Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, I, p. 457b-465a

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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Ce fichier contient deux parties :

Myreur, p. 457b-461a (Sous Néron [I] : Crimes de Néron - saint Paul - saint Clément - Aix-la-Chapelle - Conflits en Occident - Décès divers)

Myreur, p. 461b-465a (Sous Néron [II] : Christianisme en Germanie et en Grande-Bretagne - Conflits - Incendie de Rome)

 


 

 

Introduction générale aux deux parties

 

 

[sommaire] [texte]

 

Comme les sections qui vont suivre accordent une grand place à Néron et à sa femille, il importe de situer les personnages dans l'Histoire.

Agrippine la Jeune est, après Drusilla et Livilla, la cadette des trois soeurs de Caligula, l'empereur qui régna de 37 à 41 de notre ère et dont il a été question plus haut (p. 438-441). Agrippine, descendante directe d'Auguste, jouit d' un prestige dynastique considérable. En 28 de notre ère, Tibère la marie très jeune (à 13 ou 14 ans) à Domitius Ahenobarbus dont elle aura un enfant quelque neuf ans plus tard. C'est Néron. Elle n'en aura pas d'autre. Devenue veuve, Agrippine se remarie avec un homme immensément riche ‒ peu importe ici son nom ‒ qui meurt en laissant un héritage colossal à son beau-fils Néron. Des rumeurs accusent Agrippine d'avoir empoisonné son mari, mais les rumeurs de ce genre circulent facilement à l'époque des Julio-Claudiens, on le verra plus loin encore.

Quoi qu'il en soit, Agrippine est un très beau parti. À la mort de Messaline en 48 de notre ère, Agrippine, perçue comme le seul parti du moment réellement digne de la maison impériale, devient en 49 l'épouse de Claude, qui avait eu de Messaline un fils, Britannicus, et une fille Octavie (p. 441-445).

Agrippine est une véritable « bête politique », ambitieuse et intrigante. Elle va tout faire pour mettre sur le trône impérial son propre fils Néron, au détriment de Britannicus, son beau-fils. Ainsi elle pousse Claude à adopter Néron, qui devient le propre fils de l'empereur et l'héritier en première ligne pour la succession au trône, puisqu'il est plus âgé que Britannicus. Pour intégrer davantage Néron dans la famille impériale, Agrippine lui fait épouser Octavie, la fille de Claude. Néron devient ainsi le fils et le gendre de l'empereur. Enfin Claude lui-même, qui représente pour Néron le dernier obstacle vers le pouvoir, meurt en 54 de notre ère, empoisonné, par Agrippine, peut-être avec la complicité de Néron, selon certaines de nos sources anciennes.

Successeur désigné, Néron est rapidement nommé empereur. Il n'a que 17 ans. Il régna, de 54 à 68 de notre ère, durant quatorze ans ans, exactement treize ans, sept mois et vingt-neuf jours, selon Jean d'Outremeuse, qui, comme on le sait, date les événements avec une précision  maniaque. Dans ce cas précis, il date la mort de Néron en l'an 69 de l'incarnation, et est très proche de la date historique (an 68 de notre ère).

L'empereur Néron eut successivement pour épouses Octavie, puis Poppée Sabine, puis Statilia Messalina. Les cinq premières années de son règne se passèrent fort bien, mais il n'en fut plus de même ensuite, au point que très longtemps, en Occident, Néron symbolisa « tout ce que la Rome antique a eu de plus monstrueux ». Cette position s'appuyait surtout « sur les textes de Suétone, fréquemment colporteur de ragots, et de Tacite, augmentés des attaques des auteurs chrétiens (Tertullien, repris par Eusèbe de Césarée et d'autres) ». On s'attardait à l'envi sur les aberrations sexuelles de l'empereur, les assassinats familiaux, l'incendie de Rome, les chrétiens persécutés, etc.

Le jugement de Jean d'Outremeuse correspond bien à l'image que le Moyen Âge se faisait de l'empereur : « si mauvais que jamais on ne vit homme pire que lui : voleur, meurtrier, déloyal, traître, débauché, avaricieux, cruel, homicide, destructeur de la Sainte-Église et incendiaire de son propre pays ». Pour un aperçu de la vision que le Moyen Âge se faisait généralement de Néron, les pages de A. Graf, Roma nella memoria e nelle immaginazioni del Medio Evo, I, Turin, 1882 (p. 262-284 dans la réimpression de 1923) restent, malgré leur ancienneté, d'un très grand intérêt.

Les historiens modernes toutefois sont plus nuancés que les historiens anciens et que les auteurs du Moyen Âge. Sans nier les côtés sombres de Néron et de son règne, ils tentent de corriger les excès des écrivains anciens (perversions sexuelles de l'empereur), de rejeter sur certains points la responsabilité impériale (incendie de Rome) et de placer dans un contexte plus large les faits reprochés (« persécution » des chrétiens). Ainsi, pour citer le cas de l'incendie de Rome, on en ignore encore aujourd'hui les causes exactes, mais  que Néron en ait été l'instigateur est fortement mis en doute. En outre, on met aujourd'hui à l'actif de l'empereur les progrès qu'il a introduits dans l'administration, les effets positifs de sa réforme monétaire, ses campagnes militaires victorieuses, sa politique favorable aux régions orientales de l'Empire, l'impulsion importante aussi qu'il a donnée aux évolutions artistiques en matière d'architecture et d'arts décoratifs (cfr par exemple Cl. Aziza, Néron : le mal-aimé de l'Histoire, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 2006, 128 p.)

Mais revenons aux notices de Jean d'Outremeuse, dans lesquelles, à son habitude, le chroniqueur mélange l'histoire (parfois déformée) et le roman. Quelques exemples.

En ce qui concerne sa première épouse (Octavie, fille de Messaline), Néron l'a bien répudiée et Suétone en tout cas (Néron, XXXV, 3-4) l'accuse effectivement de l'avoir fait mettre à mort (occidit). Mais contrairement à ce qu'écrit Jean (p. 458), Messaline, la mère d'Octavie, la célèbre débauchée, n'était pas l'épouse de Néron mais celle de Claude. L'erreur est grossière, mais il est probable que le chroniqueur liégeois (ou sa source) ait confondu ici la Statilia Messalina, la troisième épouse de Néron après Poppée (Suétone, Néron, XXXV, 1), avec la Valeria Messalina, qui épousa l'empereur Claude et à qui les sources anciennes ont fait une réputation plus que sulfureuse (cfr l'introduction aux p. 441-445).

Britannicus, le fils de Claude, a bien existé. De santé fragile, il est mort lors d'un banquet dans des conditions très particulières où les historiens anciens ont vu  ici encore un empoisonnement derrière lequel se cachait la main d'Agrippine et/ou de Néron (Suétone, Néron, XXXIII). Mais dans l'Histoire, Britannicus n'était pas le roi de Macédoine et n'avait pas de frère. Le tableau généalogique des Julio-Claudiens ne connaît aucun Granus. Le Granus du Myreur n'a donc pas été tué par Néron et il n'est pas non plus le fondateur d'Aix-la-Chapelle. Il est bien possible qu'il doive son existence à une fausse étymologie du nom latin de la ville (tantôt Aquisgrani, indéclinable ; tantôt Aquisgranum, gén. Aquisgrani). Jean aime les pseudo-étymologies. Il a en tout cas traité la question d'Aix-la-Chapelle dans la Geste de Liege (vers 2091-2105). Quoi qu'il en soit, les sources anciennes ne connaissent à Néron aucune soeur du nom de Colomnia. Quant aux rapports de Néron avec sa mère Agrippine, il semble presque sûr (historiquement parlant) qu'il l'ait assassinée, mais sur le plan sexuel, les Modernes ont le plus grand mal à se prononcer, car ce que les auteurs anciens ont raconté procède pour une grande part de rumeurs. Mais cette question sera examinée plus loin (p. 468-471).

Après les affaires de Rome, les guerres en Occident. Nous sommes sous le règne de Colongus, le neuvième roi de Tongres (p. 450-451), lorsqu'éclate un violent conflit à péripéties multiples entre les gens de Tongres (le roi Colongus et son fils Trémus) et les Flamands de Lille (le comte Clovis, puis son fils Julien). Les causes de la guerre, les exploits brillants réalisés par les belligérants sur le champ de bataille, l'intervention du duc de Gaule pour ramener la paix éphémère, la rupture de cette paix, l'invasion des Flandriens, la mort de Colongus, la victoire finale des Tongrois et l'accession au trône de Trémus, comme dixième roi de Tongres, tout cela appartient à la geste entièrement légendaire des treize rois de Tongres que le chroniqueur déroule au fil des pages du Myreur depuis la fondation de la ville et du royaume en 82 a.C.n. (comput du chroniqueur). C'est, semble-t-il, la première fois que les Flandriens interviennent d'une façon aussi circonstanciée. Jean en avait déjà fait état précédemment, mais d'une manière épisodique (par exemple p. 41, p. 129). La guerre reprendra entre eux dans les années suivantes (p. 466-468). ‒ À cette guerre, ses causes, son développement en plusieurs phases et sa conclusion définitive, la Geste de Liege consacre quelque 500 vers (vers 2106-2608) sous le titre général de La guerre de Flandre et de Tongre (titre de la laisse LXXVI). ‒ Un seul auteur moderne, à notre connaissance, s'est intéressé à l'histoire de la Flandre chez Jean d'Outremeuse : V. Fris, Les sources du « Myreur des histors » de Jean d'Outremeuse pour l'histoire de la Flandre, dans J. Brassinne et L. Renard-Grenson, [e.a.], Annales du XXIe Congrès de la Fédération archéologique et historique de Belgique (Liège, 31 juillet - 5 août 1909), t. 2, Liège, 1909, p. 165-175. Il ne s'est toutefois occupé que de la période allant de la fin du XIVe au début du XVe siècle.

D'autres guerres en Occident sont signalées. D'abord entre les Hongrois et les Danois (du roi Ogens) pour une femme Éd(e)a, fille du roi de Hongrie, qui réussit à ramener la paix entre les belligérants ; ensuite entre les Gaulois et les Romains, pour une question récurrente dans les rapports entre les deux peuples, celle du tribut. Il est douteux que l'intervention des Gaulois placée sous Néron par  notre chroniqueur conserve le souvenir d'une réalité historique. Le Myreur signale aussi la puissance des Gaulois qui conquièrent la Bourgogne.

En ce qui concerne l'histoire de l'église, sont à signaler l'arrivée de saint Paul à Rome et un récit très éloigné de celui des Actes des Apôtres (XXV-XXVIII). Si on comprend bien le chroniqueur, le nouveau procurateur de Judée, Porcius Festus aurait envoyé saint Paul à Rome chez l'empereur, qui aurait également convoqué le procurateur, probablement pour entendre sa version. Et comme ce dernier ne se serait pas présenté, saint Paul aurait été relâché. Si c'est bien ce que Jean veut dire, cette procédure n'a aucun sens dans les réalités romaines. Quant à Clément, déjà cité (p. 452) dans la longue liste des disciples envoyés en mission par  saint Pierre  (p. 451-454),  il n'avait pas été présenté (p. 452) comme le fondateur à Metz d'une église en l'honneur de saint Pierre, mais ses liens de parenté avaient été précisés : il était « Clément patruus, c'est-à-dire le frère du père de saint Clément, qui fut plus tard le pape de Rome ».

Le chroniqueur fait aussi une allusion très rapide à la mort de Marc l'évangéliste à Alexandrie et une autre, un peu plus longue, à celle de saint Jacques le Mineur, martyrisé par les Juifs à Jérusalem (source probable : Jacques de Voragine, Légende dorée, ch. 63, sur Saint Jacques, apôtre, p. 356-357, éd. A. Boureau, dont on lira la présentation et les notes). Jean d'Outremeuse mentionne aussi les premiers succès de foule rencontrés par les missionnaires, grâce à leurs prédications, voire leurs miracles : en Grande-Bretagne avec saint Luc, en Germanie avec Euchaire, Valère et Materne. Sur ce trio de missionnaires, on pourra voir notre étude détaillée parue dans le fascicule 37 (janvier-juin 2019) des Folia Electronica Classica (FEC) et intitulée  Autour du Materne de Jean d'Outremeuse.

 


 

sous néron (I) : Crimes de néron - saint paul - saint clément - Aix-la-Chapelle - conflits en occident - décès divers [Myreur, p. 457b-461a]

 Ans 56-64

 

Sommaire

* Les débuts de Néron empereur et divers : Néron succède à son beau-père Claude après l'avoir empoisonné - Néron, empereur sanguinaire et débauché, tue son beau-frère Granus, fondateur d'Aix-la-Chapelle, sa soeur Colomnia, son épouse Octavie, couche avec sa mère Agrippine, etc... - Saint Paul et saint Luc à Rome, saint Clément à Metz (56-60)

* Guerres en Europe : Conflits entre Flamands et Tongrois - Hongrois contre Danois et rôle conciliateur d'Édéa, fille du roi de Hongrie - Tongres et la Flandre font la paix grâce au duc de Gaule (61)

* Divers : Morts de saint Jacques le Mineur, de saint Marc l'Évangéliste, du poète Perse - Gaulois et Romains sous Néron (62-63)

 

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Les débuts de Néron empereur et divers : Néron succède à son beau-père Claude après l'avoir empoisonné - Néron, empereur sanguinaire et débauché, tue son beau-frère Granus, fondateur d'Aix-la-Chapelle, sa soeur Colomnia, son épouse Octavie, couche avec sa mère Agrippine, etc... - Saint Paul et saint Luc à Rome, saint Clément à Metz (56-60)

 

[p. 457] [L’an LVI - Claudius resignat l’empire à Nero, son filhast, et en privat ses drois fis] Sour l'an del incarnation LVI, le derain jour de marche, avient que Claudius, l'emperere de Romme, qui tousjours astoit enorteis de sa maule femme Agrippina à chu que à son visquant ilh fesist Nero, qui avoit sa filhe, emperere de Romme, et li resignast le droit del empire à present et advenir à prendre et à avoir apres sa vie. Et tant finablement elle le demynat qu'ilh l'otriat, ses dois fis legittimes que ilh avoit de une altre femme, assavoir Bruthanich et Granus, deshiretant et privant de leur droit paternel, et cheluy concedant et donnant à son genre, qui avoit sa filhe à espeuse.

[p. 457] [An 56 - Claude donne l’empire à son beau-fils Néron et en prive ses vrais fils] Depuis toujours Agrippine, la mauvaise épouse de Claude, harcelait son mari pour que, de son vivant, il désigne Néron, l'époux de sa fille, comme empereur de Rome, et lui assure le droit à l'empire, dès à présent et après sa mort. Elle le harcela tellement que finalement, en l'an 56 de l'Incarnation, le dernier jour de mars, Claude lui accorda ce qu'elle demandait. Il déshérita et priva de leurs droits ses deux fils légitimes, nés d'une autre femme, à savoir Britannicus et Granus. Il concéda et donna ces droits à son gendre, qui avait épousé sa fille (Octavie).

[Nero enpoisionat Claudius qui li avoit fait tant d’honeur] Et quant ilh oit chu fait, Neron s'avisat et dest que Claudius visquoit trop ; si l'enpusonat le secon jour de mois de junne, si qu'ilh morit ; et les aultres dient que chu fut sa femme meismes qui le fist.

[Néron empoisonne Claude qui lui avait fait un tel honneur] Quand cela fut accompli, Néron jugea que Claude vivait trop longtemps. Il l'empoisonna le 2 juin, et Claude mourut. D'autres (auteurs) disent qu'il fut empoisonné par sa femme elle-même.

[Nero soy fist coroneir] Quant Nero l'oit ochis, si soy fist coroneir, et regnat XIII ans et VII mois et XXIX jours. Et Granus, le frere de sa femme, qui astoit roy d'Austrie, en alat en sa terre, et Bretanich alat en le royalme de Machidoine qui astoit sien.

[Néron se fait couronner] Après avoir tué Claude, Néron se fit couronner et régna treize ans, sept mois et vingt-neuf jours. Granus, le frère de sa femme, qui était roi d'Autriche, retourna dans son pays, et Britannicus s'en alla au royaume de Macédoine, qui lui appartenait.

[p. 457] [L’an LVII - Ays la citeit] Item, l'an LVII, chevalchat Granus vers Ostriche son paiis, se passat en la plaiche où Aise siiet. Si trovat des chaides aighes qui coroient là, si fondat une citeit et l'apellat Aquisgrani, por les aighes qui là astoient chaides ; et [p. 458] ons le nom maintenant Ays le Grain, car Granus le fondat. Mains ilh n'estoit mie encor parfaite, quant les messagiers Nero l'emperere vinrent à ly et ly dessent que Nero, son seroige, le mandoit pour grant amour et por son bien.

[p. 457] [An 57 - La ville d'Aix] En l'an 57, Granus chevaucha vers l'Autriche, son pays, en passant par l'endroit où se situe Aix (p. 294). Il trouva les sources d'eaux chaudes qui coulaient à cet endroit, et fonda une ville qu'il appela Aquisgrani, à cause des eaux chaudes qui s'y trouvaient. [p. 458] On l'appelle maintenant Aix-le-Grain, car elle fut fondée par Granus. Mais elle n'était pas encore achevée à l'arrivée des messagers de l'empereur Néron, son beau-frère, qui lui dirent que Néron le convoquait, pour l'amour de lui et pour son bien.

[Nero fist ochire Granus son seroge] Et chis y alat, et Nero li fist grant fieste II jours, et à IIIe ilh commandat à Gapoza, unc sien servan, que ilh ochist Granus. Et chis l'ochist par nuit, en dormant ; et quant Gapoza oit chu fait, Nero le fist pendre à une arbre, portant que ilh ne voloit mie que ilh le racusast.

[Néron fait tuer Granus son beau-frère] Granus s'y rendit. Néron lui fit grande fête durant deux jours et, le troisième, ordonna à Gapoza, un de ses serviteurs, de le tuer. Ce fut fait la nuit, quand Granus dormait. Après cela, Néron fit pendre Gapoza à un arbre, ne voulant pas que son crime soit dénoncé.

[Nero ochist sa soreur - Des malvaisteis Nero] En cel an meismes ochist Nero sa soreur Colompnia. Chis Nero fut tant malvais que onques ne fuit pieur hons : car ilh fut leires, murdrers, faux, trahitres, luxurieux, avaricieux, crueux, homicide, destruceurs de Sainte-Engliese et ardeur de son paiis meismes, et plus de mauls que ons ne poroit dire avoit en luy, enssi com vos oreis chi apres.

[Néron tue sa soeur - Les méfaits de Néron] Cette même année, Néron fit mourir sa soeur Colomnia. Ce Néron fut si mauvais que jamais on ne vit homme pire que lui : voleur, meurtrier, déloyal, traître, débauché, avaricieux, cruel, homicide, destructeur de la Sainte-Église et incendiaire de son propre pays. Il y avait en lui plus de perversité qu'on ne pourrait le dire, comme vous l'entendrez ci-après.

[De Ays] Cel citeit de Ays que Granus fondat fut puis destruite par les Hoinx, et fut apres réedifiiet et refait depart Charle le Gran, qui fuit roy de Franche et d'Allemangne, et est encor Ays en Allemangne.

[Aix] Cette cité d'Aix, fondée par Granus, fut ensuite détruite par les Huns (Myreur, II, p. 114). Elle fut par après réédifiée et reconstruite par Charlemagne (Myreur, III, p. 10), roi de France et d'Allemagne. C'est Aix (= Aix-la-Chapelle) en Allemagne.

[L’an LVIII - Sains Poul fut mis fours de prison] Sour l'an LVIII, fut mis sains Poul fours de prison, et se l'envoiat Felix, li prevost de Judée, à Romme devant l'emperere, où ilh avoit le prevost appelleit. Adont ly tient compangnie sains Luch ly ewangeliste, mains ly prevoste ne vient point à la journée ; si fut portant sains Poul quitte, et là ilh s'acompangnat à Saint-Pire le pape.

[An 58 - Saint Paul sort de prison] En l'an 58, saint Paul fut libéré de sa prison. Félix, le prévôt de Judée, l'envoya à Rome devant l'empereur, qui avait cité également le prévôt à comparaître. Saint Luc l'évangéliste lui tint compagnie, mais le prévôt ne vint pas au rendez-vous. De ce fait, saint Paul fut acquitté et devint le compagnon du pape saint Pierre.

[p. 458] [L’an LIX - Nero ochist sa promier femme - Nero dormoit awec sa mere] Item, l'an LIX, ochist Nero sa promier femme, qui astoit la filhe Claudius l'emperere ja dit. Se reprist deleis luy à sourjante le mere de sa femme deseurdit, qui tant fut luxurieux et plus que nule aultre ; et porsuoit les bordeals vestie altres draps que les siens. Et quant Nero le soit, se l'ochist ; et prist sa propre mere qui le portat, et gisoit awec lée ; car ch'astoit une des belles dammes de Romme.

[p. 458] [An 59 - Néron tue sa première femme - Néron couche avec sa mère] L'an 59, Néron tua sa première épouse, fille de l'empereur Claude, comme on l'a dit. Il reprit comme concubine la mère de sa femme, [c'est-à-dire Messaline] citée plus haut (p. 457), femme plus débauchée que nulle autre : elle courait les bordels, habillée d'autres vêtements que les siens. Quand Néron le sut, il la tua. Il prit sa propre mère, qui le porta et coucha avec elle : c'était une des plus belles dames de Rome.

[L’an LX - De sains Clemens - Nero ochist XVII senateurs] Item, l'an LX, fondat Clemens, l'evesque de Mes, une engliese en l'honeur de Sains-Pire. En cel an meismes fist l'emperere Nero ochire XVII des plus grans senateurs de Romme sens cause.

[An 60 - Saint Clément - Néron tue dix-sept sénateurs] En l'an 60, Clément, l'évêque de Metz, fonda une église en l'honneur de saint Pierre. Cette année-là, l'empereur Néron fit périr, sans raison, dix-sept des plus grands sénateurs de Rome.

 

Guerres en Europe : Conflits entre Flamands et Tongrois - Hongrois contre Danois et rôle conciliateur d'Édéa, fille du roi de Hongrie - Tongres et la Flandre font la paix grâce au duc de Gaule (61)

 

[p. 458] [Chu commenchat guere entre Flamens et Tongrois] Item, l'an LXI, en mois de marche, le XVIIIe jour vinrent à hosteit à Tongre Guduain, ly conystauble de Flandre, et Ywain, le maistre chamberlain ledit conte, et X aultres Flamens awec eaux, qui alloient en Hongrie ; si passarent [p. 459] à Tongre, et hostelont là jusqu'à lendemain. Mais alcunne contreversion s'en muit - ne sçay par queile cause vient - entre eaux al encontre de trois chevaliers de Tongre, et tant qu'ilh ochisent les trois chevaliers de Tongre ; si furent tantoist prist. Et quant ly roy le soit, se les fist tous XII decolleir. Et quant ly conte de Flandre le soit, si at jureit que jamais ne mangerat de pain en citeit ne en vilhes, foursque en tentes et en treis, se serat li fais vengiet et vendut sy chier qu'ilh aparurat.

[p. 458] [Raison d'une guerre entre Flamands et Tongrois] En l'an 61, le 18 mars s'arrêtèrent à Tongres, Guduain, le connétable de Flandre, et Ywain, son maître chambellan, accompagnés de dix autres Flamands, qui tous allaient en Hongrie. De passage [p. 459] à Tongres, ils y restèrent jusqu'au lendemain. Mais une controverse, dont j'ignore la cause, s'éleva entre eux et trois chevaliers de Tongres. Ils tuèrent ces trois chevaliers et furent aussitôt arrêtés. Quand le roi de Tongres l'apprit, il fit décapiter les douze Flamands. Lorsque le comte de Flandre en fut informé, il jura de ne plus manger de pain dans une cité ou une ville, mais seulement sous tente et en campagne, tant que cet acte ne serait pas vengé et payé à un prix très élevé à faire peur.

Fortement fut corochiés li conte flamens Clovis, si est venus à XLm hommes d'armes en la royalme de Tongre unc jour ardre, et puis s'en ralat en Flandre, et puis est revenus. Quant ly roy Colongus le soit, si at assembleis ses hommes et les corut sus, et mult noblement sorcorit son paiis, droit en mois de septembre ; ly Flammens y ont grant gens perdut, et encor, se la nuit ne fuist venue, ilhs fuissent tous mors. Qui là veist Tongrois et maiement le roy Colongus et Tremus, son fis, eaux defendre encontre les Flammens et decoupeir ches tiestes, ches bras, et de jetteir à terre l'unc mors sour l'autre, ilh posist dire : « Chevaliers sont eslus. » Ilh trenchat al conte Clovis le neis et l'abatit à terre, mains ilh fut remonteis. Tremus fut mult poissans, et dient les Flammens que ch'astoit ly fleur de monde ; se le dobtoient mult.

Le comte flamand Clovis fut très courroucé et arriva un jour avec quarante mille hommes armés pour incendier le royaume de Tongres, puis il retourna en Flandre pour revenir ensuite. Quand le roi Colongus l'apprit, il rassembla ses hommes et fonça, se portant avec noblesse au secours de son pays, exactement en septembre. Les Flamands subirent beaucoup de pertes et, sans la tombée de la nuit, ils seraient tous morts. Qui aurait vu là les Tongrois et en particulier le roi Colongus et son fils Trémus se défendre contre les Flamands, couper des têtes, des bras et jeter à terre des morts l'un sur l'autre, aurait pu dire : « Ce sont des chevaliers d'élite. » (Colongus) trancha le nez du comte Clovis et le terrassa mais celui-ci fut remis en selle. Trémus se montra très fort, et les Flamands le dirent la fleur du monde : ils en avaient très peur.

[p. 459] Ilh y furent mors Sanaris ly castelain de Lisle, Haar ly sire de Cuchy, cuy ly roy Colongus ochist. Mains ilh fut luy-meismes fortement navreis et abatus, et pris par XX Flammens ; et se l'emynoit-ons loiiet, quant Tremus les encontrat ; si en ochist XVI et rescoiit son peire, se le livrat à Thyri de Roy, se le fist reconduire à Tongre, car ilh astoit tant plaielet que plus ne poioit sens morir.

[p. 459] Dans cette bataille moururent Sanaris, le châtelain de Lille, Haar, le seigneur de Coucy, tués par le roi Colongus. Ce dernier fut lui-même grièvement blessé : abattu et capturé par vingt Flamands, il était emmené, enchaîné, quand Trémus les rencontra ; il tua seize Flamands, délivra son père et chargea Thyri de Roy de le reconduire à Tongres, si couvert de plaies qu'une de plus, c'était la mort.

[Tongrois desconfirent Flammens] Puis entrat Tremus en l'estour, si at ochis Ermelay le neveur le conte de Flandre, Guychar le prinche Vaucleir, et Gadus son frere, et mult d'aultres que je ne say nommeir. Adont soy misent Flammens al fuir com desconfis.

[Les Tongrois défont les Flamands] Ensuite, Trémus entra dans la mêlée, tua Ermelay, le neveu du comte de Flandre, Guichar, le prince de Vaucleir, Gadus, son frère, et bien d'autres que je ne sais nommer. Alors les Flamands prirent la fuite, comme des vaincus.

[p. 459] [L’an LXI - Guerre entre Hongrois et Danois] En cel an meismes LXI s'en muit une grant gerre entre le roy Eneas de Hongrie et le roy Ogens de Dannemarche l'onc contre l'autre, por le raison que ly roy Ogens voloit avoir à femme Eda, la filhe le roy de Hongrie, et Eneas, ly roy de Hongrie, ne li voloit mie donneir ; ains le voloit donneir à uns valhans hons qui fuit nommeis Sadora, qui astoit conte de Pannonie, car la filhe l'amoit. Si avint qu'ilhs orent batalhes ensemble, en mois de junne l'an deseurdit. [p. 460] Si fut ly roy hongrois desconfis et pris, et Xm hommes mors de ses gens. Et là fut mors Sadora, qui voloit avoir la dammoisel ; si l'ochist ly roy Ogens de sa main propre, et fut fendus jusqu'en la potrine. De chi gran coup soy mervelharent grandement les chevaliers qui là furent et tous ly peuple qui là astoit, car ilhs n'avoient oncques oyut parleir de si gran, de temps devant.

[p. 459] [An 61 - Guerre entre Hongrois et Danois] En cette même année 61 éclata une guerre importante qui opposa le roi Énéas de Hongrie au roi Ogens de Danemark, pour la raison suivante. Ogens voulait épouser Édéa, la fille du roi de Hongrie, et Énéas, le roi de Hongrie, ne voulait pas la lui donner. Il la réservait à un homme valeureux, nommé Sadora, comte de Pannonie et aimé de sa fille. Ogens et Enéas s'affrontèrent dans une bataille en juin de l'année en question. [p. 460] Le roi hongrois fut vaincu et capturé ; dix mille de ses hommes moururent. Dans ce combat mourut aussi Sadora, le prétendant de la demoiselle. Ogens le tua de sa propre main : il le fendit jusqu'à la poitrine. Pareil coup étonna grandement les chevaliers présents et tous ceux qui y assistèrent ; jamais auparavant ils n'avaient entendu parler d'un si grand exploit.

[Edea gentilh femme] Atant fut mis li roy hongrois en prison ; mains dedens chesti terme vient en Danemarche Edea, la filhe le roy de Hongrie, et se soy presentat al roy Ogens en disant : « Gentis roy, je toy prie merchis que tu welhes mettre mon pere fours de prison, et l'en lais raleir en sa terre, et je demoray chi awec toy por ly, et se seray del tout à ton commandement. » Quant ly roy entendit la damoiselle, se li dest : « Belle, voleis-moy avoir à marit, et je vos feray royne de Dannemarche et en lairay vostre peire raleir quitte et lige en Hongerie ? » Respondit la dammoiselle : « Je moy accorde à vos. » Adont fut ly roy mis fours de prison et amyneis en palais, et fut là fais ly accors que ly roy Ogens oit la damoiselle à femme. Parmy chu fut bonne pais entre eaux dedont en avant, et s'en ralat ly roy de Hongrie en son paiis à sa volenteit.

[Noblesse d'Édéa] Le roi hongrois fut mis en prison ; mais alors Édéa, la fille du roi de Hongrie, se rendit au Danemark et se présenta au roi Ogens en disant : « Gentil roi, je te demande en grâce de bien vouloir libérer mon père de prison, et le laisser rentrer dans son pays. Pour le libérer, je resterai ici avec toi et je serai entièrement à tes ordres. » Quand le roi entendit la demoiselle, il lui dit : « Belle, voulez-vous me prendre pour mari ? je ferai alors de vous la reine de Danemark et je laisserai votre père retourner en Hongrie libre et lige. » La demoiselle répondit : « Je suis d'accord. » Alors le roi fut libéré de prison et amené au palais, où fut conclu un accord spécifiant que le roi Ogens épouserait la demoiselle. Suite à cela, une paix bienfaisante fut dorénavant établie entre eux et le roi de Hongrie rentra dans son pays quand il le voulut.

[p. 460] [Tremus et Jupilla ardirent Flandre] En cel an meismes, en mois de jenvier, vient Jupilla, le conte de Cologne, que Tremus, son neveur, avoit mandeit à grant gens d'armes. Si entrarent en Flandre à feu et à flamme, Tremus à unc de costeis et Jupilla à l'autre ; et destruirent grandement le paiis. Et ly conte assemblat ses gens, et vient contre eaux à grant forche ; mains pou ly valut, car ilh fut desconfis et ses gens ochises jusqu'à IXm hommes. Et s'enfuit ly conte Clovis à Lutesse en Galle, et priat al duc qu'ilh ly vosist aidier contre le filh le roy de Tongre.

[p. 460] [Trémus et Jupilla incendient la Flandre] Cette même année, au mois de janvier, Jupilla, comte de Cologne, à la demande de son neveu Trémus (de Tongres), arriva, avec de nombreux hommes armés. Trémus d'un côté et Jupilla de l'autre répandirent feu et flamme dans le pays, qui fut sévèrement dévasté. Le comte Clovis (de Flandre) rassembla ses hommes et affronta l'ennemi avec des forces considérables. Mais sans guère de succès : vaincu, il perdit neuf mille hommes. Il s'enfuit alors à Lutèce et demanda l'aide du duc de Gaule, contre le fils du roi de Tongres.

Quant ly duc de Galle entendit chu, se li respondit que ja ne ly aideroit, car ilh avoit le tort quant ilh avoit teile guerre commenchiet, por XII mourdreurs dont ilh avoit faite justiche ; mains, s'ilh voloit, ilh en feroit la paix. Et Clovis respondit : « Je le desier grandement. » Adont cevalchat ly duc de Galle vers Flandre, et vient à Tenremonde ; là ly dest Frongnars que Tremus astoit devant awec son oust, et ly duc y chevalchat ; si at trovet Tremus à cuy Ysonars li sire de Beri, fis al prinche, la venue le duc ly nunchat ; si que Tremus alat encontre awec luy de ses [p. 461] prinches : Arnars, Sanaris, Jacob et son fis Symonar, et honorat mult le duc.

Quand le duc de Gaule l'entendit, il répondit qu'il ne l'aiderait pas, car il avait eu tort de faire cette guerre à cause de douze meurtriers, pour lesquels il avait fait justice. Par contre, si Clovis le voulait, il ramènerait la paix. Clovis répondit : « Je le désire beaucoup. » Alors le duc de Gaule chevaucha vers la Flandre jusqu'à Termonde, où Frongnars lui apprit que Trémus était en face avec son armée ; il trouva Trémus, averti de l'arrivée du duc par Ysonars, seigneur de Béry et fils du prince. Trémus escorté de certains de ses princes [p. 461] - Anars, Sanaris, Jacob et son fils Simonar - , alla à la rencontre du duc et lui manifesta beaucoup de respect.

Ly dus ly dest : « Tremus, beais fis, li conte de Flandre est foux qui prent gerre à vos ; mains, beais sires, je vieng faire le paix, je vos prie que vos raleis en vostre paiis et moy donneis la gerre ; si soit paix entre vos, et qui le briserat se soit serf à son compangnon. » Quant Tremus l'entendit, se li plaisit bien, et fut fait la paix.

Le duc lui dit : « Trémus, beau fils, le comte de Flandre est fou de vous faire la guerre ; mais moi, beau sire, je viens faire la paix. Je vous demande de rejoindre votre pays et de me confier le soin de la guerre. Que la paix règne entre vous, et celui qui la rompra sera soumis à son compagnon. » Entendant cela, Trémus fut satisfait et la paix fut conclue.

 

Divers : Morts de saint Jacques le Mineur, de saint Marc l'évangéliste, du poète Perse - Gaulois et Romains sous Néron (62-63)

 

[p. 461] [L’an LXII - De sains Jaque l’aposte, le petit - La mort sains Jaque] Item, l'an LXII, le promier jour de mois de may, fisent les Juys de Jherusalem monteir sains Jaque le Peti, leur evesque, par-desus le pingnon de temple de Salmon, por prechier et anunchier les parolles de Dieu. Mains enssi com ilh prechoit diligemment, les faux Juys qui l'avoient là fais monteir le butarent jus de pingnon de temple, et chaiit jusqu'à terre, et là fut-ilh martirisiés et ochis des malvais Juys, et là ensevelis. Si en fait Sainte-Engliese sa fieste le premier jour de may tous les ans, awec sains Philippe l'apostle.

[p. 461] [An 62 - Saint Jacques le Mineur, apôtre - Mort de saint Jacques] En l'an 62, le premier jour du mois de mai, les Juifs de Jérusalem firent monter saint Jacques le Mineur, leur évêque, sur le pinacle du temple de Salomon, pour prêcher et annoncer les paroles de Dieu. Mais pendant qu'il prêchait avec zèle, les Juifs perfides qui l'avaient fait monter le jetèrent en bas du pinacle. Il tomba à terre, où il fut martyrisé et tué par les Juifs pervers. Il fut enseveli à cet endroit. La Sainte-Église célèbre sa fête le premier jour de mai, tous les ans, avec celle de l'apôtre saint Philippe.

[L’an LXIII - De Nero] Item, l'an LXIII, en mois de may, chaiit unc gran effoudre devant l'emperere Nero de Romme, en son palais où ilh seioit à tauble, mains ilh ne grevat onques à nulluy.

[An 63 - Néron] En mai de l'année 63, la foudre tomba violemment devant l'empereur de Rome, Néron, dans son palais, où il était installé à table, mais ce coup de foudre ne blessa personne.

En cel an meismes morut sains Marck ly ewangeliste ; si fut apres luy evesque d'Alixandre Anyanus XXII ans. En cel an morut Perses, li saige poetes.

Cette même année mourut saint Marc l'évangéliste. Après lui, Anyanus fut évêque d'Alexandrie durant vingt-deux ans. Et cette année-là aussi mourut Perse le sage poète.

[p. 461] [Les Galliens furent deporteis longtemps de leurs tregut] Item, en cel an, furent rebelles les Galliciens del payer leur tregut aux Romans. Quant l'emperere Nero veit chu, se le plaindit à ses gens ; mains ilh astoit si haiis de ses hommes, que les Romans amarent mies que les Galliens fussent quittes de leur tregut, que ilhs aidassent leur emperere. Et enssi demorarent en pais les Galliens jusques al temps Constant Cesar - qui fut li fis l'emperere Constantin le Grant, qui donnat Romme à pape et à Sainte-Engliese - par le defaute des Romans qui, por le hayme qu'ilh avoient à leur saingnour, lassarent enssi defalqueir leurs droitures en ches parties de Galle.

[p. 461] [Les Gaulois se dispensèrent longtemps de payer leur tribut] Cette année-là, les Gaulois refusèrent de payer le tribut aux Romains. Quand l'empereur Néron apprit cela, il s'en plaignit auprès de ses gens ; mais les Romains le haïssaient tellement qu'ils préférèrent exempter les Gaulois de leur tribut plutôt que d'aider leur empereur. Ainsi ce peuple resta en paix jusqu'à l'époque de Constant César, le fils de Constantin le Grand, celui qui fit le don de Rome au pape et à la Sainte-Église. Cet état de chose était dû à l'absence de réaction des Romains, qui abandonnèrent ainsi leurs droits sur ces parties de la Gaule, à cause de la haine qu'ils éprouvaient envers leur seigneur.

[Ches de Galle misent pluseurs paiis en leur subjection] Adont montarent les Galliiens en si grant orguelh, portant que ons les laissoit enssi en paix, qu'ilhs ne lassarent prinches entour eaux à guerrier, et misent pluseurs paiis en leurs subjection ; car ilhs astoient si fors et si virtueux, que nuls n'avoit poioir à eaux ; mains puis furent remis en servaige, enssi com vos oreis chi-apres.

[Les Gaulois mettent sous leur coupe de nombreux pays] Les Gaulois, parce qu'on les laissait ainsi en paix, atteignirent un tel degré d'orgueil qu'ils ne cessèrent de faire la guerre aux princes qui les entouraient. Ils soumirent de nombreux pays, car ils étaient si forts et si courageux que personne ne pouvait l'emporter sur eux. Mais par la suite, ils furent asservis, comme vous l'apprendrez ci-après.

 


 

sous néron (II) : christianisme en Germanie et en Grande-Bretagne - conflits - Incendie de Rome [Myreur, p. 461b-465a]

 Ans 64-65

 

Sommaire

* En Germanie et en Gaule : Euchaire, Valère et Maxime font des miracles et baptisent les foules à Trèves et aux alentours, tandis que la Gaule soumet la Bourgogne (64)

* En Grande-Bretagne : Saint Luc, en rendant miraculeusement vie à la reine, convertit tout le royaume - Précisions sur l'origine de la Grande- et de la Petite-Bretagne (64)

* En Flandre et à Tongres : Julien, comte de Flandre, rompt la paix avec Tongres (64-65) - Combat épique et meurtrier près de Tongres, remporté finalement par Trémus, qui devient le dixième roi de Tongres (65)

À Rome : Incendie de Rome par Néron (65)

 

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En Germanie et en Gaule : Euchaire, Valère et Maxime font des miracles et baptisent les foules à Trèves et aux alentours, tandis que la Gaule soumet la Bourgogne (64)

 

[p. 461] [De prechement sains Eucars, sains Valeir et sains Materne - Trive fut convertie] Item, en chi temps prechoient diligemment parmy Germanie le parolle de Dieu les trois sains proidhommes Euchars, Valeir et Materne ; et convertissoient mult grant peuple, car Dieu faisoit par eaux tant de [p. 462] myracles que chascon prendoit baptesme : car ilhs sanoient les lepreux, illumynoient les avoigles, et tant finablement qu'ilh ont convertie Trive et mult d'autres vilhes là entour par leurs predication. Et fut sains Euchars evesque, et Valeir dyaque, et Materne subdyaque ; car enssi les avoit ordineit sains Pire l'apostle qui astoit pape de Romme, et en fut ly promiers.

[p. 461] [Prédications des saints Euchaire, Valère et Materne - Conversion de Trèves] En ce temps-là, les trois saints hommes, Euchaire, Valère et Materne, prêchaient activement en Germanie. Ils convertissaient des populations nombreuses, car Dieu accomplissait tant de [p. 462] miracles par leur intermédiaire que chacun se faisait baptiser. Ils guérissaient les lépreux et rendaient la vue aux aveugles, si bien que finalement ils convertirent par leur prédication Trèves et beaucoup d'autres petits centres des environs. Saint Euchaire était évêque, Valère diacre et Materne sous-diacre. Ainsi en effet  avaient-ils été ordonnés par l'apôtre saint Pierre,  le premier pape de Rome.

[L’an LXIIII - Sains Euchar et ses II compangnons resuscitont unc mors] Item, l'an LXIIII, en mois de novembre, avient que une femme, qui astoit nommée Albaine, et astoit née de la citeit de Trive, s'en vient apres les III sains proidhommes deseurdis et les criat merchis, en disant qu'ilhs venissent faire resusciteir unc sien fis qui astoit mors subitement, et elle croieroit en la loy Jhesu-Crist. Adont vinrent là les trois sains proidhons, et ilhs depriarent Dieu que ilh por eaux vosist demonstreir myracle pardevant tout le peuple. Adont ly vraie Jhesu-Crist, qui oiit la priier des trois sains proidhons, fist là aparante myracle, car ilh fist resusciteir cheluy qui là gisoit com mors et sens espir.

[An 64 - Saint Euchaire et ses deux compagnons ressuscitent un mort] Au mois de novembre de l'an 64, il advint qu'une femme, appelée Albaine et née à Trèves, vint auprès des trois saints hommes et implora leur pitié. Elle leur demanda de venir rendre la vie à un de ses fils mort subitement, disant qu'elle croirait alors à la loi de Jésus-Christ. Les trois saints se rendirent sur place et prièrent Dieu qu'il veuille bien pour eux se manifester par un miracle devant toute l'assistance. Alors Jésus-Christ lui-même, ayant entendu la prière des trois hommes, fit un miracle spectaculaire : il ressuscita celui qui gisait là, comme mort et privé de souffle.

[Ilh baptisarent VIIm VIIIc et XLVI personnes] Por chesti myracle soy baptizarent et furent convertis à Dieu VIIm VIIIc et XLVI personnes, tant hommes et femmes com petis enfans. Et adont furent lesdis trois sains hommes tenus en plus grant auctoriteit com devant en toutes ches parties.

[Ils baptisèrent 7.846 personnes] Suite à ce miracle se firent baptiser et se convertirent à Dieu sept mille huit cent quarante-six personnes, hommes, femmes et jeunes enfants. Dès lors dans toutes ces régions, les trois saints en question eurent beaucoup plus d'autorité qu'avant.

A cel temps que je dis misent cheaux de Galle en leur subjection tout Burgongne.

À l'époque dont je parle, les habitants de Gaule soumirent à leurs lois toute la Bourgogne.

 

En Grande-Bretagne : Saint Luc, en rendant miraculeusement vie à la reine, convertit tout le royaume - Précisions sur l'origine de la Grande- et de la Petite-Bretagne (64)

 

[p. 462] [Sains Luch convertit mult de gens en Engleterre] En l'an deseurdit prechat sains Luch l'ewangeile et la parolle de Dieu en la Grant-Bretangne, que ons nom maintenant Engleterre, et y convertit mult de gens.

[p. 462] [Saint Luc convertit beaucoup de monde en Angleterre] En l'an précité (an 64), saint Luc prêcha l'évangile et la parole de Dieu en Grande-Bretagne, que l'on nomme maintenant Angleterre. Il y convertit un grand nombre de personnes.

Si avient que ly roy de chesti paiis commandat qu'ilh fust mys à mort, portant qu'ilh tournoit enssi ses gens à sa loy. Adont fut pris sains Luch et mys en prison ; mains ilh avient chesti jour que la royne de chi paiis chaiit à tauble mort subitement, par-deleis son marit le roy Morodab, dont ly roy fut mult corochiés, car ilh n'amoit tant riens que lée ; là astoit presens unc chevaliers qui avoit nom Jaspar, qui mult amoit sains Luch, et dest al roy que s'ilh voloit croire en Dieu et prendre baptesme, qu'ilh aiderat bien à chu que sa femme revenroit en sainteit, awec l'aide de Dieu en cuy ilh avoit grant fianche. Et quant ly roy entendit Jaspar, si en fut mult liies et dest : « Amis, je ne say chouse en monde que je ne dewisse faire, se je le poloie ravoir, sens riens excepteir, car je l'amoie trop fortement ; mains je toy prie que tu fais de moy ton plaisier, mains que je puisse ravoir ma femme et ma [p. 463] damme en vie. » Adont vient Jaspar à la prison où sains Luch astoit mys, et se l'amenat en palais, et ly racomptat chu que j'ay deseur dit coment ilh poroit, se ilh voloit et Dieu oussi ly vousist aidier, convertir à luy tout le paiis de la Grant-Bretangne. Quant sains Luch entendit chu, ilh fist son orison à Dieu, et ly priat que ilh vosist faire là pour ly myracle.

Un jour, le roi de ce pays ordonna de mettre saint Luc à mort, parce qu'il amenait le peuple à sa foi. Saint Luc fut capturé et jeté en prison. Mais ce jour-là la reine du pays tomba morte subitement à table, à côté de son époux, le roi Morodab (cfr Myreur, II, p. 193-194, où il est appelé Moradob), qui en fut très affligé, car il aimait la reine plus que tout au monde. Un chevalier, du nom de Jaspar, qui était présent et qui aimait beaucoup saint Luc, dit au roi que s'il voulait croire en Dieu et recevoir le baptême, Luc contribuerait bien à faire en sorte que sa femme retrouve la santé, avec l'aide de Dieu en qui il avait grande confiance. Quand le roi entendit Jaspar, il en fut très heureux et dit : « Ami, je ferai tout au monde pour pouvoir la retrouver, car je l'aime énormément. Tu feras de moi tout ce que tu pourrais vouloir si je peux retrouver ma femme et ma [p. 463] reine vivante. » Jaspar alla alors à la prison où saint Luc se trouvait enfermé et l'amena au palais. Il lui raconta ce que j'ai dit plus haut, disant comment il pourrait, s'il le voulait et si Dieu aussi voulait l'aider, convertir à lui tout le pays de la Grande-Bretagne. Quand saint Luc entendit cela, il adressa des prières à Dieu et il lui demanda d'accepter de faire là un miracle par son intermédiaire.

[Sains Luch fut délivreit par le roy Morodab de prison, portant qu’ilh resuscitat sa femme ; et adont furent baptisés] Et puis s'en vient sains Luch à la royne qui là se gisoit com mort, et dest : « O royne, lieve-tay sus en sainteit et en vie, de part Dieu le Pere et le fis et le Sains-Espir. » Là demonstrat Dieu gran myracle, car la royne tantoist soy relevat com cel qui ne sentoit maul ne dolour. Et quant ly roy veit chu, se dest à sains Luch : « Sains hons, je croy qu'en toy est Dieu, et toy requierg baptesme ; et je t'ay en covent que je feray par tout mon royalme coupeir les chiefs de tous cheaz qui ne volront prendre baptemme. »

[Saint Luc est libéré de prison par le roi Morodab, parce qu’il a ressuscité sa femme ; ils sont alors baptisés] Ensuite saint Luc se rendit près de la reine, qui était étendue là, comme morte, et dit : « O reine, lève-toi, debout, saine et vivante au nom de Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit ». Là Dieu réalisa un grand miracle, car la reine se releva aussitôt, ne semblant  ressentir ni mal ni douleur. Quand le roi vit cela, il dit à saint Luc : « Saint homme, je crois que Dieu est en toi, je te demande le baptême, et je m'engage envers toi à faire couper la tête de tous les gens de mon royaume qui ne voudront pas être baptisés. »

[Par sains Luch fut la promier Marie cristine de ce nom] Adont apparelhat sains Luch del aighe et le benit, en laqueile ilh baptizat le roy et la royne. Mains leurs noms leurs furent changiés ; car ly roy oit à nom Luch, et la royne fut nomée Marie, qui devant avoit nom Gazonas. Et fut chesti Marie la promier de la loy cristine. Chesti jour meismes soy baptizat là endroit IXc chevaliers et XVIIIm hommes awec les femmes ; et lendemain soy baptizat sens nombre de gens.

[On doit à saint Luc la première chrétienne du nom de Marie] Alors saint Luc prépara de l'eau, la bénit et baptisa avec elle le roi et la reine. On changea leurs noms ; le roi reçut celui de Luc, et la reine, qui auparavant s'appelait Gazonas, reçut celui de Marie. Ce fut la première Marie de la loi chrétienne. Ce jour-là, à cet endroit, furent baptisés neuf cents chevaliers et dix-huit mille hommes et leurs femmes ; et le lendemain une foule de gens reçurent le baptême.

[Sains Luch baptisat le roy et la royne d’Engleterre, et tout le royalme soy convertit à Dieu] Chis roy Luke, qui fut ly promier roy criestien de monde, fist tant par le proier sains Luch, son parien, et portant oussi qu'ilh ly avoit en covent, que anchois V mois ons ne trovast par tout la Grant-Bretangne une seul personne qui creist en aultre creanche fours qu'en la foid Jhesu-Crist.

[Saint Luc baptise le roi et la reine d’Angleterre, et tout le royaume se convertit à Dieu] Ce roi Luc, qui fut le premier roi chrétien du monde, grâce à la prière de son parrain, saint Luc, et aussi suite à sa promesse, réussit, à faire qu'endéans les cinq mois, il ne se trouvât plus dans toute la Grande-Bretagne une seule personne, ayant une autre croyance que la foi en Jésus-Christ.

[Engleterre li promier paiis qui creit en Dieu] Chis paiis fut ly promier paiis par tout le monde où ons creist promier en Dieu et el loy Jhesu-Crist, c'est assavoir commonalment.

[L'Angleterre, premier pays à croire en Dieu] Ce pays fut le premier du monde entier où l'on crut pour la première fois en Dieu et dans la loi du Christ, en général bien sûr.

Grande et Petite-Bretagne

[p. 463] [Brutus fondat Engleterre - Del Grant Bretagne et Petite] Chis paiis de la Grant-Bretangne fondat promier Brutus, ly fis Silvius, Iyqueis Silvius fut fis à Eneas, le duc de Troie. Et apres luy fuit-ilh apelleis Bretangne, et le nom-ons la Grant Bretangne, portant qu'ilh avoit et encor at par-dechà ès parties de Galle une Bretangne, qui n'astoit mye sy grant, que ons nomoit la Petit Bretangne. Chu fut de chesti Grant Bretangne dont fut roy ly roy Artus.

[p. 463] [Brutus fonde l'Angleterre - Grande et Petite-Bretagne] La Grande-Bretagne fut fondée d'abord par Brutus, le fils de Silvius, qui était fils d' Énée, le duc de Troie. C'est Brutus qui donna son nom au pays : Bretagne. On dit Grande-Bretagne parce qu'il y avait et il y a encore, de ce côté-ci, dans une partie de la Gaule, une Bretagne qui n'était pas aussi grande et qu'on appelait la Petite-Bretagne. C'est sur la Grande-Bretagne que régna le roi Arthur.

 

En Flandre et à Tongres : Julien, comte de Flandre, rompt la paix avec Tongres (64-65) - Combat épique et meurtrier près de Tongres, remporté finalement par Trémus, qui devient le dixième roi de Tongres (65)

 

Item, en cel an morut Clovis, li Xe conte de Flandre. Si fut apres luy conte son fis anneis, qui fut nomeit Juliens, qui regnat XXI an.

Cette année-là (64) mourut Clovis, le dixième comte de Flandre. Son fils aîné lui succéda. Il se nommait Julien et régna vingt et un ans.

[L’an LXV- Guerre entre Flandrois et Tongrois] Apres, sor l'an LXV, en mois de may, entrat Julien [p. 464] li conte de Flandre, en la terre le roy Colongus de Tongre, et brisat la paix qui avait esteit faite entres eaux, car ilh commenchat à destruire et à ardre la terre et la royalme de Tongre.

[An 65 - Guerre entre Flandriens et Tongrois] Après, en mai de l'an 65, Julien, [p. 464] le comte de Flandre, pénétra sur les terres du roi Colongus de Tongres et rompit la paix qui avait été conclue entre eux. Il se mit à dévaster et à incendier la terre et le royaume de Tongres.

[Tremus fondat Skendremal, Juprelle et Verney] Mains quant ly roy Colongus le soit, qui astoit encors mult malaide de l'autre guerre, ilh assemblat ses gens, se vient luy et Tremus, son fis, en une plain asseis pres de Tongre, où Tremus fondat depuis trois villes, assavoir : Skendremaul, Juprelle et Verney. Là trovont-ilh les Flammens ; se les corurent sus, et Flamens s'ont defendus. Là oit fiere batalhe et grant occhision de gens. Tremus escrioit à hault vois et disait : « Tous y moreis, faux glotons, vos aveis brisiet la paix qui li dus de Galle fist. » Et quant Julien l'entendit, se dest qu'ilh yroit vengier son peire Clovis, à cuy ilh coupat le neeis, prent une lanche por venir vers Tremus ; mains quant Tremus le veit, se prist sa lanche, se vinent ly unc encontre l'autre josteir com Iyons. Mains ly conte de Flandre brisat sa lanche, et se soy laisat cheoir ; et puis sy est sus salhis et muchiés entre les Flammens. Et Tremus se fiert entre les Flammens, et detrenchoit tout à diestre et à seneistre ; tant at fait que les Flammens sont reculeis. Et les Tongrois ont bien pris LX prisonniers, et en ont ochis plus de milh. A Tongre ont myneit ches de Tongre leurs prisonniers.

[Trémus fonde Xhendremael, Juprelle et Hermée] Quand le roi Colongus, encore très malade suite à la guerre précédente, apprit cette invasion, il rassembla ses hommes et, avec son fils Trémus, se rendit dans une plaine proche de Tongres, où, plus tard Trémus fonda trois villes : Xhendremael, Juprelle et Hermée. Ils trouvèrent là les Flamands. Ils foncèrent sur eux et ceux-ci se défendirent. Une bataille féroce se déroula qui fit beaucoup de morts. Trémus criait à haute voix et disait : « Vous mourrez tous, faux coquins, vous avez rompu la paix conclue par le duc de Gaule. » Entendant cela, Julien jura de venger son père Clovis à qui Trémus avait coupé le nez (p. 459). Il s'empara d'une lance pour l'approcher. Mais Trémus le vit arriver et prit aussi sa lance. Ils s'élancèrent l'un contre l'autre et se battirent comme des lions. Mais le comte de Flandre brisa sa lance et tomba ; il se releva et se mit à l'abri parmi les Flamands. Trémus se porta alors entre leurs rangs, tranchant tout à droite et à gauche. Il en fit tant que les Flamands reculèrent. Les Tongrois firent au moins soixante prisonniers et tuèrent plus de mille hommes. Ils emmenèrent leurs prisonniers à Tongres.

[p. 464] Arnalius de Bruge, qui astoit uns poisans hons, at pris awec luy Xm Flammens des melheurs del oust, et se ferit en l’estoure ; aux lanches ont abatus pluseurs Tongrois, puis ont traites les espées, si ont ochis Gadus et Guerles, advoueis, et tant d'aultres que chu fut mervelhe ; et les ont reculeis jusqu'à Tremus. Quant Tremus veit Arnalius, se le cognuit bien, si brochat vers luy et ly assit unc coup desus son hayme, se l’ochist. Puis corut sur les aultres ; si at ochis Galerant de Tournay et Clement de Ysle (Lille ?), Saldus de Mons et Pire et Vincent de Bruge et XXXIIII aultres ; et enssi fut-ilh fortement navreis, et son cheval ochis desous luy. Mains adont ilh saillit en piés, se tient francquement l'espée et embreche l'escut ; si se fiert tout emmy eaux par teil virtut qu'ilh en at ochis XIIII, puis se al escrieit : « Tongre ! » Son peire l'entent, se vint à Xm hommes à ferant ; et remontat [p. 465] Tremus, et ilh rentrat en l'esteur (estour ?) par teile manere qu'ilh at reculeis ses anemys. Et fent ches haymes et escus, et jette mors ches Flamens à terre à si grant nombre, que ch'astoit mervelhe à veioir.

[p. 464] Arnalius de Bruges, un homme puissant, prit avec lui dix mille Flamands, les meilleurs de l'armée, pour se porter dans la mêlée. Avec leurs lances ils abattirent de nombreux Tongrois, puis tirèrent leurs épées. Ils tuèrent Gadus et Guerles, avoués, et beaucoup d'autres, en nombre incroyable. Ils repoussèrent les Tongrois jusqu'à Trémus. Quand celui-ci vit Arnalius, il le reconnut, fonça sur lui, lui asséna un coup sur le heaume et le tua. Puis il courut vers les autres ; il tua Galerant de Tournay, Clément de Lille, Saldus de Mons, Pierre et Vincent de Bruges et trente-quatre autres. Lui aussi fut grièvement blessé, et son cheval fut tué sous lui. Mais alors il sauta à terre. Tenant vaillamment son épée et saisissant son écu, il se porta au milieu des ennemis avec un si grand courage qu'il en tua quatorze, puis s'écria : « Tongre ! » Son père l'entendit et arriva avec dix mille cavaliers. Trémus [p. 465] remonta en selle et rentra dans la mêlée, réussissant à faire reculer ses ennemis. Il pourfendit heaumes et écus, et abattit à mort des Flamands en si grand nombre que c'était prodigieux à voir.

Et ly roy son peire soy mentient loyalment : ilh encontrat le conte de Flandre, se le ferit de son espée, si qu'ilh ly coupat ses surchelles ; et le conte le referit si qu'ilh le navrat en chief et li fausat la tieste. Atant se trait ly roy arrie. A chi coup vient Tremus, et ferit le conte si qu'ilh ly coupat la massel, et l'orelhe, et les baleure. Adont li conte soy laisat chaioir enssi com I panthonier, et sy gisoit à terre. Les Flammens quidarent qu'ilh fust mors, si ont pris la fuit. Et les Tongrois revinent à Tongre, où ly roy Colongus astoit grandement malaide et morut bien tempre là apres, car ly cerveal ly coroit fours de la plaie.

Le roi son père se comporta avec droiture : il rencontra le comte de Flandre, le frappa de son épée et lui coupa les sourcils. Le comte le frappa à son tour, le blessant au crâne et lui endommageant la tête. Alors le roi se retira (du combat ?). Sur ce survint Trémus, qui frappa le comte, lui coupant la joue, l'oreille et les lèvres. Alors le comte se laissa tomber comme un pantin, et resta étendu à terre. Les Flamands crurent qu'il était mort et prirent la fuite. Les Tongrois rentrèrent alors à Tongres, où le roi Colongus était très malade. Il mourut bientôt après, car son cerveau sortait de sa plaie.

[Tremus, le Xe roy de Tongre] Quant Tremus veit son peire mort, ilh fist seriment que jamais ne faroit la guerre entre luy et les Flammens tant qu'ilh vive. Puis fut-ilh coroneis à roy de Tongre le Xe ; si regnat III ans et nient plus. Elle batalhe devantdit perdirent les Flamens XIIm hommes et furent desconfis, et les Tongrois ne perdirent que IIIm hommes, et gagnont la batalhe ; mains ly roy fut teilement navreit en chief qu'ilh en morut, enssi com dit est.

[Trémus, dixième roi de Tongres] Quand Trémus vit son père mort, il fit le serment que jamais, tant qu'il vivrait, il n'y aurait de guerre entre lui et les Flamands. Il fut couronné dixième roi de Tongres et ne régna que trois ans, pas plus. Dans la bataille évoquée ici, les Flamands perdirent douze mille hommes et furent vaincus ; les Tongrois n'en perdirent que trois mille et furent vainqueurs. Mais leur roi (Colongus) fut si grièvement blessé à la tête qu'il en mourut, comme on l'a dit.

 

À Rome : Incendie de Rome par Néron (65)

 

[p. 465] [Del grant malvaiseteit Nero] Item, en cel an, s'avisat l'emperere Nero de une mervelheux et mult grant malvaisteit ; car ilh avoit oyt racompteir del destruction de la grant Troie comment elle avoit esteit ars et destruit ; se li prist en volenteit qu'ilh voloit veioir se ly feux avoit esteit grans, et ly cris horrible des gens qui là avoient esteit ars, grans et petis.

[p. 465] [La grande perversité de Néron] En cette même année, l'empereur Néron conçut une idée d'une perversité incroyable et démesurée. Il avait entendu raconter, à propos de la destruction de la grande Troie, comment elle avait été incendiée et détruite ; il voulut voir quelle avait été l'importance du feu et entendre les cris horribles des gens, grands et petits, qui y avaient été brûlés.

[Nero fist ardre Romme] Adont fist Neron esprendre Romme à unc des costeis, et commandat que ons ne laisaist hommes et femmes ne bestes partir de sa maison. Et puis montat Nero en son palais, sy regardat le gran feu et oït et entendit le grant doleur des gens qui crioient terriblement ; se dest : « Ilh oit à la destruction de Troie mult grant doleur, quant ilh avoit là endroit si grans cris et sy gran doleur. » Enssi fist Nero par sa grant malvaisteit ardre une grant partie de la citeit de Romme, por savoir la grant destruction et doleur qu'ilh oit à la citeit de Troie. Ilh fut malvais en tos cas, et faisoit mult volentier male à cheaux qui ly avoient fait bien et qui l'amoient.

[Néron fait incendier Rome] Alors Néron fit mettre le feu à un des quartiers de Rome, en ordonnant de ne laisser sortir des maisons ni hommes ni bêtes. Puis il monta dans son palais, regarda le feu gigantesque et entendit la grande douleur des gens qui criaient terriblement. Il dit alors : « La destruction de Troie provoqua de très grandes souffrances, puisqu'il y avait là justement de si grands cris et une si grande douleur. » Ainsi, Néron, dans sa terrible méchanceté, fit brûler une bonne partie de la ville de Rome, pour connaître la grandeur de la destruction et de la souffrance qu'il y eut à Troie. En toutes circonstances, il fut mauvais et aimait faire souffrir ceux qui lui avaient fait du bien et qui l'aimaient.

 

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