Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 413b-416a - ans 700-704

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2023)

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Ans 700-704

Suite des notices précédentes (généalogie - Florentin - Pépin le Bref)

et retour en arrière sur saint Hubert 

Myreur II, p. 413b-416a

À propos du mariage de Guy de Navarre et d'Andeline de Mayence, considérations généalogiques aboutissant à Doon de Mayence, à Charlemagne et à Ogier

* Renvoi peu précis à l'épisode de Florentin à Carthage et aux événements de Ponthis - Léonce, fils de l'empereur Théodose, désigné patrice de Rome

Pépin le Bref ramène en Francie la dépouille du lion

Activités de saint Hubert de 700 à 704, notamment le transfert des restes de saint Théodard, la châsse de saint Lambert et sa nourrice

Sur quelques endroits, à Liège et dans les environs, liés ou non à saint Hubert (Fura, oratoire d'Andaginum, Serinchamps, gibet de Liège et castel Sainte-Croix à Liège)

 


 

An 704 : À propos du mariage de Guy de Navarre et d'Andeline de Mayence, considérations généalogiques aboutissant à Doon de Mayence, à Charlemagne et à Ogier

[II, p. 413b] En cel an fut fais ly mariage de Guyon, le fis Gaufrois de Navaire et de Blanche, la filhe Eracle, filhe de l'emperere Tybier, qui puis fut emperere de Constantinoble, sicom vos oreis chi-apres. De chesti [II, p. 414] Guyon et sa femme qui oit nom Andeline, filhe à conte Martin de Maienche, et prist awec ly la conteit de Maienche, issit Doielien de Maienche, de cuy ilh fait chi-apres mention.

[II, p. 413b] Cette année-là [704], on célébra le mariage de Guy, fils de Gaufroit de Navarre, et de Blanche, fille d'Héracle, elle-même fille de l'empereur Tibère, qui fut plus tard empereur de Constantinople, comme vous l'entendrez ci-après [?]. Ce [II, p. 414] Guy et son épouse Andeline, fille du comte Martin de Mayence, qui lui avait apporté le comté de Mayence, eurent un fils, Doon de Mayence, dont il est fait mention plus loin (cfr II, p. 434ss).

Sur la question de Doon de Mayence, cfr aussi II, p. 392 et  II, p. 434ss).

[Bertaine, la femme le petis Pipin, dont ilh issit le gran Charle] En cel an morut Ydaine, le femme Theodosien fis l'emperere Justiniain deseurdit, et estoit la damme filhe le roy de Scoche, où Theodosien l'avoit gangniet par forche, car chu fut ly plus valhans chevalier qui regnast à son temps. De cel damme avoit Theodosien I fis, qui fut nommeis Lyon, qui avait à femme Florenche, la filhe le roy Bertaire des Argins en Greche ; de laqueile damme Lyon avoit II filhes jovenetes : sy avoit ly année à nom Florentine, et ly altre Bertaine.  Celle Bertaine oit depuis le petis Pipin, le fis Char-Martel, à femme ; si en issit Charle le Gran.

[Berthe, femme de Pépin le Bref, de qui naquit Charlemagne] En cette année mourut Ide, femme de Théodose, le fils de l'empereur Justinien mentionné ci-dessus. Cette dame était la fille du roi d'Écosse, que Théodose, le plus valeureux chevalier du temps, avait conquise de force. Cette Ide avait donné à Théodose un fils, appelé Léon, qui épousa Florence, fille de Bertaire, roi des Argiens de Grèce. Cette Florence avait donné à Léonce deux fillettes : l'aînée s'appelait Florentine et la seconde Berthe. Cette Berthe épousa plus tard Pépin le Bref, fils de Charles Martel (cfr II, p. 430-431). De cette union naquit Charlemagne.

 

Berthe ou Bertrade de Laon, traditionnellement appelée Berthe aux longs pieds, est l'épouse de Pépin le Bref et la mère de Carloman et de Charlemagne.

[Beatris la mere Ogier le Dannois, et Gaufrois son pere] Et Florentine oit à mari Johan Asculphin que ans nommait Wilhenbron, frere à duc Aymeir de Acquitaine et fis al duc Eudon, de laqueile issirent XV fis et une filhe, qui oit nom Beatris, qui fut femme à Gaufrois de Maienche, le fis Doielon de Maienche ; desqueis Gaufrois et Beatris issit Ogier, ly campion de Dieu et de sainte Engliese.

[Béatrice, mère d'Ogier le Danois, et Geoffroy père d'Ogier] Florentine épousa Jean Asculpin, qu'on nommait Willibrord, frère d'Amaury d'Aquitaine, et fils du duc Eudes. De cette union naquirent quinze fils et une fille, nommée Béatrice, qui épousa Geoffroy de Mayence, le fils de Doon de Mayence. De Geoffroy et de Béatrice naquit Ogier, le champion de Dieu et de la sainte Église.

On trouvera une autre présentation généalogique, un peu du même type en II, p. 434b, avec comme structuration la tripartition traditionnelle des chansons de geste en trois cycles : Charlemagne, Doon de Mayence et Garin de Monglane. Cette présentation de la p. 434b fait également état d'une manière formelle d'Ogier en introduisant et en soulignant l'importance de son fils Beuve, qui n'a pas de place ici (cfr II, p. 434b).

An 704 : Renvoi peu précis à l'épisode de Florentin à Carthage et aux événements de Ponthis (cfr supra, II, p. 410-413) - Léonce, fils de l'empereur Théodose, désigné patrice de Rome

[II, p. 414] Quant la femme Theodosien fut mort, si s'acompangnat à Florentin, qui estoit oncle de la femme Lyon, son fis, et soy misent sour mere à XXm hommes, et dessent qu'ilh iroient conquere sour les Sarasins ; si vinrent en la citeit de Cartage, où ly roy les rechut mult noblement.

[II, p. 414] Après la mort de sa femme (Ide), Théodose accompagna Florentin, l'oncle de la femme de son fils Léonce, et ils prirent la mer avec vingt mille hommes, disant qu'ils iraient faire des conquêtes sur les Sarrasins. Ils se rendirent dans la cité de Carthage, où le roi les reçut très noblement.

En cel an fut fais patris de Romme Lyon, ly fis Theodosien deseurdit, qui plus valhanment regnat c'onques n'avoient faite tous les altres patris, qui devant luy avoient esteit à Romme, car ilh estoit jovenes et entreprendans, et tant estoit fors que riens ne duroit contre luy.

Cette année aussi, Léonce, le fils du Théodose cité ci-dessus, fut désigné patrice de Rome et régna plus parfaitement que ne l'avaient fait tous les autres patrices qui l'avaient précédé à Rome, car il était jeune et entreprenant, et si fort que rien ne lui résistait.

An 704 : Pépin le Bref ramène en Francie la dépouille du lion

[II, p. 414] [De petis Pipin] Item, à cel temps revient Pipin en Franche, en mois de jenvier, lyqueis avait esteit en Austrie depuis qu'ilh oit conquis le lyon, portant qu'ilh soy dobtoit que les Dannois et Hongrois ne revenissent en Beawir sour le duc Udelon, le pere sa maraste. Adont fist le petis Pipin ameneir awec ly sour unc somier le lyon, assavoir le peaux forée de strain. Si en fisent tous les Franchois grant joie, et maiement Char-Martel, son pere, en fist grant fieste, et fut pendue en palais à Paris.

[II, p. 414] [Pépin le Bref] À cette époque, au mois de janvier, Pépin revint en France. Il était allé en Austrasie après avoir conquis le lion, parce qu'il se doutait que les Danois et les Hongrois reviendraient en Bavière attaquer le duc Odilon, le père de sa seconde épouse (cfr II, p. 406). Pépin le Bref avait amené avec lui sur une bête de somme le lion qu'il avait tué ou plus exactement sa peau bourrée de paille. Tous les Francs s'en réjouirent beaucoup, particulièrement Charles Martel, son père, qui organisa une grande fête. La peau fut suspendue dans le palais, à Paris.

Sur cet épisode du lion, cfr II, p. 408-409

Ans 700-704 : Activités de l'évêque saint Hubert de Liège, notamment le transfert des restes de saint Théodard, la châsse de saint Lambert et sa nourrice

[II, p. 414] [De sains Hubers] Item, nos vos avons mys en delation de parleir de sains Hubers, l'evesque de Liege, de chu qu'ilh faisoit en son paiis, de l’an del incarnation VIIc jusqu'à l'an VIIc et IIII où nos astons ;

[II, p. 414] [Saint Hubert] Nous avons tardé à vous parler de saint Hubert, l'évêque de Liège, à vous raconter ce qu'il fit dans son diocèse de l'an 700 à l'an 704 de l'incarnation, où nous sommes maintenant arrivés.

[Sains Hubers ramenat sains Thiart à Treit] si vos dis que sour l'an VIIc sains Hubers chevalchat à grant gens en la dyocese de Warmaise, à la capelle où [II, p. 415] sains Thyars, l'evesque de Tongre, gisoit et avoit esteit murdris ; et par le revelation de Dieu ilh l'ostat et le ramenat à Treit, jasoiche que ons trouve qu'ilh avoit esteit aporteit à Treit par sains Lambers ; et tout voie sains Hubers le fist metre en une nef, et ameneir de Treit à Liege mult noblement.

 [Saint Hubert ramena saint Théodard à Maastricht] Je vous dirai donc qu'en l'an 700, saint Hubert chevaucha en grande compagnie dans le diocèse de Worms, jusqu'à la chapelle où [II, p. 415] reposait saint Théodard, l'évêque de Tongres, qui y avait été assassiné. Répondant à une révélation divine, saint Hubert reprit sa dépouille et la ramena à Maastricht. On trouve toutefois (dans certains textes) qu'elle avait déjà été amenée à Maastricht par saint Lambert. Quoi qu'il en soit, saint Hubert la fit transporter à Liège par bateau avec de grands honneurs.

[De fietre sains Lambers] Sains Hubers à cel temps estoit, par marchans de Venise, biens proveus de nobles pieres precieuses, et fist faire unc noble fietre d'or et d'argent mult bien ovreit, où ilh fut mis dedens le fietre de bois où sains Lambers estoit enclouses ; et chis fut mis tout emmy le fietre d'or et d'argent et de pires precieuses, et puis à une dez corons fut une fitreal de bois mis, où les osseals de corps sains Tbyart estoient enclouses.

[La  châsse de saint Lambert] À cette époque saint Hubert disposait, grâce à des marchands de Venise, de riches pierres précieuses. Il fit faire une châsse d'or et d'argent, remarquable, très bien travaillée, dans laquelle on déposa le cercueil de bois contenant la dépouille de saint Lambert. Il était placé dans la châsse d'or et d'argent avec les pierres précieuses et, sur un des côtés, une petite châsse de bois, où étaient enfermés les ossements de saint Théodard.

[De la nouriche sains Lambers] Et le corps sainte Maldabert, qui gisoit à Malboge, qui fut la nuriche de sains Lambers, fist sains Hubers ameneir à Liege awec son fitreal de bois où elle gisoit, et fut poseis en fietre deseurdit qui estoit tou plains de rubis, d'esmerades et de gros saphires et de grenats qui estoient mult riches, et fut puis decrosteis, enssi com vos oreis chi-apres. Chis noble fiestre fut puis decrosteis, por paiier les achates de Henauwe et de Bulhon, enssi com vos oreis chi-apres. Mains sachiés qu'ilh n'avoit, de Hongrie jusques à Bordeal, plus riche fieltre que chesti estoit, et avoit dedens trois corps sains, sens cheaux qui puis y furent mis, enssi com vos oreis.

[La nourrice de saint Lambert] Saint Hubert fit aussi amener à Liège le corps de sainte Madalberte, la nourrice de saint Lambert, qui se trouvait à Maubeuge dans une châsse de bois qui fut déposée dans la châsse mentionnée ci-dessus, toute pleine de rubis, d'émeraudes, de gros saphirs et de grenats très riches. Plus tard, cette châsse fut dépouillée de sa parure, comme vous l'apprendrez ci-après (cfr IV, p. 84, p. 263, p. 289), pour payer l'achat du Hainaut et de Bouillon. Mais sachez que, de la Hongrie jusqu'à Bordeaux, aucune châsse n'était plus riche : elle contenait trois corps saints, sans compter ceux qui y furent mis ensuite, comme vous l'entendrez [Ref ?].

Sur la nourrice de saint Lambert, cfr supra  II, p. 309 et 328, et infra IV, p. 381 et V, 40. En ce qui concerne l'opération menée sur la châsse de saint Lambert, Bo note : « Cela signifie sans doute qu'on détacha de la châsse [...] les pierres précieuses dont elle était ornée, et cela pour en faire de l'argent. »

Ans 700 et 701 : Sur quelques endroits, à Liège et dans les environs, liés ou non à saint Hubert (Fura, oratoire d'Andaginum, Serinchamps, gibet de Liège et castel Sainte-Croix à Liège)

[II, p. 415] [Fura où sains Hubers fasoit penitanche] En cel an Vllc alat sains Hubers prechier la foid de Dieu parmy Ardenne, où ilh avoit esluit unc lieu qui seioit à XV liwe pres de Liege ‒ si le nommoit-ons Fura  ‒ où ilh aloit sovens faire penitanche et grandes abstinenches, enssi com uns heremite en uns heremitage.

[II, p. 415] [Fura, où saint Hubert faisait pénitence] En cette année 700, saint Hubert alla prêcher la foi de Dieu en Ardenne. Il avait choisi, à quinze lieues de Liège, un endroit ‒ on le nommait Fura (cfr II, p. 435) ‒ où il allait souvent faire pénitence et pratiquer de longues abstinences, comme un ermite dans un ermitage.

[Andagion l’orateur] Et à une liwe pres seioit uns orateur, où ilh demoroit XII clers mult proidhommes, qui devoltement servoient là Dieu, lequeile orateur Plectris, la femme Pipin le Gros, avoit fondeit, et nommoit-ons chi liwe Andagion. Et ches XII clers qui habitoient en cel orateur avoient ordre et habite de heremites, et ne poioient tenir rentes ni hiretaiges nuls, ains prioient leurs almoines por eaux à vivre.

[L'oratoire d'Andaginum] À une lieue de là se trouvait un oratoire, où vivaient douze clercs, des hommes très sages, qui servaient Dieu avec dévotion. Cet oratoire, fondé par Plectrude, l'épouse de Pépin le Gros, était appelé Andaginum. Les douze clercs qui l'habitaient appartenaient à l'ordre des ermites et portaient les habits de cet ordre. Ils ne pouvaient détenir ni rentes ni héritages, mais vivaient des aumônes qu'ils mendiaient.

Andaginum est l'ancien nom de l'abbaye de Saint-Hubert en Ardenne (cfr II, p. 429 et p. 435).

[Seroncamp où sains Hubers habitoit] Et à V liwes pres avoit une vilhete, qui estoit et est nommée Seronchamp : si y fondat une belle engliese.

[Serinchamps où habitait saint Hubert] Et à près de cinq lieues se trouvait un village qui était et est encore nommé Serinchamps : une belle église y fut fondée.

[De gibet de Liege] Item, l'an VIIc et I furent V hommes pris à Liege, qui estoient larons et murdreres, qui murdrissoient [II, p. 416] les gens en bois de Jupilhe ; si furent pris par le petis voweis de Liege ; si furent tous V traineis et mis desus V ruwes. Adont fut fais en thier de Publemont unc gibet, en propre lieu où Dodo d'Avroit fist son assemblée de ses amis quant ilh murdrit sains Lambers, et en cel propre lieu al année apres Dodo et ses amis ilh enragont ; et apres endit lieu fut fais ly grant alteit de l'engliese Sains-Lorent, entre les dois estaches de gibet.

[Le gibet de Liège] En l'an 701, à Liège, cinq hommes, voleurs et meurtriers, qui tuaient [II, p. 416] les gens dans le bois de Jupille, furent arrêtés par le petit avoué de Liège. Tous les cinq furent traînés sur le sol et placés sur cinq roues. Alors on construisit sur le thiers de Publémont un gibet, à l'endroit exact où Dodon d'Avroy avait rassemblé ses amis, lors du meurtre de saint Lambert. C'était aussi l'endroit précis, où Dodon et ses amis devinrent enragés l'année suivante (cfr II, p. 375). Plus tard, on construisit là le grand autel de l'église Saint-Laurent, entre les deux poteaux du gibet.

[De castel Sainte Croix à Liege] En cel an fondat li conte Plandris de Osterne, qui estoit hauls voweis de Liege, del congiet et volenteit sains Hubers, unc bel castel et fort al entrée de bois de Publemont, à unc bonir pres de l'engliese Sains-Pire, qui seioit adont fours des mures de la citeit de Liege, sicom dit est, et le nommat le castel le Voweit ou le castel de Bois ; mains apres li evesque Nogier en fist une engliese del Sainte-Crois, enssi com vos oreis chi-apres.

[Le château Sainte-Croix à Liège] Cette année-là, le comte Plandris d'Osterne, qui était haut avoué de Liège, fonda, avec l'accord et selon la volonté de saint Hubert, un beau château fortifié à l'entrée du bois de Publémont, à près d'un bonnier de l'église Saint-Pierre, qui se trouvait alors hors des murs de la cité de Liège, comme on l'a dit  ; on le nomma le château de l'Avoué ou le château de Bois ; mais après, l'évêque Notger en fit l'église de la Sainte-Croix, comme vous l'entendrez ci après.


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