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Suétone (généralités)
Vie de César (généralités) - (latin 85 K) - (traduction 200 K)
LII. Les reines qu'il aima. Loi qui lui donnait toutes les femmes
(1) Il aima aussi des
reines, entre autres, Eunoé, femme de
Bogud,
roi de Mauritanie; et, au rapport de
Nason,
il lui fit, ainsi qu'à son mari, de nombreux
et d'immenses présents. (2) Mais il
affectionna surtout Cléopâtre;
et il leur arriva souvent de prolonger leurs repas
jusqu'au jour. Il remonta le Nil avec elle sur un
vaisseau
pourvu de cabines;
et il aurait traversé ainsi toute
l'Égypte et
pénétré
jusqu'en Éthiopie, si
l'armée n'eût
refusé
de les suivre. Enfin il la fit
venir à Rome,
et ne la renvoya que comblée
d'honneurs
et de récompenses
magnifiques; il
souffrit même que le fils
qu'il eut d'elle fût appelé de son
nom. (3) Quelques
auteurs grecs
ont écrit que ce fils lui ressemblait pour
la figure et la démarche; M.
Antoine
affirma, en plein sénat, que César
l'avait reconnu; et il invoqua le témoignage
de C.
Matius, de
C.
Oppius, et
des autres amis du dictateur. Mais Gaius Oppius
crut nécessaire de
le défendre et de le justifier sur ce point,
et publia un livre pour démontrer que le
fils de Cléopâtre n'était pas,
comme elle le disait, fils de
César. (5) Helvius
Cinna, tribun
du peuple, a avoué à beaucoup de
personnes qu'il avait rédigé et tenu
prête une loi dont César lui avait
ordonné de faire la proposition en son
absence, et qui permettait à celui-ci
d'épouser,
à son choix, autant de femmes qu'il
voudrait,
pour en avoir des enfants. (6)
D'ailleurs, pour que personne ne puisse douter le
moins du monde que César eut la plus triste
réputation de sodomite et
d'adultère,
Curion
le père,
dans un de ses discours, l'appelle "le mari de
toutes les femmes, et la femme de tous les
maris". (1)
Dilexit et reginas, inter quas Eunoen Mauram
Bogudis uxorem, cui maritoque eius plurima et
immensa tribuit, ut Naso scripsit; (2)
sed maxime Cleopatram, cum qua et conuiuia in
primam lucem saepe protraxit et eadem naue
thalamego paene Aethiopia tenus Aegyptum
penetrauit, nisi exercitus sequi recusasset, quam
denique accitam in urbem non nisi maximis honoribus
praemiisque auctam remisit filiumque natum
appellare nomine suo passus est. (3)
Quem quidem nonnulli Graecorum similem quoque
Caesari et forma et incessu tradiderunt. (4)
M. Antonius adgnitum etiam ab eo senatui
adfirmauit, quae scire C. Matium et C. Oppium
reliquosque Caesaris amicos; quorum Gaius Oppius,
quasi plane defensione ac patrocinio res egeret,
librum edidit, non esse Caesaris filium, quem
Cleopatra dicat. (5)
Heluius Cinna tr. pl. plerisque confessus est
habuisse se scriptam paratamque legem, quam Caesar
ferre iussisset cum ipse abesset, uti uxores
liberorum quaerendorum causa quas et quot uellet
ducere liceret. (6)
At ne cui dubium omnino sit et impudicitiae et
adulteriorum flagrasse infamia, Curio pater quadam
eum oratione omnium mulierum uirum et omnium
uirorum mulierem appellat.
CommentaireBogud : roi de la Mauritanie occidentale (future Tingitane). Rallié à César en 49. Bogud lui apportera une aide décisive lors de la bataille de Munda (45).
Vaisseau pourvu de cabines : cf. T.W. Hillard, The Nile Cruise of Cleopatra and Caesar, dans Classical Quarterly, 52, 2002, p.549-54.
Si l'armée n'eût refusé : il est peu probable que l'armée ait accompagné les amants dans leur croisière sur le Nil.
Fit venir à Rome : Cléopâtre est arrivée à Rome en 46 et y reste jusqu'au lendemain de la mort de César, en 44. C'est en tout cas ce qu'affirme Cicéron, dans une lettre à Atticus datée d'avril 44 : « reginae fuga mihi non molesta est » (ad Att., XIV, 8, 1) ; je ne vois pas comment concilier le témoignage de Cicéron, contemporain des faits, avec celui de Suétone qui dit que César a renvoyé la reine comblée d'honneurs et de cadeaux.
Fils : Ptolémée XV Caesar, surnommé Césarion par les Alexandrins, né en 47 ; il sera assassiné en 30 sur ordre d'Auguste. Sur la paternité, discutée, de César, cf. H. Heinen, Cäsar und Kaisarion, dans Historia, 18, 1969, p.181-203.
Quelques Grecs : Suétone ne cite pas volontiers ses sources, il se contente de formules vagues, comme ici, nonnulli Graecoum tradiderunt.
M. Antoine : c. 83-30 a.C. Après avoir servi quelque temps dans l'armée, notamment en Gaule avec César, Antoine accède à la questure en 52 ; il est tribun de la plèbe en 49 et rejoint César qui a entrepris la conquête de l'Italie. À Pharsale, il commande l'aile gauche de l'armée de César, puis celui-ci le renvoie en Italie. En 44, il est consul avec César ; après l'assassinat du dictateur, il fait partie de ce qu'on appelle le « second triumvirat » (Antoine - Octave - Lépide). En 37, un nouvel accord entre les triumvirs lui confère le gouvernement de l'Orient : Antoine va y retrouver Cléopâtre. Puis la discorde s'installe de nouveau entre les triumvirs : Lépide est renvoyé, Antoine et Octave se disputent le pouvoir suprême. En 31, Octave bat son rival à Actium ; Antoine et Cléopâtre se suicident en août 30 a.C. - Plutarque a composé une biographie d'Antoine, comparé à Démétrius Poliorcète.
C. Matius : né vers 100 a.C. Chevalier qui ne joue aucun rôle officiel en politique mais est lié aux personnages les plus importants de l'époque, ami de Cicéron, tout en étant partisan de César. Cf. Cicéron, ad Fam., XI, 27-28.
C. Oppius : chevalier, homme de confiance de César, en bonnes relations aussi avec Cicéron. Après les Ides de Mars 44, Oppius prend le parti d'Octave. C'est probablement pour défendre les droits de celui-ci, fils adoptif du dictateur, qu'Oppius aurait rédigé ce texte niant la paternité césarienne du fils de Cléopâtre.
Helvius Cinna : tribun de la plèbe en 44 qui mourra tragiquement, par erreur, après les funérailles de César (cf. ci-dessous, ch.85, 1).
Épouser autant de femmes: probablement un ragot destiné à ridiculiser César.