Jean d'Outremeuse, Myreur des histors, II, p. 1-9a

Édition : A. Borgnet (1869) ‒ Présentation nouvelle, traduction et notes de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2021)

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REMARQUE GÉNÉRALE SUR L'ORGANISATION DU TOME II

 

La coupure introduite ici entre ce fichier et le précédent (I, p. 579-586) n'a rien à voir avec le contenu. Elle est tout à fait artificielle et reflète simplement la division adoptée par l'éditeur Ad. Borgnet. Pour des raisons matérielles, il a réparti sur deux volumes le Livre premier du Myreur des Histors. Le lecteur retrouvera ici la suite (et la fin) du récit épique commencé dans le fichier précédent et que nous avons appelé La Geste de Valentin, de Thomas et de Clodas.

Mais avant d'examiner la suite de cette Geste, un élément très important doit être signalé. Nous avons, à partir d'ici, assez profondément modifié la présentation du matériel. Dans les fichiers précédents, le texte de Jean était généralement précédé d'une série d'observations et de notes visant à en éclairer la lecture. En fait, ces développements prenaient parfois tellement d'importance qu'ils risquaient de rejeter le texte au second plan. Désormais, dans la section du Myreur retenue pour l'analyse, nous utiliserons une autre formule. Un fichier sera consacré exclusivement au texte et à la traduction, la lecture en étant facilitée par un système de sommaires, de titres, de sous-titres et d'intertitres. La nouveauté dans le tome II sera que lorsque cette analyse nécessitera des observations et des remarques trop abondantes, les développements nouveaux jugés intéressants seront rassemblés dans des fichiers annexes séparés, auxquels nous donnerons tantôt le titre de Notes de lecture (N), tantôt celui de Dossiers (D) en fonction de leur contenu.

Le lecteur ne devra pas se méprendre sur la nature de ces Notes de lecture et de ces Dossiers. On n'y trouvera pas un commentaire au sens propre, qui suivrait l'ordre d'apparition des notices. Elles sont le résultat d'un choix ‒ personnel, donc arbitraire ‒ d'observations, d'informations et de jugements dictés par l'optique de notre travail : faire comprendre le texte bien sûr en le situant dans son contexte, mais aussi essayer de déterminer la méthode de travail de Jean d'Outremeuse ainsi que sa place dans la tradition historiographique.

Pour prendre un exemple de Notes de lecture, celles qui concernent Myreur, II, p. 1-9 et qui sont rassemblées dans un seul fichier annexe, aborderont les questions suivantes : A. La Geste de Valentin, de Thomas et de Clodas (présentation générale); B. Les successions et les réalisations impériales (dans l'Histoire ; dans la vision de Jean ; le vallum écossais ; les frasques d'empereurs ; les questions religieuses) ; C. Les évêques de Tongres entre Materne et Servais ; D. La papauté ; E. Quelques passages parallèles (Martin et Orose).

Pour prendre un exemple de Dossiers (D), les D06, D11 et D13 seront consacrés exclusivement à saint Servais. Ils se rattachent à la présentation que Jean d’Outremeuse fait de cet évêque de Liège et cherchent à la replacer dans la tradition historiographique de ce saint. C’est un aperçu d’ensemble sur saint Servais dans l’histoire et dans l’ensemble de la littérature médiévale. À eux trois, ces dossiers pourraient très facilement constituer un article indépendant.

Les notes de lecture et les dossiers, on le voit, ne sont donc pas des commentaires au sens propre du terme. À la limite, le lecteur pourrait les laisser tomber et se limiter à la lecture des fichiers Textes et Traductions.

 


 

SOUS SEPTIME SÉVÈRE ET SES SUCCESSEURS : Suite ET FIN de la geste de Thomas de Bretagne et de Clodas - Empereurs - Papes - DIVERS

Ans 205-229 de l'Incarnation


 

Introduction

 

Nous avons maintenant sous les yeux le fichier Texte et Traduction des premières page du tome II, p. 1-9. Comme nous l'avons dit au début, la coupure introduite ici entre ce fichier et le précédent (I, p. 579-586) n'a rien à voir avec le contenu. Elle est tout à fait artificielle et reflète simplement la division adoptée par l'éditeur Ad. Borgnet.  Le fichier annexe des Notes de lecture sera accessible plus loin.

 


 

texte et traduction

 

Sommaire

Successions : Le pape Zéphyrin à Rome - Le comte André à Louvain (204 ?)

Expédition du chrétien Thomas de Bretagne contre les Romains de Septime Sévère - Les Bretons victorieux rentrent chez eux, sans assiéger Rome (205-206)

Septime Sévère persécute les chrétiens et se prémunit contre une attaque des Bretons (207)

Ordonnances du pape Zéphyrin - Mortalité en Égypte - Mort de Métropole, quatrième évêque de Tongres - Désignation de Séverin, cinquième évêque de Tongres (208-210)

Le roi Thomas nomme Clodas roi d’Écosse - Clodas fait des conquêtes en Syrie et en Judée, devient roi de Jérusalem et massacre ceux qui refusent le christianisme (211-212)

Assassinat de Septime Sévère par les Romains - Deux de ses fils, Dédius et Éphius, lui succèdent - Ils sont défaits en Judée par Clodas - Mort d’Éphius auquel succède, comme adjoint de Dédius, Sévérus, troisième fils de Septime Sévère - Dédius, Éphius et Sévérus ne comptent que comme un seul empereur, le vingt-deuxième - Précisions sur les institutions impériales - Nouvelle défaite romaine par Clodas - Divers (213-214)

Dédius persécute les chrétiens et fait reconstruire Naples et Milan - Son frère Sévérus est tué - Il est remplacé par un sénateur, Lucinius, puis par Sévérus Afer - Ils règneront ensemble jusqu'à leur mort en 218 (214-215)

Papauté : Mort et institutions du pape Zéphyrin - Alexandre, évêque de Cappadoce, devient évêque de Jérusalem - Calixte, dix-septième pape (216)

L’empereur Dédius reconstruit les villes de la Calabre et des Pouilles - Clodas conquiert la Palestine et la Syrie - Les sénateurs tuent Dédius et son collègue Sévérus Afer - Antoninus et Aurélius, leurs fils, règnent comme vingt-troisième empereur pendant 18 jours - Macrin et Aurélius règnent ensuite comme vingt-quatrième empereur (217-219)

Succession au Danemark (mort de Jonadas, son fils Valentin lui succède) - Mort de Clodas - Antoninus reconquiert Jérusalem et persécute les chrétiens - Mort de Thomas, roi de Grande-Bretagne - Ses trois fils deviennent rois de Bretagne, de Cornouailles et d’Écosse (220-221)

Divers dans l’Église - Successions à Rome et en Gaule (222)

Saint Calixte, sainte Cécile, saint Urbain à Rome - Mort de saint Séverin, cinquième évêque de Tongres - Consécration de saint Florentin comme sixième évêque de Tongres (223-228)

* Clodas, roi de Bretagne, fils du roi Thomas et filleul de Clodas d’Écosse - Ses opérations militaires en Afrique et à Carthage - Le roi de Carthage demande de l’aide à l’empereur de Rome, au roi de Perse et au roi d’Égypte - Seul ce dernier répond positivement (228-229)

 

 

 

Successions : Le pape Zéphyrin à Rome - Le comte André à Louvain (204 ?)

[II, p. 1] [Zephirus, le XVIe pape de Romme] Apres la mort Victoir vacat ly siege XII jours, et puis le XVIe jour de junne fut Zephirus consacreis à pape de Romme, qui fut de la nation de Romme, et fut le fis Habundans de Marchiet, qui tient le siege XII ans II mois et X jours.

[II, p. 1] [Zéphyrin, seizième pape de Rome] Après la mort de Victor, le siège resta vacant douze jours et, le 16 juin, Zéphyrin fut consacré pape de Rome. Originaire de Rome et fils de Habundans de Marché, Il occupa le siège douze ans, deux mois et dix jours.

[De conte de Lovay] En cel an morut Ector, ly conte de Lovay ; si fut conte apres luy son fis Andrier, lyqueis regnat XXVII ans.

[Le comte de Louvain] Cette année-là (an 204 ?), Hector, le comte de Louvain mourut ; son fils André devint comte après lui et régna vingt-sept ans.

 

Suite de la Geste de Valentin, de Thomas et de Clodas - Expédition du chrétien Thomas de Bretagne contre les Romains de Septime Sévère - Les Bretons victorieux rentrent chez eux, sans assiéger Rome (205-206)

[IIc et V - Ly roy Thomas entrat en l’empire, où ilh fist grant damaige] Item, l'an IIc et V en mois de may, assemblat ly roy Thomas de Bretangne ses oust ; si passat mere et entrat à feu et à flamme en l'empire de Romme, en mois de novembre, et commenchat à destruire la terre. Adont ardit-ilh tout la terre de Calabre et de Pulhe, et puis s'en ralat vers Napples ; se l'asseghat [II, p. 2] et fist tant qu'ilh le gangnat et l'ardit, et mist les gens à mort por tant que ilh ne voirent croire en Dieu, ne eaux faire baptisier. Chu fut l'an IIc et VI.

[An 205 - Le roi Thomas entre dans l’empire, où il cause de grands dommages] En l’an 205, au mois de mai, le roi Thomas de Bretagne rassembla ses armées. Il prit la mer, pénétra tout enflammé d’ardeur dans l’empire de Rome en novembre et commença à dévaster le territoire. Il incendia toute la terre de Calabre et d'Apulie, puis s’en retourna vers Naples. Il l’assiégea [II, p. 2], réussit à s’en emparer et à l’incendier, puis mit à mort les gens parce qu’ils ne voulurent pas croire en Dieu, ni se faire baptiser. Cela se passa en l’an 206.

Enssi com ches chouses soy fesoient, fut-ilh nunchiet à l'emperere Severus que les cristiens de Bretangne ly avoient laidement destruite son empire, et que ilh fasoit mal que ilh ne le sourcoroit. Quant l'emperere entendit chu, se fist semblant que riens n'en savoit, car ons ly avoit dit, dès al promier que ly roy Thomas entrat en son paiis : mais ilh dobtoit tant les Bretons que ilh les laissoit enssy. Mains ons ne le vot plus souffrir ; si mandat ses gens et vient contre les cristiens, si oit batalhe à eaux, l'an deseurdit, le XXVIe jours d'awoust.

Tandis que se déroulaient ces événements, on annonça à l’empereur Sévère que les chrétiens de Bretagne avaient gravement dévasté son empire et qu’il agissait mal en ne lui portant pas secours. Quand l’empereur entendit cela, il fit semblant de n’en rien savoir, alors qu'on le lui avait dit dès que le roi Thomas était entré dans le pays ; mais il redoutait tellement les Bretons qu’il les laissait faire. Toutefois on ne voulut plus supporter cela. Sévère convoqua ses gens, marcha contre les chrétiens et leur livra bataille, l’an susdit, le 26 août.

[L’emperere fut desconfis] Et perdirent mult les Romans, car Clodas et Thomas les ochioient com chu fussent brebis : nuls ne poioit avoir durée contre leurs coups qui estoient sy grans. Des coups Thomas et Clodas furent les Romans esmaiez ; mains ilh en estoit tant que ilh n'y paroit chouse que ons y fesist ; et encordont ilh en fut ochis XVIIm, et encor ilh en fust plus mors, mains la nuit les departit : chu fist aux Romans grant avantaige, car ilhs awissent esteis tous mors.

[L’empereur est défait] Les Romains subirent beaucoup de pertes : Clodas et Thomas les tuaient comme s'ils étaient des brebis. Personne ne pouvait résister à leurs coups, tant ils étaient forts. Ceux de Thomas et de Clodas inquiétèrent les Romains ; mais les victimes étaient si nombreuses qu'il ne semblait pas qu'on puisse faire quelque chose. Il y eut dix-sept mille tués, et ils auraient encore été plus nombreux si la nuit n'avait pas séparé les combattants. Sans cela les Romains auraient tous perdu la vie.

Adont fist ly roy Thomas tendre ses treis et loghat là ; se fist la nuit son ost gaitier, mains ilh ne l'en astoit pointe mestier, car les Romans awec leur emperere, tantost que les Bretons furent retrais, s'enfuyrent toute la nuit. Et lendemain, quant ilh fut jour, ly roy Thomas fist ses gens armeir por combatre aux Romans. Mains Clodas et ses hommes ly dessent que les Romans estoient enfuys et raleis.

Le roi Thomas fit dresser ses tentes et logea sur place ; il chargea son armée de monter la garde, mais ce n’était pas nécessaire, car les Romains et leur empereur, lorsque les Bretons s'étaient retirés, s’enfuirent durant toute la nuit. Le lendemain, quand il fit jour, le roi Thomas fit s’armer ses gens pour combattre contre les Romains. Mais Clodas et ses hommes lui dirent que les Romains avaient fui et étaient repartis.

Adont fut ly roy Thomas dolans, si vot aleir apres vers Romme por assegier la citeit ; mains ses hommes ly ont dit en teile manere : « Sire, puisque Dieu nos at sy bien aidiet que nos avons l'empire de Romme sy laidement exilhiés, et l'emperere awec tous ses hommes enssi desconfis, ilh nos doit bien souffier car nos en avons l'honeur ; et se nos allons à Romme, et ilh venist alcon socour à l'emperere por quoy nos fussiens matteis une seul fois, nous auriens perdut tout l'honeur que nos avons conquis. Si vos prions del ralleir en nos paiis par le melheur jusques à l'autre fois. »

Alors le roi Thomas, contrarié, voulut marcher vers Rome pour assiéger la cité, mais ses hommes lui dirent : « Sire, avec l’aide de Dieu, nous avons fait beaucoup de mal à l’empire romain et vaincu l’empereur et tous ses hommes. Cela doit nous suffire, car nous en retirons de l’honneur. Mais si nous allons à Rome et si l’empereur recevait un quelconque secours qui nous vaudrait d’être battus une seule fois, nous aurions perdu tout l’honneur que nous avons conquis. Aussi vous demandons-nous de retourner dans nos pays par le meilleur chemin, jusqu’à la prochaine fois. »

[Ly roy Thomas alat en son paiis à grant joie] Adont remontat sour mere le roy Thomas par le conselhe de ses hommes, car ilh creoit mult volentier bon conselhe ; sy revient en son paiis à grant joie.

[Le roi Thomas retourne dans son pays avec grande joie] Alors Thomas reprit la mer, suivant le conseil de ses hommes, car il acceptait très volontiers les bons conseils. Il rentra dans son pays avec grande joie.

 

Septime Sévère persécute les chrétiens et se prémunit contre une attaque des Bretons (207)

Et quant l'emperere Severus soit por chertains que ly roy Thomas et ses [II, p. 3] gens en estoient ralleis en leur terre, sy en fut mult joians, portant que mult ilh les dobtoit. Et adont tantost ilh fist martyrisier sains Julien, sains Policrome, sains Romain, sains Albin, sains Cyril et pluseurs aultres, qui tous furent ensevelis en la cymiteir sains Calixte.

Quand l’empereur Sévère fut bien certain que le roi Thomas et ses [II, p. 3] gens avaient regagné leurs terres, il s’en réjouit beaucoup, parce qu’il les redoutait fortement. Il fit sans tarder martyriser saint Julien, saint Polychrone, saint Romain, saint Albain, saint Cyrille et beaucoup d’autres, qui furent tous ensevelis dans le cimetière Saint-Calixte.

[IIc et VII - De l’emperere Severus] Item, l'an IIc et VII, s'avisat ly emperere Severus, qui se dobtoit que les Bretons ne venissent encor destruire son empire, por chu que ilh avoit enssy martyrisiet pluseurs cristiens. Adont prist l'emperere grant gens awec luy et en allat sour la mere ; et là fist-ilh en droit lieu où ilh covenoit les Bretons passeir, se ilh voloient venir à Romme, et là fist-ilh afondreir une grant vallée et le fist cent et XXIIm diestre de large et ortant de long, de l'onne mere jusques à l'autre. Et chu faisoit-ilh por luy plus assegureir que ilhs ne posissent entreir ne passeir sy legirement en son empire.

[An 207 - L’empereur Septime Sévère] En 207, l’empereur Sévère prit une décision, car il redoutait que les Bretons ne reviennent encore dévaster son empire, parce qu’il avait ainsi martyrisé beaucoup de chrétiens. Il prit alors avec lui de nombreuses troupes et s'embarqua. À l’endroit exact où devraient passer les Bretons s’ils voulaient venir à Rome, il fit creuser un grand fossé de cent vingt-deux mille pas de large et autant de long, d’une mer à l’autre. Il faisait cela pour être plus sûr encore que les Bretons ne puissent plus entrer ni passer aussi facilement dans son empire (cfr Notes).

 

Ordonnances du pape Zéphyrin - Mortalité en Égypte - Mort de Métropole, quatrième évêque de Tongres - Désignation de Séverin, cinquième évêque de Tongres (208-210)

[Tos cristiens de XII ans doient prendre l’année corpus Domini] Item, l'an IIc et VIII, en mois de marche, ordinat ly pape Zephirus que tous cristiens, deseur l'eaige de XII ans, presissent tos les ans une fois de moins le vray corps Jhesu-Crist.

[Tous les chrétiens de douze ans doivent prendre une fois par an le corps du Seigneur] En mars 208, le pape Zéphyrin ordonna que tous les chrétiens de plus de douze ans prennent chaque année au moins une fois le vrai corps de Jésus-Christ.

Item, l'an deseurdit IIc et IX, instituat lydit pape que tous les vasseals, de quoy ons se doit aidier entour l'auteit, soient tous de voire ou de stenc. En cest an fut grant mortaliteit en Egypte.

L’an 209, ce pape ordonna que les vases, dont on doit se servir à l’autel, soient tous de verre ou d’étain. Cette année-là, il y eut beaucoup de morts en Égypte.

[De sains Severius, le Ve evesque de Tongre] Item, l'an IIc et X, en mois d'octembre, morut Metropolus, le IIIIe evesque de Tongre, si fut ensevelis en l'engliese Nostre-Damme. Apres Metropolus fut evesque consacreis uns sains proidhons, qui fut le fis d'unc prinche senateur, qui oit nom Severius, de la nation de Tongre, de Mezonne la filhe le conte de Lovay que ons nommoit Mezonne Antiste, et aussi le nommoit-ons Severius Antiste : ly queis regnat XVIII ans. Chu ne fut mie sains Severius, archevesques de Colongne, dequeile ilh fait mention en la vie sains Martin ; mains chu fut uns altre mult sains proidhons, qui regnat mult longtemps apres cesti.

[Saint Séverin, cinquième évêque de Tongres] En octobre 210, Métropole, quatrième évêque de Tongres (cfr I, p. 583), mourut et fut enseveli dans l’église Notre-Dame. Après lui, un saint homme, Séverin, fut sacré évêque. C’était le fils d’un prince sénateur, originaire de Tongres, qui était né de Mézonne, fille du comte de Louvain, et qui se nommait aussi Mézonne Antiste ; c’est pourquoi Séverin était nommé aussi Séverin Antiste ; il régna durant dix-huit ans. Il ne faut pas le confondre avec saint Séverin, archevêque de Cologne, mentionné dans la vie de saint Martin. Ce Séverin fut aussi un très saint homme, qui régna longtemps après l’évêque de Tongres (suite II, p. 5).

 

Le roi Thomas nomme Clodas roi d’Écosse - Clodas fait des conquêtes en Syrie et en Judée, devient roi de Jérusalem et massacre ceux qui refusent le christianisme (211-212)

[II, p. 3] [IIc et XI - Le roy Thomas fist Clodas roy de Scoche] Item, l'an lIc et XI, ly roy Thomas de Bretangne donnat à Clodas le galois le royalme de Scoche, et le coronat à roy.

[II, p. 3] [An 211 - Le roi Thomas nomme roi d’Écosse Clodas] En 211, le roi Thomas de Bretagne donna à Clodas le Gaulois le royaume d’Écosse et le couronna comme roi.

[Ly roy Clodas desconfist II fois les Egyptiiens] En cel an meismes assemblat le roy Clodas son oust, sy s'en allat sour cheaux d'Egypte, et destruite grandement la terre, et oit batalhe à eaux II fois ; mains toudis furent les Egiptiiens desconfis, et perdirent mult de [II, p. 4] gens. Adont passat oultre ly roy Clodas awec ses oust et entrat en la terre de Surie, sy en conquist une grant partie ; et allat tant que ilh vint en Judée, se fichat ses trefs devant la citeit de Jherusalem, l'an IIc et XII, en mois de junne. Adont vowat ly roy Clodas à Dieu que jamais ilh ne s'en partiroit de là, s'aroit-ilh conquis la citeit.

[Le roi Clodas défait deux fois les Égyptiens] Cette même année, le roi Clodas rassembla son armée et s’en alla attaquer les Égyptiens. Il dévasta une grande partie de leurs terres et leur livra bataille à deux reprises. À chaque fois les Égyptiens furent battus et perdirent beaucoup [II, p. 4] de gens. Alors le roi Clodas poursuivit sa route et entra avec ses troupes en Syrie, qu’il conquit en grande partie. Il ne s’arrêta qu’en Judée, où il planta ses tentes devant la cité de Jérusalem, en juin 212. Il promit alors à Dieu qu’il ne se retirerait pas avant d’avoir conquis la cité.

[Clodas assegat Jherusalem, et le conquist, et fut roy de Jherusalem] Et ilh fut enssi, car ilh le conquist le XXVIIe jour de mois d'awoust, l'an deseurdit. Adont fist-ilh toutes les gens ochiere qui ne vorent croire en Dieu, et fut roy de Jherusalem. Si conquist asseis de pays là altour. Tant com ilh viscat orent les Sarasins en luy mult malvais voisin, car ilhs n'orent oncques paix à luy.

[Clodas assiège Jérusalem, s’en empare et devient roi de Jérusalem] Et il en fut ainsi, car il s’en empara le 27 août. Il fit alors tuer tous ceux qui ne voulurent pas croire en Dieu et devint roi de Jérusalem. Il conquit une bonne partie des environs. Aussi longtemps qu’il vécut, il fut un très mauvais voisin pour les Sarrasins qui ne furent jamais en paix avec lui.

 

Assassinat de Septime Sévère par les Romains - Deux de ses fils, Dédius et Éphius, lui succèdent - Ils sont défaits en Judée par Clodas - Mort d’Éphius, auquel succède, comme adjoint de Dédius, Sévérus, troisième fils de Septime Sévère - Dédius, Éphius et Sévérus ne comptent que comme un seul empereur, le vingt-deuxième - Précisions sur les institutions impériales - Nouvelle défaite romaine par Clodas - Divers (212-213)

[II, p. 4] Adont vinrent les novelles à l'emperere de Romme que Clodas, ly roy de Scoche, ly compangnon le roy Thomas de Bretangne, avoit conquis Jherusalem et fait le peuple baptizier. Quant l'emperere entendit chu, se n'y acomptat gaire ; mains les senateurs ly dessent que ilh assemblat ses gens, sy alast sour cheluy qui enssi ly avoit fourfait. Et ly emperere respondit que ilh n'y yroit jà tant que ilh visqueroit, se ilh poioit. Quant les romans entendirent chu, sy en furent mult corochiés, et furent adont pris entre eaux teile conselhe que ilh ochirent leur emperere en son palais meisme, seant à tauble.

[II, p. 4] La nouvelle parvint alors à l’empereur de Rome qui apprit ainsi que Clodas, le roi d’Écosse, compagnon du roi Thomas de Bretagne, avait conquis Jérusalem et fait baptiser le peuple. Tout d’abord l’empereur n’y attacha pas grande importance. Mais les sénateurs lui dirent de rassembler ses gens et d’aller attaquer celui qui l’avait ainsi trompé. L’empereur répondit qu'aussi longtemps qu’il pourrait rester en vie, il ne partirait pas. Ces paroles irritèrent très fort les Romains qui, réunis entre eux, décidèrent de tuer leur empereur dans son palais même, quand il serait à table.

[Des empereres Dedius et Ephius] Et quant ilh fut enssy ochis, si fisent son fis emperere, qui fut nomeis Dedius et awec luy Ephius ; mains chis Ephius ne regnat que V mois et IIII jours. Et Dedius regnat VI ans V mois et XIII jours

[Les empereurs Dédius et Éphius] Le meurtre accompli, les Romains désignèrent comme empereurs ses fils Dédius et Éphius. Cet Éphius ne régna que cinq mois et quatre jours. Dédius, lui, régna six ans, cinq mois et treize jours.

[Clodas desconfit les dis empereres] Et quant ches dois empereres furent enssy eslus, si ont assembleis leurs oust, puis sont monteis sour mere à grant gens, et sont venus en la terre de Judée, et commenchont la terre à destruire partout où ons creit en Dieu. Mains quant Clodas le soit, se vint encontre eaux, sy oit batalhe à eaux ; mains oncques les Romans ne porent à luy avoir victoire, ains furent tous desconfis ; si y fut ly uns des empereres ochis, qui oit nom Ephius. Adont s'enfuirent les Romans et rentront en leurs naves ; se revinrent à Romme. Et quant ilhs furent revenus à Romme, si fut remis en siege l'emperere Ephius, l'autre frere, qui oit nom Severus, lyqueis ne regnat que III ans. [II, p. 5] Ches empereres Dedius, Ephius et Severus furent trois freres, les enfans de viés emperere Severus.

[Clodas défait les deux empereurs] Une fois élus, les deux empereurs rassemblèrent leurs armées, prirent la mer avec un grand nombre de gens, jusqu’en Judée, où ils commencèrent à faire des ravages partout où on croyait en Dieu. Quand Clodas le sut, il marcha contre eux et leur livra bataille. Les Romains ne réussirent jamais à avoir l’avantage sur eux : ils furent tous battus et un des empereurs, Éphius, fut tué. Alors les Romains s’enfuirent, remontèrent sur leurs navires et regagnèrent Rome. Une fois arrivés, ils mirent comme empereur sur le trône d’Éphius son autre frère, qui s’appelait Sévérus. Celui-ci ne régna que trois ans. [II, p. 5] Ces empereurs Dédius, Éphius et Sévérus étaient trois frères, fils du vieil empereur Septime Sévère.

En cel an morut Brohades, ly roy de Hongrie ; si regnat apres luy son fis Adolaus XL ans.

Cette année-là mourut Brohades, roi de Hongrie ; son fils Adolaus lui succéda et régna quarante ans.

[De Dedius, le XXIIe emperere de Romme] Item, l'an IIc et XIII, en mois de may, assemblat l'emperere Dedius et son frere Severus leurs oust por alleir en Judée.

[Dédius, vingt-deuxième empereur de Rome] En mai de l’année 213, Dédius et son frère Sévérus assemblèrent leurs armées pour se rendre en Judée.

Et deveis savoir, jasoiche qu'ilh awist enssi dois empereres regnans ensemble, nonporquant se ne faisoient que unc seul en nombre. Car ly promier coroneis, chis estoit compteis emperere, et ly aultre estoit compteis com compangnons adjosteis awec luy ; sique Dedius, Ephius et Severus, ches trois n'estoient compteis que por unc emperere, si est Dedius compteis por le XXlle emperere. Et oussi ilh ne portoit coronne que ly uns ; et maintenant le portoit Dedius.

Vous devez le savoir : même si deux empereurs régnaient ensemble, ils n’en faisaient toutefois qu’un. En effet, le premier couronné était considéré comme empereur, l’autre comme un adjoint qui l'accompagnait. Ainsi Dédius, Éphius et Sévérus ne comptaient à eux trois que pour un seul empereur ; Dédius était considéré comme le vingt-deuxième empereur. En outre, un seul portait la couronne et, en ce moment, c’était Dédius qui la portait.

[Clodas desconfist encor les Romans] Et quant les Romans furent assembleis, sy montont sour mere et sont entreis en la terre de Judée ; mains chu ne leur vat, car Clodas vint encontre eaux à grant gens, qui tous les desconfist ; sy retournarent arier à Romme.

[Clodas bat encore les Romains] Et quand les Romains furent rassemblés, ils prirent la mer et entrèrent en terre de Judée. Mais cela ne leur réussit pas : Clodas marcha contre eux avec de nombreuses troupes. Ils furent tous battus et retournèrent à Rome.

[De sains Severin de Tongre] En cel an, fondat li evesque de Tongre Severin une englise à Tongre en l'honeur de sains Materne, où ilh mist XXII canones reguleres.

[Saint Séverin de Tongres] Cette année-là [213], Séverin, l’évêque de Tongres, fonda une église à Tongres en l’honneur de saint Materne, où il installa vingt-deux chanoines réguliers (suite II, p. 9).

 

Dédius persécute les chrétiens et fait reconstruire Naples et Milan - Son frère Sévérus est tué - Il est remplacé par un sénateur, Lucinius, puis par Sévérus Afer - Ils règneront ensemble jusqu'à leur mort en 218 (214-215)

[Persecution sour cristiens] Item, l'an IIc et XIIII, fist ly emperere Dedius martirisier pluseurs sains, en despit de la loy cristiene. Chis Dedius fut asseis malvais ; ilh resemblat son peire en malvasteit de destruire sainte Engliese et les gens cristiens. En cel an fist l'emperere Dedius reedifiier la citeit de Naple, qui Thomas, ly roy de Bretangne, avoit destruite. 

[Persécution contre les chrétiens] En l’an 214, l’empereur Dédius fit martyriser de nombreux saints par hostilité à la loi chrétienne. Cet empereur fut très mauvais ; égal en méchanceté à son père, il voulut détruire la Sainte-Église et les chrétiens. Cette année-là, Dédius fit reconstruire la ville de Naples, détruite par Thomas, le roi de Bretagne.

[IIc XV] Et, sour l'an IIc et XV, fist-il refaire la citeit de Melan que Clodas avoit destruite. Et là fust ochis l'emperere Severus d'on gran pileir qui ly chaiit sour luy ; si fut remis en lieu de luy unc senateur qui oit nom Luciiens, qui regnat III mois, puis morut. Apres y fut remis I aultre qui fut nomeis Severus Affer, qui regnat ortant com ly emperere Dedius viscat, car ilhs furent ochis ensemble, enssi com vos oreis.

[An 215] En 215, il fit reconstruire la ville de Milan, détruite par Clodas. C'est là que l’empereur Sévérus fut tué, par un grand pilier qui tomba sur lui. Il fut remplacé par un sénateur nommé Lucianus, qui régna trois mois, puis mourut. Ensuite, un autre fut désigné, nommé Sévérus Afer, qui régna aussi longtemps que vécut l’empereur Dédius, car ils furent tués ensemble, comme vous l’entendrez (cfr II, p. 6, en 218).

 

Dédius reconstruit Pavie et nomme Palados roi de Pavie - Palados envahit la Bourgogne, mais il est vaincu et tué par le duc de Bourgogne, Simon - Repli des Lombards, et avènement de Jonab, frère de Palados (216)

[II, p. 5] [De roy de Pavie] Item, l'an IIc et XVI, fist l'emperere Dedius refaire la citeit de Pavie ; si en fist roy de unc senateur qui mult haioit sainte Engliese. Et quant ly roy de Pavie, qui fut nommeis Palados, oit refaite toutes ses vilhes, ilh assemblat ses oust et entrat en la terre de Borgongne. Se le commenchat à destruire ; mains Symon, qui en estoit dus, vint encontre luy à gran gens.

[II, p. 5] [Le roi de Pavie] En l’an 216, l’empereur Dédius fit reconstruire la cité de Pavie ; il y nomma comme roi un sénateur, très hostile à la Sainte-Église, du nom de Palados. Et quand ce Palados eut reconstruit toutes les villes de son royaume, il assembla ses armées et pénétra en terre de Bourgogne. Il commença à la dévaster ; mais Simon, qui en était le duc, marcha contre lui avec de nombreuses troupes.

[Symon, dus de Borgongne, desconfit le roy de Pavie] Si oit batalhe à Iuy, en laqueile les cristiens perdirent mult de gens ; mains encors en perdirent plus les Sarasins de Pavie, car ilhs furent presque tous mors, et fut [II, p. 6] leur roy Palados ochis.

[Simon, duc de Bourgogne, défait le roi de Pavie] Et il y eut un combat, au cours duquel les chrétiens subirent beaucoup de pertes. Mais les Sarrasins de Pavie en perdirent plus encore, car presque tous moururent, [II, p. 6] et leur roi Palados fut tué.

[Jonab, le IIe roy de Pavie] Adont s'en refuirent les auItres vers Lombardie com desconfis, et refisent uns altre roy qui oit nom Jonab, le frere le roy Palados.

[Jonab, deuxième roi de Pavie] Alors les autres, en vaincus, s’enfuirent vers la Lombardie où ils élurent un autre roi, Jonab, frère du roi Palados.

 

Papauté : Mort et institutions du pape Zéphyrin - Alexandre, évêque de Cappadoce, devient évêque de Jérusalem - Calixte, dix-septième pape (216)

[II, p. 6] En cel an, le XXVIe jour d'awost, morut ly pape Zepherus ; si fut ensevelis en la cymiteir Sains-Calixte.

[II, p. 6] Le 26 août de cette année-là [216] mourut le pape Zéphyrin ; il fut enseveli dans le cimetière Saint-Calixte.

[Miracle] En son temps allat en Jherusalem, par cause de devotion, Alixandre, evesque de Capadoche ; si trovat Marchise, l'evesque de Jherusalem, qui estoit mors le jour meismes qu'ilh entrat en Jherusalem. Si fut Alixandre esluys evesques por le revelation de Saint-Esperit.

[Miracle] À cette époque Alexandre, évêque de Cappadoce, se rendit à Jérusalem pour y prier. Le jour même où il entra dans la ville, il arriva que l’évêque de la ville, Narcisse, mourut. Alexandre fut élu évêque de Jérusalem sur l'inspiration du Saint-Esprit.

[Status papale] Chis pape Zephirus statuat que nuls patriarche ou metropolitain, à l'encontre de l'evesque accuseis, ne donnast sentenche, se chu n'estoit par mandemens apostolique, observant le ordinanche des preistres et des dyaques.

[Ordonnance papale] Ce pape Zéphyrin avait décidé qu’aucun patriarche ou métropolite ne pourrait prononcer de sentence contre un évêque accusé, sans un mandement apostolique, respectant les dispositions sur les prêtres et les diacres.

[Calixte, pape, le XVIIe] Item, apres la mort Zephirus VII jours, fut consecrés à pape I proidhons qui fut nommeis Calixte, qui fut de la nation de Romme, le fis Demetrie, del region de Ravenne ; et tient le siege VIII ans II mois XI jours, et, solonc Martinian, VI ans ; et sains Jerome dist V ans et VI mois, et Damascenus dist VI ans.

[Calixte, dix-septième pape] Sept jours après la mort de Zéphyrin, fut sacré pape un sage, portant le nom de Calixte, originaire de Rome, fils de Démétrius, de la région de Ravenne. Il occupa le siège durant huit ans, deux mois et onze jours et durant six ans, selon Martin. Saint Jérôme dit cinq ans et six mois, et Jean Damascène six ans.

 

L’empereur Dédius reconstruit les villes de Calabre et de Pouille - Clodas conquiert la Palestine et la Syrie - Les sénateurs tuent Dédius et son collègue Sévérus Afer - Antoninus et Aurélius, leurs fils, règnent comme vingt-troisième empereur pendant 18 jours - Macrin (remplacé en 219 par un Antoninus) et Aurélius règnent ensuite comme vingt-quatrième empereur (217-219)

[II, p. 6] [IIc et XVII - De l’emperere Dedius] Item, l'an IIc et XVII, fist l'emperere Dedius refaire toutes les vilhes que le roy Thomas avoit destruite en la terre de Puilhe et de Calabre.

[II, p. 6] [An 217 - L’empereur Dédius] En 217, l’empereur Dédius fit reconstruire toutes les villes que le roi Thomas avait détruites en Pouille et en Calabre.

[Clodas fist chi mervelhe] En cel an, conquist Clodas, ly roy de Jherusalem et de Scoche, toute la terre de Surie et de Palestine, et les fist baptisier.

[Clodas fait des merveilles] Cette année-là, Clodas, roi de Jérusalem et d’Écosse, conquit toute la Syrie et la Palestine qu'il fit baptiser.

[Les II empereres furent ochis des senateurs] Item, l'an IIc et XVIII, vorent les II empereres de Romme remettre la chevalerie de Romme en servaige, où ilh avoit jà esteit, de quoy ilh estoient affranquis. Si en furent les senateurs mult corochiés, se les ochirent ambdois en leur palais meisme, le XIXe jour de septembre

[Les deux empereurs sont tués par des sénateurs] En 218, les deux empereurs de Rome (Dédius et Sévérus Afer ; cfr II, p. 5) voulurent remettre les chevaliers de Rome dans la servitude où ils s’étaient jadis trouvés et dont ils avaient été affranchis (par Marc Aurèle, cfr I, p. 571). Les sénateurs, très irrités, tuèrent les deux empereurs dans leur palais, le 19 septembre.

[Anthone et Aurelius empereres XXIIIe] Puis enluirent II aultres et les coronont : ly promier oit nom Anthone Catacelle, le fis de Dedius, et ly aultre oit nom Aurelius, le fis Severus ; mains ilhs ne regnarent que XVIII jours, qu'ilh furent tantoist ochis en leur palais meismes, portant qu'ilhs vorent trahitement faire ochire cheaux qui avoient leurs peires mis à mort.

[Antoninus et Aurélius, vingt-troisième empereur] Puis ils en élirent deux autres et les couronnèrent : le premier nommé Antoninus Caracalla, fils de Dédius, et l’autre nommé Aurélius, fils de Sévérus ; mais ils ne régnèrent que dix-huit jours et furent tués aussitôt dans leurs propres palais, parce qu'ils voulurent traîtreusement faire tuer ceux qui avaient mis leur père à mort.

[Martian et Aurelius emperere XXIIIIe] Apres la mort de ches II empereres, furent fais II aultres qui estoient senateurs. Et fut ly soverains qui estoit nommeis com drois emperere appelleis par son nom Martiain et l'autre [II, p. 7] Aurelius : chis Martiain ne regnat que I an et III jours, car ilh morut l'an IIc et XIX.

[Macrin et Aurelius, vingt-quatrième empereur] Après leur mort, deux autres empereurs furent nommés, d’anciens sénateurs. Le principal, le véritable empereur, porta le nom de Macrin, et l’autre celui [II, p. 7] d’Aurélius ; ce Macrin ne régna qu'un an et trois jours, car il mourut en 219.

Puis refuit coronneis comme emperere soverains Anthone, le fis celuy Martiain, qui regnat VIII mois et XII jours.

Ensuite, Antoninus, le fils de Macrin [Diaduménien ?] fut couronné empereur principal : il régna huit mois et douze jours.

 

Succession au Danemark (mort de Jonadas, son fils Valentin lui succède) - Mort de Clodas - Antoninus reconquiert Jérusalem et persécute les chrétiens - Mort de Thomas, roi de Grande-Bretagne - Ses trois fils deviennent rois de Bretagne, de Cornouailles et d’Écosse (219-221)

[II, p. 7] [De roy de Dannemarche] En cel an morut Jonadas, ly roy de Dannemarche ; si fut roy apres son fis Valentin, qui regnat XXII ans.

[II, p. 7] [Le roi de Danemark] Cette année-là [219] mourut Jonadas, le roi de Danemark. Son fils Valentin lui succéda comme roi pendant vingt-deux ans.

[Clodas morut] Item, l'an IIc et XX, en mois de may, morut Clodas, le roy de Jherusalem et de Scoche, ly plus valhant chevalier en tous cas qui fust oncques devant luy puis le temps Julius Cesar. Adont fut-ilh ploreis de toutes gens qui le cognissoient ; mains les Romans ne le ploroient mie.

[Mort de Clodas] En mai 220 mourut Clodas, le roi de Jérusalem et d’Écosse. Il fut en tout cas le chevalier le plus vaillant qui ait jamais existé depuis Jules César. Il fut pleuré par tous les gens qui le connaissaient. Mais les Romains ne le pleuraient pas.

[L’emperere Anthone reconquestat Jherusalem et mist tous cristiens à mort] Et quant les Romans sorent por vray que Clodas estoit mors, sy assemblat ly emperere Anthone, le IIIe de chi nom, ses gens, se passat mere et assegat Jherusalem ; mains ilhs soy rendirent tantoist, car ilh n'avoient pointe de chief, et se ne ratendoient nuls sourcour. Quant l'emperere oit la citeit reconquestée, se mist à mort tous les cristiens. Apres ilh mist en la citeit I sien privost qui gardat la terre ; et remist à la loy zarasin toute la terre de Palestine et de Surie que Clodas avoit conquis, et puis revint à Romme l'an IIc et XXI, en mois d'avrilh.

[L’empereur Antoninus reconquiert Jérusalem et met tous les chrétiens à mort] Quand les Romains furent vraiment sûrs que Clodas était mort, l’empereur Antoninus, troisième de ce nom (Élagabal, c.à.d. Marcus Aurélius Antoninus ?), rassembla ses troupes, traversa la mer et assiégea Jérusalem. Mais les habitants, qui n'avaient pas de chef et n’attendaient aucun secours, se rendirent aussitôt. Quand l’empereur eut repris la cité, il mit à mort tous les chrétiens. Puis il installa dans la ville un de ses prévôts, pour surveiller le territoire. Il rétablit la loi païenne dans toutes les terres de Palestine et de Syrie conquises par Clodas. Puis il revint à Rome en avril de l’an 221.

[Del mort le roy le bon Thomas - Des rois de Bretangne, Cornualh et Scoche] En cel an, le XXVIe jour d'avrilh, morut ly noble roy Thomas de la Grant Bretangne, qui avoit mult de bons cristiens en ses pays. Apres le mort le roy Thomas fut coroneis son anneis fis, qui oit nom Clodas, portant que Clodas ly gallois l'avoit leveis à sains fons. Chis fut roy de la Grant Bretangne, et ly aulre qui oit nom Thomas fut roy de Cornualhe ; et ly IIIe oit nom Symon, et fut roy de Scoche, car Clodas ly galois estoit mors sens heures.

[Mort du bon roi Thomas - Les rois de Bretagne, Cornouailles et Écosse] Cette année-là [221], le 26 avril, mourut le noble roi Thomas de Grande- Bretagne, qui avait beaucoup de bons chrétiens dans ses territoires. Après sa mort, son fils aîné fut couronné roi ; il se nommait Clodas, parce que Clodas le Gaulois l’avait tenu sur les saints fonts baptismaux. Il fut le roi de la Grande-Bretagne. Son second fils, nommé Thomas, devint roi de Cornouailles, et Simon le troisième, fut roi d’Écosse, car Clodas le Gaulois était mort sans héritiers.

 

Divers dans l’Église - Sévère Alexandre, comme vingt-cinquième empereur de Rome - Succession en Gaule (222)

[II, p. 7] [Des junnes des quatres temps] Item, l'an IIc et XXII, en mois de may, instituat ly pape Calixte à junneir les IIII temps, cascon an, solonc l'assengnement de sainte Engliese.

[II, p. 7] [Les jeûnes des Quatre-Temps] En mai 222, le pape Calixte institua le jeûne des Quatre-Temps, chaque année, comme l’enseigne la Sainte-Église.

[De Severin de Tongre] En cel an commenchat Severin, evesque de Tongre, une engliese à edifiier en la citeit de Tongre, en l'honeur de sainte Verone, laqueile fut parfaite en l'an apres, le XlXe jour de julle, et y metit des moynes grigois com reclus.

[Séverin de Tongres] Cette année-là [222], Séverin, l’évêque de Tongres, commença à construire une église dans cettte ville, en l’honneur de sainte Vérone. L’église fut achevée l’année suivante, le 19 juillet, et il y installa des moines cloîtrés grecs.

[Anthone l’emperere fut ochis qui fut I des contraire de sainte Englise] Item, en cel an fut ochis ly emperere Anthone en son palais : chis emperere fut trop luxurieux, et esposat solonc sa loy sa mareste à femme, qui avoit à nom Juliane. Chis Anthone, enssi com Boeche el [II, p. 8] Consolation de philosophie escript, chu fut uns des contraires de sainte Engliese, car ilh fist plus martyrisier des cristiens que nuls des altres empereres.

[Mort d’Antoninus l’empereur, un ennemi de la Sainte-Église] Cette année-là [222], l’empereur Antoninus fut tué dans son palais. Cet empereur, très débauché, épousa sa belle-mère, appelée Juliane [ce détail concerne Caligula, c.à.d. Marcus Aurélius Sévérus Antoninus]. Cet Antoninus, comme l'écrit Boèce dans [II, p. 8] la Consolation de la philosophie, fut un ennemi de la sainte Église, car il fit martyriser plus de chrétiens qu’aucun autre empereur.

[Alixandre, le XXVe emperere de Romme] En cel an, le Xe jour apres la mort Anthone, fut coroneis à emperere de Romme Alixandre son fis, qui regnat XIII ans I mois et VI jours. Et fut mult crueux sour les chevaliers, portant qu'ilh avoient mis à mort son peire ; et sy faisoit tousjours ses chouses sy covertement que ons ne le poioit dechivoir.

[Alexandre, vingt-cinquième empereur de Rome] Cette année-là [222], dix jours après la mort d’Antoninus, son fils Alexandre [= Sévère Alexandre] fut couronné empereur et régna treize ans, un mois et six jours. Il fut très cruel à l’égard des chevaliers, qui avaient mis son père à mort, et il agissait toujours de façon si secrète que on ne pouvait lui échapper.

[De Marcones, le dus de Galle] En cel an morut ly dus Franco de Galle, qui bien en pais tient son paiis tous les jours de sa vie ; sy fut dus apres luy Marcones, lyqueis regnat XLIII ans.

[Marcon, le duc de Gaule] Cette année-là [222], mourut le duc Franco de Gaule ; il avait maintenu son pays en paix, pendant toute sa vie. Son fils Marcon lui succéda et régna quarante-trois ans.

 

Saint Calixte, sainte Cécile, saint Urbain à Rome - Mort de saint Séverin, cinquième évêque de Tongres - Consécration de saint Florentin comme sixième évêque de Tongres (222-228)

[II, p. 8] [De Nostre Damme à Romme ‘Trans Tyberim’] En cel an consecrat ly pape Calixte une engliese que ilh avoit edifiiet en Trans Tyberim en l'honeur de la benoite virgue Marie, en laqueile ilh celebrat la primier messe le jour del Nativiteit Nostre-Saingnour, cel an meismes.

[II, p. 8] [Notre-Dame «Trans Tiberim» à Rome] Le pape Calixte cette année-là consacra à Rome une église qu’il avait fait construire Trans Tiberim en l’honneur de la bienheureuse vierge Marie, église où il célébra la première messe, cette même année, le jour de la Nativité de Notre-Seigneur.

[A chi temps fut consecree la cymitere Sains-Calixte - IIc XXIIII] Item, l'an IIc et XXIIII, consecrat ly pape Calixte le cymiteir deseurdit, où ons ensevelissoit les papes ; car adont ensevelissoit-ons les cristiens enssi en terre benit com non benit. Et le nommat-ons dedont en avant le cymetere Sains-Calixte ; mains nos l'avons devant nommeit enssi la cymitere Sains-Calixte, affin que ons le cognist miés.

[Consécration du cimetière Saint-Calixte - An 224] En 224, le pape Calixte consacra le cimetière susdit, où l’on ensevelissait les papes. C'est qu'en ce temps-là, on ensevelissait les chrétiens en terre bénite comme non bénite. Dorénavant, on l’appela le cimetière Saint-Calixte. En fait nous avons déjà précédemment parlé du cimetière Saint-Calixte, afin qu’on le reconnaisse plus facilement.

[Ly pape sains Calixte fut martirisiet] Item, l'an IIc et XXIIII deseurdit, le XIIIIe jour d'octembre, fut martyrisiet à Romme le pape sains Calixte ; sy fut ensevelis en sa cymitere propre que ilh avoit benit en la voie de Apia à Romme.

[Martyre du pape saint Calixte] En l’an 224, cité ci-dessus, le 24 octobre, le pape saint Calixte fut martyrisé à Rome. Il fut enseveli dans son propre cimetière, qu’il avait béni sur la voie Appienne de Rome.

[De pape Urbanus XVIIIe, et de Capitole qui ardit] Et vacat le siege XXX jours. Apres le XIIIe jour de novembre, fut consecreis le pape Urbanus, qui fut de la nation de Romme, et oit son peire à nom Ponche ; et tient le sige VIII ans VII mois et XII jours. A temps de chi pape, l'an IIc et XXV, une partie de Capitole de Romme ardit tout par devien feu, et ly seneistre main de leur dieu, que ons nommoit Jupiteir, qui estoit d'or, fondit.

[Urbain, dix-huitième pape, et incendie du Capitole] Le siège pontifical resta vacant trente jours. Après le 13 novembre fut consacré le pape Urbain. Il était originaire de Rome et son père se nommait Ponce. Il occupa le siège durant huit ans, sept mois et douze jours. Au temps de ce pape, en 225, une partie du Capitole de Rome fut entièrement détruite par le feu divin, et la main gauche de leur dieu, nommé Jupiter, qui était en or, fondit.

[IIc XXVI] Item, l'an IIc et XXVI, estoit à Romme sainte Cecile, une glorieux virgue ; et, l'an IIc XXVII, l'emperere Alixandre fist refaire le Capitole de Romme.

[An 226] En l’an 226 vivait à Rome sainte Cécile, une vierge glorieuse. En l’an 227, l’empereur Alexandre fit refaire le Capitole de Rome.

[Des grans biens le pape Urbain qu’il fist à Rome] En cel an, edifiat ly pape Urbain, en la large voie à Romme, pluseurs belles englieses, et convertit oussi alle loy Jhesu-Crist mult gran peuple. Item, en cel an fist faire ly pape Urbain tous les vasseals des englieses de la large voie, tous d'or et d'argent et de stenc.

[Les grands bienfaits du pape Urbain à Rome] Cette année-là [227], le pape Urbain édifia à Rome, sur la Via Lata, plusieurs belles églises. Il convertit aussi à la loi de Jésus-Christ une très nombreuse population. Cette année encore, le pape Urbain fit faire les vases sacrés des églises de la Via Lata, tous en or, argent et étain.

[Sainte Cecile se mariat] En cel an, soy mariat sainte Cecile, virgue, et prist à marit sains [II, p. 9] Valeriain, qui estoit noble hons.

[Mariage de sainte Cécile] Cette même année [227], la vierge sainte Cécile se maria. Elle prit pour époux [II, p. 9] saint Valérien, un homme de la noblesse.

[De sains Floren, le VIe evesque de Tongre] Item, l'an IIc et XXVIII, en mois en may, morut sains Severin, ly Ve evesque de Tongre ; si fut ensevelis en l'eglise Sains-Materne qu'ilh avoit fondeit. Apres sains Severin fut consacreis evesques de Tongre VIe Florens, qui regnat XLI an.

[Saint Florentin, sixième évêque de Tongres] En mai 228 mourut saint Séverin, cinquième évêque de Tongres. Il fut enseveli dans l’église Saint-Materne, qu’il avait fondée. Après lui fut consacré le sixième évêque de Tongres, Florentin, qui régna quarante et un ans (cfr II, p. 20 et II, p. 29).

 

Clodas, roi de Bretagne, fils du roi Thomas et filleul de Clodas d’Écosse - Ses opérations militaires en Afrique et à Carthage - Le roi de Carthage demande de l’aide à l’empereur de Rome, au roi de Perse et au roi d’Égypte - Seul ce dernier répond positivement (228-229)

[II, p. 9] [Ly roy Clodas de Bretangne conquist en Affrique et assegat Cartage] En cel an, assemblat ly roy Clodas de la Grant Bretangne ses oust, sy entrat en l'empire de Romme par-delà mere, et commenchat à destruire la terre d'Affrique et les citeis abattre, et tant qu'ilh asseghat Cartaighe et seiit devant XVI mois, et se n'en oit pointe, car ly roy Tyberius de Cartage mandat sourcour à l'emperere de Romme, et à roy de Persie, et al roy d'EgypteDe tous cheaux ne vient nuls sourcour, fours que ly roy d'Egypte ; car ly roy de Persie respondit aux messagiers que ilh n'yroit jà en lieu où ilh quideroit faire l'emperere de Romme honneur ne profit. Et oussi les messagiers qui durent alleir à Romme n'y alarent mie, car I oraige les prist sour mere, qui les jettat altre part.

[II, p. 9] [Le roi Clodas de Bretagne fait des conquêtes en Afrique et assiège Carthage] Cette année-là [228], le roi Clodas de Grande-Bretagne rassembla ses armées et pénétra dans l’empire romain au-delà de la mer. Il commença à dévaster le territoire d’Afrique et à anéantir les cités, jusqu’à ce qu’il assiège Carthage, seize mois durant, sans en venir à bout. Le roi Tibérius de Carthage avait demandé du secours à l’empereur de Rome, aux rois de Perse et d’Égypte. Le roi de Perse répondit aux messagers qu’il n’irait jamais en un endroit où il penserait honorer et avantager l’empereur de Rome. Quant aux messagers chargés d’aller à Rome, ils n’y arrivèrent pas : un orage les surprit en mer et les fit s’échouer ailleurs.

[IIc XXIX - Clodas desconfist les Egiptiiens] Mains ly roy Frigons de Egypte vient à Cartaige à grans gens, l'an IIc et XXIX, en mois de novembre. Si avoit li siege dureit XV mois. Adont oit grant batalhe entres les cristiens de Bretangne et les Sarasins d'Egypte, en laqueile batalhe ly roy d'Egypte fut ochis et II de ses freres : Gadus et Florions, et ses III fis : Gadus, Florions et Banores ; et furent tous les Sarasins mors et desconfis. Si en avoient les cris­tiens toute l'honour, quant cheaux de Cartaige issirent fours de la citeit et assalhirent les cristiens al dos. Si en furent mult ochis, et ly roy Clodas fut grandement navreit en la potrine.

[An 229 - Clodas défait les Égyptiens] Mais le roi Frigons d’Égypte vint à Carthage avec une grande armée, en 229, au mois de novembre. Le siège avait duré quinze mois. Il y eut alors entre les chrétiens de Bretagne et les Sarrasins d’Égypte une grande bataille dans laquelle furent tués le roi d’Égypte et deux de ses frères, Gadus et Florion, ainsi que ses trois fils, Gadus, Florion et Banores. Tous les Sarrasins furent tués et battus. Les chrétiens en avaient tout l’honneur, quand ceux de Carthage sortirent de la ville et les attaquèrent par l’arrière. Beaucoup furent tués et le roi Clodas fut grièvement blessé à la poitrine.

[Bretons furent desconfis de ches d’Affrique] Adont covient les Bretons fuyr, car ilhs furent desconfis ; mains nuls ne les cachat, si que ilh soy rasemblarent et soy remisent ensemble ; et puis s'en rallont en leurs paiis, portant que Clodas leur saingnour estoit navreis.

[Les Bretons furent vaincus par les Africains] Vaincus, les Bretons durent alors fuir, mais personne ne les poursuivit. Ils se rassemblèrent, se regroupèrent, puis regagnèrent leur pays, à cause de la blessure de Clodas, leur seigneur.

 


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