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Théophraste : Note liminaire - Caractères 1 à 9 - Caractères 10 à 19 - Caractères 20 à 30
Théophraste : "Athènes au quotidien à l'époque de Théophraste" (article de Mme Loicq-Berger dans les FEC, 4, 2002)
2. Le flatteur 4. Le rustre 7. Le phraseur 8. La gazette 9. L'effronté 10. Le pingre 11. Le malotru 12. Le casse-pieds 13. Le mêle-tout 14. L'étourdi 15. Le mufle |
17. Le râleur 18. Le méfiant 19. Le dégoûtant 20. Le raseur 21. Le faiseur 22. Le grippe-sous 23. Le hâbleur 24. L'arrogant 25. Le couard 26. Le réactionnaire 29. La canaille 30. Le cupide |
Avant-propos (1) Auparavant déjà, j'ai maintes fois arrêté ma pensée sur une chose qui m'étonne -- et peut-être ne cesserai-je jamais de m'en étonner -- : alors que toute l'Hellade est située sous le même ciel et que tous les Grecs sont éduqués de semblable manière, comment donc se fait-il que nous n'ayons pas les mêmes dispositions caractérielles ?
(2) Pour ma part, Polyclès, j'observe depuis longtemps la nature humaine; âgé de quatre-vingt dix-neuf ans, ayant de surcroît fréquenté quantité de natures de toutes sortes et comparé avec grand soin, chez les hommes, les bons et les mauvais, j'ai estimé nécessaire de décrire le comportement des uns et des autres dans la vie.
(3) Je vais dresser pour toi le classement de tous les genres de caractères, pris un à un, tels qu'ils se présentent chez ces gens et dire de quelle façon ceux-ci s'accommodent de leur complexion; car je veux croire, Polyclès, que nos fils deviendront meilleurs si nous leur laissons des notes de ce genre : en les utilisant comme modèles, ils choisiront la compagnie et la fréquentation des gens les plus respectables, en sorte de ne pas leur être inférieurs.
(4) J'en reviens derechef à mon propos. Le tien sera de me suivre correctement et de voir si mon exposé se tient. Tout d'abord je vais parler, en laissant de côté préambule et nombre de considérations sur le sujet, des gens qui cultivent la fourberie. (5) Je commencerai donc par la fourberie et la définirai; ensuite, je décrirai le fourbe : quel genre d'homme c'est et de quelle manière il se comporte; pour les autres dispositions caractérielles, comme je m'y suis engagé, j'essaierai de les clarifier une à une.
1. Le fourbe
(1) [La fourberie, pour le dire en un mot, pourrait bien être une feinte humilité en actes et en paroles.]
Le fourbe (2) est quelqu'un du genre à aborder ses ennemis et à vouloir causer avec eux [au lieu de les haïr]. Il louange en leur présence ceux qu'il a attaqués en secret et témoigne de la compassion aux gens <avec qui il est en procès>, dès lors qu'ils sont perdants. Il pardonne à ceux qui médisent de lui et <se rit> des propos tenus à son encontre. (3) Des gens s'indignent-ils d'avoir été lésés, il leur tient des propos feutrés. (4) Il n'avoue rien de ce qu'il fait, mais affirme qu'il en est encore à se consulter, fait semblant de n'être là que depuis un moment, [dit qu'il est bien tard] et qu'il s'est senti souffrant.
(5) Des gens cherchent-ils à emprunter ou à faire une collecte, <il affirme qu'il est à court d'argent; lorsqu'il veut vendre, il soutient> qu'il ne vend pas, et lorsqu'il ne veut pas vendre, il prétend qu'il vend. A-t-il entendu quelque chose, il fait semblant que non; a-t-il vu, il affirme n'avoir rien vu; a-t-il conclu un accord, il prétend ne pas s'en souvenir. En certains cas, il assure qu'il se réserve d'examiner la chose, en d'autres, qu'il ne sait pas, ou bien qu'il s'étonne, ou encore que lui-même avait déjà conclu en ce sens.
(6) En général il est habile à utiliser ce genre de formule : "je ne crois pas", "je n'imagine pas", "j'en suis bien étonné" "tu veux dire qu'il est tout différent !", "ce n'est vraiment pas ce qu'il me racontait", "l'affaire, pour moi, est inattendue", "va le dire à quelqu'un d'autre", "comment ne pas te croire, toi, ou comment le condamner, lui ? je suis bien embarrassé !", "vois tout de même si tu ne t'y fies pas un peu vite...".
(7) [Inventer ce genre de formules, embrouilles et contradictions, c'est bien le propre des fourbes. Ces caractères qui ne sont pas simples, mais insidieux, il faut s'en garder plus que des vipères.]
(1) [La flatterie, on pourrait la concevoir comme une pratique basse mais profitable pour le flatteur.]
Le flatteur est du genre (2) à dire, tout en marchant : "Tu réalises comme les gens regardent de ton côté ? ça, ça n'arrive en ville à personne d'autre qu'à toi !". "Tu étais fameusement en vogue hier, sous le portique ! Comme on était assis là à plus de trente hommes et qu'on est tombé sur le sujet 'qui est le meilleur ?', tous les suffrages, à mon initiative, se sont portés sur ton nom".
(3) Tout en disant ce genre de choses, le flatteur ôte une peluche du manteau de l'autre et si un brin de paille est projeté par le vent sur ses cheveux, il l'en retire et dit en souriant : "Tu vois, depuis deux jours que je ne t'ai pas rencontré, tu as la barbe pleine de gris, mais il faut convenir que tu conserves mieux que personne les cheveux noirs pour ton âge !"
(4) Le pigeon dit-il quelque chose, le flatteur enjoint aux autres de se taire; s'il écoute, il l'en félicite; s'il s'arrête, il l'approuve "Parfait !"; si l'autre fait une plaisanterie insipide, le flatteur éclate de rire et tire son manteau sur sa bouche comme s'il ne pouvait contenir son hilarité.
(5) Les gens qu'on rencontre, il les invite à s'arrêter jusqu'à ce que son homme soit passé. (6) Il apporte des pommes et des poires qu'il a achetées pour les gosses, les leur donne sous ses yeux et les embrasse en disant : "ça, c'est la nichée d'un père épatant !".
(7) Allant avec lui acheter des galoches, il affirme que son pied est bien mieux fait que la chaussure. (8) Son homme se rend-il chez un ami, le flatteur court en avant, en disant "Il vient chez toi !", puis, revenant sur ses pas, "je t'ai annoncé !". (9) Naturellement, il est capable aussi de faire sans souffler les courses pour lui au marché des femmes.
(10) Il est le premier parmi les convives à faire l'éloge du vin, insiste en disant : "Comme on mange finement, chez toi !" et, prenant quelque chose sur la table, il déclare :"Mais que ceci est donc délicieux !". Il demande à son homme s'il n'a pas froid, s'il souhaite se couvrir, s'il ne lui mettrait pas quelque chose sur les épaules; et, ce disant, il se penche et lui susurre quelque chose à l'oreille. C'est encore vers le même que se dirigent ses regards lorsqu'il bavarde avec les autres. (11) Au théâtre, il reprend les coussins au jeune esclave et les dispose lui-même. (12) Quant à la maison du pigeon, elle a, dit-il, été bien dessinée, son terrain, bien planté, et son portrait est vraiment ressemblant.
(13) [Bref, on peut observer que le flatteur dit et fait tout ce qu'il imagine pouvoir le rendre agréable.]
(1) Ce babillage-ci consiste à se répandre en paroles interminables et sans à-propos, et le moulin à paroles est du genre (2) à aller s'asseoir auprès de quelqu'un qu'il ne connaît pas, en commençant par faire l'éloge de sa propre femme; puis il expose le rêve qu'il a fait la nuit dernière et détaille un par un les plats qu'il a eus pour dîner. (3) Ensuite, un fois le sujet bien en train, il dit que les gens sont aujourd'hui pires qu'autrefois; que le blé se vend à un bon prix; qu'il y a beaucoup d'étrangers en ville, que la mer est navigable depuis les Dionysies, que si Zeus nous donnait plus d'eau, les produits de la terre seraient meilleurs et qu'il cultivera à nouveau son champ l'an prochain; que la vie est bien difficile, et que c'est Damippe, aux Mystères, qui a brandi la plus grande torche ; et "combien y a-t-il de colonnes à l'Odéon ?"; et "hier, j'ai eu une indigestion"; et "quel jour sommes-nous ?"; et que les Mystères tombent en Boédromion, les Apatouries en Pyanepsion, les Dionysies des champs en Poseidéon. (4) Si on le supporte, il ne s'en va plus.
(5) [Les individus de ce genre, quiconque ne veut pas attraper la fièvre doit les fuir à grandes enjambées; car c'est toute une affaire de résister à ceux qui ne savent pas faire la distinction entre loisir et occupation.].
(1) La rusticité aurait assez bien l'air d'une balourdise malséante, et le rustre est du genre (2) à se rendre à l'Assemblée après avoir bu une grossière mixture (3) et à prétendre qu'aucun parfum ne sent meilleur que le thym. (4) Il porte des chaussures plus grandes que son pied (5) et cause à voix très haute. (6) Il se méfie de ses amis et de ses familiers, mais d'un autre côté, il se confie à ses serviteurs dans les affaires les plus importantes. Aux salariés qui travaillent chez lui aux champs, il raconte tout ce qu'il a entendu à l'Assemblée.
(7) Il s'assied retroussé jusqu'au-dessus du genou, au point de se laisser voir à demi-nu. (8) En rue, il n'est <ni charmé> ni frappé par rien, mais aperçoit-il un boeuf, un âne ou un bouc, le voilà cloué sur place pour le contempler. (9) Il est bien homme à avaler quelque chose qu'il a par avance chipé au garde-manger, et il boit plutôt sec.
(10) Il courtise en cachette la boulangère, et puis s'en va moudre <et mesurer> avec elle les rations nécessaires pour la maisonnée et pour lui-même. (11) Il nourrit ses bêtes de somme tout en déjeunant. (12) Il répond lui-même à la porte, après avoir appelé son chien qu'il attrape par le museau en disant : "Voilà celui qui garde domaine et maison !"
(13) Reçoit-il de quelqu'un de la monnaie d'argent, il la refuse, après examen, <parce qu'> elle a l'air trop plombé, et il en exige d'autre en échange. (14) A-t-il prêté <à quelqu'un> charrue, panier, faux ou sac, il s'en souvient la nuit dans son insomnie <et va les réclamer>. (15) Lorsqu'il descend en ville, il demande à tout venant le prix des peaux et des salaisons, si c'est aujourd'hui le premier du mois et dit tout de go qu'il veut, une fois arrivé, passer chez le barbier, aller chanter aux bains et faire mettre des clous à ses souliers; et puisque c'est sur son chemin, il va rapporter ses salaisons de chez Archias.
5. Le flagorneur (1) [La flagornerie, pour la cerner en une définition, est une relation visant à susciter du plaisir, mais non pour la meilleure cause.] Le flagorneur est naturellement du genre (2) à vous appeler de loin par votre nom, à vous donner de l'"Excellence" en vous témoignant une vive considération et, vous retenant par les deux mains, à ne pas vous laisser aller; après vous avoir un peu escorté, il demande quand il vous reverra et s'éloigne en continuant ses compliments.
(3) Convoqué pour un arbitrage, il veut plaire non seulement à la partie qu'il assiste, mais aussi à la partie adverse afin de faire figure d'arbitre impartial. (4) <Aux> étrangers, il assure qu'ils sont mieux en droit de parler que ses concitoyens.
(5) Convié à un repas, il prie son hôte d'appeler les enfants et, quand ils entrent, il assure que c'est leur père tout craché; les attirant à lui, il les embrasse, les fait asseoir près de lui et se met à jouer avec les uns en disant : "voilà l'outre, voilà la hache" tandis qu'il laisse les autres s'endormir sur son estomac, si comprimé soit-il.<...>
(6) Il va très souvent chez le barbier, s'efforce de garder les dents blanches, change ses manteaux alors qu'ils sont encore bons, s'enduit de parfum-crème. (7) Au marché, il se tient d'ordinaire du côté des comptoirs des changeurs; il fréquente ceux des gymnases où viennent s'entraîner les éphèbes; au théâtre, quand il y a représentation, il s'assied auprès des généraux. (8) Pour lui-même, il n'achète rien, mais pour les étrangers, il fait des commissions à Byzance , procure à Cyzique des chiens de Laconie, du miel de l'Hymette à Rhodes et, ce faisant, le raconte à tout le monde en ville.
(9) Pour sûr, il est homme aussi à élever un singe, à acquérir un oiseau rare, des colombes de Sicile, des osselets de gazelle, des burettes à huile toutes rondes de Thourioi, des cannes torses de Lacédémone, une portière avec des Perses, et encore une petite palestre, avec du sable et un jeu de balle. Et celle-ci, il la prête à la ronde aux sophistes, aux maîtres d'armes, aux musiciens pour s'y produire. Lui-même, lors des représentations, y fait une entrée tardive, une fois que les gens sont assis, afin qu'ils se disent l'un à l'autre : "Voilà le propriétaire de la palestre !"
6. La fripouille (1) Être une fripouille, c'est avoir l'audace de faire et de dire des choses honteuses, et voici quel est ce genre d'individu : (2) prompt à jurer, de fâcheuse réputation, il invective les puissants, avec le caractère d'un marchand du marché, débraillé et prêt à tout. (3) Pour sûr, il est homme à danser le cordax même sans avoir bu et en portant le masque d'un choeur de comédie.
(4) Aux spectacles de foire, il passe auprès de chacun pour collecter la monnaie, et il se bagarre avec les gens qui, apportant leur billet avec eux, prétendent regarder sans payer. (5) Il est homme aussi à se faire aubergiste, patron de bordel, collecteur de taxes et à ne dédaigner aucun métier honteux, mais à être aboyeur, cuistot, joueur de dés, (6) à ne pas assurer la subsistance de sa mère, à se faire arrêter pour vol, à passer plus de temps en prison que chez lui.
(7) [La fripouille pourrait bien être aussi de ceux qui rassemblent les foules autour d'eux et les haranguent, usant tour à tour de l'invective, lancée à grosse voix éraillée, et du dialogue. Et pendant ce temps-là, il en est qui s'amènent, d'autres s'en vont avant même de l'avoir entendu, tandis que lui, il adresse aux uns son exorde, à d'autres, quelques mots, à d'autres encore, une bribe de son laïus, jugeant que sa friponnerie ne peut s'apprécier autrement qu'en public.]
(8) L'individu est capable d'être tour à tour défendeur et demandeur, tantôt d'affirmer sous serment que la plainte à son encontre ne peut être reçue, tantôt de se présenter avec un "hérisson" dans le pli de son vêtement et des liasses de documents plein les mains. (9) Il ne dédaigne pas non plus de se faire le leader d'une foule de petites gens, de leur consentir tout de go un prêt au taux de trois demi-oboles par jour pour une drachme, d'aller inspecter les boutiques de restauration, de poisson et de salaisons et de garder dans sa joue les gains tirés de son petit commerce.
(10) [Pénibles sont les gens qui, la langue bien déliée pour l'invective, crient à tue-tête au point que marché et échoppes s'en font l'écho.]
(1) [Faire des phrases, cela pourrait se définir comme une incontinence de langage] et le phraseur est du genre (2) à dire à la personne qu'il rencontre -- et peu importe ce que celle-ci lui dit -- : "ça, ça ne signifie rien; mais moi, je sais tout, et si tu m'écoutes, tu vas en apprendre !". Et tandis que l'autre tente de répondre, il enchaîne : "n'oublie pas, hein ! ce que tu veux dire !" et "c'est bien, en tout cas, de me l'avoir rappelé" et "tout de même, comme c'est utile, de bavarder !" et "ce que j'ai laissé de côté, c'est que..." et "tu as vite compris l'affaire, en tout cas !" et "voilà tout un temps que je t'observais pour voir si tu arriverais à la même conclusion que moi !". Et d'imaginer d'autres formules de ce genre, au point de ne pas laisser souffler celui qu'il rencontre
(3) Une fois qu'il s'est bien entraîné au coup par coup, il est capable aussi de marcher contre des groupes assemblés et de les faire s'égailler au beau milieu de leurs négociations. (4) S'introduisant dans les écoles et les palestres, il empêche les enfants d'avancer dans leur instruction [tant il bavarde avec les entraîneurs et les maîtres d'école].
(5) Les gens prétendent-ils devoir s'en aller, il est capable de leur faire escorte et de les déposer à domicile. (6) Lui demande-t-on des nouvelles de l'Assemblée, il les communique, mais de surcroît il raconte de long en large la joute oratoire qui eut lieu à l'époque, sous l'archontat d'Aristophon, et le combat des Lacédémoniens sous Lysandre, et ses propres discours qui lui ont naguère valu une belle popularité. Et tout en racontant, il lance une invective contre les masses, de sorte que ses auditeurs l'interrompent ou encore s'assoupissent ou bien s'en vont en le plantant là au milieu de sa harangue.
(7) S'il fait partie d'un jury, il empêche les autres de juger, s'il assiste à un spectacle, il empêche de regarder, à un repas, de manger. Et de dire : "c'est dur, pour moi, de me taire...", et que sa langue salive, et qu'il ne pourrait se taire, dût-il paraître plus bavard que les hirondelles. (8) Il supporte même d'être charrié par ses propres enfants : veut-il qu'ils aillent dormir, ils l'en empêchent en disant : "raconte-nous quelque chose, va, pour nous endormir !".
(1) Faire la gazette, c'est colporter des propos et des faits contraires à la vérité, dont le rapporteur veut <...>, et la gazette est quelqu'un du genre (2) à aborder l'ami qu'il rencontre en lui demandant, l'air détendu et le sourire aux lèvres : "d'où viens-tu ?" et "qu'est-ce que tu as à raconter ?" et "comment vas-tu ?". Mais avant que l'autre réponde "ça va", il reprend : "tu demandes si on ne raconte rien de neuf ? Eh ! bien, oui, on en raconte de bonnes !". (3) Et sans laisser venir la réponse, il poursuit : "qu'en dis-tu ? tu n'as rien entendu ? je crois bien que je vais te les faire déguster, les dernières nouvelles". (4) Sa source, c'est un soldat ou un petit esclave d'Asteios le joueur de flûte, ou Lycon l'entrepreneur tout juste arrivé de la bataille, qu'il affirme avoir entendus. Au vrai, les références de ses dires sont telles que personne ne saurait les critiquer. (5) Il raconte, en affirmant citer ses témoins, que Polyperchon et le roi ont gagné la bataille, et que Cassandre a été fait prisonnier. (6) Et si quelqu'un lui dit : "tu crois cela, toi ?", il l'affirme : aussi bien, l'affaire est criée de par la ville, le récit s'en répand au loin, toutes les voix concordent car on fait le même récit de la bataille, qui fut un vrai carnage. (7) L'indice, pour lui, se trouve d'ailleurs sur les visages des gouvernants : on les voit tout changés. Il dit avoir entendu chuchoter qu'un individu au courant de tous les faits se trouve caché auprès d'eux dans une maison depuis son arrivée de Macédoine, voici quatre jours.
(8) Et durant tout ce récit, il croit en quelque sorte exprimer son indignation de manière convaincante en disant : "Infortuné Cassandre ! Le malheureux ! Tu réalises le coup du Destin ? Et pourtant, cet homme-là était fort !". (9) Puis, "ceci, tu dois être seul à le savoir". Et il court le raconter à tout le monde en ville.
(10) [Cette sorte de gens, je me demande ce que diable ils veulent, avec leur gazette. Car non seulement ils mentent, mais ils n'en tirent même pas profit. (11) Souvent en effet, tels d'entre eux qui attirent autour de leur personne des cercles dans les bains se sont vus chiper leur manteau; d'autres qui, sous le portique, remportent combats terrestre et naval, se sont vus condamner par contumace. (12) Il en est encore qui, en paroles, enlèvent des cités de vive force... mais pourront bien se passer de dîner ! (13) Malheureuses, vraiment, les habitudes de vie de ces gens ! Quel est le portique, quel est l'atelier, quel est le secteur du marché où ils ne passent leur journée, faisant fuir leurs auditeurs ? (14) Tant ils les excèdent par leurs affabulations.]
(1) [L'effronterie, pour la saisir en une définition, consiste à n'avoir cure d'une réputation honteuse, en ne visant que le seul profit]. L'effronté est du genre (2), d'abord, à se rendre chez celui-là même qu'il ne rembourse pas, pour lui demander un emprunt. Il est homme, ensuite, à dîner chez autrui après avoir offert un sacrifice dont il a fait retirer les viandes pour les mettre en saumure. (3) Il appelle son serviteur et lui donne la viande et le pain qu'il a chipés sur la table, en disant à la cantonnade : "Régale-toi, Tibios !".
(4) En faisant ses courses, il rappelle au boucher qu'il lui a rendu service et, debout près de la balance, y jette de préférence un morceau de viande ou, à défaut, un os pour le bouillon : s'il a pu en attraper, tant mieux, sinon, il chipe sur le comptoir un peu de tripes et se débine en riant.
(5) A-t-il acheté un billet de théâtre pour des hôtes, il va au spectacle avec eux sans payer sa part, et le lendemain, il y conduit même ses enfants et leur surveillant. Quelqu'un rapporte-t-il des marchandises achetées à bon prix, notre homme demande à en avoir sa part lui aussi. (7) Allant chez son voisin emprunter de l'orge, et parfois de la paille, il contraint de surcroît le prêteur à les lui apporter à domicile.
(8) Il est bien capable, aux bains, de s'approcher des chaudrons d'eau chaude, d'y plonger l'aiguière malgré les cris du maître-baigneur, de s'en asperger lui-même et de dire en partant que le voilà tout baigné +et là-dessus+ "pas de merci pour toi !".
NOTES Avant-Propos (Notes)
Avant-propos (Avt-Prop.) : Depuis la fin du XVIIIe siècle, la critique reconnaît cet Avant-Propos comme apocryphe : le contenu, à la fois pompeux et naïf, le style redondant diffèrent notoirement du tour si vif qui fait le charme des Caractères. Ce "chapeau" liminaire constitue en réalité un des ajouts apportés au texte de Théophraste à l'époque byzantine.
de semblable manière (Avt-Prop.) : Doublement inexact, si l'on songe à l'extension en longitude et en latitude qu'offre l'ensemble du monde grec à la fin du IVe siècle, avec des climats très différenciés, allant des montagnes du Nord à l'Égée et à l'Ionienne, du continental au tempéré, du forestier au maritime. Quant à l'"éducation", nul n'ignore qu'elle varie radicalement d'Athènes à Sparte !
Polyclès (Avt-Prop.) : Personnage malaisément identifiable. On sait qu'Antipatros, ami et lieutenant d'Alexandre le Grand et après lui régent de la Macédoine, eut lui-même sous ses ordres un général du nom de Polyclès; peut-être s'agit-il de ce dernier, dont l'histoire n'a conservé qu'un maigre souvenir : celui de la sanglante défaite que lui infligèrent en 321 les Étoliens, adversaires d'Antipatros (Diodore, XVIII, 38, 2).
quatre-vingt dix-neuf ans (Avt-Prop.) : Ce chiffre est manifestement exagéré par le rédacteur-faussaire byzantin. La tradition accordait à Théophraste une longévité de quatre-vingt-cinq ans (Diogène Laërce, V, 40). Si l'on admet qu'il était né vers 370 et que les Caractères ont vraisemblablement été composés en 319 (cf. Car., 8, n.), cela n'eût donné que cinquante et un ans à l'auteur de cette déclaration !
01. Le fourbe (Notes)
fourbe (Car., 1) : Chacun des trente chapitres ou portraits que comptent les Caractères a pour titre grec le terme abstrait résumant le comportement qui va être décrit : fourberie, flatterie, bavardage, etc. Pour la commodité et le naturel de la traduction française, on a systématiquement substitué ici au nom d'action le nom d'agent : le fourbe, le flatteur... -- Le caractère du fourbe est désigné d'un mot grec (eirôneia) dont l'acception est complexe : l'ironie est un questionnement, d'où une ignorance feinte, une humilité affectée qui tend soit à la moquerie (ironie socratique), soit à la dissimulation et à l'hypocrisie; c'est ce dernier sens qui est en cause ici.
La fourberie (Car., 1) : Dans son état actuel, le texte grec offre en tête de chaque chapitre une définition du caractère qui va être dépeint. L'authenticité de ces définitions courtes et abstraites, généralement empruntées à Aristote mais ne correspondant pas toujours au portrait qui suit, a été suspectée par certains éditeurs. Il semble néanmoins que plusieurs d'entre elles, pour autant qu'elles soient réellement des ajouts, ont dû être interpolées dès une haute antiquité (cf. Car., 2, n.). -- Cette définition de la fourberie est proche de celles d'Aristote, Éthique à Nicomaque, II, 1108 a 22 et Éthique à Eudème, III, 1233 b 39.
inventer... (Car., 1) : Ce premier Caractère se clôt par un épilogue fournissant une moralité parfaitement plate. Tel est également le cas des Caractères 2; 3; 6; 8; 10; 26; 28; 29. L'on s'accorde à reconnaître là les traces d'interpolations byzantines, qu'elles soient ou non de la main qui a d'autre part rédigé l'Avant-Propos.
02. Le flatteur (Notes)
flatterie... (Car., 2) : Cette définition liminaire est peut-être une interpolation, mais d'époque très ancienne puisqu'elle figure déjà dans les fragments du papyrus d'Herculanum 1457 (1er s. a.C.) qui contient le traité Des vices du philosophe épicurien Philodème, contemporain de Cicéron. Il en va de même de la définition en tête de Car., 6.
Le but intéressé de la flatterie était également relevé par Aristote, Éthique à Nicomaque, II, 1108 a 29; IV, 1127 a 8-9, mais cet aspect des choses n'est pas développé dans le présent portrait.
je t'ai annoncé (Car., 2) : Le flatteur feint ainsi de se comporter comme le véritable serviteur de l'autre.
marché des femmes (Car., 2) : Le lexicographe Pollux, Onomasticon, X, 18 signale, d'après Ménandre, qu'il existait au marché une section particulière où se vendaient les marchandises recherchées par la clientèle féminine -- et que, bien entendu, les hommes dédaignaient.
Bref,... (Car., 2) : Épilogue indigent, considéré comme apocryphe.
03. Le moulin à paroles (Notes)
Dionysies (Car., 3) : Célébrées en plusieurs régions du monde grec, les fêtes en l'honneur de Dionysos étaient singulièrement importantes à Athènes où les Dionysies comptaient deux cycles saisonniers. Leur cycle rural au mois de Poseidéon (décembre) est lié à la naissance de la tragédie, de la comédie et du dithyrambe (Dionysies des champs : cf. Car., 3, n.). Mais il s'agit ici des Dionysies urbaines ou Grandes Dionysies, organisées en l'honneur de Dionysos Libérateur à la fin du mois de mars (Elaphebolion), époque où reprenait la navigation interrompue par l'hiver et où Athènes connaissait à nouveau affluence de visiteurs.
Mystères (Car., 3) : Les Mystères d'Éleusis, célébrés chaque année en l'honneur de Déméter, représentent l'un des aspects les plus importants qu'ait revêtus la vie religieuse de la Grèce. Porteur d'une vision théologique et eschatologique, le rituel éleusinien comporte, avant l'initiation proprement dite, des cérémonies préparatoires au nombre desquelles une grande procession aux flambeaux.
Odéon (Car., 3) : L'Odéon d'Athènes, où se déroulaient les concours musicaux, avait été bâti à l'initiative de Périclès, sur le modèle de la tente du roi de Perse; il alignait "de nombreux rangs de sièges et de colonnes, sous un toit arrondi partant d'un faîte unique" (Plutarque, Périclès, 13, 9).
Boédromion (Car., 3) : Le premier jour des Mystères d'Éleusis tombe effectivement au milieu du mois de Boédromion (septembre-octobre).
Apatouries (Car., 3) : Au mois de Pyanepsion (octobre-novembre) avaient lieu les fêtes religieuses, civiques et familiales des Apatouries, au cours desquelles le nouveau-né athénien était présenté par son père à sa phratrie, entité socio-religieuse regroupant les familles constituées par lignée patriarcale. L'inscription sur le registre de la phratrie conférait au jeune citoyen son état-civil.
Poseidéon (Car., 3) : Les Dionysies des champs (cf. Car., 3, n.) se célébraient à Athènes au mois de Poseidéon (décembre-janvier).
résister à ceux... (Car., 3) : Épilogue indigent, considéré comme apocryphe. Cf. Car., 1.
à grandes enjambées (Car., 3) : Littéralement "en secouant [les bras] et en déployant [les jambes]".
04. Le rustre (Notes)
Assemblée (Car., 4) : L'Assemblée du peuple (ekklêsia) réunit en principe tous les citoyens athéniens adultes, qui y ont voix délibérative et élective (démocratie directe); la présence est théoriquement obligatoire et matériellement encouragée par la distribution d'une solde dont le montant a varié selon les époques.
mixture (Car., 4) : Le rustre se soucie peu d'incommoder ses voisins par les relents d'une épaisse mixture dénommée kykéôn (c'est-à-dire "mélange") à base de gruau d'orge, breuvage rustique et archaïque qui intervenait également dans le rituel des Mystères éleusiniens (cf. Car., 3, n.). La composition en est variable mais des senteurs fortes devaient en relever la fadeur; les campagnards d'Aristophane boivent du kykéôn à la menthe sauvage ou pouliot (Paix, 712) ou encore au thym (ibidem, 1169)
plutôt sec (Car., 4) : Littéralement "il boit assez pur", c'est-à-dire un vin moins mélangé qu'il n'est d'usage. On sait que les Grecs boivent rarement le vin pur (ákratos), mais le coupent en y mêlant une proportion d'eau qui va d'une moitié à 2/3 ou 4/5. Le mélange (cf. Car., 13, n.) se fait prélablement dans un grand vase, le cratère, où sera puisé au moyen de louches ou de cruchons appelés oenochoés (littéralement "cruches à vin") le contenu des coupes destinées aux convives.
la boulangère (Car., 4) : Il s'agit de l'esclave en charge de la boulangerie domestique. Tantôt le rustre se cache pour la lutiner, tantôt il se trahit en allant l'aider dans sa besogne servile.
trop plombé (Car., 4) : Texte altéré et diversement corrigé. Suivant la lecture adoptée ici, le rustre se trompe sur la valeur de la monnaie d'argent, qui lui paraît terne ("l'air plombé") et qu'il échange sottement contre des pièces plus neuves et de moindre valeur.
premier du mois (Car., 4) : Texte apparemment corrompu et diversement corrigé.
bains (Car., 4) : Il s'agit évidemment des bains publics, où se situent plusieurs des petites scènes esquissées par Théophraste (cf. Car., 8, 11; 9, 8; 19, 6; 27, 14; 30, 8).
05. Le flagorneur (Notes)
La flagornerie... (Car., 5) : Cette définition liminaire est jugée apocryphe par plusieurs éditeurs; elle reproduit celle que donne de la flatterie le recueil pseudo-platonicien des Définitions, 415 e 9; cf. aussi Aristote, Éthique à Eudème, III, 1233 b 39 ss.
arbitre impartial (Car., 5) : L'arbitre impartial est celui que désignent les deux parties en présence, et dont la décision sans appel les départagera.
leur père tout craché (Car., 5) : Littéralement : "ils ressemblent à leur père plus qu'une figue <ne ressemble à une autre>"; proverbe grec courant.
voilà l'outre... (Car., 5) : Mimique ou jeu qui a suscité beaucoup d'interprétations, nulle n'étant décisive.
Il va très souvent chez le barbier... (Car., 5) : La tradition manuscrite unanime fait figurer ici le texte des §§ 6-10, bien que ces passages se rapportent malaisément au portrait du flagorneur; aussi plusieurs éditeurs les ont-ils rejetés à la fin de Car., 21 (Le faiseur).
des commissions (Car., 5) : Le mot grec epistálmata, dont le présent emploi est unique, est peut-être corrompu.
Cyzique (Car., 5) : Cyzique était une cité florissante sur la côte méridionale de la Propontide (mer de Marmara).
chiens de Laconie (Car., 5) : Les chiens de chasse de Laconie étaient réputés; Aristote (Histoire des animaux, VIII, 607 a 2) les dit d'une race issue du croisement du chien et du renard. Ces animaux sont appréciés pour leur flair (Sophocle, Ajax, 8) et pour leur rapidité (Virgile, Géorgiques, III, 405; cf. ibidem, 44 et 345).
Hymette (Car., 5) : Le massif montagneux de l'Hymette, à l'E. d'Athènes, est célèbre pour son marbre et pour un miel aromatique dont les auteurs antiques ont mainte fois célébré la saveur.
oiseau rare (Car., 5) : Oiseau rare : le mot grec (títuros) l'est aussi ! Impossible de risquer une identification.
cannes torses de Lacédémone (Car., 5) : Le bâton passe, avec le mantelet court, pour un insigne de la virilité spartiate (Plutarque, Nicias, 19, 6) et, aux temps de laconomanie, on affecte à Athènes de porter un gourdin "à la spartiate" (Aristophane, Oiseaux, 1281-1283) au lieu d'une élégante canne droite telle qu'en montrent les représentations des vases attiques.
portière (Car., 5) : Riche tenture faisant office de porte, et dont les broderies de goût orientalisant représentent des personnages perses, sans doute haut en couleur.
petite palestre (Car., 5) : Les emplois de palestre, "école de gymnastique", et de gymnase paraissent souvent confondus, à l'époque hellénistique, et l'on a proposé plusieurs distinctions : palestre serait aux enfants ce que gymnase est aux éphèbes et aux adultes; ou bien le premier s'appliquerait à une école privée -- tel est le cas ici -- , le second à une institution municipale; ou encore le gymnase réunirait un terrain aménagé pour divers exercices (palestre) et une piste pour la course à pied (stade) . Cette dernière interprétation, également compatible avec le présent texte, est celle que retient H.I. Marrou, Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, 6e éd., Paris, 1965, p. 197.
sophistes (Car., 5) : Les sophistes, professeurs itinérants, avaient dispensé au Ve siècle un enseignement de haut niveau scientifique et critique, bien qu'entaché d'excès et de ridicules, qui leur attira à la fois des disciples et des opposants. À l'époque de Théophraste, les sophistes représentent, contre les rhéteurs, l'enseignement philosophique, que certains diffusent dans des conférences populaires en plein air, tenues dans les lieux publics, ou -- comme ici -- dans des installations privées.
06. La fripouille (Notes)
cordax (Car., 6) : Un pas de danse, au sortir du repas, n'aurait rien de déplacé : (cf. Car., 15, 10). Il est d'usage, toutefois, de ne danser qu'au terme de la seconde partie du banquet, celle où l'on boit (symposion) après avoir mangé, et l'on admet alors que le danseur soit un peu gris (cf. Car., 12, 14). En dansant "à jeun", le cynique personnage esquissé ici fait donc entorse à l'usage, et d'autant plus qu'il s'agit d'une danse particulièrement vulgaire, le cordax, gesticulation burlesque qui anima d'abord, au théâtre, les choeurs de comédie et qui passa ensuite dans les banquets.
le masque d'un choeur de comédie (Car., 6) : Certainement altéré, ce texte présente un contresens puisque le fait de porter un masque comique pour danser le cordax n'a rien que de normal (cf. n. précédente). Les corrections proposées ne sont pas convaincantes; mieux vaut admettre que l'on trouve ici le résidu d'une glose marginale appelée par le mot cordax.
La fripouille... (Car., 6) : Le § 7 est toujours consacré au même individu, mais le style en est si différent qu'il doit s'agir d'un texte ajouté.
un "hérisson" (Car., 6) : Dans une action civile soumise à un arbitrage, l'arbitre rassemble dans deux boîtes séparées appelées "hérissons" (echînoi), l'une au nom du demandeur, l'autre au nom du défendeur, toutes les pièces du procès (Aristote, Constitution d'Athènes, 53, 2). Ici, le plaideur effronté apporte lui-même le dossier constitué par ses soins.
trois demi-oboles... (Car., 6) : L'obole est la plus petite unité monétaire qu'aient connue les États grecs; mais comme la drachme vaut 6 oboles, ceci revient à exiger un intérêt journalier de 25% !
de garder dans sa joue... (Car., 6) : Habitude des petites gens si l'on en croit Aristophane (cf. Assemblée des femmes, 818; Guêpes, 609; 791-792; Oiseaux, 503).
Pénibles sont les gens... (Car., 6) : Cette moralité de contenu indigent est certainement un ajout d'époque byzantine.
07. Le phraseur (Notes)
Faire des phrases... (Car., 7) : Formule apparemment empruntée au recueil pseudo-platonicien des Définitions, 416 a 23 et rejetée par plusieurs éditeurs (cf. Car., 1, n.).
palestres (Car., 7) : Sur la palestre cf. Car., 5, n.
tant il bavarde... (Car., 7) : Texte rejeté par certains éditeurs.
Aristophon (Car., 7) : Aristophon fut archonte à Athènes en 330/329. La joute oratoire à laquelle, très inutilement, fait allusion le phraseur serait celle qui, cette année-là, opposa Démosthène et Eschine dans leurs discours respectifs Sur la couronne et Contre Ctésiphon.
sous Lysandre (Car., 7) : Ce texte est supprimé par plusieurs éditeurs, car l'allusion à une bataille beaucoup plus ancienne (Lysandre fut général de 408 à 395), et d'ailleurs impossible à identifier, ne peut provenir que d'une glose aberrante.
08. La gazette (Notes)
<...> (Car., 8) : Plusieurs éditeurs supposent ici dans le texte des manuscrits une lacune, diversement suppléée.
la bataille (Car., 8) : Cette allusion apporte un élément déterminant pour la datation des Caractères vers la fin de l'année 319 (cf. Avant-Propos, n.). Antipatros (cf. Avant-Propos, n.) était mort à l'été 319, en désignant comme son successeur et comme tuteur du faible roi Philippe Arrhidaios, demi-frère d'Alexandre le Grand, son propre lieutenant Polyperchon. Cette décision fut aussitôt contestée par Cassandre, fils d'Antipatros; tandis que Polyperchon, espérant se concilier les cités grecques, voulait rétablir le régime démocratique aboli par Antipatros à Athènes, Cassandre de son côté y soutenait un parti oligarchique conduit par Phocion (Diodore, XVIII, 56, 1-2; Plutarque, Phocion, 32, 1-2). Mais si le contexte historique évoqué est cohérent -- d'un côté Polyperchon et "le roi" (sans doute Arrhidaios, souverain légitime), de l'autre l'ambitieux Cassandre --, le récit de la "gazette" comporte néanmoins une anticipation, dont la suite de l'histoire démontrera la flagrante inexactitude : Cassandre, en 319, est loin d'être vaincu et prisonnier; ses combats (puis son rapprochement) avec Polyperchon et sa mainmise sur Athènes vont occuper dix années encore, et il mourra vers 297, maître de la Grèce et de la Macédoine.
fait prisonnier (Car., 8) : cfr la n. précédente.
Cette sorte de gens (Car., 8) : Ces paragraphes rédigés à la première personne, dans un style et un ton empreints de rhétorique, constituent sans nul doute l'un des épilogues ajoutés tardivement au texte de Théophraste. -- La Bruyère a esquissé à diverses reprises le caractère du "nouvelliste" : on en verra par exemple des touches dans les portraits de Celse (Les Caractères, Du mérite personnel, 39) et d'Arrias (Ibidem, De la société, 9).
09. L'effronté (Notes)
L'effronterie... (Car., 9) : Probablement emprunté au recueil pseudo-platonicien des Définitions, 416 a 14, ce texte est rejeté par plusieurs éditeurs. Cf. Car., 5, n.
retirer les viandes (Car., 9) : Selon l'usage, le fidèle qui sacrifie un animal à quelque divinité ménage trois parts dans l'offrande : celle qui sera réellement consumée sur l'autel, celle des prêtres et celle qu'on réserve pour un repas entre amis. Ainsi l'impudence du personnage évoqué ici est-elle double : au lieu d'inviter des amis, il va lui-même faire le pique-assiette chez eux, et il réserve de surcroît les bons morceaux pour sa consommation différée !
à la cantonnade (Car., 9) : Un citoyen "convenable" se fait normalement accompagner dans ses sorties par un ou plusieurs esclaves : cf. Car., 18, 8; 21, 4; 22, 10; 23, 8; 30, 7.
Tibios (Car., 9) : Tibios est un nom d'esclave, attesté plusieurs fois dans les comédies; l'insolence consiste évidemment à nourrir sans vergogne son serviteur aux dépens de l'hôte.
surveillant (Car., 9) : Un esclave appelé pédagogue accompagne les sorties des enfants et surveille leur tenue (cf. Car., 27, 13). Ce modeste serviteur n'est pas un maître dispensateur de savoir, mais il peut être à l'occasion un éducateur moral : cf. H. I. Marrou, Histoire de l'éducation dans l'antiquité, 6e éd., Paris, 1965, p. 220-221. -- Le resquilleur, qui s'est d'abord glissé au théâtre sans billet d'entrée, dans le sillage de gens pour qui il en avait acheté, s'enhardit donc jusqu'à refaire le coup avec sa petite famille !
et là-dessus (Car., 9) : Terme suspecté (à tort sans doute) par certains éditeurs.
[17 janvier 2002]