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Plutarque. Vie d'Alcibiade (1-22)

Traduction nouvelle annotée par M.-P. Loicq-Berger

Chef de travaux honoraire de l'Université de Liège

<loicq-berger@skynet.be>


 [Introduction]  [Plan]

[1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9] [10] [11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18] [19] [20]

[21] [22] [23] [24] [25] [26] [27] [28] [29] [30] [31] [32] [33] [34] [35] [36] [37] [38] [39]

[Vie de Coriolan]


Le texte grec traduit ici est celui qu'ont établi pour la Collection des Universités de France R. Flacelière et E. Chambry (Les Belles Lettres, 1964). Dans l'état actuel de la tradition manuscrite, la Vie d'Alcibiade figure dans un manuscrit du XIe-XIIe s. conservé à la bibliothèque vaticane (Vaticanus graecus 138 = U), dans un groupe de manuscrits parisiens échelonnés de la fin du XIIIe au XVe s. (Parisinus graecus 1671 = A  ; 1672 = B  ; 1673 = C  ; 1675 = E, le premier de ceux-ci étant le plus représentatif de la vulgate), dans un manuscrit madrilène du XIVe s. (Matritensis 4685 = N) et dans un vénitien du XVe s. (Marcianus 385 = M).


I. L'Athénien (1-22)

 

Présentation  : origines familiales, portrait physique (1)

1.  

(1) La lignée d'Alcibiade semble avoir eu pour fondateur Eurysakès, fils d'Ajax, tandis que, du côté maternel, il était un Alcméonide, puisque né de Deinomachè, fille de Mégaclès. Quant à son père, Clinias, il avait glorieusement combattu à l'Artemision sur une trière équipée à ses frais, et il mourut par la suite lors d'un combat contre les Béotiens, à Coronée.

(2) Les tuteurs d'Alcibiade furent Périclès et Ariphron, fils tous deux de Xanthippe, auxquels l'attachaient des liens familiaux.

(3) On dit non sans raison que la bienveillance et l'amitié de Socrate à son égard ont largement servi sa gloire  : de fait, pour Nicias, Démosthène, Lamachos, Phormion, Thrasybule, Théramène, tous gens célèbres du temps d'Alcibiade, leur mère n'eut pas la moindre renommée, tandis que, pour lui, nous connaissons jusqu'à sa nourrice, une Laconienne appelée Amycla, ainsi que son pédagogue Zopyros - ce dont témoignent Antisthène pour la première, et Platon pour le second.

(4) De sa beauté physique, rien à dire sans doute, sauf qu'elle fleurit durant toute sa jeunesse et son âge mûr  : enfant, adolescent, adulte, elle le rendit aimable et charmant.

(5) Ce n'est pas que, comme le disait Euripide, chez tous les hommes beaux, l'automne encore est beau, mais ce fut pourtant le propre d'Alcibiade (et de quelques autres), grâce à l'excellence de sa nature et à sa qualité corporelle.

(6) Pour la voix, son zézaiement même lui conférait, dit-on, quelque chose de séant et donnait à son langage une grâce qui le rendait persuasif.

(7) Aristophane aussi mentionne son zézaiement dans ces vers où il brocarde Théôros  : « Et alors, Alcibiade me dit en zézayant : « Tu legaldes Théôlos ? il a la tête d'un colbeau ! ».

(8) Archippos, raillant le fils d'Alcibiade, affirme : « Sa démarche est languissante, il laisse traîner son manteau, pour avoir l'air tout à fait ressemblant à son père et, tout en zézayant, il dodeline de la tête ».

[Début]


Les enfances : les plaisirs et les jeux, les études (2-3)

2.

(1) Par la suite, comme il est naturel dans les situations importantes accompagnées de nombreux retournements de fortune, son caractère révéla beaucoup de disparates et de retours sur soi-même  ; mais de toutes les passions violentes qui étaient en lui par nature, la plus forte était l'ambition de vaincre et de primer, ainsi qu'il ressort des faits mémorables de son enfance.

(2) Un jour qu'il se trouvait serré dans une lutte, pour ne pas tomber, il attira jusqu'à sa bouche les bras de son adversaire comme s'il allait lui dévorer les mains. (3) L'autre alors relâcha sa prise, en disant : « Mais c'est que tu mords, Alcibiade, comme les femmes ! » - « Moi ! pas du tout, dit-il, mais comme les lions ! ». Encore petit, il jouait aux osselets dans une ruelle ; c'était son tour de lancer quand survient une charrette chargée de marchandises. (4) Il demanda tout d'abord au conducteur de l'attelage d'attendre, car le lancer tombait sur le passage de la charrette, mais l'homme, grossièrement, n'écoute pas et va de l'avant. Les autres garçons s'écartèrent ; quant à Alcibiade, il se jeta par terre devant l'attelage, s'étendant de tout son long et enjoignant à l'homme de passer par-dessus lui s'il le veut. L'autre prit peur et tira son attelage en arrière ; ce que voyant, les gens, terrifiés, se mirent à hurler et coururent tous ensemble vers Alcibiade.

(5) Lorsqu'il arriva en âge de s'instruire, il écoutait convenablement tous ses maîtres, mais en revanche, il se dérobait aux leçons de flûte, soutenant que c'était là un art sans noblesse et indigne d'un homme libre : c'est que l'usage du plectre et de la lyre n'abîme pas le maintien ni la forme corporelle convenables à un homme libre, tandis que si un homme souffle avec sa bouche dans la flûte, ses intimes mêmes reconnaissent très difficilement son visage.

(6) Et de plus, quiconque tient la lyre peut en même temps parler et chanter, tandis que la flûte obstrue et ferme la bouche, privant tout un chacun de la voix et de la parole. « Qu'aillent donc jouer de la flûte », disait Alcibiade, « les enfants des Thébains, car eux ne savent pas tenir de conversation ; mais nous autres Athéniens, comme l'affirment nos pères, nous avons Athéna pour fondatrice et Apollon pour ancêtre : or elle a rejeté la flûte et lui, a écorché le flûtiste ».

(7) Mêlant ainsi le plaisant au sérieux, Alcibiade s'éloigna de cette étude et en éloigna les autres. Car le bruit se répandit vite parmi les enfants qu'Alcibiade - avec raison - détestait la flûte et se moquait de ceux qui l'apprennent. Dès lors, la flûte fut entièrement bannie des études libérales et tout à fait traînée dans la boue.

3.

(1) Dans les Invectives d'Antiphon, il est écrit qu'Alcibiade enfant s'était échappé de chez lui pour aller chez Démocratès, un de ses amants, et qu'Ariphron voulait le rappeler par une proclamation publique ; mais Périclès n'y consentit pas, disant que s'il était mort, cela ne se saurait que juste un jour plus tôt, grâce à la proclamation, mais que s'il était sain et sauf, bien misérable serait le reste de sa vie. Antiphon ajoute qu'Alcibiade tua l'un de ses serviteurs à coups de bâton dans la palestre de Sibyrtios. (2) Mais il ne vaut peut-être pas la peine de croire ces invectives que l'on avoue avoir lancées par haine contre Alcibiade.

[Début]


Relations athéniennes d'Alcibiade : Socrate et quelques autres (4-7)

4.

(1) Nombre de gens de bonne famille se pressaient et s'empressaient désormais autour d'Alcibiade. La plupart le courtisaient, manifestement subjugués par l'éclat de sa beauté. En revanche, l'amour de Socrate témoignait grandement de l'excellente prédiposition de l'enfant à la vertu ; tout en voyant cette disposition révélée par son aspect extérieur jusqu'à l'illuminer, Socrate redoutait d'autre part la richesse d'Alcibiade, son rang, la foule de citadins, d'étrangers, d'alliés qui voulaient l'envelopper à force de flatteries et d'égards. Alors, il se mit à le défendre, pour ne pas le voir, tel une plante en fleur, perdre et détruire le fruit qui est le sien.

(2) Il n'est personne, en effet, que la Fortune ait autant enveloppé et prémuni de « biens » extérieurs, de telle sorte qu'il devînt invulnérable à la philosophie et inaccessible aux raisonnements empreints de mordante franchise. Et pourtant Alcibiade eut beau être amolli dès le départ, et empêché par son entourage complaisant de prêter l'oreille à tout mentor ou éducateur : grâce à son excellent naturel, il reconnut néanmoins Socrate et le laissa l'approcher, en écartant ses amants riches et renommés.

(3) Rapidement, Alcibiade fit de Socrate son intime et il écouta les paroles d'un amant qui ne faisait pas la chasse au plaisir indigne d'un homme, ne réclamait ni baisers ni caresses, mais lui reprochait les défauts de son âme et réprimait son orgueil stupide et vain. Alors Alcibiade « se blottit tel un coq vaincu, l'aile repliée », (4) et il réalisa que l'oeuvre de Socrate était réellement un service demandé par les dieux pour le soin et le salut de la jeunesse. Rempli de mépris pour lui-même, d'admiration pour Socrate, aimant sa bonté et vénérant sa vertu, il acquit peu à peu un reflet d'amour, un amour en retour comme dit Platon : au point que tous s'étonnaient de voir Alcibiade dîner avec Socrate, lutter avec lui, partager sa tente, alors qu'avec ses autres amants il était difficile, intraitable, se comportant même de façon arrogante avec certains, comme avec Anytos, le fils d'Anthémion.

(5) Il se trouvait qu'Anytos, amoureux d'Alcibiade, l'avait invité à dîner un jour qu'il recevait des hôtes. Alcibiade refusa l'invitation mais, après s'être saoulé chez lui, il se rendit avec ses compagnons en cortège chez Anytos. S'étant présenté à la porte de l'appartement des hommes et ayant jeté un coup d'oeil sur les tables chargées de coupes d'argent et d'or, il ordonna à ses esclaves d'en prendre la moitié et de les transporter chez lui, sans même juger bon d'entrer ; sur quoi, il s'en alla.

(6) Les invités, indignés, dénoncèrent l'excessive insolence dont Alcibiade avait fait montre à l'endroit d'Anytos ; mais ce dernier affirma : « Disons plutôt qu'il a fait montre de mesure et d'humanité : alors qu'il lui était loisible de prendre le tout, il nous en a laissé une partie ! »

[Début]

5.

(1) C'est ainsi qu'il traitait ses autres amants, à l'exception d'un seul : un métèque, dit-on, peu fortuné mais qui avait vendu tous ses biens et en avait apporté le montant, environ cent statères, à Alcibiade, en le priant d'accepter ; Alcibiade se mit à rire et, charmé, l'invita à dîner.

(2) Après l'avoir régalé et traité en ami, il lui rendit son or et lui enjoignit d'enchérir dès le lendemain sur les prix offerts par les fermiers de l'impôt public et de leur rafler l'affaire.

(3) Comme l'autre refusait, vu que le prix du fermage se montait à plusieurs talents, Alcibiade le menaça du fouet s'il ne s'exécutait pas - c'est que lui-même, justement, se trouvait avoir un grief personnel contre les percepteurs d'impôts !

(4) Dès l'aube, donc, le métèque se rendit au marché et renchérit d'un talent sur le prix du fermage. Les percepteurs se groupent et, furieux, lui enjoignent de désigner un garant, dans la pensée qu'il n'en trouverait pas ; tout troublé, l'homme veut se retirer, mais Alcibiade se lève et, de loin, lance aux gouvernants : « Inscrivez-moi, c'est un ami à moi, je m'en porte garant ».

(5) Entendant cela, tous les fermiers se trouvèrent bien embarrassés : habitués qu'ils étaient à toujours régler la première adjudication avec le produit des suivantes, ils ne voyaient pas d'échappatoire à l'affaire et priaient l'homme de s'en aller, contre compensation pécuniaire. Alcibiade ne lui permit pas de prendre moins d'un talent ; ils lui donnent alors ce talent, qu'Alcibiade lui enjoint d'accepter avant de se retirer. Voilà de quelle manière il vint en aide à cet homme-là.

[Début]

6.

(1) Tout en rencontrant nombre d'adversaires d'importance, l'amour de Socrate dominait généralement Alcibiade : grâce à l'excellente nature de celui-ci, les paroles de Socrate le touchaient, bouleversaient son coeur et lui faisaient verser des larmes. Il y avait néanmoins des moments où le jeune homme se livrait aux flatteurs qui lui suggéraient une foule de plaisirs ; il échappait alors à Socrate et, s'enfuyant comme un esclave, il se trouvait véritablement pris en chasse par cet homme, le seul pour qui il éprouvait respect et crainte, alors qu'il méprisait les autres.

(2) Cléanthe affirmait ne tenir l'être aimé que par les oreilles, tandis que ses rivaux se permettaient quantité de prises auxquelles lui-même renonçait, à savoir l'estomac, le sexe, le gosier. Sans doute Alcibiade était-il enclin aux plaisirs ; (3) dans sa vie privée, en effet, la propension au plaisir physique que signale Thucydide donne bien lieu à pareil soupçon.

(4) Néanmoins, c'est plutôt par l'ambition et l'appétit de gloire que ceux qui voulaient le corrompre s'emparèrent de lui et le précipitèrent avant l'heure dans une recherche de grandes actions ; ils le persuadèrent que, sitôt entamée son action publique, non seulement il éclipserait immédiatement les autres, généraux et orateurs, mais qu'il surpassserait même aux yeux des Grecs la puissance et la gloire de Périclès.

(5) De même que le fer amolli au feu se contracte à nouveau et condense ses éléments sous l'effet du froid, de la même manière Socrate, chaque fois qu'il ramenait à lui Alcibiade voguant dans la débauche et la frivolité, savait l'écraser par sa parole et le rabaisser jusqu'à le rendre humble et timide : simplement parce qu'il avait appris l'étendue des déficiences du jeune homme et de son imperfection sur le chemin de la vertu.

[Début]

7.

(1) Sorti de l'enfance, Alcibiade aborda un jour un maître d'école et lui demanda un livre d'Homère. Le maître lui disant qu'il n'avait rien d'Homère, le garçon le frappa du poing et passa son chemin.

(2) Un autre affirmait détenir un Homère qu'il avait lui-même corrigé : « Et alors, dit Alcibiade, tu enseignes la lecture, toi qui es capable de corriger Homère ! Que ne fais-tu plutôt l'éducation des jeunes gens  ? »

(3) Voulant un jour rencontrer Périclès, Alcibiade se présente à sa porte. Apprenant que le grand homme n'a pas le temps car il est en train de chercher comment il va rendre ses comptes aux Athéniens, Alcibiade se retire en disant : « Parbleu, ne serait-il pas préférable de chercher la manière de n'en pas rendre ? »

Encore adolescent, il fit l'expédition de Potidée ; il partageait la tente de Socrate et combattait à ses côtés.

(4) Survint une bataille importante où tous deux excellèrent, mais Alcibiade s'étant effondré, blessé, Socrate se mit devant lui, le protégea et, de toute évidence, le sauva avec ses armes.

(5) C'était donc à Socrate qu'en toute justice revenait le prix de la bravoure ; mais comme les généraux, vu le rang d'Alcibiade, s'efforçaient manifestement de lui conférer cet honneur, Socrate, voulant accroître l'ardeur du jeune homme pour les beaux gestes, fut le premier à témoigner pour lui et à conseiller qu'on lui donne la couronne et la panoplie.

(6) Ensuite, lors de la bataille de Délion et de la fuite des Athéniens, Alcibiade, qui était cavalier, vit Socrate qui se repliait avec quelques fantassins ; loin de passer outre, il lui fit escorte et, en le couvrant, le protégea contre les ennemis qui les serraient de près et tuaient beaucoup de monde - ces faits, à vrai dire, sont postérieurs.

[Début]


Beau mariage et mauvais ménage (8)

8.

(1) Hipponicos, père de Callias, était un homme de grande réputation et de pouvoir, grâce à sa richesse et à son lignage ; Alcibiade lui donna un coup de poing, non qu'il fût poussé par la colère ou par quelque différend, mais parce qu'il avait fait, pour rire, un pari avec ses compagnons.

(2) Cette insolence fit beaucoup jaser en ville et tous, naturellement, de s'indigner en choeur. Le lendemain, dès le point du jour, Alcibiade se rendait chez Hipponicos ; il frappe à la porte, entre et, déposant son manteau, lui présente sa personne en l'invitant à le fouetter et à le punir.

(3) Hipponicos apaisa sa colère, pardonna à Alcibiade et même, par après, fit de lui le mari de sa fille Hipparétè. Certains prétendent néanmoins que ce n'est pas Hipponicos mais Callias, le fils de celui-ci, qui avait donné Hipparétè à Alcibiade, avec une dot de dix talents, mais qu'ensuite, sa femme devenue mère, Alcibiade en exigea encore dix autres, sous prétexte que cela avait été convenu s'ils avaient des enfants.

(4) Or Callias, redoutant un traquenard, recourut à l'assemblée du peuple, auquel il fit don de ses biens et de sa maison s'il devait lui arriver de mourir sans descendance. Hipparétè, pour sa part, était une femme rangée et elle aimait son mari, mais celui-ci la rendit si malheureuse durant leur mariage, à force de se commettre avec des courtisanes étrangères et athéniennes, qu'elle quitta la maison et s'en alla chez son frère.

(5) Comme Alcibiade n'en avait cure et vivait en débauché, Hipparétè dut déposer chez l'archonte son attestation d'abandon marital et ce, non en recourant à des tiers, mais en se présentant elle-même. Quand donc elle se présenta pour le faire légalement, Alcibiade fit irruption, se saisit d'elle et s'en fut, la ramenant chez lui à travers la place publique sans que personne s'y oppose ni se risque à la lui enlever.

(6) Elle resta pourtant chez lui jusqu'à sa mort qui, à vrai dire, arriva peu après, lorsqu'Alcibiade s'embarqua pour Éphèse. Or cette violence ne parut absolument pas illégale, ni inhumaine : c'est que la loi, semble-t-il, contraint la femme qui veut quitter son mari à se présenter en personne au ministère public dans l'intention, précisément, d'offrir au mari la possibilité de se réconcilier avec elle et de la garder.

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L'irrésistible épateur (9-10)

9.

(1) Alcibiade possédait un chien d'une taille et d'une allure admirables, qu'il avait acheté soixante-dix mines ; il lui coupa la queue, bien qu'elle fût magnifique.

(2) Son entourage le blâme et dit que tout le monde va le mordre et l'invectiver, à cause de ce chien. Alcibiade éclate de rire : « Voilà précisément ce que je veux, dit-il : je veux que les Athéniens jasent là-dessus, de peur qu'ils n'en disent de pires à mon sujet ! »

[Début]

10.

(1) Sa première apparition sur la scène publique date, dit-on, d'une donation volontaire impromptue. Alcibiade passait au moment où les Athéniens étaient en train de manifester bruyamment ; il en demande la raison. Apprenant qu'il est question de contribution volontaire, il s'approche, fait un don, et le peuple d'applaudir en criant de joie. Alcibiade en oublie la caille qu'il tenait sous son manteau.

(2) L'oiseau prend peur, s'enfuit et les Athéniens de hurler plus fort ! Beaucoup se lèvent pour le prendre en chasse ; c'est Antiochos, le pilote, qui l'attrapa et le lui rendit ; aussi devint-il cher entre tous à Alcibiade.

(3) Sa naissance, sa richesse, sa vaillance au combat lui ouvraient toutes grandes les portes de la carrière politique ; il avait quantité d'amis et de familiers, mais sa force auprès des masses, il croyait la tirer surtout du charme de sa parole.

(4) Assurément, qu'il fût doué pour parler, c'est ce qu'attestent les poètes comiques, et le plus doué des orateurs affirme dans son Contre Midias qu'Alcibiade, comparé aux autres, était d'une très redoutable éloquence. Et si nous en croyons Théophraste, homme d'écoute et d'histoire s'il en est parmi les philosophes, Alcibiade était habile entre tous pour inventer et imaginer ce qu'il fallait ; mais à force de chercher non seulement ce qu'il fallait dire, mais aussi comment le dire, avec quels mots et quelles tournures, sans les trouver pour autant, bien souvent il se trompait, s'arrêtait au milieu de son discours et, l'expression lui faisant défaut, laissait passer un temps tout en cherchant à se reprendre et en réfléchissant profondément.

[Début]


Les victoires olympiques et leurs à-côtés (11-12)

11.

(1) Ses élevages de chevaux devinrent fameux, et aussi le nombre de ses chars ; à Olympie, il en fit entrer sept en lice, chose qu'aucun autre, ni particulier, ni roi, mais lui seul a faite.

(2) Avoir gagné d'emblée, puis remporté le deuxième prix et le quatrième, selon Thucydide, le troisième suivant Euripide, voilà qui surpasse en éclat et en renommée toute ambition en ce domaine.

(3) Euripide, dans son poème, dit ceci : « C'est toi que je vais chanter, fils de Clinias. C'est une belle chose que la victoire ; mais la plus belle, celle que n'a faite nul autre Grec, c'est de gagner à la course des chars le premier, le deuxième et le troisième prix, et de revenir deux fois, sans fatigue, couronné de laurier, offrir proclamation au héraut. »

[Début]

12.

(1) Ce qui rendit plus apparent encore cet éclat d'Alcibiade, c'est l'émulation des cités à son égard : les Éphésiens lui dressèrent une tente splendidement décorée, la ville de Chios offrait de la nourriture pour ses chevaux et quantité de victimes sacrificielles, les Lesbiens, du vin et tout le nécessaire à des réceptions où il conviait nombre de gens sans compter.

(2) Cependant une rumeur - calomnie ou médisance - relative à cette émulation des cités fit clabauder davantage encore.

(3) Il y avait, dit-on, à Athènes un certain Diomède, point méchant homme, ami d'Alcibiade, et qui aspirait à remporter une victoire olympique ; apprenant que les Argiens avaient un char officiel et sachant Alcibiade très puissant à Argos où il avait beaucoup d'amis, il le persuada d'acheter ce char pour lui, Diomède. Après l'avoir acheté, Alcibiade l'inscrivit sous son propre nom et envoya promener Diomède, lequel supporta mal la chose, prenant ciel et terre à témoins. Il paraît même qu'un procès survint à ce propos : un discours Sur l'attelage a été rédigé par Isocrate pour le fils d'Alcibiade, discours où, à vrai dire, le plaignant n'est pas Diomède, mais bien Tisias.

[Début]


De l'art d'éliminer ses rivaux (13-14)

13.

(1) Dès qu'il se lança, encore adolescent, dans la carrière politique, il éclipsa immédiatement les autres meneurs populaires, mais il eut surtout à lutter contre Phéax, le fils d'Erasistratos, et contre Nicias, fils de Niceratos : ce dernier était déjà avancé en âge et passait pour un général d'élite ; Phéax, en revanche, commençait alors à monter, comme Alcibiade lui-même, étant issu lui aussi d'un glorieux lignage, mais il était inférieur à lui sous d'autres rapports, et notamment pour l'éloquence.

(2) C'est que Phéax était, semble-t-il, de conversation agréable et persuasive en privé, plutôt que vraiment capable de soutenir des joutes à l'assembée du peuple ; il était, comme dit Eupolis « excellent pour bavarder, parfaitement incapable de parler ».

(3) Il circule encore un discours Contre Alcibiade attribué à Phéax : il y est noté, après d'autres points, que la cité ayant fait l'acquisition de quantité de vases d'or et d'argent, Alcibiade s'en servait dans l'usage quotidien comme s'ils étaient à lui.

(4) Il y avait alors un certain Hyperbolos, du dème de Périthoïde, que Thucydide mentionne même comme un méchant homme et qui, continuellement raillé dans les théâtres, fournissait à l'ensemble des auteurs comiques un sujet amusant.

(5) Imperturbable face aux critiques, rendu insensible par son indifférence à l'endroit de sa propre réputation - indifférence que certains dénomment audace et courage, alors que c'est tout simplement impudence et déraison -, cet homme-là ne plaisait à personne, mais le peuple se servait souvent de lui quand il avait envie d'insulter et de calomnier les gens estimés.

(6) Or donc, à l'instigation d'Hyperbolos, le peuple se préparait à infliger un ostracisme - mesure par laquelle il rabaisse et expulse toujours quiconque surpasse les autres citoyens en renommée et en puissance : le peuple apaise ainsi sa jalousie bien plutôt que sa crainte...

(7) Comme il était clair qu'on allait frapper d'ostracisme un des trois orateurs, Alcibiade réunit les partis en un même lieu et, s'étant abouché avec Nicias, fit tomber l'ostracisme sur Hyperbolos.

(8) À ce que d'aucuns affirment, ce n'était pas avec Nicias mais avec Phéax qu'Alcibiade se concerta et, en s'adjoignant le parti de ce dernier, il fit bannir Hyperbolos, lequel ne s'y serait jamais attendu.

(9) En effet, nul homme médiocre ou sans renom n'encourait ce châtiment, comme l'a dit à peu près Platon le comique en évoquant Hyperbolos : « Assurément, il a fait des choses bien dignes de son caractère, mais en voici qui sont indignes de lui et de ses infamies : ce n'est pas pour de pareilles gens qu'on a inventé l'ostracisme ! » - Ce qu'on raconte à ce sujet a été exposé plus longuement par ailleurs.

[Début]

14.

(1) Admiré qu'il était par les ennemis autant qu'honoré par les citoyens, Nicias n'en était pas moins un sujet de chagrin pour Alcibiade. Ce dernier était proxène des Lacédémoniens et il s'était occupé d'hommes à eux faits prisonniers à Pylos.

(2) Mais comme c'est surtout grâce à Nicias que les Lacédémoniens avaient obtenu la paix et récupéré leurs hommes, ils l'aimaient tout particulièrement ; le bruit courait chez les Grecs que, si Périclès les avait engagés dans la guerre, Nicias les en avait délivrés et la plupart des gens appelaient cette paix « paix de Nicias ». Alcibiade en était excessivement contrarié et, dans sa jalousie, projetait une violation des serments échangés.

(3) Tout d'abord, sentant que les Argiens, mus par leur haine et leur envie à l'endroit des Spartiates, cherchaient à rompre avec eux, Alcibiade leur insuffla secrètement l'espoir d'une alliance athénienne. Dialoguant avec les chefs du peuple par le truchement de messagers, il les encourageait à ne pas craindre les Lacédémoniens, ni à leur céder, mais à se tourner vers les Athéniens et à attendre que ceux-ci viennent à résipiscence - ce qui ne pouvait tarder - et dénoncent le traité de paix.

(4) Après avoir conclu une alliance militaire avec les Béotiens, les Lacédémoniens livrèrent aux Athéniens Panacton non pas intact, comme il se devait, mais complètement détruit. Alcibiade, sentant ses compatriotes furieux, les exaspérait davantage encore, s'en prenait à Nicias et l'accusait - reproche fondé - de n'avoir pas consenti, quand il était général, à chasser lui-même les ennemis laissés en arrière à Sphactérie : une fois que d'autres s'en furent saisis, il les avait relâchés et rendus aux Lacédémoniens pour leur faire plaisir.

(5) Ensuite, Alcibiade accusait Nicias de n'avoir pas su convaincre les Lacédémoniens, dont il était l'ami, de ne pactiser ni avec les Béotiens, ni avec les Corinthiens ; Nicias cherche même à empêcher qu'aucun Grec veuille être ami et allié d'Athènes dès lors que cela déplaisait aux Lacédémoniens !

(6) Après quoi, aux côtés de Nicias (qui se trouvait mal pris) vinrent se ranger, comme par hasard, des ambassadeurs de Lacédémone, porteurs de propositions intéressantes : ils arrivaient, affirmaient-ils, nantis des pleins pouvoirs en vue de toute conciliation équitable.

(7) Le Conseil les reçut et le peuple se préparait à en discuter le lendemain en assemblée. Alcibiade, prenant peur, fit en sorte que les ambassadeurs lui ménagent un entretien.

(8) Quand ils se trouvèrent ensemble, Alcibiade leur dit : « Dans quelles dispositions êtes-vous ici, Messieurs les Spartiates ? Comment ne vous rendez-vous pas compte que le Conseil, c'est vrai, est toujours modéré et bienveillant envers ses visiteurs, mais que le peuple, en revanche, est gonflé d'orgueil et de grandes aspirations ? Si vous vous déclarez nantis des pleins pouvoirs, il se montrera intransigeant dans ses directives et ses exigences.

(9) Allons ! fi de votre candeur ! si vous voulez trouver les Athéniens mesurés et ne subir nulle pression violente contre votre avis, discutez des solutions équitables comme si vous n'aviez pas pleins pouvoirs. De mon côté, je travaillerai dans le même sens que vous, afin d'être agréable aux Lacédémoniens ».

(10) Sur ces mots, il leur engagea sa foi par serment et détourna ainsi de Nicias les ambassadeurs, lesquels se fiaient totalement à lui, Alcibiade, admirant à la fois son habileté et son intelligence comme celles d'un homme hors du commun.

(11) Le lendemain, le peuple s'assembla et les ambassadeurs arrivèrent. Alcibiade leur demandant très courtoisement à quel titre ils étaient venus, ils prétendirent qu'ils n'avaient pas pleins pouvoirs.

(12) Aussitôt, Alcibiade s'en prit vivement à eux, criant, furieux, comme s'il était non le responsable mais la victime d'une vilaine manigance, leur reprochant d'être peu fiables, versatiles, venus pour ne rien faire ni rien dire de sensé ! Et le Conseil de s'indigner, le peuple de s'irriter, tandis que Nicias était saisi de stupeur et de découragement devant le revirement des Spartiates - il ignorait la duperie et la ruse d'Alcibiade.

[Début]


Engagement militaire et politique (15)

15.  

(1) Les Lacédémoniens ainsi expulsés, Alcibiade, nommé stratège, fit immédiatement entrer Argiens, Mantinéens et Éléens dans l'alliance athénienne.

(2) Sa manière d'agir, assurément, personne ne l'approuvait, mais le résultat de son action était considérable : désunir et ébranler l'ensemble du Péloponnèse ou peu s'en faut ; en un seul jour aligner contre les Lacédémoniens, à Mantinée, un nombre impressionnant de boucliers ; organiser le plus loin possible d'Athènes le combat, avec son péril menaçant pour l'ennemi. Ainsi la victoire n'apportait rien de significatif aux vainqueurs et, dans le cas contraire, il eût été bien difficile à Lacédémone de survivre.

(3) Après le combat, les Mille s'appliquèrent immédiatement à renverser le régime populaire à Argos et à faire de cette ville une sujette des Lacédémoniens, dont l'intervention balaya effectivement la démocratie.

(4) Mais la majorité populaire reprit les armes, l'emporta et Alcibiade venu à la rescousse confirma la victoire des démocrates ; il les persuada de prolonger les longs murs en les faisant descendre jusqu'à la mer et de lier entièrement la cité à la puissance athénienne.

(5) D'Athènes, il amena charpentiers et tailleurs de pierres ; il faisait montre d'un tel zèle qu'il ne se gagna pas moins de pouvoir pour lui-même que pour sa patrie.

(6) D'un autre côté, il avait aussi persuadé les gens de Patras de relier également par de longs murs leur cité à la mer, quand quelqu'un leur dit : « Les Athéniens vous avaleront ! ». -« Peut-être », dit Alcibiade, « peu à peu et par les pieds, tandis que les Lacédémoniens commenceront par la tête et ne feront de vous qu'une seule bouchée ! ».

(7) Alcibiade conseillait néanmoins aux Athéniens de s'attacher aussi à la terre et de confirmer de façon effective le serment prêté continûment par les éphèbes dans le sanctuaire d'Agraulos : ils jurent en effet de tenir pour frontières de l'Attique blés, orges, vignes, figuiers, oliviers, car on leur apprend à tenir pour leur bien propre la terre cultivée et fertile.

[Début]


L'enfant terrible et chéri d'Athènes (16)

16. 

(1) Au milieu d'actes politiques aussi considérables et de discours empreints d'intelligence et d'habileté, revenaient la profonde mollesse de son mode de vie, ses excès de boisson et d'amour, ses vêtements efféminés - des robes pourpres qu'il traînait à travers l'agora -, son luxe effréné - il faisait pratiquer des entailles à bord des trières pour y dormir plus douillettement sur des matelas jetés sur des sangles au lieu de planches ; et il s'était fait fabriquer un bouclier incrusté d'or, sans aucun des emblèmes traditionnels mais avec un Amour porte-foudre !

(2) Toutes choses que voyaient avec indignation et dégoût les citoyens de bon renom, lesquels craignaient sa négligence et son côté hors-la-loi, ressentis comme tyranniques et étranges. Quant au ressentiment du peuple à l'égard d'Alcibiade, Aristophane ne l'a pas mal interprété en disant :

(3) « Il le désire, le hait, mais pourtant veut l'avoir ».

Le même est plus écrasant encore dans cette insinuation :

« Surtout ne pas nourrir un lion dans la ville,
Mais si on le nourrit, se soumettre à ses modes ».

(4) Ses largesses, ses chorégies, ses gestes ostentatoires - non exempts d'excès - envers la cité, la gloire de ses ancêtres, la puissance de sa parole, la beauté de son corps, sa force jointe à l'expérience dans les choses de la guerre et à la vaillance : voilà qui faisait excuser tout le reste aux Athéniens, supportant Alcibiade avec calme et appliquant toujours à ses fautes les plus doux des noms : enfantillages, point d'honneur.

(5) Tel était par exemple le fait d'avoir tenu enfermé chez lui le peintre Agatharchos puis, une fois qu'il lui eût décoré sa maison, de l'avoir congédié avec une gratification ; ou encore d'avoir giflé Tauréas son rival comme chorège, qui ambitionnait la victoire ; et même d'avoir soustrait du nombre des prisonniers une femme de Mélos, de l'avoir gardée avec lui et d'avoir élevé l'enfant qu'il lui avait fait.

(6) Voilà ce que les Athéniens appelaient son « humanité » - sauf tout de même qu'il porta la principale responsabilité d'avoir fait égorger la jeunesse de Mélos, puisqu'il se prononça pour le décret de mort.

(7) Aristophon avait peint Néméa tenant Alcibiade assis entre ses bras, et les gens accouraient tout réjouis pour contempler le tableau ; les plus vieux cependant s'indignaient encore à ce propos, sentant là l'indice de visées tyranniques et hors-la-loi.

(8) Archestratos passait même pour dire fort à propos que les Grecs n'auraient pu supporter deux Alcibiades.

(9) Timon le Misanthrope rencontre Alcibiade dans un bon jour et sortant de l'Assemblée visiblement bien escorté. Loin de passer son chemin et de se détourner, comme il faisait d'ordinaire avec tout le monde, Timon va à lui et lui tend la main droite en disant : « Tu fais bien de grandir, mon fils, car tu seras, en grandissant, un grand malheur pour tous ces gens-là ! ». Et les uns de rire, les autres, de l'invectiver, mais il en est que le mot retourna complètement. Ainsi l'opinion sur Alcibiade était-elle indécise, à cause de l'inconstance de sa nature.

[Début]


 L'expédition de Sicile (17-22)
a) Ses prodromes, ses protagonistes (17 ; 18, 1-3)

17.

(1) Les Athéniens s'étaient pris de désir pour la Sicile du vivant même de Périclès et, une fois qu'il fut mort, ils s'y attaquèrent ; chaque fois que des cités se trouvaient lésées pas les Syracusains, Athènes leur envoyait des « secours » et gages d'alliance, posant là des passerelles en vue d'une plus grande expédition.

(2) Mais celui qui alluma complètement cette passion des Athéniens et sut les convaincre d'agir, non pas partiellement ni progressivement, mais d'entreprendre une grande expédition maritime et de soumettre l'île, ce fut Alcibiade. Il fit miroiter au peuple de grandes espérances, aspirant quant à lui à des résultats plus grands encore ; c'est qu'au regard de ses espérances la Sicile constituait le point de départ de l'expédition, non, comme le croyaient les autres, son but final.

(3) Nicias, pour sa part, convaincu que c'était tâche ardue que de chercher à prendre Syracuse, s'efforçait d'en détourner le peuple. Alcibiade, au contraire, qui allait jusqu'à rêver de Carthage et de la Libye et qui, à la suite de ces succès, s'emparait déjà de l'Italie et du Péloponnèse, Alcibiade donc ne faisait guère de la Sicile qu'une source d'approvisionnement pour la guerre.

(4) Il tenait dès lors les jeunes, déjà soulevés d'espoirs et qui écoutaient leurs aînés alléguer quantité de merveilles à propos de cette expédition ; si bien que beaucoup de gens allaient s'asseoir dans les palestres et les hémicycles, y esquissant la forme de l'île et la position de la Libye et de Carthage.

(5) Cependant Socrate le philosophe et Méton l'astronome n'espéraient de cette expédition, dit-on, rien de bon pour la cité : le premier, semble-t-il, avait noté l'apparition et l'avertissement de son démon familier ; quant à Méton, soit que, par raisonnement, il craignît l'avenir, soit qu'il ait recouru à une forme de divination, il feignit la folie et, prenant une torche enflammée, il avait tout l'air de vouloir mettre le feu à sa maison.

(6) Certains affirment que la folie simulée de Méton n'était nullement préméditée, mais qu'il mit nuitamment le feu à sa maison puis que, au petit jour, il vint demander et supplier qu'en raison d'un pareil malheur, on dispense son fils de l'expédition. Ainsi obtint-il ce qu'il demandait, s'étant bien joué de ses concitoyens.

[Début]

18a.

(1) Contre son gré, Nicias fut nommé stratège - il cherchait par-dessus tout à éviter le commandement, surtout à cause de son collègue. C'est qu'il paraissait aux Athéniens que la guerre marcherait mieux s'ils n'y laissaient pas aller simplement Alcibiade mais si, à son audace, se mêlait la prévoyance de Nicias.

(2) Aussi bien le troisième stratège, Lamachos, pourtant d'un âge avancé, ne semblait pas moins ardent qu'Alcibiade, ni moins téméraire dans les combats. Comme on délibérait sur l'importance et le genre des moyens logistiques, Nicias entreprit à nouveau de s'opposer à la guerre et de l'empêcher.

(3) Mais ce fut Alcibiade qui lui répliqua et qui s'imposa ; Dèmostratos, un des orateurs, rédigea un décret prévoyant que les stratèges devaient disposer des pleins pouvoirs tant pour la préparation logistique que pour l'ensemble de la guerre.

[Début]

b) Mauvais présages et « affaires » (18, 4-8 ; 19)

18b.

(4) Le peuple ayant voté ce décret, et alors que tout était prêt pour l'appareillage, survinrent des présages fâcheux, jusque dans la fête en cours.

(5) Les fêtes d'Adonis tombaient en effet ces jours-là, jours où les femmes, un peu partout, présentaient des simulacres figurant des morts conduits en terre, où elles imitaient, en se frappant la poitrine, des rites d'ensevelissement et où elles entonnaient des hymnes funèbres.

(6) Ensuite, il y eut la mutilation des Hermès : en une nuit, la très grande majorité d'entre eux se trouvèrent mutilés sur leur face antérieure et nombre de gens en furent profondément troublés, même ceux qui affichaient du mépris pour ce genre de choses.

(7) On dit alors que c'étaient les Corinthiens qui avaient fait cela (parce que les Syracusains étaient colons de Corinthe), dans la pensée que ce mauvais présage provoquerait un retard, voire un retournement d'opinion à propos de la guerre.

(8) Mais assurément, cette rumeur ne toucha pas le peuple ; pas davantage celle répandue par des gens qui ne voyaient rien de terrible dans le présage, mais plutôt quelque chose comme l'effet habituel du vin pur chez de jeunes libertins portés par jeu à l'excès. Avec colère et crainte tout ensemble, les citoyens prenaient l'événement pour le trait d'audace d'une conspiration fomentée en vue de grands projets. Le Conseil, réuni à ce sujet, et le peuple qui s'assembla plusieurs fois en peu de jours se mirent à examiner sévèrement tout objet de soupçon.

[Début]

19.

(1) Là-dessus, le chef populaire Androclès amena des esclaves et des métèques accusant Alcibiade et ses amis d'avoir mutilé d'autres statues et, avinés, d'avoir parodié les mystères.

(2) Ces accusateurs disaient qu'un certain Théodore tenait le rôle du héraut, Poulytion, celui du porte-torche, Alcibiade, celui de l'hiérophante, et que ses autres compagnons, désignés du nom de mystes, étaient là pour regarder.

(3) Tout cela est consigné dans la dénonciation de Thessalos, fils de Cimon, accusant Alcibiade d'impiété envers les deux déesses. Le peuple était irrité, sévèrement disposé à l'endroit d'Alcibiade et aiguillonné par Androclès - celui-ci était l'un des pires ennemis d'Alcibiade. Ce dernier en fut d'abord troublé.

(4) Mais il reprit courage en remarquant que tous les marins qui devaient faire voile vers la Sicile lui étaient acquis, de même que la troupe ; il entendait d'autre part les mille hoplites d'Argos et de Mantinée dire ouvertement que c'était bien à cause d'Alcibiade qu'ils entreprenaient une longue expédition outre-mer mais que, si on lui faisait violence, eux feraient immédiatement défection. Alcibiade profita de l'occasion pour présenter sa défense, si bien que ses ennemis, découragés à leur tour, craignirent que le jugement populaire ne lui soit trop clément, vu qu'on avait besoin de lui.

(5) Face à cette situation, les adversaires d'Alcibiade, rusés, s'emploient à ce que ceux des orateurs qui ne passaient pas pour ses ennemis mais qui ne le haïssaient pas moins que ses ennemis déclarés se lèvent à l'Assemblée pour dire qu'il est inopportun, alors qu'on dispose d'un stratège investi des pleins pouvoirs et à la tête de pareilles forces, alors même que l'armée et les alliés sont rassemblés, de laisser passer le moment favorable en se contentant de tirer au sort la composition d'un tribunal et de mesurer l'eau des clepsydres...

(6) « Soit, disent ces orateurs, pour l'instant, bonne chance, qu'il s'embarque ! mais que, la guerre terminée, il se présente pour se défendre dans les mêmes conditions ».

(7) La malignité de ce report n'échappait pas à Alcibiade. Se présentant devant le peuple, il dit que c'est chose terrible que de s'éloigner à la tête de pareilles forces, en laissant derrière soi accusations et calomnies : pour lui, mieux valait mourir s'il ne se lavait pas de ces accusations, mais s'il le faisait et apparaissait innocent, il lui fallait se porter contre l'ennemi sans avoir à redouter les délateurs.

[Début]

c) Départ et premières opérations (20, 1-3)

20a.

(1) Comme il n'avait pas convaincu le peuple mais que celui-ci lui avait enjoint d'appareiller, Alcibiade prit la mer avec les stratèges, ses collègues, à la tête d'environ cent quarante trières, cinq mille cent hoplites, des archers, des frondeurs et des hommes légèrement armés - à peu près mille trois cents -, outre le reste d'un dispositif logistique considérable.

(2) Une fois qu'il eut atteint l'Italie et pris Rhégion, il se prononça sur la manière d'engager la guerre, (3) contredit d'un côté par Nicias mais approuvé de l'autre par Lamachos. Alors Alcibiade fit voile vers la Sicile et soumit Catane, sans rien faire d'autre toutefois, car il fut aussitôt rappelé par les Athéniens pour être jugé.

[Début]

d) L'opinion athénienne ; délations, rappel d'Alcibiade (20, 4 - 22, 5)

20b.

(4) D'abord, comme on l'a dit, ce qui visait Alcibiade, c'étaient de vagues soupçons et des calomnies d'esclaves et de métèques.

(5) Mais ensuite, en son absence, ses ennemis s'attaquèrent plus violemment à lui ; reliant les outrages infligés aux Hermès et la parodie des mystères comme faits émanant d'une seule conjuration à but révolutionnaire, ils jetèrent en prison sans les juger ceux qui, d'une manière ou d'une autre, se trouvaient accusés - on se morfondait de ne pas avoir, à l'époque, arrêté Alcibiade et de ne pas l'avoir jugé sur d'aussi lourdes présomptions.

(6) Parent, ami ou familier, quiconque encourait la colère des citoyens amassée contre lui était traité par eux avec une rigueur particulière. Thucydide, pour sa part, a omis de citer les noms des dénonciateurs, mais d'autres - et notamment le comique Phrynichos, auteur des vers suivants - nomment Diocleidas et Teucros :

(7) « Très cher Hermès, prends bien garde de ne pas te heurter en tombant, et d'aller prêter calomnie à un autre Diocleidas désireux de méfaire ! » - « Je m'en garderai bien ! Car point ne veux qu'à Teucros, cet étranger aux mains sanglantes, soit baillé le salaire de la délation ! »

(8) Il n'y avait pourtant rien de ferme ni de solide dans ce que révélaient les dénonciateurs. L'un d'eux, à qui l'on demandait comment il avait reconnu les visages des Hermocopides, répondit que c'était au clair de lune. Il se trompait du tout au tout : c'était exactement le jour qui précède la nouvelle lune que le forfait s'était commis, et cela troubla les gens de bon sens sans néanmoins apaiser le peuple face aux calomnies ; suivant l'élan pris dès le début, il ne cessa pas de jeter énergiquement en prison tous ceux qu'on lui dénonçait.

[Début]

21.

(1) Or, parmi ceux qui étaient enchaînés et gardés en vue d'un jugement, il y avait alors l'orateur Andocide, que l'historien Hellanicos fait descendre d'Ulysse.

(2) Andocide faisait figure d'ennemi du peuple, favorable à l'oligarchie, mais ce qui le rendait surtout suspect d'avoir mutilé les hermès, c'était le grand hermès qui avait été dressé près de sa maison, en guise d'offrande, par la tribu Egéis.

(3) Car dans le nombre - très restreint - des hermès célèbres, c'était quasiment le seul demeuré intact. Voilà pourquoi, aujourd'hui encore, il est appelé « l'hermès d'Andocide », et tous le nomment ainsi, malgré le témoignage contraire de son inscription.

(4) Parmi ceux qui se trouvaient en prison sous le coup de la même accusation, il arriva que quelqu'un devint l'ami intime d'Andocide ; sans avoir la même réputation que celui-ci, l'homme était remarquable par son intelligence et par son audace : il se nommait Timée.

(5) Cet individu persuada Andocide de s'accuser lui-même, avec un petit nombre d'autres : s'il avoue, il obtiendra l'impunité, conformément au décret du peuple, tandis que l'issue du jugement est incertaine pour tout le monde, mais particulièrement redoutable aux puissants ; mieux vaut se sauver par un mensonge que de succomber sans gloire sous la même accusation et, si l'on tient compte de l'intérêt public, il y a avantage à sacrifier un petit nombre de gens équivoques pour soustraire quantité de braves gens à la vindicte populaire.

(6) Voilà ce que disait et professait Timée. Andocide se laissa convaincre, devint son propre dénonciateur, celui d'autres, et eut lui-même l'impunité garantie par le décret ; en revanche, tous ceux qu'il avait nommés périrent, à l'exception des accusés en fuite. Et pour assurer sa crédibilité, Andocide ajouta à sa dénonciation des esclaves qui lui appartenaient.

(7) Le peuple néanmoins ne relâcha pas dès lors toute sa colère mais, une fois délivré des Hermocopides, sa fureur se trouvant en quelque sorte vacante, il se lança tout entier contre Alcibiade. À la fin, il envoya à sa recherche la Salaminienne, en donnant non sans adresse un ordre précis aux envoyés : ni violence, ni saisie de corps, tenir le langage le plus mesuré, en invitant Alcibiade à les suivre pour être jugé et tenter de convaincre le peuple.

(8) C'est qu'on redoutait des troubles dans l'armée en pays ennemi, et une mutinerie qu'Alcibiade eût facilement suscitée s'il l'eût voulu. Lui parti, en effet, les soldats allaient se décourager, s'attendant à ce que la guerre prenne, avec Nicias, beaucoup de retard et traîne en longueur - comme si on lui ôtait le taon qui éperonne l'action.

(9) Sans doute Lamachos était-il belliqueux et viril, mais il n'était pas pris en considération et ne faisait pas le poids, en raison de sa pauvreté.

[Début]

22.

(1) L'embarquement d'Alcibiade priva immédiatement les Athéniens de Messine. Il s'y trouvait, en effet, des gens qui s'apprêtaient à leur livrer la ville, gens qu'Alcibiade connaissait parfaitement et qu'il dénonça aux amis des Syracusains : du coup, il ruinait l'affaire ! Une fois arrivé à Thourioi et descendu à terre, il se cacha et échappa aux recherches.

(2) Mais quelqu'un le reconnut et lui dit : « Tu n'as pas confiance dans ta patrie, Alcibiade ? » - « Si fait, dit-il, pour tout le reste ; mais s'agissant de ma vie, je ne me fierais même pas à ma mère, craignant en quelque sorte qu'elle ne dépose par erreur le caillou noir au lieu du blanc ! »

(3) Plus tard, apprenant que la cité l'avait condamné à mort, « Eh ! bien, dit-il, je vais leur montrer, moi, que je suis en vie ! »

(4) L'acte d'accusation est rédigé de la manière suivante : « Thessalos, fils de Cimon, du dème de Lakiadès, accuse Alcibiade, fils de Clinias, du dème Scambonidès, de sacrilège envers les deux déesses : il a parodié leurs mystères, en les faisant voir à ses compagnons dans sa propre maison ; vêtu d'une robe semblable à celle que porte l'hiérophante lorsqu'il montre les objets sacrés, il s'est désigné lui-même comme hiérophante, a nommé Poulytion porte-torche, Théodore, du dème Phégaia, héraut, ses autres compagnons, mystes et époptes, à l'encontre des règles et usages établis par les Eumolpides, les Kéryces et les prêtres d'Éleusis ».

(5) On condamna Alcibiade par défaut, en confisquant ses biens, et l'on décréta en outre que tous les prêtres et prêtresses le maudiraient ; une seule, dit-on, Théanô, fille de Ménon, du dème Agrylè, protesta contre ce décret, affirmant qu'elle était prêtresse pour les prières, non pour les malédictions.

[Début]

 


NOTES

 

Eurysakès (1, 1) de Salamine, fils d'Ajax, passait pour l'ancêtre légendaire de la grande famille athénienne des Eupatrides, lignée paternelle d'Alcibiade.  

Alcméonides (1, 1). Cette famille aristocratique, très puissante au VIe siècle mais bannie d'Athènes sous les Pisistratides, y avait, d'après Thucydide (VI, 59) renversé le tyran Hippias, avec l'aide des Lacédémoniens.

Artemision (1, 1). L'héroïque (et indécise) bataille du cap Artemision (Eubée) avait opposé la flotte grecque à la flotte perse durant les jours mêmes où se déroulait le combat terrestre des Thermopyles, à l'été 480. Le Clinias que mentionne ici Plutarque, à la suite d'Hérodote (VIII, 17), doit être non le père, mais le grand-oncle d'Alcibiade.

Coronée (1, 1). La bataille de Coronée (447), qui vit périr le père d'Alcibiade, fut une sévère défaite infligée aux contingents athéniens par les Béotiens décidés à s'affranchir de la tutelle d'Athènes.

Périclès (1, 2). Il s'agit bien entendu du grand homme d'État athénien Périclès (c. 495-429), appartenant lui aussi à la famille des Alcméonides, et dont la mère d'Alcibiade, Deinomachè, était la cousine germaine. Périclès, chargé de lourdes responsabilités, fut sans doute pour le jeune Alcibiade un tuteur moins « disponible » (cf. 7, 3) que son frère Ariphron, apparemment plus inquiet (ou plus sévère ?) devant les frasques du garçon (cfr 3, 1).

Nicias (1, 3). Stratège à plusieurs reprises, brave à la guerre mais modéré en politique, anti-démagogue et anti-impérialiste, Nicias avait conclu avec les Spartiates en 421 le traité qui porte son nom (« paix de Nicias »). Adversaire d'Alcibiade, il fut entraîné contre son gré dans l'expédition de Sicile, où son irrésolution fut fatale à Athènes et où lui-même laissa la vie (413). Sur ce personnage, cf. 13, 1 et 8 ; 14 ; 18 ; 20, 3 et notes afférentes.

Démosthène (1, 3). Ce stratège athénien s'était illustré dans la guerre du Péloponnèse pour avoir fortifié le port de Pylos en Messénie, face à l'île de Sphactérie, où le démagogue Cléon réussit à capturer un corps d'hoplites lacédémoniens (425). Il fut envoyé à Syracuse en 413 pour soutenir Nicias et, comme ce dernier, fut exécuté par les assiégés.

Lamachos (1, 3) avait exercé plusieurs fois la stratégie lorsqu'il fut mis en 415, avec Nicias et Alcibiade, à la tête de l'expédition de Sicile ; il périt sous les murs de Syracuse. Sur ce personnage, cf. 18, 2 et note ; 20, 3.

Phormion (1, 3). Excellent général athénien qui, entre 440 et 430, avait remporté de brillants succès dans la guerre du Péloponnèse, mais fut ensuite inculpé dans un procès de reddition de comptes.

Thrasybule (1, 3) de Steiria, ardent démocrate et fidèle partisan d'Alcibiade, fut l'un de ceux qui, depuis Samos, contribuèrent à renverser le régime des Quatre-Cents et à favoriser le retour d'Alcibiade à Athènes. Exilé par les Trente tyrans, il réussit à regagner à Athènes et à y rétablir la démocratie (403). Sur ce personnage, cf. 26, 6.

Théramène (1, 3).  Homme d'Etat athénien à la politique versatile, qui, tout en ayant participé au gouvernement oligarchique des Quatre-Cents, contribua à son renversement. Après la prise d'Athènes par le Spartiate Lysandre (404), Théramène fut l'un des Trente tyrans, mais il s'opposa à Critias (cf. Introduction, et 33, 1), qui le fit condamner et exécuter .

Antisthène (1, 3) le Socratique serait l'auteur d'un écrit (perdu) sur son contemporain Alcibiade (cf. Athénée, XII, 534 c).

Platon (1, 3). Le texte allégué est celui de l'Alcibiade majeur, 122 b.

Euripide (1, 5). Citation indirecte, que Plutarque utilise plusieurs fois (Dialogue sur l'amour, 770 c ; Apophtegmes, 177 a)

Aristophane (1, 6). Citation littérale des Guêpes, 44-46.

Archippos (1, 8) est un poète comique contemporain d'Aristophane, avec qui les sources le confondent parfois.

plectre (2, 5). Le plectre (littéralement « frappeur ») est une petite baguette destinée, quelles qu'en soient la matière et la forme, à faire vibrer les cordes d'un instrument de musique.

rejeté la flûte (2, 6). Suivant une légende très célèbre (cf. aussi Aristote, Politique, VIII, 1341 b 4-5), Athéna avait, dans un mouvement de coquetterie dépitée, rejeté la flûte (plus exactement le hautbois), sa propre invention, pour avoir constaté que cet instrument déformait les traits de son visage.

écorché le flûtiste (2, 6). Rejetée par Athéna, la flûte avait été ramassée par le satyre Marsyas ; celui-ci, trop sûr de son talent, osa défier Apollon en un concours musical que le dieu remporta. Dans une soif cruelle de vengeance, Apollon avait alors « écorché le flûtiste ». Quelque quatre-cents représentations figurées provenant de l'ensemble du monde gréco-romain (Lexicon iconographicum mythologiae classicae, VI, 1992, p. 368-378) affirment la popularité du sujet.

Antiphon (3, 1). On ne sait si cet Antiphon, auteur d'Invectives, est l'orateur et homme politique athénien (480-411).

Cette proclamation publique (3, 1) n'est peut-être qu'un avis de disparition tel qu'en communiquent aujourd'hui les services de police, à moins que ce ne soit - mesure beaucoup plus grave - l'acte légal de reniement par lequel une famille rejetait totalement un fils coupable.

Sibyrtios (3, 1). La palestre, souvent confondue avec le gymnase, est à la fois une salle de gymnastique et l'endroit où les athlètes se forment aux arts de la lutte ; c'est un établissement public ou privé. Il s'agit ici d'une palestre exploitée par (ou appartenant à) un certain Sibyrtios, où il est invraisemblable que le jeune Alcibiade ait pu commettre un meurtre - fait bien trop grave pour passer inaperçu. Sur la vogue des palestres privées, cf. Théophraste, Caractères, 5, 9.

« se blottit » (4, 3). Citation d'un vers du poète Phrynichos ; on ne sait s'il s'agit du Comique cité plus loin (cf. 20, 6), contemporain d'Aristophane, ou de son homonyme, plus ancien, le Tragique.

Platon (4, 4). L'expression figure en effet chez Platon, Phèdre, 255 d.

Anytos (4, 4), démocrate et général athénien, connu pour ses déboires durant la guerre du Péloponnèse et surtout pour avoir été l'un des accusateurs du procès qui aboutit à la mort de Socrate (399).

métèque (5, 1). Ce terme, qui n'a rien de péjoratif, désigne celui « qui habite avec » les citoyens, c'est-à-dire l'étranger domicilié à Athènes ; le métèque doit avoir un répondant qui le cautionne auprès de l'État, à qui il doit un impôt particulier, mais il ne peut être propriétaire foncier en Attique. En revanche, il peut s'y enrichir par le commerce - ce qui n'a pas été le cas ici...

statère (5, 1). Le statère valant 2 drachmes, ce cadeau de 200 drachmes prête à rire en même temps qu'il émeut le riche Alcibiade.

fermiers (5, 2). Les impôts sont perçus par des fermiers publics, les adjudications de ces fermes se faisant chaque année en séance du Conseil, et les adjudicataires étant tenus de fournir des cautions. Le métèque à qui Alcibiade enjoint de se porter adjudicataire d'une ferme de l'Etat commence par refuser, car le montant de l'adjudication l'effraie ; Alcibiade insiste, menace, et l'autre s'exécute en faisant, à l'adjudication, une surenchère d'un talent, tandis qu'Alcibiade en personne se déclare son garant. Les fermiers sont joués, car ils comptaient sur un nouveau bail afin de rembourser les emprunts que, selon l'usage, ils avaient faits pour soumissionner la ferme de l'année précédente. Le métèque, toujours conseillé par Alcibiade, monnaie alors son désistement : les fermiers lui verseront un talent. Ainsi l'homme réalise-t-il un joli bénéfice grâce à l'astuce d'Alcibiade : avec une générosité sans malice, il avait offert à celui-ci 200 drachmes (= 100 statères) et, en fin de compte, il reçoit des fermiers 6000 drachmes (= 1 talent) !

talent (5, 3). Le talent est l'unité monétaire la plus considérable, valant 6000 drachmes.

garant (5, 4). Voir Théophraste, Caractères, 12, 4.

Cléanthe (6, 2). Le Stoïcien Cléanthe d'Assos (331-232), représentant, après Zénon, de la première école stoïcienne, avait coloré sa pensée philosophique d'inspiration religieuse (cf. son Hymne à Zeus) et était, en morale, un contempteur du plaisir.

Thucydide (6, 2). Trait effectivement signalé par Thucydide, VI, 15, 4.

rendre ses comptes (7, 3). Il s'agit là d'une obligation incombant à tout magistrat durant l'année même où il exerce ses fonctions et à sa sortie de charge. Les rapports de gestion sont présentés au Conseil et examinés par des vérificateurs. Chaque citoyen a le droit d'intenter à un magistrat sortant une action en vérification de comptes et, si une irrégularité apparaît, le gouvernant est traduit devant un tribunal.

Potidée (7, 3), à la base de la presqu'île occidentale de la Chalcidique, est une colonie de Corinthe, devenue tributaire d'Athènes dans le cadre de la Ligue délienne. À l'instigation de Corinthe, alliée de Sparte, Potidée se révolta en 432 contre Athènes, qui y fit une expédition punitive. C'était le prélude de l'affreuse guerre du Péloponnèse qui allait ruiner à jamais l'empire athénien ; en 431 et en 430, les expéditions terrestres des Spartiates dévastent l'Attique, tandis que la flotte athénienne ravage les côtes du Péloponnèse.

panoplie (7, 5). Le terme (littéralement « armement complet ») désigne l'ensemble des pièces constituant l'armement d'un fantassin lourd (hoplite), à savoir casque et bouclier, cuirasse et cuissardes, lance et épée. Ce qui confirme qu'à Potidée Alcibiade faisait campagne comme fantassin, tandis qu'à Délion, quelques années plus tard, il combat comme cavalier, ce qui est plus conforme à son rang social. Socrate cède ici au jeune Alcibiade, en guise d'encouragement, le « prix de la valeur » auquel, « en toute justice » lui-même avait droit.

Délion (7, 6). La bataille de Délion en Béotie (424) fut une sanglante défaite pour les forces athéniennes, écrasées par la supériorité numérique et tactique de l'infanterie et de la cavalerie béotiennes.

Hipponicos (8, 1). Ce personnage, qui allait devenir le beau-père d'Alcibiade, passait pour l'homme le plus riche d'Athènes et appartenait à la grande famille des Kéryces (cf. note à 22, 4) dont beaucoup de textes soulignent l'importance, tant sur le plan socio-économique que sur le plan religieux.

dot (8, 3). Une dot de dix talents représente un chiffre énorme (60 000 drachmes : cf. 5, 3).

archonte (8, 5) : cf. Théophraste, Caractères, 26, 2.

mine (9, 1). La mine valant 100 drachmes, le prix de ce chien (7000 drachmes) est effectivement exorbitant !

contribution volontaire (10, 1) : cf. Théophraste, Caractères, 22, 3

caille (10, 1). Ainsi qu'il ressort des témoignages littéraires, une véritable « folie des cailles » (ortygomanie) sévissait à Athènes, où des « chasseurs de cailles » approvisionnaient les éleveurs (Platon, Euthydème, 290 d) ; ces derniers fournissaient les oiseaux à de jeunes désoeuvrés qui s'amusaient soit à les abattre, soit à les offrir en présent d'amour (Aristophane, Oiseaux, 707). Socrate, raillant le goût d'Alcibiade pour ce passe-temps frivole, l'engage ironiquement à prendre pour guide en politique un certain Midias [ce n'est pas l'homme politique visé par Démosthène : cf. 10, 4], personnage peu recommandable mais « éleveur de cailles » (Platon, Alcibiade, 120 b).

Antiochos (10, 2). Le personnage d'Antiochos le pilote intervient à un tout autre moment de la vie d'Alcibiade : cf. 35, 6.

Contre Midias (10, 4). Allusion à Démosthène, Contre Midias, 145. Midias d'Anagyronte, citoyen puissant, riche et brutal, était l'ennemi personnel et l'adversaire politique de Démosthène, lequel rédigea contre lui le plaidoyer virulent évoqué ici ; ce discours (la Midienne) ne fut en réalité jamais prononcé.

Théophraste (10, 4). Sur Théophraste, disciple d'Aristote et auteur des Caractères, cf. note liminaire à Théophraste.

prix (11, 2). Sur ces prix olympiques (remportés en 416), voir Thucydide, VI, 16, 2. - L'attribution à Euripide du texte cité ci-après est en réalité incertaine ; le poète, quel qu'il soit, célèbre les brillantes victoires remportées sans fatigue par Alcibiade car, propriétaire des chars et des chevaux, il n'en est pas lui-même le conducteur (rôle dévolu à l'aurige).

Isocrate (12, 3). À la suite de sa triple victoire olympique de 416, Alcibiade avait été pris à partie par Diomède qui se prétendait propriétaire d'un des attelages victorieux. Les exils puis la mort d'Alcibiade empêchèrent le procès, mais la plainte, sans doute fondée, à l'encontre du bel Athénien fut reprise une vingtaine d'années plus tard : effectivement, le fils d'Alcibiade fut alors traduit en justice par un proche de Diomède (lequel serait mort entre-temps), et il confia sa défense à Isocrate ; le plaidoyer Sur l'attelage semble avoir été rédigé aux environs de 396, à un moment où Alcibiade le jeune était d'autre part sévèrement visé dans deux discours attribués à Lysias (pseudo-Lysias, Contre Alcibiade (1) et (2), discours datés c. 395-394).

Phéax (13, 1) avait été ambassadeur en Sicile en 423, avec mission de recruter des alliés pour Athènes contre Syracuse (Thucydide, V, 4-5). Aristocrate ambitieux, son parcours politique avait été associé à des procès où il avait risqué gros, mais il restait néanmoins un adversaire redoutable pour Alcibiade, lequel manoeuvra pour attirer plutôt l'ostracisme sur Hyperbolos, un démocrate radical, influent mais peu estimé (Thucydide, VIII, 73, 3).  

Nicias (13, 1) : cf. 1, 3

Eupolis (13, 2), contemporain d'Aristophane, est l'un des représentants les plus fameux de la Comédie ancienne. Ses pièces nous sont (mal) connues par une vingtaine de titres et quelque 500 fragments, y compris papyrologiques. Une tradition plaisante, transmise par Douris de Samos (cf. 32, 2), mais inacceptable au point de vue chronologique, voulait qu'Alcibiade partant pour la Sicile eût jeté Eupolis à la mer pour se venger des traits moqueurs dont le poète l'avait criblé dans sa pièce Les plongeurs : cf. Cicéron, Lettres à Atticus, VI, 1, 18 (= 245 éd. Constans-Bayet, C.U.F., t. IV).

Contre Alcibiade (13, 3). Ce discours, que Plutarque signale comme attribué à Phéax et qui figure aujourd'hui dans les oeuvres inauthentiques d'Andocide, est un pamphlet oligarchique du début du IVe siècle a.C. ; il collecte nombre de critiques plus ou moins fondées à l'endroit de l'Athénien.

Hyperbolos (13, 4). Cet Hyperbolos, qui appartenait au dème (subdivision territoriale et civique = « commune ») attique de Périthoïde, était un démagogue successeur de Cléon. La scélératesse du personnage jeta la dérision sur l'institution même de l'ostracisme, qui se trouva dès lors pratiquement abolie (cf. Plutarque, Nicias, 11, 3-8 ; Aristide, 7, 3-4).

ostracisme (13, 6). Cette institution célèbre (de ostrakon, « tesson ») est la mesure par laquelle, dans l'Athènes du Ve siècle, l'Assemblée du peuple (ecclèsia) exile pour dix ans un citoyen suspect de troubler l'ordre et donc jugé dangereux ; le vote se fait au moyen de tessons sur lesquels on inscrit le nom du citoyen ainsi mis en cause.

Platon le Comique (13, 9) est un contemporain d'Aristophane ; les trois mêmes vers sont cités ailleurs par Plutarque (Nicias, 11, 7), à propos du même personnage, Hyperbolos.

proxène (14, 1). Dans une cité grecque, un proxène est un citoyen notable de ladite cité (A), chargé d'assurer protection, assistance et accueil aux étrangers (xénoi), citoyens d'une autre cité (B) - fonctions comparables à celles d'un consul actuel. La famille d'Alcibiade avait autrefois exercé la proxénie des Lacédémoniens, puis avait renoncé à cette charge, mais Alcibiade l'avait reprise pour son compte (Thucydide, V, 43 ; VI, 89, 2) ; il allait donc se sentir en quelque sorte « court-circuité » par les interventions de Nicias.

Pylos (14, 1). Sur Pylos, ou plus exactement Sphactérie, cf. note à 1, 3.

Sur la « paix de Nicias » (14, 2), cf. Introd. et 1, 3.

Panacton (14, 4). Aux confins de la Béotie, cette forteresse athénienne avait été prise en 422 par les Béotiens (Thucydide, V, 3), auxquels s'étaient alliés les Spartiates. Ces derniers ne voulaient pas s'engager à faire reconstruire la forteresse démantelée (Plutarque, Nicias, 10, 3).

Sphactérie (14, 4) : cf. note à 1, 3.

Mille (15, 3). Après la bataille de Mantinée (418), où la coalition lacédémonienne avait défait Athènes, Sparte réussit à imposer temporairement à Argos une oligarchie à sa solde, le régime des « Mille » (Thucydide, V, 81).

longs murs (15, 4). À une distance de 4,5 km. de la mer, la puissante cité d'Argos disposait de deux acropoles (collines de Larissa et de l'Aspis) et était ceinturée d'une muraille urbaine, appareil défensif qu'Alcibiade conseille de relier à la côte suivant le modèle athénien, par des « longs murs » auxquels travaille une main-d'oeuvre venue d'Athènes (Thucydide, V, 82, 2-6). On sait qu'au début de la guerre du Péloponnèse, Périclès avait fait un choix politico-militaire - sauvegarder prioritairement, non le sol attique, mais l'empire athénien - qui l'amena à fortifier exclusivement et solidairement Athènes et le Pirée, en renforçant et en achevant les murailles des deux places, reliées par ces Longs-Murs souvent évoqués par les textes littéraires mais qui ont laissé peu de traces archéologiques ; la suite de la guerre allait révéler la faiblesse de la stratégie péricléenne, cause d'une surpopulation urbaine qui amplifia les ravages de la peste (cf. Y. Garlan, Recherches de poliorcétique grecque, Athènes-Paris, 1974, p. 54 ss. ; p. 72). C'est pourtant à ce dispositif que font encore écho les conseils urbanistiques d'Aristote (Politique, VII, 1327 a 32-40).

Agraulos (15, 7). Fille de Cécrops, le premier roi mythique d'Athènes, cette déesse se trouve nommée en tête de la liste des divinités qu'invoquait le fameux serment des éphèbes athéniens. On possède par bonheur la formule originelle de ce serment, dont une inscription a livré le texte in extenso, et le document épigraphique apporte un précieux éclaircissement au présent passage de Plutarque : il révèle, en effet, le gauchissement de sens imposé par Alcibiade au serment traditionnel. Les éphèbes juraient « par les divinités ancestrales, par les frontières de la patrie, par les blés, les vignes, etc. », ce qui est tout différent du serment tel que le présente Plutarque : « tenir pour frontières de l'Attique les blés, orges, vignes, etc. » Autrement dit, Alcibiade faisait ainsi appel à une extension territoriale qui contraste avec l'expansion maritime préconisée autrefois par Thémistocle.

Aristophane (16, 2). La double citation que fait ici Plutarque est empruntée aux Grenouilles d'Aristophane (respectivement v. 1425 et v. 1431-32). Cette comédie, représentée en 405, s'inscrit sur une toile de fond d'actualité : il importe d'analyser l'histoire des dernières années et d'en tirer les conclusions pour le présent. La question brûlante porte sur l'opportunité d'un rappel d'Alcibiade. L'opinion athénienne, divisée, s'exprime par la bouche des grands tragiques défunts, Eschyle et Euripide, appelés par Dionysos à se prononcer sur la question. Après avoir pesé les avantages et les dangers de ce retour, la conclusion d'Aristophane est qu'il faudra finalement s'y résigner, quels qu'en soient les inconvénients.

chorégies (16, 4) : cf. Théophraste, Caractères, 22, 2. La chorégie est un service public imposé aux citoyens fortunés et qui consiste à assumer tous les frais (présentation du choeur et des acteurs) des représentations théâtrales.

Agatharchos (16, 5). Ce peintre fameux, originaire sans doute de Samos, exerça ses activités à Athènes entre 460 et 420. Auteur d'un traité de scénographie, il avait peint des décors pour Eschyle et fut le précurseur, sinon l'inventeur, du dessin en perspective. Lui-même opposait sa manière vive et facile à la lenteur appliquée de son grand rival Zeuxis (Plutarque, Périclès, 13, 3) ; ses talents de décorateur à la mode allaient lui attirer la clientèle impérieuse d'Alcibiade...

Mélos (16, 6). Ville libre et neutre en même temps que mouillage important sur la route de Crète et d'Égypte, Mélos ne pouvait que susciter les convoitises athéniennes. Au début de la guerre du Péloponnèse, alors qu'Athènes s'efforçait de porter son empire dans la mer Égée à son extension définitive, Nicias avait dirigé contre l'île une expédition qui échoua. Aussi, dix ans plus tard (416/15), Athènes débarqua-t-elle de nouveau à Mélos, avec succès, cette fois : l'île fut « nettoyée » sans pitié et colonisée moyennant massacres et mises en esclavage (Thucydide, V, 116). La responsabilité de l'Assemblée et celle d'Alcibiade dans cette politique de force et dans le traitement inhumain infligé aux vaincus ne font pas de doute, même si Thucydide ne la dénonce pas expressément.

Aristophon (16, 7). Fils du peintre Aglaophon de Thasos, Aristophon était le frère du grand Polygnote. Le tableau que mentionne ici Plutarque est attribué à Aglaophon par Athénée (XII, 534 d).

Néméa (16, 7). Il s'agit de la nymphe éponyme du sanctuaire de Zeus à Némée (Argolide). S'il se trouvait un public grossier pour regarder un tel tableau avec une complaisance amusée, le public sérieux, en revanche, n'y pouvait trouver qu'un relent de scandale et de sacrilège, puisqu'Alcibiade y figurait comme jouissant des faveurs d'une intimité divine...

Archestratos (16, 8). Il s'agit du stratège athénien qui avait fait au printemps 432 la campagne de Potidée (Thucydide, I, 57, 6), à laquelle participait Alcibiade.

Timon (16, 9) le Misanthrope, personnage plus ou moins légendaire qui aurait vécu à Athènes au temps de Périclès, est cité pour la première fois par Aristophane (Lysistrata, 805 ss ; Oiseaux, 1547 ss.). Plutarque a tracé ailleurs (Antoine, 70) le portrait de ce personnage-type, déçu par sa patrie, ses amis, le genre humain tout entier, et aux yeux de qui Alcibiade seul trouve grâce. Timon d'Athènes (à distinguer évidemment de son homonyme de Phlionte, philosophe sceptique du IIIe s. a.C.) a inspiré un dialogue à Lucien (Timon ou le Misanthrope) et un drame à Shakespeare (Timon of Athens).

Les hémicycles (17, 4) sont des enceintes demi-circulaires aménagées dans les villes ou les parcs d'agrément pour faire asseoir passants ou visiteurs, qui pouvaient y causer à l'aise. - Sur les palestres, cf. note à 3, 1.

Méton (17, 5). Cet astronome athénien est surtout connu pour avoir proposé, en 432, un correctif à l'année lunaire. On sait que les Grecs divisaient primitivement l'année en 12 mois lunaires comptant alternativement 29 et 30 jours, ce qui faisait une année de 354 jours, trop courte de 11 jours par rapport à l'année solaire astronomique. Pour remédier à cet inconvénient, on imagina divers correctifs, en introduisant irrégulièrement un mois « intercalaire ». On avait d'abord ajouté 3 mois supplémentaires en 8 ans, puis Méton améliora le système en ajoutant 7 mois en 19 ans ; mais cette modification ne fut adoptée qu'un siècle plus tard, et à titre temporaire. Ces changements de cycle font qu'il est impossible d'établir une correspondance absolue entre les mois grecs et les nôtres.

Lamachos (18, 2) : cf. 1, 3.

Dèmostratos (18, 3). Allié d'Alcibiade, cet orateur est raillé par Aristophane (Lysistrata, 391-397) et cité ailleurs par Plutarque comme le plus bouillant des démagogues partisans de la guerre (Nicias, 12, 6).

Adonis (18, 5). Le culte de ce héros d'origine sémitique, jeune amant d'Aphrodite, est attesté à Byblos, à Athènes et à Alexandrie. Dans l'Athènes du Ve siècle, les femmes célébraient Adonis en déplorant sa mort, au cours de fêtes organisées en privé, sur les toits : cf. Aristophane, Lysistrata, 387-397 ; Plutarque y fait également référence dans Nicias, 13, 11. - Sur les fêtes d'Adonis à Alexandrie, voir Théocrite, Les Syracusaines ou Les femmes qui fêtent Adonis, Présentation, § 3

Hermès (18, 6). Lors de la nuit de nouvelle lune du 7-8 juin 415, presque tous les bustes d'Hermès dressés aux carrefours, sur l'agora, dans les sanctuaires et à l'entrée des maisons particulières eurent le visage (et sans doute aussi le phallos) mutilé. Ce sacrilège offusquait profondément les sensibilités religieuses et civiques : ces Hermès représentaient en effet des symboles de prospérité pour les individus et pour les collectivités. Le caractère systématique de cet attentat perpétré à travers toute la ville par les « mutilateurs d'Hermès » (Hermocopides) excluant pratiquement le vandalisme, l'opinion athénienne y vit le prélude d'un coup d'État visant à abattre la démocratie (cf. Thucydide, VI, 27, 1).

Androclès (19, 1). Plutarque est le seul à citer nommément cet orateur-accusateur, mais il paraît certain que Thucydide l'inclut implicitement parmi les « ennemis les plus déclarés d'Alcibiade » (VI, 28, 2), qui vont tenter d'impliquer celui-ci dans l'attentat des Hermocopides, en liant perfidement cet attentat à une autre « affaire », celle de la parodie des mystères.

mystères (19, 1). C'est un nouveau sacrilège, non moins grave, que révèle cette impudente parodie des mystères d'Éleusis où, au dire de leurs ennemis, Alcibiade et ses amis tiennent les rôles majeurs. On sait quelle importance revêtaient à Athènes - et dans tout le monde grec - les cérémonies initiatiques qui, chaque année, commémoraient l'histoire sainte des deux déesses, Déméter et Corè. D'après la légende, Déméter, mère de Perséphone-Corè, cherchant sur terre avec désespoir sa fille enlevée par Hadès, le dieu des Enfers, s'était arrêtée à Éleusis, où elle fut accueillie avec compassion ; reconnaissante, la déesse révéla alors aux princes d'Éleusis les secrets de l'agriculture et ceux de son propre culte. Le cycle initiatique proposé aux dévots comprenait deux phases. Au début du printemps, les « petits mystères », célébrés à Athènes, sur les bords de l'Ilissos, étaient une simple préparation aux « grands mystères ». Ceux-ci étaient fixés au début de l'automne : après cinq jours de cérémonies pratiquées à Athènes, une procession gagnait par la Voie sacrée Éleusis où se célébraient, durant cinq autres jours, les grandes solennités (sacrifices, procession aux flambeaux, représentations des scènes centrales du mythe, concours athlétiques).

hiérophante (19, 2). Tel était le titre du chef des prêtres préposés à la célébration des mystères d'Éleusis. Assisté par un héraut et par un porte-torche, l'hiérophante faisait diffuser l'annonce des cérémonies, en proclamait l'ouverture et y assurait personnellement de brillantes prestations, notamment vocales ; cette charge à vie était réservée à la famille des Eumolpides (cf. 22, 4 ; eumolpos, littéralement « bon chanteur »).

myste (19, 2). On donne le nom de myste au citoyen athénien introduit au premier degré de l'initiation aux mystères d'Éleusis, les « petits mystères ».

dénonciation (19, 3). Le nom de l'accusateur, Thessalos (c'était le petit-fils de Miltiade) donnait du poids à une dénonciation dont Plutarque a conservé le texte précis, dont il a dû voir l'original (cf. 22, 4). Il s'agissait d'une eisangelia, c'est-à-dire une dénonciation révélant à l'assemblée du peuple des faits d'une gravité exceptionnelle et qui touchent à la sûreté de l'État. Cette dénonciation pourrait, en l'occurrence, avoir été déposée devant le Conseil, auprès duquel Alcibiade viendra se justifier lors de son retour triomphal (Xénophon, Helléniques, I, 4, 20). Elle ne porte que sur la parodie des mystères, non sur l'affaire des Hermocopides, à laquelle Alcibiade était certainement étranger.

deux déesses (19, 3). Cf. note à 19, 1.

Mantinée (19, 4), cité d'Arcadie orientale mal intégrée à la Ligue du Péloponnèse, avait négocié un traité avec Athènes et Argos et fut, en 418, le théâtre d'une rude bataille qui opposa les coalisés aux Lacédémoniens ; la victoire de ces derniers rendit à Sparte la maîtrise du Péloponnèse. Les hoplites d'Argos et de Mantinée, troupes de choc, participaient à l'expédition de Sicile.

La clepsydre (19, 5) est un vase rempli d'eau et percé d'un trou par où l'eau s'écoule. La durée d'un plaidoyer judiciaire est limitée au nombre de clepsydres accordées par le tribunal ; les orateurs attiques font souvent allusion à cet usage.

Phrynichos (20, 6). Sur ce poète comique cf. note à 4, 3.

Andocide (21, 1). Aristocrates apparentés aux Kéryces (cf. 22, 4), l'orateur Andocide et son père Léagoras avaient été gravement compromis dans l'affaire des Hermocopides, liée à celle des mystères. Accusé et emprisonné, Andocide avait réussi à se faire libérer en passant lâchement aux aveux et en dénonçant de prétendus coupables. Il lui fut néanmoins interdit de participer aux solennités religieuses et aux débats de l'Assemblée athénienne ; aussi préféra-t-il quitter la ville et, pendant plusieurs années, il mena une vie aventureuse et lucrative, non sans tenter en vain, par deux fois, de rentrer à Athènes. En 403, il profita de l'amnistie générale pour rentrer tout de bon, mais se vit l'objet d'une nouvelle inculpation en 399. C'est alors qu'il prononça son discours Sur les mystères, où il présente, plus de quinze ans après les faits, un récit forcément tendancieux.

Hellanicos (21, 1). Né vers le même temps qu'Hérodote (c. 480), donc antérieur d'une génération à Thucydide, le mythographe Hellanicos de Lesbos déploya au cours du Ve siècle une grande activité dont nous n'avons qu'une connaissance approximative, grâce à quelque deux cents fragments subsistants. Il s'était efforcé d'intégrer les éléments disparates des mythes dans un tissu narratif chronologiquement cohérent. D'autre part, Hellanicos rassembla des matériaux destinés à la construction chronologique de l'histoire grecque (listes de vainqueurs aux Jeux, de prêtresses) et plus particulièrement de l'histoire attique, qu'il fonda sur la succession des rois mythiques et des archontes éponymes et conduisit jusqu'à la fin de la guerre du Péloponnèse.

inscription (21, 3). L'orateur Andocide, dans son discours Sur les mystères prononcé en 399/8, mentionne « l'Hermès que vous voyez tous près de notre maison paternelle et que la tribu Egéis a consacré » comme « le seul des Hermès d'Athènes qui n'ait pas été mutilé » (Sur les mystères, 62). Plutarque à son tour parle en homme qui l'a vue et déchiffrée à Athènes de l'inscription que portait cet Hermès dit « d'Andocide », mais le biographe n'en fournit pas ici le texte, lequel était apparemment sans rapport avec l'orateur - ce dernier n'appartenait pas à la tribu Egéis [l'une des dix tribus attiques, patronée par le héros éponyme Égée, père de Thésée], mais bien à la tribu Pandionide.

Salaminienne (21, 7). Tel est le nom du croiseur d'État envoyé en Sicile pour ramener Alcibiade. Plutarque ne dit pas nettement si c'est à bord de cette trière que les commissaires athéniens firent embarquer le prévenu, mais d'après Thucydide (VI, 61, 4), celui-ci resta, avec ses compagnons, à bord de son propre vaisseau, et le bâtiment vogua de conserve avec la Salaminienne jusqu'à Thourioi, escale où tous réussirent à fausser compagnie à leur escorte.

caillou (22, 2). Allusion à un usage apparemment inconnu à Athènes. Le « mot » que prête ici Plutarque au fugitif doit avoir été forgé tardivement.

Thessalos (22, 4). Sur cette dénonciation, cf. 19, 3.

hiérophante (22, 4). Cfr note à 19, 2.

épopte (22, 4). On donne le nom d'épopte (« voyant ») au myste introduit au second degré de l'initiation, c'est-à-dire aux « grands mystères » d'Éleusis : cf. note à 19, 1.

Eumolpides (22, 4). Cette antique famille éleusinienne se donnait pour ancêtre mythique le héros Eumolpos qui apparaît dans l'Hymne homérique à Déméter (v. 475) comme l'un des princes initiés par la déesse aux mystères de son culte. Cet Eumolpos, fils de Poséidon, avait été le premier hiérophante (cf. note à 19, 2).

Kéryces (22, 4). Le nom même de cette grande famille athénienne (Keryces, littéralement « héraults »), à laquelle appartenait Hipponicos, le beau-père d'Alcibiade (cf. 8, 1), rappelle ses importantes fonctions dans les cérémonies éleusiniennes ; les Kéryces partageaient avec l'autre lignée sacerdotale d'Éleusis, les Eumolpides, le privilège de procéder aux initiations.

 

Alcibiade : Plan - Introduction - Chapitres 23-39

[Vie de Coriolan]

[Autres traductions françaises : sur la BCS / sur la Toile]


[Dernière intervention  : 21 octobre 2003]
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