et qu'il s'efforçait de relier tout l'ensemble urbain à la mer -- c'était là, d'une certaine façon, une politique opposée à celle des anciens rois d'Athènes.

(4) Ces derniers, à ce qu'on dit, se sont employés à détourner les citoyens de la mer, pour les accoutumer à vivre, non de la navigation mais de l'agriculture, et ils ont diffusé le récit d'après lequel Athéna, qui disputait le pays à Poséidon, avait triomphé en montrant aux juges l'olivier sacré. Quant à Thémistocle, contrairement à ce que dit Aristophane le Comique, il n'a pas « pétri le Pirée » avec la ville, mais il a attaché la ville au Pirée et la terre, à la mer.

(5) Il a ainsi renforcé le peuple contre les nobles et l'a rempli d'audace, une fois le pouvoir dévolu aux marins, aux commandants de la chiourme et aux pilotes.

(6) C'est exactement pour cette raison que, plus tard, les Trente  firent retourner en direction de la terre la tribune construite sur la Pnyx avec orientation vers la mer ; ils croyaient que l'empire maritime est générateur de démocratie, tandis que les agriculteurs s'accommodent moins mal de l'oligarchie.

20

(1) Pour assurer la puissance maritime de sa cité, Thémistocle imagina un dispositif supérieur encore. La flotte grecque, une fois Xerxès éloigné, avait débarqué à Pagases pour y passer l'hiver ; Thémistocle, s'adressant aux citoyens athéniens, affirma qu'il nourrissait un projet utile et salutaire pour eux, mais à ne pas divulguer à la masse.

(2) Les Athéniens le prient de l'exposer au seul Aristide et, si celui-ci marque son accord, de faire aboutir l'affaire. Thémistocle exposa alors à Aristide son projet d'incendier l'arsenal grec. Sur quoi Aristide, allant au-devant du peuple, dit qu'il n'est pas de projet plus utile et en même temps plus inique que celui de Thémistocle ! Raison pourquoi les Athéniens ordonnèrent à celui-ci d'y renoncer.

(3) Dans les Conseils des Amphictyons, les Lacédémoniens proposent que soient exclues de l'Amphictyonie les cités qui n'ont pas participé au combat de tous contre le Mède. Thémistocle redoute qu'en chassant du Conseil Thessaliens, Argiens et même Thébains, les Spartiates ne deviennent totalement maîtres des votes et que les décisions leur reviennent ; il intervient en faveur de ces cités et fait changer d'avis les pylagores en leur démontrant que seules trente et une cités ont participé à la guerre, et que la très grande majorité d'entre elles sont de toutes petites villes.

(4) Il est donc à craindre que, si l'on exclut le reste de la Grèce, le Conseil soit aux mains de deux ou trois grands Etats. Par là, Thémistocle choqua très vivement les Lacédémoniens ; c'est bien pourquoi ils poussèrent Cimon aux honneurs, en faisant de lui l'adversaire de Thémistocle sur la scène politique.

21

(1) A force de circuler à travers les îles pour en soutirer de l'argent, Thémistocle se rendit odieux aux alliés. Voici par exemple, d'après Hérodote, ce qu'il dit aux gens d'Andros en leur réclamant de l'argent, et comment ceux-ci l'entendirent.

(2) Il leur affirma qu'il venait en compagnie de deux divinités, Persuasion et Force. Sur quoi, les Andriens affirmèrent qu'il y avait aussi chez eux deux grands dieux, Pauvreté et Indigence, qui les empêchaient de lui donner de l'argent !

 

Thémistocle critiqué et ostracisé (21,3-22)

 

(3) Timocréon de Rhodes, le poète lyrique, s'en prend assez aigrement à Thémistocle dans une chanson : cet homme-là a combiné, dit-il, de faire rentrer d'autres exilés, en leur réclamant le prix fort, mais moi, son hôte et son ami, pour une question d'argent, il m'a laissé de côté.

(4) Voici le texte :

Toi, tu loues Pausanias, Xanthippe, Léotychidas : soit. Mais moi, je célèbre Aristide, l'homme excellent entre tous, venu d'Athènes la sainte.
Car Létô déteste Thémistocle, menteur, injuste, traître qui, gagné à coups de piécettes d'argent, n'a pas ramené Timocréon, son hôte, dans sa patrie Ialysos.
Avec trois pièces d'argent, il est venu voguer pour notre ruine, ramenant injustement les uns, exilant les autres, et d'autres encore, les tuant.
Plein d'argent, à l'Isthme, il tenait auberge -- ridiculement -- , en offrant des viandes froides : on les mangeait... en souhaitant qu'au grand jamais n'arrive l'heure de Thémistocle !

(5) Timocréon lance une malédiction beaucoup plus violente encore et plus ouverte contre Thémistocle après la fuite et la condamnation de celui-ci, dans une chanson dont voici le début :

(6)

Muse, du chant que voici,
diffuse le renom parmi les Grecs,
ainsi qu'il est convenable et équitable.

(7) Timocréon fut banni comme gagné, dit-on, au parti mède, Thémistocle ayant voté contre lui. Lors donc que Thémistocle encourut lui-même un reproche semblable, Timocréon composa contre lui ceci :

Timocréon n'est donc pas seul à pactiser avec les Mèdes ; il y a, pour sûr, encore d'autres méchants...
je ne suis pas le seul renard à queue coupée, il en est d'autres encore.

22

(1) Dorénavant, même ses concitoyens, mus par l'envie, accueillaient avec plaisir ces calomnies, tandis que Thémistocle devenait forcément ennuyeux, à rappeler trop souvent ses hauts faits devant le peuple. Et de dire à ceux qui s'en irritaient : « Eh ! quoi, cela vous gêne de vous trouver fréquemment obligés par les mêmes personnes ? »

(2) Il déplut aussi au peuple en fondant le sanctuaire d'Artémis qu'il surnomma Aristoboulè pour suggérer qu'il avait lui-même donné d'excellents conseils à sa cité et aux Grecs ; il établit ce sanctuaire près de sa maison, à Mélitè, là où les exécuteurs jettent aujourd'hui les corps des condamnés à mort et transportent les hardes et les cordes des pendus et des suicidés.

(3) Il y avait -- et encore à notre époque --, dans le temple d'Aristoboulè une petite statue de Thémistocle : il a vraiment l'air de quelqu'un d'héroïque, non seulement d'âme, mais aussi d'apparence.

(4) Cherchant à rabaisser sa valeur et sa supériorité, les Athéniens le frappèrent d'ostracisme : c'était leur habitude avec tous les hommes dont la puissance leur pesait et qui dépassaient, à leur avis, la mesure d'une égalité démocratique.

(5) Car l'ostracisme n'était donc pas un châtiment : ce n'était au fond qu'un encouragement et un apaisement accordé à l'envie -- cette envie qui trouve plaisir à abaisser les hommes par trop éminents et qui exhale sa malveillance en leur infligeant cette marque d'indignité.

[Suite de la traduction]


NOTES

dème (1, 1)  : Subdivision territoriale en même temps qu’association civique, le dème regroupe les citoyens en une sorte de commune jouissant d’une relative indépendance au sein de l’État. Depuis Clisthène qui, à la fin du VIe siècle, avait donné à Athènes sa constitution démocratique, le territoire de l’Attique était réparti en 139 dèmes, dans lesquels les jeunes gens s’inscrivaient obligatoirement dès leur majorité légale, à dix-huit ans, et auxquels l’appartenance était héréditaire.

Habrotonon (1,1) : nom d'esclave et de courtisane. Thémistocle n'était donc pas « de bonne famille » : à-demi Athénien seulement, par son père, et encore celui-ci était-il d'origine modeste.

Phanias (1,2) : ou, sous la forme lesbienne de son nom, Phainias. Originaire d'Érésos (Lesbos), ce compatriote et ami de Théophraste, fut comme ce dernier disciple d'Aristote ; d'une curiosité encyclopédique, Phanias est volontiers cité par Plutarque et salué par lui ici même (Thémistocle, 13, 5) comme un « philosophe compétent dans le domaine historique ». Les fragments conservés de son oeuvre le font considérer comme un représentant de l'histoire moralisante à la manière péripatéticienne. Cité aussi en 7, 7.

Néanthe (1,2) : originaire de Cyzique, cet historien du IIIe siècle a.C. est l'auteur d'une Histoire grecque, de deux ouvrages sur Cyzique dans les périodes légendaire et historique, ainsi que d'une série de biographies Des hommes illustres.

Cynosarge (1,3) : dans ce lieu-dit, au sud-est d'Athènes, se trouvait un gymnase « de seconde zone », que ne fréquentait pas la belle clientèle -- le présent témoignage de Plutarque est confirmé par d'autres sources. C'est dans ce quartier que les Athéniens viendront camper après la bataille de Marathon, tandis que la flotte perse s'ancrait dans la rade de Phalère (Hérodote, VI, 116).

Lycomides (1,4) : cette grande famille (γένος) sacerdotale d'Attique était installée dans le dème (supra) de Phlyées, au nord-est d'Athènes ; elle y avait fait ériger une chapelle de famille où se célébrait un culte initiatique aux mystères de la Grande Déesse, Déméter. Ce sanctuaire fut incendié par les Perses en 480 et Thémistocle fit procéder à sa restauration, ce qui ne constitue évidemment pas une preuve objective de son appartenance à l'illustre famille. Plutarque avait sans doute vu personnellement ce sanctuaire, où Lycomédès, le premier des Grecs qui captura un vaisseau perse, avait dédié les insignes du vaincu : exploit que Plutarque situe à Salamine (Thémistocle, 15, 3), tandis qu'Hérodote le localise à l'Artémision (Hérodote, VIII, 11).

Simonide (1,4) : l'un des plus grands représentants du lyrisme choral, noté pour sa rare longévité (556-447), ce poète célèbre à Athènes comme en Thessalie et en Sicile, concurrent d'Eschyle, était en relations personnelles avec Thémistocle (5, 6-7).

Stésimbrote (2,5) : de Thasos (fin du Ve siècle a.C.) fit carrière à Athènes, comme homérisant et comme biographe. Il avait rédigé sur (mais très probablement contre) Thémistocle et Périclès un ouvrage dont seul le titre nous est parvenu. Plutarque critique ici l'inexactitude de sa chronologie. Cité aussi en 4,5.

Anaxagore (2,5) : philosophe ionien (500-428), originaire de Clazomènes en Lydie, ce célèbre représentant de l'éclectisme présocratique vécut à Athènes au temps de Périclès mais en fut banni à la suite d'un procès d'impiété. Il attribuait le mouvement ordonnateur du monde à une « Intelligence » indépendante, le fameux νοῦς d'Anaxagore.

Mélissos (2,5) : de Samos, philosophe présocratique appartenant, comme Parménide, à l'école d'Élée, mais aussi général qui vainquit les Athéniens lorsque Périclès vint mettre le siège devant Samos révoltée (441/40). Sur le nom de physicien que lui donne Plutarque, cf. infra, note à 2, 6.

Mnésiphilos (2,6) : originaire de Phréarrhes, donc du même dème que Thémistocle (1, 1), qui fut son disciple, Mnésiphilos est mentionné plusieurs fois par Plutarque dans les Moralia. Hérodote le représente comme ayant adjuré Thémistocle de s'opposer à la dislocation de la flotte grecque avant Salamine.

physiciens (2,6) et sophistes (2,6) : jusqu'au milieu du Ve siècle a. C., les philosophes grecs s'étaient attachés surtout à définir la réalité profonde, le principe qui produit et fait évoluer les choses, soit la φύσις; c'est à quoi s'employèrent, par des voies de recherche spéculative, les diverses écoles présocratiques. Aux environs de 450 intervient dans le monde grec une révolution intellectuelle générée par des facteurs politiques et sociaux ; l'individualisme et le besoin de spécialisation scientifique et technique font naître la sophistique, dont les objectifs immédiats s'avouent pragmatiques.

Solon (2,6) : figure emblématique à l'horizon de la Grèce archaïque, Solon (c. 640-560) apparaît à la fois comme le législateur inspiré et le premier poète d'Athènes. Compté au nombre des sept sages de la Grèce, sa pensée politique novatrice et son lyrisme généreux ont particulièrement retenu l'attention de Plutarque, qui a rédigé sa biographie (Vie de Solon) et l'évoque volontiers dans les Moralia.

Aristide (3,1) : contemporain de Thémistocle mais son aîné, Aristide « le Juste » (c. 540 - c. 468) apparaît personnellement et politiquement comme l'antithèse de celui-là. Aristide est d'origine et de tendances aristocratiques, loyal, intègre, désintéressé, en désaccord sur tous les points avec son rival Thémistocle, roturier arriviste, peu scrupuleux, très soucieux de sa gloire et de son enrichissement personnel. Dans les biographies qu'il a consacrées à l'un et à l'autre personnage, Plutarque souligne cette opposition fondamentale de leurs tempéraments. Naturellement moins contrastée que celle de son rival, la carrière d'Aristide est, aux yeux du moraliste, exemplaire à bien des égards. Combattant à Marathon, à Salamine, à Platées, Aristide participe activement à la vie politique d'Athènes, y exerce l'archontat, se soumet (483) à un ostracisme inspiré par Thémistocle. D'autre part, c'est lui qui fixera au départ le montant du tribut imposé aux membres de la Ligue de Délos (Thucydide, V, 19 ; Plutarque, Aristide, 24, 1). Cfr aussi 11, 1.

Ariston (3,2) : il s'agit sans doute d'Ariston de Céos, directeur (scholarque) de l'école péripatéticienne vers la fin du IIIe siècle a.C. ; compatriote du beau Stésiléos, Ariston a pu fournir la présente anecdote à Plutarque, qui en fait également état dans sa Vie d'Aristide, 2, 3-4.

Miltiade (3,4) : commandant héroïque des marathonomaques (« combattants de Marathon »), cet aristocrate athénien avait été en charge du gouvernement tyrannique de la Chersonèse de Thrace, donc vassal du roi de Perse, Darios Ier. Ayant soutenu la révolte de l'Ionie, il prend parti pour la cause grecque, est élu au nombre des dix stratèges athéniens et sera l'artisan de la victoire remportée sur les Perses à Marathon (490) par quelques milliers de paysans-hoplites athéniens épaulés par leurs alliés platéens.

Marathon (3,5) : dème important sur la  côte N.-E. de l'Attique. La plaine de Marathon, à une quarantaine de kilomètres d'Athènes, fut à jamais immortalisée par la victoire emblématique de 490, qui conféra à Athènes un immense prestige.

Laurion (4,1) : le site du Laurion, à l'extrémité S.-E. de l'Attique, constitue un exemple significatif d'exploitation minière, dont l'importance pour l'économie athénienne du Ve siècle, déjà soulignée par Thucydide et par Xénophon, a été largement confirmée par l'investigation archéologique. Ses mines de plomb argentifère, qui s'étendaient depuis le cap Sounion jusqu'au village de Thorikos, comportaient des puits descendant jusqu'à 120 mètres de profondeur et pourvus d'un dispositif d'aérage, un système de galeries horizontales à deux étages, des bassins de décantation très intelligemment aménagés. Ces mines appartiennent à l'État qui, moyennant adjudication, accorde, suivant des conventions variables (cf. Aristote, Constitution d'Athènes, 47), des concessions aux citoyens riches ; les droits et devoirs des parties sont garantis par la loi, et les conflits, réglés lors de procès dont les archontes saisissent un tribunal particulier. La main-d'oeuvre servile affectée au Laurion travaille dans des conditions si rudes qu'elles ont suscité à plusieurs reprises désertions (cf. Thucydide, VII, 27, 5) et révoltes (Athénée, VI, 272 f) ; quant à son importance démographique, il est très difficile d'avancer une estimation : pour le Ve siècle, les chiffres vont de 10.000 à 30.000 (cf. par exemple C.E. Conophagos, Le Laurion antique et la technique grecque de la production de l'argent, Athènes 1980, p. 105 et 349). -- La régularité à Athènes de cette pratique du partage (διανομή) des revenus miniers a été très discutée par les critiques modernes ; elle est en tout cas attestée pour Siphnos dès avant 524.

Éginètes (4,1) : en 488/87 s'était déroulée entre Athènes et Égine une guerre dans laquelle les insulaires avaient eu le dernier mot ; ce qui fournit à Thémistocle, quatre ans plus tard, un prétexte pour proposer ce qu'on appelle improprement sa « loi navale » (il s'agit en fait de deux décrets, ψηφίσματα, d'application temporaire). Mais en fait les trières construites avec les revenus miniers ne servirent pas contre Égine, puisque les deux États renoncèrent à leur guerre larvée, au nom de l'intérêt supérieur de la Grèce.

Darios (4,2) : il s'agit de Darios Ier (522-486). Le royaume perse des Achéménides avait été fondé par Cyrus II, à qui succéda son fils Cambyse ; Darios, issu d'une branche collatérale des Achéménides, s'imposa non sans difficultés comme successeur de Cambyse et fut le grand administrateur d'un vaste empire disparate. La révolte de l'Ionie et le raid athénien responsable de l'incendie de Sardes (498) ont souvent été considérés comme l'origine de la première guerre « médique » (en fait gréco-perse), déclenchant successivement la chute de Milet, la mainmise perse sur la Thrace côtière puis sur la Macédoine, l'échec d'une première expédition conduite par Mardonios, gendre de Darios, enfin l'affrontement de Marathon.

cent trières (4,3) : ce chiffre de cent, fourni par Plutarque, est étayé par Aristote (Constitution d'Athènes, 22, 7) et repris par d'autres sources ; Hérodote, en revanche (VII, 144), affirme qu'en renonçant au partage (διαίρεσις) de leurs revenus miniers, les Athéniens purent construire deux cents trières. L'apparente disparate numérique tient simplement au fait qu'Hérodote a globalisé les revenus du Laurion proprement dit et ceux du filon récemment exploité dans le district de Maronée. Cf. là-dessus J. Labarbe, La loi navale de Thémistocle, Paris, Les Belles Lettres, 1957, p. 37-42.

Xerxès (4,3) : fils de Darios et d'Atossa, Xerxès régna de 486 à 465 et fut assassiné par Artaban (cf. 27, 2). Sa défaite à Salamine est puissamment évoquée dans Les Perses par Eschyle, témoin oculaire d'un exploit qui devait marquer à jamais la mémoire hellénique.

Platon (4,4) : allusion à un passage célèbre des Lois (IV, 706 c) que Plutarque cite volontiers (cf. aussi Vie de Philopoemen, 14, 3). Non sans prudence, Plutarque renvoie aux philosophes (4, 5) l'appréciation éthique du bouleversement socio-politique qu'avait introduit Thémistocle en transformant l'infanterie athénienne en marine. Socrate formulait là-dessus un jugement très négatif, en condamnant avec ironie « les Thémistocle, les Cimon, les Périclès de qui vient tout le mal » (Platon, Gorgias, 519 a).

Stésimbrote (4,5) : de Thasos (fin du Ve siècle a.C.) fit carrière à Athènes, comme homérisant et comme biographe. Il avait rédigé sur (mais très probablement contre) Thémistocle et Périclès un ouvrage dont seul le titre nous est parvenu. Plutarque critique ici l'inexactitude de sa chronologie. Cité aussi en 2, 5.

Mardonios (4,6) : gendre de Darios, chargé par celui-ci de mater la révolte de l'Ionie (c. 492), Mardonios rétablit le contrôle perse sur la Thrace méridionale. C'est lui qui, malgré la destruction de sa flotte par une tempête au Mont Athos et d'une grande partie de son infanterie par les Brygiens de Macédoine, inspira à Xerxès le projet d'une formidable expédition destinée à abattre la Grèce. Au lendemain de sa défaite navale à Salamine, Xerxès se retira en Asie, laissant Mardonios en Grèce à la tête d'une immense armée (trois cent mille hommes) ; après avoir vainement essayé de détacher Athènes de l'alliance grecque, Mardonios dut livrer en 479 à Platées (Béotie) une bataille où il fut défait et tué.

Diphilidès (5,2) : personnage inidentifiable.

Hermionè (5,3) : cité péloponnésienne sur la côte S.-E. de l'Argolide ; le cithariste Épiclès n'est pas autrement connu.

Cimon (5,4) : fils de Miltiade, le vainqueur de Marathon (supra, note à 3, 4) et d'une princesse thrace, Cimon (c. 510-449) combattit à Salamine, exerça une stratégie qui lui valut à Athènes les plus grands honneurs et fut l'auxiliaire d'Aristide dans l'organisation de la Ligue de Délos. Après la mort d'Aristide, alors que Thémistocle était ostracisé, Cimon se trouva tout-puissant à Athènes. C'est lui qui enlèvera aux Perses les côtes d'Asie Mineure (465 : victoire de l'Eurymédon), avant de se faire à son tour ostraciser comme anti-démocrate et pro-lacédémonien. Dans sa Vie de Cimon, Plutarque ne nie pas le côté « viveur » du personnage, mais il admire sa bravoure, son intelligence, et son usage très généreux d'une fortune honorablement acquise. Il sera encore question de ce personnage infra en 20, 4.

chorège (5,5) : La chorégie est un service public imposé aux citoyens fortunés et qui consiste à assumer tous les frais (présentation du choeur et des acteurs) des représentations théâtrales. Cfr Plutarque, Alcibiade, 16, 4 et Théophraste, Caractères, 22, 2.

Phrynichos (5,5) : Phrynichos le tragique, l'un des plus anciens poètes athéniens, dramaturge inventif et volontiers séduit par des sujets historiques, avait écrit La prise de Milet [par Darios], pièce restée célèbre, ainsi que des Phéniciennes (peut-être la source d'Eschyle pour ses Perses) qui pourraient avoir remporté le prix du concours tragique de 476, organisé par Thémistocle en fonction de chorège.

Adeimantos (5,5) : ce nom fournit une date précise pour l'inscription : l'archontat d'Adeimantos date de 477/76, soit trois ans après Salamine.

Simonide (5,6) : Simonide aurait inventé une méthode mnémotechnique qu'il offrit d'enseigner à Thémistocle (cf. par exemple Pline, Histoire naturelle, VII, 24). Sur Simonide, cfr aussi 1,4 et 15,4.

ostraciser (5,7) : Cette institution célèbre de l'ostracisme est la mesure par laquelle, dans l'Athènes du Ve siècle, l'Assemblée du peuple (ἐκκλησία) exile pour dix ans un citoyen suspect de troubler l'ordre et donc jugé dangereux ; le vote se fait au moyen de tessons (ὄστρακον « tesson ») sur lesquels on inscrit le nom du citoyen ainsi mis en cause. Sur l'ostracisme d'Aristide, cf. infra 22, 4 et Plutarque, Vie d'Aristide, 7.

Épicydès (6,1) : personnage mentionné par le seul Plutarque, avec une appréciation éthique qui suggère une source de la fin du IVe siècle a.C. (peut-être Théopompe).

la terre et l'eau (6,3) : expression imagée en cours dans l'usage de la diplomatie perse et signifiant une demande de soumission.

Arthmios (6,4) : cette « affaire » était encore commentée au IVe siècle ; les orateurs attiques Démosthène, Eschine, Dinarque y font largement allusion, pour louer le patriotisme intègre des temps anciens et pour dénoncer, par contraste, la vénalité de l'époque contemporaine. Zéléia est une ville du N. de la Phrygie, région qui, avant 476, avait été sous contrôle perse, pour adhérer ensuite à la Ligue maritime d'Athènes. D'après Plutarque, qui sur ce point relaie Eschine, Arthmios était proxène d'Athènes, sorte de consul chargé par un État d'assurer à l'étranger la protection de ses résidents. La proxénie était une haute distinction, que la cité athénienne retira à Arthmios aux termes d'un décret d'atimie (indignité civique) l'accusant d'avoir « fait passer en Grèce l'or des Mèdes » -- c'est-à-dire qu'il avait sans doute acheminé dans le Péloponnèse des fonds perses destinés à activer une propagande anti-athénienne. Ce décret d'atimie, en fait, ne doit pas remonter à Thémistocle mais beaucoup plus vraisemblablement à Cimon (457 ou 456), ainsi que l'a démontré G. Colin, La déformation d'un document historique dans une argumentation d'orateur dans Revue de Philologie, 7 (1933), p. 237 ss.

Cheiléos (6,5) : s'agit-il du Cheiléos de Tégée dont Hérodote (IX, 9) signale l'activité en 479 à Sparte, où il conseille aux éphores d'accepter les propositions des Athéniens pour éviter que ces derniers se tournent vers une alliance perse ? Cette identification est discutée.

Tempè (7,2) : la formidable armée de Xerxès, une fois l'Hellespont franchi, descendit sans guère rencontrer de résistance à travers la Thrace et la Macédoine. La vallée de Tempè, au défilé qui de la basse Macédoine conduit en Thessalie en suivant le couloir creusé par le fleuve Pénée, avait d'abord été le lieu de rassemblement des forces grecques -- dix mille hoplites auxquels se joignit la cavalerie thessalienne. Mais, avertis que Xerxès s'apprêtait à pénétrer en Thessalie par un autre accès, celui de la haute Macédoine, les Grecs se rembarquèrent en direction de l'Isthme et les Thessaliens, se voyant abandonnés, embrassèrent avec ardeur le parti des Mèdes (Hérodote, VII, 173). Les Athéniens se préparent alors à couper l'avance de l'ennemi par mer, tandis que les Lacédémoniens tenteront de l'arrêter sur terre -- ce sera l'inutile exploit des Thermopyles (9, 1).

Artémision (7,2) : l'héroïque (et indécise) bataille du cap Artémision, sur la côte septentrionale de l'Eubée, va opposer la flotte grecque à la flotte perse durant les jours mêmes où se déroulait le combat terrestre des Thermopyles, à l'été 480.

Eurybiade (7,3) : cet amiral lacédémonien sera en charge du plus haut commandement de la flotte grecque à l'Artémision et à Salamine. Pourtant, lorsqu'il avait appris l'héroïque défaite des Thermopyles, Eurybiade avait d'abord décidé de se replier vers le Péloponnèse, abandonnant l'Eubée et ouvrant ainsi aux Perses la mer après la terre ; c'est alors que Thémistocle, en lui offrant « une forte somme » (5 talents) prélevée sur l'énorme subside (30 talents) que lui avaient offert à lui-même les Eubéens afin d'obtenir sa protection (Hérodote, VIII, 2 et 4), sut forcer le Spartiate à livrer bataille dans les passes resserrées du détroit de Salamine où la flotte perse ne parvint pas à manoeuvrer. Voir aussi 11, 2, et 17,3.

Aphètes (7,5) : promontoire du S.-O. de la Magnésie, presque en face du cap Artémision.

Skiathos (7,5) : petite île du N.-O. de la mer Égée, entre l'avancée méridionale de la péninsule de Magnésie et le Nord de l'Eubée.

Pélagon (7,5) : ce nom n'est pas cité par Hérodote qui rapporte les mêmes faits (VIII, 4).

Hérodote (7,6) : cf. supra, note à 7, 3.

Architélès (7,6) : l'expression triérarque du vaisseau sacré semblerait à première vue indiquer qu'Architélès était capitaine de l'aviso athénien officiel, la Paralos. Mais l'institution de la triérarchie, charge officielle (liturgie) consistant à commander et à assurer partiellement l'entretien d'une trière pourrait bien être plus récente : l'anachronisme suffirait à rendre suspecte l'anecdote ici rapportée par Plutarque, qui l'emprunte à Phanias -- mais la source de celui-ci est inidentifiable.

talent (7,7) : unité monétaire la plus considérable, le talent vaut 6000 drachmes.

Phanias (7,7) : sur ce personnage, voir supra, 1, 2 et la note. Il est également cité en 13, 5.

Pindare (8,2) : ce fragment suggestif d'un dithyrambe de Pindare (fgt 6 dans l'édition A. Puech, Paris, Les Belles Lettres, t. IV, [1923], p. 154 = fgt 93 dans l'éd. A. Turyn, Pindari carmina cum fragmentis, Cracovie, 1948) est plusieurs fois cité dans les Moralia (cf. À la gloire des Athéniens, 350 A ; Sur les délais de la justice divine, 552 C ; La méchanceté d'Hérodote, 867 C).

Philoctète (8,3) : héros expert à l'arc, Philoctète apparaît en effet dans le Catalogue des vaisseaux de l'Iliade (II, 717 ss.) comme le chef des sept nefs montées par les guerriers de l'âpre Olizon, site de l'extrême sud de la presqu'île de Magnésie. Détenteur de l'arc et des flèches d'Héraclès, Philoctète avait quitté la Magnésie pour participer à la guerre de Troie ; son pied gravement blessé lors d'une escale le rendant intransportable, les Grecs l'abandonnèrent au passage dans l'île de Lemnos, où il vécut dix ans solitaire, en proie à de grandes souffrances -- tel est le sujet de la tragédie de Sophocle, Philoctète. Tenus en échec devant Troie durant ces dix années, les Achéens apprirent qu'ils ne s'empareraient de la ville qu'une fois munis des flèches d'Héraclès ; une ambassade se rendit donc à Lemnos pour décider Philoctète à rejoindre les Grecs, ce que le héros accepta finalement. Après la guerre de Troie, Philoctète guéri connut d'autres aventures, notamment dans le Sud de l'Italie, où il aurait fondé plusieurs villes.

Orientale (8,4) : cette épiclèse est confirmée par une inscription retrouvée vers la fin du XIXe siècle dans les vestiges de ce sanctuaire ; les détails concrets de la description fournie ici par Plutarque semblent indiquer que l'historien avait personnellement visité les lieux.

élégie (8, 5) : ce double distique élégiaque, attribué à Simonide (fgt 164 éd. J. M. Edmonds, Lyra Graeca, coll. Loeb, t. II, 2e éd., 1964) est encore cité par Plutarque dans La méchanceté d'Hérodote, 867 F.

Thermopyles (9,1) : la Thessalie, qu'avait traversée l'armée perse, n'est séparée de la Locride que par un étroit défilé entre mer et montagnes, les Thermopyles (littéralement « Portes chaudes »), que les Spartiates décidèrent de bloquer à tout prix. Leur roi Léonidas, à la tête de 300 hoplites, tint la position pendant deux jours jusqu'à ce que les Perses, informés par un transfuge, Éphialte, parviennent à doubler le défilé. Pris à revers, les Spartiates se firent massacrer jusqu'au dernier, fidèles à leur serment de vaincre ou de mourir . Une inscription célèbre commémora leur exploit : « Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts ici pour obéir à ses lois » (Hérodote, VII, 228).

machine (10,1) : dans la partie haute de la scène (σκηνή) faisant face aux gradins destinés au public était installé un appareil élévatoire (αἰώρημα) souvent appelé machine (μηχανή). Cette machine se composait simplement d'un treuil et de câbles à l'extrémité desquels étaient fixés les supports -- chevaux ailés, chars volants, etc. -- faisant flotter, monter ou descendre les personnages de la pièce. L'expression deus ex machina est passée en proverbe, suggérant communément une intervention inattendue et décisive. Sans doute introduit par Eschyle mais abandonné par Sophocle, ce dispositif, parodié par Aristophane, fut en tout cas utilisé pour le théâtre d'Euripide.

serpent (10,1) : d'après Hérodote (VIII, 41), les Athéniens prétendaient qu'un grand serpent, gardien de l'Acropole, résidait « à l'intérieur du temple » (sans doute l'Erechtheion). Ils lui offraient régulièrement un gâteau de miel, qui était toujours consommé, sauf dans la circonstance présente, où il demeura intact. Les gens crurent alors que la déesse avait abandonné l'Acropole, et ils quittèrent hâtivement la ville.

l'oracle (10,3) : Hérodote raconte longuement (VII, 140 ss.) l'histoire du double oracle rendu par la Pythie de Delphes aux consultants athéniens. Ceux-ci, désespérés à l'annonce des malheurs prédits dans un premier oracle, sollicitèrent une seconde fois la prêtresse, qui rendit alors un oracle plus clément où figurait effectivement l'expression, porteuse d'espérance, de divine Salamine.

Trézène (10,5) : cette localité du S.-E. de l'Argolide se montra accueillante aux réfugiés athéniens qui traversèrent le golfe Saronique ; Hérodote (VIII, 41) mentionne en outre Salamine et Égine comme des lieux d'asile où se mirent à l'abri des familles athéniennes.

oboles (10,5) : la plus petite unité monétaire, l'obole vaut un sixième de la drachme.

Aristote (10,6) : Plutarque cite librement la Constitution d'Athènes (23, 1), qui désigne nettement l'Aréopage comme « cause de la bataille de Salamine. En effet, alors que les stratèges désespéraient de la situation et avaient proclamé le sauve-qui-peut, l'Aréopage se procura de quoi distribuer huit drachmes à chacun et fit monter le peuple sur les vaisseaux ». L'origine de la somme grâce à laquelle une allocation substantielle de huit drachmes put être distribuée aux mobilisés n'est pas précisément établie, mais il doit s'agir du fonds spécial constitué pour l'équipement de la flotte et qu'alimentaient depuis plusieurs années les revenus des mines d'argent du Laurion (cf. J. Labarbe, La loi navale de Thémistocle, Paris, 1957, p. 137).

Cleidèmos (10,6) : il s'agit d'un atthidographe (c'est-à-dire un chroniqueur de l'histoire primitive de l'Attique) de la fin du Ve ou du début du IVe siècle, imputant à Thémistocle un pseudo-stratagème dont l'analyse démontre l'invraisemblance.

Gorgone (10,7) : c'est-à-dire la tête de Méduse ; celle-ci, la seule des trois Gorgones qui était mortelle, fut tuée par Persée et sa tête effrayante figurait au centre du bouclier d'Athéna. Cf. note à Ménandre, Le Grincheux, vers 153.

Cynossèma (10,10) : ce toponyme (littéralement « tombe du chien ») est encore attesté ailleurs en Grèce. L'histoire, touchante et plausible, du chien de Xanthippe est rapportée par plusieurs auteurs qui se réclament de bonnes sources.

Aristide (11,1) : contemporain de Thémistocle mais son aîné, Aristide « le Juste » (c. 540 - c. 468) apparaît personnellement et politiquement comme l'antithèse de celui-là. Aristide est d'origine et de tendances aristocratiques, loyal, intègre, désintéressé, en désaccord sur tous les points avec son rival Thémistocle, roturier arriviste, peu scrupuleux, très soucieux de sa gloire et de son enrichissement personnel. Dans les biographies qu'il a consacrées à l'un et à l'autre personnage, Plutarque souligne cette opposition fondamentale de leurs tempéraments. Naturellement moins contrastée que celle de son rival, la carrière d'Aristide est, aux yeux du moraliste, exemplaire à bien des égards. Combattant à Marathon, à Salamine, à Platées, Aristide participe activement à la vie politique d'Athènes, y exerce l'archontat, se soumet (483) à un ostracisme inspiré par Thémistocle. D'autre part, c'est lui qui fixera au départ le montant du tribut imposé aux membres de la Ligue de Délos (Thucydide, V, 19 ; Plutarque, Aristide, 24, 1). Voir aussi 3, 1.

Eurybiade (11,2) : cet amiral lacédémonien sera en charge du plus haut commandement de la flotte grecque à l'Artémision et à Salamine. Pourtant, lorsqu'il avait appris l'héroïque défaite des Thermopyles, Eurybiade avait d'abord décidé de se replier vers le Péloponnèse, abandonnant l'Eubée et ouvrant ainsi aux Perses la mer après la terre ; c'est alors que Thémistocle, en lui offrant « une forte somme » (5 talents) prélevée sur l'énorme subside (30 talents) que lui avaient offert à lui-même les Eubéens afin d'obtenir sa protection (Hérodote, VIII, 2 et 4), sut forcer le Spartiate à livrer bataille dans les passes resserrées du détroit de Salamine où la flotte perse ne parvint pas à manoeuvrer. Voir aussi 7, 3.

Érétriens (11,6) : ce « mot » de Thémistocle a été bien expliqué par R.  Flacelière (Thémistocle, les Erétriens et le calmar dans Revue des études anciennes, 50 [1948], p. 211-217). À la lumière d'une enquête lexicologique et numismatique, il apparaît que le terme (τευθίς) métaphoriquement appliqué aux Érétriens et susceptible de désigner soit un poisson volant, soit un mollusque, doit s'entendre ici du calmar ; cet animal figure en effet sur les monnaies d'Érétrie comme emblème (παράσημον) -- au même titre que la chouette était celui d'Athènes. Or, selon les anciens, les mollusques sont dépourvus de viscères (Aristote, Histoire des animaux,  IV, 524 b 14), donc de coeur, de poumons et de foie ; d'autre part, le calmar est pourvu, quant à lui, d'une armature cartilagineuse, allongée en forme de glaive (ξίφος) ou de couteau (μάχαιρα) -- Plutarque utilise indifféremment les deux termes. L'allusion ironique de Thémistocle est donc claire (« Vous autres, Érétriens, avez beau disposer d'excellentes épées, vous manquez de coeur pour vous en servir ! ») et, sans doute, bien en situation : l'Eubée, région métallifère, fabriquait des épées fameuses (Strabon, X, 9, 447 ; Plutarque, Sur la disparition des oracles, 44), mais les Erétriens ne paraissent pas avoir brillé en bravoure au cours des guerres médiques.

Salamine (12) : sur cet épisode décisif de l'histoire grecque, qui fut « une grande victoire plutôt qu'une grande bataille », cf. l'article fondamental de G. Roux, Eschyle, Hérodote, Diodore, Plutarque racontent la bataille de Salamine dans Bulletin de correspondance hellénique, 98 (1974), p. 51-94 (lumineuse analyse des sources, des forces en présence, du déroulement de la bataille).

chouette (12,1) : l'apparition de l'oiseau fétiche d'Athéna est toujours interprétée comme le présage d'une victoire athénienne.

Phalère (12, 2) : l'énorme flotte perse étant entièrement ancrée au Phalère, l'escadre grecque commandée par le Spartiate Eurybiade se concentra au pied de l'acropole de Salamine, dans la baie d'Ambélaki, face à la côte attique.

Sikinnos (12,4) : cet récit est partiellement recoupé par Hérodote (VIII, 75) qui, sans mentionner la qualité de prisonnier de guerre de Sikinnos, le présente comme précepteur des enfants de Thémistocle (en ajoutant que ce dernier l'envoya « par la suite » à Thespies, où l'on recrutait de nouveaux colons). Diodore pour sa part (XI, 17, 1-2) signale que Thémistocle fit passer « un Grec » (anonyme), comme déserteur, dans le camp de Xerxès afin d'avertir le Perse que la flotte grecque allait quitter Salamine pour gagner l'Isthme ; le Roi, abusé par la vraisemblance de ce projet, prit en conséquence les dispositions que souhaitait Thémistocle.

Aristide (12,6) : Voir 3, 1, et 11, 1.

Ténédos (12,8) : petite île très proche de la côte asiatique, face à Lemnos (Plutarque semble ici avoir mal retenu Hérodote, VIII, 82, qui signale Panaitios comme commandant d'une trière de Ténos, l'une des Cyclades, au S.-E. d'Andros).

Phanodème (13,1) : atthidographe (chroniqueur de l'histoire primitive de l'Attique) du IVe siècle, dont les vingt-sept fragments conservés dénoncent l'esprit athénocentrique, et qui paraît s'être intéressé aux faits religieux davantage qu'à l'histoire politique ; l'Héracleion mentionné par lui est également signalé par Diodore et par Strabon

Akestodôros (13,1) : auteur presque totalement perdu, originaire de Mégalopolis, et dont la présente indication topographique est dénuée de vraisemblance.

Cornes (13,1) : ce sont les deux monts qui dominent la mer à la frontière de l'Attique et de la Mégaride.

Ômestès (13,3) : cette épiclèse de Dionysos « Carnivore » (ὠμηστής, « mangeur de chair crue ») fait référence à la face sauvage de ce dieu, de même que son épiclèse ἀγριώνιος (« cruel, féroce ») -- les deux termes sont d'ailleurs juxtaposés par Plutarque, Vie d'Antoine, 24, 5. Ce Dionysos-là est étranger à Athènes, mais il est honoré à Lesbos, patrie de Phanias d'Érèse, source importante de Plutarque, dont ce dernier se réclame ci-dessous (13, 5). Quant à l'étrange contenu de cet épisode, on ne peut que douter aujourd'hui de son historicité : Plutarque lui-même jugeait « énorme » (μέγα καὶ δεινόν) l'immolation prescrite par un devin grec de trois nobles Perses, les propres neveux du Roi, provocation sanglante qui devait acculer les Grecs à une lutte désespérée. Phanias situe ce terrible sacrifice avant la bataille de Salamine. On peut dès lors se demander d'où viennent ces trois princes perses, que Plutarque mentionne également dans la Vie d'Aristide (9, 1-2) comme ayant été capturés dans l'îlot de Psyttalie par Aristide et soustraits par celui-ci au massacre général, pour être aussitôt envoyés à Thémistocle. À vrai dire, le témoignage de Phanias-Plutarque se trouve contredit par d'autres, comme Eschyle et Hérodote, qui situent l'épisode de Psyttalie  après Salamine. La contradiction des textes amène à s'interroger, une fois de plus, sur la qualité des informations. La source de Phanias, en l'occurrence, est inidentifiable (cf. L. Bodin, Histoire et biographie. Phanias d'Érèse dans Revue des études grecques, 30 [1917], p. 119), mais il pourrait s'agir d'un récit venant de la cour perse, récit tendant à rendre Thémistocle personnellement responsable de la mort expiatoire des neveux de Xerxès -- alors qu'en réalité ceux-ci étaient morts au cours de la bataille (telle est l'interprétation de D. D. Hughes, Human Sacrifice in ancient Greece, 1991, p. 112-115). On imagine aisément, en effet, les motivations qui, du côté perse, incitèrent à amplifier et à magnifier un épisode outrageant pour l'orgueil national ; de surcroît, ce sacrifice humain, profondément étranger à la morale zoroastrienne (les faits évoqués par Hérodote, VII, 114 ne peuvent être que l'écho d'une coutume très archaïque : cf. M. Boyce, Achaemenid Religion dans Encyclopaedia Iranica, I [1985], p. 429), jetait sur les Grecs l'opprobre d'une barbarie  révoltante.

Phanias (13,5) : sur ce personnage, voir supra, 1, 2 ; 7, 7.

Eschyle (14,1) : le témoignage d'Eschyle ici allégué (Perses, 341-343), qui est celui d'un combattant personnellement engagé à Salamine, recoupe exactement le chiffre fourni par Hérodote (VII, 184) : 1207 navires fournis par l'Asie -- chiffre qui doit être réduit au moins de moitié. Hérodote confirme de même (VIII, 44) le chiffre de 180 trières fourni par Plutarque pour la flotte athénienne, à quoi s'ajoutent deux cents trières des alliés. L'écrasante supériorité numérique de la flotte perse, forte du triple des effectifs adverses, allait évidemment requérir des Grecs une fulgurante inventivité tactique.

vent (14,3) : la parfaite connaissance qu'avait Thémistocle des lieux, des marées et des vents lui inspira la solution stratégique qui devait compenser l'infériorité numérique des Grecs. Évitant la bataille navale en haute mer que Xerxès avait souhaitée, l'Athénien attire par ruse le Perse dans les passes resserrées du détroit de Salamine et manoeuvre en sorte d'y opposer les adversaires sur un front transversal et restreint. Un vent du sud soufflant dans le dos des Perses et à la face des Grecs va favoriser ces derniers tournés, en gros, cap au Sud ; en effet, une fois leurs éperons accrochés aux vaisseaux grecs, les navires perses, dos au vent, ne parvenaient plus à se dégager en reculant et, immobilisés, offraient des proies faciles aux autres assaillants grecs. Ainsi les trières grecques n'affrontent-elles jamais à la fois que quelques vaisseaux de première ligne, les autres devant attendre leur tour à l'arrière. « Des collisions dans un gigantesque embouteillage, ce fut toute la bataille de Salamine » (G. Roux, Eschyle, Hérodote, Diodore, Plutarque racontent la bataille de Salamine dans Bulletin de correspondance hellénique, 98 [1974], p. 94).

Ariaménès (14,3) : Plutarque, De l'amour fraternel, 488 C-F présente longuement ce personnage exemplaire, attaché à Xerxès jusqu'à renoncer au profit de celui-ci à ses propres droits à la couronne. Hérodote signale lui aussi la mort à Salamine d'un frère de Xerxès, qu'il nomme pour sa part Ariabignès.

Ameinias de Décélie et Soclès de Pallènè (14,4) : le dème de Pallènè, au N. d'Athènes, sur la route de Marathon, est deux fois attribué par Hérodote (VIII, 84 et 93) à Ameinias. Quant à Soclès, son nom est inconnu ailleurs, mais Hérodote mentionne (IX, 73) un Sophanès de Décélie à la bataille de Platées. Il n'est pas exclu que Plutarque ait confondu les personnages et interverti les démotiques.

Artémise (14,4) : c'était la reine d'Halicarnasse, en Carie, région sous protectorat perse. Artémise intervint vigoureusement, à Salamine, avec un contingent carien, aux côtés des Perses. Hérodote (VIII, 87-88) raconte avec quelque détail comment la reine, à bord de sa trière, sut berner adroitement les Athéniens et inspira à Xerxès une vive admiration : exploit qui ne laisse pas d'impressionner l'historien, lui-même originaire d'Halicarnasse.

Iacchos (15,1) : La personnalité de ce dieu est mal fixée. Il apparaît tantôt comme le fils de Déméter, tantôt comme celui de Corè, tantôt comme l'époux de l'une ou de l'autre déesse, tantôt enfin il s'identifie avec Dionysos. Il joue en tout cas un rôle important dans la procession vers Éleusis, dont il est en quelque sorte le guide ; le sixième jour des Éleusinies, les fidèles venaient prendre dans le temple athénien consacré à Iacchos la statue du dieu, et ils la transportaient en cortège jusqu'à Éleusis, en même temps que des objets sacrés, tout en ponctuant leur marche du vocatif rituel « Iacche » (ce vocable iacchos, dont le sens premier et commun de « cri » a donné naissance à toute une dérivation lexicale, pourrait bien être à l'origine du personnage même : on l'a perçu comme le vocatif d'un nom propre, sous lequel on a mis un dieu).

Éacides (15,2) : ces « descendants d'Éaque » étaient fils de Zeus et de la nymphe Égine. Devenu roi de l'île qui allait prendre le nom de sa mère, Éaque y sera l'objet d'un culte ; sa descendance compte nombre de héros qui illustrèrent le mythe et l'épopée.

Phlyées (15,3) : dème (supra), au nord-est d'Athènes où la famille sacerdotale des Lycomides (supra, 1, 4)) avait fait ériger une chapelle de famille où se célébrait un culte initiatique aux mystères de la Grande Déesse, Déméter.

Simonide (15,4) : l'un des plus grands représentants du lyrisme choral, noté pour sa rare longévité (556-447), ce poète célèbre à Athènes comme en Thessalie et en Sicile, concurrent d'Eschyle, était en relations personnelles avec Thémistocle (cfr supra 1,4 et 5, 6-7).

Mardonios (16,6) : Sur ce gendre de Darius et sur son rôle dans la guerre, cfr supra, la note à 4, 6.

d'après Hérodote (17,1) : pour la première palme en vaillance décernée aux Éginètes, Plutarque se réfère à Hérodote, VIII, 93, 1 et pour le prix attribué à Thémistocle (17, 2), à Hérodote, VIII, 123.

Eurybiade (17,3): sur ce personnage, cfr 7, 3 et 11, 2, ainsi que les notes.

Sériphos (18,5) : petite île des Cyclades à l'O. de Paros, volontiers citée... pour son insignifiance.

Théopompe (19,1) : aristocrate originaire de Chios, cet historien-rhéteur du IVe siècle, disciple d'Isocrate, avait composé, entre autres, des Philippiques où il dénonçait la corruption des démagogues athéniens ; il voit en Thémistocle un négociateur rusé (FGrH, 115 F 85) -- et de surcroît un homme d'argent : c'est Théopompe qui, d'après Plutarque, prête à Thémistocle le plus scandaleux enrichissement personnel (25, 3). Le récit que fait Thucydide (I, 90-92) du présent épisode confirme seulement l'adresse manoeuvrière de l'Athénien.

Aristophane (19,4) : vers célèbre des Cavaliers, 815.

chiourme (19,5) : ce terme français désigne l'ensemble des rameurs d'une galère. Chiourme est emprunté à l'italien ciurma,  lui-même calqué sur le terme grec κέλευσμα, « commandement » [du chef des rameurs rythmant la vogue] et par extension « troupe de rameurs ». En l'occurrence, le mot français traduit donc exactement le grec.

Trente (19,6) : Au lendemain de la capitulation d'Athènes, le parti oligarchique appuyé par les Spartiates nomma un bureau dont faisait partie Critias, le disciple de Socrate, l'auteur du décret de rappel d'Alcibiade (Plutarque, Alcibiade, 33, 1). Ce bureau rédigea une constitution oligarchique au terme de laquelle les affaires étaient confiées à trente citoyens qui deviendront rapidement les « Trente tyrans ». Le régime muselle l'opposition, multiplie les confiscations, réduit à trois mille le nombre des Athéniens considérés comme citoyens de plein droit. Ainsi, à la perte de l'hégémonie, c'est-à-dire au démantèlement de l'empire athénien, s'ajoutait la mort de la liberté civique.

Pagases (20,1) : port thessalien sur le golfe du même nom, à l'O. de la presqu'île de Magnésie.

Amphictyons et pylagores (20,3) : le nom d'amphictyonie (ou amphictionie) désigne une association internationale de peuples habitant autour d'un même sanctuaire (ἀμφί, « autour de » + κτίω, κτίζω, « bâtir, fonder, instituer ») et réunis par une communauté d'origine ou d'intérêts. Le célèbre conseil des Amphictyons delphiques convoquait chaque année en assemblée ordinaire (πυλαία), lors de deux sessions, l'une à Delphes, l'autre non loin des Thermopyles (Pyles), les députés de douze Etats grecs qui, outre leur mandat religieux, s'arrogèrent de plus en plus un rôle politique d'arbitrage entre les cités confédérées. Chacune de celles-ci était représentée par deux délégués, les hiéromnémons (ἱερομνήμονες, « dépositaires des choses sacrées »), assistés d'orateurs ou pylagores (πυλαγόραι, « qui discourt à l'assemblée ») qui venaient défendre les intérêts de leur cité natale ; les 24 hiéromnémons avaient seuls le droit de vote au Conseil amphictyonique, encore que les pylagores, en nombre variable mais hommes de compétence notoire, devaient y jouer un rôle important (le mot pylagore, au reste, désigne quelquefois l'ensemble des délégués indistinctement : sur tout ceci, cf. R. Flacelière, Sur quelques points obscurs de la vie de Thémistocle dans Revue des Études anciennes, 55 [1953] p. 25.) -- Thémistocle, en l'occurrence, s'oppose à la sévérité rigoureuse de Sparte à l'endroit des États « médisants » (qui ont pactisé avec la Perse) : tel avait été le cas de neuf d'entre eux, sur les douze de la confédération amphictyonique. L'Athénien craint en effet que Sparte ne mette à profit l'exclusion de ces États pour remplir elle-même le vide ainsi créé... Plutarque est seul à évoquer cette proposition des Lacédémoniens, déjouée par Thémistocle. Hérodote, quant à lui (VII, 132), parle d'une proposition d'amende formulée par « les Grecs qui avaient résisté au Barbare » à l'encontre des médisants.

trente et une cités (20,3) : ce chiffre précis fourni par Plutarque recoupe l'inscription figurant sur la base de la colonne serpentine en bronze qui soutenait le trépied offert au sanctuaire d'Apollon à Delphes par les Platéens (ce précieux document épigraphique, dont Plutarque devait avoir personnellement connaissance, a été conservé et se trouve aujourd'hui à Istanbul). Thémistocle apparaît donc ici sous les traits d'un modérateur, décidé à combattre l'intransigeance spartiate à l'endroit des « collaborateurs ». C'est qu'il cherche, par-dessus les rancunes, à construire l'union de la Grèce. A cet égard il eût sans doute été préférable pour les destins de l'Hellade aux Ve et IVe siècles que son opposition au projet lacédémonien ait été mieux comprise -- alors qu'en fait elle aboutit seulement à éveiller des soupçons sur son patriotisme -- . Cf. R. Flacelière, Sur quelques points obscurs de la vie de Thémistocle dans Revue des Études anciennes, 55 (1953), p. 19-28.

Cimon (20,4) : sur ce personnage, cfr supra, 5, 4 avec la note.

Hérodote (21,1) : citation et interprétation libres d'Hérodote, VIII, 111.

Timocréon (21,3) : ce poète originaire d'Ialysos (Rhodes) est contemporain de Simonide, dont il fut le rival, et de Thémistocle, qu'il attaque rudement, comme le montrent quelques fragments de ses élégies ici conservés par Plutarque (D. L. Page, Poetae melici Graeci, [1962], p. 375-8 ; D.A. Campbell, Greek Lyric, 4 [Loeb, 1992], p. 84 ss.). Les indications contenues dans le présent chapitre de la Vie de Thémistocle (21, 3-7) ne jettent qu'une pâle lueur sur la biographie de Timocréon, accusé de médisme et exilé ; le poète, en tout cas, voua une haine durable à Thémistocle, qu'il rendait responsable de ses malheurs.

Pausanias, Xanthippe, Léotychidas (21,3) : Pausanias, régent de Sparte, avait été le vainqueur de Platées (479) [cf. supra, note à 4, 6] avant de devenir, emporté par son ambition, un traître que les éphores allaient condamner à mort (cfr infra, note à 23, 1). -- Léotychidas, roi de Sparte commandait à Mycale (Asie Mineure), avec l'Athénien Xanthippe, père de Périclès, la flotte grecque qui anéantit les restes de la flotte perse (479).

rappeler (22,1) : Plutarque cite à plusieurs reprises ce « mot » de Thémistocle (Moralia, 185 E ; 541 D ; 812 B), lequel se met ainsi indirectement en valeur -- ces « mêmes personnes » s'entendent évidemment de lui-même.

Aristoboulè (22,2) : cette épiclèse d' « excellente conseillère » adroitement attribuée par Thémistocle à la déesse ne trompa pas les Athéniens... La recherche archéologique a proposé -- mais sans aboutir à un consensus -- d'identifier à ce sanctuaire les vestiges que des fouilles ont dégagés durant l'été 1958, dans le quartier correspondant au dème antique de Mélitè.

ostracisme (22,4) : sur cette institution athénienne, cfr supra, note à 5, 7.

[Suite de la traduction]


[Autres traductions françaises: sur la BCS / sur la Toile]


[Déposé sur la Toile le 20 décembre 2006]

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