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Métamorphoses d'Ovide : Avant-Propos - Notices - Livre VIII (Plan) - Hypertexte louvaniste - Iconographie ovidienne - Page précédente - Page suivante
OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE VIII
[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2007]
Récits chez Achéloüs (I) : Les Échinades ― Philémon et Baucis (8, 547-724)
Transition : Thésée fait une halte chez Achéloüs (8, 547-570)
Une fois la contrée de Calydon débarrassée du sanglier, Thésée prit le chemin d'Athènes, mais, non loin de Calydon, Achéloüs, dieu du fleuve, à ce moment-là déchaîné, l'invita à faire halte chez lui, en attendant la décrue. Ravi d'accueillir un hôte prestigieux, le dieu-fleuve introduit Thésée et ses compagnons dans ses appartements, humides mais luxueusement décorés, pour un banquet à la romaine.
8, 547 | Interea Theseus sociati parte laboris functus Erectheas Tritonidos ibat ad arces. Clausit iter fecitque moras Achelous eunti |
Thésée cependant qui avait pris sa part à la chasse commune partait pour la citadelle d'Érechthée, protégée par la Tritonide. L'Achéloüs, tout gonflé de pluie, lui coupa la route et le retarda |
8, 550 | imbre tumens : « Succede meis », ait « inclite, tectis, Cecropida, nec te committe rapacibus undis. Ferre trabes solidas obliquaque uoluere magno murmure saxa solent. Vidi contermina ripae cum gregibus stabula alta trahi ; nec fortibus illic |
dans sa marche : « Illustre Cécropide, entre dans ma demeure, » dit-il « ne confie pas ta vie à la rapacité des flots. Souvent ils charrient des troncs solides et roulent à grand fracas des rocs à la dérive. J'ai vu près de mes rives de solides étables emportées avec les animaux qu'elles abritaient ; et cette fois là, il ne servit à rien, |
8, 555 | profuit armentis nec equis uelocibus esse. Multa quoque hic torrens niuibus de monte solutis corpora turbineo iuuenalia uertice mersit. Tutior est requies, solito dum flumina currant limite, dum tenues capiat suus alueus undas. » |
ni aux boeufs d'être forts, ni aux chevaux d'être rapides. De même, devenu torrent lors de la fonte des neiges de la montagne, mon cours a englouti bien des jeunes pêcheurs dans ses tourbillons agités. Mieux vaut faire une halte, en attendant que le fleuve regagne ses rives familières, qu'il retienne dans son lit ses eaux baissées. » |
8, 560 | Adnuit Aegides : « Vtar » que, « Acheloe, domoque consilioque tuo » respondit ; et usus utroque est. Pumice multicauo nec leuibus atria tophis structa subit ; molli tellus erat umida musco, summa lacunabant alterno murice conchae. |
Le fils d'Égée approuva et répondit : « Acheloüs, j'userai |
8, 565 | Iamque duas lucis partes Hyperione menso discubuere toris Theseus comitesque laborum ; hac Ixionides, illa Troezenius heros parte Lelex, raris iam sparsus tempora canis, quosque alios parili fuerat dignatus honore |
Et comme Hypérion avait déjà parcouru les deux tiers du jour, Thésée et ses compagnons d'épreuves prirent place sur des lits ; d'un côté, le fils d'Ixion, de l'autre, le héros de Trézène, Lélex, aux tempes couvertes déjà de quelques cheveux blancs, puis tous ceux que le fleuve d'Acarnanie, tout heureux d'accueillir |
8, 570 | amnis Acarnanum, laetissimus hospite tanto. |
un hôte si prestigeux, avait jugés dignes du même honneur. |
L'impiété punie : métamorphose des îles Échinades - Périmélé (8, 571-610)
Au cours du banquet, Achéloüs raconte à Thésée l'histoire des îles qu'ils aperçoivent devant eux. Cinq Naïades, offrant un sacrifice aux divinités champêtres avaient négligé de l'honorer, lui Achéloüs. Par vengeance il se mua en torrent dévastateur et précipita dans la mer les nymphes et la terre qui les portait, les métamorphosant ainsi en cinq îles, appelées Échinades. (8, 571-589)
En appendice, il raconte aussi la métamorphose de Périmélé, une île isolée des autres Échinades. Achéloüs avait privé de sa virginité la jeune Périmélé, dont il s'était épris. Apprenant le déshonneur de sa fille, Hippodamas précipita la malheureuse du haut d'un rocher, pour la perdre, mais Achéloüs la recueillit et obtint de Neptune, devant qui il reconnut sa propre faute, que sa bien-aimée soit métamorphosée en une île qui puisse désormais servir de havre pour les marins. (8, 590-610)
Protinus appositas nudae uestigia nymphae instruxere epulis mensas dapibusque remotis in gemma posuere merum. Tum maximus heros, aequora prospiciens oculis subiecta : « Quis » inquit |
Aussitôt, on disposa des tables, que des nymphes aux pieds nus chargèrent de mets ; puis, une fois les plats retirés, elles servirent du vin dans des coupes de pierres précieuses. Le héros grand entre tous, regardant au loin la mer étendue sous ses yeux : « Quel est ce lieu ? » |
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8, 575 | « ille locus ? » digitoque ostendit et « insula nomen quod gerit illa, doce, quamquam non una uidetur ! » Amnis ad haec : « Non est » inquit « quod cernitis unum ; quinque iacent terrae ; spatium discrimina fallit. Quoque minus spretae factum mirere Dianae, |
dit-il, en le montrant du doigt : « Apprends-moi le nom que porte cette île, qui toutefois n'a pas l'air d'être seule ! » À cela le fleuve répond : « Ce que tu vois n'est pas un bloc unique ; il s'agit de cinq terres ; l'espace entre elles est imperceptible. Et pour que tu sois moins surpris du geste de Diane offensée, |
8, 580 | Naides hae fuerant, quae cum bis quinque iuuencos mactassent rurisque deos ad sacra uocassent, immemores nostri festas duxere choreas. Intumui quantusque, feror cum plurimus umquam, tantus eram pariterque animis inmanis et undis |
ces terres étaient jadis des Naïades qui, un jour où elles avaient immolé dix boeufs et invité les dieux des champs aux rituels sacrés, menèrent leurs choeurs de fête, en m'oubliant complètement. Je me gonflai de colère, mon débit était puissant comme jamais, et mon ressentiment aussi grand que mes eaux étaient hautes. |
8, 585 | a siluis siluas et ab aruis arua reuelli cumque loco Nymphas, memores tum denique nostri, in freta prouolui. Fluctus nosterque marisque continuam diduxit humum pariterque reuellit in totidem, mediis quot cernis Echinadas undis. |
J'arrachai des arbres aux forêts et des terres aux champs ; les Nymphes et leur lieu de séjour, je les fis rouler dans la mer, où enfin elles se souviennent de moi. Mes flots et ceux de la mer ont détaché une bande de terre, qu"ils ont divisée en portions égales, autant que d'Échinades que tu aperçois parmi les flots. |
8, 590 | Vt tamen ipse uides, procul, en procul una recessit insula, grata mihi. (Perimelen nauita dicit) ; huic ego uirgineum dilectae nomen ademi. Quod pater Hippodamas aegre tulit inque profundum propulit e scopulo periturae corpora natae. |
Toutefois, comme tu le vois, au loin, bien loin, il y a en retrait une île isolée, qui m'est chère – les marins l'appellent Périmélé – ; c'est moi qui ai enlevé à cette fille que j'aimais son titre de vierge. Son père Hippodamas le supporta mal et propulsa dans l'abîme du haut d'un rocher le corps de sa fille, pour la faire mourir. |
8, 595 |
excepi nantemque ferens : “ O proxima mundi |
Je la recueillis, la soutins tandis qu'elle nageait et je dis : “ Porte-Trident, que le sort fait régner sur l'onde errante, second royaume du monde, [Viens ici où nous, fleuves sacrés, venons finir notre course, ô Neptune, et écoute avec bonté celui qui t'implore. Oui, moi, j'ai fait tort à cette fille que je porte ici. |
8, 600 600a 601 |
si pater Hippodamas, aut si minus impius esset, debuit illius misereri, ignoscere nobis ;] Affer opem, mersaeque, precor, feritate paterna da, Neptune, locum ; uel sit locus ipsa licebit ! [Hunc quoque complectar! ” Mouit caput aequoreus rex concussitque suis omnes assensibus undas. |
Si son père Hippodamas avait été doux et juste, ou moins injuste, |
8, 605 | Extimuit nymphe, nabat tamen. Ipse natantis Pectora tangebam trepido salientia motu ; Dumque ea contrecto, totum durescere sensi corpus et inducta condi praecordia terra]. Dum loquor, amplexa est artus noua terra natantes |
La nymphe avait peur, mais elle nageait toujours. Moi, je touchais sa poitrine haletante et tremblante, pendant qu'elle nageait ; et comme je la caressais, je sentis tout son corps se durcir et son buste disparaître sous une couche de terre.] Et tandis que je parlais, une terre nouvelle emprisonna ses membres |
8, 610 | et grauis increuit mutatis insula membris. » | et une île se développa, lourde de ses membres métamorphosés. » |
Un couple modèle de fidélité et de piété : Philémon et Baucis (8, 611-678)
Le récit d'Achéloüs suscite l'incrédulité de Pirithoüs concernant le pouvoir des dieux à provoquer des métamorphoses. Lélex prétend prouver le contraire par un récit. (8, 611-619)
Il dit avoir vu personnellement en Phrygie un lieu où s'élevaient un chêne et un tilleul entourés d'un muret, près d'un lac. Un jour, Jupiter et Mercure, vêtus comme de simples mortels et passant par là, avaient demandé l'hospitalité aux habitants, qui tous les avaient rabroués. Seuls Philémon et Baucis, deux vieux très unis, qui supportaient dignement et sans récrimination leur modeste existence, se montrèrent envers leurs hôtes inconnus particulièrement hospitaliers et généreux, leur offrant une profusion de mets rustiques tirés de leurs réserves. (8, 620-678)
8, 611 | Amnis ab his tacuit. Factum mirabile cunctos mouerat ; irridet credentes, utque deorum spretor erat mentisque ferox, Ixione natus : « Ficta refers nimiumque putas, Acheloe, potentes |
Dès lors, le dieu-fleuve se tut. Ce prodige les avait tous émus ; alors, contempteur des dieux comme il était et esprit fort, le rejeton d'Ixion se moqua de leur crédulité en disant : « Tu inventes des fables, Achéloüs, et tu juges les dieux trop puissants, |
8, 615 | esse deos, » dixit « si dant adimuntque figuras. » Obstipuere omnes nec talia dicta probarunt ; ante omnesque Lelex, animo maturus et aeuo, sic ait : « Immensa est finemque potentia caeli non habet, et quicquid superi uoluere, peractum est. |
si tu crois qu'ils donnent et retirent leurs formes aux choses ». Tous restèrent sidérés et désapprouvèrent de telles paroles, en particulier Lélex, dont l'âge avait mûri l'esprit et qui dit : « La puissance céleste est immense, elle n'a pas de limites, et quoi qu'ils aient voulu, les dieux d'en haut l'ont accompli. |
8, 620 | Quoque minus dubites, tiliae contermina quercus collibus est Phrygiis modico circumdata muro. Ipse locum uidi. Nam me Pelopeia Pittheus misit in arua suo quondam regnata parenti. Haud procul hinc stagnum est, tellus habitabilis olim, |
Mon récit te rendra moins sceptique : il y a dans les collines de Phrygie, à côté d'un tilleul, un chêne entouré d'un muret. J'ai moi-même vu cet endroit. Pitthée en effet m'avait envoyé dans les terres où avait régné autrefois son père Pélops. Non loin de là se trouve un lac, autrefois terre habitable, peuplée |
8, 625 | nunc celebres mergis fulicisque palustribus undae. Iuppiter huc specie mortali cumque parente uenit Atlantiades positis caducifer alis. Mille domos adiere locum requiemque petentes, mille domos clausere serae. Tamen una recepit, |
maintenant par les plongeons et les foulques des marais. Jupiter, sous l'aspect d'un mortel, vint en ces lieux ; le petit-fils d'Atlas accompagnait son père, il portait son caducée, et n'avait pas ses ailes. Ils frappèrent à mille portes, cherchant un endroit où se reposer : mille portes verrouillées se fermèrent. Une seule maison les accueillit, |
8, 630 | parua quidem, stipulis et canna tecta palustri ; sed pia Baucis anus parilique aetate Philemon illa sunt annis iuncti iuuenalibus, illa consenuere casa paupertatemque fatendo effecere leuem nec iniqua mente ferendo. |
petite, à la vérité, au toit couvert de chaume et de roseaux des marais. Là habitaient une vieille femme pieuse, Baucis, ainsi que Philémon, du même âge qu'elle ; unis depuis leur jeunesse, ils avaient vieilli dans cette maison et leur pauvreté leur avait toujours paru légère, parce qu'ils l'avouaient et la supportaient sans ressentiment. |
8, 635 | Nec refert, dominos illic famulosne requiras : tota domus duo sunt, idem parentque iubentque. Ergo ubi caelicolae paruos tetigere penates summissoque humiles intrarunt uertice postes, membra senex posito iussit releuare sedili. |
Il ne faut pas vouloir chercher là maîtres et serviteurs, |
8, 640 | Quo super iniecit textum rude sedula Baucis inque foco tepidum cinerem dimouit et ignes suscitat hesternos foliisque et cortice sicco nutrit et ad flammas anima producit anili multifidasque faces ramaliaque arida tecto |
sur lequel Baucis empressée avait jeté un tissu grossier. Dans l'âtre elle écarta la cendre encore tiède, ranima le feu de la veille, l'alimentant de feuilles et d'écorces sèches, et faisant repartir la flamme avec son souffle de vieille femme. Puis elle découpa en morceaux du bois fendu et des brindilles sèches |
8, 645 | detulit et minuit paruoque admouit aeno. Quodque suus coniunx riguo collegerat horto, truncat holus foliis ; furca leuat illa bicorni sordida terga suis nigro pendentia tigno seruatoque diu resecat de tergore partem |
venant d'une remise, qu'elle plaça sous un chaudron de bronze. Elle épluche et découpe les légumes cueillis par son mari dans le potager bien entretenu ; à l'aide d'une pique à deux dents, elle décroche un dos de porc fumé pendu à une poutre noircie, et de cette échine longtemps conservée elle prélève |
8, 650 |
exiguam sectamque domat feruentibus undis. |
une petite tranche qu'elle attendrit dans l'eau bouillante. Entre-temps ils trompent les heures d'attente en bavardant [Les occupants cherchent à tromper l'attente des visiteurs. Il y avait là, suspendu à un clou par une anse courbe un baquet en bois de hêtre. On le remplit d'eau tiède, pour que les hôtes y réchauffent leurs membres ; |
8, 655 656a 655a |
accipit ; in medio torus est de mollibus uluis impositus lecto, sponda pedibusque salignis.] Concutiuntque torum de molli fluminis ulua impositum lecto sponda pedibusque salignis ; uestibus hunc uelant, quas non nisi tempore festo sternere consuerant ; sed et haec uilisque uetusque uestis erat, lecto non indignanda saligno. |
au centre de la pièce, on pose un matelas d'algues tendres |
8, 660 | Accubuere dei. Mensam succincta tremensque ponit anus ; mensae sed erat pes tertius inpar ; testa parem fecit. Quae postquam subdita cliuum sustulit, aequatam mentae tersere uirentes. Ponitur hic bicolor sincerae baca Mineruae |
Les dieux s'y étendirent. Robe retroussée, et toute tremblante, la vieille pose une table, dont un des trois pieds était trop court ; un tesson le mit à bonne hauteur. Posé sous le pied, il supprima l'inclinaison, et la table stabilisée fut frottée avec des menthes fraîches. Des olives vertes et noires, présents de la pure Minerve, |
8, 665 | conditaque in liquida corna autumnalia faece intibaque et radix et lactis massa coacti ouaque non acri leuiter uersata fauilla, omnia fictilibus. Post haec caelatus eodem sistitur argento crater fabricataque fago |
des courges d'automne conservées dans du vinaigre, des chicorées sauvages, du raifort, du fromage fait de lait pressé, des oeufs retournés avec adresse sur une cendre peu ardente, le tout dans de la vaisselle de terre. Après cela, on installe un cratère ciselé dans le même argent |
8, 670 | pocula, qua caua sunt, flauentibus illita ceris. Parua mora est epulasque foci misere calentes, nec longae rursus referuntur uina senectae dantque locum mensis paulum seducta secundis. Hic nux, hic mixta est rugosis carica palmis |
et des coupes en hêtre, à l'intérieur enduit de cire blonde. Peu de temps après, arrivent du fourneau des plats chauds, et à nouveau on ressert le même vin, qui n'est pas bien vieux. Ensuite on écarte un peu les coupes pour faire place au second service. Voici maintenant des noix, des figues mêlées à des dattes ridées, |
8, 675 | prunaque et in patulis redolentia mala canistris et de purpureis collectae uitibus uuae, candidus in medio fauus est. Super omnia uultus accessere boni nec iners pauperque uoluntas. |
des prunes et des pommes parfumées dans de larges corbeilles, du raisin cueilli dans des vignes aux feuilles empourprées, et au milieu un éclatant gâteau de miel. Mais par dessus tout cela, il y avait leurs bons visages et leur accueil aussi actif que généreux. |
Bonté et piété récompensées : métamorphose de Philémon et Baucis (8, 679-724)
Voyant se renouveler sans cesse le vin qu'ils servaient, les vieux pressentent le caractère divin de leurs hôtes et, confus à l'idée de les avoir reçus trop chichement, ils s'apprêtent à leur sacrifier leur unique oie, quand les dieux alors se présentent sous leur vrai jour. Ils annoncent qu'un châtiment frappera leurs voisins impies, recommandent aux vieillards de quitter leur demeure et de les accompagner jusqu'au sommet de la montagne. Ce que, en dépit de leur grand âge, ils s'empressent de faire docilement. (8, 679-694)
Du sommet, ils aperçoivent leur contrée complètement submergée, à l'exception de leur propre cabane, transformée en un temple luxueux. Jupiter leur proposant alors d'émettre un voeu, ils demandent simplement à devenir les prêtres et gardiens de ce temple, et surtout de mourir ensemble, pour rester unis dans la mort comme ils le furent dans la vie. (8, 695-710)
Ainsi, prêtres du temple, ils firent aux pèlerins les honneurs des lieux, jusqu'au jour de leur métamorphose en deux arbres voisins, devenus objets de vénération. Tel fut le récit de Lélex. (8, 711-724)
Interea totiens haustum cratera repleri | Pendant ce temps, ils voient que le cratère tant de fois vidé |
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8, 680 | sponte sua per seque uident succrescere uina ; attoniti nouitate pauent manibusque supinis concipiunt Baucisque preces timidusque Philemon et ueniam dapibus nullisque paratibus orant. Vnicus anser erat, minimae custodia uillae, |
se remplit spontanément et que le vin augmente en quantité. Ce fait étrange les frappe de stupeur et de crainte. Impressionnés, mains levées, Baucis et Philémon prient, demandent pardon pour le manque d'apprêts de leur repas. Ils ne possédaient qu'une oie, gardienne de leur modeste masure ; |
8, 685 | quem dis hospitibus domini mactare parabant. Ille celer penna tardos aetate fatigat eluditque diu tandemque est uisus ad ipsos confugisse deos. Superi uetuere necari ; “ Di ” que “ sumus, meritasque luet uicinia poenas |
et ils étaient prêts à la sacrifier en l'honneur de leurs hôtes divins. Le volatile avec ses ailes rapides épuise ses maîtres ralentis par l'âge, longtemps il leur échappe et finalement semble avoir trouvé refuge auprès des dieux mêmes, qui s'opposent à ce qu'on le tue, disant : “ Nous sommes des dieux, et l'impiété de vos voisins |
8, 690 693a 693b |
inpia ” dixerunt. “ Vobis inmunibus huius esse mali dabitur. Modo uestra relinquite tecta ac nostros comitate gradus et in ardua montis ite simul ! ” Parent ambo baculisque leuati [Ite simul ! ”Parent et dis praeeuntibus ambo membra leuant baculis, tardique senilibus annis] nituntur longo uestigia ponere cliuo. |
recevra un châtiment mérité. À vous, il sera donné d'échapper à ce malheur. À l'instant, quittez votre maison, accompagnez notre marche et gravissez avec nous le sommet de la montagne ! ” Tous deux obéissent et s'aidant de leurs bâtons, [“ Venez avec nous ! ” Suivant les dieux, tous deux obéissent, appuyant sur des bâtons leurs membres appesantis par la vieillesse] ils gravissent pas à pas, avec effort, la longue pente. |
8, 695 697a 698a |
Tantum aberant summo, quantum semel ire sagitta |
Ils étaient éloignés du sommet à la distance que peut parcourir |
8, 700 | uertitur in templum ; furcas subiere columnae ; stramina flauescunt aurataque tecta uidentur caelataeque fores adopertaque marmore tellus. Talia tum placido Saturnius edidit ore : “ Dicite, iuste senex et femina coniuge iusto |
se métamorphose en temple ; les étançons deviennent des colonnes ; les chaumes redeviennent jaunes et le toit apparaît tout doré, la porte a des battants ciselés et le sol est couvert de marbre. Alors le fils de Saturne d'une voix bienveillante déclara : “ Toi vieillard au coeur droit, et toi digne épouse d'un juste, |
8, 705 | digna, quid optetis. ” Cum Baucide pauca locutus, iudicium superis aperit commune Philemon : “ Esse sacerdotes delubraque uestra tueri poscimus, et quoniam concordes egimus annos, auferat hora duos eadem, nec coniugis umquam |
dites-moi, que souhaitez-vous ? ” Philémon échange quelques mots avec Baucis, puis dévoile aux dieux leur décision commune : “ Devenir vos prêtres et surveiller vos sanctuaires, tel est notre souhait et, puisque que nous avons vécu unis des années, que la même heure nous emporte tous deux, que jamais je ne voie le bûcher |
8, 710 | busta meae uideam, neu sim tumulandus ab illa. ” Vota fides sequitur ; templi tutela fuere, donec uita data est. Annis aeuoque soluti ante gradus sacros cum starent forte locique narrarent casus, frondere Philemona Baucis |
de mon épouse, que jamais elle ne doive me dresser un tombeau. ” Ce voeu se réalisa exactement : ils furent les gardiens du temple, tant que dura leur vie. Épuisés par les ans et leur grand âge, un jour où ils se tenaient debout devant les degrés du temple, racontant l'histoire des lieux, Baucis vit des feuilles poussant sur Philémon |
8, 715 | Baucida conspexit senior frondere Philemon. Iamque super geminos crescente cacumine uultus mutua, dum licuit, reddebant dicta “ uale ” que “ o coniunx ” dixere simul, simul abdita texit ora frutex. Ostendit adhuc Thyneius illic |
et le vieux Philémon vit des feuilles poussant sur Baucis. Et tandis que déjà leurs deux visages se couvraient de feuillage, tant qu'ils le purent, ils échangèrent des propos : “ Adieu, chère âme ” , dirent-ils ensemble, et pendant ce temps leurs bouches disparurent sous une branche. En ce lieu, un habitant du pays de Thynos, |
8, 720 | incola de gemino uicinos corpore truncos. Haec mihi non uani, neque erat, cur fallere uellent, narrauere senes. Equidem pendentia uidi serta super ramos ponensque recentia dixi “ cura deum di sint, et, qui coluere, colantur. ” » |
de nos jours encore montre deux troncs voisins, nés de ces deux corps. Voilà ce que m'ont raconté des vieillards, bien réels, qui n'avaient aucune raison de me tromper. Et j'ai même vu des guirlandes suspendues à ces branches, et j'en ai posé des nouvelles, en disant : “ Que les dieux prennent soin des dieux, et qu'on honore leurs fidèles ” » |
NOTES
Transition. Vers 8, 547-570. Ce passage constitue une transition entre la légende de Méléagre (8, 260-546) et le long passage consacré à divers récits chez Achéloüs (8, 571-9, 88). Un fil conducteur, assez ténu, les relie : Thésée, présent de part et d'autre, mais jamais au premier plan. Rappelons que, revenant de Crète où il avait tué le Minotaure, il regagnait l'Attique, mais s'était arrêté en Étolie à la demande des habitants pour les aider à se défaire du sanglier qui dévastait la région de Calydon.
Thésée (8, 547). Thésée regagnait Athènes, appelée ici la citadelle d'Érechthée, un des rois mythiques de la ville (6, 677 ; 6, 701 ; 7, 697).
Tritonide (8, 548). Pallas-Athéna, la grande divinité d'Athènes, était née sur les bords du Triton, d'où le surnom de Tritonide qui lui est régulièrement donné (cfr 5, 645 et aussi 5, 250-1 et 5, 270 ; 3, 127 ; 2, 794).
Achéloüs (8, 549). Fleuve de l'Hellade, l'Achéloüs, aujourd'hui Aspropotamos, sépare l'Étolie de l'Acarnanie et se jette dans la mer Ionienne, à l'entrée du golfe de Patras, à une trentaine de km. à l'ouest de Calydon. Thésée a donc suivi un trajet inattendu pour rejoindre Athènes, mais on sait Ovide assez approximatif dans ses notations géographiques. La mythologie présente Achéloüs comme le dieu du fleuve, fils de Téthys et Océan, aîné de trois mille frères, père ou frère des Sirènes, et objet de diverses légendes (cfr notamment Mét., 8, 549-610 et 9, 1-98).
Cécropide (8, 550-551). Thésée, fils d'Égée (8, 560), est un descendant de Cécrops. Cfr 2, 555 ; 6, 70 ; 7, 671, etc.
Hypérion (8, 565). Le fils du Soleil, ou le Soleil ou Apollon lui-même (cfr Mét., 4, 192, et 4, 241 ; Fast., 1, 385). La périphrase indique que l'on approchait de la fin du jour.
fils d'Ixion (8, 567). Pirithoüs est le fils d'Ixion (8, 303 ; 8, 403-410).
Lélex, héros de Trézène (8, 567-568). Sur Lélex, héros éponyme des Lélèges, une population primitive prégrecque, que les mythographes anciens retrouvent dans divers endroits de la Grèce, cfr la n. à 7, 443. En 7, 443, Lélex est lié à Mégare ; en 8, 312, Ovide le fait venir de Naryx, une ville de Locride, et ici il le définit comme un « héros de Trézène ». C'est ce Lélex qui, à partir de 8, 616, racontera l'épisode de Philémon et de Baucis.
fleuve d'Acarnanie (8, 569). Achéloüs (8, 549).
cinq terres (8, 578). Les îles Échinades, dont il sera question plus loin dans la note au vers 589.
affront subi (8, 579ss). La colère de Diane évoquée en 8, 273-283 rappelle par certains points celle d'Achéloüs dans ce passage.
Naïades (8, 580). Ce sont des Nymphes (8, 586), filles de Zeus ou d'Océan, déesses des eaux vives et de la nature. En Mét., 2, 325, elles pleurent Phaéton, et en 3, 505-506, elles pleurent Narcisse. Cfr aussi Mét., 6, 329, et Fast., 1, 405 et 1, 512.
Échinades (8, 589). C'est un groupe d'îles peu habitées de la mer Ionienne, au large des côtes de l'Acarnanie, non loin de l'entrée du golfe de Corinthe et de l'embouchure du fleuve Achéloüs. Elles apparaissent déjà dans Homère (Iliade, 2, 625) et dans Hérodote (II, 10, 3) Si l'on fait abstraction de ce passage d'Ovide, elles ne jouent qu'un rôle insignifiant dans la mythologie. Le nombre de cinq (vers 578) ne correspond pas aux réalités géographiques d'aujourd'hui. Mais il ne faudrait pas en conclure que les Échinades étaient cinq au temps d'Ovide.
Périmélé (8, 591). Ovide est le seul auteur à nous avoir raconté la métamorphose qui a donné naissance à cette île, qu'il présente comme située en retrait par rapport aux autres Échinades. Aucune des Échinades modernes ne porte ce nom, qui n'est toutefois pas rare dans la mythologie grecque.
Hippodamas (8, 593). Ce père intransigeant de Périmélé n'est pas sans rappeler l'attitude du père de Leucothoé (Mét., 4, 234-255). Selon d'autres versions (Apollodore, 1, 7, 3), Hippodamas serait le fils d'Achéloüs et de Périmélé.
Porte-Trident (8, 595). Le Trident est un attribut bien connu de Poséidon/Neptune, qui régnait sur la seconde part de l'univers réparti entre les trois frères Zeus/Jupiter, Poséidon/Neptune et Hadès/Pluton. Cfr par exemple Homère, Iliade, 15, 187-193 ; Ovide, Mét., 2, 290-291 ; 5, 529 ; Fast., 5, 495.
Viens ici... (8, 597-608). Passage peu sûr. Certains éditeurs considèrent les vers 597-600a et 603-608 comme non authentiques. Ils sont ici entre crochets et en italiques, comme dans le texte de G. Lafaye, que nous suivons.
dieu-fleuve (8, 611). Achéloüs (Voir 8, 549 ; 8, 569).
rejeton d'Ixion (8, 613). Sur Pirithoüs, rejeton d'Ixion, cfr. Mét., 8, 303 ; 8, 403-410 ; 8, 567. Ici apparaît le thème récurrent de l'incrédulité à l'égard de la puissance des dieux, évoqué dans les Métamorphoses, par exemple à propos de Lycaon (1, 221-229), de Penthée (3, 527-563), des Minyades (4, 1-3 et 31-39), d'Acrisius (4, 604-614). -- Ixion, comme Pirithoüs, étaient réputés « contempteurs » des dieux, Ixion pour avoir poursuivi Junon de ses assiduités (4, 461, qui renvoie à Én., 6, 601 et note) et Pirithoüs pour avoir voulu enlever Perséphone des enfers.
Lélex (8, 617). Cfr la note à 8, 567-568.
mon récit (8, 620). L'histoire de Philémon et Baucis ne nous est connue que par ce texte des Métamorphoses, chef d'oeuvre de la littérature universelle (Fr. Bömer), qui sera notamment imité par La Fontaine, Philémon et Baucis, Livre XII, Fable 25. On ne connaît pas avec précision la source d'Ovide. Quoi qu'il en soit, ce conte illustre le motif « topique » de l'accueil fait aux dieux par des braves gens de modeste condition.
Phrygie... Pitthée... Pélops (8, 621-623). L'histoire de Philémon et de Baucis se situe donc en Asie Mineure. Ovide évoque quelques aspects de la légende de Pélops, fils du roi de Phrygie Tantale. Après bien des aventures, Pélops était arrivé dans le Péloponnèse, où il devint roi, après avoir épousé Hippodamie. Il est notamment le père des Atrides et l'initiateur des Jeux Olympiques (voir 6, 404-411 et la note). Pitthée, roi de Trézène, était un des fils de Pélops et d'Hippodamie ; il était aussi le père de Lélex et le grand-père de Thésée, qu'il éleva à sa cour (8, 312 et 6, 418).
petit-fils d'Atlas (8, 627). Hermès/Mercure, fils de Jupiter et de la Pléiade Maia, fille d'Atlas (cfr Fast., 5, 83-88 et 5, 662-664 avec les notes). Le caducée et les ailes sont deux des attributs caractéristiques du dieu-messager par excellence de Zeus/Jupiter (Mét., 2, 708 et 741-742).
dieux du ciel... (8, 637). Cette visite de dieux, incognito, dans une humble demeure peut par certains côtés être rapprochée de la légende de la naissance d'Orion (cfr Fast., 5, 493-522).
Les occupants... (8, 652-656a). Ces vers ne sont pas considérés comme authentiques par certains éditeurs. Nous adoptons la version de l'édition G. Lafaye, en mettant en italiques et entre crochets les passages suspects.
pure Minerve (8, 664). On sait que Pallas/Athéna/Minerve était vierge, et que l'olivier lui était consacré (cfr 8, 274).
même argent (8, 669). Par ironie, le cratère étant en terre cuite, comme le reste de la vaisselle .
enduit de cire (8, 670). Pour rendre les coupes moins poreuses et aussi pour masquer les aspérités du bois.
on ressert (8, 672). C'est toujours le même vin qui est proposé.
pas bien vieux (8, 672). Ce n'est donc pas un vin de grande qualité, comme pouvait l'être le Falerne ou le Cécube, dont il est parfois question dans les textes.
second service (8, 673). Le second service (mensa secunda en latin) se compose de douceurs et/ou de fruits (cfr aussi 9, 91-92). On songera au dessert (dolce o frutta) de l'Italie actuelle.
Venez... (8, 693a-b). Deux vers absents de certains manuscrits et mis entre crochets dans l'édition G. Lafaye.
Ils voient (8, 697a-698a). Idem.
fils de Saturne (8, 703). Zeus/Jupiter.
pays de Thynos (8, 719). Le texte est peu sûr. Si on fait intervenir Thynos, il existe bien un héros de ce nom. En le citant, Lélex voudrait-il accréditer son récit ? Mais celui-ci est localisé en Phrygie (vers 621), et la Bithynie et la Phrygie sont deux régions différentes. Il est vrai que les Anciens (et Ovide en particulier) ne sont pas toujours très précis en matière géographique.
deux troncs (8, 720). Il s'agit du tilleul et du chêne évoqués au vers 8, 621.
Que les dieux prennent soin des dieux, et qu'on honore leurs fidèles (8, 724). Nous avons proposé une traduction littérale du texte latin adopté ici, mais il faut savoir que la tradition manuscrite est hésitante (di ou dii, sint ou sunt, colantur ou coluntur), que des conjectures modernes ont été proposées (dis au lieu de di ou dii) et que de toute manière le sens n'est pas clair. G. Lafaye, dont nous suivons le texte, traduit : « Que les mortels aimés des dieux soient des dieux eux-mêmes ; à ceux qui furent pieux sont dus nos pieux hommages ». J. Chamonard qui a choisi en latin Cura pii dis sunt, et qui coluere coluntur, traduit « Les hommes pieux sont chéris des dieux, et ceux qui les ont honorés sont à leur tour honorés ».
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