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OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE VI
[Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2006]
Niobé et histoires connexes (6, 146-411)
L'insolence de Niobé à l'égard de Latone (6, 146-203)
Niobé, comblée sous tous rapports, tire un orgueil démesuré de sa nombreuse progéniture. Sans être impressionnée par le châtiment d'Arachné, elle est la seule parmi les Thébaines à refuser de se plier à l'ordre transmis par la prophétesse Mantô, stipulant d'honorer la déesse Latone (Léto) et ses enfants Apollon et Diane (Artémis). Bien plus, Niobé pousse même les Thébaines à ne pas se soumettre à cette injonction, les engageant à lui rendre à elle, Niobé, un culte comme à une déesse. (6, 146-164)
Dans un plaidoyer où elle s'attarde longuement sur ses propres mérites, son ascendance divine, son pouvoir (elle est l'épouse du roi de Thèbes), sa richesse, sa beauté, et surtout ses quatorze enfants, elle insulte gravement Latone, rappelant les avatars rencontrés par cette déesse au moment de la naissance de ses deux enfants à Délos, et lui faisant grief de leur nombre réduit. (6, 165-203)
6, 146 |
Lydia tota fremit, Phrygiaeque per oppida facti |
La
Lydie entière frémit ; dans les villes de
Phrygie se répand
cette rumeur qui occupe ensuite les conversations dans le vaste monde. Avant son mariage, Niobé avait connu Arachné, quand, jeune fille encore, elle habitait la Méonie et le Sipyle. |
6, 150 |
nec tamen admonita est poena popularis Arachnes, cedere caelitibus uerbisque minoribus uti. Multa dabant animos ; sed enim nec coniugis artes nec genus amborum magnique potentia regni sic placuere illi, quamuis ea cuncta placerent, |
Pourtant, le châtiment de sa compatriote Arachné ne l'incita ni à s'effacer devant les dieux ni à avoir le verbe moins haut. Maintes raisons excitaient son orgueil ; mais, ni le talent de son époux, ni leur naissance à tous deux, ni la puissance de leur vaste royaume, si plaisants soient tous ces avantages, ne la comblaient autant |
6, 155 | ut sua progenies ; et felicissima matrum dicta foret Niobe, si non sibi uisa fuisset. Nam sata Tiresia uenturi praescia Manto per medias fuerat diuino concita motu, uaticinata uias : « Ismenides, ite frequentes |
que sa propre progéniture ; et Niobé aurait été citée comme
la mère la plus heureuse de toutes, n'en eût-elle été persuadée elle-même. Or, Mantô, la fille de Tirésias, qui avait la prescience de l'avenir, poussée par une inspiration divine, avait prophétisé par les rues : « Isménides, allez en foule présenter de pieuses offrandes |
6, 160 |
et date Latonae Latonigenisque duobus cum prece tura pia lauroque innectite crinem ; ore meo Latona iubet. » Paretur et omnes Thebaides iussis sua tempora frondibus ornant turaque dant sanctis et uerba precantia flammis. |
à
Latone et aux deux enfants de Latone, de l'encens et des prières, et entrelacez dans vos cheveux des feuilles de laurier : Latone vous l'ordonne par ma bouche. » On obéit à cet ordre, toutes les Thébaines ornent leurs fronts du feuillage prescrit et en priant font des offrandes d'encens sur les flammes sacrées. |
6, 165 |
Ecce uenit comitum Niobe celeberrima turba uestibus intexto Phrygiis spectabilis auro et, quantum ira sinit, formosa ; mouensque decoro cum capite inmissos umerum per utrumque capillos constitit, utque oculos circumtulit alta superbos, |
Voici venir Niobé, très entourée par la foule de ses compagnes, attirant les regards dans sa tenue phrygienne brodée d'or, et belle, autant que le permet la colère. Remuant sa tête parée, et en même temps ses cheveux déployés sur ses épaules, elle s'arrêta et, portant autour d'elle ses regards orgueilleux, |
6, 170 |
« Quis furor auditos » inquit « praeponere uisis caelestes ? Aut cur colitur Latona per aras, numen adhuc sine ture meum est ? Mihi Tantalus auctor, cui licuit soli superorum tangere mensas ; Pleiadum soror est genetrix mea ; maximus Atlas |
déclara, hautaine : « Quelle folie de préférer des dieux dont on parle à des dieux que l'on voit ? Pourquoi honorer Latone sur les autels et priver ma divinité d'encens ? Mon père, Tantale, est le seul qui eut la faveur de s'asseoir à la table des dieux ; ma mère est une soeur des Pléiades ; mon aïeul est le grand Atlas, |
6, 175 |
est auus, aetherium qui fert ceruicibus axem ; Iuppiter alter auus ; socero quoque glorior illo. Me gentes metuunt Phrygiae, me regia Cadmi sub domina est, fidibusque mei commissa mariti moenia cum populis a meque uiroque reguntur. |
qui porte sur sa nuque l'axe du ciel ; mon autre aïeul, c'est Jupiter, que je m'honore aussi d'avoir pour beau-père. Les peuples de Phrygie me respectent, le palais de Cadmos m'a pour maîtresse, et nous régnons en souverains sur les murs élevés au son de la lyre de mon époux et sur leurs populations. |
6, 180 |
In quamcumque domus aduerti lumina partem, inmensae spectantur opes ; accedit eodem digna dea facies ; huc natas adice septem et totidem iuuenes et mox generosque nurusque ! Quaerite nunc, habeat quam nostra superbia causam, |
Dans ma demeure, je puis tourner mes regards n'importe où, j'y contemple d'immenses richesses ; à cela s'ajoute encore ma beauté, digne d'une déesse ; en plus de cela, sept filles et autant de jeunes gens, et bientôt des gendres et des brus ! Cherchez maintenant quelle est la cause de notre orgueil, |
6, 185 |
nescio quoque audete satam Titanida Coeo Latonam praeferre mihi, cui maxima quondam exiguam sedem pariturae terra negauit ! Nec caelo nec humo nec aquis dea uestra recepta est : exsul erat mundi, donec miserata uagantem |
et osez me préférer une
Titanide, née de je ne sais quel Céus, cette Latone à qui jadis la terre, si grande pourtant, a refusé un petit endroit, quand elle était près de s'accoucher ! Votre déesse ne fut accueillie ni au ciel, ni sur terre ni sur les ondes : elle fut exclue du monde, jusqu'à ce que, apitoyée par la vagabonde, |
6, 190 |
“ hospita tu terris erras, ego ” dixit “ in undis ” instabilemque locum Delos dedit. Illa duorum facta parens : uteri pars haec est septima nostri. Sum felix (quis enim neget hoc ?) felixque manebo (hoc quoque quis dubitet ?) : tutam me copia fecit. |
Délos lui dit : “ Nous errons en étrangères,
toi, sur terre, moi sur l'eau ”, et elle lui donna un endroit mouvant. Latone mit au monde deux enfants : ce n'est que la septième partie de ce qu'ont porté mes entrailles. Je suis comblée – qui en effet pourrait le nier ? – et comblée je resterai – de cela aussi qui douterait ? – : l'abondance m'a donné la sécurité. |
6, 195 |
Maior sum quam cui possit Fortuna nocere, multaque ut eripiat, multo mihi plura relinquet. Excessere metum mea iam bona. Fingite demi huic aliquid populo natorum posse meorum : non tamen ad numerum redigar spoliata duorum, |
Je suis trop grande pour que la Fortune puisse me nuire, et dût-elle m'enlever beaucoup, elle me laissera bien davantage. Les biens qui sont miens désormais sont au-delà de toute crainte. Imaginez qu'on puisse m'enlever une partie de mes nombreux enfants : même dépouillée, je ne serai pas réduite à n'en avoir que deux, |
6, 200 |
Latonae turbam ;
qua quantum distat ab orba ? (203) |
comme Latone ; quelle différence entre elle et une mère sans enfants ? Arrêtez ce sacrifice, hâtez-vous, et ôtez le laurier de vos cheveux ! » Les Thébaines obéissent et laissent le sacrifice inachevé ; et tout bas, chose qui reste possible, elles murmurent des hommages à la divinité. |
Vengeance de Latone : Apollon tue les sept fils de Niobé (6, 204-266)
Latone indignée appelle ses enfants Apollon et Artémis-Diane, qui se rendent aussitôt à Thèbes, pour la venger. (6, 204-217)
Apollon, le dieu archer surprend les sept fils de Niobé en train de faire courir leurs chevaux ou de s'exercer dans la palestre ; il les extermine tous, l'un après l'autre : l'aîné Isménus et Sipyle sont des cavaliers, frappés en pleine action ; Phédimus et Tantale s'affrontent à la lutte, et meurent transpercés par une même flèche ; Alphénor tombe en voulant porter secours à ses frères ; Damasichton, encore enfant, est atteint par deux flèches ; Ilionée, touchant et naïf au point d'apitoyer Apollon, meurt pourtant lui aussi. (6, 218-266)
6, 204 |
Indignata dea est summoque in uertice Cynthi |
La déesse fut indignée et, tout en haut du
Cynthe, |
6, 205 | talibus est dictis gemina cum prole locuta : « En ego uestra parens, uobis animosa creatis, et nisi Iunoni nulli cessura dearum, an dea sim dubitor perque omnia saecula cultis arceor, o nati, nisi uos succurritis, aris. |
elle parla en ces termes avec ses deux enfants : « Voici que moi, votre mère, fière de vous avoir mis au monde, et qui ne m'effacerais devant aucune autre déesse que Junon, je vois ma divinité mise en doute et, sans votre secours, mes enfants, je suis écartée des autels où j'ai été vénérée tout au long des siècles. |
6, 210 |
Nec dolor hic solus ; diro conuicia facto Tantalis adiecit uosque est postponere natis ausa suis et me, quod in ipsam decidat, orbam dixit et exhibuit linguam scelerata paternam. » Adiectura preces erat his Latona relatis : |
Et ce n'est pas là ma seule douleur ; à cet acte abominable, la Tantalide a ajouté l'insulte, elle a osé nous placer, vous et moi, derrière ses enfants, et – que cela retombe sur elle ! – elle m'a traitée de mère sans enfant, la scélérate, qui a bien la langue de son père ». Latone allait ajouter à ses paroles des prières, mais Phébus dit : |
6, 215 | «Desine !» Phoebus ait, «poenae mora longa querella est !» Dixit idem Phoebe, celerique per aera lapsu contigerant tecti Cadmeida nubibus arcem. Planus erat lateque patens prope moenia campus, adsiduis pulsatus equis, ubi turba rotarum |
«Arrête ! Se plaindre longuement retarde le moment de sévir !» |
6, 220 | duraque mollierat subiectas ungula glaebas. Pars ibi de septem genitis Amphione fortes conscendunt in equos Tyrioque rubentia suco terga premunt auroque graues moderantur habenas. E quibus Ismenus, qui matri sarcina quondam |
par les passages répétés des roues de chars et des durs sabots. Là certains des sept fils d'Amphion montent des chevaux vigoureux ; fermement installés sur les échines parées de rouge pourpre tyrienne ils les maîtrisent avec des rênes alourdies par les dorures. Parmi eux, Isménus, le premier à avoir pesé jadis dans le ventre |
6, 225 | prima suae fuerat, dum certum flectit in orbem quadripedis cursus spumantiaque ora coercet, « ei mihi ! » conclamat medioque in pectore fixa tela gerit frenisque manu moriente remissis in latus a dextro paulatim defluit armo. |
de sa mère, fait effectuer à son cheval un virage précis, retenant sa course et maîtrisant sa bouche écumante, quand il s'écrie : « Malheur à moi ! ». Il reçoit un trait qui s'est fiché en plein dans sa poitrine, et tandis que sa main mourante lâche les rênes, il glisse du flanc droit de sa monture et s'écroule lentement de côté. |
6, 230 | Proximus audito sonitu per inane pharetrae frena dabat Sipylus, ueluti cum praescius imbris nube fugit uisa pendentiaque undique rector carbasa deducit, ne qua leuis effluat aura : frena tamen dantem non euitabile telum |
Tout proche, lorsqu'il entendit dans l'air un bruit de carquois, Sipyle relâchait la bride, comme un pilote, pressentant l'orage à la vue d'un nuage, laisse pendre toutes ses voiles pour ne pas laisser se perdre le moindre souffle de vent. Mais il a beau lâcher la bride, un trait imparable l'atteint : |
6, 235 | consequitur, summaque tremens ceruice sagitta haesit, et exstabat nudum de gutture ferrum ; ille, ut erat pronus, per crura admissa iubasque uoluitur et calido tellurem sanguine foedat. Phaedimus infelix et auiti nominis heres |
une flèche vint en vibrant se ficher en haut de sa nuque, tandis que le fer nu ressortait de sa gorge. Penché en avant, tel qu'il était, il roule empêtré dans la crinière et les pattes de son cheval débridé, et son sang tout chaud souille la terre. Le malheureux Phédimus et l'héritier du nom de son aïeul, |
6, 240 | Tantalus, ut solito finem inposuere labori, transierant ad opus nitidae iuuenale palaestrae ; et iam contulerant arto luctantia nexu pectora pectoribus, cum tento concita neruo, sicut erant iuncti, traiecit utrumque sagitta. |
Tantale, ayant terminé leurs
tâches habituelles, étaient passés aux exercices de la palestre luisante, chers à la jeunesse. En une lutte serrée, torse contre torse, ils s'étaient déjà affrontés,
lorsqu'une seule flèche, lancée par la corde tendue d'un arc, |
6, 245 | Ingemuere simul, simul incuruata dolore membra solo posuere, simul suprema iacentes lumina uersarunt, animam simul exhalarunt. Adspicit Alphenor laniataque pectora plangens aduolat, ut gelidos conplexibus adleuet artus, |
Ils gémirent en même temps, en même temps étendirent sur le sol leurs membres tordus de douleur ; ensemble, gisant à terre, ils tournèrent leurs derniers regards, et ensemble, ils rendirent l'âme. Alphénor les aperçoit. Se lacérant et se frappant la poitrine, il vole vers eux, prêt à soulever dans ses bras leurs membres glacés, |
6, 250 | inque pio cadit officio ; nam Delius illi intima fatifero rupit praecordia ferro. Quod simul eductum est, pars et pulmonis in hamis eruta cumque anima cruor est effusus in auras. At non intonsum simplex Damasicthona uulnus |
mais il tombe en accomplissant ce pieux devoir : le dieu Délien, |
6, 255 | adficit : ictus erat, qua crus esse incipit et qua mollia neruosus facit internodia poples. Dumque manu temptat trahere exitiabile telum, altera per iugulum pennis tenus acta sagitta est. Expulit hanc sanguis seque eiaculatus in altum |
aux longs cheveux : il avait été frappé à la naissance de la jambe, et où le jarret nerveux forme une souple jointure Et tandis que sa main tente d'extraire le trait mortel, dans son cou s'enfonce une seconde flèche, jusqu'à l'empenne. Le sang la rejette et, projeté lui aussi en hauteur, |
6, 260 | emicat et longe terebrata prosilit aura. Vltimus Ilioneus non profectura precando bracchia sustulerat « di » que « o communiter omnes » dixerat ignarus non omnes esse rogandos « parcite ! » Motus erat, cum iam reuocabile telum |
il jaillit et s'élance au loin dans l'air où il fraie sa voie. Le dernier, Ilionée, avait levé les bras, en suppliant, geste inutile, et avait dit : « Ô dieux, vous que j'invoque tous ensemble », – il ignorait que tous ne devaient pas être sollicités – « épargnez-moi ! » L'archer avait été ému, au moment où déjà |
6, 265 |
non fuit, arcitenens ; minimo tamen occidit ille |
il ne pouvait plus rappeler son trait ; mais le coup qu'il asséna était très atténué, sa flèche n'avait pas percuté profondément le coeur. |
Le meurtre des filles de Niobé - Douleur et métamorphose de Niobé (6, 267-312)
Niobé irritée du pouvoir démesuré des dieux s'étonne d'abord de leur audace. Dans un premier temps, elle perd de son arrogance (d'autant que son époux Amphion s'est suicidé de désespoir), et devient pour tous un objet de pitié. Après avoir une dernière fois embrassé les cadavres de ses fils, elle crie sa douleur à Latone, dont elle reconnaît le triomphe, mais très vite son insolence refait surface et, forte des sept filles qui lui restent, elle clame à nouveau sa supériorité sur son ennemie. (6, 267-285)
Aussitôt des flèches atteignent successivement six des filles de Niobé, pendant qu'elles sont en train de pleurer leurs frères ou de soutenir leur mère. Celle-ci renonce définitivement à sa hargne et à son orgueil, supplie Latone de lui laisser sa dernière fille, la plus petite. (6, 286-301)
Sa prière reste vaine. Niobé, seule désormais, accablée de malheurs, subit une métamorphose. Pétrifiée, elle est devenue une statue immobile qui verse des pleurs, et un vent violent la transporte au sommet d'une montagne de sa patrie, où elle continue à pleurer. (6, 302-312)
6, 267 |
Fama mali populique dolor lacrimaeque suorum |
Le bruit de ce malheur, la douleur du peuple et les larmes de ses proches avertirent la mère de ce désastre si soudain ; étonnée que cela fût possible, elle s'irritait contre les dieux, |
6, 270 |
hoc essent superi, quod tantum iuris haberent. Nam pater Amphion ferro per pectus adacto finierat moriens pariter cum luce dolorem. Heu ! Quantum haec Niobe Niobe distabat ab illa, quae modo Latois populum submouerat aris |
qui avaient eu cette audace, qui avaient des droits si étendus. Quant à Amphion, le père, s'enfonçant une épée dans le coeur, il avait, par sa mort, mis fin à ses jours comme à sa douleur. Hélas ! Quelle distance séparait cette Niobé de l'autre Niobé, celle qui naguère avait écarté le peuple des autels de Latone |
6, 275 |
et mediam tulerat gressus resupina per urbem |
et, hautaine et enviée par ses proches, avait porté ses pas à travers la ville ; elle était à présent pitoyable, même pour un ennemi ! Elle se couche sur les corps déjà glacés de ses fils et sans suivre aucun ordre, leur dispense à tous ses derniers baisers. Après cela, elle lève vers le ciel ses bras livides : |
6, 280 |
« Pascere, crudelis, nostro, Latona, dolore, pascere » ait « satiaque meo tua pectora luctu ! corque ferum satia ! » dixit. « Per funera septem efferor : exsulta uictrixque inimica triumpha ! Cur autem uictrix ? Miserae mihi plura supersunt, |
« Cruelle Latone, repais-toi de notre douleur, repais-toi et rassasie-toi de mes pleurs ! Rassasie ton coeur cruel », dit-elle. « Leurs sept convois funèbres m'emportent au bûcher. Réjouis-toi et savoure ton triomphe, en ennemie victorieuse ! Mais, pourquoi victorieuse ? Dans mon malheur je garde plus de biens |
6, 285 |
quam tibi felici ; post tot quoque funera uinco ! » Dixerat, et sonuit contento neruus ab arcu ; qui praeter Nioben unam conterruit omnes : illa malo est audax. Stabant cum uestibus atris ante toros fratrum demisso crine sorores ; |
que toi, en pleine félicité ; même après tant de deuils, je suis gagnante ! » Elle venait de parler, et l'on entendit se détendre la corde d'un arc ; cela effraya tout le monde, à l'exception de la seule Niobé : le malheur la rend audacieuse. Debout, en vêtements sombres, les soeurs se tenaient, cheveux défaits, devant les lits de leurs frères. |
6, 290 |
e quibus una trahens haerentia uiscere tela inposito fratri moribunda relanguit ore ; altera solari miseram conata parentem conticuit subito duplicataque uulnere caeco est. [Oraque compressit, nisi postquam spiritus ibat.] |
L'une d'elles, retirant de ses entrailles un trait qui s'y est fiché, s'affaisse mourante, le visage posé sur le cadavre de son frère. Une autre, qui tentait de consoler sa malheureuse mère, se tut soudain, pliée en deux suite à une blessure invisible. [Elle ne ferma la bouche qu'après avoir rendu son dernier souffle.] |
6, 295 |
Haec frustra fugiens collabitur, illa sorori inmoritur ; latet haec, illam trepidare uideres. Sexque datis leto diuersaque uulnera passis ultima restabat ; quam toto corpore mater, tota ueste tegens : « Vnam minimamque relinque ! |
Celle-ci s'écroule, tentant en vain de fuir, celle-là meurt sur sa soeur ; celle-ci se cache, cette autre, on pouvait la voir trembler. Six étaient mortes, frappées de coups divers. Restait la dernière. Sa mère la protégeait de tout son corps, de tous ses vêtements, et criait : « Laisse m'en une, la plus petite ! De toutes, |
6, 300 |
De multis minimam posco » clamauit « et unam. » Dumque rogat, pro qua rogat, occidit. Orba resedit exanimes inter natos natasque uirumque deriguitque malis ; nullos mouet aura capillos, in uultu color est sine sanguine, lumina maestis |
je ne t'en demande qu'une seule, la plus petite. » Pendant qu'elle supplie, celle pour qui elle prie, tombe. Esseulée, Niobé reste assise parmi ses fils et ses filles et son époux sans vie. Elle se figea dans ses malheurs. Le vent n'agite aucun de ses cheveux, le sang ne colore plus son visage ; au-dessus de ses joues tristes, |
6, 305 |
stant inmota genis, nihil est in imagine uiuum. Ipsa quoque interius cum duro lingua palato congelat, et uenae desistunt posse moueri ; nec flecti ceruix nec bracchia reddere motus nec pes ire potest ; intra quoque uiscera saxum est. |
ses yeux sont immobiles, rien de vivant n'anime plus son image. Sa langue même se glace, à l'intérieur de son palais durci, et ses veines ont cessé de pouvoir bouger ; sa nuque ne peut plus se fléchir, ni ses bras faire un mouvement, ni ses pieds marcher ; à l'intérieur aussi ses organes sont pétrifiés. |
Flet tamen et ualidi circumdata turbine uenti in patriam rapta est : ibi fixa cacumine montis liquitur, et lacrimas etiam nunc marmora manant. |
Pourtant, elle pleure. Enveloppée d'un fort tourbillon de vent, elle est enlevée vers sa patrie. Là, fixée au sommet d'une montagne, elle fond en eau, et maintenant encore le marbre verse des larmes. |
Métamorphose en grenouilles des paysans lyciens, châtiés pour leur impiété (6, 313-381)
Le narrateur dit avoir entendu de la bouche d'un témoin une anecdote gravitant autour de la déesse Latone qui, offensée par des paysans lyciens, les châtia. (6, 313-318)
Ce témoin à son tour raconte comment, au cours d'un voyage en Lycie en compagnie d'un guide local, il découvrit, au milieu d'un petit lac, un ancien autel, qui suscita chez son compagnon une sorte de crainte religieuse. Il apprend bientôt que cet autel est dédié à Latone. La malheureuse, enceinte des oeuvres de Jupiter, était poursuivie par la hargne jalouse de Junon et, après avoir été accueillie à Délos juste le temps nécessaire pour donner naissance à Apollon et Diane, elle avait à nouveau dû fuir avec ses nourrissons (6, 319-338)
Son errance l'amena épuisée en Lycie, où elle s'approcha d'un petit lac pour se désaltérer, mais les habitants du lieu l'en écartèrent. Alors, en un plaidoyer émouvant, elle fait valoir que l'eau est à tout le monde, qu'elle se présente en suppliante, ne demandant que peu de chose, mais ces coeurs impitoyables la chassent brutalement. (6, 339-365)
La patience de la déesse a des limites : elle maudit ces paysans, qu'elle transforme en grenouilles. (6, 366-381)
6, 313 |
Tunc uero cuncti manifestam numinis iram |
Dès lors, hommes et femmes redoutent la colère divine, si manifeste, et tous dépensent plus de zèle pour rendre |
6, 315 |
magna gemelliparae uenerantur numina diuae ; utque fit, a facto propiore priora renarrant. E quibus unus ait : « Lyciae quoque fertilis agris non inpune deam ueteres spreuere coloni. Res obscura quidem est ignobilitate uirorum, |
un culte à la toute puissance de la déesse, mère des jumeaux. Et, chose courante, un fait récent suscite des récits de faits passés. L'un des assistants dit : « Dans la Lycie aux champs fertiles aussi, de vieux paysans ont méprisé la déesse, et ils ont été punis. L'histoire sans doute est peu connue, vu l'obscurité de leur condition, |
6, 320 |
mira tamen : uidi praesens stagnumque locumque |
mais elle est
étonnante : j'ai vu sur place l'étang et le lieu que le prodige a rendus célèbres. Mon père en effet, déjà assez avancé en âge et incapable de faire le voyage, m'avait chargé de ramener de là-bas des boeufs de choix et, au moment où je partais il m'avait lui-même confié à un guide du pays. Avec lui, je parcourais |
6, 325 |
ecce lacu medio sacrorum nigra fauilla ara uetus stabat tremulis circumdata cannis. restitit et pauido “ faueas mihi ! ” murmure dixit dux meus, et simili “ faueas ! ” ego murmure dixi. Naiadum Faunine foret tamen ara rogabam |
les pâturages, quand, au milieu d'un lac, parmi les roseaux frémissants, |
indigenaeue dei, cum talia rettulit hospes : “ Non hac, o iuuenis, montanum numen in ara est ; illa suam uocat hanc, cui quondam regia coniunx orbem interdixit, quam uix erratica Delos orantem accepit tum cum leuis insula nabat. |
à Faunus ou bien à
un dieu indigène, mon hôte me répondit : “ Non, jeune homme, nulle divinité montagnarde n'occupe cet autel ; la déesse qui le revendique est celle à qui l'épouse du roi des dieux interdit jadis l'univers et qui, suppliant l'errante Délos, eut peine à recevoir son hospitalité, quand l'île légère nageait sur les flots. |
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6, 335 |
Illic incumbens cum Palladis arbore palmae edidit inuita geminos Latona nouerca. Hinc quoque Iunonem fugisse puerpera fertur inque suo portasse sinu, duo numina, natos. Iamque Chimaeriferae, cum sol grauis ureret arua, |
Là, prenant appui sur un palmier et un
arbre consacré à Pallas, Latone mit au monde des jumeaux, au grand dépit de leur marâtre. On raconte que de cet endroit aussi la jeune mère dut fuir Junon, emportant sur son sein les nouveau-nés, deux dieux. Au pays de la Chimère, en terre de Lycie, sous un soleil pesant |
6, 340 |
finibus in Lyciae longo dea fessa labore sidereo siccata sitim collegit ab aestu, uberaque ebiberant auidi lactantia nati. Forte lacum mediocris aquae prospexit in imis uallibus ; agrestes illic fruticosa legebant |
qui brûlait les campagnes, la déesse, épuisée par un long effort et déshydratée par une chaleur de plomb, se sentit assoiffée ; ses nourrissons avides avaient épuisé le sein qui les allaitait. Par hasard elle aperçoit un petit lac à l'eau peu abondante au fond d'une vallée ; des paysans cueillaient là des brins d'osier |
6, 345 |
uimina cum iuncis gratamque paludibus uluam. Accessit positoque genu Titania terram pressit, ut hauriret gelidos potura liquores. Rustica turba uetat ; dea sic adfata uetantis : “ Quid prohibetis aquis ? Vsus communis aquarum est. |
garnis de pousses, des joncs et des herbes aimées des marais. La fille du Titan s'approcha et, à genoux, pesa sur la terre pour puiser l'eau fraîche qu'elle s'apprêtait à boire. La bande de paysans l'arrête ; la déesse s'adresse ainsi à eux : “ Pourquoi m'interdisez-vous l'eau ? L'usage de l'eau est un bien commun. |
6, 350 |
Nec solem proprium natura nec aera fecit nec tenues undas : ad publica munera ueni ; quae tamen ut detis, supplex peto. Non ego nostros abluere hic artus lassataque membra parabam, sed releuare sitim. Caret os umore loquentis, |
La nature n'a pas fait du soleil un bien propre, ni non plus de l'air ni des ondes claires : je suis venue vers un don fait à tous, et pourtant c'est en vous suppliant que je le demande. Pour ma part, je ne voulais baigner ici ni mon corps ni mes membres épuisés, mais étancher ma soif. La bouche qui vous parle manque de salive, |
6, 355 |
et fauces arent, uixque est uia uocis in illis. |
ma gorge est sèche, et ma voix a du mal à s'y frayer un passage. Une gorgée d'eau me sera un nectar et, en la recevant, je dirai que j'ai reçu la vie ; avec cette eau vous aurez donné la vie. Puissent-ils eux aussi, qui sur mon sein tendent leurs petits bras, vous émouvoir ”. Car justement les petits tendaient leurs bras. |
Quem non blanda deae potuissent uerba mouere ? Hi tamen orantem perstant prohibere minasque, ni procul abscedat, conuiciaque insuper addunt. Nec satis est, ipsos etiam pedibusque manuque turbauere lacus imoque e gurgite mollem |
Qui aurait pu ne pas être ému par les douces paroles de la déesse ? Les rustres pourtant persistent à écarter ses prières, profèrent des menaces, si elle ne s'éloigne pas, et ils ajoutent des insultes. Mais ce n'est pas assez : des mains et des pieds ils troublent les eaux et ils font remonter la vase molle |
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6, 365 |
huc illuc limum saltu mouere maligno. Distulit ira sitim ; neque enim iam filia Coei supplicat indignis, nec dicere sustinet ultra uerba minora dea tollensque ad sidera palmas : “ Aeternum stagno ” dixit “ uiuatis in isto ! ” |
du fond du lac en sautant méchamment
de-ci de-là. |
6, 370 |
Eueniunt optata deae : iuuat esse sub undis et modo tota caua submergere membra palude, nunc proferre caput, summo modo gurgite nare, saepe super ripam stagni consistere, saepe in gelidos resilire lacus, sed nunc quoque turpes |
Les désirs de la déesse se réalisent : les paysans se plaisent sous l'eau, tantôt ils plongent tous leurs membres au creux de l'eau dormante, tantôt ils sortent la tête, et tantôt nagent à la surface ; souvent ils s'installent sur le bord de l'étang, souvent aussi ils replongent dans les eaux fraîches ; mais, maintenant encore |
6, 375 |
litibus exercent linguas pulsoque pudore, quamuis sint sub aqua, sub aqua maledicere temptant. Vox quoque iam rauca est, inflataque colla tumescunt, ipsaque dilatant patulos conuicia rictus. Terga caput tangunt, colla intercepta uidentur, |
ils usent leurs vilaines langues en disputes et, sans pudeur, même sous l'eau, ils s'essaient sous l'eau à proférer des malédictions. Leur voix aussi est rauque désormais, leur cou empli d'air est enflé, et leurs invectives mêmes dilatent leur bouche béante. Leur dos touche leur tête, leur cou semble avoir disparu, |
6, 380 |
spina uiret, uenter, pars maxima corporis, albet, limosoque nouae saliunt in gurgite ranae. » |
leur échine verdit, leur ventre, partie majeure de leur corps, blanchit, et ces grenouilles nouvelles bondissent dans un tourbillon fangeux. » |
Marsyas - Pélops (6, 382-411)
Un autre narrateur évoque ensuite le châtiment infligé par Apollon au satyre Marsyas, écorché vif pour avoir osé prétendre surpasser l'art du dieu en jouant de la flûte, inventée par Minerve. Le satyre fut pleuré par tous ses compagnons, les divinités rustiques, dont les larmes donnèrent naissance à un fleuve de Phrygie, qui s'appelle Marsyas. (6, 382-400)
Pour clore l'histoire de Niobé, Ovide évoque brièvement la légende de son frère Pélops, le seul à avoir pleuré sur les malheurs de sa soeur. (401-411)
Sic ubi nescio quis Lycia de gente uirorum |
Dès qu'un
conteur dont j'ignore le nom eut rapporté le sort funeste des habitants de Lycie, un autre conteur rappelle l'histoire du satyre, et le châtiment que lui infligea le fils de Latone après l'avoir vaincu |
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6, 385 |
adfecit poena. « Quid me mihi detrahis ? » inquit ; « A ! piget, a ! Non est » clamabat « tibia tanti. » Clamanti cutis est summos direpta per artus, nec quicquam nisi uulnus erat ; cruor undique manat, detectique patent nerui, trepidaeque sine ulla |
à la flûte
Tritonienne. « Pourquoi m'arraches-tu à moi-même ? » dit-il, « Ah ! Comme je regrette ! Une flûte ne vaut pas un tel prix », criait-il. Et tandis qu'il crie, de haut en bas de ses membres on l'écorche, il n'est plus qu'une plaie ; le sang suinte de partout, ses nerfs sont découverts et mis à nu, sans aucune peau, |
6, 390 |
pelle micant uenae ; salientia uiscera possis et perlucentes numerare in pectore fibras. Illum ruricolae, siluarum numina, fauni et satyri fratres et tunc quoque carus Olympus et nymphae flerunt, et quisquis montibus illis |
ses veines tremblent et battent ; on pourrait compter les entrailles qui palpitent et les organes qui transparaissent dans sa poitrine. Sur lui pleurèrent les Faunes rustiques, divinités des forêts, et ses frères les Satyres, et Olympos, cher à son coeur même à ce moment, et les nymphes, et tous ceux qui, dans ces montagnes, |
6, 395 |
lanigerosque greges armentaque bucera pauit. Fertilis inmaduit madefactaque terra caducas concepit lacrimas ac uenis perbibit imis ; quas ubi fecit aquam, uacuas emisit in auras. Inde petens rapidum ripis decliuibus aequor |
faisaient paître des moutons laineux et des troupeaux de boeufs. La terre fertile, mouillée et détrempée, reçut en son sein ces larmes qui tombaient et les absorba au fond de ses veines ; elle les transforma en eau, qu'elle renvoya dans l'air libre. C'est la source du cours rapide gagnant la mer entre des rives en pente, |
6, 400 |
Marsya nomen habet, Phrygiae liquidissimus amnis. Talibus extemplo redit ad praesentia dictis uulgus et exstinctum cum stirpe Amphiona luget ; mater in inuidia est : hanc tunc quoque dicitur unus flesse Pelops umeroque, suas a pectore postquam |
et qui a pour nom
Marsya,
le fleuve le plus limpide de Phrygie. Après de tels récits, le public revient aussitôt au présent et pleure la mort d'Amphion et de sa descendance. La mère est prise en haine : un seul être alors, dit-on, a pleuré sur elle, c'est Pélops. Après avoir dégagé son torse |
6, 405 |
deduxit uestes, ebur ostendisse sinistro. Concolor hic umerus nascendi tempore dextro corporeusque fuit ; manibus mox caesa paternis membra ferunt iunxisse deos, aliisque repertis, qui locus est iuguli medius summique lacerti, |
de ses vêtements, il aurait montré l'ivoire de son épaule gauche. À sa naissance, cette épaule était comme la droite, de même teinte et faite de chair. Peu après, dit-on, ses membres, découpés par les mains paternelles, furent rassemblés par les dieux. Tous furent retrouvés, sauf la partie qui se trouvait entre la gorge |
6, 410 |
defuit : inpositum est non conparentis in usum partis ebur, factoque Pelops fuit integer illo. |
et le haut du bras. Pour remplacer le morceau qui avait disparu, on plaça une pièce d'ivoire, et cela fait, Pélops redevint entier. |
NOTES
N.B. Deux cartes extraites du Grosser Historischer Weltatlas. I. Vorgeschichte und Altertum, Munich, 6e éd., 1978, p. 22-23, sont disponibles en deux formats différents. Elles correspondent bien sûr à la situation après la Guerre du Péloponnèse (404 a.C.n.), mais peuvent être utiles pour le répérage de nombre de termes géographiques employés par Ovide. Elles concernent :
Lydie entière (6, 146). Après l'impiété d'Arachné contre Minerve (6, 1-145), Ovide va raconter d'une manière détaillée celle de Niobé à l'encontre de Latone (6, 146-321). L'histoire d'Arachné se déroulait en Lydie, appelée aussi Méonie (cfr 6, 5, ainsi que 3, 583 ; 4, 423). Il est donc normal que ce soit d'abord dans cette région qu'on en parle.
Phrygie (6, 147). Mais le récit du sort réservé à Arachné se répand vite. La Phrygie étant située à l'est de la Lydie, il a donc déjà débordé des limites de sa région d'origine. Ovide va d'ailleurs préciser immédiatement qu'on en parle aussi dans le monde entier. Si les termes géographiques de Lydie et de Phrygie ne sont pas toujours utilisés au sens propre par les auteurs anciens, surtout les poètes, ce n'est pas le cas ici. Le récit est géographiquement cohérent.
Avant son mariage (6, 148). Thèbes, où se déroule l'histoire de Niobé, est très loin de la Lydie, théâtre de l'histoire d'Arachné. Ovide, éprouvant le besoin de lier les deux régions, écrit que les deux femmes se seraient connues en Asie Mineure, avant que Niobé ne devienne l'épouse du roi de Thèbes. La légende faisait de Niobé la fille de Tantale, lequel était précisément roi en Lydie (appelée aussi Méonie). Comme la Lydienne Arachné (6, 5), Niobé provient donc d'Asie mineure.
Niobé (6, 148-312). Fille de Tantale et donc soeur de Pélops, dont on reparlera (6, 404), Niobé épousa Amphion, roi de Thèbes, dont elle eut sept fils et sept filles, le nombre et les noms des enfants variant d'ailleurs selon les versions. Niobé était très orgueilleuse de sa nombreuse progéniture, se déclarant supérieure à Latone, qui n'avait que deux enfants, Apollon et Artémis-Diane. Ceux-ci vengèrent leur mère en tuant tous les enfants de Niobé, Apollon s'occupant des fils, et Artémis des filles. Une version de la légende, évoquée par Ovide (6, 310-312), raconte que Niobé, au comble de la douleur, serait retournée dans sa patrie en Lydie, où l'on montrait, sur un des contreforts du mont Sipyle, le rocher dans lequel elle aurait été tranformée.
Méonie (6, 149). Ancien nom de la Lydie.Cfr 6, 5, ainsi que 3, 583 ; 4, 423.
Sipyle (6, 149). Le Sipyle est un mont de Lydie, au nord de Smyrne, sur la rive gauche de l'Hermos.
son époux (6, 152). Il s'agit du roi de Thèbes Amphion, fils de Zeus-Jupiter et d'Antiopé, fille de Nyctée (« la belle Nyctéide » de 6, 110-111). Son frère jumeau Zéthos et lui furent exposés à leur naisssance par leur grand-oncle Lycos, recueillis et élevés par des bergers. Amphion avait reçu une lyre de la part d'Hermès et s'adonnait à la musique. Devenus grands, les jumeaux vengèrent leur mère, maltraitée par Lycos et Dircé, et régnèrent sur Thèbes qu'ils entourèrent de murailles. Amphion contribua à dresser les murs de Thèbes, en attirant au son de sa lyre les pierres qui s'assemblaient toutes seules. Épouse d'Amphion, Niobé était devenue reine de Thèbes. L'action décrite par Ovide a passé d'Asie Mineure en Grèce.
Mantô (6, 157). Fille du devin Tirésias (3, 316-338), Mantô était une prophétesse célèbre de Delphes. Elle joue dans l'histoire de l'impiété de Niobé un rôle comparable à celui de Tirésias dans l'impiété de Penthée (3, 511-527). Elle prophétise dans les rues, comme une Sibylle.
Isménides (6, 159). Synonyme de Thébaines, l'Isménus étant un fleuve voisin de Thèbes (3, 169 et 3, 733).
Latone... (6, 159-160). Ou Léto en grec. Fille du Titan Coéus, elle conçut de Zeus deux jumeaux, les futurs Apollon et Artémis. Aucun lieu de la terre n'ayant le droit, sur ordre de la jalouse Héra, de l'accueillir pour mettre ses enfants au monde, l'île de Délos (appelée d'abord Ortygie), une île flottante et stérile, dont Héra ne se préoccupait guère, fut la seule à l'accepter et c'est là que naquirent Apollon et Artémis. L'île fut récompensée pour son hospitalité : elle devint stable, maintenue au fond de la mer par quatre colonnes, et changea son nom d'Ortygie en Délos, c'est-à-dire la « Brillante », en l'honneur d'Apollon, le dieu de la lumière. – Latone se plaignit à ses enfants de l'outrage que lui avait infligé Niobé et ils la vengèrent cruellement, comme le racontera Ovide dans la suite de l'épisode. On retrouvera Latone plus loin encore dans l'épisode des paysans lyciens (6, 313- 381).
Tantale (172-173). Fils de Zeus, régnant en Lydie sur le mont Sipyle, père de Niobé et de Pélops (6, 404-411), Tantale est surtout célèbre par le supplice de la privation qu'il subit dans les enfers, pour des raisons qui divergent selon les versions légendaires. Entre autres crimes, il aurait révélé aux hommes des secrets divins, appris lorsqu'il avait été admis à la table des dieux. Voir aussi 4, 458 ; 6, 211.3, 105-106
soeur des Pléiades (6, 174). Dans la version suivie ici, la mère de Niobé était Dioné, non pas une des Pléiades comme telles, mais une soeur des Pléiades. Sur les Pléiades, cfr par exemple Fastes, 3, 105-106 et les notes.
Atlas (6, 174). En tant que soeur des Pléiades, Dioné était donc une petite-fille d'Atlas. Sur Atlas, voir 2, 296 ; 2, 742 ; 4, 627-662.
Jupiter (6, 176). Comme père de Tantale, Jupiter est l'aïeul de Niobé ; comme père d'Amphion, Jupiter est le beau-père de Niobé.
Les peuples de Phrygie me respectent... (6, 177-179). Ces éléments biographiques ont déjà été donnés plus haut dans les notes aux vers 148 et 152. Rappelons que Niobé était la fille de Tantale, roi de Lydie (ou de Phrygie), que par son mariage avec Amphion, elle était devenue la reine de Thèbes, fondée par Cadmos (cfr 3, 1-137) et que Amphion avait contribué à dresser les murailles de Thèbes, en attirant au son de sa lyre les pierres qui s'assemblaient toutes seules.
Titanide... Coéus (6, 185). Latone est la fille du Titan Coéus. Voir note 6, 159-160.
Délos (6, 190). Sur cet épisode de Délos, seul endroit au monde à accueillir Latone qui allait accoucher, et île encore flottante à l'époque, voir note 6, 159-160.
comme Latone... (6, 200-203). Le texte et l'ordre des vers des manuscrits ne paraissant pas clair, ce passage a donné lieu à de nombreuses conjectures. Nous suivons le texte adopté par G. Lafaye chez Budé.
Cynthe (6, 204). Montagne de l'île de Délos, d'où ses liens avec Artémis et Apollon, parfois nommés respectivement « déesse du Cynthe » et « dieu du Cynthe ». Voir 2, 221.
Tantalide (6, 211). Niobé, fille de Tantale. Voir note 6, 172-173.
la langue de son père (6, 213). Pour l'allusion au fait que Tantale ne peut retenir sa langue, cfr note 6, 172-173.
Phébé (6, 216). Autre nom d'Artémis-Diane, soeur d'Apollon-Phébus. Voir 1, 11 et 476 ainsi que 2, 415 et 723.
citadelle de Cadmos (6, 217). C'est-à-dire Thèbes, fondée par Cadmos (voir 3, 1-137). C'est à Thèbes que se situe l'histoire de Niobé, même si, dans le récit d'Ovide, le personnage provient de Lydie et y retourne.
sept fils d'Amphion (6, 221-266). La version la plus courante de la légende attribuait à Niobé et Amphion sept fils et sept filles. Toutefois, on l'a déjà dit plus haut (note à 148-312), les auteurs ne s'accordent ni sur le nombre exact ni sur les noms de ces enfants. Ovide, en décrivant leur massacre successif sous les flèches d'Apollon, nous fournit une liste complète des sept fils : l'aîné, Isménus (224) et Sipyle (231), Phédimus (239) et Tantale (240), Alphénor (248), Damasichton (254), Ilionée (261). Cette liste ne correspond pas complètement à celles transmises notamment par Hygin, Fabulae, 11, ou par Apollodore, Bibliotheca, 3, 5, 6. Peu importe pour nous.
pourpre tyrienne (6, 222). Voir 6, 9, où la pourpre est rattachée à Phocée, et aussi 6, 61.
tâches habituelles (6, 240). Ils avaient fini les exercices d'équitation.
palestre luisante (6, 241). La palestre était l'endroit où se pratiquaient les exercices de lutte et de gymnastique. Le lieu (couvert ?) est qualifié ici de luisant, à cause peut-être de l'huile dont se frottaient les athlètes.
aux longs cheveux (6, 250-251). Trait caractéristique d'un garçon très jeune, encore proche de l'enfance.
et où le jarret nerveux... (6, 256). Traduction reprise à G. Lafaye.
tous ne devaient pas être sollicités (6, 263). Il ignorait sans doute que le meurtrier n'était autre qu'Apollon, le seul qu'il aurait dû implorer.
L'archer avait été ému... (6, 264-266). La compassion d'Apollon paraît quelque peu discutable, assez comparable à celle de Minerve à l'égard d'Arachné (6, 135ss). Selon G. Lafaye, ce trait sentimental semble avoir été ajouté par Ovide à la tradition venue des poètes grecs, de Sophocle aux Alexandrins.
Amphion (6, 271). Voir 6, 152. Toutes les versions de sa mort ne parlent pas d'un suicide de désespoir, comme le fait ici Ovide, qui d'ailleurs ne laisse à Amphion pratiquement aucun rôle dans tout son récit.
les soeurs (6, 289). Ovide consacre très peu de vers à décrire le massacre des sept soeurs, ne prenant la peine de citer ni leurs noms, ni même l'auteur du massacre. En se bornant au texte d'Ovide, on pourrait penser que c'est Apollon qui poursuit son oeuvre de justicier, mais selon d'autres sources, plus explicites (par exemple Hygin, Fabulae, 11, ou Apollodore, Bibliotheca, 3, 5, 6), les filles auraient été frappées par Artémis-Diane, et l'une d'elles aurait même échappé à la mort. Visiblement, ici encore Ovide n'hésite pas à prendre ses distances vis-à-vis de la tradition, peut-être pour nous livrer une image tout-à-fait poignante de Niobé, devenue l'incarnation même du malheur absolu pour une mère.
Elle ne ferma... (6, 294). Vers considéré comme interpolé par la plupart des éditeurs.
Elle se figea... (6, 303-312). Ces vers décrivent la métamorphose de Niobé en statue de pierre, ce qui ne constitue pas son châtiment. Son insolence vis-à-vis de Latone et son hybris avaient été déjà punies par la mort de tous les siens. Le récit d'Ovide se situait à Thèbes, et comme, à son époque, on montrait en Lycie un rocher du mont Sipyle dont la forme évoquait l'image d'une femme en pleurs qu'on appelait Niobé, le poète a imaginé que la statue avait été transportée à travers les airs (6, 310-312).
Dans la Lycie... (6, 317-381). La Lycie est une région du sud de l'Asie mineure. L'histoire de la métamorphose des paysans lyciens montre une autre vengeance de la déesse, offensée par l'impiété d'êtres humains, ce qui rappelle à la fois les épisodes de Niobé et d'Arachné. Ce récit se retrouve aussi, avec certaines variantes, chez Antoninus Liberalis, 35, selon qui la déesse, repoussée de la source Mélité par des bouviers, les aurait métamorphosés en grenouilles, puis, escortée par des loups, aurait poursuivi sa route jusqu'au Xanthe, où elle s'était désaltérée et avait baigné ses enfants. C'est elle qui aurait appelé le pays « Lycie », du nom de lykos « loup » en grec. Mais ni Hygin (Fabulae, 55 et 140), ni Apollodore (Bibl.,1, 4, 21) ne semblent évoquer ce voyage de Latone en Asie Mineure, après la naissance de ses enfants à Délos (voir notes à 6, 332 et 333).
Chose courante... (6, 313-318). Le long épisode de Niobé qui vient de s'achever se situait principalement en Béotie et montrait la vengeance cruelle de Latone, mère d'Apollon et Diane (v. 315) à l'égard de celle qui l'avait outragée. Ovide introduit habilement un nouvel épisode qui se serait passé en Lycie (v. 317), région d'Asie Mineure qui rappelle la Lydie d'Arachné (6, 1-25) et de Niobé. Il faut noter ici l'inventivité d'Ovide qui place tout le récit dans la bouche d'un membre anonyme de l'assistance (vers 316). Il en sera de même dans la présentation de l'histoire du satyre Marsyas, un peu plus loin (vers 382).
guide (6, 324). Sans doute un « hôte » lycien du père du narrateur (hospes, v. 330), qui allait aider et renseigner le jeune homme durant son séjour en Lycie. Artifice d' Ovide pour « garantir » ses sources, et varier ses présentations !
Naïades, Faunus... (6, 329-330). Sur les Naïades, des divinités rustiques et secondaires, voir Fastes, 1, 405 ; 1, 512. Sur Faunus, voir Fastes, 2, 193-194 ; 2, 268.
la déesse... (6, 332). Latone. Cfr note à 6, 159-160.
l'errante Délos (6, 333). Voir 6, 185-191 et note à 6, 159-160. Voir aussi Mét., 1, 694 avec la note, ainsi que 5, 499 et 640.
arbre consacré à Pallas (6, 335). L'olivier, qui rappelle l'histoire d'Arachné, en particulier 6, 101-102.
marâtre (6, 336). Junon, réputée pour sa hargne à poursuivre les rejetons des maîtresses, consentantes ou non, de Jupiter.
On raconte que de cet endroit aussi... (6, 337). La version la plus courante de la légende rapporte qu'après la naissance des enfants, Latone se rendit à Delphes, où Apollon exécuta le serpent Python, qui selon une prédiction devait périr d'un fils de Latone (Hygin, Fab., 140). Ovide suit ici une autre version, qui conduit Latone en Asie Mineure, après la naissance de ses enfants.
la Chimère (6, 339-340). La Chimère est un animal fabuleux, à tête de lion, corps de chèvre et arrière-train de serpent, ou à plusieurs têtes, et qui crachait des flammes. Elle serait née de Typhon et Échidna. Ce monstre fut tué par Bellérophon, aidé du cheval Pégase, sur ordre du roi de Lycie, Iobatès (d'après Grimal).
fille du Titan (6, 346). Latone, fille de Céus (v. 6, 185 et 6, 366).
L'histoire de Marsyas (6, 382-400). L'histoire du satyre Marsyas fait intervenir Minerve (Pallas-Athéna), Phébus-Apollon ainsi que la flûte. La double flûte en effet passe pour être une invention d'Athéna. Mais Héra et Aphrodite s'étaient moquées de la déesse quand elles l'avaient vue jouer, et Athéna elle-même avait pu constater, en voyant son reflet dans une fontaine du mont Ida, combien le jeu de cet instrument lui déformait les joues. Aussi l'avait-elle jeté en vouant au pire supplice celui qui le ramasserait. Le satyre Marsyas l'avait pourtant ramassée, et il était même devenu si habile à en jouer qu'il osa défier Apollon dans un concours de flûte et de cithare. Il était convenu entre eux que le vainqueur ferait subir au vaincu le sort qu'il voulait. Apollon joua de la cithare en la tenant à l'envers, puis enjoignit Marsyas d'en faire autant, ce qu'il ne parvint pas à faire. Apollon, décrété vainqueur par les Muses, pendit Marsyas à un pin très haut, lui retira la peau et le fit mourir ainsi. Ovide, dans les Fastes (6, 693-710), raconte assez longuement la version qu'il retient de la légende, tandis que le présent passage des Métamorphoses est beaucoup plus allusif, insistant sur le châtiment infligé par Apollon à Marsyas pour son audace à le défier. Voir aussi notamment Hygin, Fab., 165, et Apollodore, Bib., 1, 4, 2 (21). L'histoire a donné naissance à plusieurs représentations iconographiques, anciennes et modernes : est notamment célèbre un marbre grec d'époque hellénistique au Louvre.
conteur anonyme (6, 382). Tout comme en 6, 317ss, pour l'histoire de la métamorphose en grenouilles des paysans lyciens.
satyre (6, 382). Le nom de Marsya(s) n'apparaît qu'à la fin de l'épisode (vers 400).
fils de Latone (6, 384). Apollon bien sûr. Cette dernière désignation est un rappel de l'épisode de Niobé, où c'est également Latone, la déesse offensée, qui se venge. Le vers 400, en situant l'action en Phrygie, est un autre rappel de l'histoire de Niobé.
Tritonienne (6, 385). Manière de désigner Minerve, pour des raisons discutées (voir 2, 783 et 2, 794).
Olympos (6, 393). Pour plusieurs sources, Olympos est un Phrygien, élève et bien-aimé de Marsyas. Par contre Apollodore, Bib., 1, 4, 2 (21), le présente comme le père de Marsyas.
Marsya (6, 400). Forme latine du nom, il s'agit d'un affluent du Méandre, en Carie, qui, contrairement à ce que dit Ovide, ne se jette pas directement dans la mer, en Phrygie. Les approximations géographiques du poète ne sont pas rares.
Amphion (6, 402). C'est le roi de Thèbes, époux de Niobé et père des enfants massacrés, qui se serait suicidé (6, 152 et 6, 271-272).
la mère (6, 403). La foule rend donc Niobé responsable du drame.
Pélops (6, 404). Niobé était sa soeur. Originaire lui aussi d'Asie Mineure, Pélops serait venu en Grèce où il passe pour l'initiateur des jeux olympiques, mais c'est une tout autre histoire qui retient ici l'attention d'Ovide. Les mythographes racontent en effet que son père Tantale, soit par piété – offrir son fils en victime aux dieux pour remédier à la disette de son peuple –, soit par impiété – pour mettre à l'épreuve la clairvoyance des dieux –, aurait immolé Pélops, découpé en morceaux et offert en repas aux dieux, qu'il recevait à sa table. Les dieux toutefois ne furent pas abusés, sauf Déméter-Cérès, qui, affamée, avait mangé l'épaule gauche du jeune homme, sans s'apercevoir de rien. Ils rendirent la vie à Pélops, et remplacèrent l'épaule manquante par une prothèse d'ivoire. Les différents aspects de la légende de Pélops sont évoqués plus en détail dans la première Olympique de Pindare. – La mythologie connaît plusieurs cas de victimes humaines offertes en repas : notamment l'histoire de l'impie Lycaon et de son esclave molosse en 1, 226-229 ; celle du jeune Itys servi à Térée par Procné et Philomèle, en 6, 637-674, et celle d'Atrée servant à son frère Thyeste les enfants de celui-ci, en 15, 462.
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