Jean d'Outremeuse, Myreur, I, p. 579b-586

Édition : A. Borgnet (1864) ‒ Présentation nouvelle, traduction et introductions de A.-M. Boxus et de J. Poucet (2017)

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SOUS SEPTIME SÉVÈRE : Suite de la geste de Thomas de Bretagne et de Clodas - Empereurs - Papes - DIVERS [Myreur, p. 579b-586)

Ans 194 -204


 

Introduction [sommaire] [texte]

Thomas de Bretagne et Clodas aux prises avec les Romains et Septime Sévère

Jean d'Outremeuse raconte d'abord la suite de la geste de Thomas et Clodas, ainsi que la fin de l'opération hongroise. Finalement, Targont se rend et Alexandre de Hongrie devient tributaire de Thomas de Bretagne. On lui permet toutefois de conserver sa religion. Thomas et Clodas rentrent chez eux. Mais, en route vers le Danemark, une violente tempête les jette en territoire romain où Septime Sévère leur inflige une lourde défaite. Ils réussissent toutefois à regagner la Bretagne, qui leur fait fête. Le roi hongrois Alexandre renvoie à Rome avec une escorte de douze chevaliers « les ossements de l'empereur Commode, qui était mort en Hongrie à son service » (p. 580). À la mort d'Alexandre, son fils Brohadas lui succède. Mais Thomas et son allié Clodas n'ont pas fini de faire parler d'eux. On va les retrouver aux prises avec les Romains.

En fait, pour comprendre la suite, il faut retourner à Rome et voir ce qu'il est advenu de Septime Sévère. Le peuple romain s'est révolté contre lui et l'a chassé de Rome. Réfugié à Athènes, il est choisi par les Athéniens pour remplacer leur roi décédé. À la tête de l'armée athénienne et sans rencontrer de véritable résistance, il va progressivement reconquérir tout son territoire et assiéger Rome, dont les habitants, après une rébellion de trois ans, finissent par le reconnaître à nouveau comme empereur. Ils obtiennent le maintien de leurs franchises antérieures, non sans avoir menacé, s'ils n'obtenaient pas satisfaction, d'appeler à leur aide le duc de Gaule, Troïlus.

Installé à nouveau sur le trône, Septime Sévère organise d'abord une expédition en Afrique pour y mater une rébellion, puis décide d'envahir l'Écosse chrétienne pour la ramener dans l'orbite de Rome. Adolphe, gouverneur (prevost) d'Écosse, vaincu au combat, doit se replier sur Sargas, une forteresse imprenable et approvisionnée pour dix années. Adolphe demande alors l'aide du roi Thomas de Bretagne. Et c'est ainsi que les Romains vont à nouveau croiser la route de Thomas et de son fidèle Clodas.

Les deux alliés décident d'ouvrir deux fronts : Clodas s'occupe de l'Italie ; Thomas, de l'Écosse et des Romains de Sévère. En Italie, Clodas conquiert et dévaste de nombreuses villes avant d'assiéger Rome. En Écosse, autour de la fortresse de Sargas, se déroule une bataille âpre et indécise entre Romains et Bretons, suivie d'un combat singulier entre Septime Sévère et Thomas. Finalement, les Romains, vaincus par Thomas et les Écossais, rembarquent pour l'Italie avec leur empereur. Mais tout n'est pas terminé pour eux, car, une fois en Italie, ils s'y heurtent aux troupes de Clodas. Dans la bataille, les Romains sont défaits, grâce surtout aux prouesses de Clodas. Celui-ci serait bien tenté de poursuivre les Romains en fuite, mais il en est dissuadé par ses barons. Il retourne alors en Écosse, où il retrouve Thomas dans une ambiance de fête.

Quant à l'empereur Septime Sévère, il rentre à Rome, irrité de sa défaite et, pour se venger de Thomas et des chrétiens d'Écosse, il décrète une persécution et martyrise un nombre incalculable de chrétiens (en martyrisat sens nombre, p. 586), en commençant par le pape Victor.

Les empereurs

Historiquement, Septime Sévère est salué empereur par ses troupes en 193 à Carnuntum (Pannonie, actuelle Autriche), mais il mettra quatre ans à éliminer ses rivaux (Didius Iulianus, Pescennius Niger et Clodius Albinus) et à s'installer solidement sur le trône. C'est fait en 197. Il associe à son pouvoir ses deux fils, Caracalla et Géta. Lorsqu'il meurt en 211, le trône revient à ses deux fils qui se détestent et règnent conjointement pendant un an (février 211 à février 212). À cette dernière date, en 212 donc, Caracalla fait assassiner son frère et prend seul le pouvoir jusqu'à sa mort en avril 217. En fait, comme on le verra dans le fichier suivant, la titulature impériale des deux frères est plus complexe.  Caracalla (un surnom), qui est né Lucius Septimius Bassianus, règne sous le nom de Marcus Aurelius Severus Antoninus Augustus. Il entend par là se rattacher à la dynastie des Antonins. Géta, lui, règne sous le nom de Lucius Publius Septimius Antonius Geta. On voit que sa titulature comporte également le terme Antonius.

Le texte de Jean concernant Septime Sévère relève pour l'essentiel de la fiction, sauf peut-être le détail de l'expédition en Écosse, mais le récit de la geste a pris beaucoup de liberté avec l'Histoire. Dans la réalité, l'empereur romain prend la tête d'une expédition en Bretagne pour mater au Nord du pays une agitation de peuples installés près du mur d'Hadrien (= le limes, la frontière romaine) et auxquels s'étaient associés des Calédoniens (= Écossais). L'intention de Septime Sévère était moins, semble-t-il, de réprimer l'agitation que d'achever la conquête de l'île. Il meurt malade en 211, à son quartier général de York (Eburacum). Caracalla achève la guerre et ramène la frontière au limes. Jean évoquera (Myreur, II, p. 3) les opérations de Septime Sévère en Grande-Bretagne.

Pour terminer, précisons que, historiquement toujours, on ne peut pas attribuer à Septime Sévère des persécutions contre les chrétiens. En matière religieuse, comme l'écrit P. Petit (Empire Romain, 1974, p. 365), « à l'époque des Sévères, toutes les barrières et les interdictions élevées contre les influences étrangères, indigènes ou orientales, sont tombées ».

La Papauté

Éleuthère meurt martyr et est enseveli près de la tombe de saint Pierre, comme beaucoup de ses prédécesseurs. Son successeur est Victor. Une discussion sur son origine prouve une chose : Jean d'Outremeuse dépend non seulement de Martin et du Liber Pontiticalis (qu'il attribue au pape Damase), mais aussi du Speculum Historiale de Vincent de Beauvais. Vérification faite, dans le livre XI, Vincent parle bien (ch. 107) d'un Victor grec (a Cilicia), martyr, et plus loin (ch. 124) d'un Victor pape. Mais ce sont des personnages différents. Et à propos du pape, dans les textes rassemblés par Vincent, ne figure aucune origine géographique. Jean, dans ses notes de lecture du Speculum, aurait-il confondu les deux personnages ? En tout cas le reste de la tradition, en l'occurrence ici, Martin (p. 412, éd. Wieland,) et Damase (Liber Pontificalis, p. 18, éd. Mommsen) font du quinzième pape un Africain, comme l'empereur lui-même.

Féru de chronologie, le chroniqueur liégeois consacre un développement important à un problème chronologique majeur, celui de la fixation de la date de Pâques. La décision a été prise lors d'un concile, localisé par Jean en la citeit de Alixande en Egypte (p. 581), là où Martin, sa source, écrit avec raison in Alexandria Palestin[a]e. En fait il s'agissait non pas d'un concile général, mais d'une réunion, datée de l'an 196 de notre ère, et passée dans l'histoire sous le nom de « Concile de Palestine ». Cette assemblée confirma les décisions d'un concile précédent, tenu à Rome (A. C. Peltier, Dictionnaire universel et complet des conciles, II, Paris, 1847, col. 219, cfr aussi col. 555. [Encyclopédie théologique de Migne]). En ce qui concerne la liste des participants aussi, la comparaison avec le modèle est intéressante. Martin (p. 412, éd. Wieland) cite le pape Victor, Narcisse le patriarche de Jérusalem, Théophile évêque de Césarée et Irénée, évêque de Lyon. La liste de Jean (p. 581 toujours) est un peu différente : il transforme le nom du patriarche Narcisse de Jérusalem en Marchises, et conserve les noms des autres participants, en y ajoutant celui de l'évêque Marcel de Tongres, qui venait de succéder à Navitus (p. 579a). Cette addition traduit, une fois de plus, le chauvinisme un peu naïf de notre chroniqueur. Tongres ne pouvait être absente à cette réunion : son évêque devait être mis sur le même pied que les patriarches de Rome, de Jérusalem, de Césarée et de Lyon. Pour rappel, selon Jean d'Outremeuse, à l'époque de sa fondation déjà, Tongres comptait parmi les trois plus grandes villes du monde : il y avait en effet Rome, Carthage et... Tongres. Et des trois, ajoutera notre chroniqueur, « c'était même la plus belle » (p. 190).

Pour en revenir aux problèmes de comput, peut-on préciser que, dans le Christianisme, « la date de Pâques est fixée au premier dimanche après la première pleine lune qui suit le 21 mars, donc au plus tôt le 22 mars, si la pleine lune tombe le soir du 21, et au plus tard le 25 avril ». En fait les choses sont beaucoup plus complexes, comme le montre la simple lecture des pages de Wikipédia qui abordent cette question : Pâques, Comput, Calcul de la date de Pâques, Pâque quartodécimaine.

Dans ce bloc, il est question du pape Victor à trois endroits différents (une mention p. 579 ; deux mentions p. 586) Celle de la p. 586, qui signale le martyre du pontife et son ensevelissement près du corps de saint Pierre, fait également état de son ordonnance sur le baptême. En ce qui concerne le « baptême de nécessité », la dernière proposition de Jean (se en la cristiene confession le requiert sicom vray creans) n'est pas très claire. Le passage correspondant de Martin (p. 412, éd. Weiland) l'est davantage : Hic constituit, ut necessitate faciente quicumque hominum sive in flumine sive in fontibus sive in mari, tantum christiana confessione credulitatis clarificata, baptizaretur (« Il décréta que, en cas de nécessité, tout homme soit baptisé, dans un fleuve, une fontaine ou dans la mer, pour autant que sa profession dans la foi chrétienne ait été clairement manifestée ». La question du « baptême de sang », c'est-à-dire celui du martyr, présente chez Jean, n'est pas évoquée par Martin.

On notera aussi la remarque de Jean, à propos de l'endroit où fut enterré le pape Victor (p. 586) : « Le pape fut enseveli dans le cimetière Saint-Calixte, ainsi nommé parce qu'il fut consacré en son temps par saint Calixte, qui devint par la suite pape de Rome [ans 217-222]. Mais à l'époque où nous sommes, le cimetière n'était pas consacré et ne portait pas ce nom, puisque Calixte n'était pas encore né. » Notre chroniqueur a toujours le souci de respecter la chronologie !

 

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Sommaire

À Rome : Septime Sévère, originaire d'Afrique, succède seul à Helvius Pertinax, comme vingt-et-unième empereur - Le pape Victor, un Africain, succède à Éleuthère, mort martyrisé (194)

* Après la reddition de la ville de Targont, Alexandre de Hongrie devient tributaire de Thomas de Bretagne, mais reste païen - Thomas et Clodas rentrent chez eux mais, détournés de leur route par une tempête, ils sont jetés en territoire romain où Septime Sévère leur inflige une lourde défaite - Ils réussissent toutefois à atteindre la Grande-Bretagne, qui leur fait fête (ans 194-195)

Les ossements de l'empereur Commode sont transférés de Hongrie à Rome - En Hongrie, Brohadas succède à Alexandre - En Gaule, Troïlus succède à Franco - Clément, maître d'Origène, fait autorité (195-196) - Troïlus construit le château fort de Bienfondé sur le Rhône - Grande sécheresse et vie chère (197)

Septime Sévère, expulsé de Rome par ses sujets rebelles, obtient l'aide du roi d'Athènes mais, vaincu par les Romains, il devient roi des Athéniens et commence à dévaster le territoire des Romains qui le laissent faire (198) - Le pape Victor réunit le concile d'Alexandrie qui fixe les dates du carême et de Pâques (198)

Retour à Rome de Septime Sévère, qui reconquiert d'abord la Lombardie, puis l'ensemble de son royaume et assiège Rome (200) - Après trois ans de rebellion, les Romains obtiennent, en menaçant de faire appel au duc de Gaule Troïlus, le maintien de leurs franchises et reconnaissent enfin Septime Sévère comme empereur - Priam succède au comte Anténor en Flandre - Sévère part pour l'Afrique en rébellion - Métropole, nouvel évêque de Tongres (199-201) - Septime Sévère fait la loi à Carthage et en Afrique (202)

* Septime Sévère envahit l'Écosse chrétienne pour la ramener dans l'orbite de Rome et l'emporte dans une bataille contre Adolphe, prévôt d'Écosse - Ayant replié ses troupes à Sardas, dans une forteresse imprenable et approvisionnée pour dix années, Adolphe s'allie au roi Thomas de Bretagne - Thomas et Clodas organisent deux fronts : Clodas est chargé de ravager l'Italie et Thomas de marcher contre Sévère en Écosse (203)

* Tandis que Clodas assiège Rome après avoir conquis et dévasté de nombreuses villes en Italie, Thomas se rend à Sardas où se déroulent une bataille âpre et indécise entre Romains et Bretons, puis un combat singulier entre l'empereur Sévère et le roi Thomas - Finalement, les Romains, vaincus par Thomas et les Écossais, rembarquent pour Naples (204)

Rentrés en Italie, l'empereur et les Romains ne peuvent éviter Clodas - Une grande bataille se déroule, les Romains sont défaits, surtout grâce aux prouesses de Clodas - Dissuadé par ses barons de poursuivre les Romains en fuite, Clodas retourne en Écosse, où il retrouve Thomas dans une ambiance de fête (204 ?)

L'empereur Sévère, rentré à Rome irrité de sa défaite, décrète une persécution et martyrise un nombre incalculable de chrétiens, dont le pape Victor, qui avait publié une ordonnnance sur le baptême (204 ?)

 

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À Rome : Septime Sévère, originaire d'Afrique, succède seul à Helvius Pertinax, comme vingt-et-unième empereur - Le pape Victor, un Africain, succède à Éleuthère, mort martyrisé (194)

 

[p. 579] [Le XXIe emperere Severus] Item, l'an C et XCIIII, morut et fut ochis en son palais à Romme ly emperere Elyus Pertinax ; sy regnat tou seul Severus, son compangnon, qui astoit de la nation d'Affrique ; et tous les aultres empereurs devant luy avoient esteit Romans.

[p. 579] [Sévère, vingt-et-unième empereur] En l'an 194, l'empereur Helvius Pertinax mourut, tué dans son palais à Rome. Son collègue (Septime) Sévère, originaire d'Afrique, régna seul. Tous les empereurs avant lui avaient été des Romains.

[Victoir, le XVe pape] Item, en cel an, le XVIIIe jour de mois de marche, morut à Romme le pape Eleuterios, et fut martyrisiiés. Et fut ensevelis deleis la tumbe Sains-Pire ; et VI jours apres sa mort que ly sige vacat, fut consecreis ly XVe pape, liqueis oit nom Victoir le promier de chi nom. Et tient le sige X ans II mois et II jours ; et fut de la nation d'Affrique enssi com l'emperere Severus. Et Vincens dist qu'ilh fut de la nation de Greche, et Martiniain et Domasticos, dient qu'ilh fut de la nation d'Affer.

[Victor, quinzième pape] Cette année-là [194], le 18 mars, mourut martyrisé à Rome le pape Éleuthère. Il fut enseveli près de la tombe de saint Pierre. Après six jours de vacance du siège pontifical, le quinzième pape, le premier à porter le nom de Victor, fut consacré. Il occupa le siège durant dix ans deux mois et deux jours. Il était Africain comme l'empereur Sévère. Vincent dit qu'il était grec1, tandis que Martin et Damase disent qu'il était Africain2.

 

1 En XI, 107, mais Vincent confond entre deux personnages qui portent le même nom.

2 Cfr, pour Martin, la p. 412 (éd. Weiland) et, pour Damase, la p. 18 (éd. Mommsen) du Liber Pontificalis.

 

Bretons et Hongrois : Après la reddition de Targont, Alexandre de Hongrie devient tributaire de Thomas de Bretagne, mais reste païen - Déportés au pays des Romains par une tempête, Thomas et Clodas y sont lourdement défaits par Septime Sévère, avant de regagner la Grande-Bretagne, qui leur fait fête (194-195)

 

[p. 579] [Le roy Thomas gangnat Targont] En cel an, en mois de may, fut rendue à roy Thomas la citeit de Targont en Hongrie ; et là fut accordeit entre luy et le roy, par le conselhe de Clodas, que ly roy tenroit encor la loy que ilh avoit tousjours tenue, car ilh voloit mies morir que prendre baptesme ; et ilh relevat sa terre de roy Thomas, et rendit à luy tregut.

[p. 579] [Le roi Thomas s'empare de Targont] Cette année-là, en mai, la cité de Targont en Hongrie se rendit au roi Thomas ; sur le conseil de Clodas, un accord fut conclu entre Thomas et Alexandre : le roi hongrois conserverait la religion qu'il avait toujours observée, car il préférait mourir que se faire baptiser, mais il tiendrait sa terre du roi Thomas et serait son tributaire.

Adont soy partit ly roy Thomas, et s'en alat vers Dannemarche ; mains ilh ne plaisoit mie à Dieu que ilh y alassent, portant que chu n'estoit mie leur profit ; se les enlevat uns oraige qui les jettat par mere dedens IIII mois en paiis de Romme.

Alors le roi Thomas repartit et s'en alla vers le Danemark. Mais Dieu ne voulait pas que les Bretons s'y rendent, car ce n'était pas utile pour eux. Une tempête les emporta et les retint sur mer durant quatre mois, avant de les faire échouer sur le territoire de Rome.

[Batalhe entre Bretons et Romans] Et quant ly roy Thomas veit chu, se commenchat la terre à exilhier ; mains ly emperere Severus assemblat ses gens, sy vint encontre eaux ; sy orent batalhe, et perdit ly une partie et l'autre mult de [p. 580] gens ; mains al derain furent les cristiens desconfis. Adont soy retrahirent les cristiens en leurs nefs, et en ralarent en la Grant Bretangne ; et revinrent à Londre l'an deseurdit, le XXIIIIe jour de marche, et II jour là apres entrat ly année del incarnation C et XCV.

[Bataille entre Bretons et Romains] Quand le roi Thomas le constata, il commença à saccager le pays. Mais l'empereur Sévère rassembla ses troupes et alla les rencontrer. Ils s'affrontèrent dans une bataille où les deux parties perdirent beaucoup [p. 580] d'hommes. Mais finalement, les chrétiens furent défaits. Ils se retirèrent alors sur leurs bateaux pour regagner la Grande-Bretagne. Ils furent de retour à Londres la même année, le 24 mars, soit deux jours avant que ne commence l'an 195 de l'Incarnation.

[C et XCV] Adont furent bien fiestoiés : sy orent grant joie cheaux qui ravoient leurs amis, et les aultres orent doleur por leurs amis qui estoient mors. Dedont en avant demorat Clodas awec le roy Thomas en son paiis, sy furent loials compangnons.

[An 195] Ils furent alors beaucoup fêtés. Ceux qui retrouvaient leurs amis étaient très heureux, tandis que ceux qui avaient perdu les leurs étaient affligés. Désormais Clodas resta avec Thomas dans son pays où ils furent de loyaux compagnons.

 

Les ossements de l'empereur Commode sont transférés de Hongrie à Rome - En Hongrie, Brohadas succède à Alexandre - En Gaule, Troïlus succède à Franco - Clément, maître d'Origène, fait autorité (195-196) - Troïlus construit le château fort de Bienfondé sur le Rhône - Grande sécheresse et vie chère (197)

 

 [p. 580] [De roy de Hongrie] En cel an, en mois de julle, ly roy Alixandre de Hongrie envoiat à Romme les osseais de l'emperere Commodus par XII chevaliers qui avoit esteit mors en Hongrie en son serviche, sycom dit est ; et furent ensevelis à Romme en une columpne qu'il avoit fait faire.

 [p. 580] [Le roi de Hongrie] Cette année, en juillet, le roi Alexandre de Hongrie envoya à Rome douze chevaliers avec les ossements de l'empereur Commode, mort en Hongrie à son service, comme on l'a dit. Ses ossements furent ensevelis à Rome dans une colonne qu'il avait fait faire.

 Item, l'an C et XCVI, en mois de marche le derain jour, morit lydis Alixandre roy de Hongrie ; sy fut roy apres luy son fis Brohadas, qui regnat XVI ans.

 En l'an 196, le dernier jour du mois de mars, mourut cet Alexandre, roi de Hongrie. Son fils Brohadas lui succéda et régna seize ans.

[De duc de Galle] En cel an, en mois de junne, morut Franco, ly dus de Galles, qui avoit regneit VIII ans ; apres Franco fut dus son fis Troiolus, liqueis regnat XXVII ans .

[Le duc de Gaule] Cette année-là, en juin, mourut Franco, le duc de Gaule, qui avait régné huit ans ; après lui le duc fut son fils Troïlus, qui régna vingt-sept ans.

[De Clemens, le maistre Origenes] A cel temps commenchat à eistre en grant auctoriteit uns preistre del engliese d'Alixandre, qui estois nomeis Clemens, liqueis fut ly maistre Origenes, qui fut tant bons clers.

[Clément, maître d'Origène] À cette époque-là un prêtre de l'église d'Alexandrie commença à jouir d'une grande autorité ; il était nommé Clément et fut le maître d'Origène, le grand savant.

 [p. 580] [Le casteal Bienfondeit] Item, l'an C et XCVII, en mois de fevrier, fondat ly dus Troielus de Galle unc mult beal casteal en sa terre, lequeile ilh appellat Bienfondeit, et fut fondeit sus le Royne desus une grant roche ; et fut ly plus fors qui fust en tous chi paiis. De chi casteal oit puisedit grant mestier le duc Ogier de Dannemarche, de quoy ons parlerat chi apres asseis, car ilh fut ens assis depart Karle le grant, roy de Franche ; et sy durat le siege VII ans. Si estoit adont nomeis chi casteal : le casteal fort qui siet sos le Royne en chemyn de Lyon.

[p. 580] [Le château Bienfondé] En février de l'an 197, le duc Troïlus de Gaule fonda dans son pays un très beau château qu'il appela ''Bienfondé''. Il fut érigé sur le Rhône, au-dessus d'un haut rocher ; il fut le château le plus fortifié de tout le pays. Plus tard le duc Ogier de Danemark, dont il sera beaucoup question plus loin, tira grand profit de ce château, car il y fut assiégé par Charlemagne, roi de France, pendant sept ans. Tel était alors le nom du château-fort situé sur le Rhône, sur la route de Lyon.

[Grant secheur] En cel an fist sy grant secheur que ilh ne issit herbe ne bleis ne aultres biens de terre ; se en fuit ly temps si chier, que ons vendoit XX donieres en sols chu que ons vendoit devant unc petit donier.

[Grande sécheresse] Cette année-là régna une si grande sécheresse que ni herbe, ni blé ni aucun autre produit ne sortirent de terre. Alors, la vie était très chère, et ce qui valait avant un petit denier se vendait vingt deniers.

 

Septime Sévère, expulsé de Rome par ses sujets rebelles, obtient l'aide du roi d'Athènes mais, vaincu par les Romains, il devient roi des Athéniens et commence à dévaster le territoire des Romains qui le laissent faire - Le pape Victor réunit le concile d'Alexandrie qui fixe les dates du carême et de Pâques (198)

 

 [Les Romans enchachont leur emperere fours de Romme] En cel an soy reballarent les Romans contre l'emperere, portant que ilh voloit [p. 581] à eaux tollir et osteir toutes leurs franquies que les aultres empereres devant luy leurs avoient donneit. Si fut encachiet fours de Romme ; si s'enfuit en Athennes, et fist tant que ly roy de Athennes ly oit enconvent que ilh ly aideroit ; se mandat toutes ses gens, se vinrent sour les Romans et orent batalhe ; mains ly emperere fut desconfis, et ly roy d'Athennes mors en la batalhe.

 [Les Romains chassent leur empereur de Rome] Cette année-là, les Romains se rebellèrent contre l'empereur, qui voulait [p. 581] leur supprimer et leur retirer toutes les franchises, que leur avaient accordées les autres empereurs, ses prédécesseurs. Il fut chassé de Rome et il s'enfuit à Athènes où il réussit à obtenir que le roi accepte de l'aider. Il convoqua toutes ses troupes qui foncèrent sur les Romains et se battirent ; mais l'empereur fut vaincu et le roi d'Athènes trouva la mort au cours de cette bataille.

[Et puis fut refais roy d’Athennes, quand ilh fut desconfis des Romans] Et cheaux d'Athennes fisent leur roy del emperere Severus, se ly dessent : « Sires, governeis-nos, et soyés nostre roy ; se vos aveis perdut vostre empire, se sereis roy d'Athennes et nos vos aiderons al mies que nos porons. » Quant l'emperere Severus entendit chu, sy fut mult lies, et dest : « Barons, je n'escondie mie vostre aiide ne vostre royalme oussi. » Adont fut coroneis roy d'Athennes Severus, sour l'an C et XCVIII, en mois de marche. Puis rasemblat ses gens de tous costeis et revint à Romme, si commenchat le paiis à exilhier de tous costeis ; et les Romans le lasserent adont covenir unc pou de temps, portant que ilh quidoient que Severus dewist aleir en la terre de Galle, si que les Sycambiens awissent batalhe à luy, sy que ilh fust ochis.

[Défait par les Romains, Sévère devient roi d'Athènes] Les Athéniens désignèrent l'empereur Sévère comme étant leur roi ; ils lui dirent : « Seigneur, gouvernez-nous et soyez notre roi ; vous avez perdu votre empire, mais vous serez roi d'Athènes et nous vous aiderons au mieux de nos moyens. » Quand l'empereur entendit cela, il se réjouit beaucoup et dit : « Barons, je ne refuse ni votre aide ni votre royaume. » Ainsi Sévère fut couronné roi d'Athènes, en mars de l'année 198. Ensuite il rassembla ses gens de partout et revint à Rome où il se mit à faire des ravages dans tout le pays. Les Romains le laissèrent faire pendant un certain temps, parce qu'ils croyaient que Sévère serait obligé d'aller en territoire de Gaule, que les Gaulois lui livreraient bataille et qu'il serait tué.

[p. 581] [Ly pape assemblat unc conciel en la citeit d’Alixandre] En cel an, assemblat ly pape Victoir une conchielhe de tous les preistres de l'empire, en la citeit de Alixande en Egypte. A chi conciele fut presens ly pape Victoir et Marchises le patriarche de Jherusalem, Theophilus, evesque de Cesaire, et Hireneus, evesques de Logd, et Marcel, evesques de Tongre.

[p. 581] [Le pape réunit un concile dans la ville d'Alexandrie] Cette année-là, le pape Victor réunit en concile tous les prêtres de l'empire, dans la ville d'Alexandrie en Égypte. À ce concile furent présents le pape Victor et le patriarche Narcisse de Jérusalem, l'évêque Théophile de Césarée et l'évêque Irénée de Lyon, ainsi que l'évêque Marcel de Tongres.

[L’ordinanche de quaremme et de Pasque, quant ons le doit faire] Et là fut ordineis en queile temps ons devoit faire le quaremme, et Paske celebreir ; car à cel temps les fasoit-ons en diverses paiis diversement. Adont fut-ilh confermeit que dedont en avant ons les celebrast solonc le court de la lune, si que tous jour chaiist la journée de Pasque en dymengne, et que ilh fust entre le XIIIIe et la XXIe.

[L'ordonnance sur la date du carême et de Pâques] On décida à ce concile à quel moment il fallait faire carême et célébrer Pâques ; car à l'époque cela se passait diversement dans les différents pays. il fut alors confirmé que désormais ces célébrations se feraient en fonction du cours de la lune, que le jour de Pâques tomberait toujours un dimanche, situé entre l'apparition des quatorzième et vingt-et-unième lunes.

[Coment Pasque et quaremme se doient tenir et que la lune soit plaine] Item fut encor ordineit que ly quaremme fut cascon an sy bien apointié, que ly jour del Paske ne chaiist mie plus tempre que le XXIe jour de marche, ne oussy plus tart que le XXVe jour d'avrilh ; mains entres ches dois jours ons poroit tous les ans faire et celebrier Ie jour le Pasque et la [p. 582] quaranteyme par-devant, mains que taudis soit la chouse enssy ordinée que ly jour del Paske soit toudis en dymengne, car adont est-ilh à son droit ; et ossy que la lune soit toudis plaine.

[Comment doit-on fixer Pâques et le carême - la pleine lune] Il fut aussi prescrit que le carême devait être fixé chaque année de façon telle que le jour de Pâques ne tombe ni avant le 21 mars ni après le 25 avril. Il serait donc permis chaque année de placer et de célébrer entre ces deux dates Pâques et les [p. 582] quarante jours précédents, mais il fallait régler les choses de façon telle que le jour de Pâques tombe toujours un dimanche, car c'est le jour qui lui convient de droit ; et il fallait aussi que ce soit toujours au moment de la pleine lune.

[Porquoy ilh fut ordineit que la lune soit plaine, le jour de la Paske] Et portant que pluseurs gens ne sevent mie porquoy la lune doit eistre plaine, je vos dyray porquoy ilh fut ordineit. Pluseurs gens sevent, et oussi cascon le doit savoir, que quant Jhesu-Crist fut mors en la crois, que ly soleal et la lune obscurit, et fut ly temps et ly jour tous ombreux. Et por faire et avoir cascon an le jour de bon venredy ombreux, se fut ordineit que ons awist teile lune que dit est, sy que ly jour en seroit plus ombreux. Apres le concielhe, les preistre de tout Orient et de Asie commencharent à faire le Paske, en teile manere com ordineit estoit par le pape et le concielhe qui ordineit l'avoit.

[Pourquoi prescrit-on la pleine lune pour le jour de Pâques] Comme beaucoup de gens ignorent pourquoi la lune doit être pleine, je vous en donnerai ici la raison. Beaucoup savent - chacun même devrait le savoir - qu'au moment de la mort de Jésus-Christ sur la croix, le soleil et la lune s'obscurcirent, rendant totalement sombres l'état de l'atmosphère et la lumière du jour. C'est pour avoir chaque année un vendredi saint plus sombre qu'on ordonna de tenir compte de la lune telle qu'on l'a dit, pour que le jour soit plus sombre (?). Après le concile, les prêtres de tout l'Orient et de l'Asie, commencèrent à célébrer Pâques selon les ordonnances du pape et du concile.

 

Retour à Rome de Septime Sévère, qui reconquiert d'abord la Lombardie, puis l'ensemble de son royaume et assiège Rome (200) - Après trois ans de rebellion, les Romains obtiennent, en menaçant de faire appel au duc de Gaule Troïlus, le maintien de leurs franchises et reconnaissent enfin Septime Sévère comme empereur - Priam succède au comte Anténor en Flandre - Sévère part pour l'Afrique en rébellion - Métropole, nouvel évêque de Tongres (199-201) - Septime Sévère fait la loi à Carthage et en Afrique (202)

 

[p. 582] [L’an C et XCIX - L’emperere Severus conquist pluseurs citeis en Lombardie] Item, l'an C et XCIX, le XIIIIe jour de may, conquist ly emperere Severus Melan, et fist tant que les gens se trahirent awec luy, et en june apres ilh conquist Pavie ; et puis conquist Pise et tout Lombardie. Et les Romans le lassoient convenir, portant que ilh quidoient qu'ilh s'en dewist aleir vers Galle, si serait ochis. Chu estoit mal penseir, car ilh conquist tant qu'ilh fist son rengne retourneir à luy.

[p. 582] [An 199 - L’empereur Sévère conquiert beaucoup de cités en Lombardie] En l'an 199, le 14 mai, l'empereur Sévère conquit Milan et réussit à se rallier la population. Ensuite en juin il conquit Pavie et puis Pise et enfin toute la Lombardie. Les Romains le laissaient faire, car ils croyaient que Septime Sévère devrait aller en Gaule et qu'il y serait tué. C'était une erreur, car il fit tant de conquêtes qu'il ramena à lui tout son royaume.

[L’an CC - Coment l’emperere Severus assighat Romme] Si assemblat tant de gens qu'ilh amenat devant Romme plus de XLm hommes, et assegat Romme l'an CC, le XXVIe jour de may. Mains quant les Romans veirent le grant siege, sy orent paour. Si orent teile conselhe que se ly emperere leurs volait lassier leurs franchises, enssi com ses devantrains les avaient donneis, ilh le rechuroient com leur saingnour, et s'ilh ne voloit chu faire, dont envoroient-ilh message à duc de Galle Troielus qu'ilh assemblast toutes ses gens que ilh poroit avoir, et se les venist sorcorir contre Severus, et ilh le feraient emperere de Romme. Quant Severus entendit chu, se soy laisat à la paix aplichier, por le dobte des Sycambiens. Et fut rechus Severus à emperere par les Romans, et tient grant court. Et puis remist-ons l'emperere Severus en son siege imperial, dont ilh avoit esteit priveis III ans.

[An 200 - L’empereur Sévère assiège Rome] Il rassembla tellement de troupes qu'il amena devant Rome plus de quarante mille hommes et assiégea la ville le 26 mai de l'an 200. Quand les Romains virent l'importance de ce siège, ils prirent peur. Ils décidèrent de recevoir l'empereur comme leur seigneur, s'il consentait à leur laisser les franchises accordées par ses prédécesseurs. S'il ne voulait pas de ces conditions, les Romains enverraient un message au duc de Gaule, Troïlus, pour qu'il rassemble toutes les forces possibles et pour qu'il vienne les aider contre Sévère. Ils désigneraient alors Troïlus l'empereur de Rome. Quand Sévère entendit cela, il laissa s'appliquer la paix, par crainte des Sicambres. Ensuite il fut reçu empereur des Romains, et tint grande cour. Puis on remit l'empereur Sévère sur le siège impérial, dont il avait été privé pendant trois ans.

[De conte de Flandre] En cel an, en mois d'awost, morut Anthenoir ly conte de Flandre ; si fut conte apres luy Priant, son fis, qui regnat XXXII ans.

[Le comte de Flandre] En cette année, au mois d'août, mourut Anténor, comte de Flandre. Son fils Priam lui succéda et régna pendant trente-deux ans.

[IIc et I] Item, l'an IIc et I, assemblat [p. 583] l'emperere Severus ses oust, et montat sour mere por aleir en Affrique, qui estoit relle de payer son tregut.

[201] En l'an 201, l'empereur Sévère [p. 583] rassembla ses armées et s'embarqua pour l'Afrique, qui était en rébellion : elle refusait de payer le tribut.

[De IIIIe evesque de Tongre, Metropolien]- En cel an, en mois de marche, morut Marcel, le IIIe evesques de Tongre ; sy fut ensevelis en l'engliese de Nostre-Damme à Tongre, liqueis fut apres canonisiés por les grans myracles que Dieu faisoit par luy. De queile sains Marcel ons en faite la fieste le IIIIe jour de mois de septembre. Apres sains Marcel fut consacreis à evesques de Tongre ly IIIIe uns proidhons et valhans clers de noble sanc, qui fut nomeis Metropolien, qui fut fis de Metropolin le duc de Lotringe (et) de la filhe le roy de Hongrie et soreur à Alixandre - si estoit nommée Edua - liqueis regnat IX ans.-

[Métropole, quatrième évêque de Tongres] En mars de cette année mourut Marcel, le troisième évêque de Tongres. Il fut enseveli dans l'église de Notre-Dame de Tongres et fut par la suite canonisé, suite aux grands miracles que Dieu faisait par son intermédiaire. La fête de ce saint Marcel est célébrée le 4 septembre. Après lui fut consacré le quatrième évêque de Tongres ; c'était un clerc très sage et vaillant, de sang noble, nommé Métropole : il était le fils du duc de Lorraine Métropolin et de la fille du roi de Hongrie, la soeur d'Alexandre - elle avait pour nom Edua. Métropole régna pendant neuf ans.

[p. 583] [De l’emperere Severus] Item, l'an IIc et II, conquist l'emperere Severus la terre de Cartage, se le remist en sa subjection, puis entrat plus avant en Affrique et oit batalhe à eaux ; se perdirent cheaux d'Affrique XIIIm hommes, et fut leur roy ochis, qui avoit à nom Salgodas ; sy donnat l'emperere la terre à unc sien cusien, car l'emperere Severus estoit de la nation d'Affrique.

[p. 583] [L’empereur Sévère] En l'an 202, l'empereur Sévère conquit le pays de Carthage, le remit sous sa sujétion, puis pénétra davantage en Afrique et se battit avec les Africains. Ces derniers perdirent treize mille hommes, et leur roi, nommé Salgodas, fut tué. L'empereur attribua le pays à un de ses cousins, car Sévère était d'origine africaine.

 

 Septime Sévère envahit l'Écosse chrétienne pour la ramener dans l'orbite de Rome et l'emporte dans une bataille contre Adolphe, prévôt d'Écosse - Ayant replié ses troupes à Sardas, dans une forteresse imprenable et approvisionnée pour dix années, Adolphe s'allie au roi Thomas de Bretagne - Thomas et Clodas organisent deux fronts : Clodas ira ravager l'Italie et Thomas marchera contre Sévère en Écosse (203)

 

 [p. 583] Apres soy partit l'emperere d'Affrique, et montat sour mere et nagat tant qu'ilh vint en Escoche, où ch'estoient cristiens qui estoient en la subjection le roy Thomas de la Grant Bretagne. Quant Severus entendit chu, se jurat qui les remetteroit en sa subjection et à sa loy. Adont entrat en ladit terre l'an IIc et III ; si commenchat la terre à destruire et à ardre. Adont en estoit prevost uns chevalier, qui estoit cusien al roy Thomas, qui avoit nom Adulphe : chis vint contre les Romans à grant gens en mois de junne, si oit à eaux batalhe, et soy provat mult valhamment ; mains ilh avoit trop pou de gens contre les Romans, sy fut desconfis ; mains, anchois qu'ilh s'enfuist, perdirent les Romans plus de IXm hommes.

[p. 583] Ensuite, l'empereur quitta l'Afrique, prit la mer et navigua jusqu'en Écosse, où se trouvaient des chrétiens qui vivaient soumis à Thomas, roi de la Grande-Bretagne. Quand Sévère entendit cela, il jura de remettre les Écossais sous sa sujétion et de les ramener à sa loi. Alors, il pénétra dans le pays en l'an 203, commença à le dévaster et à y mettre le feu. Le prévôt d'Écosse était alors un chevalier, cousin du roi Thomas et nommé Adolphe : avec une grande foule de soldats, il marcha contre les Romains. Il y eut une bataille entre eux, où Adolphe se comporta très vaillamment, mais il avait trop peu d'hommes face aux Romains et fut vaincu. Toutefois avant sa déroute, les Romains perdirent plus de neuf mille hommes.

Adont apellat lidys Adulphe ses gens et ses barons, et leur dest : « Saingnours, entreis en la citeit de Sargas qui est mult fort et bien garnie : ilh ne serat jà prise par hommes de monde dedens C ans, se chu n'estoit par famyne ; et vos aveis del garnisons asseis por X ans, et je m'en yray quiere socour en Bretangne à roy Thomas, qui nos venrat sourcorir contre nos anemis. » Quant ilh oit chu dit, s'y s'en allat brochant vers Bretangne, et ses gens entrarent en la citeit et le fermarent bien. Adont assegarent les Romans la citeit. Et Adulphe chevalchat tant que ilh est venus à Londre la citeit, et racomptat [p. 584] al roy comment les Romans estoient entreis en Escoche.

Alors, Adolphe convoqua ses hommes et ses barons pour leur dire : « Seigneurs, allez dans la cité de Sargas, très fortifiée et bien défendue. Personne ne s'en emparera jamais, avant cent ans, sinon par la famine ; et vous avez des réserves en suffisance pour dix ans. De mon côté, j'irai demander du secours en Bretagne, auprès du roi Thomas, qui viendra nous secourir contre nos ennemis. » Après avoir parlé ainsi, éperonnant son cheval, il partit pour la Bretagne. Ses hommes entrèrent dans la cité, qu'ils fermèrent soigneusement. Adolphe chevaucha alors jusqu'à la ville de Londres et il raconta [p. 584] au roi comment les Romains avaient pénétré en Écosse.

[Conselhe de batalhe] Et quant ly roy l'entendit, sy en fut mult dolans, si apellat ses hommes por luy à conselhier ; mains Clodas ly galois ly dest : « Sires, de quoy vos voleis conselhier ? veis chi tout le conselhe : mandeis vos gens d'armes, et puis les partons en dois ; sy m'en donneis une part, se m'en yray dedens l'empire de Romme et destruiray ortant de la terre Severus, comme ilh at destruite de la vostre ; et vos aureis l'autre part, se en yreis contre l'emperere. » Tout enssi com Clodas le devisat fut-ilh fait ; car Clodas soy mettit sour mere à XXXm hommes, et ilh en demorat à roy Thomas XLm hommes.

[Conseil de bataille] Quand le roi l'entendit, il fut très affligé et appela ses conseillers pour avoir leur avis. Alors Clodas le Gaulois lui dit : « Sire, de quoi voulez-vous discuter ? Voici la seule décision à prendre : appelez vos hommes d'armes, répartissons-les en deux groupes ; vous m'en donnez un, et je me rendrai dans l'empire de Rome où je ferai sur les terres de Sévère autant de destructions qu'il en a faites sur les vôtres ; vous prendrez l'autre groupe avec lequel vous marcherez contre l'empereur. » Tout fut fait comme Clodas l'avait proposé : Clodas prit la mer avec trente mille hommes et il en resta quarante mille au roi Thomas.

 

Tandis que Clodas assiège Rome après avoir conquis et dévasté de nombreuses villes en Italie, Thomas se rend à Sardas où se déroulent une bataille âpre et indécise entre Romains et Bretons, puis un combat singulier entre l'empereur Sévère et le roi Thomas - Finalement, les Romains, vaincus par Thomas et les Écossais, rembarquent pour Naples (204)

 

[p. 584] [IIc et IIII - Quant Clodas oit destruit l’empire, ilh asseghat Romme] Clodas arivat en l'empire l'an IIc et IIII, sy commenchat tout à destruire jusques à Pavie qu'ilh assegat, et le prist et le destruite ; et l'ardit toute sy qu'ilh n'y remanit maison ; et puis destruite Melan et Mode et Chatelon et jusques à XLIX citeis, ains que ilh venist à Romme, lesqueiles toutes ardit, et puis ilh asseghat Romme.

[p. 584] [204 - Après avoir dévasté l’empire, Clodas assiège Rome] Clodas arriva dans l'empire en l'an 204. Il se mit à y semer la destruction jusqu'à Pavie, qu'il assiégea, conquit et détruisit. Il l'incendia complètement, au point qu'il n'y restait aucune maison. Ensuite, après avoir détruit Milan, Modène et Châtillon ainsi que quarante-neuf cités, qu'il brûla complètement, il se rendit à Rome, qu'il assiégea.

Apres, ly roy Thomas chevalchat tant qu'ilh vint à Sargas, où ly emperere seioit, qui fist ses gens tantoist armeir quant ilh les veit, sy en allat encontre luy, et oit là grant batalhe ; mains ly emperere oit bien dois Romans contre unc Breton, mains chû n'y valit, car ly roy Thomas de ses grans coups faisoit les Romans reculeir et traire ariere. Adont aloit ly emperere parmy la batalhe, et ochioit les Bretons à gran fuison, car ilh estoit bons cbevalier, et les Bretons le fuioient et ly faisoient voie.

De son côté, le roi Thomas chevaucha jusqu'à Sargas où était l'empereur, qui fit armer ses hommes dès qu'il aperçut Thomas et marcha contre lui. Une grande bataille se déroula. L'empereur avait au moins deux Romains pour un Breton, mais cela ne le servit guère, car le roi Thomas, en assénant de grands coups, faisait reculer les Romains qui se repliaient. Alors l'empereur traversa le champ de bataille, tuant les Bretons à foison. Il était bon chevalier. Les Bretons fuyaient devant lui et lui laissaient la voie libre.

[Grant batalhe entre l’emperere et le roy Bretons] Mains quant Thomas le veit, se vint à luy et ly dest : « Faux emperere, porquoy ochis-tu mes gens, et se moy lais ychi ? prens une lanche, sy joste contre moy se tu es gentis. » Adont prisent II lanches et puis brocharent les diestrieres ; et vinrent sy roidement qu'ilhs ont leurs II escus frossiés. Et ly emperere rompit son lanche en tronchons ; mains ly roy Thomas le ferit par teile virtut, que ilh ly rompit escus et habiers et se le navrat en costeit, et l'awist ochis ; mains ly cengles et ly potrais (poitrail) rompirent à l'emperere, si qu'ilh chaiit à terre tous estoneis. Atant salhirent bretons avant qui le vorent prendre ; mains les Romans furent plus fors, et remontarent à cheval leur emperere ; mains à la rescosse furent ochis [p. 585] Vlm hommes, si en furent le Romans esbahis et reculeis. Adont issirent les Escochois de la citeit, sy assalhirent les Romans par derier ; si en ochirent tant que toute la terre en estoit coverte.

[Grande bataille entre l’empereur et le roi des Bretons] Quand Thomas le vit, il vint vers lui et dit : « Méchant empereur, pourquoi tues-tu mes hommes et me laisses-tu ici ? Prends une lance et affronte-moi, si tu as le coeur noble. » Alors ils prirent leurs lances et éperonnèrent leurs destriers. Ils s'élancèrent l'un contre l'autre si rudement qu'il défoncèrent leurs deux écus. L'empereur réduisit sa lance en morceaux, et le roi Thomas le frappa avec une telle force qu'il brisa son bouclier et sa cotte de mailles, le blessant au flanc. Il l'aurait tué si les sangles maintenant la selle de l'empereur ne s'étaient pas cassées. L'empereur tomba à terre tout étourdi. Les Bretons bondirent en avant pour s'emparer de lui, mais les Romains furent plus forts et remirent leur empereur en selle. Toutefois au cours de l'opération, six mille hommes [p. 585] furent tués. Les Romains, terrifiés, reculèrent. Et les Écossais sortirent de la cité, et attaquèrent les Romains par derrière ; ils en tuèrent tellement que toute la terre en était couverte.

[Bretons ont desconfis les Romans] Atant soy misent les Romans al fuyr com desconfis, et les Bretons les encachoient toudis en ochiant ; puis retournarent les Bretons mult joians, et les Romans s'enfuyent toudis mult ababis et dolans ; et ont tant fuyt, que ilh sont rentreis en leurs naves et montont sour mere et vinrent à terre droit à Napple.

[Les Bretons sont victorieux des Romains] Les Romains se mirent alors à fuir, comme des vaincus, tandis que les Bretons les poursuivaient, toujours en les massacrant. Les Bretons revinrent tout joyeux, tandis que les Romains s'enfuirent, très accablés et terrifiés, remontèrent sur leurs bateaux, reprirent la mer et retournèrent directement à Naples.

 

Rentrés en Italie, l'empereur et les Romains ne peuvent éviter Clodas - Une grande bataille se déroule, les Romains sont défaits, surtout grâce aux prouesses de Clodas - Clodas, dissuadé par ses barons de poursuivre les Romains en fuite, retourne en Écosse, où il retrouve Thomas dans une ambiance de fête

 

[p. 585] Si montarent à chevals et chevalcharent devers Romme. Mains adont estoit Clodas departis de Romme, et gastoit le paiis là atour ; si encontrat des gens d'armes de l'emperere Vc hommes qui revenoient devant. Quant Clodas les veit, se les at suscorut et les at ochis et pris ; et puis leur demandat comment l'emperere avoit fait en Escoche ; et ilh ly dessent que ly emperere estoit desconfis et avoit tout perdut et revenoit mult dolant. Adont dest Clodas : « par la foid que je doy à Jhesu-Crist et à roy Thomas, se je vis encor unc pau de temps, ilh sera encor plus dolans. »

[p. 585] Là, les Romains prirent leurs montures et chevauchèrent vers Rome. Mais à ce moment-là, Clodas, qui s'était éloigné de Rome et ravageait le pays tout autour, rencontra cinq cents hommes d'armes de l'empereur, qui précédaient le gros de la troupe. Dès qu'il les vit, Clodas fonça sur eux, en tua certains, et captura les autres. Il demanda aux captifs ce que l'empereur avait fait en Écosse ; ils lui répondirent que l'empereur, vaincu, avait tout perdu et revenait très malheureux. Alors Clodas déclara : « par la fidélité que je dois à Jésus-Christ et au roi Thomas, si je vis encore un peu, l'empereur sera plus à plaindre encore. »

Adont fist Clodas armeir ses gens, et chevalchat tant qu'ilh encontrat l'emperere qui volentier s'en alaist une aultre voie, se ilh powist, mains ilh ne poioit. Adont dest l'emperere à ses gens : « Saingnours, et ne voy-je mie la baniere le roy Thomas ? Queiles dyables l'ont or sy toist chi aporteit ? Ilh moy covint combattre à luy, et sy n'en avoy cure. »

Alors Clodas fit armer ses hommes et chevaucha jusqu'à sa rencontre avec l'empereur qui serait volontiers passé par un autre chemin, s'il avait pu le faire, mais c'était impossible. L'empereur dit alors à ses hommes : « Seigneurs, ne vois-je pas l'étendard du roi Thomas ? Quels diables l'ont amené si vite ici ! Il faut donc que je me batte avec lui, ce que je n'avais pas prévu.

[Clodas desconfit encor les Romans] Adont se sont sus corus, et commenchat là grant batalhe, qui durat del matinée jusques à la vesprée, et toudis cressoient gens aux Romans, car chu estoit en leur paiis ; mains chu ne valt, car Clodas tenoit ses gens ensemble, et les reconfortat de ses grans coups. Et al derain, Clodas s'enbatit mult avant et fist tant de fais d'armes que chu estoit mervelhe, car chu estoit ly miedre chevalier qui fut en monde, foursmys le roy Thomas qui estoit bien oussi bon chevalier com Clodas. Et tant fist Clodas, que ilh abatit à terre cheluy qui portoit la baniere l'emperere, si que la baniere chaiit jus sus le sablon, se ne fut pais adont relevée.

[Clodas défait une nouvelle fois les Romains] Ils foncèrent alors l'un sur l'autre, et ce fut le début d'une grande bataille qui dura du matin jusqu'au soir. Sans cesse les Romains voyaient leurs forces augmenter en nombre, car ils étaient dans leur pays ; mais cela ne leur réussit pas, car Clodas maintenait ses troupes ensemble et les réconfortait par ses prouesses. Finalement, Clodas se lança très en avant et réalisa d'innombrables faits d'armes. C'était le meilleur chevalier au monde, hormis le roi Thomas, au moins aussi bon chevalier que lui. Il finit par terrasser le porte-étendard de l'empereur, si bien que l'étendard tomba sur le sable sans être relevé.

[Clodas desconfit l’emperere et ses gens] Apres, Clodas ochist trois senateurs qui furent nomeis Gadas de Palus, Josué d'Atrab et Madarans d'Abilos, et mult aultres ; et sy navrat l'emperere, et ly ochist son cheval, sy qu'ilh chaiit à terre, mains ilh fut tantoist remonteis. Adont s'enfuirent les Romans, et Clodas les volt cachier ; mains [p. 586] ses barons ly dessent que ilhs s'en ralassent en leurs terres car ilhs estoient bien et noblement vengiés. Clodas creit conselhe, sy monlat sor mere et alat tant par mere awec ses gens, qu'ilh vinrent en Escoche où ilh trovarent le roy Thomas, qui les fist grant fieste. Et là racomptat cascon chu qu'ilh avoit faite, si en fut fait grant fieste des ambdois pars.

[Clodas défait l’empereur et ses gens] Ensuite Clodas tua trois sénateurs, qui s'appelaient Gadas de Palus, Josué d'Atrab et Madarans d'Abilos, ainsi que beaucoup d'autres. Il blessa l'empereur et abattit son cheval ; l'empereur tomba à terre, mais fut aussitôt remis en selle. Les Romains prirent alors la fuite. Clodas voulut les poursuivre, mais [p. 586] ses barons lui suggérèrent de les ramener dans leurs pays, car ils s'étaient bien et noblement vengés. Clodas tint compte de ce conseil, prit la mer et navigua avec ses gens jusqu'en Écosse où ils trouvèrent le roi Thomas, qui leur fit grande fête. Là chacun raconta ce qu'il avait fait, et on célébra une grande fête des deux côtés.

 

L'empereur Sévère, rentré à Rome irrité de sa défaite, décrète une persécution et martyrise un nombre incalculable de Chrétiens, dont le pape Victor, qui avait publié une ordonnnance sur le baptême (204 ?)

 

[p. 586] [Grant persécution sor les cristiens : ly pape Victoir fut ochis et pluseurs autres - Porquoy ons dist le cymiteir Sains-Calixte] Et ly emperere revint à Romme tous corochiés et dolans por sa perde, et por cest cause ilh en fist grant persecution aux cristiens, et en martyrisat sens nombre. Et tout promier fist martirisier le pape Victoir, le IIIe jour de junne, en despit de roy Thomas : sy fut ensevelis en la cymiteir Sains-Calixte, qui estoit enssi nommée portant que sains Calixte, qui fut puisedit pape de Romme, le consecrat à son temps ; car elle n'estoit encor adont pointe consacrée, n'en n'astoit pointe apellée la cymiteir Sains-Calixte, car Calixte n'estoit encors mie neis.

[p. 586] [Grande persécution contre les chrétiens : le pape Victor et beaucoup d'autres sont tués - Pourquoi on parle du cimetière de Saint-Calixte] L'empereur revint à Rome, très irrité et malheureux à cause de sa défaite. C'est pour cela qu'il lança une grande persécution contre les chrétiens et qu'il en martyrisa un nombre incalculable. En tout premier lieu, il fit martyriser le pape Victor, le 3 juin, sans se préoccuper du roi Thomas. Le pape fut enseveli dans le cimetière Saint-Calixte, ainsi nommé parce qu'il fut consacré en son temps par saint Calixte, qui devint par la suite pape de Rome. Mais à l'époque où nous sommes, le cimetière n'était pas consacré et ne portait pas ce nom, puisque Calixte n'était pas encore né.

[En cas de necessiteit on puet baptisier en toutes aywes] A cel temps dont nos parlons, chis pape Victoir ordinat que, en cas de necessiteit, ons posist baptisier tous hommes, soit en flus ou en fontaine, ou en mere ou en sanc, quant ons le fait martyr, se en la cristiene confession le requiert sicom vray creans.

[En cas de nécessité, on peut baptiser dans n'importe quelle eau] À l'époque dont nous parlons, ce pape Victor ordonna qu'en cas de nécessité on puisse baptiser les gens dans un fleuve ou dans une fontaine ou dans la mer ou même dans du sang, s'il s'agit d'un martyr et s'il le demande en confessant la foi chrétienne comme un vrai croyant.

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