Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 107b-117a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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Myreur, p. 107b-111a  (A. Varia : Autour d'Alexandre le Grand

Myreur, p. 111b-114a  (B. Varia : Orient - Égypte - Rome - Autres régions européennes)

Myreur, p. 114b-117a  (C. Le début des Guerres Puniques - Hannibal)

 


A. VARIA : AUTOUR D'ALEXANDRE LE GRAND

Ans 238-268 de la transmigration = 351-321 a.C.n. [Myreur, p. 107b-111a]

 

Introduction [texte]

À quelques exceptions près (par exemple la construction de la voie Appienne à Rome, une population romaine s'élevant à 160.000 hommes ou encore l'évocation d'une curieuse coutume médiévale liée au « voeu du paon » et aux cocus), le développement suivant est consacré presque entièrement à l'histoire d'Alexandre le Grand, dont la naissance avait été signalée au début de la p. 107. À cet endroit, Jean avait fait son éloge, épinglant dans l'histoire du monde trois personnages éminents par leurs prouesses et leur générosité : Hector de Troie, Alexandre de Macédoine et Charlemagne. Jean relève ici (p. 110) que l'histoire du grand conquérant a été si souvent et si bien racontée, en latin et en français, qu'il n'est pas nécessaire de la reprendre en détail. Et c'est vrai qu'il existe au Moyen Âge une abondante littérature sur Alexandre, en particulier le Roman d'Alexandre et ses différentes versions. Il sera encore beaucoup question du héros grec lorsqu'il sera comparé au héros latin César (p. 280-285).

Notre chroniqueur ne s'attarde vraiment (p. 108) que sur un événement lié à Jérusalem, une ville alliée de Darius [III], qui sera épargnée par Alexandre uniquement grâce aux prières du peuple et à l'intervention des prêtres et du grand-prêtre Jaddus (Yadoua ben Yohanan), revêtu de tous ses ornements sacerdotaux. Jaddus ainsi vêtu rappelle à Alexandre le dieu qui lui était naguère apparu et qui lui avait donné l'audace d'entreprendre ses conquêtes. Alors, non seulement il épargne la ville mais permet aux Juifs de conserver leurs lois. Ce récit est déjà dans les Antiquités judaïques (XI, 8, 4-5) de Flavius-Josèphe (cfr le site Alexandre le Grand et l'Orient), ce qui ne signifie pas qu'il est historique. Il serait d'ailleurs intéressant de comparer dans le détail les deux versions. ‒ Selon notre chroniqueur, Alexandre n'aurait jamais pu vaincre les forces très importantes de Darius III sans un décret divin. ‒ En ce qui concerne la mort du héros, la date mentionnée par Jean est correcte (323 avant notre ère) et, bien que ses causes ne soient pas connues avec certitude, l'empoisonnement a effectivement été avancé dans l'antiquité.

Les rois Achéménides. La toute première notice (p. 107) mentionne trois Darius et est difficile à intégrer. Pour le contenu, à savoir la reconquête de l'Égypte qui avait été perdue, elle rappelle d'assez près celle de la p. 105. Rappelons que le Darius qui affronta Alexandre est Darius III, roi de Perse de 335 à 330 avant notre ère. La première bataille dont fait état Jean (p. 108) est celle d'Issos qui eut lieu en 333 a.C.n. selon le comput du chroniqueur et ‒ la correspondance se prolonge ‒ en 333 également avant notre ère, dans le comput moderne. Le jour exact toutefois n'est pas le même : Jean donne le 13 janvier alors que les sources anciennes parlent du 1 novembre. La seconde bataille dont fait état le chroniqueur (p. 110) est celle d'Arbèles (Gaugamèles) : elle eut lieu en 331 avant notre ère, tandis que Jean la date de 328 a.C.n., avec une erreur de trois ans qui rompt la belle correspondance décelée pour Issos et pour la mort d'Alexandre.

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Sommaire

Darius III est roi de Babylone, de Perse et d'Égypte - Jaddus est grand-prêtre de Jérusalem - Alexandre le Grand succède à son père Philippe en Macédoine - À l'âge de 24 ans, il remporte une bataille contre Darius et conquiert divers pays d'Asie - Succession au Danemark (ans 238-255 de la transmigration = 351-334 a.C.n.)

Suite à une intervention miraculeuse du dieu de Jaddus, Alexandre épargne Jérusalem, puis reprend ses conquêtes (an 257 de la transmigration = 332 a.C.n.)

La Voie Appienne est construite en Italie - Naissance d'une coutume liée au voeu du paon (ans 258-259 de la transmigration = 331-330 a.C.n.)

Alexandre remporte, grâce à un décret divin, une seconde victoire sur Darius III, le tue et s'empare de ses trois royaumes, dont l'Égypte, où il fonde Alexandrie (261 de la transmigration = 328 a.C.n.)

Alexandre, après avoir conquis l'Inde de Porus et tout l'Orient, projette la conquête de tout l'univers, mais il meurt empoisonné après douze ans de règne et après avoir partagé son empire entre ses douze amis et conseillers (ans 264-268 de la transmigration = 325-321 a.C.n.)

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 Darius III est roi de Babylone, de Perse et d'Égypte - Jaddus est grand-prêtre de Jérusalem - Alexandre le Grand succède à son père Philippe en Macédoine - À l'âge de 24 ans, il remporte une bataille contre Darius et conquiert divers pays d'Asie - Succession au Danemark (ans 238-255 de la transmigration = 351-334 a.C.n.)

 

[p. 107] Item, l'an IIc et XXXVIII, reconquist ly roy Daire le royalme d'Egypte, et en refuit roy enssi com ses anticesseurs ; car li roy Daire, son cusiens, l'avoit perdut portant qu'ilh avait esteit en Sithie awec le roy Daire le pere chesti.

[p. 107] En l'an 238 [351 a.C.n.], le roi Darius reconquit l'Égypte et en redevint le roi, comme ses prédécesseurs. En effet son cousin le roi Darius, qui était en Scythie, avec le roi Darius son père, avait perdu l'Égypte.

Item, l'an IIc XLV morut Plato.

En l'an 245 [344 a.C.n.], Platon mourut.

[Jaddus evesque de Jherusalem] Sor l'an IIc et XLVII, fut Jaddus, uns philosophes, fais sovrains evesques de Jherusalem.

[Jaddus grand-prêtre de Jérusalem] En l'an 247 [342 a.C.n.], un philosophe, Jaddus, fut nommé grand-prêtre souverain de Jérusalem.

[De roy de Persie] Item, l'an IIc LI, morut ly roy Echus de Persie ; sy fut roy apres luy son fis Arges, qui regnat III ans.

[Le roi de Perse] En l'an 251 [338 a.C.n.], mourut Artaxerxès III, roi de Perse ; son fils Arsès lui succèda trois ans.

En chesti an fut nombreis li peuple de Romme ; si fut troveis que dedens la citeit Cm et LXm hommes.

Cette année-là la population de Rome fut recensée : on trouva dans la cité cent soixante mille hommes.

[Alexandre fut roy] Item, l'an IIc et LXV, morut Philipe, li roy de Machedone ; si fut apres roy [p. 108] son fis Alixandre.

[Alexandre devint roi] En l'an 255 [334 a.C.n. ; correction au texte] mourut Philippe, roi de Macédoine ; son fils Alexandre [p. 108] lui succéda.

[De promier amachour des Danois] Item, l'an IIc LVI, morut li promier amachour de Danemarche, Ebroch ; si fut apres amachour son fis Galiies.

[Le premier amachour des Danois] En l'an 256 [333 a.C.n.] mourut le premier amachour de Danemark, Ébroch. Son fils Galien lui succéda.

En cel an commenchat Alixandre à regnier et à conquerre tout le pays atour de luy et altrepart ; si oit sa promier batalhe le XIIIe jour de jenvier encontre Daire, le roy de Babylone, de Persie et d'Egypte ; car Arges, son cusiens, astoit II ans par devant mors sens heurs ; sique li regne astoit venue à roy Daire.

Cette année-là [333 a.C.n.], Alexandre commença à régner et à faire des conquêtes dans les régions voisines et au-delà. Sa première bataille se déroula le 13 janvier contre Darius III, roi de Babylone, de Perse et d'Égypte. Son parent (?), Arsès, étant mort sans héritiers deux ans avant, le royaume était revenu à Darius.

En cesti batalhe fut ly roy Daire desconfis, et là oit ly roy Alixandre sa promier victoir, et avoit adont l'eaige de XXIIII ans imparfais. A ceste fois conquist li roy Alixandre pluseurs citeis del royalme d'Asie.

Au cours de cette bataille, le roi Darius III fut vaincu, et le roi Alexandre remporta sa première victoire. Il était alors âgé de vingt-quatre ans (incomplets). Cette fois-là, il conquit plusieurs cités du royaume d'Asie.

 

Suite à une intervention miraculeuse du dieu de Jaddus, Alexandre épargne Jérusalem puis reprend ses conquêtes (an 257 de la transmigration = 332 a.C.n.)

 

[p. 108] [Alixandre portat honneur à l’evesque de Jherusalem] Item, l'an IIc LVII, assegat li roy Alixandre la citeit de Thir, et là li fut racompteit que Jaddus, li soverains evesque de Jherusalem estoit del ayde le roy Daire encontre luy, et avoit faite à luy certains alianches por luy greveir.

[p. 108] [Alexandre rend honneur au grand-prêtre de Jérusalem] En l'an 257 [332 a.C.n.], le roi Alexandre assiégea la ville de Tyr, où il apprit que Jaddus, le grand-prêtre souverain de Jérusalem, aidait le roi Darius contre lui et avait contracté avec lui certaines alliances pour lui nuire.

Quant Alixandre entendit teiles novelles, si prist II nobles messagiers et les envoiat en Jherusalem eaux bien infourmeis del fais, et les rechergat que ilh desissent à l'evesque Jaddus que ilh cessaist de aidier le roy Daire encontre ly, et li envoiaste socour de gens et des vitalhes ; et, se tout chu ilh ne faisoit, ilh ly juroit sour son Dieu, en cuy ilh creioit, que la citeit de Jherusalem, qui siene estoit, sieroit la premiere assegié de part ly, apres la citeit de Thir.

Quand il apprit cela, Alexandre désigna deux nobles chevaliers qu'il envoya à Jérusalem, les chargeant de dire au grand-prêtre Jaddus de cesser son aide au roi Darius et de lui envoyer des secours en hommes et en vivres. Et il jura, sur le Dieu en qui il croyait, que si Jaddus n'exécutait pas ses ordres, la première cité que lui, Alexandre, assiégerait quand il aurait terminé le siège de Tyr serait Jérusalem, sa cité.

[Response par l’evesque] Quant Jaddus, ly soverain evesque de Jherusalem, entendit les messagiers Alixandre, comment ilh li mandoit par ses lettres saielés de son propre seial secreit, si fut mult esbahis, et non porquant ilh remandat à roy Alixandre qu'ilh soy vosist deporteir de la citeit de Jherusalem à destruire, car ilh astoit veriteit que en cas où ilh le voroit destruire, que ons ne li poroit deffendre ne luy contresteir ; mains ilh astoient alloyés si fort por serment entre luy et ly roy Daire, que ilh ne poioit eistre encontre li en nulle manere, ne luy grever tant qu'ilh sieroit en vie ; et, se chest alianche ne fuste en teile manere faite entre eaux, ilh fesist volentier chu qu'ilh li mandoit : enssi remandat Jaddus à Alixandre.

[Réponse du grand-prêtre] Quand Jaddus, le grand-prêtre de Jérusalem, apprit les ordres d'Alexandre par les messagers et par des lettres scellées du propre sceau secret du roi, il fut très inquiet. Néanmoins il répondit au roi Alexandre de bien vouloir renoncer à détruire la cité de Jérusalem. Il était vrai que s'il voulait la détruire, on ne pourrait la défendre ni s'opposer à lui. Mais lui, Jaddus, était si fortement lié au roi Darius par serment qu'il ne pouvait agir contre lui en aucune façon, ni lui nuire aussi longtemps qu'il serait en vie. Si une alliance de ce genre n'avait pas été conclue entre eux, il obéirait volontiers à ses ordres ; telle fut la réponse de Jaddus à Alexandre.

[Alexandre fut corochiet] Quant Alixandre l'entendit, si en fut mult corochiet, et fist tantoist ses gens movoir et prendre leur chemyn vers Jherusalem. Adont le nonchat I hons alle evesque, dont ilh en fut mult esbahis, car ilh doubtoit Alixandre, et n'avoit oussi cure de fauseir son seriment del alianche ; si ne soy savoit conselhier comnent ilh en poroit ovreir que sa citeit fust si garnie et gardée del destruire, sens brisier son seriment.

[Alexandre est courroucé] Quand Alexandre entendit cette réponse, il en fut très irrité et mit aussitôt ses troupes en mouvement vers Jérusalem. Un homme vint alors annoncer la nouvelle au grand-prêtre, qui fut très effrayé, car il redoutait Alexandre, mais se souciait aussi de ne pas trahir son serment d'allié (à Darius). Il ne savait décider comment faire pour défendre sa cité et la protéger de la destruction, sans briser son serment.

[Coment par orisons la citeit de Jherusalem fut gardée de Alixandre le Gran] Si soy porpensat d'apelleir son peuple, et l'apellat [p. 109] par-devant li, et les menat oreir en temple Salmon, et là fisent-ilh tant de priier à Dieu, que Dieu les vosist jetteir de chis perilhe ; et Dieu, qui leurs proiers oiit, donnat à cognostre à Jaddus qu'ilh fesist ovrir toutes les portes de Jherusalem, et qu'ilh fust tantoist revestis des aournemens Aaron, et enssi fesist revestir awec ly tous les preistre de la loy, puis yssissent de la citeit et alassent tous à piet encontre le roy Alixandre, quant ilh approcheroit le citeit de Jherusalem et ilh vieroit le myracle que Dieu y feroit por l'amour de luy. Tantoist le fist li evesque et les preistres, enssi com dit est.

[Grâce à des prières, la cité de Jérusalem est épargnée d'Alexandre le Grand] Alors Jaddus pensa faire appel à son peuple. Il le convoqua [p. 109] devant lui, et l'emmena prier dans le temple de Salomon. Là ils demandèrent instamment à Dieu de vouloir les délivrer de ce danger. Dieu entendit leurs prières. Il fit savoir à Jaddus de faire ouvrir toutes les portes de Jérusalem, de revêtir immédiatement les ornements d'Aaron et d'ordonner à tous les docteurs de revêtir les leurs. Qu'ils sortent ensuite de la cité et se rendent à pied à la rencontre du roi Alexandre, lorsque celui-ci s'approcherait de Jérusalem. Jaddus verrait le miracle qu'accomplirait Dieu par amour pour lui. Aussitôt le grand-prêtre et les prêtres firent ce qui avait été dit.

Et, quant ly roy Alixandre et sa chevalerie aprepont la citeit de Jherusalem, li evesque et les priestres soy misent tous à piet al chemien. Quant Alixandre veit chu, et voit l'evesque qui devant venoit tous aourneis, et ilh recognuit que ch'astoient de sains vestimens Aaron, le promier priestre de la loy, si desquendit de Bucifal son cheval, et soy mist à terre en genols encontre l'evesque, de quoy ses prinches orent mult grant mervelhes, car ilh quidarent qu'ilh fust decheus ou enchanteis ; si corurent vers luy et ly demandont porquoy ilh obeissoit tant al evesque, puisqu'ilh le voloit destruire et son pays tollir. Quant li roy Alixandre entendit ses barons, si les at dit que ilh ne le faisoit mie por le personne del evesque, mains por honneur porteir à cheluy de cuy ilh font l'offisce, car ilh est revestis et aourneis en teile manere qu'ilh dewist faire oblation.

Quand Alexandre et son armée s'approchèrent de Jérusalem, le grand-prêtre et les prêtres se mirent tous en route à pied, dans leur direction. Voyant cela, et notamment le grand-prêtre revêtu de tous ses ornements, et reconnaissant qu'il s'agissait des vêtements sacrés d'Aaron, Alexandre descendit de son cheval Bucéphale, et se mit à genoux à terre, face au grand-prêtre. Cela étonna très fort les princes de son entourage, qui le croyaient tombé ou ensorcelé. Ils coururent vers lui et lui demandèrent pourquoi il obéissait ainsi au grand-prêtre, puisqu'il avait l'intention de le détruire et de s'emparer de son pays. Quand il entendit ses barons, le roi Alexandre leur dit qu'il ne faisait pas cela pour la personne même du grand-prêtre, mais pour honorer le dieu qu'il servait, car le grand-prêtre était revêtu d'ornements de cérémonie comme pour faire une offrande.

[Coment Dieu s’apparut à Alixandre] Et encor leur dest Alixandre que Dieu ly astoit enssi aparus revestis anchois qu'ilh soy partist de Machedone, et qu'ilh li avoit donneit hardileche de chu entreprendre qu'ilh avoit entrepris de conquerre la terre d'oultre mere.

[Dieu était apparu à Alexandre] Alexandre leur dit encore qu'avant de quitter la Macédoine, Dieu lui était apparu revêtu des mêmes habits et lui avait donné l'audace d'entreprendre ce qu'il avait entrepris, c'est-à-dire de conquérir la terre d'outre-mer.

[Alixandre donnat liberteit aux fis Israel] Atant vient Alixandre à l'evesque, et li pardoonat son matalant por l'amour de Dieu, qui à chu l'avoit espireit, et donnat congier aux enfans d'Ysrael de tenir tous les status de leur loys, enssi que leurs anticesseurs les tenoient.

[Alexandre accorde la liberté aux fils d'Israël] Alors Alexandre vint vers le grand-prêtre et lui pardonna son attitude, pour l'amour du Dieu qui l'y avait poussé. Il accorda aux enfants d'Israël de garder toutes les règles de leur loi, telles que les détenaient leurs ancêtres.

Apres chu soy partit Alixandre de Jherusalem ; si entrat en la terre de Samarie, et le conquist al espée : cel terre de Samarie astoit prochaine à la terre de Judée dont Alixandre venoit.

Après cela, Alexandre quitta Jérusalem et entra dans la terre de Samarie qu'il conquit à la force de l'épée. La Samarie était proche de la terre de Judée, d'où venait Alexandre.

 

La Voie Appienne est construite en Italie - Naissance d'une coutume liée au voeu du paon (ans 258-259 de la transmigration = 331-330 a.C.n.)

 

[p. 109] Item, l'an IIc LVIII, Apius Claudius, consules de Romme, fisent à Romme la voie d'Apie, et Arimire en Romanole et Bonivent en Sapinie.

[p. 109] En l'an 258 [331 a.C.n.], Appius Claudius, consul de Rome, fit construire la voie Appienne à Rome, à Rimini en Romagne et à Bénévent en Sabine.

[L’histoire de paons] Item, l'an IIc et LlX, avient [p. 110] tout l'hystoire où li paons fut tueis et voweis de la chevalerie, dont ons at tant parleit mainte fois, qui trop long seroit à racompteir. Et, portant qu'ilh en sont fais des libres qui continent la matere asseis veritable, si l'avons droit chi lassiet à mettre. Et deveis savoir que pawons fut ochis, et li vowe fais le promier jour de may l'an desusdit.

[L'histoire des paons] En l'an 259 [330 a.C.n.] eut lieu [p. 110] toute l'histoire du paon tué et offert en voeu par la chevalerie. On en a tant parlé à plusieurs reprises qu'il serait trop long de la raconter encore. Mais parce des livres ont rapporté cette matière très authentique, nous l'avons à juste titre insérée ici. Vous devez savoir que le paon fut tué et le voeu accompli, le premier mai de l'an précité2.

[Des wihous] Et fut adont commenchiet ly usaige que ons fait et tient encor des wilhos leveir le promier jour de may, por cest raison que II chevaliers qui amoient une pucelle qui astoit à chesti fieste, et la pucelle les faisoit semblans d'ameir ambdois, et elle ne faisoit d'eaux que sa coveture, car elle amoit I altre qui fut nommeis Porus, qui astoit roy d'Ynde ; et si astoit chis Porus cely qui avoit trait le pawon. Et, quant li fais fut descovers, si furent apelleis wihos ches II chevaliers ; et furent leveis com wihos, et wihos en leur lengaige, ch'est en françois vaut ortant que musars. Et astoient nommeis les II chevaliers musars, qui amoient la pucel, ly une Cassanius et li altre Balderains ; et la damoisel astoit nomée Ephesonas.

[Des cocus] Alors commença l'usage que l'on pratique et qui subsiste encore de poursuivre les cocus le premier jour de mai. En voici la raison. Deux chevaliers aimaient une jeune fille présente à cette fête mais elle ne se servait d'eux que comme couverture, car elle aimait un autre homme, nommé Porus, qui était le roi d'Inde. Ce Porus avait lancé un trait sur le paon. Quand la chose fut découverte, ces deux chevaliers furent appelés 'wihos'' et furent pourchassés comme 'wihos' ; et dans leur langue 'wihos' correspond en français à 'musars' [= dupe]. Et les deux chevaliers amoureux de la pucelle avaient pour nom, l'un Cassianus, et l'autre Balderains ; et la demoiselle s'appelait Ephesonas.

 

2 Jean d'Outremeuse fait probablement allusion ici à une oeuvre littéraire intitulée Les Vœux du paon, un poème courtois écrit par Jacques de Longuyon en 1312-1313 sur commande de Thiébaut de Bar, évêque de Liège. L'œuvre a joui d'un très grand succès à la fin du Moyen Âge, dans différents pays, sous la forme de traductions, de continuations, de réécritures et d'imitations. Elle a popularisé le rituel des vœux sur un oiseau (dont le paon) et elle a aussi marqué durablement l’imaginaire chevaleresque en introduisant le motif littéraire et artistique des Neuf Preux (3 héros païens, 3 héros bibliques et 3 héros chrétiens, incarnant ensemble toutes les vertus du parfait chevalier). Le personnage d'Alexandre - un des trois héros païens - y joue un grand rôle, et Porus, roi de l'Inde y est cité . Ce sont ces derniers éléments qui expliquent probablement l'insertion de cette anecdote immédiatement après le long développement sur Alexandre (cfr Arlima).

 

Alexandre, dont les exploits sont relatés ailleurs, remporte, grâce à un décret divin, une seconde victoire sur Darius III, le tue et s'empare de ses trois royaumes, dont l'Égypte, où il fonde Alexandrie (an 261 de la transmigration = 328 a.C.n.)

 

[p. 110] [De Alixandre le Gran] Je vos racompteroy bien tous les fais de Alixandre, mains ilh n'est pas besongne, car il en est fais des libres en latin et en franchois qui racomptent bien tout la matere veritable. Plaisist à Dieu que ons ne metist point en franchois giestes moins veritable ! Et de tous ses fais, qui furent mervelheux et strennueux, et de son estat en est fais I libre por li mult especial, et portant nos ne parlerons plus de luy, fours tant seulement là li cas le requierat.

[p. 110] [Alexandre le Grand] Je pourrais vous raconter tous les exploits d'Alexandre, mais ce n'est pas nécessaire, car des livres en latin et en français exposent bien toute cette matière véridique. Plût à Dieu qu'on n'ait pas écrit en français gestes moins authentiques ! Et sur tous les exploits prodigieux et courageux qu'il a réalisés, sur ce qu'il fut aussi, il existe un livre très spécialisé. C'est pourquoi nous ne parlerons plus de lui, sauf quand le cas l'exigera.

Sachiés que li prinche en monde qui plus grevat Alixandre fortement, chu fut li roy Daire, portant qu'il astoit bon chevalier sour tous les altres, et astoit roy de Persie, d'Aysie et d'Egypte, et avoit mult de gens. Et Alixandre n'awist jà poioir à ly, si ne fuist chu que Dieu avoit enssi ordineit que Alixandre devoit toute Orient conquerre, car li roy Daire avoit plus de gens et de noble chevalerie awec ly II fois que Alixandre n'avoit.

Sachez que le prince qui au monde nuisit le plus fortement à Alexandre fut le roi Darius, parce qu'il était un excellent chevalier, surpassant tous les autres ; roi de Perse, d'Asie et d'Égypte, il possédait d'immenses troupes. Darius n'aurait jamais pu être vaincu, si Dieu n'avait décidé qu'Alexandre devait conquérir tout l'Orient. En effet le roi Darius avait avec lui deux fois plus de forces et de nobles chevaliers qu'Alexandre.

Si oit batalhe II fois à ly, dont nous avons dit l'une chi-devant qui fut la promier batalhe que Alixandre fesist oncques, et la seconde fut l'an IIc et LXI. Et là fut Daire desconfis et ochis awec IIIc milh hommes de Persie, de Babylone et d'Egyptiens ; et à cel seul batalhe gangnat Alixandre les III royalmes le roy Daire.

Deux batailles les opposèrent ; nous avons parlé plus haut (p. 108) de celle qui fut la première jamais menée par Alexandre. La seconde se déroula en l'an 261 [328 a.C.n.]. Darius fut battu et tué, avec trois cent mille hommes provenant de Perse, de Babylone et d'Égypte. Par cette seule bataille Alexandre s'empara des trois royaumes du roi Darius.

[Alixandre la citeit] Adont edifiat li roy Alixandre une citeit mult noble en Egypte qu'ilh [p. 111] nommat solonc son nom Alixandre.

[La cité d'Alexandrie] Le roi Alexandre construisit en Égypte une cité très célèbre qu'il [p. 111] nomma Alexandrie d'après son nom.

 

Alexandre, après avoir conquis l'Inde de Porus et tout l'Orient, projette la conquête de tout l'univers, mais il meurt empoisonné après douze ans de règne et après avoir partagé son empire entre ses douze amis et conseillers (ans 264-268 de la transmigration = 325-321 a.C.n.)

 

[p. 111] Item, l'an IIc et LXIIII, conquist Alixandre tout le royalme d'Ynde que Porus tenoit, qui tant fut bon chevalier.

[p. 111] En l'an 264 [325 a.C.n.], Alexandre conquit tout le royaume d'Inde, détenu par Porus, qui fut un si bon chevalier.

Item, l'an IIc LXV, passat Alixandre avant en desers d'Ynde où ilh parlat aux arbres de soleal et de la lune, qui li dissent que ilh devoit morir temprement, por laqueile raison ly roy Alixandre revient en Babilone que ilh avoit devant chu conquis. Chest Babylone fut la grant Babylone, où la grant tour de Babel fut edifiet, de laqueile Babylone li roy Daire et ses devantrains avoient esteit roys ; et soy clamoient roys d'Asie, por chu que Babylone estoit li chief ; jasoiche que li roy Cyrus l'abatist et le defigurast, astoit toudis chief del regne d'Asie et d'Orient.

En l'an 265 [324 a.C.n.], Alexandre, dans sa marche en avant, traversa les déserts de l'Inde où il parla aux arbres du soleil et de la lune, lesquels lui dirent qu'il devait bientôt mourir. C'est pourquoi Alexandre revint à Babylone, qu'il avait conquise précédemment. C'était la grande Babylone où fut édifiée la tour de Babel. Darius et ses ancêtres en avaient été rois et se proclamaient rois d'Asie, puisque Babylone en était la capitale. Malgré le fait que le roi Cyrus l'ait abattue et saccagée, elle était toujours la capitale du royaume d'Asie et d'Orient.

[Alixandre conquist tot la terre de oultre mere, et puis morut] Item, deveis savoir que li roy Alixandre oit grant paine et travalhe dedens XII ans qu'ilh regnat en conquerant tout la terre d’Orient, c'on dist de oultre mere, qu'ilh conquist toute.

[Alexandre conquiert toute la terre au-delà de la mer et puis meurt] Sachez que le roi Alexandre, durant son règne de douze ans, subit des peines très éprouvantes, en conquérant toute la terre d'Orient, dite d'outre-mer, qu'il s'appropria entièrement.

Et proposat entres ses barons à conquerre toute occident, medis et septentrion ; mains ilh fut ochis par venyn sour l'an IIc LXVIII, à XIIe an et demy qu'ilh avoit commenchiet à conquerre, car sa promier conqueste fut contre le roy Doire, en cuy regne Alixandre morut ; et morut le IIIIe jour de may, al XXXIIIIe ou XXXVe an de son eaige.

Avec ses barons, il se proposa de conquérir toute la terre : occident, midi, septentrion. Mais il fut tué par poison, en l'an 268 [321 a.C.n.], douze ans et demi après le début de ses conquêtes. La première fut contre le roi Darius, dans le royaume de qui Alexandre mourut ; il mourut le 4 mai à l'âge de trente-quatre ou trente-cinq ans.

Quant Alixandre veit que ilh ly covenoit morir, si devisat tout la terre qu'ilh avoit conquis en XII ans et VI mois que ilh avoit regneit en XII parties, et les donnat à ses XII prinches qui l'avoient siervit, et avoient esteit de son conselhe, qui astoient hauls prinches.

Quand Alexandre comprit qu'il allait mourir, il partagea en douze parts tout le terriroire conquis durant ses douze ans et six mois de règne. Il les donna aux douze princes qui l'avaient servi et conseillé. C'étaient des princes de rang très élevé.

 


 

B. VARIA : ORIENT - ÉGYPTE - ROME - AUTRES RÉGIONS EUROPÉENNES [Myreur, p. 111b-114a]

 

Ans 270-296 de la transmigration = 319-293 a.C.n.

 

Introduction [texte]

Cette section comporte un ensemble de notices disparates. Elles mettent notamment en scène quelques-uns des successeurs d'Alexandre, comme Ptolémée I en Égypte, qui s'empare par la ruse de Jérusalem (c'est ce qu'on a appelé « le sac du Sabbat »), et comme Séleucus, roi de Syrie, qui fonde Antioche et remporte une importante victoire contre Antiochus, roi d'Asie.

Appius Claudius, déjà à l'origine de la voie Appienne (p. 109), est censé avoir fait venir à Rome de l'eau chaude. La notice conserve probablement le souvenir transformé de la construction par ce grand censeur du premier aqueduc romain, l'aqua Claudia, qui ne transportait, faut-il le préciser, que de l'eau froide. L'Égypte ptolémaïque va devenir l'une des plus grandes puissances du monde hellénistique. Ptolémée I Sôter s'empare bien de Jérusalem en 320 avant notre ère, mais il est douteux que l'Égypte de son époque ait déjà été à l'époque en rapport diplomatique avec Rome, les premiers documents connus remontant à 271 avant notre ère (C. Auliard, dans Dialogues d'Histoire ancienne, t. 11, 2014, p. 98). Les « Guerres samnites » pour leur part sont une réalité historique. Élément crucial de la conquête romaine de la péninsule italienne (notamment la Campanie), elles se déroulèrent en plusieurs phases de 343 à 290 avant notre ère ; elles furent très dures et se terminèrent par la victoire définitive de Rome. L'affirmation que les Samnites possédaient des armes d'or et d'argent remonte à Tite-Live (IX, 40, 1-6)

D'autres notices concernent l'histoire du Danemark, responsable de la fondation de nouveaux pays. Font ainsi leur entrée dans la chronique la Hollande, la Zélande et la Hongrie.

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Sommaire

Ptolémée I, roi d'Égypte, conquiert Jérusalem par traîtrise et emmène des prisonniers juifs en Égypte (270 de la transmigration = 319 a.C.n.)

Rome se voit dotée d'eau chaude par Appius Claudius - Ptolémée conquiert Chypre - Séleucus, roi de Syrie, remporte une bataille importante contre Antiochus d'Asie, qui échappe à la mort (72-283 de la transmigration = 317-306 a.C.n.)

* Les frères du roi Hongrech de Danemark fondent la Hollande et la Zélande (283-288 de la transmigration = 306-301 a.C.n.)

Séleucus fonde Antioche en Syrie - En Gaule, Amynus succède à son père Turnus - Le roi Hongrech de Danemark construit cités et châteaux - Son fils Zélo fonde la Hongrie - Une alliance de paix est conclue entre Rome et Ptolémée (290 à 295 de la transmigration = 299-294 a.C.n.)

Nombreux combats entre Romains et Samnites se disputant la Campanie - Victoire finale des Romains (296 de la transmigration = 293 a.C.n.)

 

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Ptolémée I, roi d'Égypte, conquiert Jérusalem par traîtrise et emmène des prisonniers juifs en Égypte (ans 270 de la transmigration = 319 a.C.n.)

 

[p. 111] [De promier Pholomes de Egypte] Adonc Pholomes oit Egypte en son parchon ; si en fut roy et regnat XL ans. Chis promirs Pholomes fist la principal citeit de son regne del citeit d'Alixandre, et trestous les roys d'Egypte, qui regnarent par long temps apres chesti Pholomes, furent tous apelleis Pholomes, queil nom qu'ilh euwissent devant.

[p. 111] [Le premier Ptolémée d'Égypte] Ainsi Ptolémée reçut l'Égypte en partage ; il en fut le roi et régna durant quarante ans. Ce premier Ptolémée fit d'Alexandrie la principale ville de son royaume, et tous les rois d'Égypte qui régnèrent après lui durant une très longue période s'appelèrent Ptolémée, quel qu'ait été le nom qu'ils portaient précédemment.

[Pholomes gangnat Jherusalem par trahison] Item, l'an IIc et LXX, li roy d'Egypte Pholomes vient en Jherusalem, et fist entendant aux enfans d'Ysrael que ilh venoit por faire sacrifiche al temple Salmon. Se le lassarent ens entreir, car li peuple quidat que ilh leur desist voir, sique cheaux qui ne tendoient à nule male ; mains quant ilh fut en la citeit de Jherusalem, enssi que dit est, ilh escriat ses barons qui astoient armeis [p. 112] par-desouz leurs chappes, et ses hommes defularent leurs chappes, et corurent sus cheaux de la citeit par grant trahison enssi com malvais trahitres, et gangnarent la citeit de Jherusalem.

[Ptolémée s'empare de Jérusalem par traîtrise] En l'an 270 [319 a.C.n.], le roi d'Égypte Ptolémée vint à Jérusalem, laissant entendre aux enfants d'Israël qu'il venait sacrifier au temple de Salomon. Les Juifs le laissèrent pénétrer à l'intérieur, car le peuple le croyait sincère et pensaient ces gens dénués de mauvaise intention. Mais une fois dans la cité de Jérusalem, Ptolémée, dit-on, lança un ordre à ses barons, qui portaient des armes [p. 112] sous leurs capes. Ils s'en débarrassèrent et attaquèrent sournoisement les gens de la cité, en traîtres perfides qu'ils étaient. C'est ainsi qu'ils s'emparèrent de la ville de Jérusalem.

Enssi com je devise fut la citeit conquise de part le roy Pholomes d'Egypte, liqueis prist par forche grant planteit des plus poissans de peuple d'Ysrael, lesqueils ilh fist meneir en Egypte et mettre en prison à gran destroit, et ordinat une grant partie de ses gens en la citeit por gardeir qu'ilh ne le perdist.

Ainsi que je le raconte, la cité fut conquise par le roi Ptolémée d'Égypte, qui par la force se saisit d'un grand nombre des hommes les plus puissants d'Israël, les fit emmener en Égypte et emprisonner très étroitement. Il ordonna aussi à beaucoup de ses hommes de rester dans la ville pour la garder et éviter de la perdre.

 

Rome se voit dotée d'eau chaude par Appius Claudius - Ptolémée conquiert Chypre - Séleucus, roi de Syrie, remporte une bataille importante contre Antiochus d'Asie, qui échappe à la mort (ans 272-283 de la transmigration = 317-306 a.C.n.)

 

[p. 112] Item, l'an IIc et LXXII, Apius Claudius, li senateur et consule de Rome, fist venir en la citeit de Romme aywe chaide.

[p. 112] En l'an 272 [317 a.C.n.], Appius Claudius, sénateur et consul de Rome, fit venir dans la ville de Rome de l'eau chaude.

[De Danemarche] Item, l'an IIc LXXIIII, morut Galien, li secons amachour de Danemarche ; si fut apres luy amachour son fis qui fut nommeis Galaffre.

[Au Danemark] En l'an 274 [315 a.C.n.] mourut Galien, le second amachour de Danemark ; son fils, appelé Galaffre, devint amachour après lui.

Item, l'an IIc LXXVII, conquist li roy Pholomes d'Egypte la royalme de Cypre et la jondit awec son regne.

En l'an 277 [312 a.C.n.], Ptolémée d'Égypte conquit le royaume de Chypre, qu'il rattacha à son propre royaume.

Item, l'an IIc LXXVIII, fut fais roy de Surie Silentius. En chesti an fut coroneis Anthionus, li roy d'Asie.

En l'an 278 [311 a.C.n.], Séleucus devint roi de Syrie. Cette année-là, Antiochus fut couronné roi d'Asie.

[Grant batalhe] Item, l'an IIc IIIIxx et III, oit grant batalhe entre le roy Silentius de Surie et le roy Anthionus d'Asie. Si fut Anthionus desconfis et perdit de ses gens XLm hommes ; mains ilh s'enfuit, et chu le fist escapeir del mort ; et maintient puis lonc temps la guerre encontre Silentius.

[Grande bataille] En l'an 283 [306 a.C.n.], une grande bataille opposa le roi Séleucus de Syrie et le roi Antiochus d'Asie. Antiochus fut vaincu et perdit quarante mille hommes. Mais il prit la fuite, échappant ainsi à la mort. Dans la suite, il continua longtemps à faire la guerre contre Séleucus.

 

Les frères du roi Hongrech de Danemark fondent la Hollande et la Zélande (ans 283-288 de la transmigration = 306-301 a.C.n.)

 

[p. 112] [De Dannemarche] En chesti an morut li thirs amachour de Danemarche Galaffre, et avoit regneit IX ans. Chis oit III fis : li anneis fut apelleis Hongrech, li altre Honleke et li thirs Seleke. Et fut li anneis Hongrech amachour, car chu astoit raison ; si vorent les II altres freres avoir terre por habiteir ; si priarent à leur frere qu'ilh leur vosist pristeir de ses gens, car ilh voloient aleir querir I plaisant pays por habiteir, où ilh edifieroient citeis et casteals ; et ilh leur otriat et donnat à chascon d'eaux VIm hommes, puis s'en alerent.

[p. 112] [Au Danemark] Cette année-là [306 a.C.n.] mourut Galaffre, le troisième amachour de Danemark, après un règne de neuf ans. Il avait eu trois fils : l'aîné s'appelait Hongrech, le second Honleke et le troisième Seleke. L'aîné Hongrech devint normalement amachour ; les deux autres frères voulurent un territoire où habiter. Ils prièrent Hongrech de leur donner des gens : ils voulaient découvrir un pays agréable, où construire cités et châteaux. L'aîné accéda à leur demande et leur fournit à chacun six mille hommes. Alors les deux frères s'en allèrent.

[De Holande et de Zelande - Honlech fondat le pays de Hollande, et Zelech Zelande] Lesdis II freres eramment s'en allont en la basse Allemangne, et allarent toudis avant, et là fondarent chascons d'eaux pluseurs citeis et casteals à fuison, où ilh habitarent awec leur peuple chascon en son pays ; et apellat Honlech son pays Hollande, et Zelech le sien pays Zelande.

[Hollande et Zélande - Honlech fonde le pays de Hollande, et Zélech la Zélande] Ils se rendirent aussitôt en Basse Allemagne, allant toujours de l'avant. Ils fondèrent chacun une quantité de cités et de châteaux. Ils s'installèrent avec leurs sujets, dans leur pays respectif. Honlech appela le sien la Hollande et Zélech donna au sien le nom de Zélande.

[Dez amirals desdis pays] Et fut chascons nommeis amyrals de son pays, et enssi leurs heurs apres eaux. Et furent ches II pays, dont nos avons chi parleit, commenchiés à fondeir sour l'an [p. 113] IIc IIIIxx et IIII, qui fut li an del fondation de Romme IIIIc ans et X, et si fut parfais sour l'an IIc IIIIxx et VIII. Si fut là fais I beal commenchement, mains apres y furent fais mult de beals edifisches par leurs successeurs.

[Les amiraux des pays en question] Chacun d'eux fut nommé amiral dans son pays, et il en fut de même de leurs héritiers. La fondation de ces deux pays commença en l'an [p. 113] 284 [305 a.C.n.], qui correspond à l'an 410 de la fondation de Rome ; elle fut achevée en l'an 288 [301 a.C.n.]. Ce fut là un beau début ; dans la suite, leurs successeurs construisirent beaucoup d'édifices magnifiques.

 

Séleucus fonde Antioche en Syrie - En Gaule, Amynus succède à son père Turnus - Le roi Hongrech de Danemark construit cités et châteaux - Son fils Zélo fonde la Hongrie - Une alliance de paix est conclue entre Rome et Ptolémée (ans 290 à 295 de la transmigration = 299-294 a.C.n.)

 

[p. 113] [Antyoche fut fondée] A cel temps dont nos fesons mension, assavoir sor l'an IIc IIIxx X, fut fondée la citeit d'Antyoche qui siet delà mere ; et le fondat ly roy Sileucius de Surie.

[p. 113] [Fondation d'Antioche] Au temps dont nous parlons, c'est-à-dire en l'an 290 [299 a.C.n.], fut fondée la cité d'Antioche, située outre-mer. Le fondateur en fut Séleucus de Syrie.

[De dus de Galle] En chesti an morut Turnus, li dus de Galle, qui avoit regneit LIX ans. Chis avoit II fis : ly anneis fut nomeis Brugen, et ly altre Amynus. Brugen fut dus de Galle, et regnat XV ans, et Amynus fut prinche de la citeit del Isle et enssi de Tournay et de pays là altour.

[Le duc de Gaule] Cette année-là [299 a.C.n.] mourut Turnus, qui avait régné durant quarante-neuf ans. Il avait deux fils : l'aîné s'appelait Brugen, et l'autre Amynus. Brugen devint duc de Gaule et régna quinze ans ; Amynus fut prince de la cité de l'Île (?) ainsi que de Tournai et du pays avoisinant (p. 57).

[This] Item, l'an IIc XCII, commenchat li amachour de Danemarcbe, qui oit nom Hongrech, à edifiier pluseurs citeis en son pays, entre lesqueils ilh fondat une qu'ilh nomat This, et fondat unc beal casteal sour une roche qu'ilh nomat Monlusant, portant que ons le veioit de mult long ; et al desous ilh fondat une citeit, qu'ilh nomat Multbelle, et pluseurs altres citeis.

[This] En l'an 292 [297 a.C.n.], l'amachour de Danemark, qui se nommait Hongrech, se mit à construire plusieurs cités dans son pays, parmi lesquelles il en nomma une This. Il construisit aussi sur un rocher un beau château qu'il nomma Monluisant, parce qu'on le voyait de loin et, en-dessous, il fonda une cité qu'il nomma Multbelle, et plusieurs autres encore.

[De primier prinche de Hongrie] Et donnat chi pays à unc sien fis qui fut nommeis Zelo, qui en fut prinche dedont en avant ; et apellat chesti pays Hongrie et ses gens Hongrois ou Hongresis.

[Le premier prince de Hongrie] Hongrech donna une terre à un de ses fils, nommé Zélo, qui en fut désormais le prince. Il appela le pays Hongrie et ses habitants Hongrois ou Hongres.

Item, l'an IIc XCV, envoiat Pholomes, ly roy d'Egypte, ses messages à Romme, pour faire certains aIianches aux Romans de pais et d'amisteit. Si furent les messaiges noblement rechus depart les Romans ; car, quant ilh veirent que ly roy Pholomes voloit avoir à eaux teile amisteit, si furent mult joians, et fisent les alianches tantost confirmeir depart les tribuniiens, les consules et les senateurs de Romme, et Ies revoiarent à roy Pholomes.

En l'an 295 [294 a.C.n.], le roi Ptolémée d'Égypte envoya ses messagers à Rome, afin de conclure avec les Romains des alliances solides de paix et d'amitié. Ces messagers furent fort bien reçus. Quand les Romains virent que le roi Ptolémée voulait entretenir avec eux une telle amitié, ils s'en réjouirent beaucoup. Les alliances furent conclues et confirmées aussitôt par les tribuns, les consuls et les sénateurs de Rome. Les messagers furent renvoyés au roi Ptolémée.

 

Nombreux combats entre Romains et Samnites se disputant la Campanie - Victoire finale des Romains (296 de la transmigration = 293 a.C.n.)

 

[p. 113] [Les Romans orent guerre à Sampnitiens] Item, l'an IIc XCVI, orent grant guerre les Romans, qui astoient le plus puissans de monde, à Sampnitiens, qui sient en la moiene entre Campaine et Puilhe, qui enssi astoient tres-poissans et orguilheux, et qui avoient armes d'or et d'argent ; et orent une batalhe en chesti an en jule, et chu fut por le cause de Campaine, qui est uns crasse pays et bons terrois et bons pors de mere, et mult d'altres biens al utiliteit et profit de cheaux à cuy chis pays est.

[p. 113] [Les Romains en guerre contre les Samnites] En l'an 296 [293 a.C.n.], les Romains, qui étaient le peuple le plus puissant du monde, menèrent une grande guerre contre les Samnites, habitant la région située entre la Campanie et les Pouilles. Très puissants et fiers, ils possédaient des armes d'or et d'argent. Cette année-là, en juillet, ils menèrent une bataille pour s'approprier la Campanie, région fertile, riche en bonnes terres, bons ports et en bien d'autres ressources utiles et profitables pour ses détenteurs.

[Capua chief del terre de Campaine] De laqueile terre de Campaine ilh astoit li chief la citeit de Capua, qui astoit equaile à Romme de grandeur ou à Cartaige. Se voloient avoir les Sampnitiens cheli pays, et osteir des mains des Romans qui le possidoient ; et furent en cel batalhe desconfis les Sampnitiens.

[Capoue, capitale de la Campanie] Capoue était la capitale de cette terre de Campanie, qui égalait Rome ou Carthage en importance. Les Samnites voulaient s'emparer de ce pays et l'enlever aux Romains qui le possédaient. Dans cette bataille, les Samnites furent vaincus.

 Et [p. 114] en chest an, qui fut li an del edification de Romme IIIIc et XXVI, en jule, oit encore une batailhe entres les parties deseurdit ; si furent les Romans desconfis. De chu orent-ilh si grant despit, qu'ilh soy rasemblarent et revinrent encor ensemble ; si orent les Romans victoir ; et les altres soy rasemblarent, si corurent sus les Romains, moins les Romans orent la victoir.

 En [p. 114] cette année-là, correspondant à l'an 426 de la fondation de Rome, en juillet, une grande bataille eut lieu entre les deux peuples. Les Romains furent battus. Ils en furent si dépités qu'ils se rassemblèrent et revinrent une fois encore à l'attaque. Ils remportèrent alors la victoire, mais les Samnites se rassemblèrent et foncèrent sur les Romains. Ceux-ci remportèrent la victoire.

[Les Sampnitiens desconfis par les Romans] En teile manere orent XV batalhes dedens VI samaines, que toudis orent les Romans victoir, foursmis II batalhes ; car al dierain furent les Sampnitiens par les Romans si folleis et abatus, qui en fut mors en chesti deraine batalhe XXIIIIm hommes, et ens aultres devant Cm et XXVIm et IIII hommes ; et fut leur roy pris awec grant summe de gens, et la citeit et tous li pays destruittes et abatus. Et ly roy et ses gens morurent en la prison des Romans. Et deveis savoir qu'ilh est veriteit que les Romans n'orent oncques piour annemis ne plus crueux que les Sampnitiens.

[Les Samnites battus par les Romains] Il y eut ainsi quinze batailles en six semaines, toujours à l'avantage des Romains, sauf à deux reprises. Finalement, les Samnites furent écrasés et abattus et, lors de la dernière bataille ils perdirent vingt-quatre mille hommes. Le total de leurs morts au cours de ces batailles s'éleva à cent vingt-six mille et quatre hommes. Leur roi et un grand nombre de ses gens furent capturés ; la cité et le pays furent dévastés et anéantis ; le roi et les siens moururent dans les prisons romaines. Sachez que les Romains ne rencontrèrent jamais ennemis plus durs que les Samnites.

 


 

C. Le début des guerres puniques - HANNIBAL [Myreur, p. 114b-117a]

 

Ans 297-334 de la transmigration = 292-255 a.C.n.

 

Introduction [sommaire et texte]

L'événement historique majeur dans le monde occidental des IIIe et IIe siècles est ce qu'on appelle les Guerres Puniques qui se déroulent de 264 à 146 avant notre ère et qui opposent les Romains aux Carthagnois (Poeni en latin). Elles « marquent l'affrontement de deux impérialismes. Rome au début du IIIe s. a conquis l'Italie, Carthage domine l'Afrique. Leurs ambitions se heurtent pour la première fois en Sicile, mais le conflit, ponctué par trois guerres, s'étend sur plus d'un siècle et concerne tout le bassin occidental de la Méditerranée et même la Grèce continentale » (J. Leclant, Dictionnaire de l'Antiquité, Paris, 2005, p. 1840).

La première Guerre Punique (264 à 241 avant notre ère) a pour enjeu la Sicile. Le résumé de J. Leclant présente l'essentiel des événements et montre ici encore les insuffisances de la présentation du chroniqueur liégeois. « Ses causes semblent complexes, mais le prétexte est fourni par des mercenaires campaniens, les Mamertins qui, après avoir constitué un État brigand autour de Messine, font appel à Rome pour les défendre contre Syracuse et Carthage. L'affaire dégénère en un conflit entre Rome et Carthage, car le tyran de Syracuse, Hiéron, accepte rapidement de se soumettre et de devenir l'ami et l'allié du peuple romain. Les succès sont longtemps balancés et Rome connaît de graves échecs, comme celui de Régulus en Afrique. Paradoxalement, c'est sur mer que la cité du Latium remporte ses principaux succès, à Mylae avec Duilius en 260, à Ecnome en 256, enfin en 241 aux îles Aegates (toujours selon notre comput actuel), ce qui permet de contraindre Carthage à traiter. La cité punique n'a pas été militairement vaincue, et même, grâce à son meilleur homme de guerre, Hamilcar Barca, a continuellement tenu en échec les armées romaines. Le projet de traité établi par le chef punique et le consul Catulus est aggravé par le Sénat romain qui augmente le montant de l'indemnité de guerre. Surtout, profitant des difficultés de sa rivale engagée dans la dure répression de ses mercenaires révoltés, Rome s'empare définitivement de la Sardaigne et de la Corse. Cela ne fait qu'accroître les rancoeurs, notamment celles du parti barcide qui, [à Carthage] autour d'Hamilcar, de son gendre Hasdrubal, puis de son fils Hannibal, conquiert un véritable empire dans le sud de la péninsule Ibérique, tandis que Rome renforce ses positions en Italie du nord ».

Jean mentionne bien Messine, la Calabre et la conquête romaine d'une partie de la Sicile. Cette partie était effectivement sous le contrôle des Carthaginois (les Africains pour Jean d'Outremeuse), mais ce n'était pas un royaume comme tel. Carthage, qui dominait cette partie de la Sicile, n'était pas, à l'époque, une royauté mais une oligarchie aux mains de puissantes familles et dirigée par deux suffètes annuels, comme Rome l'était par deux consuls, annuels eux aussi. Quant au personnage de Gébil, censé être le père d'Hannibal, il ne semble pas apparaître dans nos sources. Pourrait-on voir dans ce nom une trace du mot arabe Jebel, qui signifie « colline » et qu'on retrouve dans le mot Gibraltar ? Hannibal par contre est un personnage historique mais il ne joue un grand rôle que dans la deuxième Guerre Punique (218 à 202 avant notre ère), et nous le retrouverons plus loin. Son père était Hamilcar Barca, le chef d'armée carthaginois qui avait lutté contre les Romains pendant la première Guerre Punique. Selon les sources anciennes, ce père aurait élevé son fils aîné dans la haine des Romains.

En ce qui concerne les événements romains, la date de l'apparition de la monnaie d'argent est en réalité controversée. Les sources anciennes (Pline l'Ancien, Tite-Live) la placent à l'époque des Guerres Puniques, mais les numismates modernes avancent une date plus récente (187 avant notre ère) pour la création du denier d'argent romain.

Nous ne disons rien ici des questions de succession et de fondations (Amiens [avec une anecdote intéressante], Bruges, Bénévent, Douai, Cambrai) qui suscitent toujours l'intérêt du chroniqueur. Nous préférons attirer l'attention sur une tradition bien attestée dans l'antiquité, à savoir la traduction en grec de la Bible hébraïque que Ptolémée II Philadelphe (roi de 285 à 247 avant notre ère) confie à un groupe de septante savants juifs, qui se rassemblent à Alexandrie et qui, travaillant indépendamment, arrivent miraculeusement au même texte final. Jean date la publication du travail au jour près : le 23 décembre de l'an 312 de la transmigration, soit 277 a.C.n. Nous retrouverons de nombreuses fois encore sous sa plume un goût très marqué pour la précision (année, mois, jour, parfois heure) qu'il accorde aux dates.

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Sommaire

Fondation d'Amiens par Amynus - Fondation de Bruges par Brugen, son frère, duc de Gaule - Fondation de Bénévent par les Romains (297-303 de la transmigration = 292-286 a.C.n.)

Ptolémée II (Philadelphe) fait traduire la Bible des Septante (307-312 de la transmigration = 282-277 a.C.n.)

En Gaule, Dianus succède à Brugen - Les Romains conquièrent Messine et la Calabre - Rome voit apparaître la monnaie d'argent (315-319 de la transmigration = 274-270 a.C.n.)

Les Romains conquièrent une partie de la Sicile, défendue par son souverain Gébil de Carthage - Des renforts arrivent de Carthage par la mer, mais la confrontation tourne à l'avantage des Romains et Gébil meurt - À Carthage, Hannibal, fils de Gébil, prépare pendant dix-sept ans sa vengeance (319 de la transmigration = 270 a.C.n.)

Gaffa, fils de l'amachour Hongrech, devient le premier roi de Danemark - En Gaule, fondation de Douai et de Cambrai - Une peste universelle frappe l'ensemble du monde (323-334 de la transmigration = 266-255 a.C.n.)

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Fondation d'Amiens par Amynus - Fondation de Bruges par Brugen, son frère, duc de Gaule - Fondation de Bénévent par les Romains (ans 297-303 de la transmigration = 292-286 a.C.n.)

 

[p. 114] [Amyens fondée par Amynus] Item, l'an IIc XCVII, astoit aleis Amynus, li prinche de Turnay, vers Romme por prende à femme la filhe Archales, ly uns des consules ; si le trovat mariée, et avait pris à maris I gran senateur. Quant Amynus entendit chu, si retournat arire, et alat tant qu'ilh entrat en I gran bois dont ilh ne pot yssir luy ne ses gens dedens XIII jours. Et le covenoit mangier herbes et rachines et boire aiwe de fontaines ; et les chevals mangnoient herbes, et enssi les pluseurs morurent de famine, que ches viandes ne porent gosteir ; mains al derain issirent de bois, et vinrent aux plains champs, non mie à leur droit chemyn, car ilh l'avoient grandement eslongiet.

[p. 114] [Amiens fondée par Amynus] En l'an 297 [292 a.C.n.], Amynus, le prince de Tournay, s'était rendu à Rome, pour épouser la fille d'Archales, l'un des consuls. Il la trouva déjà mariée : elle avait épousé un sénateur important. Quand il apprit la chose, Amynus retourna chez lui. Il chevaucha et pénétra dans un grand bois, dont ni lui ni ses gens ne purent sortir qu'après treize jours. Il fut obligé de se nourrir d'herbes et de racines, et de boire l'eau des sources ; les chevaux aussi mangeaient des herbes et beaucoup d'hommes moururent de faim, ne pouvant toucher à ces aliments. Finalement, ils sortirent du bois, arrivèrent en pleine campagne, mais pas sur leur route directe, dont ils s'étaient beaucoup écartés.

Tant chevalchat Amynus qu'ilh trovat I lieu qui mult bien li plaisit. Si fondat là une citeit que ilh nomat Amyens solonc son nom, en laqueile ilh habitat, car ilh n'osoit raleir à Turnay ne al Ysle son pays, por son frere le duc de Galle, qui le voloit ochire por le raison de chu qu'ilh avoit enssi falit à sa femme avoir ; car à cel temps astoit en usaige, quant uns hons voloit avoir à femme alconne pucelle et el l'escondissoit, ons tenoit chil homme par enssi malvois que chu fust uns murdreur.

Amynus chevaucha encore longtemps, jusqu'au moment où il trouva un endroit très plaisant à ses yeux. Il y fonda une cité qu'il nomma Amiens, d'après son nom, et où il habita. Il n'osait rentrer ni à Tournay ni à Lille, son pays, par peur de son frère, le duc de Gaule, qui voulait le tuer parce qu'il avait échoué à obtenir une épouse. À l'époque en effet, l'usage voulait qu'un homme qui se faisait éconduire par la fille qu'il souhaitait épouser, était considéré à l'égal d'un meurtrier.

En teile manere demorat Amynus en la citeit d'Amyens ; mains quant Brugen, son frere, le soit, se le manechat fortement, et entrat en Lisle et à Turnay, et mist dedens ses gens com sien et son pays.

C'est ainsi qu'Amynus resta dans la cité d'Amiens. Mais quand Brugen, son frère, l'apprit, il il le couvrit de menaces, entra à Lille et à Tournay et y installa ses gens comme si c'était son propre pays.

[Bruge fondé par Brugen] Item, l'an IIIc et XV, [p. 115] fondat li dus de Galle une citeit dedens son noveal pays, qui avoit esteit son frere Amynus ; et le fondat sour I bras de mere qui là venoit, et encor y vient-ilh, et le nomat Bruges selonc son nom, et y mist gens dedens por habiteir.

[Bruges fondée par Brugen] En l'an 300 [289 a.C.n.] [p. 115], le duc de Gaule fonda une cité dans son nouveau pays, qui avait appartenu à son frère Amynus. Il la fonda sur un bras de mer, qui venait jusque là, ce qui est encore le cas. Il l'appela Bruges, d'après son nom, et y installa des gens, pour l'habiter.

[Bonivent] Item, l'an IIIc et III, fisent et fondont les Romans en pays de Bonivent I citeit, et l'apellarent Bonivent, qui est belle solonc l'usaige de adont.

[Bénévent] En 303 [286 a.C.n.], les Romains construisirent et fondèrent une cité dans le pays du Bénévent, et l'appelèrent 'Bonivent', qui signifie 'qui est belle', selon l'usage de l'époque.

 

Ptolémée II (Philadelphe) fait traduire la bible des Septante (ans 307-312 de la transmigration = 282-277 a.C.n.)

 

[p. 115] [Pholomes Abah et les LXX Juys] Item, l'an IIIc et VII, morut Pholomes, li roy d'Egipte, qui fut li promirs de cel nom ; si regnat apres luy son fis qui fut nomeis Abech ; mains al coroneir fut nomeis Pholomes Abah , et regnat XXXIII ans.

[p. 115] [Ptolémée Abah et les LXX Juifs] En l'an 307 [282 a.C.n.] mourut le roi d'Égypte Ptolémée, premier du nom. Son fils, nommé Abech, lui succéda ; mais, lors de son couronnement, il fut nommé Ptolémée Abah [= Ptolémée II Philadelphe] et régna durant trente-trois ans.

Chis secons Pholomes mist sa cure et entendement en diverses escriptures à oyr et aprendre, et voloit avoir tous les libres dont ons savoit parleir, et fist tant et profitat si bien, qu'ilh fut astronomiens miedre que nuls altres qui à son temps regnast. Si en fist alcons libres en tratiant de chesti matere qui mult sont profitables et necessairs à cheaux qui se veulent melleir de chest scienche.

Ce second Ptolémée mit ses intérêts et ses compétences à écouter et à apprendre différentes langues ; il voulait posséder tous les livres dont on parlait. Il s'appliqua tellement qu'il devint le meilleur astronome de son temps. Il composa sur ces matières des livres très profitables et indispensables pour tous ceux qui veulent s'occuper de cette science.

Chis Pholomes soy porpensat, et fist querir LXX Juys des plus saiges que ons posist troveir, et qui fuissent les mies apris de leur loy et des escriptures ; et, quant ilh les oit tous ensembles, ilh les prist et les departit en LXX cambres, chascuns por luy, où li uns ne poioit l'autre veioir ne regardeir ne oyr. Et mist par-devant chascuns les libres de leurs loys qui adont astoient escript en hebreu ; si les commandat que ilh les translatassent en grigois.

Ce Ptolémée, après avoir mûrement réfléchi, envoya chercher soixante-dix Juifs parmi les plus sages que l'on put trouver et parmi les plus instruits dans leur loi et dans leurs écritures. Quand il les eut tous réunis, il les répartit dans soixante-dix chambres individuelles, où personne ne pouvait ni voir, ni regarder, ni entendre un autre. Il plaça ensuite devant chacun d'eux les livres de leur religion, alors rédigés en hébreu ; et il leur ordonna de les traduire en grec.

Et deveis savoir que ilh les mist enssi et departit en pluseurs lieu, portant que ilh les vot esproveir, se ilh feroient loialment chu qu'ilh les avoit commandeit, et que li uns ne sewist al altre de riens.

Et sachez que s'il procéda ainsi, c'était parce qu'il voulait les éprouver, et voir s'ils exécuteraient loyalement ce qu'il leur avait commandé sans qu'aucun d'entre eux soit informé du travail des autres.

[Miracle] Si avient que Dieu fist la myracle teile par le grasce de Saint-Espir, et demonstrat si droitement aux Juys deseurdit la vrai matere de la Sainte-Escripture, que quant les Juys orent tout translatait, et li roy Pholomes voit oiir chu que chascuns avoit fait, ilh trovat que les LXX maistres se concordarent si plainement que se ilh l'ewissent fait ensemble en I seul lieu, chu que chascon avoit fait par luy sens riens mesprendre. Et de chu oit li roy trop grant mervelhe, et tient chest Sainte-Escripture en grant riceche et reverenche ; et fut chu enssi translateit sor l'an IIIc et XII commenchieit sor le quart jour de jenvier, et furent parfais dedens le mois de novembre et publiiés le XXIIIe jour de decembre.

[Miracle] Il se fit que Dieu opéra un miracle par la grâce du Saint-Esprit. Il fit comprendre si correctement aux Juifs le véritable contenu de la Sainte-Écriture que, lorsque tous les traducteurs eurent terminé et quand le roi Ptolémée voulut entendre ce que chacun avait fait, il constata que les soixante-dix maîtres s'accordaient parfaitement entre eux, comme s'ils avaient traduit ensemble ce que chacun avait fait par lui-même, et tout cela sans se tromper en rien. Le roi, émerveillé, considéra cette Sainte-Écriture comme une grande richesse méritant le respect. Cette traduction fut faite en 312 [277 a.C.n.], commencée le 4 janvier, achevée en novembre, et publiée le 23 décembre.

 

En Gaule, Dianus succède à Brugen - Les Romains conquièrent Messine et la Calabre - Rome voit apparaître la monnaie d'argent (ans 315-319 de la transmigration = 274-270 a.C.n.)

 

En l'an IIIc et XV, [p. 116] morut li dus de Gal Brugen, qui avait regneit XXV ans. Apres luy fut fais dus son fis Duanus, qui regnat XXXVI ans.

En l'an 315 [274 a.C.n.] [p. 116] mourut Brugen, le duc de Gaule, après un règne de vingt-cinq ans. Après lui, son fils Duanus devint duc pendant trente-six ans.

Item, l'an IIIc et XVlI, conquisent les Romans II citeis, si fut ly une appellée Mesine, et l'autre Calabre.

En l'an 317 [272 a.C.n.], les Romains conquirent deux cités ; l'une s'appelait Messine et l'autre Calabre.

[La promier monoie à Romme] Item, l'an IIIc et XIX, fut promirs faite à Romme monoie d'argent, de quoy ons n'avait oncques devant useit ; car devant chu ons n'y faisait altre monoie que de paste enprintée des saieles des consules qui regnoient por le temps sicom empereurs.

[La première monnaie à Rome] En l'an 319 [270 a.C.n.] fut faite à Rome la première monnaie d'argent. Précédemment on n'en avait jamais fait usage ; on ne fabriquait en effet que de la monnaie en terre cuite, avec l'empreinte des sceaux des consuls, qui gouvernaient à l'époque comme des empereurs.

 

Les Romains conquièrent une partie de la Sicile, défendue par son souverain Gébil de Carthage - Des renforts arrivent de Carthage par mer, mais la confrontation tourne à l'avantage des Romains et Gébil meurt - À Carthage, Hannibal, fils de Gébil, prépare pendant dix-sept ans sa vengeance (ans 319 de la transmigration = 270 a.C.n.)

 

 [p. 116] En cel an meismes alat li uns des consul de Romme à XXm hommes, et soy mist sour mere ; si nagont tant que li tempeste de la mere le gettat en la royalme de Zesile, et en conquisent grand partie.

[p. 116] Cette même année [270 a.C.n.], un des consuls romains prit la mer avec vingt mille hommes. Ils naviguèrent jusqu'à ce qu'une tempête les jette dans le royaume de Sicile, dont ils conquirent une grande partie.

[Les Romans en Zisile encontre les Affriquiens] A cel temps astoit cel royalme de Zesile de la royalme d'Affrique et en la subjection ; si en astoit ly roy d'Affrique sires soverains ; sique cheaux de Zisile mandont à roy Gebil de Cartaige le perde qu'ilh avait faite et rechut par les Romans. Et, quant ly roy l'entendit, si mandat par son pays ses hommes ; si en assemblat jusques à XXXm hommes, et puis nagat tant qu'ilh vient en Zisile, et là astoient encor les Romans.

[En Sicile, les Romains rencontrent les Africains] À cette époque, le royaume de Sicile faisait partie du royaume d'Afrique auquel il était soumis : le roi d'Afrique en était le seigneur souverain. Aussi les gens de Sicile informèrent le roi Gébil de Carthage de la perte que les Romains lui avaient infligée. Apprenant cela, Gébil convoqua des hommes dans tout son pays. Il en rassembla quelque trente mille et mit le cap sur la Sicile, où se trouvaient toujours les Romains.

Si oit entre eaux grant batalhe ; mais les Romans n'astoient que XXm hommes, si ne l'euwissent ja endureit ceste batalhe, quant ilh leur vient en ayde de leurs anemis, enssi comme vos oreis.

Une grande bataille eut lieu entre eux. Les Romains n'avaient que vingt mille hommes, et ils n'auraient jamais pu résister s'ils n'avaient reçu l'aide de leurs ennemis, comme vous allez l'entendre.

[Le roy Gebil de Cartaige desconfis et mors] Car enssi com les Romans et les Affriquiens soy combatoient ensemble, avient que les gens de la citeit de Nope, qui est de la royalme de Zesile, dont ilh astoit bien VIIIm et plus, et venoient por aydier les Affricans vers la batalhe. Mais oussitost que les Affricans les veirent, ilh quidarent que chu fussent Romans, et soy misent al fuir vers leurs neis et furent enssi desconfis ; et les Romans en ochirent plus de XXm ; et là fut mors li roy Gebil d'Affrique. Et conquisent les Romans XL neis chargies d'avoir et de vitalhes ; si ramynont tout chu à Romme, où ils furent noblement recheus.

[Le roi Gébil de Carthage est battu et tué] En effet, tandis que Romains et Africains étaient en train de combattre, des troupes arrivèrent de la cité de Nope (Naples ?), appartenant au royaume de Sicile. Elles comptaient plus de huit mille hommes et venaient aider les Carthaginois. Mais dès que ceux-ci les virent arriver, ils crurent qu'ils étaient des Romains et s'enfuirent vers leurs bateaux, ce qui causa leur défaite. Les Romains en tuèrent plus de vingt mille. Là périt le roi Gébil d'Afrique. Les Romains s'emparèrent de quarante navires chargés de richesses et de vivres qu'ils ramenèrent à Rome où ils furent reçus avec tous les honneurs.

[Hanibal le fis Gebil] Apres la disconfiture, les Affricans s'en ralerent en Cartage, qui astoit ly chief de leur regne, et fisent roy le fis Gebil, qui avoit nom Hanibal : chis fut uns mult fors hons et grans, et qui savoit mult de fais d'armes, et qui fist mult de paines et damages aux Romans. Et vengat mult bien le mort de son pere, enssi com vos oreis ; car anchois qu'ilh commanchast sa guere, les petis enfans de son rengne laissat parvenir à eaige et forche por porteir armes, car illa lassat enssi la chouse par l'espause de XVII ans.

[Hannibal, fils de Gébil] Après la défaite, les Africains retournèrent à Carthage, la capitale de leur royaume, et nommèrent roi le fils de Gébil, nommé Hannibal. C'était un homme très fort et très grand, et expert en matière militaire. Il infligea aux Romains bien des malheurs et des dommages et vengea parfaitement la mort de son père, comme vous l'apprendrez. En fait, avant de lancer sa guerre, il attendit que les jeunes de son royaume atteignent l'âge et la force nécessaires pour porter les armes. Il laissa les choses en l'état dix-sept ans.

 

Gaffa, fils de l'amachour Hongrech, devient le premier roi de Danemark - En Gaule, fondation de Douai et de Cambrai - Une peste universelle frappe l'ensemble du monde (ans 323-334 de la transmigration = 266-255 a.C.n.)

 

[p. 117] [Le promier roy de Danemarche] Item, l'an IIIc et XXIII, morut li quars amachours de Danemarche, Hongrech, qui avoit regneit XL ans. Et quant ilh fut mors, si s'avisarent les barons de pays que leur terre astoit fortement multiplyet et peuplée, et qu'ilh astoient bien digne d'avoir I roy ; si fisent roy par common accorde de Gaffa, le fis Hongrech, qui regnat XlIII ans.

[p. 117] [Le premier roi de Danemark] En l'an 323 [266 a.C.n.] mourut le quatrième amachour de Danemark, Hongrech, après un règne de quarante ans. À sa mort, les barons du pays réalisèrent que leur territoire s'était fort développé et peuplé, et qu'ils méritaient bien d'avoir un roi. D'un commun accord, ils désignèrent alors comme roi Gaffa, le fils de Hongrech, qui régna quatorze ans.

[Duay] Item, l'an IIIc et XXVII, fondat li dus de Galle Duaynus une citeit, laqueile solonc son nom ilh nomat Duay.

[Douai] En l'an 327 [262 a.C.n.], le duc de Gaule Duanus fonda une cité, qu'il nomma Douai, d'après son nom.

Item, l'an IIIc et XXX, morut Zelech, le promier saingnour et fondateur de pays de Zelande ; si regnat apres luy son fis Archanon.

En l'an 330 [259 a.C.n.] mourut Zélech, fondateur et premier seigneur du pays de Zélande ; son fils Archanon régna après lui.

Item, l'an IIIc et XXXI, fut fais ly promier roy de la terre de Parthe, et fut nommeis Arsaches.

En l'an 331 [258 a.C.n.] fut désigné le premier roi du pays des Parthes, du nom d'Arsacès.

[Cambray] En cel an, morut ly dus de Galle Duyanus ; si fut dus son fis apres luy, qui oit nom Camberacion, qui II ans là apres, assavoir l'an IIIc et XXXIII, fondat la citeit de Cambray ; si regnat LV ans.

[Cambrai] cette année-là mourut Duanus, le duc de Gaule ; après lui, son fils, dénommé Camberacion, devint duc ; deux ans plus tard, en 333 [256 a.C.n.], il fonda la cité de Cambrai ; il régna cinquante-cinq ans.

Item, l'an IIIc et XXXIIII, oit grant mortaliteit et pestilenche de malvais aire par tout le monde, sique les gens, maiement les grans saingnours el les sanguins, moroient par les rues subitainement, et tant que chu en astoit grant mervelhe.

En l'an 334 [255 a.C.n.], dans l'ensemble du monde, sévit une importante mortalité, due à une épidémie de peste ; les gens, même les grands seigneurs et leurs proches, mouraient subitement dans les rues, en très grand nombre, à un point vraiment incroyable.

 

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