FEC -  Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 28  - juillet-décembre 2014


 

La Fuite de la Sainte-Famille en Égypte chez Jean d’Outremeuse.

 

Un épisode de l’Évangile vu par un chroniqueur liégeois du XIVe siècle

 

par

Jacques Poucet

 

Professeur émérite de l'Université de Louvain

Membre de l'Académie royale de Belgique
<jacques.poucet@skynet.be>

 


 

PREMIÈRE PARTIE : Le Texte et LA traduction

 

 

            On trouvera ici la présentation du texte sur deux colonnes : à gauche l’original en moyen français repris à l’édition d’A. Borgnet (Ly Myreur des Histors, Tome I, Bruxelles, 1864, p. 355-378, passim), et à droite une traduction personnelle en français moderne. Pour la clarté de la présentation et la facilité de l’utilisation, nous avons conservé sous forme d’intertitres les notes marginales du manuscrit et divisé l’ensemble en soixante-dix paragraphes (§), regroupés en six blocs, que voici :

A. Injonction de l’ange à Joseph, départ de Bethléem et massacre des enfants (§ 1-12)

B. Sur le chemin de l’Égypte : le miracle du champ de blé et le premier disciple (§ 13-19)

C. Arrivée en Égypte et séjour au Caire (§ 20-24)

D. Rencontre avec le brigand Dismas et nombreux miracles (§ 25-42)

E. Séjour au Castel d’Orient : autres miracles (§ 43-68)

F. Seconde injonction de l’ange à Joseph et retour en terre d’Israël (§ 69-70).

            La présentation sera suivie d'une observation portant sur les rapports entre l'Évangile de Matthieu et Jean d'Outremeuse.

 


 

A. L’injonction de l’ange à Joseph, le départ de Bethléem et le massacre des enfants (§ 1-12)

 

 

 

L’an IIIIe
Herode fist ochire les innocens

[p. 355] (1) Le quarte an del incarnation Jhesu-Crist, mandat ly roy Herode tous les maistres de la loy, portant qu'ilh oiit dire que ly roy des Juys astoit neeis, et leur demandat s'ilh savoient où ly enfe devoit naistre de la Virgue. Adont respondirent les maistres que les prophetes assengnoient que ilh nastroit en Bethleem.

(2) Quant Herode chu entendit, ilh soy dobtat mult de sa signorie qu'ilh ne li tollist ; se mandat mult de gens d'armes, et se les fist gaitier tout nuit. Et chu fut le XXVIIIe jour de decembre, al adjournée. Et leur dest Herode que ilhs ochissent à matin tous les enfans qui sieroient troveis en la citeit de Bethleem.

 

Jhesus escapat

(3) Celle nuit vint I angele à Joseph, et ly dest que tantoist ilh s'en alaist fours de la citeit, luy et Marie et Jhesus, car Herode feroit demain al matin ochire tous les enfans de la citeit Bethleem, portant qu'ilh quide ochire Jhesus. « Et s'en vas droite vers Egipte, et ne toy en depairs jusqu'à tant que je le toy nuncheray. »

(4) Quant Joseph l'oït, se soy levat tantoist, se mist la Virgue sour unc mule awec son enfant. Mains quant ilh devoit issir de la citeit, si at troveit les gens Herode qui gardoient les portes tous armeis ; se alat à I porte que Dismas gardoit, qui astoit asseis fellons ; mains Dieu l'esperat teilement que ilh lassat Joseph aleir, car ilh ne savoit cuy ilh astoient. Et Joseph se prist fortement à chemyneir.

 

 

(5) Et quant ilh fut jour, si entrat Herode, et ses gens awec ly, en Bethleem, et ont ochis tous les enfans desous IIII ans. Adont fut acomplie le prophetie Jeremie, qui dist : « Une vois fut oiie en Ramme en grant parleur et cris ; car Rachel, la dierain femme Jacob, ploroit les jovenes mors.»

(6) Et furent à chi jour ochis des innocens VIIxx et IIII milhirs, solonc l'Escripture. Innocens ne sont mie appelleis martyres, jasoiche que ilh fuissent martyrisiés, car ilh deservirent le merite de Dieu, en morant et nient en prechant.

 

De Gonis la pucelle - Del enfant de chire
Des enfans qui devienrent singnes

(7) En paiis de Judée avoit une pucelle qui oit nom [p. 356] Gonis, filhe de I noble hons de paiis ; quant elle veit comment ons decolloit les innocens, si oit grant doleur que elle ne fuit si tempre mariée qu'elle ewist enfant qui fuist decolleis awec les aultres, en disant : « Hée Dieu ! qu'à bonne heure fut née celle mere ly cuy enfe bien awireux qui chi morat por vostre amour ! »

(8) Puis est la pucelle avisée ; si at faite I enfant de chire, se le cuchat en unc berchoul, et Ii mist sa mamelle en sa bouche, enssi com ilh fust vief.

 

(9) Gran myracle demonstrat là Dieu, car ilh donnat chaire et sanc à celle figure, et vertu de parleir, si qu'ilh parlat à Gonis et dest : « Pucelle et virgue bien awireux, à bonne heure fus-tu née, car ajourd'huy tu as fait bonne journée, car por ton amour m'at Dieu donneit vie ; or ne moy fais pas circonchier, car je veulhe morir por l'amour de ly ; je suy huy neis, si seray demain ochis, si moy baptizeray en mon sanc.»

(10) Enssi demorat jusques à lendemain, que les gens Herode sont là venus ; sy ochirent par le vilhe tous les enfans, dont gran cris est esleveis. Et là oit pluseurs dammes qui voirent leurs enfans gardeir, se les misent par les forestes ens bussons ; de coy Dieu soy corochat, et devienrent singnes.

 

(11) Mains quant la pucelle Gonis veit les gens d'armes Herode, si commenchat à chanteir et à berchier son enfant ; et les gens Herode qui l'oïrent sont cel part aleis, et ont pris l'enfant, si l'ont ochis ; mains de chu soy mervelhat tout le peuple que oncques Ii enfe ne sangnat.

(12) Adont vient I chevalier à Herode, et li dest qu'ilh avoit ochis I enfan si beal que oncques ne veit teil, et n'avoit gotte sangneit, et Ii avoit buteit l'espée en ventre ; mains quant ilh l'oit ochis, ilh veit le chiel ovrir deseur ly, et venir les angeles qui avoient l'arme de cel enfant presenteit à I saingnour, qui astoit mult beais. Quant ilh oit chu dit, Herode s'en moquat.

 

 

Événements de l’An IV
Hérode fait tuer les Innocents

(1) L’an 4 de l’Incarnation de Jésus-Christ, le roi Hérode convoqua tous les maîtres de la loi, parce qu’il avait entendu dire que le roi des Juifs était né. Il leur demanda s’ils savaient où l’enfant devait naître de la Vierge. Les maîtres lui répondirent que, d’après l’enseignement des prophètes, il naîtrait à Bethléem.

 

(2) Quand Hérode entendit cela, il craignit très fort que cet enfant ne lui enlevât son pouvoir ; il convoqua un grand nombre d’hommes armés, qu’il fit veiller toute la nuit. Cela se passa le 28 décembre, à l’aube. Hérode leur dit de tuer au matin tous les enfants qui seraient trouvés dans la cité de Bethléem.

 

Jésus échappa

(3) Cette nuit-là, un ange vint trouver Joseph et lui dit de sortir aussitôt de la cité, avec Marie et Jésus. Le lendemain matin en effet Hérode ferait tuer tous les enfants de Bethléem, car il voulait éliminer Jésus. « Va directement en Égypte, et n’en reviens pas, tant que je ne te le ferai pas savoir ».

(4) Quand Joseph entendit cela, il se leva aussitôt, mit la Vierge avec son enfant sur une mule. Mais quand il dut sortir de la ville, il trouva les hommes d’Hérode en armes qui gardaient les portes ; il alla à une porte gardée par Dismas, qui était plutôt mauvais ; mais Dieu l’inspira si bien qu’il laissa passer Joseph, car il ne savait pas qui ils étaient. Et Joseph se mit résolument en chemin.

 

Le massacre des saints Innocents

(5) Quand il fit jour, Hérode et ses gens entrèrent dans Bethléem où ils tuèrent tous les enfants âgés de moins de 4 ans. Alors fut accomplie la prophétie de Jérémie, disant : « Une voix fut entendue dans Rama, parmi des paroles et des cris ; car Rachel, la dernière épouse de Jacob, pleurait les jeunes morts ».

(6) Ce jour-là furent massacrés 4.140 innocents, selon l’Écriture. Ces Innocents ne sont pas appelés martyrs, bien qu’ils aient été martyrisés : ils servirent méritoirement Dieu par leur mort, non par leur prédication.

 

Gonis la pucelle et l’enfant de cire

Les enfants transformés en singes

(7) Au pays de Judée, vivait une jeune fille, appelée Gonis, fille d’un noble du pays ; quand elle vit comment on décapitait les innocents, elle souffrit beaucoup de n’avoir pas été mariée à temps pour avoir eu un enfant qui serait décapité avec les autres, et elle dit : « Hé, Dieu, heureuse est-elle la mère dont l’enfant a le bonheur de mourir pour l’amour de vous ! »

(8) La jeune fille prit alors une décision : elle façonna un enfant en cire, le coucha dans un berceau, et lui mit son sein en bouche, comme si il était vivant.

(9) Et là Dieu fit un grand miracle, donnant à cette image chair et sang, et le pouvoir de parler, si bien qu’il s’adressa à Gonis et dit : « Pucelle et vierge bienheureuse, tu es née au bon moment, car aujourd’hui tu as eu une bonne journée : par ton amour, Dieu m’a donné vie ; mais ne me fais pas circoncire, car je veux mourir par amour pour lui ; je suis né aujourd’hui ; je serai tué demain, et je serai baptisé dans mon sang. »

(10) Ainsi en fut-il jusqu’au lendemain, quand arrivèrent les gens d’Hérode. Ils tuèrent les enfants à travers la ville, d’où s’élevèrent de grands cris. Il y eut là plusieurs dames qui, voulant garder leurs enfants, les placèrent dans des buissons dans les bois. Dieu s’en courrouça, et ces enfants devinrent des singes.

(11) Mais quand la jeune Gonis vit les gens d’armes d’Hérode, elle commença à chanter et à bercer son enfant. Les gens d’Hérode l’entendirent, se rendirent à cet endroit, prirent l’enfant, et le tuèrent ; mais tout le monde s’étonna de ce que l’enfant ne saignât jamais.

(12) Alors un chevalier se rendit chez Hérode et lui dit qu’il avait tué un enfant si beau qu’il n’en avait jamais vu de pareil, que cet enfant n’avait pas versé une seule goutte de sang, quand il lui avait transpercé le ventre de son épée ; mais qu’après l’avoir tué, il avait vu le ciel s’ouvrir au-dessus de lui et venir des anges, qui avaient présenté l’âme de cet enfant à un seigneur, qui était très beau. Quand il entendit cela, Hérode se moqua.

 

 

 

B. Sur le chemin de l’Égypte : le miracle du champ de blé et le premier disciple (§ 13-29)

 

 

 

De proidhons qui semoit des bleis

(13) Et Nostre-Damme s'en alloit tendant vers Egypte mult espawentée, et Joseph le conduisoit. Si ont tant alleit, que ilh vinrent passant deleis I proidhons qui des bleis semoit ; Marie le saluat et Ii demandat le chemin vers Egypte, et Ii proidhons li dest mult douchement : « Vos en yreis toudis le chemin que vos aleis, tant que vos trovereis une arbrespine ; puis tenreis le chemien à [p. 357] diestre, en costiant les boscaiges ; apres trovereis une riweseal, qui est de fluis de paradis terrestre. Quant vos sereis passeis celle aighe, se sereis à segure, car nuls larons n'y oise habiteir. »

 

Jhesus parolle à Joseph
Grant myracle de Jhesu-Crist

(14) Atant sont partis. Mains Jhesus huchat Joseph, et li dest qu'ilh dit à chis proidhomme que se les gens le roy Herode le demandent s'ilh nos at veyut passeir, si responde oilh quant ilh semoit les bleis ; ly proidhons entendit bien Jhesus, si Ii dest : « Enfes, par ma loy, volentirs. ».

(15) Atant s'en vont ; mains ilh ne furent gaire long, quant les gens Herode sont là venus, et demandent à proidhomme s'il avoit là veyut passeir I homme qui conduisoit une femme sour unc mule et I enfant, que ons leur avoit racompteit qu'ilh s'en aloient par là. Quant Ii proidhomme les oiit, se respondit : « Oilh, chi les vey passeir, quant je semay chesti frument que vos veiés maours por colhir ; depuis je ne vey chi personne passeir. »

(16) Enssi retournarent les gens Herode, et ly proidhons veit mult bien que chu astoit Dieu qui là avoit passeit le matin ; se dest que ilh yroit apres luy et le sierverat, et refuserat femme et ses enfans.

 

De proidhons, comment ilh alat vers Jhesus

(17) Lendemain, droit al matin, s'en allat ly proidhons apres Nostre-Saingnour ; si trovat en son chemien les pas que ly mule avoit faite, et li proidhons s'abassoit à terre et les baisoit, en depriant Dieu que ilh ly laisast retroveir la mere et l'enfant. Tant alat li proidhomme, qu'ilh at passeit le pont del aighe qui departoit les terres.

(18) Et là encontrat-ilh sainte Marie qui tenoit son fis Jhesus, se les saluat et dest : « Damme, laisiés-moy alleir awec vos, se vos serveray ; je suy Ii hons qui hire matin semoit le frument, qui jà est maours ; portant suy venus apres vos que je sçay bien que ch'est Dieu que vos teneis, par qui salveis sierat tout le monde. » Quant Marie entendit le proidhomme, se l'at retenut awec lée.

(19) Chis proidhons fut puis ly gran amis de Jhesu-Crist, car Dieu l'endoctrinat et l'ensengnat tant, que ilh fist messe chanteir et son santisme corps sacreir. Et fut chis hons nommeis Amadus, et ch'est sains Amadus.

 

 

Du brave homme qui semait du blé

(13) Et Notre-Dame s’en allait, fort effrayée, en direction de l’Égypte, sous la conduite de Joseph. Ils cheminèrent jusqu’au moment où ils passèrent près d’un brave homme qui semait du blé. Marie le salua et lui demanda le chemin vers l’Égypte, et l’homme lui répondit très aimablement : « Vous suivrez toujours la même route jusqu’à ce que vous trouviez une aubépine ; puis vous prendrez à droite, en longeant les bois ; après vous rencontrerez un cours d’eau, qui coule du paradis terrestre. Quand vous l’aurez traversé, vous serez en sécurité, car aucun brigand n’ose y habiter. »

 

Jésus parle à Joseph

Grand miracle de Jésus-Christ

(14) Alors ils partirent. Mais Jésus appela Joseph et lui dit de dire à ce paysan : « Si les gens du roi Hérode vous demandent si vous nous avez vus passer, répondez-leur : ‘oui, quand je semais le blé’ ». Le paysan comprit bien Jésus et lui dit : « Enfant, par ma loi, volontiers ».

(15) Ils s’en vont alors. Mais il ne fallut pas longtemps avant que les hommes d’Hérode ne soient là et ne demandent au paysan s’il avait vu passer un homme conduisant sur une mule une femme et un enfant. On leur avait appris qu’ils allaient de ce côté. L’homme répondit : « Oui, je les ai vus passer quand je semais ce froment que vous voyez là mûr, bon à cueillir ; depuis je n’ai vu personne passer ici. »

(16) Alors les gens d’Hérode s’en retournèrent, et le brave homme comprit très bien que c’était Dieu qui était passé là le matin. Il se dit qu’il allait le suivre, le servir et abandonner sa femme et ses enfants.

 

Comment le brave homme alla vers Jésus

(17) Le lendemain, tout au matin, le brave homme partit pour suivre Notre-Seigneur. Il retrouva en chemin les traces de pas de la mule, et, tombant à terre, il les baisait, en priant Dieu de lui permettre de retrouver la mère et l’enfant. L’homme marcha jusqu’à ce qu’il eut traversé le pont de la rivière séparant les pays.

(18) Là il rencontra sainte Marie qui tenait son fils Jésus, les salua et dit : « Madame, laissez-moi vous accompagner pour vous servir. C’est moi l’homme qui hier matin semait le froment, qui est déjà bien mûr. Je vous ai suivis parce que je sais bien que dans vos bras vous tenez Dieu, par qui tout le monde sera sauvé ». Quand Marie eut entendu ce brave homme, elle le garda avec elle.

(19) Ce paysan fut dans la suite le grand ami de Jésus, car Dieu l’instruisit et le forma pour qu’il fasse chanter la messe et consacrer son très saint corps. Cet homme était appelé Amadus, et c’est saint Amadus.

 

 

 

 

C. Arrivée en Égypte et séjour au Caire (§ 20-24)

 

 

 

Les ydolles de Egipte chaïrent

(20) Item à cel temps n'avoit dammes en Egipte qu'elle n'awist en sa chambre ydolles faites d'or ou d'argent, de coevre ou d'erain, que elles adoroient tous les jours à matin et al vesprée ; mains oussitoist que Jhesus [p. 358] entrat en la terre, toutes les ydols criarent si fort que ly peuple en fut tout enbahis, et puis chaïrent les ymages à terre et debrisarent en piches.

 

De Juys qui demeuroit à Cayr

(21) Adont avoit en Egipte I juys qui astoit muIt saige, qui dest à peuple qu'ilh avoit veyut en la scripture que quant Dieu nasqueroit de virgue, qui debriseroit les ydolles. « Et portant ons puet clerement veioir que ilh est neeis ; se priiés à Ii dévoItement qu'ilh soy lasse veioir. » Atant priarent tout la nuit à Dieu que ilh se vosist à eaux demonstreir.

(22) Chu fut en une citeit qui oit nom Cayr, qui siet en Egipte, et Nostre-damme et Jhesu-Crist awec Joseph vinrent à la porte de celle citeit, droit à meynuit ; mains elle astoit fermée, sique ons ne voloit dedens lassier entreir nulle personne jusqu'al jour, ne oussi issir por I guere qu'ilh avoient à I hault prinche.

 

Miracle de mort qui soy relevat

(23) Dedens celle citeit avoit-ons novellement ensevelit I mors hons, qui soy relevat de sa sepulture et appellat le peuple, et leur dest : « Saingnours, porquoy ratendeis-vos de ovrir la porte où Dieu atent ? Que ons le laisse dedens entreir, qui m'at fait resusciteir pour chu nunchier. » Quant ilh oit chu dit, ilh meisme alat defermeir la porte et Dies y entrat.

 

Jhesus demorat el citeit de Cayr

(24) En celle citeit sourjournat sainte Marie, et Jhesus son fis awec Joseph, unc pau de temps tant qu'ilh li plaisit ; puis s'en partit, enssi com vos oreis quant je seray là tourneis.

 

[de p. 358, l. 19 à p. 360, l. 6 : hors sujet]

 

Chute des idoles d’Égypte

(20) En ce temps-là, en Égypte il n’y avait aucune dame qui n’ait dans sa chambre des idoles faites d’or et d’argent, de cuivre ou de bronze, idoles qu’elles adoraient tous les jours, le matin et le soir. Mais dès que Jésus entra dans le pays, ces idoles crièrent si fort que le peuple en fut tout effrayé ; ensuite elles tombèrent à terre et se brisèrent en morceaux. 

 

Du Juif qui demeurait au Caire

(21) En ce temps-là vivait en Égypte un Juif très sage, qui dit au peuple qu’il avait lu dans l’Écriture que quand Dieu naîtrait d’une vierge, il briserait les idoles. « Et c’est pourquoi il est maintenant clair qu’il est né ; priez-le dévotement pour qu’il se manifeste. » Alors ils prièrent Dieu toute la nuit, pour qu’il veuille se montrer à eux.

(22) Cela se passa dans une cité, appelée Le Caire, qui se trouve en Égypte. Notre-Dame et Jésus-Christ avec Joseph arrivèrent à la porte de cette cité à minuit exactement. Mais elle était fermée. On ne voulait laisser pénétrer personne avant le lever du jour, ni en sortir parce que la cité menait alors une guerre contre un puissant prince.

 

Miracle du mort qui se releva

(23) Dans cette ville, on avait récemment enseveli un homme. Le mort se releva de son tombeau, appela le peuple et lui dit : « Seigneurs, qu’attendez-vous pour ouvrir la porte où Dieu attend ? Qu’on le laisse entrer ; c’est lui qui m’a ressuscité pour vous annoncer cela ». Après avoir dit cela, il alla lui-même ouvrir la porte et Dieu entra dans la ville.

 

Jésus demeura dans la ville du Caire

(24) Sainte Marie et Jésus son fils habitèrent là avec Joseph quelque temps, tant que cela lui plut. Puis elle partit, comme vous l’apprendrez quand je reviendrai sur ce sujet.

 

 

 

 

D. Rencontre avec le larron Dismas et nombreux miracles (§ 25-42)

 

 

 

 L’an V

Jhesus et Marie soy departent de Cair la citeit

Les XII larons

 [p. 360, l. 7] (25) Item, l'an deseurdit le XIIe jour de mois de octembre, soy partit Joseph et la virge Marie, awec son enfant Jhesu-Crist, del citeit de Cayr où ilh avoit habiteit ; si entrat en son chemien où ilh allat IIII journéez, et al quatreyme journée sont-ilhs entreis en unc bosquet, où ilh avoit XII larons partans ensemble ; et gaitoit ly uns apres l'autre le chemien, si desroboient les marchans.

 

 De Dismas, le bon laron

Joseph fut suscorus de leire Dismas

Jhesus delivrat Joseph de la mort

(26) A cel jour que Nostre-Damme y passat gaitoit Dismas, ly uns de XII larons : chu fut chis qui lassat passeir Nostre-Damme à la porte de Bethleem, et qui puis fut pendus deleis Jhesu-Crist à diestre, et Ii priat merchi.

(27) Enssi com Joseph passoit par le boscaige, ilh vient à unc ponte deleis unc flos mult parfont, et l'assalhit li leires de son agait atout unc gran cuteal. Si vint à Joseph et Ii dest : « Tu es leire, car tu as embleit chist enfant ; se moy diras où tu l'as pris, et moy lairas chu que tu enporte. » « Beais amis, lais-moy aleir », dest Joseph ; « je ne sçay embleir enfant, et oussi n'ay-je point d'argent. »

(28) Atant vint Nostre-Damme avant, et voit Dismas, si quidat bien morir, si appellat son fis en souspirant, et dest : « Beais fis, que ratens-tu ? ne vois-tu mie que chi leire veult ochire Joseph ? » Et Jhesus respondit : « S'ilh plaist à Dieu, mon pere, ilh ne Ii ferait jà maul. »

(29) Quant Dismas entent l'enfant, qui astoit si jovene et qui parloit si saigement, se Ii priat merchi, et Dieu ly pardonnat ; atant emynat Jhesus et sa compangnie en sa maison, et li fist grant fieste, en laqueile ilh sourjournat III jours.

Del fontaine où Jhesus fut bangniet

Le promirs myracle Jhesu-Crist

(30) Chis Dismas avoit en son jardin une fontaine ; en celle fontaine bagnat Nostre-Damme son enfant tout vestit : là fist Jhesus unc de ses promirs myracles, car Ii aighe qui degottoit de ly et de ses vestimens sus la terre, quant ons l'oit oisteit fours de la fontaine, devenoient fleurs de diverses manere, sicom rouses, lis, fleurs de glay, violetes et aultres diverses fleurs.

 

 

La mere Dismas fut garie de mesellerie

[p. 361] (31) Item, chis leire Dismas avoit sa mere, qui astoit et avoit esteit longtemps messelle par l'espause de VII ans ; celle vint à la fontaine, si fut tantoist garie.

 

L’ongement dont Jhesus fut oindut

(32) ltem, en chis jardin prist et colhit Nostre-Damme les fleurs et les herbes, dont el fist l'ongement de coy Marie-Magdalaine oindit les piés Nostre-Saingnour

 

Por l’alaitement Nostre-Damme
fut l’enfant Dismas garis

(33) Item, chis Dismas avoit I enfant, qui tous jours deispuis que ilh fut neis avoit esteit esploreis, ne oncques la mere ne le pot faire taire ne mangier. Adont la benoite virge Marie demandat qu'ilh falloit chist enfant ?

(34) La mere respondit qu'elle ne savoit. Adont prist Nostre-Damme sa mamelle et alaitat l'enfant, et li enfe endormit entre ses bras mult douchement : chis enfe, solonc chu que sains Jeromme racompte, chu fut sains Salveurs.

 

Nostre-Damme soy partit de Dismas

Les arbres soy enclinent encontre Jhesus-Crist et sa mere et florissoient
Les beistes vinent adoreir Jhesu-Crist

(35) Quant Nostre-Damme oit demoreit trois jours en la mason Dismas, si soy partit, et entrat en son chemyn awec sa compangnie, et Dismas les conduisoit tant qu'ilh furent à salveteit ;

(36) mains al departir elle donnat à la femme Dismas la boiste al ongement, en disant : « Teneis celle boiste et le gardeis bien, encors en poreis avoir mestier. » Et elle soy dest voire, car puis ly fallit son avoir, si portat la beuste en Jherusalem, où Marie-Magdalaine l'achatat.

(37) Parmy le boscaige s'en vont la sainte compangnie, qui astoit si plaine de nief et de jalée, que ons ne savoit où ly chemyn astoit ; nientmoins ilh n'oit endit forest arbre qu'ilh ne soy enclinast encontre Jhesu-Crist et sa mere, et florissoient enssi com chu fuist en mois d'avrilh. Et chu astoit le XIXe jour d'octembre. Et adont chantoient tous les oyseals de bois encontre la venuwe Jhesu-Crist, sicom chu fuist en mai. Et toutes les biestes savaiges de bois sont venues en genos devant le mule, qui portoit Jhesu-Crist et sa mere.

(38) Quant Ii leire Dismas veit que Jhesu-Crist faisoit teiles myracles, se dest à Nostre-Damme : « Damme, balhiiés-moy chist enfant, et le moy lassiés unc pou porteir, et ilh moy pardonrat tous mes pechiés. »

(39) Atant delivrat Nostre-Damme à Dismas son enfant jusques al defours del forest, puis le rendit à la virge Marie, et soy partit d'eaux et retournat vers sa maison.

 

Myracle de la pucelle

(40) Atant s'en vat Nostre-Damme ; mains elle n'oit mie chemyneit une liewe, que elle at encontreit une pucelle qui ploroit mult tenrement, seiant desous une arbre, portant [p. 362] que uns laron, qui oit nom Ysacars, ly avoit tollut ses vestimens et ly voloit faire chu que mie ne ly plaisoit ; et ly avoit son frere empuisonneit, si qu'ilh sembloit mors.

(41) Quant Nostre-Damme veit chu, se escriat à lairon que ilh laisast la pucelle esteir ; et chis Ii respondit qu'ilh n'en feroit riens por lée, et que de lée meismes auroit son mantel et son mule. Adont dest Nostre-Damme : « Tu parolle follement, mains je yray parleir à chevalier qui giist desous chis arbre, savoir se ilh est mors ou vief. »

(42) Atant desquendit la virge, et benit le chevalier trois fois, puis prist le main de son enfant, se le touchat al chevalier, et ilh salhit tantoist sus, et où ilh veit le laron si court vers luy, et le ferit teilement de son espée, si qu'ilh le fendit jusqu'en la chinture.

 

 

Événements de l’an V

Jésus et Marie quittent Le Caire

Les douze larrons

(25) En l’an cité ci-dessus, le 12 octobre, Joseph et la Vierge Marie avec son enfant Jésus-Christ quittèrent la cité du Caire où ils avaient habité. Ils prirent la route et marchèrent pendant quatre jours. Au quatrième jour, ils entrèrent dans un bois qui abritait une bande de douze larrons ; tour à tour, ils faisaient le guet sur la route et dévalisaient les marchands.

  

 

Dismas, le bon larron

Joseph fut attaqué par le larron Dismas

Jésus délivra Joseph de la mort

(26) Le jour où passa Notre-Dame, Dismas, un des douze larrons, était de guet : c’était lui qui avait laissé Notre-Dame passer la porte de Bethléem, et qui plus tard fut pendu à la droite du Christ, où il lui demanda grâce.

(27) Or donc, comme Joseph passait par le bois, il arriva à un pont sur une rivière très profonde, où le brigand aux aguets l’attaqua avec un grand couteau. Il vint à Joseph et lui dit : « Tu es un brigand car tu as volé cet enfant ; tu me diras où tu l’as pris, et tu me laisseras ce que tu portes avec toi ». – « Bel ami, laisse-moi passer, dit Joseph ; je ne suis pas capable d’enlever un enfant, et je n’ai pas d’argent non plus. »

(28) Alors Notre-Dame s’avance et voit Dismas. Elle croit mourir, appelle son fils en soupirant et lui dit : « Beau fils, qu’attends-tu ? Ne vois-tu pas que ce brigand veut tuer Joseph ? » Et Jésus répondit : « Si cela plaît à Dieu mon père, il ne lui fera pas de mal ». 

(29) Quand Dismas entendit l’enfant, si jeune et parlant si sagement, il lui demanda grâce et Dieu lui pardonna. Alors le brigand emmena Jésus et sa compagnie en sa maison où il lui fit grande fête. Jésus y séjourna trois jours.

 

De la fontaine où Jésus fut baigné

Le premier miracle de Jésus-Christ

(30) Dismas avait dans son jardin une fontaine, où Notre-Dame baigna son enfant tout habillé. C’est là que Jésus fit un de ses premiers miracles. En effet, quand on l’eut sorti de l’eau, les gouttes qui tombèrent de ses vêtements sur la terre devinrent des fleurs de toutes sortes : roses, lis, glaïeuls, violettes et autres.

 

 

La mère de Dismas guérie de la lèpre

(31) Ce Dismas avait une mère lépreuse ; elle l’était depuis longtemps, sept ans. Quand elle vint à la fontaine, elle fut aussitôt guérie.

 

L’onguent dont fut oint Jésus

(32) Dans ce jardin, Notre-Dame prit et cueillit les fleurs et les herbes dont elle fit le parfum avec lequel Marie-Madeleine oignit les pieds de Notre-Seigneur. 

 

 

L’enfant de Dismas guéri
par l’allaitement de Marie

(33) Ce Dismas avait un enfant, qui, chaque jour depuis sa naissance, n’avait cessé de pleurer, et que sa mère n’avait jamais pu faire taire ni manger. La bienheureuse Vierge Marie demanda ce qui lui manquait.

(34) La mère répondit qu’elle ne le savait pas. Alors Notre-Dame prit son sein et allaita l’enfant, lequel s’endormit très doucement  dans ses bras : cet enfant, selon ce que raconte saint Jérôme, devint saint Sauveur.

 

 

Notre-Dame quitta Dismas. Les arbres s’inclinent et fleurissent
 devant Jésus et sa mère

Les bêtes viennent adorer Jésus-Christ

(35) Après être restée trois jours dans la maison de Dismas, Notre-Dame la quitta et se mit en route avec son groupe, que Dismas accompagna jusqu’à ce qu’ils soient en sécurité.

(36) En partant, elle avait donné à la femme de Dismas la boîte avec l’onguent, en lui disant : « Prenez-la et gardez-la bien ; vous pourrez encore en avoir besoin. » Et elle disait vrai, car plus tard l’argent vint à manquer. La femme porta cette boîte à Jérusalem, où Marie-Madeleine l’acheta.

(37) La sainte compagnie marcha à travers le bois, couvert de neige et de gelée au point qu’on ne savait plus où était le chemin. Dans cette forêt pourtant, il n’y avait pas un arbre qui ne s’inclinât devant Jésus-Christ et sa mère. Ils fleurissaient comme si on était au mois d’avril. Or on était le 19 octobre. Tous les oiseaux chantaient à la venue de Jésus, comme si on était en mai. Et toutes les bêtes sauvages venaient s’agenouiller devant la mule qui portait Jésus-Christ et sa mère.

 (38) Quand le brigand Dismas vit que Jésus faisait de tels miracles, il dit à Notre-Dame : « Madame, confiez-moi cet enfant, et laissez-moi le porter un peu ; il me pardonnera tous mes péchés. »  

(39) Alors Notre-Dame laissa son enfant à Dismas jusqu’à la sortie de la forêt. Dismas le rendit ensuite à la vierge Marie, puis il les quitta et s’en retourna chez lui.

 

Miracle de la pucelle

(40) Ensuite, Notre-Dame s’en alla. Mais elle n’avait pas cheminé une lieue qu’elle rencontra une jeune fille qui pleurait doucement, assise sous un arbre, parce qu’un brigand, nommé Ysacars, lui avait arraché ses vêtements et voulait lui faire une chose qui ne lui plaisait pas. Il avait aussi empoisonné son frère, qui semblait mort.

(41) Quand Notre-Dame vit cela, elle cria au larron de laisser la pucelle  tranquille, mais il répondit qu’il n’en ferait rien et qu’il lui prendrait même son manteau et sa mule. Alors Notre-Dame dit : « Tu parles comme un fou, mais j’irai parler au chevalier couché sous cet arbre, pour savoir s’il est mort ou vivant ».

(42) Alors la Vierge descendit de sa monture et bénit trois fois le chevalier, puis elle prit la main de son enfant et lui fit toucher le chevalier. Celui-ci se redressa aussitôt et, quand il vit le larron, il courut à lui et le frappa si fortement de son épée qu’il le fendit jusqu’à la ceinture.

 

 

 

 

E. Séjour au castel d’Orient : autres miracles (§ 43-68)

 

 

 

 

Mervelhe en casteal d’Orient

(43) Atant se part Nostre-Damme, et at tant alleit que le XXIle jour d'octembre, droit à none, est-elle venue à casteal d'Orient, où Elizabeth sa cusine demoroit, qui grant fieste li fist, et à grant joie l'at rechut, car chu astoit la flour de son linaige.

(44) En jardin de chi casteal n'oit arbre qui ne soit ployés et enclineis vers Jhesu-Crist ; et les biestes en lassarent toutes le mangnier, et les petis enfans laissarent tous le laitier, et les poissons de vivier et de la fontaine de vergier lassarent le noieir et vinrent gesir sour le gravier ; si en prist qui avoir en vot.

 

Des ymages qui astoient en la mahomerie

(45) Item, saint Jerome nous racompt que en marchiet de chi casteal avoit une mahomerie que les Juys adoroient, mains toutes les ymages qui astoient là dedens soy debrisarent toutes ; là avoit I viel juys qui veit chu, se dest : « Unc Dieu doit naistre d'une virgue pucelle qui ches ymaiges doit debrisier. Si est neeis, chu moy semble bien ; je ne sçay où ilh est. »

 

Chi demorat Jhesus II ans

(46) Quant les Juys oirent chu, si furent esperdus et dient entre eaux que chu astoit contre la venue Marie ; enssi furent-ilh en grant debat. En celle casteal demorat Nostre-Damme dois ans tous acomplis.

 

L’an V

Des pochons qui furent debrisiés par Jhesus et refais

(47) En cel meisme an, le VIle jour du mois d'octembre, avient en casteal d'Orient que les jovenes enfans alarent joweir à une fontaine qui astoit en vergier Joras, unc grant juys ; et en celle compangnie astoit Jhesus et Johans, li fis Elizabeth, qui fut nommeis Sains-Johans-Baptiste, et avoit cascon porteit awec ly unc vaseal de voile por boivre.

(48) Quant les enfans furent à la fontaine, si fist tant cascon que sa buret fut plaine ; et Johan-[p. 363] Baptiste prist le siene buret, se le reversat en la fontaine. De chu fut engramis Jacob, li fis Joras, cuy la fontaine astoit, qui astoit asseis orguilheux ; et vint à Johans, se le butat en la fontaine, et Johans, qui enfes astoit, en plorat et issit de la fontaine al mies qu'il pot.

(49) Quant Jhesus veit que Jacob avoit enssi fait à son cusin, si en fut corochiés, si prist tous les pochons ou burettes aux enfans et les debrisat ; et les enfans commencharent à criier et ferir leurs mains ensemble.

(50) Adont parlat li plus jovene de tous les enfans, qui fut nommeis Judich, et dest : « Jhesus, par ma foid, chi at malvaise compangnie, et cierte jamais ne vos suirons. »

(51) De chu oit Jhesus piteit ; si appellat tous les enfans, et leurs dest : « Se vos voleis remettre les pieches de vos pochons ensemble, ilh sieront refais. » Et cheaux respondirent oilh ; et en furent mult liies et joians les enfans. Si ont mise les pieches de pochons toutes en I mont devant Jhesus, et ilh les sengnat ; si furent tantost tous entiers, et truvons en l'Escripture qu'ilh en fut par compte XIX.

(52) De teils myracles faisoit Jhesus asseis en sa jovente ; se doit-ons bien avoir fianche en luy, car en nos puet-ilh faire, defaire et refaire chu qu'ilh ly plaiste.

(53) Apres chu sont tous les enfans ralleis en leurs maisons, joians et esbaudis de leurs pochons qui astoient refais.

 

[p. 363, l. 19 à p.  364, l. 5a : hors sujet]

 

L’an VI

De tintenirs

De pomier que Jhesus fist croistre

Myracle des draps de tintenier

[p. 364, l. 5b] (54) Item, en cel an meismes, le IXe jour de may, qui astoit en mardit, avient que Jhesus ly enfes, awec luy Johans-Baptiste et plusieurs aultres jovenes enfans, aloient joweir ensemble aux champs.

(55) Se avient que ilh passoient parmy une rue, où ilh demoroit I tintenirs de draps qui tindoit à chi jour ; et avoit ses cuwes mises et tot apparelhiet por tindre les draps qui là gisoient, et astoit aleis en son jardin coupeir une vergelet de quoy ilh avoit mestier entour son ovraige,

(56) si astoit sa maison seule demorée. Et Jhesus vat dedens entreir awec Johans-Baptiste, si ont pris tous les draps et les ont jetteis en la choudier ; mains Iy tinteniers y sourvient, qui n'en fist point de fieste, car ilh ne voloit mie jetteir tous ses draps en une choudier, car ilh les voloit tindre en diverses coleurs.

(57) Et portant ilh fut si corochiés que ilh prist I cutuel, se le lanchat vers Jhesum ; mains li cutuel ferit en unc peron de marbre, et oussitost ilh issit de peron en droit lieu où li cuteal tochat, un beal pomier vers et floris, si poissans qu'ilh awist XX ans que ons l'awist planteit.

(58) Quant li tinleniers veit chu, si fut mult esbahis, et puis corit vers sa chaidire, si en oistat ses draps que Jhesus y avoit jetteit, qui astoient tous tiens et coloreis de diverses coloires, teiles com li tinteniers les demandoit ; si en oit grant mervelhe, si appellat ses voisiens et leur dest chu que li astoit avenus, et ilh dessent que chu faisoit Jhesus, ly fis Marie.

(59) Por cheli myracle portarent les Juys grant honneur à l'enfant, et disoient ypluseurs que ilh astoit le fis de Dieu omnipotent.

 

[de p. 364, l. 26 à p. 365, l. 25a : hors sujet]

 

De Jhesu comment il chevalchat sur un rée de soleal

[p. 365, l. 25b] (60) En cel an meismes, en mois de june deseurdit, astoit Jhesus aleis joweir aux champs awec Johans-Baptiste et bien cent aultres petis enfans ; se soy sont assis defours les murs de casteal d'Orient entres les arbres en unc jardin, et ly soleal luisoit beal et chaut, sicom ilh afferoit à cel temps, si jettoit ses rées grans et clers. Adont montat Jhesus sour unc arbre ramut, parmy lequeile les rées de soleal trespassoient ; atant salhit Jhesus sus le rée de soleal, et le commenchat à chevalchier en teile manere com chu fust unc marien de bois.

(61) Quant Jacob, le fis de [p. 366] prevost, veit chu, si vot enssi faire et chevalchier le rée de solea. Atant est-ilh monteit sour I arbre, et voit I rée qui deleis ly aparoit et radissoit ; si est desus salhis, mains tantoist que ilh perdit l'arbre ilh chayt à terre, et point le rée de solea ne le sourtient.

(62)De chu fut Johans-Baptiste liies, portant que devant chu l'avoit butteit en la fontaine, enssi com dit est.

Jacob chayt et fust garit

(63) A cel cheioir que Jacob fist ilh chayt sour son bras, sique ilh le brisat. Adont commenchat fortement à crier, et disoit : « Jhesus, Jhesus, por Dieu merchi ! je sçay bien que tantoist m'areis garit, se ilh vos plaist. » Atant est Jhesus descendus et prent Jacob par le main, se le lieve sus sains et haities.

(64) Quant les aultres enfans ont chu veyut, si sont alleis en casteal et ont tout chu racompteis aux Juys, et por chu l'honoront plus les Juys com devant.

 

L’an VI

Jhesus encontrat le dyable

(65) Item, l'an deseurdit, le quars jour de jule, avient que Jhesus soy partit de sa mere sainte Marie, et s'en alloit. Si encontrat en sa voie le dyable Sathanas ; mains oussitoist que Jhesus le veit, se l'at bien recognut. Et ly dyable vient deleis luy, se le prist et l'emportat sour une hauIt montangne, et là ly monstrat-ilh le paiis tout altour et li dest : « Se tu volois croire en moy et aoreir et tenir à sangnour, je toy donroy tout chi paiis que tu vois. » – « Foux, dist Jhesus, tu es trop orgulheux ; porquoy vues-tu que je tu aoire, com je suy ton saingnour, et tu es mon sierf ? Tu es trop felons, quant tu m'as enssi tempteis, mains je croie que tu ne seis cuy je suy. »

(66) Respont ly dyable : « Je le sçay mult bien, tu es li fis Marie. » Et dest Jhesus : « Tu cognos bien ma mere, mains bien ne sceis-tu qui est mon pere fours que Dieu. » Dest Sathanas : « Ton pere est Joseph, li vies enchanteur.» Adont dest Jhesus : « Tu ne sceis que tu dis, faux glos ; je toy commande que tu m'enreporte de chesti montangne où tu m'as jà tenus XL jours, car je ay fain, se veulhe mangier. »

(67) Quant Sathanas entendit Jhesus, se le prist et le portat sour une altre montangne, où ilh li monstrat les pires et dist : « Se tu es li fis de Dieu, se fais que ches pires soient pain, se mangnois, si poras ton fain del tout perdre. » Adont dest Jhesus : « Sathanas, maile aies-tu, car poior n'as-tu de moy à tempteir ; ains convenrat que tu moy serve et aoire, et je te commande que tu t'en [p. 367] vois arire. »

(68) Tantost s'en alat Sathanas, qui plus avant n'oisat demoreir, et laisat Jhesum sour la montangne ; mains les sains angeles vinrent qui le reportarent en casteal d'Orient, où sa mere astoit fortement esmaiet, portant qu'elle ne le poioit retroveir. Et quant elle le veit, si fut grandement joiante et liie, et ly fut dedont en avant defendut del issir de casteal ; se n'alat plus joweir awec lez petis enfans.

 

[de p. 367, l. 6 à p. 378, l. 16 : hors sujet]

 

 

Merveille au Castel d’Orient

(43) Alors Notre-Dame reprit la route et tant marcha que le 22 octobre, juste à la neuvième heure, elle arriva au Castel d’Orient où demeurait sa cousine Élisabeth. Celle-ci lui fit grande fête et la reçut avec grande joie, car la Vierge Marie était la fleur de son lignage.

(44) Dans le jardin de ce Castel, il n’y eut pas un arbre qui ne se pliât et ne s’inclinât vers Jésus-Christ ; les bêtes cessèrent toutes de manger, les petits enfants de s’allaiter, et les poissons du vivier et de la fontaine du verger de nager, pour venir s’échouer sur le gravier. En prenait qui voulait.

 

Des images dans le temple païen

(45) Saint Jérôme nous raconte que sur le marché de ce Castel, il y avait un temple païen où les Juifs priaient, et dont toutes les statues qu’il abritait se brisèrent entièrement. Un vieux Juif qui était là, dit en voyant cela : « Un Dieu doit naître d’une vierge pucelle, qui doit briser ces statues. Il me semble bien qu’il est né ; mais je ne sais pas où il est ».

 

Jésus y resta deux ans

(46) Quand les Juifs entendirent cela, ils furent profondément troublés et se dirent que l’événement était en rapport avec la venue de Marie ; ainsi eurent-ils de grands débats. En ce Castel, Notre-Dame demeura deux ans entiers.

 

L’an V

Des pots brisés et refaits par Jésus

(47) En cette même année, le 7 octobre, il se fit qu’au Castel d’Orient les enfants allèrent jouer près d’une fontaine, qui se trouvait dans le verger de Joras, un Juif important. Dans le groupe se trouvaient Jésus et Jean, le fils d’Élisabeth, qui fut appelé Saint-Jean-Baptiste. Chacun avait apporté avec lui un récipient de verre pour boire.

(48) Quand les enfants arrivèrent à la fontaine, chacun y remplit son récipient. Mais Jean-Baptiste prit le sien et le reversa dans la fontaine. Cela irrita Jacob, qui était le fils de Joras propriétaire de l’endroit. Il était assez orgueilleux. Il vint à Jean et le poussa dans la fontaine. Jean, qui était un enfant, se mit à pleurer et sortit de l’eau du mieux qu’il put.

(49) Quand Jésus vit que Jacob avait ainsi traité son cousin, il en fut courroucé, prit tous les récipients des enfants et les brisa. Les enfants commencèrent alors à crier et à en venir aux mains.

(50) Alors le plus jeune, qui s’appelait Judich, prit la parole et dit : « Jésus, par ma foi, tu es de mauvaise compagnie ; assurément nous ne te suivrons jamais ».

(51) Alors Jésus eut pitié ; il appela tous les enfants et leur dit : « Si vous voulez rassembler toutes les pièces de vos récipients, ils seront refaits ». Ils répondirent oui, très heureux et joyeux. Ils mirent en tas tous les morceaux devant Jésus, qui les bénit ; aussitôt les vases redevinrent entiers, et nous trouvons dans l’Écriture que leur nombre était de dix-neuf.

 

(52) Durant son enfance Jésus fit beaucoup de miracles de ce type. On doit avoir confiance en lui, car il peut faire, défaire et refaire en nous ce qu’il lui plaît.

(53) Après cela tous les enfants retournèrent dans leurs maisons, joyeux et réjouis que leurs pots soient réparés.

 

 

L’an VI

Le teinturier

Le pommier que Jésus fit pousser

Miracle des draps du teinturier

(54) Cette même année, le 9 mai, qui était un mardi, l’Enfant-Jésus, et avec lui Jean-Baptiste et plusieurs autres jeunes enfants, étaient partis jouer ensemble dans les champs.

(55) Il arriva qu’ils passèrent par une rue, où demeurait un teinturier, lequel, ce jour-là, teignait des draps. Il avait bien disposé ses cuves et tout préparé pour teindre les draps qui étaient par terre ; puis il était allé dans son jardin pour couper une baguette dont il avait besoin pour son travail.

(56) Sa maison était restée sans surveillance. Jésus y entra avec Jean-Baptiste ; ils prirent tous les draps et les jetèrent dans le chaudron. Quand le teinturier revint, il ne leur fit pas fête : il n’avait pas l’intention de mettre tous les draps dans un seul chaudron, car il voulait les teindre en différentes couleurs.

(57) Cela le mit tellement en colère qu’il prit un couteau et le lança sur Jésus, mais le couteau frappa un bloc de marbre, duquel sortit aussitôt, à l’endroit exact de l’impact, un beau pommier vert et fleuri, très robuste, comme s’il avait été planté vingt ans plus tôt.

(58) Quand le teinturier vit cela, il fut tout ébahi. Il courut à son chaudron, en retira les draps que Jésus y avait jetés et qui étaient tous teints et colorés de couleurs différentes, exactement comme le voulait le teinturier. Celui-ci, grandement émerveillé, appela ses voisins et leur expliqua ce qui était arrivé. Ils racontèrent ce que faisait Jésus le fils de Marie.

(59) Suite à ce miracle, les Juifs manifestèrent beaucoup d’honneur à l’enfant. Plusieurs disaient qu’il était le fils de Dieu tout puissant.

 

 

 

Comment Jésus chevaucha un rayon de soleil

(60) En cette même année [an VI], au mois de juin, Jésus était allé jouer dans les champs avec Jean-Baptiste et au moins cent autres petits enfants. Ils s’assirent en dehors des murs du Castel d’Orient, parmi les arbres d’un jardin. Le soleil luisait, beau et chaud, comme d’habitude à cette saison, et il dardait de grands rayons lumineux. Alors Jésus monta sur un arbre branchu, que traversaient les rayons du soleil. Il sauta sur un rayon et commença à le chevaucher, comme s’il s’était agi d’un morceau de bois.

(61) Quand Jacob, le fils du prévôt, vit cela, il voulut faire la même chose. Alors il monta sur un arbre, et quand il vit près de lui un rayon brillant, sauta dessus. Mais dès qu’il eut quitté l’arbre, il tomba par terre, car le rayon de soleil ne le soutenait pas.

(62) Jean-Baptiste se réjouit de cette mésaventure : parce que précédemment, comme on l’a dit, ce Jacob l’avait poussé dans la fontaine.

 

 

Jacob tomba et fut guéri

(63) Lors de sa chute, Jacob tomba sur son bras et le brisa. Alors il se mit à crier très fort : « Jésus, Jésus, par Dieu, pitié ! Je sais que tu me guériras immédiatement si cela te plaît. » Alors Jésus descend, prend Jacob par la main et le relève sain et bien portant.

(64) Quand les autres enfants ont vu cela, ils sont allés au Castel et ont tout raconté aux Juifs. Et ces derniers, à cause de cela, l’honorèrent davantage encore.

 

L’an VI

Jésus rencontra le diable

(65) Cette même année, le 4 juillet, Jésus quitta sa mère sainte Marie, et s’en alla. Sur son chemin, il rencontra le diable Satan. Mais aussitôt que Jésus le vit, il le reconnut parfaitement. Le diable s’approcha alors de lui, le prit et l’emporta sur une haute montagne. Puis, lui montrant le pays tout autour, lui dit : « Si tu voulais croire en moi, m’adorer et me considérer comme ton seigneur, je te donnerais tout le pays que tu vois ». – « Fou, dit Jésus, tu es trop orgueilleux, pourquoi veux-tu que je t’adore, puisque je suis ton seigneur et que tu es mon serviteur ? Tu es trop perfide de me tenter ainsi, mais je crois que tu ne sais pas qui je suis ».

 

(66) Le diable répondit : « Je sais très bien qui tu es. Tu es le fils de Marie ». Et Jésus lui dit : « Tu connais bien ma mère, mais tu ne sais pas que mon père n’est autre que Dieu ». Satan dit : « Ton père est Joseph, le vieux magicien ». Alors Jésus dit : « Tu ne sais pas ce que tu dis, misérable fourbe ; je t’ordonne de m’emporter loin de cette montagne, où tu m’as déjà retenu quarante jours, car j’ai faim et je veux manger ».

(67) Quand Satan entendit Jésus, il le prit et l’emporta sur une autre montagne, dont il lui montra les pierres en disant : « Si tu es le fils de Dieu, fais que ces pierres soient du pain, et mange ; ainsi ta faim pourra disparaître tout à fait. » Alors Jésus dit : « Malheur à toi, Satan, car tu n’as pas le pouvoir de me tenter ; il faudra maintenant que tu me serves et m’adores. Je t’ordonne de reculer et de t’en aller ».

(68) Aussitôt Satan s’en alla ; il n’osait rester davantage et laissa Jésus sur la montagne, mais des anges vinrent qui le ramenèrent au Castel d’Orient, où sa mère était très angoissée de ne pouvoir le retrouver. Et quand elle le vit, elle fut grandement contente et heureuse. Elle lui défendit dorénavant de sortir du Castel et il n’alla plus jouer avec les petits enfants.

 

 

 

 

 

F. Seconde injonction de l’ange et retour en terre d’Israël (§ 69-70)

 

 

 

L’an VII

Joseph ramynat Marie et Jhesus vers la terre Israël

Jhesus et Marie vinrent demoreir en Nazareth

[p. 378, l. 17] (69) Al promier an que Archelaus fut coroneis, assavoir l'an deseurdit, en mois de jenvier, envoiat Dieu I angle à Joseph, et li mandat que ilh en ralaist ariere vers Bethleem, et ilh le fist.

(70) Et entendit luy et Marie que Archelaus tenoit la terre de Judée, cuy Joseph tenoit mult fel ; se ne vot aleir plus avant, car ilh dobtoit mult la felonie de Archelaus. Adont revint li angle et dest à Joseph qu'ilh s'en allast en Galilée. Atant s'en alat Joseph awec Jhesus et Marie en Galilée demoreir, en la citeit de Nazareth, où ilh avoient promiers demoreit.

 

 

L’an VII

Joseph ramena Marie et Jésus en terre d’Israël

Jésus et Marie vinrent habiter à Nazareth

(69) La première année après le couronnement d’Archélaüs, c’est-à-dire l’an VII, en janvier, Dieu envoya un ange à Joseph, et lui donna l’ordre de retourner à Bethléem. Ce qu’il fit.

(70) Mais lui et Marie apprirent qu’Archélaüs était le maître de la Judée. Comme Joseph le tenait pour très fourbe, il ne voulut pas aller plus loin, car il redoutait beaucoup sa traîtrise. L’ange revint et dit à Joseph de se rendre en Galilée. Alors Joseph avec Jésus et Marie alla demeurer en Galilée, dans la cité de Nazareth, où ils avaient d’abord habité.

 

 

 

 

Une observation

 

 Avant de passer au commentaire de ce texte, il nous a paru utile de dire un mot des rapports que ce texte entretient avec le passage correspondant de l’évangile de Matthieu.

 

L’Évangile de Matthieu : source de Jean d’Outremeuse ?

On sait que Matthieu est le seul des quatre évangélistes à avoir raconté (en II, 13-23) l’épisode égyptien de la vie de Jésus. Voici le texte de son récit emprunté à la traduction d’A. Crampon :

(13) Après leur départ [aux Mages], voici qu’un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Égypte, et restes-y jusqu’à ce que je t’avertisse ; car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr ». [Première injonction de l’ange]

(14) Et lui se leva, prit l’enfant et sa mère de nuit et se retira en Égypte. [Fuite en Égypte]

(15) Et il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, afin que s’accomplit ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète : « J’ai rappelé mon fils d’Égypte ». [Séjour en Égypte]

(16) Alors Hérode, voyant que les mages s’étaient joués de lui, entra dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants qui étaient à Bethléem et dans tout son territoire, depuis l’âge de deux ans et au-dessous, d’après le temps qu’il connaissait exactement par les mages. (17) Alors fut accompli l’oracle du prophète Jérémie disant : (18) « Une voix a été entendue en Rama, des plaintes et des cris lamentables : Rachel pleure ses enfants ; et elle n’a pas voulu être consolée, parce qu’ils ne sont plus ». [Massacre des enfants]

(19) Hérode étant mort, voici qu’un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph en Égypte et lui dit : (20) « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, et va dans la terre d’Israël, car ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant sont morts ». [Seconde injonction de l’ange à Joseph]

(21) Et lui, s’étant levé, prit l’enfant et sa mère, et il vint dans la terre d’Israël. (22) Mais, apprenant qu’Archélaos régnait en Judée à la place d’Hérode, son père, il eut peur d’y aller, et, ayant été averti en songe, il gagna la région de la Galilée (23) et vint habiter dans une ville nommée Nazareth, afin que s’accomplit ce qu’avaient dit les prophètes : « Il sera appelé Nazaréen ». [Retour en terre d’Israël]

On constate, sur le plan de la structure très générale, que l’épisode égyptien chez Jean d’Outremeuse recoupe le récit de l’évangéliste. Il n’y pas à s’étonner de cette correspondance. Seul évangéliste à avoir traité le sujet, Matthieu a dans un certain sens imposé le cadre chronologique à tous les récits ultérieurs. Les deux auteurs ont d’ailleurs placé aussi l’histoire des Mages immédiatement avant l’épisode égyptien. On reviendra sur les Rois mages dans un article ultérieur.

La correspondance n’exclut pas de légères discordances dans la structure générale : ainsi l’évangéliste traite du massacre des enfants après la brève notice sur le séjour en Égypte, tandis que le chroniqueur l’introduit plus tôt dans le récit.

Cela s’explique par la différence – extrêmement importante – entre les deux versions de l’épisode égyptien : par rapport au chroniqueur liégeois, Matthieu est d’une concision extrême. Cette concision a laissé le champ libre à l’imagination de ceux qui l’ont suivi. Et c’est précisément sur la matière utilisée par les auteurs postérieurs pour « combler ce vide » que notre commentaire pourra faire porter ses analyses. Les « textes parallèles » seront essentiellement fournis par les auteurs apocryphes, dont les versions, nombreuses et variées, fourniront les points de comparaison réellement utiles. Mais de cette littérature apocryphe, il sera question plus loin.

Disons simplement ici que la correspondance générale de structure entre Matthieu et Jean d’Outremeuse, comme telle, ne prouve rien, sinon que le chroniqueur liégeois connaissait le récit de Matthieu. Le contraire eût été étonnant.

*

Passons maintenant au commentaire du récit de Jean d’Outremeuse sur l'épisode égyptien de l'enfance de Jésus. Comme on l'a dit plus haut, il comportera six chapitres et autant de fichiers : I. Le massacre des enfants ; II. Le miracle du champ de blé et le destin du semeur ; III. L’arrivée et le séjour au Caire ; IV. Les larrons et la rencontre avec Dismas ; V. Le séjour chez Dismas et les miracles ; VI. Le Castel d’Orient et les nouveaux miracles. L’analyse se terminera par une brève conclusion. 

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Bruxelles, 5 octobre 2014


FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 28 - juillet-décembre 2012

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