Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 464b-469a - ans 729-733

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023)

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APRÈS QUELQUES NOTICES DE TYPE ANNALISTIQUE, GUERRES CONTRE LES FRISONS, LES DANOIS ET LES SAXONS (Section I) : INTERVENTION NOTAMMENT DE GRIFFON, DE PÉPIN ET DE DOON - CAPTURE DE PÉPIN

Ans 729-733 -  Myreur, II, p. 464b-469a


Introduction

Dans les fichiers précédents, Jean d'Outremeuse, qui restait généralement fidèle au modèle annalistique impliquant une succession stricte des années, conservait dans sa présentation une séparation nette entre les événements liés à la geste de Doon et ceux censés s'être déroulés à la même époque dans l'univers mérovingien (papauté, diocèse de Tongres/Maastricht/Liège). Pour prendre un exemple, Pépin et Doon ne se rencontraient pas et n'interagissaient pas.

Dans le présent fichier, les choses évoluent. Après quelques notices variées ‒ une allusion au Pape Zacharie qui est surtout là, semble-t-il, comme marqueur chronologique (729 de l'Incarnation), une mention à Floribert, second évêque de Liège, une autre à Aubry de Bourgogne et un ensemble de précisions liées notamment au duché d'Ardenne, à ses divisions et à ses armes ‒,  le reste du texte est essentiellement consacré aux guerres contre les Frisons, les Danois et les Saxons. En d'autres termes, après ce qui peut apparaître comme une très longue digression, le lecteur se voit renvoyé beaucoup plus haut dans le Myreur, aux p. II, 435-438 et aux années 716-722 de l'Incarnation, qui mentionnaient les conquêtes de Charles Martel en Saxe, en Frise et au Danemark ainsi que « plusieurs guerres » entre les Frisons et les Danois. C'est ce même contexte militaire que l'on retrouve dans les pages qui vont suivre (II, p. 466ss) et où Frisons, Saxons et Danois vont occuper le devant de la scène.

Mais du temps a passé. Et du côté des Francs, le changement est important. Il s'agit des années 732-733 de l'Incarnation. Il n'est plus question évidemment de Charles Martel, mort en 725 de l'Incarnation. Dès les premières lignes du récit (II, p. 466), c'est de ses fils qu'il s'agit. Griffon Martel, comte de Tresche (un territoire imaginaire), attaqué par le roi de Frise, Radbod (un personnage historique), demande l'aide de son frère, Pépin le Bref, qui porte le titre de roi. D'autres personnages viennent lui prêter main forte. Jean d'Outremeuse les énumère : « le roi Pépin donc, Doon de Mayence, Aubry le Bourguignon, et  beaucoup d'autres, fort nombreux, que Griffon avait un peu partout ». Le chroniqueur introduit ainsi dans l'histoire Doon de Mayence, qui, quelques lignes plus haut (II, p. 465-466), se trouvait opportunément en visite dans son duché de Mayence. il venait aussi d'être question (II, p. 465) d'Aubry le Bourguignon. Jean ne cite que ces deux noms, se bornant à évoquer « d'autres gens, fort nombreux, que Griffon avait un peu partout ». Doon et Aubry ‒ faut-il le préciser ? ‒ sont des personnages littéraires, alors que Griffon  Martel et Pépin sont des personnages historiques. Cela n'a rien pour surprendre, notre chroniqueur étant passé maître dans le mélange de l'Histoire et de l'Imaginaire. On verra se multiplier les traits épiques dans le récit des combats et d'ailleurs les événements qui vont suivre ‒ on aura l'occasion de le dire ‒ n'appartiennent pas à l'Histoire. Si Mayence est une ville historique, il nous est impossible d'identifier un territoire comme la Treschie et des lieux comme Cherburg ou Durans. La structure même du récit échappe à l'Histoire. Pépin le Bref ‒ qui est un roi bien réel, qui a historiquement combattu contre les peuples du Nord ‒ n'a jamais été capturé, emporté et mis au secret en Allemagne. Cet épisode est important, car il permet à Jean d'Outremeuse d'intégrer dans son Myreur une série de développements intéressants, mais purement imaginaires. Mais d'où proviennent tous ces embellissements narratifs ? Jean les a-t-il inventés ? Les a-t-il trouvés dans une de ses sources ? C'est une question à laquelle il nous est impossible de répondre.

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Quoi qu'il en soit, l'introduction de Doon dans le récit se fait d'une manière relativement discrète d'abord, puisque son nom apparaît simplement dans la liste des gens venus aider Griffon dans sa guerre contre les Frisons. Mais très vite, il prend de l'importance. C'est lui qui va, au nom du roi Pépin, « défier le roi de Frise, Ralmon/Radbod », et se distinguer dans la bataille :  il conduit le premier bataillon, fait tomber le roi frison de sa monture, le blesse grièvement « et l'aurait tué si le roi n'avait été secouru et remonté en selle par ses gens, malgré les interventions de Doon ». Son rôle sera fort important aussi dans la suite des opérations militaires, lorsque les alliés devront affronter les Danois et les Saxons dont les Frisons ont demandé l'aide. Là encore, Doon sera mis en évidence. Il tue successivement le roi danois Hector et son fils, et remet même en selle le roi Pépin, qui avait été jeté à terre par un ennemi.

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 Apparemment Jean ne suit plus ici le récit de la Geste de Mayence, tel que le proposait la version du XIIIe siècle, éditée par Pey. Il ne la reprendra que plus loin (II, p. 491-494), lorsqu'il entamera le récit du conflit entre Doon et Charlemagne qui est alors installé comme roi.

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Quoi qu'il en soit, le fichier a été divisé en deux parties :

* La première propose quelques notices de type annalistique (II, p. 464b-466a - ans 729-731)

* La seconde raconte le début des guerres contre les Frisons, les Danois et les Saxons où intervient notamment Doon. Elle rapporte aussi la capture du roi Pépin ((II, p. 466b-469a - ans 732-733)


 

Première partie : Quelques notices de type annalistique (p. 464b-466a - ans 729-731)

 

Résumé

 

Quelques activités du Pape Zacharie (741-742 n.è.)

Constantin, évêque intrus de Liège, et Floribert, second évêque de Liège

Précisions sur les divisions du duché d'Ardenne, sur les armes d'Ardenne, sur la construction et les armes de Bouillon

Aubry de Bourgogne, le Bien-Aimé

Doon visite son duché de Mayence

 

Le Pape Zacharie (741-742 n.è.) fait la paix avec les Lombards et traduit les Dialogues de Grégoire le Grand

[II, p. 464] Item, l'an VIIc et XXIX fist li pape Zacharie pais aux Lombars, et si translatat les dyalogoge  des Grigois en latin.

[II, p. 464] En l'an 729, le pape Zacharie (741-752 n.è.) fit la paix avec les Lombards. Il traduisit les Dialogues (de Grégoire III le Grand ) du grec en latin (pour sa mort, cfr II, p. 476).

Les Dialogues de Grégoire le Grand : Jean traduit ici, sans contrôle, le texte de Martin d'Opava, p. 425-426 : Hic dialogorum libros de Greco in Latinum transtulit. Cet ouvrage (Dialogi) est le célèbre recueil de miracles en 4 livres rédigé en 593-594 par Grégoire III. Mais l'information est inexacte et Bo ad locum la corrige en renvoyant le lecteur à un passage d'A. Ciaconi, Vitae et res gestae pontificum Romanorum [etc.], Rome, 1677, I, p. 520 :  Zacharias, Gregorii magni papae dialogorum libros quatuor, in sermonem Graecum, Graecus ipse convertit. En réalité, Grec d'origine, le pape Zacharie a traduit en grec les Dialogues de saint Grégoire, écrits en latin.

Constantin, évêque intrus de Liège, et Floribert, second évêque de Liège

[L’an VIIc et XXX. L’intrus de Liege morit] Item, l'an VIIc et XXX, en mois de may, chevalchoit Constantin, ly intrus de Liege, à Treit ; si chaiit unc tempeste sour luy, si fut mors. Dont [II, p. 465] li capitle de Liege fourquemandat  de li à metre en sepulture benite.

[An 730 - L’intrus de Liège mourut] En l'an 730, en mai, Constantin l'évêque intrus de Liège chevauchait vers Maastricht. Une tempête s'abattit sur lui et il en mourut. Après quoi [II, p. 465] le chapitre de Liège défendit de le placer dans une sépulture bénite.

[Floribert, li evesque de Liege, li seconde] Et remandat Floribert à Stavelot, et le remisent en son siege del consentement le roy Pipin d'Austrie ; et fut li secon evesque de Liege, car Constantin ne fut oncques compteit en nombre des evesques. Et regnat Floribert XXVIII ans.

[Floribert, second évêque de Liège] Le chapitre fit revenir Floribert de Stavelot et le rétablit sur son siège, avec l'accord du roi Pépin d'Austrasie. Floribert fut le second évêque de Liège, car Constantin ne fut jamais compté au nombre des évêques. Floribert régna durant vingt-huit ans.

[Sains Floribert mist X canoines à Liege - Et y fist III archedyacres et I prevost et I doyen] En cel an acquist Floribert de son argent VIc moy de spelte heretables, se les donnat al engliese de Liege, et y mist X cannoynes ; si en y avoit XX que son pere sains Hubers y mist, chu furent XXX. Et y fist trois archedyacres et I prevost, qui estoit li unc des archedyacre, car ilh estoit archedyacre de Liege ; et y fist I doyen. Et tout chu fist-ilh confirmeir le pape de Romme.

[Saint Floribert installa dix chanoines à Liège - Il y créa aussi trois archidiacres, un prévôt et un doyen] Cette année-là, Floribert acheta avec son argent, à titre héréditaire, une terre pouvant être ensemencée avec six cents muids [mesures] d'épeautre et la donna à l'église de Liège où il installa dix chanoines. Il y en avait déjà vingt, installés par son père saint Hubert ; ils furent ainsi trente. Il créa trois archidiacres et un prévôt, qui était l'un des archidiacres, celui de Liège. Il institua aussi un doyen. Il fit confirmer toutes ces mesures par le pape de Rome.

Les divisions du duché d'Ardenne - Les armes d'Ardenne - La construction et les armes de Bouillon

[II, p. 465] [Ardenne fut dividée] En cel an morut Guyon, li dus d'Ardenne, qui avoit II fis, Turpin et Floren, qui partirent leur terre par le conselhe de leurs amis. Floren, qui fut li anneis, chis oit la terre d'Ardenne que ons nom maintenant Luchembor, et portat les armes de Lucembor, enssi com dit est par deseur.

[II, p. 465] [L'Ardenne fut divisée] Cette année-là [730] mourut Guy, le duc d'Ardenne, père de deux fils, Turpin et Florent, qui partagèrent leurs terres, sur le conseil de leurs amis. Florent, l'aîné, obtint la terre d'Ardenne qu'on appelle maintenant Luxembourg, et porta les armes du Luxembourg, comme cela a été dit ci-dessus.

[Les armes d’Ardenne] Et Turpin oit tout le remanant d'Ardenne, enssi qui s'extent, commenchant à Luchemborch et durant tout oultre. Et s'appelloit duc d'Ardenne, si portoit les armes de Lembourch desus declareez.

[Les armes d’Ardenne] Turpin détint tout le reste de l'Ardenne, c'est-à-dire tout le territoire à partir de Luxembourg. Il avait le titre de duc d'Ardenne et portait les armes du Limbourg, décrites ci-dessus.

[Turpin commenchat Bulhon, et Thiris le parfist] Et si commenchat en sa ducheit une vilhe et unc castel qu'il apellat Bulhon, mains ilh nel parfist mie ; mains Thyris d'Ardenne, dont Turpin fut ayon ; chist les parfist, enssi com vos oreis chi apres.

[Turpin commença Bouillon, et Thierry l'acheva] Turpin commença à construire dans son duché une ville et un château qu'il appela Bouillon, mais il ne les acheva pas. Ce fut Thierry d'Ardenne, son petit-fils, qui le fit ; vous en entendrez parler ci-après (cfr II, p. 488).

[Les armes de Lovay et de Viaine] Alcunnes hystoires dient que Turpin encargat les armes de Bulhon, une escut de geule à une fause d'argent ; mains je ne say porquoy ilh le fist, car chu ne furent onques les armes d'Ardenne, ains furent les armes le conte de Lovay et les armes le conte de Viaine, les coleurs retourneez, assavoir d'argent fassiet de guele.

[Les armes de Louvain et de Vianden] Certaines histoires racontent que Turpin adopta les armes de Bouillon, un écu de gueules avec une fasce d'argent ; mais je ne sais pourquoi il fit cela, car ce ne furent jamais les armes d'Ardenne, mais celles du comte de Louvain et celles du comte de Vianden, avec les couleurs inversées, à savoir d'argent strié de gueules.

[Les armes de Bulhon] Et vos disons que Goudefroit de Bulhon, à son temps, portoit les armes que ons nom ors Bulhon ; et chu estoit portant qu'ilh estoit de la nation le comte de Lovay que ons nomma Helyas, le chevalier al chyene, et par aultre cause nom.

[Les armes de Bouillon] Nous vous disons aussi que Godefroid de Bouillon, à son époque, portait les armes qu'on nomme maintenant armes de Bouillon, car il appartenait à la lignée du comte de Louvain, appelé Hélias, le Chevalier au Cygne (cfr II, p. 434), et pas pour une autre raison.

Aubry de Bourgogne, le Bien-Aimé

[II, p. 465] [L’an VIIc et XXXI. Albris li bien ameis] Item, l'an VIIc et XXXI rescoiit Albris li Borgengnons, li fis Tybaut de Borgogne, le royne de Bealwier, enssi qu'ilh contient en sa gieste qui est asseis veritable ; et amat par amour mult de dammes, car ilh fut beais chevalier et preux.

[II, p. 465] [An 731. Aubry le bien aimé] En l'an 731, Aubry de Bourgogne, le fils de Thibaut de Bourgogne, reçut la reine de Bavière, comme cela est dit dans sa geste qui est très digne de foi. Il aima d'amour de nombreuses dames, car c'était un chevalier beau et valeureux (cfr II, p. 449).

An 731 : Doon visite son comté de Mayence

[Doon fist mult de bien en son paiis] En cel an visentat Doon de Maienche sa conteit sus et sus, si le redifiiat partout où mestier en estoit, et commenchat à ameir les poevres et donneir plantiveusement de sien, et [II, p. 466] les pucelles qui n'estoient nyent riche marier aux hommes.

[Doon fit beaucoup de bien dans son pays] Cette année-là [731], Doon de Mayence visita son comté dans sa totalité et le fit reconstruire partout où c'était nécessaire. Il commença à se préoccuper des pauvres et à leur donner très généreusement de ses biens. [II, p. 466] Il donna aussi des maris à des pucelles qui n'étaient pas riches.


 

Deuxième partie : « Guerres contre les Frisons, les Danois et les Saxons » (Section I) où intervient notamment Doon - Capture du roi Pépin (p. 466a-469b - ans 732-733)

 

Résumé

 

* Guerre opposant Radbod, roi de Frise, à Griffon, comte de Tresche, aidé par son frère Pépin, par Doon de Mayence et par d'autres

Combats épiques où s'illustrèrent les chefs et où moururent de nombreux chevaliers

Le roi Pépin décide d'assiéger Cherbuch, une place-forte servant de refuge au roi des Frisons, mais sans succès

Le roi des Frisons demande l'aide des Danois et des Saxons, tandis que Pépin lève le siège de Cherbuch pour aller assiéger Durans, un château fort appartenant à la Frise

Terribles combats épiques et meurtriers

Pépin est capturé et ses ennemis l'emmènent en secret au fond de l'Allemagne

* Lourd bilan humain (Radbod, Grimoald et le duc de Saxe notamment sont tués)

 

Guerre opposant Radbod, roi de Frise, à Griffon, aidé par son frère Pépin, par Doon de Mayence et par d'autres

[II, p. 466] [Griffon et Doon ont gerre aux Frisons] A cel temps avient-ilh que ly conte Griffons de Treschie, qui avoit à femme l'antain Doon, oit une mult felle guerre al roy de Frise qui estoit unc fel sarasins, si estoit nommeis Ralmon, qui voloit que Griffon tenist la conteit de Treschie de ly. Mains Griffon mandat son frere, le roy Pipin, et Dos de Maienche, Albris le Borgongnon et tant d'aultres gens aval et amont qu'ilh en oit asseis ; et faisoit narration en ses lettres qu’ilh envoioit le fait de la servitude que ly roy de Frise li queroit, si qu’ilhs vinrent tous infourmeis del fait ; et vinrent à Treschie l'an VIIc et XXXII en mois de may, si furent bien XXXIIm hommes.

[II, p. 466] [Griffon et Doon en guerre contre les Frisons] À cette époque, le comte Griffon de Tresche, qui avait pour épouse la tante de Doon, mena une guerre terrible contre le roi de Frise, Radbod, un Sarrasin cruel, qui prétendait détenir le comté de Tresche, au détriment de Griffon. Griffon fit alors appel à son frère, le roi Pépin le Bref, et à Doon de Mayence, à Aubry le Bourguignon et à beaucoup d'autres, un peu partout, au point qu'il eut assez d'alliés. Dans les lettres qu'il leur envoyait, il leur faisait part de la domination que lui imposait le roi de Frise. Ils vinrent tous, informés de la situation. Ils arrivèrent à Tresche, en l'an 732, au mois de mai, au nombre d'au moins trente-deux mille hommes.

1. Rappelons que Griffon Martel (ou Grifon, ou Grippon), comte  de Tresche (II, p. 4499), est un des fils de Charles Martel (II, p. 394, p. 406) et donc frère du roi Pépin le Bref,  un autre de ses fils. Il avait épousé Jehanne, soeur du comte Guy de Mayence et donc tante de Doon (cfr Les enfances de Doon). En ce qui concerne le nom de son comté, il semblerait un peu osé de traduire Treschie par Troyes.

2. Le Ralmon, roi de Frise, de Jean d'Outremeuse correspondrait à Radbod Ier, un personnage historique (cfr Wikipédia), né vers 645 de notre ère et mort en 719, roi de Frise de 679 à 719, et qui se heurta à Pépin de Herstal (Pépin II) en 689, 692, 697, puis à Charles Martel (en 716) (dates de notre ère toujours). Ne pourrait-on pas l'identifier aussi au roi frison qui aurait refusé le baptême au moment de mourir (cfr II, p. 393, où le chroniqueur liégeois lui donne le nom de Guibart, qui ne semble pas connu par ailleurs ) ?

[L’an VIIc et XXXII] Pipin demandat tantost à son frere Griffon queile poioir li roy de Frise avoit, et ilh ly respondit que ilh avoit I mult fort pays, et avoit en son oust bien XLm hommes. Et dest Pipin : « Dont avons des gens asseis por eaux à combattre, et avons l'ayde de Dieu qui mult valt. Ors alons al champs et tendons nos treifs. » Et enssi fut-ilh fait. Mains quant les Frisons veirent chu, ilh l'ont dit al roy ; et quant li roy entendit chu, si at ses gens mandeit et est issus fours de la vilhe et s'en vat contre les Franchois, anchois qu'ilh assegassent les vilhes ne casteals.

[An 733] Pépin demanda immédiatement à son frère Griffon de quel pouvoir disposait le roi de Frise, et Griffon lui répondit que la Frise était un pays très puissant et que son armée comptait au moins quarante mille hommes. Et Pépin dit : « Donc, nous avons pour les combattre assez de gens ainsi que l'aide de Dieu, d'une grande importance. Maintenant, partons en campagne et dressons nos tentes. » Et c'est ce qui fut fait. Les Frisons, voyant cela, avertirent leur roi ; quand celui-ci l'apprit, il convoqua ses gens, sortit de la ville et marcha contre les Francs, avant qu'ils n'assiègent les cités et les châteaux.

[Doon s’en alat defier le roy de Frise, Ralmon, depart Pipin] Et ly roy Pipin, quant ilh le soit, si apellat Doon de Maienche, et ly dest qu'ilh s'en alast Ralmon defier et faire asseneir jour de batalhe. « Sire, dest Doon, volentier. »

[Doon s’en alla défier le roi de Frise, Radbod, au nom de Pépin] Quand il le sut, le roi Pépin appela Doon de Mayence et lui dit d'aller défier Radbod et de lui dire de fixer le jour de la bataille. « Volontiers, Seigneur, dit Doon. »

[Doon comment ilh parlat al roy] Et Doon montat à cheval et s'en alat al roy de Frise, tant qu'ilh est venus à treif royal où il trovat le roy, si parlat en teile manere : « Chis Dieu de gloire, qui fourmat tout le monde, salvet (corr. Bo) et garde le roy Pipin de Franche et d'Allemagne et tout sa noble compangnie ; et Machomet, de tout sa vertut qu'ilh at, donst ortant de bien al roy Ralmon et à sa compagnie que Machomet en at en paradis. Dams (corr. Bo) roy, je vos deffie depart le roy Pipin et les barons qui sont awec ly, qui vous mandent que vos denommeis la journée del faire l'estour contre les cristiens qui sont tous apparelhiés ; ilh ne remaint fours que par vous. » Ly roy respont : « Vassals, tu as la lengue mult apparelhié de coloreir tes parolles. Ors prens le jour de la batalhe à mardi prochainement venant, al matin à heure de prime. »

[Comment Doon parla au roi] Doon monta à cheval et s'en alla trouver le roi de Frise. Quand il fut parvenu à la tente royale, où il trouva le roi, il lui parla ainsi : « Que le Dieu de gloire, qui créa le monde, sauve et garde le roi Pépin de Francie et d'Allemagne ainsi que toute sa noble compagnie ; et que Mahomet, par le pouvoir dont il dispose, donne autant de bien au roi Radbod et à sa compagnie qu'il n'en a au paradis. Seigneur roi, je vous défie au nom du roi Pépin et des barons qui sont avec lui. Ils vous demandent de fixer un jour pour un combat contre les chrétiens qui sont tous prêts ; le reste ne dépend plus que de vous. » Le roi répond : « Vassal, tu as la langue très habile pour mettre en valeur tes paroles. Alors retiens comme jour de la bataille mardi prochain, au matin, à la première heure. »

Combats épiques où s'illustrèrent les chefs et où moururent de nombreux chevaliers

[Chi commenchat la batalhe] Atant retournat Doon et dest à roy Pipin la journée ; ilh estoit venredi. [II, p. 467] Si raparelherent les Franchois leurs hernois, sique à dit jour furent tous ordineis en trois batalhes. Doon menat la promier, Griffon la seconde et Pipin la tirche. Doon approchat awec sa batalhe ses anemis, si at bassiet sa lanche ; et ly roy Salmon vint contre li, qui estoit li fis Ralmon, si se sont asseneis sour les escus ; mains Doon abatit le roy Salmon mors, et le passat parmy le pis tout oultre. Quant les Frisons veirent chu, si corirent sus Doon, qui soy defendit mult bien ; et les cristiens sont venus al assemblée : là veist-ons tant d'abatus de l'unne part et de l'autre qu'à merveilhe.

[Ici commença la bataille] Alors Doon s'en retourna et annonça au roi Pépin la date fixée ; c'était le vendredi. [II, p. 467] Les Francs vérifièrent leurs équipements et, au jour dit, tous étaient rangés en trois bataillons. Doon dirigeait le premier, Griffon le deuxième et Pépin le troisième. Doon s'approcha des ennemis avec ses troupes et baissa sa lance. Le roi Salmon, fils de Radbod, lui fit face. Ils frappèrent sur leurs écus, mais Doon abattit et tua le roi Salmon, en lui transperçant la poitrine. Quand les Frisons virent cela, ils attaquèrent Doon, qui se défendit très bien. Les chrétiens vinrent au combat, et là on put voir un nombre incroyable d'hommes abattus dans les deux camps.

[Doon demontat le roy et le navrat grandement] Entres lesqueis Doon encontrat le roy Ralmon et le ferit teilement, qu'ilh li trenchat le hayme et coeffre, et ly rasat tout jus la chair et la diestre orelhe, et desquendit l'espée aval sour le cheval, se li trenchat le chief. Et li roy chaiit à terre, et là l'euwist ochis Doon, mains ilh oit socour de ses gens, et fut ly roy remonteis contre la volenteit Doon.

[Doon fit tomber le roi de sa monture et le blessa grièvement] Parmi eux, Doon rencontra le roi Radbod et le frappa si fort qu'il lui trancha le heaume et la coiffe, lui rasant la chair et l'oreille droite. Il abattit ensuite son épée sur le cheval dont il trancha la tête. Le roi tomba à terre et Doon l'aurait tué s'il n'avait été secouru et remis en selle par ses gens, malgré les efforts de Doon.

[Pipin soy acquitat chi noblement] Et Pipin d'aultre costeit fiert Gauffier, le fis Ralmon, sour son hayme, si l'at fendut en deux ; puis at ochis le secon, le thier et le quars, car tout chu qu'il atochoit jettoit à terre.

[Pépin se comporta ici très noblement] Et de l'autre côté, Pépin frappa sur le heaume de Gauffier, un fils de Radbod, qu'il pourfendit ; puis il tua le deuxième, le troisième et le quatrième (de ses fils), terrassant tout ce qu'il touchait.

[Ralmon ochist le cheval le roy Pipin et fut pres ochis] Et apres ilh at ochis Drohier, qui avoit la soreur le roy Ralmon ; et quant Ralmont l'at veyut, si at ferut Pipin le roy en son hayme, si desquendit li coup desus le cheval et li copat la tieste. Pipin chaiit et vat huchier : Monjoie. Là corirent mult de nos chevaliers franchois ; là oit forte batalhe à la rescosse de Pipin, si y est venus ly roy Ralmon mult navreis, si assalhit Pipin qui soy defendit com valhan chevalier : tant en abatit tout à piet qu'ilh les a reculeis ; là fut ochis Gatier de Rosengnour, Tybauz de Amiens et Loys de Loon et altres chevaliers.

[Radbod tua le cheval du roi Pépin et fut près d'être tué] Ensuite, Pépin tua Drohier, l'époux de la soeur du roi Radbod. En voyant cela, Radbod frappa sur le heaume du roi Pépin, mais l'arme glissa sur le cheval, lui coupant la tête. Pépin tomba et se mit à crier : Montjoie. Un grand nombre de nos chevaliers accoururent. Et là se déroula une forte bataille pour secourir Pépin. Le roi Radbod arriva, gravement blessé, attaqua Pépin, qui se défendit en vaillant chevalier. Bien qu'à pied, il abattit tant de ses adversaires qu'il les fit reculer ; là furent tués Gauthier de Rosengnour, Thibaut d'Amiens, Louis de Laon, et d'autres chevaliers.

[Griffons abatit le standart et ochist les gardes] Griffons le voit, si escrie : Monjoie, et puis s'en vat vers le standart cuy gardent X chevaliers. Griffons et sa compagnie y firent par teile manere qu’ilh ont les gardes ochis et abatut le standart. Ly estour fut là fors, et Doon veit Hargnis qui estoit mult fort homme, qui estoit trois fois plus gran que Pipin ; si le ferit si bien qu'il le fendit jusqu’en pis.

[Griffon abattit l'étendard et tua les gardes] Griffon, en voyant Pépin, s'écrie : Montjoie et se dirige vers l'étendard, gardé par dix chevaliers. Griffon et son bataillon en firent tant qu'ils tuèrent les gardes et firent tomber l'étendard. Là le combat fut intense. Doon vit Hargnis, un homme très fort, (un géant) trois fois plus grand que Pépin ; il le frappa au point de le pourfendre jusqu'à la poitrine.

Le roi Pépin décide d'assiéger Cherbuch, une place-forte servant de refuge au roi des Frisons, mais sans succès

[II, p. 467] [Pipin assegat la citeit de Cherbuch] Atant s'en vont les Sarasins fuyant ; et Pipin, qui remonteis estoit, les cachoit tendamment ; puis retournerent et vinrent aux trefs. Si gaitat la nuyt Doon, et lendemain al pointe de jour Pipin fist detendre ses trief, et dest qu'il s'en yroit assegier la citeit de Cherbuch et y alat, car ly roy avoit là-dedens son repaire por la plus fort plache de pays, [II, p. 468] car la mere y batoit de tous costeis ; mains encordont ly roy n'estoit pais asseguré.

[II, p. 467] [Pépin assiégea la cité de Cherbuch] Alors les Sarrasins s'enfuirent. Pépin, remis en selle, les poursuivit quelque temps ; puis ses gens firent demi-tour et retrouvèrent leurs tentes. Doon fit le guet pendant la nuit et, le lendemain, au lever du jour, Pépin fit replier les tentes et déclara qu'il irait assiéger Cherbuch, ce qu'il fit. Le roi y avait là un refuge : c'était la place la mieux fortifiée du pays, [II, p. 468] car la mer frappait les trois autres côtés. Mais malgré cela le roi frison ne s'y sentait pas en sécurité.

Les Frisons demandent et reçoivent l'aide des Danois et des Saxons tandis que Pépin lève le siège de Cherbuch pour aller assiéger Durans, un château fort appartenant à la Frise

 [II, p. 468] [Le roy Ralmon mandat son frere de Dannemarche] Mains I Sarasin, qui oit nom Ernenay, li conselhat qu'ilh mandat le roy de Dannemarche, son frere Ector et le duc de Saxongne. Et ilh dest qu'ilh le feroit et le fist. Et ilhs vinrent servir le roy à XXm hommes.

[II, p. 468] [Le roi Radbod convoqua son frère du Danemark] Alors un Sarrasin, nommé Ernenay, lui conseilla de faire appel à son frère Hector, roi du Danemark, et au duc de Saxe. Radbod dit qu'il le ferait et il le fit. Tous deux vinrent se mettre au service du roi Radbod avec vingt mille hommes.

[Guydon, le pere Ogier] Et amenat Guydon son fis, qui fut li pere Ogier, à queile Gaufroit conquist Dannemarche.

[Gui, le père d'Ogier] Et [Hector] amena son fils Gui, qui fut le père d'Ogier, grâce à qui Gaufroit conquit le Danemark.

Une notice difficile à comprendre, ce Guidon, fils d'Hector, n'étant pas le père d'Ogier. Nous avons tenté ‒ sans grand espoir d'y parvenir ‒ de proposer une traduction qui tienne compte des rapports de parenté. Dans la Geste de Doon, Geoffroy/Gaufroit/Gaufrey, l'aîné des douze fils de Doon, était le père d'Ogier. Dans la deuxième notice après celle-ci, Guidon (Gui) apparaît comme le jeune fils d'Hector, à qui son père semble avoir remis la royauté sur les Danois.

Et Pipin at assegiet la citeit, si le fait sovent assalhir, mains ilh n'y meffissent riens, et y seirent V mois. Adont fut corochiés Pipin et deslogat ; si alat assegier I castel qui avoit à nom Durans, qui estoit li plus fors et li plus peruelheux d'Allemagne, et si l'assegirent d'on costeit, car la mere battoit aux trois aultres costeis. Chis castel appartinoit al roy de Frise, si en estoit castelain Guydekin de Braile.

Pépin assiégea la cité de Cherbuch, durant cinq mois, multipliant les assauts, mais sans y causer de dommage. Alors Pépin s'irrita et quitta l'endroit. Il alla assiéger un château fort, nommé Durans, qui était le plus fortifié et le plus dangereux d'Allemagne. Ils l'assiégèrent d'un côté, car la mer battait les trois autres. Ce château appartenait au roi de Frise et le châtelain en était Guidequin de Braile.

[Le siege de Duras] ltem, tous cheaz qui estoient mandeis vinrent à Cherbuch ; mains li roy leur dest qu'ilh estoient deslogiés et aleis devant Durans. Adont dest ly jovene roy des Dannois, ly fis Ector : « Guydon, qui moy croieroit, nos en yriens à Durans par mere et puis les corins sus. » Adont dest Ector, son pere, et tous les altres qu'ilh avoit bien dit ; et fut enssi fait. Et quant ilh furent là venus dedens IIII jours, si vont ordineir et chargier à Guydon de Dannemarche IIIIm hommes, por aleir gardemoneir comment nos gens stesoient.

[Le siège de Durans] Quand tous ceux qui avaient été appelés (par le roi de Frise) arrivèrent à Cherbuch, on leur dit que les hommes de Pépin avaient quitté la ville pour aller assiéger Durans. Alors le jeune roi des Danois, le fils d'Hector, dit : « Si l'on me croyait, moi, Gui, nous irions à Durans par la mer pour les attaquer. » Alors son père Hector et tous les autres dirent qu'il avait bien parlé. C'est ce qui fut fait. Et quand ils arrivèrent après quatre jours, ils s'organisèrent et chargèrent Gui de Danemark, avec quatre mille hommes, d'aller reconnaître la situation des nôtres.

Terribles combats épiques et meurtriers

[II, p. 468] [Doon corit sus ses anemis] Et Pipin fist aleir Doon visenteir queiles gens estoient venus en la fortreche par semblant. Et ilh en alat, et emena awec li IIm nobles bacheliers. Ils alerent si pres qu'ilh soy veirent l'unc l'autre, si ne dengnat reculeir nuls d'eaux et s'aprocharent et soy corirent sus. Chu fut l'an deseurdit en mois de marche que li assemblée se fist : là oit-ilh ochis mains chevaliers, mains ly roy Ector y fut mors tout promiers, si fut roy Guydon, son fis, apres luy qui estoit là en l'assemblée, et veit que Doon ochist son peire, si le wot vengier. IIh soy fist assengnier Doon, si alat devers ly ; et Doon vint vers li à lanche bassié et le jettat tout en unc mont. En cel escharmuche oit des gens qui orent paour, si brocherent vers les treifs et criarent : Aux armes, et les oust sont estournis. Reculeis sont les Sarasins, et les cristiens aux treifs se sont armeis. Et quant les Sarasins del castel les ont veyut, si l'ont nunchiet en la ville, si sont corus aux armes, si vinrent à l'estour d'ambdois pars, se soy courent sus. Là le faite cascon à son poioir.

[II, p. 468] [Doon attaqua ses ennemis] (De son côté), Pépin envoya Doon voir qui étaient ces gens apparemment venus dans la forteresse. Doon partit, emmenant avec lui deux mille nobles chevaliers. Ils s'avancèrent au point de se voir l'un l'autre, et personne ne daigna reculer ; puis ils se rapprochèrent et s'attaquèrent. La rencontre eut lieu en l'an signalé ci-dessus (733), en mars. Là Pépin tua un grand nombre de chevaliers. Le roi Hector (de Danemark) mourut le tout premier. Il fut remplacé comme roi par Gui, son fils, qui le suivait dans la mêlée. Quand Gui vit que Doon avait tué son père, il voulut le venger. Il se fit montrer Doon vers lequel il se dirigea ; mais Doon s'approcha de lui, lance baissée, et n'en fit qu'un tas (?). Lors de ce premier accrochage, des gens eurent peur, foncèrent vers les tentes en criant : Aux armes, et les armées s'agitèrent. Les Sarrasins reculèrent et, dans les tentes, les chrétiens  s'armèrent. Quand les Sarrasins virent tout cela depuis le château, ils l'annoncèrent dans la ville et coururent aux armes. Lorsque des deux côtés, on arriva sur le terrain, les ennemis passèrent à l'attaque, et là chacun fit ce qu'il pouvait.

Gui, roi des Danois : Comme on retrouvera ce roi plus loin dans de nombreuses activités (II, p. 470, 472, 475, 476, 494, 499, 502, 503, 504, 505, 508), on ne peut pas imaginer qu'il ait été tué ici par Doon. Reste que l'expression le jettat tout en unc mont est difficile à comprendre et à traduire.

[Terrible batalhe] Adont Grimoable de Hollande abatit [II, p. 469] Pipin d'oone hache, et ilh crie : Monjoie. Doon y est venus et si le remontat à grant gens ; et quant ilh fut remonteis, si regardat entour, si ne voit point de Grimoable, et demandat apres à unc chevalier, qui li dest qu'ilh estoit absentis de l'estour, et en estoit aleis vers une aighe qui là coroit. Et quant Pipin l'oiit, si broche apres vers l'aighe, si l'encontrat et le roy Ralmon awec, qui venoient de boire del aighe ; et li dus de Saxongne veit Pipin aleir hors de la batalbe, se le suyt ; et Pipin voit Grimoable, si le corit sus.

[Terrible bataille] Alors Grimoald de Hollande jeta [II, p. 469] Pépin à terre d'un coup de hache, en criant : Monjoie. Doon arriva sur place et le remit en selle avec l'aide de beaucoup autres. Une fois en selle, Pépin regarda autour de lui et, ne voyant pas Grimoald, demanda à un chevalier où il était. On lui dit qu'il s'était retiré du combat et était parti en direction d'une rivière coulant par là. Quand Pépin entendit cela, il fonça vers la rivière où il rencontra Grimoald et le roi Radbod qui venaient de se désaltérer. Le duc de Saxe, voyant Pépin quitter la bataille, l'avait suivi. Quand Pépin aperçut Grimoald, il fonça sur lui.

[Pipin ochist Grimoable] Et ly roy Ralmon estoit endormis sus l'erbe, car ilh estoit navreis : là se sont combatus les dois champions et bien defendus, mains Grimoable fut del tout perdus, car Pipin li coupat le chief. Puis voit Ralmon qui dormoit sour l'erbe, si court cel part et le bute ; et chis eswelhat, et Pipin li dest : « Ilh toy covient defendre, ou je t'ochiray. » Et chis salt sus, si lache son hayme et sachat son espée, si vient contre Pipin ; mains Pipin le ferit sour le hanche, se li trenchat la jambe tout jus.

[Pépin tua Grimoald] Le roi Radbod, lui, était couché dans l'herbe, inerte car il était blessé. C'est là que Grimoald et Pépin, les deux champions, se battirent avec acharnement, mais Grimoald fut complètement anéanti, Pépin lui ayant coupé la tête. Ensuite, Pépin vit Radbod couché dans l'herbe, courut vers lui et le secoua. Radbod s'éveilla et Pépin lui dit : « Tu dois te défendre, sinon je te tuerai. » Radbod alors se redressa, desserra son heaume, saisit son épée et se dirigea vers Pépin ; mais celui-ci le frappa sur la hanche et lui trancha la jambe.

Ce Grimoald de Hollande joue un rôle important dans le récit. On ne le rencontre qu'à cet endroit dans le Myreur. Il n'a pas été cité nommément parmi les alliés du roi de Frise, mais Jean d'Outremeuse avait signalé plus haut (II, p. 437) que la Hollande faisait partie du royaume de Frise.

Pépin est capturé et ses ennemis l'emmènent en secret au fond de l'Allemagne

[II, p. 469] [Pipin fut pris et emeneit et longement celeit] Atant vinrent là apassant XII hommes qui venoient à l'estour. Et li dus de Saxongne et li roy Ralmon les cognurent, si les escrient. Et cheaux ont trais les brans, si assalhent Pipin ; et ilh soy deffent. Si en at IIII ochis, mains chu ne li walt, car ilh li ont lanchiet des espiels et atachiet de glaives tant qu'ilh chaiit à terre. Si fut pris et loiiés, et l'ont emeneit en Allemangne mult parfont en castel de Portangne, et l'ont longement celeit. Dont Charle son fis oit apres mult de mal et fut decachiés par ses dois freres bastars, enssi com vos oreis chi apres.

[II, p. 469] [Pépin fut capturé, emmené et tenu longtemps caché] Alors vinrent à passer par là douze hommes qui venaient combattre. Le duc de Saxe et le roi Radbod les reconnurent et les appelèrent à grands cris. Ces hommes tirèrent leurs grosses épées et attaquèrent Pépin, qui se défendit et en tua quatre ; mais cela ne lui servit guère, car ses adversaires lui lancèrent des piques et l'attaquèrent à l'épée si bien qu'il tomba à terre. Il fut pris, lié et emmené au fond de l'Allemagne, dans le château de Portangne, où il fut maintenu longtemps caché. De tout cela, de tous ces malheurs, son fils Charles entendit parler beaucoup plus tard. Pépin sera sorti du cachot par ses deux frères bâtards, dont vous entendrez parler ci-après

Le roi Pépin, disparu, va longtemps être considéré comme mort. Il faudra attendre la page 480, plus de dix pages donc du Myreur, avant qu'il ne fasse sa réapparition. D'après Jean d'Outremeuse, Les Francs envisageront même sa succession d'une manière très précise, ce qui provoquera nombre d'événements qui occuperont les pages suivantes. Faut-il préciser que cette longue disparition de Pépin le Bref et les événements qu'elle a entraînés n'ont rien à voir avec l'Histoire ?

Lourd bilan humain (Radbod, Grimoald et le duc de Saxe notamment sont tués)

[II, p. 469] [Ralmon ly roy, et li duc de Saxongne, et Grimoable furent ochis] Et li roy Ralmon soy herchoit à terre vers l'estour, por avoir alcon qui li aidast, si fut apercheus des cristiens qui l'ont ochis. Ceste batalhe durat de medis jusqu'à la nuyt, et fut en mois de marche ; et à la nuyt sont departis les cristiens et en avoient de melheur ; si sont retrais, si ne voienL pointe de Pipin le roy franchois, si furent laidement corochiés.  Et les paiens ne n'ont pois moins, por Ralmon leur roy, et le duc de Saxongne, et Grimoable de Hollande.

[II, p. 469] [Le roi Radbod, le duc de Saxe et Grimoald furent tués] Le roi Radbod se traîna à terre vers le lieu du combat pour avoir de l'aide, mais les chrétiens l'aperçurent et le tuèrent. Cette bataille, qui dura de midi à la nuit, eut lieu en mars. Une fois la nuit tombée, les chrétiens s'en allèrent, conscients de leurs malheurs. Ils se retirèrent et, ne voyant pas Pépin le roi des Francs, ils en furent très affligés. Les païens ne l'étaient pas moins, à cause de la mort de leur roi Radbod, du duc de Saxe et de Grimoald de Hollande.


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