FEC - Folia Electronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 13 - janvier-juin 2007


Les Champs Phlégréens.
Aspects de géographie mythique et légendaire

par

Jacques Poucet
Professeur émérite de l'Université de Louvain - Membre de l'Académie royale de Belgique

<poucet@egla.ucl.ac.be>


Les Éditions Laffont (Collection Bouquins) préparent actuellement, sous la direction de Olivier Battistini, Jean-Dominique Poli, Pierre Ronzeaud et Jean-Jacques Vincensini, un gros dictionnaire consacré aux  Pays et lieux mythiques. Nous avons collaboré à cet ouvrage pour plusieurs sites de l'Italie antique.

On trouvera ci-dessous quelques articles traitant des Champs Phlégréens. Ils sont en réalité plus détaillés que dans l'édition imprimée, laquelle ne comporte ni illustrations ni liens hypertexte. S'il apparaissait que plusieurs lecteurs sont intéressés par pareils aspects de géographie mythique et légendaire, nous pourrions envisager de présenter d'autres dossiers dans les Folia Electronica Classica. Il leur suffit de prendre contact avec nous.

Bruxelles, le 30 juin 2007


 

Les Champs Phlégréens 

Dans l'Antiquité, l'expression campi Phlegrei s'appliquait à la région entre le littoral de Cumes et le Vésuve. Actuellement elle désigne le territoire à l'ouest de Naples, situé entre Cumes et le Cap Misène, ainsi que les îles d'Ischia, Procida et Vivara, plus au sud.

Pour la facilité du lecteur, nous donnons ci-dessous une carte, qui ne représente toutefois que la zone comprise entre Cumes et le Cap Misène. On notera aussi que tous les endroits signalés sur la carte ne font pas l'objet d'un développement dans le présent article.

 

Source : Naples et Pompéi (Guides Gallimard), p. 198 (partiel).

8. Lac Averne (avec à l'est le Mont Nuovo, le plus récent des volcans phlégréens, surgi après l'éruption du 28 septembre 1538)

9. Lac Lucrin

10. Baies

11. Bacoli

12. Piscina Mirabilis

13. Port de Misène

14. Cap Misène

15. Lac de Misène (Lago Maremorto)

16. Lac Fusaro

17. Casina del Fusaro

18. Arco Felice

19. Cumes

Le nom de Champs Phlégréens (en grec to Phlegraion pedion, ce qui signifie « Terre de feu ») lui a été donné par les Grecs (phlegô veut dire en grec « brûler, être en feu »), en raison de la nature de son sol, caractérisé par de remarquables phénomènes volcaniques, dont certains sont toujours actifs (fumerolles, solfatares, bradyséisme, sources d'eaux thermales). Strabon (V, 4, 6) écrit que « toute la contrée, depuis Dicéarchia [= Puteoli, Pouzzoles] jusqu'à Baïes et jusqu'aux environs de Cumes était pleine de soufre, de feu et de sources chaudes » (trad. Fr. Lasserre). Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, IV, 21, 5-7) place dans cette zone un combat entre Héraclès et les Géants. Quant à l'imposante Solfatara de Pouzzoles, bien connue des touristes actuels, son nom antique  était « l'Agora d'Héphaïstos » (Strabon).

Rien d'étonnant que les Grecs et les Romains aient placé une des entrées des Enfers dans la région des Champs Phlégréens, plus précisément autour du lac d'Averne.

Suggestions bibliographiques

P. Amalfitano [Éd.], Il destino della Sibilla : mito, scienza e storia dei Campi Flegrei, Naples, 1986, 265 p.  (Archaia. Storia degli studi, 3).
P. Amalfitano [Éd.], I Campi Flegrei : un itinerario archeologico, Venise, 1990, 240 p.
G. Giubelli, Champs Phlégréens, Naples, 1993, 64 p.


 

Lac d'Averne

De forme presque circulaire (1 kilomètre de diamètre) et profond de quelque 65 mètres, le lac d'Averne occupe l'emplacement du cratère d'un volcan qui se serait formé il y a près de 3800 ans. Toutefois son aspect actuel ne rappelle plus que de très loin celui qu'il devait avoir avant que les importants travaux, militaires et stratégiques, de la fin du Ier siècle avant J.-C. (notamment ceux de L. Cocceius et Agrippa) ne le transforment profondément. Ainsi en 37-36 le lac d'Averne, pour ne parler que de lui, fut relié au lac Lucrin par un canal et doté d'un accès à la mer  pour  servir de base navale à Rome (Portus Iulius), avant d'être remplacé peu de temps après dans cette fonction par Misène, beaucoup mieux adapté (probablement dès 26). Mais ce qui nous intéresse ici davantage, ce sont les aspects moins proprement historiques du lac.

Source : http://eboals.bologna.enea.it/ambtd/regi-lagni/volume-1/vol1-img/05-6-vol1-averno_img/05-6-vol1-averno_foto01.JPG
 

Vue aérienne du Lac d'Averne et du Monte Nuovo (à droite)
Source :
http://eboals.bologna.enea.it/ambtd/regi-lagni/volume-1/vol1-img/05-6-vol1-averno_img/05-6-vol1-averno_foto02.jpg

Épinglons quelques-uns des « récits fabuleux » sur l'Averne que Strabon (V, 4, 5) attribue à ses prédécesseurs. Peu importe que les informations données correspondent ou non à la réalité, elles montrent à suffisance quelle image le lac donnait primitivement.

Selon le géographe augustéen, les auteurs de récits mythiques y situent la scène homérique de l'évocation des morts au livre XI de l'Odyssée. « Ils racontent en particulier qu'il y existait un oracle par nécromancie et qu'Ulysse s'était rendu dans son sanctuaire ». Interprétant à la lettre le passage de l'Odyssée (XI, 11-19) où figure le mot Cimmériens, Éphore (F 134 ; IVe siècle avant J.-C.) installe dans la zone les Cimmériens, peuple réputé pour vivre dans les ténèbres. « Ils y habitent dans des demeures souterraines [...] et se rendent les uns chez les autres au moyen de tunnels, par lesquels ils conduisent aussi les étrangers jusqu'au sanctuaire de l'oracle, installé très loin sous la terre. Ils vivent d'industrie minière [...]. Personne ne devait voir le soleil et l'on ne pouvait sortir des cavernes que la nuit » (trad. d'après Fr. Lasserre).

Hercule, de passage en Italie (cfr l'épisode de Cacus), y réalise  même certains travaux, dont, au Ier siècle avant J.-C., se fait l'écho Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, IV, 22, 1-2  : « Héraclès accomplit des ouvrages près du lac appelé Aornos [Averne], que l'on tient pour consacré à Perséphone. Ce lac se trouve donc entre Misène et Dicaearcheia [ancien nom de Puteoli], près des sources chaudes : il a une circonférence d'environ cinq stades et une profondeur incroyable. Comme son eau est extrêmement pure, il apparaît à la surface d'un bleu très sombre en raison de son exceptionnelle profondeur. Les mythes racontent qu'il y avait près de ce lac un lieu où anciennement on évoquait les morts et qui, disent-ils, a été détruit par la suite. Ce lac a eu une ouverture vers la mer, mais Héraclès, dit-on, a comblé avec de la terre ce débouché, et a construit la route qui aujourd'hui longe la mer et qui est appelée à cause de lui "la voie Héracléienne" » (trad. A. Bianquis).

Mais revenons à Strabon et à sa description de l'Averne primitif : « Ses pentes escarpées étaient autrefois couvertes d'une forêt de grands arbres, impénétrable et sauvage, qui plongeaient le lac dans l'ombre. Les habitants de la région racontaient que les oiseaux entraînés là dans leur vol s'abattaient aussitôt à la surface des eaux, frappés à mort par les exhalaisons qui se dégageaient de ce lieu comme si ce fussent les Portes de l'Enfer ». L'adjectif grec aornos, qu'on rapprochait de Avernus, signifie « sans oiseaux, dont les oiseaux n'approchent pas ». S'il faut en croire Lucrèce (VI, 747-748) décrivant l'endroit, « les montagnes remplies de soufre exhalent d'âcres vapeurs qu'accroissent encore celles de sources chaudes » (trad. A. Ernout).

Quoi qu'il en soit, et nous revenons à Strabon, les habitants de la région mettaient le lac en rapport avec Pluton. « Ceux qui désiraient offrir aux dieux infernaux des sacrifices propitiatoires et leur adresser ensuite des supplications y pénétraient [...] en bateau, et il y avait des prêtres affectés à l'exploitation de ces lieux pour accomplir de tels rites. Une source d'eau chaude y jaillit [...], mais tous s'abstenaient d'y goûter, la prenant pour l'eau du Styx. Là s'élève aussi le sanctuaire de l'oracle. Les eaux thermales du voisinage enfin [...] étaient censées révéler la présence du Pyriphlégéthon » (trad. d'après Fr. Lasserre). Cf. aussi Lycophron, Alexandra, 704 ; Ps.-Aristote, Mirabilia, 102 ; Lucrèce, VI, 738-748 ; Cicéron, Tusculanes, I, XVI, 37 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, IV, 22 ; Ovide, Métamorphoses, X, 51 ; Pline, Histoire naturelle, III, 61 ; Silius Italicus, Guerres puniques, XII, 120-125.

Il est tout à fait normal que Virgile, lui aussi, ait placé  sur ses rives une entrée vers les Enfers. Non seulement le mot « Averne » apparaît neuf fois dans l'Énéide (III, 442 ; IV, 512 ; V, 732 et 813 ; VI, 118, 126 ; 201, 564 ; VII, 91), parfois même comme synonyme des Enfers (par exemple VI, 126), mais c'est dans les bois qui l'entourent qu'Énée, guidé par les colombes de sa mère, cueille le rameau d'or (VI, 185-211), et, plus significativement encore, c'est sur les rives de l'Averne que le poète place l'antre qui permet le passage d'Énée et de la Sibylle dans le monde souterrain : « Il était une caverne profonde, immense, dotée d'une vaste ouverture, rocailleuse, protégée par un lac noir et des bois ténébreux. Nul oiseau ne pouvait la survoler impunément, ni s'y aventurer d'un coup d'ailes : des effluves si fortes émanaient de ces gorges sombres, montant jusqu'à la voûte céleste » (VI, 237-241). Virgile raconte ensuite qu'après un sacrifice aux puissances d'en-bas, une impressionnante manifestation tellurique et une dernière recommandation de la Sibylle, cette dernière « en proie au délire, s'introduit dans l'antre ouvert ; et Énée, d'un pas assuré, règle sa marche sur celle de son guide » (VI, 262-263). La longue et effrayante descente dans les Enfers peut alors commencer, mais la géographie mythique des Enfers virgiliens sera traitée ailleurs.

Terminons en disant qu'aujourd'hui on montre aux touristes une prétendue « grotte de la Sibylle » et qu'à leur intention on a baptisé « temple d'Apollon »...

Le pseudo-temple d'Apollon sur les bords du lac Averne
Source : G. Giubelli, Champs Phlégréens, Naples, 1993, p. 33

...une grande salle qui faisait partie d'un établissement thermal de l'époque impériale.

Suggestions bibliographiques

M. Pagano, M. Reddé, Jean-Michel Roddaz, Recherches archéologiques et historiques sur la zone du lac d'Averne, dans Mélanges d'Archéologie et d'Histoire de l'École française de Rome, t. 94, 1982, p. 271-323.
Cf. http://eboals.bologna.enea.it/ambtd/regi-lagni/volume-1/05-6-vol1-averno.htm


 

Baïes

Localité de Campanie (aujourd'hui Baia), non loin de Cumes, célèbre pour ses sources d'eaux chaudes d'origine volcanique, et très fréquentée par l'aristocratie romaine de la fin de la République et de l'Empire (la zone abritait plusieurs villas impériales).

Dans le mythe posthomérique, la localité doit son nom à un des pilotes du navire d'Ulysse, Baios, mort pendant le voyage en Italie et à qui ses compagnons avaient élevé là un tombeau (Lycophron, Alexandra, 694 ; Strabon, V, 4, 6 ; I, 2, 18 ; Silius Italicus, VIII, 539 ; Servius, Énéide, III, 441 ; VI, 107 ; Mythographe du Vatican, II, 43). Virgile, qui cite la localité (IX, 710), n'a pas enregistré ce motif dans son Énéide.

Vue du port de Baïes au XVIIIe siècle
Extrait du livre Itinerario d'Italia de Francesco Scotto édité en 1761
Source :
http://www.capurromrc.it/itinerario/baia.jpg

 

Baïes aujourd'hui, vue de la mer
Source :
http://vulcan.fis.uniroma3.it/gnv/campania/campi/fig-escursione/baia.jpg

 

 Panorama général de Baïes
Source : G. Giubelli, Champs Phlégréens, Naples, 1993, p. 34-35


 

Cumes

Fondée vers 740 av. J.-C. sur la côte au nord de la baie de Naples par les Eubéens qui s'étaient d'abord installés dans l'île de Pithécusses, Cumes est la plus ancienne colonie grecque de l'Italie continentale. Servius, Énéide, III, 441, raconte qu'après avoir enterré Baïos sur le site de Baïes, les colons grecs aperçoivent non loin de là, sur un rivage vide, une femme enceinte : interprétant cette apparition comme un présage de fécondité, ils décident de fonder à cet endroit une ville, à laquelle ils donnent le nom de Cumes, où certains auteurs anciens voient le mot grec egkuos (« enceinte »). Pour d'autres, Cumes viendrait du grec kumata (« les eaux »), « parce que les rivages avoisonnants sont bordés de brisants et exposés aux vents » (Strabon, V, 4, 4 ; trad. Fr. Lasserre).

Quoi qu'il en soit de ces fantaisies étymologiques, à la fin du VIe siècle av. J.-C. et au début du Ve, Cumes est dirigée par le tyran Aristodème Malachos, connu pour ses contacts avec Tarquin le Superbe, les Étrusques et les Latins. Elle tombera successivement aux mains des Osques, puis des Romains.

Dès l'époque grecque, un grand temple d'Apollon s'élève sur l'esplanade inférieure de son acropole. Il connaîtra de multiples modifications au cours de son histoire, et, en particulier, une reconstruction sous Auguste, lequel attache beaucoup d'importance à l'idéologie apollinienne. Il n'en reste plus aujourd'hui que des ruines.

 État actuel du temple d'Apollon
Source : G. Giubelli, Champs Phlégréens, Naples, 1993, p. 29

Virgile, dans son Énéide (VI, 42-155), y place l'antre de la Sibylle, qu'Énée interroge sur ses destins. Si l'on suit sa description - mais Virgile ne donne guère de détails -, cet antre devait se trouver en dessous du sanctuaire d'Apollon ou en tout cas communiquer avec lui. Il s'agit, si l'on en croit le poète, d'une vaste grotte, taillée dans le rocher. La localisation toutefois reste imprécise, Virgile étant à l'aise dans le flou et l'exagération épique (« cent accès, cent portes »). On peut malgré tout distinguer le seuil (limen, VI, 45), où se trouvent un ou des autels (VI, 124), et l'antre oraculaire proprement dit, percé de cent ouvertures. Les Troyens restent sur le seuil, tandis que la Sibylle pénètre seule dans le « sanctuaire » (le terme adyton apparaît en VI, 98). Ce mot d'origine grecque désigne un endroit interdit au commun des mortels. Seules les personnes dûment autorisées, c'est-à-dire ici la prophétesse elle-même, y ont accès. C'est manifestement dans l'adyton, l'antre oraculaire proprement dit, que la Sibylle entre en transes, se démène comme une bacchante et prophétise. Les échanges verbaux doivent être replacés dans ce cadre : les Troyens sur le seuil et la Sibylle à l'intérieur. Dans le texte virgilien, les dialogues seront entrecoupés par le récit de l'entrée en transe divinatoire de la Sibylle, qui apparaît rétive, rebelle, et dont le dieu met un certain temps à se rendre maître.

Le texte, puissant, est célèbre, mais il faut bien préciser qu'il s'agit d'une création artificielle et littéraire. Quel que soit le succès rencontré par le motif, notamment dans l'iconographie postérieure (la représentation, par Michel-Ange, de la Sibylle de Cumes dans la Chapelle Sixtine est particulièrement célèbre)

Michel-Ange, Chapelle Sixtine, La Sibylle de Cumes (1510)
Source : http://www.mrenata.com/arte/sibillacumana.jpg

quelles que soient aussi les affirmations de certains guides modernes, l'existence d'un oracle de la Sibylle à Cumes n'est pas aussi évidente qu'on l'a cru longtemps. En réalité, le long couloir creusé dans le tuf (dromos) que l'on présente régulièrement aux visiteurs comme l'Antre de la Sibylle...

 Source : G. Giubelli, Champs Phlégréens, Naples, 1993, p. 25

...et la pièce latérale où elle était censée professer...

 

Cumae. Cave of Sibyl. Innermost chamber © 1997 Leo C. Curran
 Source : http://wings.buffalo.edu/AandL/Maecenas/italy_except_rome_and_sicily/cumae/ac880634.jpg

...ne peuvent pas être rattachés à des activités de type oraculaire. Il est plus vraisemblable qu'ils faisaient partie, avec beaucoup d'autres éléments de la zone, d'un vaste complexe, essentiellement défensif à l'origine, dont la construction s'est étendue sur plusieurs siècles et dont les archéologues ne parviennent pas à dater et à interpréter avec précision tous les détails. Ainsi, pour n'envisager que le dromos, on estime maintenant que sa construction initiale date de la fin du IVe ou du IIIe siècle av. J.-C. ; quant à la salle où la Sibylle était censée rendre ses oracles, on pense pouvoir la dater de la fin de l'antiquité. On comprend toutefois qu'il ait été très tentant - et infiniment plus parlant - d'y voir les lieux rendus célèbres par la description virgilienne. Mais il est essentiel de se défier de ces identifications faciles. Ici, comme à l'Averne, la « suggestion » exercée par Virgile est écrasante et... scientifiquement dangereuse.

Mais la question subsiste : qu'en est-il du site oraculaire de la « Sibylle de Cumes » ? Il serait alors à chercher ailleurs. Et certains de songer à une petite pièce rectangulaire (4 m 35 sur 9), presque entièrement souterraine, toute proche du temple d'Apollon et baptisée par les fouilleurs « cisterna greca » (citerne grecque) : c'est là qu'aurait vaticiné la Sibylle ! Mais cette interprétation du monument - non confirmée encore par des fouilles - est purement hypothétique. Il reste plus vraisemblable d'y voir une citerne, ou une fosse votive, les deux fonctions pouvant d'ailleurs avoir été remplies successivement.

Mais allons plus loin ! Il ne serait pas exclu qu'on doive faire un pas de plus dans le « révisionnisme », en se posant une question plus fondamentale encore : y a-t-il jamais eu, dans l'Histoire, une Sibylle active à Cumes ? Force est de constater en effet que, si l'on fait abstraction de Virgile et de l'énorme influence qu'il a exercée, on ne dispose d'aucun autre témoignage probant sur son existence. Au fond, la Sibylle de Cumes ne pourrait-elle pas être une création virgilienne, aussi peu ancrée dans l'Histoire que la Carthage de Didon ou la ville de Latinus ?

Suggestions bibliographiques

● M. Pagano, Una nuova interpretazione del cosiddetto « Antro della Sibilla » a Cuma, dans Puteoli, t. 9-10, 1985-1986, p. 83-120.
P. Amalfitano [Éd.], Il destino della Sibilla : mito, scienza e storia dei Campi Flegrei, Naples, 1986, 265 p. (Archaia. Storia degli studi, 3).
M. Pagano, Considerazioni sull'antro della Sibilla a Cuma, dans Rendiconti della Accademia di Archeologia, Lettere e Belle Arti di Napoli, n.s. t. 9, 1985-1986, p. 69-94.
M. Pagano, L’acropoli di Cuma e l’antro della Sibilla, dans Gigante M. [Éd.], Civiltà dei Campi Flegrei. Atti del convegno internazionale (Napoli, 18-21 ottobre 1990), Naples, 1992, p. 261-330.
G. Giubelli, Champs Phlégréens, Naples, 1993, p. 24-33.
Cfr. http://www.ulixes.it/italiano/i_pg01.html?http://www.ulixes.it/italiano/i_pg02dfr02ahtml (présentation générale du Parc Archéologique de Cumes, avec visite virtuelle).
Cfr. http://www.ethesis.net/cumae/cumae_bibliografie.htm (une bibliographie de Bart De Graeve sur la topographie et le développement urbanistique de Cumes, depuis la fondation de la colonie grecque jusqu'à la fin de l’antiquité).


 

Cap Misène - Port de Misène - Lac de Misène

Promontoire de la baie de Naples (167 m d'altitude), en face de l'île de Procida, d'où l'on jouit d'un magnifique panorama circulaire.

Source : http://www.globalgeografia.com/album/italia/campania/capo_miseno2.jpg

Le port de Misène - un peu plus au nord - abrite sous l'Empire la flotte romaine de la Méditerranée occidentale. Il a en effet remplacé comme base navale le Portius Iulius du lac Averne.

Le port de Misène avec, à gauche, l'amorce du Lac de Misène et, au fond, le cap Misène.
Source :
http://document.linternaute.com/document/image/550/vue-aerienne-baie-crique-mer-451774.jpg

Dans le mythe, il doit son nom à un héros grec, un trompette, compagnon d'Ulysse (Strabon, I, 2, 18 ; V, 4, 6) ou, dans une autre tradition, compagnon d'Hector, qui après la chute de Troie accompagne Énée.

Ce Misène trouve la mort par noyade en Italie, victime de la jalousie du dieu marin Triton qu'il pense surpasser dans l'art de faire retentir son instrument, la conque : « Après qu'Achille, victorieux, eut ravi la vie d'Hector, le très vaillant héros s'était rallié au Dardanien Énée, qu'il suivit en compagnon non moins dévoué. Mais un jour, alors qu'il faisait sonner sur la mer sa conque creuse, l'insensé, il invita les dieux à un concours de chant ; son rival Triton saisit notre homme […] et le noya parmi les rochers, dans l'onde écumeuse » (Virgile, Énéide, VI, 168-174).

Avant de conduire Énée dans les Enfers, la sibylle avertit le héros troyen que le cadavre de Misène gît sur la plage, rejeté par la mer et qu'il faut l'ensevelir sans délai dans les règles ; « Alors le pieux Énée fait dresser un tombeau gigantesque pour ce héros, avec ses armes et ses rames et sa trompette, au pied d'un mont aérien, qui maintenant à cause de lui est appelé Misène, et qui conserve son nom éternellement à travers les siècles » (Virgile, Énéide, VI, 232-235 ; voir aussi Servius, Énéide, III, 239 ; Denys d'Halicarnasse, I, 53, 3 ; Pomponius Mela, II, 70). Jacques Perret (Virgile. Énéide. II, 1982, p. 55, n. 1) note que « vu de Pouzzoles, le cap Misène paraît dominé comme par un catafalque gigantesque », ce qui aurait pu donner naissance à ce type de légende.

Comme d'autres sites de la façade littorale de l'Italie (par exemple Baïes, Cumes, Gaète et Palinure), Misène est donc intégré dans le mythe des voyages des héros grecs en Occident.


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